LA VALIDITÉ DU RAPATRIEMENT DE 1982 : ANALYSE DE LA COUTUME CONSTITUTIONNELLE NÉCESSITANT L’ACCORD UNANIME DES PROVINCES

Mémoire

François Boulianne

Maîtrise en droit Maître en droit (LL.M.)

Québec,

© François Boulianne, 2016

Résumé

Avant le rapatriement constitutionnel de 1982, existait-il une coutume constitutionnelle nécessitant l’accord unanime des provinces pour modifier la Constitution ? Après avoir analysé les éléments constitutifs permettant la reconnaissance d’une coutume en tant que source de droit au niveau international et dans les États de common law, l’auteur établit, dans une perspective historique, politique et juridique, les caractéristiques qui permettent d’utiliser cette norme juridique dans le contexte canadien. Bien que la coutume constitutionnelle n’ait pas été plaidée devant les tribunaux canadiens au moment du rapatriement, l’analyse des modifications constitutionnelles depuis la naissance de la fédération, à la lumière des éléments constitutifs de cette source de droit, permet de croire que l’accord unanime des provinces était nécessaire pour modifier la Constitution. Cette analyse s’avère encore plus crédible lorsqu’elle est confrontée à l’avis des juges majoritaires de la Cour suprême du Canada rendu à l’aube du rapatriement dans le Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution. Quelque 30 ans plus tard, une question subsiste. Serait-il toujours possible de reconnaître cette coutume afin de préserver le caractère inclusif de la Constitution ainsi que le désir commun des provinces de contracter une union fédérale comme cela avait été établi en 1867 ?

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Abstract

Before the constitutional patriation in 1982, was there a constitutional custom requiring the unanimous assent of the provinces to amend the Constitution ? After analysing the constitutive elements that identify a custom as a source of law at the international level and in common law jurisdictions, the author establishes the features that allow this legal approach to be used in the Canadian context, from a historical, political and legal standpoint. Despite the fact that constitutional custom was not pleaded before the Canadian courts when the Constitution was patriated, an analysis of constitutional amendments since Confederation, in light of the constitutive elements of the legal rule, suggests that unanimous agreement from the provinces was necessary to amend the Constitution. This analysis gains even more credibility from the majority decision of the Supreme Court immediately prior to patriation in Re: Resolution to amend the Constitution. Some 30 years later, a question remains. Should it still be possible to recognize this custom to preserve the inclusive nature of the Constitution along with the shared desire of the provinces to contract a federal union, as established in 1867 ?

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Table des matières

Résumé ...... iii Abstract ...... v Table des matières...... vii Liste des abréviations ...... ix Remerciements ...... xi Avant-propos ...... xiii

INTRODUCTION...... 1 I. Définition de l’objet d’étude ...... 1 II. Cadre analytique et méthodologie ...... 4 III. Plan ...... 14

CHAPITRE I. LA COUTUME EN DROIT INTERNATIONAL ET DANS LES ÉTATS DE COMMON LAW AVANT LE RAPATRIEMENT DE 1982 ...... 15 1. Les éléments constitutifs de la coutume internationale ...... 15 1.1. L’aspect matériel (consuetudo) ...... 16 1.2. L’élément psychologique (opinio juris) ...... 18 2. Les éléments constitutifs de la coutume dans les États de common law ...... 24 2.1. La formation de la coutume dans les juridictions de common law et son importance contemporaine ...... 24 2.2. Les critères de la coutume permettant son application en common law ...... 30

CHAPITRE II. LA COUTUME À TITRE DE SOURCE DE DROIT APPLICABLE LORS DURAPATRIEMENT DE 1982 ...... 39 1. Le contexte constitutionnel canadien de 1867 à 1982 ...... 39 1.1. L’absence de formule générale de modifications constitutionnelles ...... 39 1.2. La procédure de modification constitutionnelle adoptée en pratique ...... 45

vii

2. La reconnaissance de la coutume en droit canadien et son application en regard du rapatriement constitutionnel de 1982 ...... 48 2.1. La distinction entre la convention et la coutume constitutionnelle ...... 48 2.2. L’application de la coutume en regard du rapatriement de 1982 ...... 60 2.3. L’analyse de l’aspect psychologique (opinio juris) ...... 73

CHAPITRE III. L'OPPORTUNITÉ DE PLAIDER LA COUTUME CONSTITUTIONNELLE ...... 119 1. L’opportunité de plaider la coutume constitutionnelle au moment du rapatriement de 1982 ...... 119 2. L’opportunité de plaider la coutume constitutionnelle à la suite du rapatriement de 1982 ...... 124

CONCLUSION ...... 137 BIBLIOGRAPHIE ...... 141

viii Liste des abréviations

A.C. Appeal Cases

A.C.D.I. Annuaire canadien de droit international

All ER Rep All England Law Reports, Reprint

Can. J.L. & Juris Canadian Journal of Law and Jurisprudence

C.A. Recueil des arrêts de la Cour d’appel du Québec

C.A.F. Recueil des arrêts de la Cour d’appel fédérale du Canada

C.A. T.N.-O. Recueil des arrêts de la Cour d’appel des Territoires du Nord-Ouest

C. de D. Cahiers de droit

C.F. Recueil des décisions de la Cour fédérale du Canada

C.I.J. Cour internationale de Justice

C.N.L.R. Canadian Native Law Reporter

Cowp Cowper’s King’s Bench Reports

C.P.J.I. Cour permanente de justice internationale

CSC Cour suprême du Canada

J.D.I. Journal du droit international

L.R.C. Lois refondues du Canada

L.Q. Lois du Québec

M. & Rob Moody and Robinson's Nisi Prius Cases

Mod. L.R. Modern Law Review

Ottawa L. Rev. Ottawa Law Review

Q.B. Queen’s Bench

R.C.S. Recueil des arrêts de la Cour suprême

R. du B. Revue du Barreau du Québec

ix

R.D.U.S. Revue de droit de l’Université de Sherbrooke

RLRQ Recueil des lois et des règlements du Québec

R.S.A. Revised Statutes of Alberta

R.S.B.C. Revised Statutes of British Columbia

S.C. Statuts du Canada

Terr. L. R. Territories Law Reports

U.S. United States Reports

Vict. Victoria

W.L.R. Weekly Law Reports

x Remerciements

L'aboutissement de ce projet passionnant et formateur n'aurait pu être possible sans la collaboration de nombreuses personnes. D'abord, je dois exprimer ma reconnaissance envers ma directrice Eugénie Brouillet pour son soutien, ses judicieux commentaires et pour avoir cru dans la réalisation de ce mémoire. Elle a su me communiquer sa passion pour le droit constitutionnel et me donner la motivation pour poursuivre des études à la maîtrise. Ce fut un immense privilège de pouvoir travailler sous sa direction.

Je tiens également à exprimer ma gratitude envers Patrick Taillon et Geneviève Motard pour leurs commentaires et leurs suggestions lors de la rédaction finale de cette étude. Ils m'ont permis d'approfondir mes réflexions et de préciser certaines interprétations. Je souhaite également remercier Donald Fyson pour m'avoir aidé à trouver la signification de certaines abréviations contenues dans les références d'anciennes décisions judiciaires anglaises.

Au point de vue personnel, je dois exprimer ma reconnaissance envers mes amis et mes collègues de travail pour l'intérêt qu'ils ont démontré à l'égard de ce projet. Enfin, je tiens à exprimer toute ma reconnaissance pour le support inconditionnel de ma mère Ginette, de mon père Jean-Denis et de ma sœur Nathalie. De même, un merci tout particulier doit également être adressé à Josée et à nos deux amours, Olivier et Emma, pour m'avoir accompagné durant ce parcours.

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Avant-propos

Le présent texte, à l’exception de la section 2.3 du chapitre II et de la partie 2 du chapitre III, provient en grande partie de l’article suivant de l’auteur : « Le rapatriement constitutionnel de 1982 : existait-il une coutume constitutionnelle nécessitant l’accord unanime des provinces pour modifier la Constitution ? », (2014) 55, 2, C. de D., 329.

xiii

INTRODUCTION

I. Définition de l’objet d’étude

L’année 2012 marquait le 30e anniversaire du rapatriement de la Constitution canadienne de 1982. Cet événement, qui se voulait un moment mémorable dans l’histoire canadienne, ne s’est pas réalisé sans heurts. Une majorité de provinces s’est d’abord opposée à une action unilatérale du gouvernement fédéral, ce qui a conduit certaines d’entre elles à contester par renvoi devant leur plus haut tribunal respectif la légalité et la légitimité du processus unilatéral de rapatriement envisagé par le fédéral1. Ces provinces arguaient notamment que la charte des droits et libertés que voulait inclure le gouvernement fédéral dans la Constitution modifierait les relations fédérales-provinciales et diminuerait leur pouvoir législatif, et ce, sans leur accord.

