Pierre Laporte

Les voyages de la Liaison française 1949-1959

Édition d’articles de presse établie, présentée & annotée par Dominique Laporte

Les Public’ de l’APFUCC, no 8 Les Public’ de l’APFUCC sont des tirages Tabula Gratulatoria limités et sont la propriété de l’APFUCC, soit l’Association des Professeur.e.s de Français des Universités et Collèges Canadiens. Les voyages de la Liaison française de Pierre Laporte, huitième Public’ de l’APFUCC, est imprimée grâce à la générosité des bienfaiteurs de l’Association. Soient ici remercié.e.s : De cette plaquette, huitième de la collection, il a été tiré 100 exemplaires composés en Garamond Sophie Bastien, Janice Best, Fanny Boulesteix, Premier Pro sur papier Enviro Édition naturel et Constance Cartmill, Sébastien Côté, Jean-Pierre dotés d’une couverture Via Felt à rabats. Fruet, Arlette Girault-Fruet, Suzanne Hayman, Dominique Laporte, Caroline Lebrec, Pascal Michelucci, Dominique Raymond, Corina Sandu, Juliette Valke & Sante Viselli.

Édition & présentation : Dominique Laporte Production : Caroline Lebrec & Kelly Gervais Révision : Caroline Lebrec & Dominique Raymond

ISBN : 978-2-9811847-7-1 • Présentation •

Dominique LAPORTE

À la mémoire de mon père, Jean-Claude Laporte (1948-2017).

« La volonté de survivre, c’est d’abord en chacun de nous qu’elle doit être » (Robert, « Au New Hampshire » 225).

u legs journalistique de Pierre Laporte (1921-1970), qui œuvra notamment au Devoir de Montréal Dde 1944 à 1961, l’historiographie québécoise a retenu principalement ses articles retentissants sur le « scandale du gaz naturel », considéré comme « le scoop de sa carrière » (Panneton 135), et sur d’autres abus de la Grande Noirceur qu’il dénonça en s’attirant les foudres de , premier ministre du Québec jusqu’à sa mort en 1959. Paru dans du 13 juin 1958, le premier article sur cette affaire fut suivi le lendemain d’un éditorial de Gérard Filion, directeur du Devoir, édité à l’occasion du centenaire du journal en 2010 (Lévesque 334-339). Cependant, le parcours de Pierre Laporte jusqu’au commencement d’une carrière parlementaire en 1961 ne se limite pas à une opposition au duplessisme avant la Révolution tranquille ; il s’inscrit aussi dans l’histoire des relations entre le Québec et les minorités françaises en Amérique du Nord.