Parmi les questions posées devant ces tribunaux, toutes les provinces visées ont demandé si le fédéral devait obtenir l’assentiment des provinces aux niveaux juridique et conventionnel avant de modifier et rapatrier la Constitution. L’argument des provinces résidait principalement dans le fait que les modifications constitutionnelles antérieures qui touchaient une ou plusieurs provinces avaient toutes été réalisées avec leur accord. Les réponses, parfois contradictoires, obtenues par les tribunaux provinciaux s’étant prononcés sur cette question ont incité la Cour suprême du Canada à entendre l’appel de ces renvois. Dans le Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution 2 , rendu le

1 Seules les provinces du Nouveau-Brunswick et de l’Ontario appuient l’action unilatérale du gouvernement fédéral. Parmi les provinces qui s’opposent à cette action, le Manitoba, Terre-Neuve et le Québec s’adressent, sous forme de renvoi, à leur plus haut tribunal respectif. Pour l’exemple du Québec, voir : Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, [1981] C.A. 80. Pour les fins de cette étude, il importe de souligner qu’avant l’accord intervenu le 5 novembre 1981 entre le gouvernement fédéral et l’ensemble des provinces, à l’exception du Québec, le débat juridique et politique consistait à déterminer si le Parlement fédéral pouvait unilatéralement rapatrier et modifier la Constitution canadienne sans l’accord unanime des provinces. Après que cet accord fut conclu, le Québec fit valoir que le rapatriement et la modification de la Constitution ne pouvait être réalisée sans son consentement. Pour cette raison, nous ferons référence au rapatriement et à la modification unilatérale du Parlement fédéral pour la période antérieure à l’accord du 5 novembre 1981. Pour la période qui y est postérieure, nous réfèrerons toutefois au rapatriement et à la modification de la Constitution sans l’accord du Québec. 2 Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753 (ci-après « Renvoi de 1981 »).

1 28 septembre 1981, les juges majoritaires affirment, d’une part, qu’une convention constitutionnelle ne peut se cristalliser en une règle de droit. D’autre part, ils indiquent qu’une convention existe bel et bien et qu’elle nécessite l’accord d’un nombre appréciable de provinces pour que le gouvernement fédéral adresse une requête au Parlement de Westminster en vue de rapatrier la Constitution canadienne. Quant au nombre requis de provinces pour que l’appui au projet fédéral soit qualifié d’appréciable, il doit être déterminé au niveau politique.

À la suite de cette décision, des négociations ont donc été entreprises entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux en vue de rapatrier la Constitution avec leur assentiment. Une entente à ce sujet, intervenue dans la nuit du 4 au 5 novembre 1982, permit d’obtenir l’accord de toutes les provinces, à l’exception du Québec, pour adresser une requête au Parlement de Westminster afin de rapatrier la Constitution canadienne. Le 29 mars 1982, celui-ci adopta le Canada Act3. Un peu plus de deux semaines plus tard, soit le 17 avril, la reine Élisabeth II promulguait par lettres patentes la Loi constitutionnelle de 19824, qui permettait au Canada d’obtenir sa pleine souveraineté, d’une part, et d’inclure la Charte canadienne des droits et libertés5 et diverses formules de modification à sa Constitution, d’autre part.

Entretemps, le Québec adressa une seconde requête en renvoi à la Cour d’appel de la province afin que celle-ci se prononce sur l’existence d’une convention constitutionnelle exigeant le consentement du Québec avant que le Sénat et la Chambre des communes du Canada puissent modifier la Constitution. Il s’agissait de savoir si l’objection du Québec rendait inconstitutionnelle, au sens conventionnel, l’adoption d’une résolution pour modifier la Constitution canadienne. Le 7 avril 1982, la Cour d’appel répondit par la négative à cette question, ce qui fit en sorte qu’un appel fut porté devant la Cour suprême 6 . Le 6 décembre 1982, la Cour suprême, dans le

3 Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.), reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no 44. 4 Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, préc., note 3. 5 Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, préc., note 4. 6 Re : Opposition à une résolution pour modifier la constitution, [1982] C.A. 33.

2 Renvoi : Opposition à une résolution pour modifier la Constitution7 répondit également par la négative au pourvoi du Québec, et ce, bien qu’elle y énonce que la question fût rendue théorique en raison de la promulgation de la Loi constitutionnelle de 1982 le 17 avril précédent.

Les questions posées à la Cour suprême lors du Renvoi de 1981 et du Renvoi de 1982 s’expliquent par le fait que la Constitution canadienne ne contient pas de règles écrites précisant la manière de procéder à des modifications constitutionnelles lorsque les pouvoirs du Parlement fédéral et des législatures provinciales sont touchés. Cependant, la Cour suprême, dans le Renvoi de 1981, fait la nomenclature des modifications constitutionnelles qui ont été réalisées ou qui ont achoppé depuis l’adoption de la Loi constitutionnelle de 18678, ce qui montre qu’une procédure non écrite existait dans les faits9. Dans ce contexte, est-il possible qu’une règle de droit se soit formée à partir des précédents, qui constituent une condition essentielle de la coutume constitutionnelle, et ce, compte tenu du fait qu’il n’existait pas de procédure générale de modification écrite dans la Constitution canadienne avant 198210 ? De plus, dans quelle mesure les acteurs visés respectent-ils la procédure de modification dans ses précédents positifs et négatifs ? Qui plus est, les provinces opposées au rapatriement unilatéral par le fédéral auraient- elles pu contraindre celui-ci, par voie judiciaire, à obtenir l’assentiment de toutes les provinces avant de réaliser ce projet en invoquant l’existence d’une coutume constitutionnelle à cet effet ? Enfin, serait-il toujours possible de faire invalider la Loi constitutionnelle de 1982 en raison du non-respect d’une coutume constitutionnelle exigeant l’assentiment de tous les acteurs concernés pour son adoption ?

7 Re : Opposition à une résolution pour modifier la constitution, [1982] 2 R.C.S. 793 (ci-après « Renvoi de 1982 »). 8 Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.), reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no 5. Avant le rapatriement de 1982, cette loi s’intitulait Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867. Pour les fins de ce texte, le titre Loi constitutionnelle de 1867 sera utilisé pour désigner cette loi. 9 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 888-894 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer). 10 Il convient de noter que seules certaines dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 permettaient de modifier la Constitution de manière exceptionnelle et limitée. À ce propos, voir : infra, chapitre II, partie 1.1.

3 II. Cadre analytique et méthodologie

Afin de répondre aux questions que nous venons d’évoquer, il est impératif de définir la structure de la Constitution canadienne. D’abord, soulignons qu’elle est à la fois rigide et souple. La partie rigide, qui est relativement petite, correspond aux normes constitutionnelles qui peuvent difficilement être modifiées11. Ces dernières sont soumises à une procédure de modification qui implique les deux ordres de gouvernements. Cette procédure est donc plus complexe que celle qui prévaut pour les lois ordinaires fédérales et provinciales12. En outre, ces normes ont acquis une plus grande stabilité que les autres dispositions constitutionnelles et jouissent d’une autorité supralégislative, ce qui signifie qu’elles ont une autorité supérieure aux lois ordinaires 13 . Elles correspondent à l’ensemble des lois, textes législatifs et décrets promulgués de 1867 à 1982 que nous retrouvons au paragraphe 52 (2) ainsi qu’à l’annexe de la Loi constitutionnelle de 1982. Cette liste n’est toutefois pas exhaustive. En effet, les tribunaux ont confirmé l’existence d’autres normes juridiques à caractère supralégislatif, écrites ou non, qui peuvent être intégrées à la partie rigide de la Constitution canadienne14.

11 Pierre Issalys et Denis Lemieux, L’action gouvernementale : Précis de droit des institutions administratives, 3e éd., Éditions Yvon Blais, Cowansville, 2009, p. 516 et 517 indiquent qu’une norme est un acte comportant la volonté de contraindre la conduite humaine. Elle constitue une norme juridique lorsque cette contrainte repose sur le pouvoir d’État et vise des sujets de droit soumis à l’autorité de cet État. Ils ajoutent que ce qui constitue le caractère juridiquement normatif de l’acte, c’est qu’il est exécutoire et pleinement opposable à la collectivité. Précisons également que l’acte normatif peut être écrit ou non. 12 À ce propos, voir notamment : Jonathan Desjardins Mallette, La constitutionnalisation de la juridiction inhérente au Canada : origines et fondements, mémoire de maîtrise, Université de Montréal, 2007 p. 105. Il est à noter que dans le contexte constitutionnel actuel, les normes supralégislatives de la Constitution peuvent, selon le cas, être modifiées du consentement du Parlement fédéral et de l’assemblée législative d’une ou de plusieurs provinces. 13 Sur la primauté des règles juridiques de la Constitution, voir notamment : Nicole Duplé, Droit constitutionnel : principes fondamentaux, Montréal, Wilson & Lafleur, 2014, p. 89 à 91. 14 À ce sujet, voir notamment : André Émond, Introduction au droit canadien, Montréal, Wilson & Lafleur, 2012, p. 99-105 ainsi que l’arrêt New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l’Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, p. 375 à 378 (opinion du juge McLachlin). Pour des exemples d’autres normes constitutionnelles à caractère supralégislatif, voir le Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art. 5 et 6, 2014, CSC 21, par. 90 et 91. Mentionnons également que les juges dissidents Lebel et Deschamps (avec l’accord des juges Abella et Charron) ont énoncé dans l’arrêt Québec (Procureur général) c. Moses, [2010] 1 R.C.S. 557, par. 139 que la Convention de la Baie James et du Nord québécois a une valeur supralégislative. Enfin, les juges de la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 49 à 82 ainsi que le juge Lamer dans le Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î.-P.-E.), [1998] 2 R.C.S. 443, par. 96 à 104 identifient au moins sept principes

4 La partie souple, quant à elle, contient la majeure partie des règles constitutionnelles. Elle puise sa source dans certaines lois, dont celles du Parlement britannique et des différents parlements canadiens, dans les décisions des tribunaux, dans celles des gouvernements et des assemblées législatives, dans la doctrine, dans les conventions constitutionnelles ainsi que dans la coutume constitutionnelle. Les normes juridiques qui composent cette partie peuvent être modifiées par l’adoption de lois ordinaires par le Parlement fédéral ou par l’assemblée législative de la province concernée et ne nécessitent pas l’intervention des deux ordres de gouvernements15.

Avant le rapatriement de 1982, une procédure de modification rigide s’est développée en pratique malgré l’absence de dispositions constitutionnelles précisant le degré d’assentiment provincial nécessaire lorsque les deux ordres de gouvernements étaient concernés. En effet, des amendements constitutionnels impliquant à la fois le Parlement canadien et les assemblées législatives provinciales visées ont été réalisés au cours de cette période. L’analyse de cette procédure doit être effectuée afin de déterminer s’il existait une coutume nécessitant l’accord unanime des provinces pour modifier et rapatrier la Constitution.

Pour réaliser cet exercice, il est possible de s’inspirer de la grille analytique en trois pôles proposée par Catherine Thibierge. Son application permet de distinguer les diverses règles constitutionnelles applicables pour modifier et rapatrier la Constitution en l’absence de règles écrites16. D’abord, le pôle de la valeur normative porte sur la force conférée à la norme par son émetteur. De manière concrète, la qualité et l’autorité de son constitutionnels fondamentaux. Le premier traite des règles qui définissent l’essence du parlementarisme britannique ; le second porte sur l’intention des provinces canadiennes de former une union fédérale, tout en visant l’établissement d’un seul et même pays ; le troisième protège le caractère démocratique du Canada ; le quatrième garantit le principe de la primauté du droit (rule of law) et celui du constitutionnalisme (suprématie de la Constitution) ; le cinquième prévoit que toute condition ayant permis l’adhésion originelle des provinces à la fédération canadienne doive être respectée ; le sixième porte sur le principe du respect des minorités ; et le septième est un principe de protection des droits fondamentaux de la personne. 15 À ce sujet, voir Brun, Tremblay et Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 11. Pour l’analyse de chacune de ces normes constitutionnelles, il est possible de consulter les pages 9 à 50. 16 À ce propos, nous distinguerons la convention et la coutume constitutionnelle à la partie 2.1. du chapitre II.

5 auteur, sa place dans la hiérarchie des normes, la nature de l’instrument qui la porte, la formulation de son énoncé, l’intention qui a présidé à son élaboration, la régulation de son élaboration, la légitimité de son contenu, etc. sont les critères qui sont examinés. Le pôle de la portée normative, quant à lui, traite de la force de la norme telle que perçue, ressentie, vécue et conférée par ses destinataires. Les effets produits lors de la réception de la norme par les auteurs de doctrine ou les praticiens sont les éléments qui y sont étudiés. Enfin, le pôle de la garantie normative concerne la garantie du respect et de la validité de la norme offerte par le système judiciaire. Parmi les attributs attachés à la norme par le système juridique, mentionnons le fait qu’elle soit assortie de contraintes et de sanctions ou encore qu’elle soit opposable ou invocable par les justiciables qui peuvent s’en prévaloir en justice17.

L’étude de la procédure générale de modification de la Constitution antérieure au rapatriement de 1982 s’inscrit dans l’analyse plus large des relations entre les sphères juridique et politique en matière constitutionnelle. Elle permet également de poser un regard sur le rôle joué par les institutions et les acteurs chargés de réguler cette relation. À ce propos, Choudhry et Howse mentionnent que l’analyse du droit et de la jurisprudence portant sur les rapports entre l’adjudication en matière constitutionnelle et les politiques démocratiques ont été, à quelques exceptions notables, déficientes18.

En dépit de ce manque, Choudhry et Howse dégagent une approche théorique dans la doctrine en regard de cette question. Selon celle-ci, qu’ils désignent sous le nom de « positivist account of the constitutional interpretation », les sources du droit constitutionnel se trouvent principalement dans les dispositions formelles de la Constitution énumérées notamment au paragraphe 52 (2) de la Loi constitutionnelle de

17 Catherine Thibierge (dir.), La force normative : naissance d’un concept, Paris, L.G.D.J., 2009, p. 822, 823 et la Figure 1 intitulée « Les trois pôles de la force normative : outil de diagnostic de la force des normes en droit » située à la page 840. Pour leur part, les auteurs Sujit Choudhry et Robert Howse, « Secession : Constitutional Theory and the Quebec Secession Reference », (2000), 13 Can. L.J. & Juris, 143, par. 16 à 18 énoncent que toutes les approches interprétatives constitutionnelles comprennent, en dépit de différences méthodologiques, les trois éléments suivants : l’analyse des sources applicables, l’identification des institutions chargées de les interpréter ainsi que la manière dont elles interprètent les sources applicables. 18 Choudhry et Howse, Ibid., par. 3.

6 1982 19 . Les tenants de cette approche accordent également une importance aux interprétations passées de ces dispositions. À ce titre, elles peuvent avoir une autorité de précédent du fait qu’elles constituent une interprétation des dispositions constitutionnelles. Pour cette raison, elles permettent une adaptation du texte aux faits dans certaines situations.

Selon cette interprétation, une distinction nette existe entre le droit constitutionnel contenu dans les dispositions formelles de la Constitution et les autres sources normatives constitutionnelles. De ce fait, seules les dispositions formelles concernent l’aspect légal de la Constitution. Elles constituent des sources juridiques susceptibles de sanction par les tribunaux. Les autres sources normatives relèvent, quant à elles, du domaine politique. Elles concernent la légitimité des pratiques posées par les acteurs politiques.

Les auteurs qui préconisent cette approche doivent expliquer le fait que les normes constitutionnelles ne sont pas toutes inscrites dans les dispositions de la Constitution formelle. Ils proposent deux réponses pour expliquer et combler le silence des textes qui peut exister dans certaines situations. D’abord, il est possible de s’interroger sur l’intention originale de ceux qui ont conçu la Constitution pour déterminer de quelle manière ils auraient souhaité que la situation précise soit résolue en regard du texte constitutionnel. De plus, il pourrait être possible d’avoir recours aux normes politiques lorsqu’il y a absence de dispositions législatives formelles20.