• 7 • L’appui de la Jeune Chambre de commerce de À la suite de son passage à Saint-Boniface, Pierre Montréal aux minorités françaises Laporte rédige pour Le Devoir une série de six articles Au sein de la Jeune Chambre de commerce de Montréal, où il présente la situation démographique, religieuse, dont il devient membre en 1942 et où il occupe le poste scolaire, économique et culturelle de la minorité française de deuxième vice-président général de 1946 à 1947, Pierre du Manitoba (Laporte, Le Manitoba français). Du 18 au Laporte s’implique dans la campagne de souscription en 31 mars 1947, il préside la campagne du livre français à faveur de Radio-Ouest Française, dont il préside le dîner Montréal lancée par la Jeune Chambre de commerce de d’inauguration le 25 septembre 1945 et qui contribue à la Montréal et destinée à remédier au manque de bibliothèques fondation de CKSB, la première station radiophonique françaises dans l’Ouest. Au cours de cette campagne, qui française dans l’Ouest canadien, inaugurée à Saint- vise la collecte de 50 000 livres au minimum et à laquelle Boniface le 27 mai 1946. Par la suite, le congrès de la participent 180 écoles de la Commission des écoles Chambre de commerce du Canada tenu à Winnipeg les 9 catholiques de Montréal dans un concours intersc­ olaire, et 10 octobre 1946 est l’occasion pour des délégués et lui 15 000 des 125 000 livres envoyés sont recueillis par les de traverser la Rivière-Rouge pour se rendre le 8 octobre 300 élèves de l’École Anthelme-Verreau, comme le rapporte à Saint-Boniface où ils visitent d’abord la station de radio un rédacteur du Bonifacien qui salue l’initiative de Pierre CKSB et discutent par la suite de l’évolution économique Laporte, diplômé de la Faculté de droit de l’Université de des Canadiens français au cours d’une réception au Collège Montréal et âgé alors de vingt-six ans : de Saint-Boniface, comme le rapporte un rédacteur anonyme du Bonifacien (1943-1949), le premier journal Avocat et journaliste remarquable, Me Laporte a conçu étudiant de langue française de ce collège jésuite : l’idée de cette campagne d’envergure et il en a été le président très effectif. […] Le journaliste a voulu passer Sur l’invitation de la chambre de commerce de Saint- à l’action, il a voulu nous manifester sa sympathie et son Boniface, la délégation canadienne-française du Québec admiration en se dévouant pour nous d’une façon splendide s’accorda une “veillée” chez les Franco-Manitobains. Elle et très pratique : il a décidé d’envoyer à l’Ouest ce qui lui se rendit d’abord au poste CKSB. […] Ensuite, à la salle manquait le plus : des livres français. Me Laporte nous académique du Collège, où les attendaient un groupe de en expédiera tout un wagon !!! Voilà qui classe ce jeune citoyens de la ville, ce fut la rencontre fraternelle, l’échange avocat parmi les patriotes et les réalisateurs. (Aulneau 3) des idées et des plans d’avenir. […] Les délégués du Québec nous ont apporté un message réconfortant. Nous aussi nous aspirons à la maîtrise de notre vie économique. (« Les Chambres de Commerce du Québec » 1-2)1 section « Ouvrages et articles non signés consultés pour cette 1 Les références complètes des articles ou des ouvrages anonymes édition » de la bibliographie. cités ou ici mentionnés sont classées alphabétiquement dans la