Cette approche a été utilisée lors du Renvoi de 1981 et du Renvoi de 1982. En effet, les juges majoritaires et minoritaires ont analysé d’une part, la légalité de la modification

19 Cette approche doit être distinguée du droit positif qui comprend l’ensemble des règles juridiques posées, créées et édictées par la volonté humaine et qui sont en vigueur dans un État. Celui-ci est constitué du droit écrit (droit statutaire) adopté par voie législative, des décisions des tribunaux et des principes imposés par le constituant. Le droit positif inclut également le droit non écrit dont l’origine n’est pas législative (par exemple, la coutume). Celui-ci complète les règles du droit écrit dans la constitution du droit positif. À ce sujet, voir : Michel Troper, « Le positivisme comme théorie du droit », dans Christophe Grzegorczyk, Françoise Michaud et Michel Troper, Le positivisme juridique, Paris, L.G.J.D., 1992, p. 272- 284 et Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 808. Voir également les définitions des expressions « droit écrit », « droit non écrit » et « droit positif » dans Hubert Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, p. 219 et 220. 20 Choudhry et Howse, préc., note 17, par. 19-26.

7 et du rapatriement en regard de l’inclusion ou non de dispositions législatives dans la Constitution formelle portant sur ces sujets. D’autre part, ils ont examiné les conventions constitutionnelles, en tant que règles s’appliquant dans le domaine politique, portant sur la constitutionnalité et la légitimité de la modification et du rapatriement sans l’assentiment des provinces. Ainsi, la coutume, en tant que source juridique pouvant s’appliquer dans cette situation, n’a pas été analysée par les juges de la Cour suprême lors de ces renvois.

Pour combler les lacunes de cette dernière approche théorique, Choudhry et Howse en proposent une seconde qui convient mieux à l’analyse réalisée dans la présente étude. Cette interprétation, intitulée « Partnership and Institutional Dialogue 21 », reconnaît, en prenant appui sur le Renvoi relatif à la sécession du Québec, que les normes supralégislatives de la Constitution comprennent des règles non écrites ainsi que des principes constitutionnels en plus des textes énumérés au paragraphe 52 (2) de la Loi constitutionnelle de 198222.

Pour ces auteurs, le recours aux normes constitutionnelles non écrites par les tribunaux est justifié par ce qu’ils nomment l’interprétation dualiste 23 . Ainsi, les tribunaux utilisent d’abord les règles non écrites pour appliquer et interpréter les textes constitutionnels à la lumière des règles conventionnelles. Dans ce cas, les tribunaux se limitent à résoudre des ambiguïtés textuelles et à concilier des dispositions conflictuelles. Cette interprétation est utilisée dans le cours normal des activités judiciaires dans les instances où les parties ne contestent pas l’ordre constitutionnel.

Toutefois, dans certaines situations exceptionnelles, un tribunal peut avoir recours à l’interprétation extraordinaire. Selon celle-ci, le texte constitutionnel occupe une importance secondaire. Choudhry et Howse indiquent que la Constitution est alors perçue comme étant un ensemble de principes organisés autour des règles constitutionnelles non écrites. Ces dernières sont mises en œuvre par les règles écrites et servent à les expliquer.

21 Ibid., par. 27 et suiv. 22 Renvoi relatif à la sécession du Québec, préc., note 14, par. 32. 23 Choudhry et Howse, préc., note 17, par. 31-32.

8 En conséquence, les règles constitutionnelles non écrites offrent « un cadre juridique exhaustif » pour le système de gouvernement canadien24. Selon nous, cette interprétation aurait permis et pourrait toujours permettre aux tribunaux de reconnaître du point de vue légal que la coutume, telle que mise en place par les acteurs politiques concernés, exigeait l’unanimité pour modifier et rapatrier la Constitution.

Dans cette étude, le principal objet d’étude, soit la structure même de la Constitution canadienne, est abordé en fonction de son contexte juridique, social et politique25. Cette approche permet notamment de montrer qu’avant le rapatriement de 1982, les dispositions constitutionnelles ne précisaient pas le degré d’assentiment provincial nécessaire pour modifier la Constitution lorsque les deux ordres de gouvernements étaient concernés. Elle aide également à mieux saisir les mécanismes adoptés en pratique par les acteurs impliqués dans la procédure de modification de la Constitution canadienne au cours de cette période. Certains postulats propres à la procédure de modification générale de la Constitution canadienne en fonction de l’évolution du contexte social et politique entre 1867 et 1982 pourront aussi être énoncés26. Enfin, l’approche préconisée permet également de réévaluer la légalité et la constitutionnalité de l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982.

De manière plus précise, cette étude vise à montrer qu’en l’absence d’une formule de modification générale dans la Constitution avant le rapatriement de 1982, une

24 Renvoi relatif à la sécession du Québec, préc., note 14, par. 32. 25 Denis J. Galligan et Mila Versteeg (dir.), Social and Political Foundation of Constitutions, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, p. 3-4 affirment que depuis la seconde moitié du XXe siècle, une nouvelle génération d’intellectuels étudient les lois constitutionnelles en fonction de leur contexte social et politique. De plus, Priscilla Taché, Hélène Zimmermann et Geneviève Brisson, « Pratiquer l’interdisciplinarité en droit : l’exemple d’une étude empirique sur les services de placement », (2011) 52,3-4, C. de D. 519, par. 2 énoncent que l’interdisciplinarité entre le droit et les sciences sociales permet « d’aborder un phénomène social du point de vue des acteurs individuels et collectifs, et de dépasser ainsi la qualification juridique des faits et l’encadrement de ce phénomène par le droit ». 26 À ce propos, Rachel Chagnon, De la volonté politique à l’interprétation judiciaire : la genèse et la mise en œuvre du British North America Act de 1867, Thèse de doctorat, UQÀM, 2009, p. 51 indique que la lecture comparée des différents tribunaux qui se sont penchés sur la Loi constitutionnelle de 1867 s’avère la plus fructueuse lorsqu’il s’agit de comprendre l’émergence du constitutionnalisme canadien. Selon cette auteure, l’analyse doit s’étendre au-delà des motifs énoncés par les juges et tenir compte du contexte historique dans lequel la décision est rendue. De même, à la p. 53, elle mentionne que le discours des acteurs politiques doit être perçu comme un acte et un geste destiné à influer sur autrui. Il doit s’évaluer en fonction de son contexte d’émission, du lieu, du moment et de l’identité de l’émetteur.

9 procédure de modification constitutionnelle non écrite s’est tout de même mise en place après l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1867. Celle-ci répondait à tous les critères du droit coutumier tel qu’appliqué au Canada et exigeait l’accord unanime des provinces tant pour rapatrier que pour modifier la Constitution.

Afin de parvenir à cette conclusion, il faut établir les fondements de la coutume et les critères permettant son application en droit. À ce titre, le droit international public est fort éclairant car il implique l’utilisation de la coutume dans un cadre interétatique tant dans la longue durée 27 qu’au cours de la période contemporaine. L’analyse de la jurisprudence relative à la coutume internationale s’avère également pertinente car la Cour suprême a reconnu avant 1982 que cette source de droit pouvait être intégrée en droit interne canadien si elle n’entre pas en contradiction avec une règle de droit interne28. En conséquence, les principes dégagés par les tribunaux internationaux auraient pu être plaidés au moment du rapatriement. Ils pourraient également être plaidés dans un recours visant à faire invalider la Loi constitutionnelle de 1982.

Le portrait ne serait pas complet sans l’analyse de l’utilisation de la coutume dans les États dont le système juridique repose sur la common law. En effet, cette source de droit constitue le socle sur lequel s’est établi le système judiciaire en Angleterre au Moyen-Âge. D’ailleurs, les quelques textes écrits qui composent la Constitution anglaise font état de la coutume. L’étude de son application est donc primordiale afin de dégager les fondements et les critères qui ont permis son utilisation dans le contexte judiciaire propre à la common law. De cette manière, il sera possible de montrer que la coutume doit être analysée à la fois selon les principes issus de la constitution anglaise mais

27 À ce sujet, voir : Fernand Braudel, « La longue durée » dans Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 13e année, vol. 4, 1958, p. 731. Il y énonce que « Bon ou mauvais, celui-ci [le mot structure] domine les problèmes de la longue durée. Par structure, les observateurs du social entendent une organisation, une cohérence, des rapports assez fixes entre réalité et masses sociales. […] [U]ne structure est sans doute un assemblage, architecture, mais plus encore une réalité que le temps use mal et véhicule très longuement. Certaines structures, à vivre longtemps, deviennent des éléments stables d’une infinie de générations […] ». 28 Voir infra, chapitre I, partie 1.