• 8 • • 9 • L’appui du Conseil de la vie française en Amérique voyage La Liaison française, dont la fondation par le aux minorités françaises CVFA en 1954 explique probablement le changement Pierre Laporte s’associe en outre à l’œuvre du Comité d’appellation de ces voyages, nommés d’abord voyages Permanent de la Survivance Française en Amérique, de la Survivance française et par la suite voyages de renommé successivement Comité de la Survivance la Liaison française. Le premier voyage organisé par Française en Amérique et Conseil de la vie française le CVFA se déroule dans l’Ouest du 1er au 30 juillet en Amérique (CVFA). La décision de fonder le CVFA, 1946 et est l’occasion pour des délégués d’assister aux qui est resté actif jusqu’en 2007, remonte au Deuxième congrès annuels respectifs de l’Association d’éducation Congrès de la Langue française au Canada, tenu à Québec des Canadiens français du Manitoba, de l’Association du 27 juin au 1er juillet 1937 et centré sur l’esprit français, catholique franco-canadienne de la Saskatchewan et de jugé menacé par l’américanisation et l’anglicisation l’Association canadienne-française de l’Alberta. selon les élites canadiennes-françaises. Dans son discours de clôture à titre de président du Congrès, Mgr Camille Les voyages de liaison française avant la création Roy annonce la future mission du CVFA, dont il sera le du CVFA premier président de 1938 à 1940 : Le premier voyage de la Survivance française organisé par le CVFA ne constitue cependant pas une primeur Un Comité qui représentera les forces vives des différents dans l’histoire des relations entre le Québec et les groupes de la race française au Canada et aux États- minorités françaises en Amérique du Nord. Au cours des Unis, qui sera tout à la fois un poste d’écoute, un poste années 1920, qui voient le développement du tourisme d’observation, et un centre d’action : voilà ce dont nous intérieur ou extérieur et la publication de récits de avons besoin pour qu’il y ait chez nous coopération voyage destinés aux touristes, Le Devoir se dote en 1924 efficace des esprits, et union indispensable des volontés. d’ « un service de voyages pour aider à la propagande ( 446) Deuxième Congrès de la Langue française au Canada des idées de rapprochement [que le journal] préconise depuis sa fondation » (Leduc-Frenette 26), à savoir Le CVFA constitue en effet « un pilier du réseau le « rapprochement entre les divers groupes français institutionnel canadien-français » (Martel 43-74) d’Amérique » (« Le “Devoir” au voyage de liaison et appuie les minorités nord-américaines de langue française » 1). Le directeur-fondateur du Devoir, Henri française de multiples façons. Conservé à la Division Bourassa, et son rédacteur en chef, Omer Héroux, s’en font des archives de la Ville de Québec, le Fonds CVFA les apôtres dans un contexte où les minorités françaises comprend des registres de procès-verbaux olographes et en Acadie, en Ontario et dans l’Ouest pâtissent de lois des photographies qui renseignent notamment sur les scolaires défavorables à l’éducation française et catholique. voyages patriotiques et touristiques organisés d’abord Le premier voyage du Devoir a lieu en Acadie en 1924 ; le par l’abbé Paul-Émile Gosselin, secrétaire général du second, chez « nos frères ontariens » en 1925. L’Acadie CVFA de 1937 à 1978, et par la suite par le service de • 10 • • 11 • à nouveau (1927) et la Louisiane (1931) comptent parmi efforts des missionnaires colonisateurs dans les zones les destinations proposées ultérieurement par le Service de peuplement de l’Ouest où les groupes de langue des Voyages du Devoir. française dispersés demeurent minoritaires et ne peuvent À la même époque, les voyages de la Liaison française en conséquence faire contrepoids à des politiques vers l’Ouest à partir de 1924, ceux de la Survivance scolaires qui non seulement les marginalisent dans leur française vers l’Est (1925-1928) et ceux de l’Université province respective, mais aussi augmentent le risque de Montréal vers l’Ouest à partir de 1925 visent à d’anglicisation. Néanmoins, la conjoncture des années resserrer les liens de solidarité entre Canadiens français 1930 n’empêche pas l’organisation d’une septième d’un océan à l’autre, voire entre Canadiens français et excursion transcontinentale de l’Université de Montréal Franco-Américains au cours des voyages de la Liaison jusqu’en Alaska et au Yukon en 1931, ce dont la presse française, dont le premier a lieu du 26 juin au 12 juillet canadienne-française de l’Ouest se fait l’écho. Ce voyage 1924. Organisé par l’abbé J.-A. Ouellette, directeur touristique de luxe, qui a lieu du 8 au 31 juillet 1931, suit des missionnaires colonisateurs, conjointement avec l’objectif premier rappelé par l’organisateur du septième, le Service de colonisation et ressources naturelles Augustin Frigon, directeur de l’Enseignement Technique du Chemin de fer National du Canada, ce voyage de la province de Québec et de l’École Polytechnique de vers l’Ouest, qui sera suivi de trois autres vers cette Montréal, comme le rapporte un rédacteur anonyme du destination respectivement en 1925, en 1927 et en 1928, journal La Survivance d’Edmonton : a pour devise Nous connaître pour nous unir et pour objectif ultime de favoriser le rapatriement des Franco- Né d’une belle idée patriotique, ce voyage universitaire permet américains faisant partie du voyage. Le programme de aux amis de notre Université montréalaise de parcourir cinq cette excursion comprend non seulement la traversée de des provinces du Canada, et de prendre ainsi contact avec centres canadiens-français de l’Ouest, mais également la des milieux très différents du nôtre, quoique faisant partie visite de zones de colonisation dans le Nord ontarien et de notre pays. Un voyage dans l’Ouest canadien offre de en Abitibi, dernières destinations des voyageurs avant plus un intérêt bien particulier pour les habitants de langue leur retour à Montréal. Comme l’annonce un éditorial française du Québec, car ils ont le bonheur de retrouver en des endroits très éloignés de la province-mère des groupements du journal de Québec, qui organisera L’Action catholique importants de compatriotes qui, bien qu’entourés d’une le voyage de la Liaison française l’année suivante, « [u] n population de langue, de coutumes et le plus souvent de service de publicité qui accompagnera l’excursion sera religion étrangères aux leurs, parviennent quand même, par chargé de faire connaître les groupes, leurs forces, leurs les belles qualités de leur race, à jouer un rôle primordial dans possibilités de développement […] » (Poulin 3). leur milieu. (« Le voyage de l’Université de Montréal » 3) Le début de la dépression en 1929 met fin à l’émigration canadienne-française vers les centres Ce discours patriotique fait pendant au message de industriels de la Nouvelle-Angleterre et entrave les bienvenue que le Dr Jean-Louis Petitclerc, président de