10 également selon le contexte historique et législatif propre aux États issus de la colonisation anglaise comme le Canada29.

Une fois que ces fondements seront établis, nous devrons les confronter avec les motifs énoncés dans les Renvois de 1981 et de 1982 et les déclarations des acteurs concernés par la coutume consignées dans les Débats historiques de la Chambre des communes. De cette manière, nous pourrons montrer que les différents critères énoncés par les tribunaux internationaux, de common law et canadiens pour reconnaître l’existence d’une coutume sont rencontrés.

Cette dernière analyse permettra de déterminer s’il aurait été possible de plaider cette source de droit au moment du rapatriement en vue de contraindre par voie judiciaire le gouvernement fédéral à obtenir l’assentiment de toutes les provinces avant de rapatrier la Constitution de 1982. De plus, nous pourrons porter un regard critique sur la légalité et la constitutionnalité du rapatriement constitutionnel. À ce titre, il sera permis d’émettre l’hypothèse que la Loi constitutionnelle de 1982 pourrait toujours être invalidée car la coutume constitutionnelle nécessitant l’accord unanime des provinces pour rapatrier et modifier la Constitution n’a pas été respectée. De ce fait, la perspective abordée par ce texte est celle du Québec car il s’agit de la seule province à avoir un intérêt juridique. En effet, elle n’a toujours pas signé la Constitution à ce jour30.

29 Pour l’utilisation de la coutume dans le contexte canadien entre 1867 et 1982, voir infra, chapitre II. 30 Le 25 novembre 1981, le gouvernement québécois adopte le décret no 3214-81 afin d’exprimer son opposition officielle au projet de résolution déposé à la Chambre des communes le 18 novembre précédent pour rapatrier et modifier la Constitution. Ce décret, que nous pouvons lire dans le Renvoi de 1982, préc., note 7, aux p. 796-797, mentionne que le projet de résolution fédéral, qui prévoit l’inclusion d’une procédure générale de modification de la Constitution ainsi que l’enchâssement d’une charte des droits et libertés, « […] aurait pour effet de diminuer substantiellement les pouvoirs et les droits du Québec et de son Assemblée nationale sans son consentement ». De plus, il y est également indiqué « Qu’il a toujours été reconnu qu’aucune modification de cette nature ne pouvait être effectuée sans le consentement du Québec ». Mentionnons aussi que le 19 décembre 1981, le premier ministre québécois René Lévesque a envoyé une lettre à la première ministre britannique Margaret Thatcher dans laquelle il indique les raisons pour lesquelles le Québec s’oppose au rapatriement et à la modification de la Constitution canadienne. Il y énonce notamment que « la loi projetée constitue une offensive sans précédent contre les pouvoirs permettant à la seule société d’expression française d’Amérique du Nord de défendre et promouvoir sa langue et sa culture ». Il ajoute que la procédure d’amendement de la Constitution envisagée remet en cause le pouvoir d’une province d’exercer son droit de retrait à l’égard d’une modification constitutionnelle qui réduirait ses compétences. De plus, le rapatriement envisagé porterait atteinte à la compétence exclusive des provinces en matière d’éducation prévue à l’article 93 de

11

L’intérêt de cette étude provient du fait que ni les parties lors du Renvoi de 1981 et du Renvoi de 1982, ni les auteurs de doctrine qui s’y sont intéressés n’invoquent une coutume antérieure au rapatriement pouvant fonder l’existence d’une procédure de modification constitutionnelle non écrite31. Or, plusieurs auteurs de doctrine constatent que la coutume est une source de la Constitution anglaise32, et ainsi, de celle du Canada en vertu du préambule de la Loi constitutionnelle de 186733. À ce titre, elle constitue une source du droit constitutionnel canadien qui aurait pu être invoquée devant les tribunaux canadiens afin d’exiger l’assentiment unanime des provinces pour rapatrier et modifier la Constitution.

La motivation pour réaliser cette étude réside également dans l’absence de réponses satisfaisantes, du point de vue juridique, qui pourraient être offertes par les autres normes juridiques au regard des questions posées dans le Renvoi de 1981 et dans le Renvoi de 1982. Ainsi que nous l’avons mentionné, la procédure générale de modification constitutionnelle n’est pas écrite avant l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982. Est-

la Loi constitutionnelle de 1867. Enfin, René Lévesque mentionne que la charte des droits et libertés qui doit être intégrée dans la Constitution canadienne contient des dispositions qui limitent la possibilité du législateur de recourir au critère de la province de résidence dans la rédaction de ses lois. En conséquence, les pouvoirs du Québec de légiférer, en tant que société distincte au sein du Canada, afin de protéger ses traditions juridiques, religieuses et historiques seraient limités. À ce sujet, voir : Marianopolis College, Lettre du premier ministre René Lévesque à Mme Margaret Thatcher, première ministre de Grande-Bretagne, le 19 décembre 1981, et réponse de celle-ci, le 14 janvier 1982, [En ligne], [http://faculty.marianopolis.edu/c.belanger/quebechistory/docs/1982/11.htm] (28 novembre 2014). 31 À ce sujet, voir notamment : P. Blache, « La Cour suprême et le rapatriement de la constitution : l’impact des perceptions différentes sur la question », (1981), 22, C. de D. 649 ; Y. DeMontigny, « Preuve d’une convention constitutionnelle devant les tribunaux – Modification de l’Acte de l’Amérique du Nord – Rôle du Québec », (1983) 43 R. du B. 1133 ; Nicole Duplé, « La Cour suprême et le rapatriement de la constitution : la victoire du compromis sur la rigueur », (1981) 22, 3-4, C. de D., p. 623 ; Peter W. Hogg, « Constitutionnal Law – Amendment of the British North America Act – Role of the Provinces », (1982) 60 R. du B. can. 307 ; J. Woehrling, « La Cour suprême et les conventions constitutionnelles: les renvois relatifs au « rapatriement » de la Constitution canadienne », (1983-84) 14 R.D.U.S. 391. 32 À ce sujet, voir infra, chapitre I, partie 2. 33 Ce préambule prévoit que « […] les provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse, et du Nouveau- Brunswick ont exprimé le désir de contracter une Union fédérale pour ne former qu’une seule Puissance (Dominion) sous la couronne du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni ». Dans le Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 805 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer), il est indiqué : « […] qu’un préambule n’a aucune force exécutoire mais qu’on peut certainement y recourir pour éclaircir les dispositions de la loi qu’il introduit ».

12 ce à dire que cette procédure ne relève pas du domaine juridique jusqu’à ce moment ? Une réponse négative à cette question s’impose en raison de la portée juridique et du caractère exécutoire des modifications réalisées durant cette période34. De plus, puisque le Renvoi de 1981 est le premier à traiter de la possibilité pour le gouvernement fédéral de modifier unilatéralement les compétences législatives fédérales et provinciales sans l’accord unanime des provinces, la question ne peut être intégrée à la common law35. Il n’y a donc pas de principes dégagés, du moins par les tribunaux canadiens, relativement à cette question. Enfin, les conventions constitutionnelles ne peuvent être sanctionnées par les tribunaux puisqu’elles ont pour objet d’assurer que le cadre juridique de la Constitution fonctionne selon les principes ou les valeurs dominantes de l’époque. À ce titre, elles ne sont susceptibles que de sanctions politiques36.

À la lumière des éléments que nous venons d’exposer, un dernier élément motive cette étude. Il s’agit de l’opportunité de plaider la coutume au moment du rapatriement car sa reconnaissance par un tribunal, en tant que règle de droit, aurait pu forcer le gouvernement fédéral à obtenir l’assentiment de toutes les provinces avant de rapatrier la Constitution. De même, cette analyse s’avère toujours pertinente afin de déterminer si la Loi constitutionnelle de 1982 pourrait toujours être invalidée.

34 À ce sujet, voir infra, chapitre II, partie 2.2 dans laquelle nous verrons que la procédure de modification constitutionnelle est une partie importante du cadre juridique normalement intégré à la constitution d’un État. 35 Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, Toronto, Carswell, 1992, p. 22 indique que la Cour suprême est le premier tribunal d’une juridiction de common law à avoir étudié les conventions relatives aux procédures de modifications constitutionnelles. Les questions posées dans le Renvoi : Compétence du Parlement relativement à la Chambre haute, [1980] 1 R.C.S. 54, traitent, quant à elles, de la possibilité pour le Parlement canadien de modifier la Constitution relativement à l’existence et aux pouvoirs du Sénat. La question spécifique des pouvoirs législatifs provinciaux n’y est pas abordée. 36 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 774 et suiv. (Partie I sur l’aspect juridique - motifs du juge en chef Laskin et des juges Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer) ainsi que la p. 882 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer) ; Duplé, préc., note 31, p. 623 ; Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 41-50; Michael Foley, The Silence of Constitutions : Gaps, "Abeyances", and Political Temperament in the Maintenance of Government, London, Routledge, 1989, p. 94-95.

13 III. Plan

Le texte est divisé en trois chapitres. Dans le premier, il sera d’abord question de délimiter les contours et d’identifier les éléments constitutifs du droit coutumier. Pour ce faire, l’analyse portera sur les caractéristiques de la coutume en droit au niveau international et dans les juridictions de common law telles que définies par les tribunaux et les auteurs de doctrine. Il sera ainsi possible de comprendre l’évolution, la nature et la portée de cette source de droit non écrite.

De ce chapitre, découle, en second lieu, l’analyse de l’objet ultime de ce texte, soit l’étude de la situation canadienne. Il sera d’abord question de l’imprécision de la formule générale de modification constitutionnelle dans la Constitution et de la procédure adoptée en pratique dans ce contexte particulier. Par la suite, l’étude portera sur la reconnaissance de la coutume par les tribunaux et la doctrine. Pour ce faire, les enseignements du Renvoi de 1981 seront scrutés afin de démontrer que celle-ci aurait pu s’appliquer et être utilisée afin d’éviter que le Québec soit la seule province exclue du processus de rapatriement de la Constitution.

Enfin, au cours du troisième chapitre, nous évaluerons l’opportunité de plaider cette source de droit au moment du rapatriement ainsi qu’après l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982. De cette manière, nous pourrons déterminer s’il aurait été possible d’empêcher l’adoption de cette loi dans sa forme actuelle et si un recours judiciaire visant à l’invalider serait toujours envisageable.

14 CHAPITRE I. LA COUTUME EN DROIT INTERNATIONAL ET DANS LES ÉTATS DE COMMON LAW AVANT LE RAPATRIEMENT DE 1982

Cette partie vise d’abord à énoncer les caractéristiques de la coutume comme source du droit telles qu’elles ont été établies au niveau international par la jurisprudence qui y est afférente ainsi que par les auteurs de doctrine. Par la suite, seront abordées son intégration et les caractéristiques qui permettent son utilisation dans le contexte constitutionnel dans certains États de common law avant 1982.

1. Les éléments constitutifs de la coutume internationale

D’emblée, précisons que les éléments constitutifs de la coutume internationale tels qu’élaborés par les tribunaux internationaux et les auteurs de doctrine apportent un éclairage fort pertinent en lien avec le rapatriement constitutionnel de 1982. En effet, avant cet événement, les tribunaux canadiens ont reconnu que cette source de droit pouvait s’appliquer au Canada lorsqu’elle n’entrait pas en contradiction avec une règle interne. De ce fait, les tribunaux canadiens auraient pu et pourraient toujours s’inspirer de la coutume internationale pour juger de la validité du rapatriement de 1982.

Certains instruments internationaux reconnaissent explicitement que la coutume fait partie des sources du droit international. En effet, l’alinéa 38 (1) b) du Statut de la Cour internationale de Justice prévoit que cette cour « […] applique la coutume internationale comme preuve d’une pratique généralement acceptée, comme étant le droit37 ». À sa lecture, nous pouvons constater que les éléments constitutifs de cette source de droit y sont énoncés. D’abord, la coutume internationale est la preuve d’une pratique. Ainsi, pour être en présence d’une coutume au niveau international, une pratique doit pouvoir être observée. Il s’agit de l’aspect matériel (consuetudo) de la coutume. Par la suite, cette pratique doit être généralement acceptée comme étant le droit. Elle doit donc être normative. Il s’agit de l’élément subjectif dit psychologique de la coutume, aussi appelé

37 Statut de la Cour internationale de Justice, alinéa 38 (1) b), [En ligne], [http://www.icj- cij.org/documents/index.php?p1=4&p2=2&p3=0&lang=fr ] (27 juillet 2012).

15 « opinio juris sive necessitatis » (ci-après « opinio juris »). La réunion de ces éléments doit être présente pour pouvoir cristalliser la norme coutumière en droit international38.

1.1. L’aspect matériel (consuetudo)

L’aspect matériel de la coutume internationale, soit son aspect visible, du moins observable, doit réunir certaines caractéristiques pour être reconnu judiciairement. Il doit d’abord être constant. En ce sens, dans l’Affaire du droit de passage sur le territoire indien, il est spécifié que la pratique doit être prolongée et continue ainsi que constante et uniforme.39 Cet enseignement amène une question. Combien de fois un précédent doit-il être répété et sur quelle période de temps pour qu’il puisse former une coutume internationale ? À cette question, Jean-Maurice Arbour et Geneviève Parent répondent, en prenant appui sur le principe de la liberté de l’espace extra-atmosphérique, reconnu dès le début de l’exploration spatiale en 1958, que les circonstances varient au cas par cas et qu’une pratique intense et uniforme peut compenser un bref laps de temps40. De plus, selon le jugement rendu dans l’Affaire du plateau continental de la mer du nord, la coutume internationale peut émerger en quelques années, voire en quelques mois, si un nombre important d’États adhèrent à une pratique41.

En ce qui a trait à l’étendue de la pratique dans l’espace, la jurisprudence internationale admet que la pratique peut être universelle, régionale ou locale. Ainsi, dans l’Affaire du droit de passage sur le territoire indien, la Cour internationale de justice voit difficilement pourquoi le nombre d’États devrait être supérieur à deux pour qu’une coutume locale se crée, lorsque la pratique prolongée et continue entre eux est acceptée

38 Jean-Maurice Arbour et Geneviève Parent, Droit International public, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012, p. 65-67. 39 Affaire du droit de passage sur le territoire indien (Portugal c. Inde), C.I.J. Recueil 1960, p. 37 et 40, (12 avril 1960), [En ligne], [http://www.icj-cij.org/docket/files/32/4521.pdf] (27 juillet 2012) (ci-après « Affaire du droit de passage sur le territoire indien »). 40 Arbour et Parent, préc., note 38, p. 67-68. 41 Affaire du plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne / Danemark ; République fédérale d’Allemagne / Pays-Bas), C.I.J. Recueil 1969, par. 74, (20 février 1969), [En ligne], [http://www.icj-cij.org/docket/files/51/5535.pdf] (ci-après « Affaire du plateau continental de la mer du Nord ») (28 juillet 2012).

16 comme régissant leurs rapports et qu’elle constitue le socle sur lequel reposent leurs droits et leurs obligations réciproques42. Dans l’Affaire du droit d’asile entre la Colombie et le Pérou, la Cour internationale de Justice évoque une coutume régionale lorsqu’elle spécifie que « [l]e gouvernement de la Colombie doit prouver que la règle dont il se prévaut est conforme à un usage constant et uniforme, pratiqué par les États en question [i.e. d’Amérique latine] 43 ». La coutume universelle est théoriquement possible. Toutefois, Arbour et Parent expriment, à juste titre, que l’exigence d’une pratique respectée par tous les États serait impossible à rencontrer dans plusieurs hypothèses. À ce titre, ils invoquent le cas des États enclavés en ce qui concerne le droit de la mer44.