• 12 • • 13 • l’Association canadienne-française de l’Alberta de 1928 la tradition des voyages patriotiques et touristiques à 1932, adresse aux quatre-vingt-cinq excursionnistes instaurée par le Service des Voyages du Devoir, d’après et dans lequel il attire leur attention sur l’implantation les registres de procès-verbaux que nous avons consultés2. réussie d’un « rameau du vieux tronc canadien-français » Après le succès du premier voyage de la Survivance dans l’Ouest, selon le vœu d’Henri Bourassa : française dans l’Ouest, un voyage en Acadie est projeté pour la période du 12 au 23 août 1947, mais annulé en Partout sur votre passage vous avez vu des rameaux issus raison du nombre insuffisant d’inscriptions couvrant les du tronc québecquois [sic], mais nulle part vous ne les frais de transport. Le procès-verbal de la 100e réunion du aurez vus plus pleins de sève prometteuse que sur ce sol Bureau du Comité Permanent, tenue le 12 septembre fertile de l’Alberta. Allez emplir vos yeux des beautés 1947, détaille quelques-uns des obstacles auxquels le de notre ouest canadien, vos poumons, de l’air pur que CVFA se heurte au cours de l’organisation du voyage : nous y respirons, votre cœur, de fierté patriotique, et revenez chanter avec nous et avec sa pleine signification : Les frais minimaux d’un train complet s’élèvent à « Ô Canada, mon pays, mes amours. » (Petitclerc 1) douze mille piastres, ce qui entraîne un coût total de treize à quatorze mille dollars. À cette date [le quatre août] soixante À la même époque, le Service des Voyages du Devoir voyageurs s’étaient inscrits et avaient versé neuf mille repousse les frontières en organisant, à grand renfort six cents dollars en billets. Il aurait fallu vingt inscriptions, d’articles et d’annonces publicitaires, un « pèlerinage du 4 au 13 [15 ?] août pour rencontrer les frais. Après national canadien » aux Congrès Eucharistiques discussion, les membres présents ne croient pas pouvoir Internationaux de Chicago (1926), de Sydney (1928), de assumer le risque d’un déficit de quatre mille dollars. Tout Carthage (1930) et de Dublin (1932), avec le concours en déplorant les ennuis qui découlent de l’abandon du d’autres journaux canadiens-français. Pour le 31e Congrès voyage, ils se décident pour cette solution. (PVO, VII, 111) à Dublin, La Liberté de Winnipeg se joint à L’Évangéline Néanmoins, les régions acadiennes des Maritimes de Moncton et au Droit d’Ottawa pour organiser avec compteront parmi les destinations les plus fréquentes des Le Devoir ce pèlerinage qui contribue à resserrer les liens non seulement entre Canadiens français partageant la voyageurs de la Survivance – ou de la Liaison – française à même langue et la même foi, mais aussi entre catholiques partir de 1949, date du voyage de la Survivance française de langue française en Amérique du Nord. en Nouvelle-Angleterre et en Nouvelle-Écosse, suivi

2 Les voyages de liaison française du CVFA A.V.Q., Fonds CVFA, Procès-verbaux olographes, vol. VII, P52-213/1470-2 ; vol. VIII, P52-2B/1471-1 ; vol. XI, P52- Neuf ans après sa création dans la foulée des séances 2B/1472-2. – Pour référencer les procès-verbaux olographes que des délégués canadiens-français, acadiens et franco- nous citerons, nous les désignerons par l’abréviation PVO, suivie américains du Deuxième Congrès de la Langue française du numéro du volume du registre consulté en chiffres romains au Canada, le CVFA renoue à partir de 1946 avec et du numéro de la page citée en chiffres arabes.

• 14 • • 15 • notamment de voyages acadiens au Nouveau-Brunswick National – et [de] [l’] élabor[ation] avec eux [d’] un et à l’Île-du-Prince-Édouard en 1951, en Louisiane, au projet de voyage patriotique dans l’Abitibi et l’Ontario Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse en 1955, […] » (PVO, XI, 207) et d’autres voyages dans l’Ouest, à l’occasion du bicentenaire de la Déportation, et de après le succès l’été précédent de l’excursion jusqu’à la côte nouveau dans les Maritimes en 1959. du Pacifique ayant réuni 120 voyageurs. Le 24 février Les deuxième et sixième voyages organisés par le 1954, il détaille l’itinéraire du voyage en Ontario dont CVFA ont lieu en Ontario respectivement du 5 au les dates sont fixées (« du 30 juin au dix juillet » [PVO, 12 juillet 1948 et du 30 juin au 10 juillet 1954. Dans XI, 236]) et dont le coût ne devra pas dépasser 300$ par l’intervalle, le CVFA décide de ne pas se joindre à personne. Par la suite, une campagne publicitaire vise l’Association canadienne-française d’éducation d’Ontario l’inscription non seulement au voyage en Ontario, mais sur son invitation pour l’organisation d’un pèlerinage aussi à des voyages dans l’Ouest, l’un de luxe, l’autre à prix estival au sanctuaire des Martyrs canadiens à Midland en modique, organisés en même temps que le premier par 1950. Pour le voyage annoncé le 13 mars 1948 dans deux l’abbé Gosselin, selon le procès-verbal de la 153e réunion, quotidiens de Québec (Le Soleil, L’Action catholique) et tenue le 7 avril : deux jours plus tard dans Le Devoir, 66 inscriptions sur un total de 68 sont consignées après la publication du Un dépliant contenant ces horaires est sous presse et paraîtra programme du voyage dans L’Action catholique le 20 mai à quatre mille exemplaires. Les communiqués publiés et dans Le Devoir le 1er juin. Le voyage au Témiscamingue, dans les journaux sur les voyages ont valu au secrétariat en Abitibi et en Ontario en 1954 ne renouvelle toutefois un bon nombre de demandes de renseignement : plus pas le succès de 1948, malgré un retour de la Liaison de 125. Une vingtaine de personnes se sont déjà inscrites française en Ontario préparé longtemps d’avance. pour l’un ou l’autre des voyages et ont même versé des Comme pour les voyages de liaison française antérieurs, acomptes. Il est encore trop tôt pour prévoir la tournure que prendront les adhésions. Cela se dessinera en mai avec l’abbé Gosselin planifie et organise tout régulièrement la diffusion du dépliant de propagande et probablement et minutieusement. Le 21 octobre 1953, il soumet avec quelques annonces payées dans les journaux. (PVO, XI, 253) succès à l’exécutif du Conseil son projet d’une « visite de l’Abitibi et de l’Ontario nord avec retour par les Cette offre simultanée d’excursions dans l’Ouest nuit Grands Lacs, Midland, les Chutes Niagara, Toronto au voyage en Ontario auquel seules quarante personnes et Montréal » (PVO, XI, 195) pour l’été 1954, après en tout s’inscrivent, ce qui est en deçà du minimum de « a[voir] commencé des tractations avec les compagnies cinquante inscriptions sans lequel ce voyage risque d’être de chemins de fer et les hôtels ainsi que la compagnie de déficitaire. En revanche, 140 personnes et une quarantaine navigation » (PVO, XI, 195). Le 17 novembre, il informe de plus s’inscrivent respectivement au voyage à prix le Conseil de sa rencontre avec « les représentants modique et au voyage de luxe dans l’Ouest, ce qui motivera des chemins de fer – Pacifique Canadien et Canadien le CVFA à confier au service de voyage La Liaison française