La coutume internationale doit également émaner d’un usage uniforme. Il en est ainsi pour être en présence d’une pratique générale prouvable. Certains arrêts de la Cour de justice internationale montrent que ce critère n’est pas toujours rempli. Dans l’Affaire du droit d’asile entre la Colombie et le Pérou, la Cour internationale de Justice ne peut dégager une coutume constante et uniforme à partir des faits soumis en raison des incertitudes et des contradictions qu’ils soulèvent ainsi que des fluctuations et des discordances dans l’exercice de l’asile diplomatique 45 . De même, dans l’Affaire des pêcheries, elle a l’occasion de mentionner que, malgré l’adoption de la règle des 10 milles marins par certains États dans leurs lois nationales, traités et conventions pour déterminer les eaux intérieures nationales de baies ayant plus de 10 milles marins à l’ouverture, d’autres États ont en revanche adopté une limite différente. La règle des 10 milles marins ne peut donc, selon la Cour internationale de Justice, avoir l’autorité d’une règle générale de droit international46.

42 Affaire du droit de passage sur le territoire indien, préc., note 39, p. 39. 43 Affaire du droit d’asile (Colombie c. Pérou), C.I.J. Recueil 1950, p. 276, (20 novembre 1950), [En ligne], [http://www.icj-cij.org/docket/files/7/1849.pdf] (28 juillet 2012) (ci-après « Affaire du droit d’asile »). 44 Arbour et Parent, préc., note 38, p. 69. 45 Affaire du droit d’asile, préc., note 43, p. 277. 46 Affaire des pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), C.I.J. Recueil 1951, p. 131, (18 décembre 1951), [En ligne], [http://www.icj-cij.org/docket/files/5/1809.pdf] (28 juillet 2012).

17 1.2. L’élément psychologique (opinio juris)

Tel que mentionné d’entrée de jeu, l’élément psychologique doit également exister pour être en présence d’une coutume internationale. Cependant, la subjectivité inhérente à cet élément peut poser problème. En effet, à partir de quels éléments de preuve peut-on mesurer la composante interne propre aux États dans l’élaboration d’une règle coutumière ? Dans un premier temps, la théorie volontariste, également nommée « théorie de l’accord tacite », a prévalu. La Cour permanente de Justice internationale, dans l’Affaire du Lotus de 192747, adopte en quelque sorte cette position lorsqu’elle déclare que la volonté des États est nécessaire pour les lier entre eux sur le plan coutumier. Cette volonté doit être manifestée dans des conventions ou des usages généralement acceptés comme consacrant des principes de droit établis48. La preuve directe et positive d’une opinio juris est donc recherchée. La volonté unanime des États à être liés par la coutume internationale n’a toutefois pas à être prouvée puisque l’acceptation générale suffit.

Un problème de preuve surgit toutefois. S’il faut rechercher cette preuve dans des conventions, ne sommes-nous pas sortis du champ du droit coutumier pour entrer à proprement dit dans le droit conventionnel international ? Ce dernier droit n’est-il pas fondé sur une entente réciproque entre un ou plusieurs États exprimée dans un texte ? D’ailleurs, ne s’agit-il pas d’une source distincte de la coutume internationale ainsi qu’il est spécifié à l’alinéa 38 (1) a) du Statut de la Cour internationale de justice ? Les précédents ne pourraient donc être d’aucune utilité puisque ce texte pourrait s’inscrire en faux au regard de ceux-ci, et ce, tant qu’il respecte la volonté des parties à l’entente et les lois écrites du droit international. Pour ce qui est de la preuve directe et positive recherchée dans des usages généralement acceptés, quel est le degré d’acceptation requis puisqu’il s’agit d’usages généralement acceptés ? Faut-il l’accord de tous les participants à la règle coutumière ou seulement des plus importants ? Dans dernier ce cas, comment les déterminer ? Qu’en est-il des nouveaux acteurs n’ayant pas participé à la création de

47 Affaire du Lotus (France c. Turquie), C.P.J.I. Recueil (série A), no 10 (7 septembre 1927), [En ligne], [http://www.icj-cij.org/pcij/serie_A/A_10/30_Lotus_Arret.pdf] (28 juillet 2012). 48 Ibid., p. 19 ; Arbour et Parent, préc., note 38, p. 73.

18 la coutume ? Doivent-ils s’y conformer ? De plus, doit-on exiger une formulation écrite ou verbale officielle qui explique chaque usage ? Dans ce cas, quelle est l’instance officielle de chaque État qui doit en faire l’expression ?

La théorie volontariste, exprimée dans l’Affaire du Lotus, laisse plusieurs questions sans réponse relativement à la recherche d’une opinio juris directe et positive. D’ailleurs, il est plutôt dogmatique de rechercher une preuve directe et positive pour une source du droit matériel dans cette affaire. En effet, celle-ci concerne une abstention. Non seulement il faudrait que les États motivent à tout coup, du moins régulièrement, leurs usages, mais ils devraient également motiver leur inaction. Cela ne revient-il pas à rechercher l’expression positive de ce qui n’est pas ou n’a pas eu lieu ? Un autre questionnement met à mal cette position. Qu’en est-il lorsqu’une coutume internationale est reconnue malgré l’objection d’un État49 ?

La position adoptée dans l’Affaire du Lotus est d’ailleurs remise en question au niveau doctrinal. Sabir Karim Mouttaki précise que cet arrêt est de portée limitée et d’autorité restreinte, car il est daté, isolé et fortement critiqué. De plus, il aurait été rendu uniquement grâce à la voix prépondérante du Président de la Cour permanente de Justice internationale et ne correspondrait pas à l’évolution du droit international50.

La théorie objectiviste offre des éléments de réponse plus réalistes quant à la manière d’interpréter la présence d’une opinio juris chez les acteurs visés. Selon celle-ci, la coutume internationale est une manifestation normative qui possède un fondement extérieur et supérieur à la volonté de l’État. La coutume est un phénomène social qui découle d’une nécessité logique. D’après cette vision, la volonté souveraine de l’État, pour créer la norme coutumière, cède le pas devant la prise de conscience collective de

49 La même année que l’Affaire du Lotus, préc., note 47, la compétence de la Commission européenne du Danube entre Galatz et Braïla a d’ailleurs été imposée à la Roumanie malgré son désaccord en raison d’une coutume bien établie. À ce propos, voir : Compétence de la Commission européenne du Danube entre Galatz et Braïla Avis consultatif, C.P.J.I. Recueil (série B), no 14, p. 17, (8 décembre 1927), [En ligne], [http://www.icj-cij.org/pcij/serie_B/B_14/01_Commission_europeenne_du_Danube_Avis_consultatif.pdf] (28 juillet 2012). 50 Sabir Karim Mouttaki, « La coutume internationale : sujets de droit, consentement et formation de la norme coutumière », (2003-2004), 35, Ottawa L. Rev., p. 258.

19 tous les sujets du droit international de la nécessité sociale et juridique. Tel que Mouttaki l’exprime, le droit coutumier ne repose pas sur l’expression d’une volonté mais il s’appuie sur la conviction qu’une règle existe51. Pour les tenants de cette approche, la norme coutumière a un rang particulier52.

De manière concrète, comment les tenants de cette théorie recherchent-ils l’existence d’une opinio juris reposant sur la conviction qu’une règle existe ? Un premier élément de réponse est énoncé en 1963 par Charles de Visscher, ancien juge de la Cour de justice internationale, lorsqu’il énonce que « [l]a Cour fait appel à l’absence de l’élément psychologique quand l’élément matériel lui paraît incertain […]. Quand au contraire l’élément matériel ne fait pas de doute en raison de la cohérence comme de la durée d’une pratique, la Cour, assez généralement, en déduit l’existence de l’opinio juris53 ». Cette citation est intéressante puisqu’elle révèle que lorsque l’aspect matériel de la coutume est cohérent, l’aspect psychologique est généralement déduit. Il y aurait donc présomption54.