• 16 • • 17 • le soin d’organiser annuellement des excursions vers cette rend par piété dans un lieu saint et, par métaphore, le destination et d’autres voyages, voire des croisières, à chrétien qui, durant sa vie terrestre, chemine vers la cité l’étranger (Antilles, Europe, Mexique, etc.). céleste » (Dictionnaire historique de la langue française). À l’époque des « pèlerinages » organisés successivement Pierre Laporte, reporter des voyages de liaison par Le Devoir et par le CVFA, l’appellation « pèlerins » française conserve sa signification chrétienne dans la culture Sept voyages organisés par le CVFA entre 1949 et 1959, catholique commune aux Canadiens français, aux dont quatre en Acadie respectivement en 1949, en Franco-Américains et aux Acadiens, et s’accompagne de 1951, en 1955 et en 1959, fournissent la matière d’une son dérivé, « pèlerinage », qui, en l’occurrence, désigne soixantaine d’articles que Pierre Laporte rédige pour en particulier la visite de paroisses dites « nationales Le Devoir, aux côtés de l’abbé Adrien Verrette, éditeur françaises » comme Notre-Dame de Fall River, de La Vie franco-américaine (1938-1953) et président Massachusetts, où la messe à laquelle Pierre Laporte du CVFA de 1949 à 1953, et de collègues d’autres et ses compagnons de voyage assistent et l’hymne journaux canadiens-français qui relatent comme lui les national canadien qu’ils entendent après la célébration voyages organisés par le CVFA. Dans le cas du voyage témoignent de la survivance canadienne-française en de la Survivance française en Nouvelle-Angleterre et en Nouvelle-Angleterre : « Quel souvenir chacun garde Nouvelle-Écosse, la visite de centres franco-américains, de cette messe, de cette messe française célébrée si loin de villages acadiens et de Grand-Pré, du 7 au 15 juillet, de chez-nous [sic], dans cette atmosphère de fête dont fait l’objet d’une série d’articles dans Le Devoir, parus on a voulu là-bas entourer notre visite ! Aucun voyageur entre le 8 et le 22 juillet, et d’une deuxième version de ce ne pourra jamais oublier ce frisson qui a traversé la reportage en un seul article publié ultérieurement dans foule quand, après l’Ite Missa Est, l’organiste a entonné la revue du CVFA, Vie Française (Laporte, « Relation l’Ô Canada » (Laporte, « Relation du voyage » 30). du voyage » 21-41). Sous la plume de Pierre Laporte, le pèlerinage Au début de sa relation de voyage pour Vie Française, des voyageurs de la Survivance française en Nouvelle- qui se distingue textuellement de son premier article Angleterre constitue plus largement une traversée de pour Le Devoir sur le même sujet (Laporte, « Les l’histoire diasporale des Canadiens français, car ils vont à pèlerins de la Survivance française ont visité hier la la rencontre de Franco-Américains originaires du Québec ville de Manchester » 8), Pierre Laporte présente la ou issus de familles d’immigrants canadiens-français, et soixantaine de voyageurs réunis à la Gare Windsor le ce, après la célébration du Centenaire Franco-Américain, 17 juillet 1949 comme des « pèlerins ». L’étymologie tenue à Worcester, Massachusetts, les 28 et 29 mai 1949. de cette appellation (de peregrinus « qui voyage à « Et nous voilà partis… partis pour cette course qui nous l’étranger ») se double d’une signification religieuse conduira au pays de l’histoire et nous fera connaître en désignant, à partir du XIe siècle, « celui, celle qui se une autre portion de cette grande famille française qui

• 18 • • 19 • habite en terre d’Amérique » (21-22). Des pèlerins de commun en chantant des chansons folkloriques françaises la Survivance française ont eux-mêmes des souvenirs ou canadiennes-françaises à l’occasion de la réception de voyage en commun, sinon un premier contact offerte à Manchester, New Hampshire, par l’Association suffisamment engageant pour qu’aucun ne souffre d’être Canado-Américaine (Laporte, « Relation du voyage » étranger aux autres : « Quelques-uns des voyageurs, 23) et au cours d’une visite du couvent des Révérendes pèlerins de 1948, se connaissent déjà. Ils devisent Sœurs de la Présentation de Marie à Nashua, New joyeusement, cependant que les autres font rapidement Hampshire (25). La présence de noms français dans les connaissance. Nous sommes à peine partis, que déjà nous centres franco-américains contribue même à donner aux ne formons plus qu’une seule grande famille où chacun pèlerins de la Survivance française l’illusion d’une absence fera sa petite part pour que tout le monde soit heureux » de distance géographique entre la province de Québec et (21-22). Le CVFA favorise du reste des relations suivies les lieux qu’ils visitent, à telle enseigne que Woonsocket, entre anciens voyageurs en les conviant à des retrouvailles Rhode Island, siège de l’Union Saint-Jean-Baptiste après un voyage de la Liaison française. Le procès-verbal d’Amérique, rappelle à certains la ville de Québec ou l’est de la 17e session du CVFA, tenue du 12 au 15 septembre de Montréal (29). Pierre Laporte a lui-même l’occasion 1953, rapporte la soirée ayant réuni les participants du d’exprimer de vive voix son propre sentiment de ne pas voyage de la Liaison française dans l’Ouest en 1953 : être dépaysé en Franco-Américanie. Chargé d’adresser l’hommage de la Survivance à la paroisse Sainte-Cécile À huit heures, le soir, le Conseil de la vie française reçoit les de Leominster, Massachusetts, il « est émerveillé de voyageurs de la Liaison française 1953. Plusieurs sont venus rencontrer tant de choses qui ressemblent au pays de de l’extérieur : Montréal, , Saint-Victor, la plupart Québec » (La Vie franco-américaine. 1949 383), comme de Québec. M. le docteur Dumont projette sur l’écran les le rapporte l’abbé Verrette, lui-même Franco-Américain, films et les photos prises durant le voyage. De même M. qui fait cette remarque : « Touchante réunion de famille, Maurice Barbeau. L’auditoire écoute des enregistrements c’est le souvenir qui se grava dans tous les cœurs à l’issue faits aux postes d’Edmonton et de Gravelbourg. de la réception dans cette coquette petite ville où vivent On cause, on échange des photos… Cette agréable près de 3000 compatriotes à l’ombre de leur superbe rencontre se prolonge jusqu’à minuit. (PVO, XI, 146) église gothique et au sein de leurs foyers heureux. Voilà un centre qui reflète une belle température française » Ce groupe était allé en effet à la station CFRG de ( 382). Gravelbourg, fondée en 1952, et à la station CHFA La Vie franco-américaine. 1949 L’impression de déjà vu ressentie par les pèlerins de d’Edmonton, fondée en 1949. Il s’était rendu aussi à la la Survivance française en Franco-Américanie implique station CFNS de Saskatoon, fondée en 1952. la préservation d’un patrimoine culturel dont les hôtes En 1949, la cordialité règne également chez les hôtes des voyageurs sont les dépositaires. Rapporté par Pierre franco-américains des voyageurs de la Survivance française. Laporte, le discours de Josaphat Benoît, maire de Ils ravivent ensemble le souvenir de leur patrimoine

• 20 • • 21 • Manchester, résume l’histoire de la survivance du point de vue de l’élite franco-américaine : « Voilà 75 ans, dit-il, que nous sommes ici. Cela représente trois générations de sacrifices pour créer et maintenir des églises, des écoles et des institutions. “Ces sacrifices nous sommes prêts à les continuer pour que la survivance continue elle aussi” » (Laporte, « Relation du voyage » 24). Cette survivance est symbolisée au parc Lafayette de Manchester par le monument inauguré le 26 juin 1949 à l’occasion du centième anniversaire de la naissance du fondateur de la presse franco-américaine, Ferdinand Gagnon (1849-1886), auquel les pèlerins de la Survivance française, y compris Pierre Laporte et d’autres journalistes, rendent hommage. Cette « belle température française » est toutefois moindre ailleurs. À Nashua, New Hampshire, le docteur Oswald Waynard, maire de la ville, supplie les voyageurs de la Survivance française de ne pas se rendre dans les parcs de la ville où les enfants parlent seulement anglais (Pierre Laporte, « Relation du voyage » 25). Dans un article publié dans Le Devoir du 20 juillet 1949 et intitulé « Les Franco-Américains peuvent-ils survivre ? », Pierre Laporte rapporte l’aveu d’impuissance d’un directeur d’école « “a[yant] perdu le contrôle des élèves” » (4) dans la cour de récréation où ils ne parlent plus qu’anglais. Tout en louant les Franco-Américains pour leurs institutions, il signale le fossé qui se creuse entre les pionniers de la survivance et « une partie de la jeunesse [qui] est en train de se perdre pour la langue française » (4), ce qu’il remarquera de nouveau au cours du voyage de la Liaison française en Louisiane en 1955. Josaphat Benoît avait fait le même constat accablant en 1935 :

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