Certains arrêts subséquents énoncent des critères spécifiques qui permettent d’établir l’opinio juris fondée sur la conviction qu’une règle existe. Dans l’Affaire du plateau continental de la mer du nord, il est mentionné que la formation d’une règle coutumière dont l’opinio juris est reconnue peut imposer une règle de droit à des États non-parties à une convention ou à une relation contractuelle mais que ce résultat n’est pas facilement atteint55. Pour ce faire, la Cour internationale de Justice souligne qu’« une participation très large et représentative à la Convention suffi[t], à condition toutefois qu’elle comprenne les États particulièrement intéressés56». Ce tribunal légitime ainsi le

51 Ibid, p. 259-265. 52 À ce sujet, voir notamment : Hans Kelsen, General Theory of Law and the State, Union, Lawbook Exchange, 1999 (1945). 53 Charles de Visscher, Problèmes d’interprétation judiciaire en droit international public, Paris, A. Pedone, 1963, p. 227. 54 À ce sujet, voir notamment : Jutta Brunnée et Stephen J. Toope, « A Hesitant Embrace : The Application of International Law by Canadian Courts », (2002) 40 A.C.D.I., p. 18. Charles de Visscher, idem, soutient, quant à lui, que dans les cas où les comportements et les prétentions des États sont répétés et constants, « l’induction qu’ils autorisent est plus qu’une présomption ». 55 Affaire du Plateau continental de la mer du Nord, préc., note 41, par. 71. 56 Ibid, par. 73.

20 fait qu’une coutume internationale puisse s’appliquer à des États qui n’ont pas participé à son élaboration. Il légitime aussi le fait que l’opinio juris concerne la croyance dans l’observation d’une règle juridique57, ce qui est à contresens de la théorie volontariste, qu’il a d’ailleurs niée en établissant que la coutume peut lier des États non-parties aux conventions ou aux contrats internationaux. La Cour internationale de Justice s’appuie toutefois sur la démarche de l’Affaire du Lotus de 1927 pour rechercher la preuve de l’opinio juris dans des cas d’abstention, ce qui est un non-sens, comme cela a été mentionné plus haut. En toute logique, pourquoi un État qui s’abstient et qui crée donc un précédent négatif par son inaction irait-il poser un acte positif justifiant l’inaction ou l’abstention ? Cette position majoritaire a d’ailleurs été critiquée par plusieurs juges minoritaires dans l’Affaire du Plateau continental de la mer du nord de 1969. Ils font valoir la difficulté pour un gouvernement d’apporter des preuves concluantes qui ont pu inspirer non seulement ses propres actes mais également ceux des autres gouvernements58.

Au moment du rapatriement de 1982, les jugements arbitraux Texaco/Taliasiatic c. Gouvernement Lybien59 et Aminoil c. Koweit60 ainsi que l’Affaire du Plateau continental de la mer du Nord, jugée par la Cour internationale de justice, ont énoncé la notion de tendance coutumière61. Celle-ci fait référence à la nécessité de la règle naissante. Dans ce contexte, le consentement de l’État ne peut suffire. En effet, la formulation de cette tendance ne peut se réduire à l’acceptation ou à la renonciation et elle doit tenir compte d’éléments extra consensuels. Dans cette perspective, les États qui se sont abstenus lors de la formulation de la coutume et ceux qui apparaissent après la naissance de la règle peuvent être assujettis aux conditions qui y sont inhérentes. Pour contrer la tendance coutumière naissante, les États doivent s’opposer en nombre suffisant, ce qui est difficile à maintenir à long terme. Il s’agit en quelque sorte d’un retournement de situation62. Jadis, ceux qui voulaient obtenir la reconnaissance de la coutume devaient

57 Ibid, par. 77. 58 Arbour et Parent, préc., note 38, p. 74 et 75. 59 Arbitrage Texaco/Taliasiatic c. Gouvernement Lybien, [1977] 2 J.D.I. 319. 60 Affaire Aminoil c. Koweit, [1982] 109 J.D.I. 319. 61 Mouttaki, préc., note 50, p. 263. 62 Ibid., p. 263-267.

21 faire la preuve de l’opinio juris. Désormais, c’est à ceux qui souhaitent s’y soustraire de faire cette preuve.

Un dernier élément de la reconnaissance de la coutume internationale mérite que l’on s’y attarde. Il s’agit de la preuve d’une pratique générale qui s’impose à l’État au moyen des actes de procédure. À ce sujet, la Cour internationale de justice a l’occasion de se prononcer lors de l’Affaire de la Namibie de 1970, qui concerne les conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud dans ce pays : [Les] débats qui se déroulent au Conseil de sécurité depuis plusieurs années prouvent abondamment que la pratique de l’abstention volontaire d’un membre permanent a toujours et uniformément été interprétée, à en juger d’après les décisions de la présidence et les positions prises par les membres du Conseil, […] comme ne faisant pas obstacle à la prise de résolutions. L’abstention d’un membre du Conseil ne signifie pas qu’il s’oppose à l’approbation de ce qui est proposé ; pour exiger l’adoption d’une résolution exigeant l’unanimité, un membre doit émettre un vote négatif. La procédure suivie par le Conseil de sécurité […] a été généralement acceptée par les Membres des Nations Unies et constitue la preuve d’une pratique générale de l’Organisation63.

La dernière phrase de cette citation est très importante car elle indique clairement que la procédure généralement acceptée constitue la preuve d’une pratique générale. Donc, même en cas d’abstention, la recherche d’une opinio juris directe et positive ne s’applique pas, de l’avis de la Cour internationale de Justice, puisque la preuve de la pratique générale est établie d’après la procédure suivie. De plus, celle-ci n’a pas à être acceptée unanimement puisqu’il est précisé que la procédure est généralement acceptée. Enfin, il appert que la constatation du refus ou de l’abstention, qui relève chacun de l’aspect psychologique, n’est pas présumée. Ils se constatent plutôt par une action, en l’occurrence un vote négatif, qui se rattache à l’aspect matériel.

Ces enseignements provenant du droit international peuvent-ils être pris en considération dans les États où la common law est appliquée en droit public tels que les

63 Conséquence juridique pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la Résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, Avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, par. 22, (21 juin 1971), [En ligne], [http://www.icj-cij.org/docket/files/53/5595.pdf] (29 juillet 2012).

22 pays du Commonwealth ? Certains auteurs affirment que l’Angleterre incorpore le droit international dans son droit interne depuis le XVIIIe siècle. Ils s’appuient notamment sur les écrits de Blackstone et Mansfield pour indiquer que les principes internationaux du droit maritime et des immunités étaient de la compétence des tribunaux de common law dès cette époque. Cette doctrine aurait par la suite été exportée puis appliquée par les tribunaux des colonies britanniques en Amérique, et ensuite par les cours de justice des États-Unis qui l’appliqueraient toujours au XXIe siècle64. De même, elle semble toujours en vigueur en Angleterre puisque Lord Denning MR et Shaw LJ expriment dans l’Affaire Trendtex Trading Corporation 65 de 1977 que les normes coutumières font automatiquement partie de la common law du moment qu’elles se cristallisent en droit international, à moins qu’elles n’entrent en conflit avec une norme législative.

Au Canada, malgré une certaine ambiguïté de la Cour suprême, les cours supérieures canadiennes ont eu tendance à adopter la doctrine de l’incorporation du droit international et de la coutume qui y est sous-jacente depuis 186766. À ce propos, le juge Louis-Philippe Pigeon indique ce qui suit dans l’arrêt Daniels c. White de 1968 : « Parliament is not presumed to legislate in breach of a treaty or in any manner inconsistent with the comity of nations and the established rules of international law. It is a rule that is not often applied, because if a statute is unambiguous, its provisions must be followed even if they are contrary to international law67 ». Ainsi, en l’absence d’une procédure générale de modification de la Constitution clairement définie, la Cour suprême aurait pu et pourrait toujours s’inspirer des critères mis en place au niveau international pour attester de l’existence d’une coutume en droit canadien lors du

64 François Larocque et Martin Kreuser, « L’incoporation de la coutume internationale en common law canadienne », (2007) 45 A.C.D.I. 173, p. 182 et 183 ; Michael Lobban, « Custom, Common Law Reasoning and the Law of Nations in the Nineteenth Century », dans Amanda Perreau-Saussine et James Bernard Murphy (dir.), The Nature of Customary Law : Legal, Historical and Philosophical Perspectives, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 256-278 ; André Émond, « L’inadéquation entre le droit et l’histoire », (2002-2003), 33 R.D.U.S. 317, p. 348 et 349. 65 Trendtex Trading Corporation c. Central Bank of Nigeria [1977] Q.B. 529, p. 554 (C.A) (cité dans Larocque et Kreuser, Ibid., p. 187). 66 Larocque et Kreuser, Ibid., p. 198-210. 67 Daniels c. White, [1968] R.C.S. 517, p. 541.

23 rapatriement de 198268. Pour obtenir un portrait plus complet, il est toutefois impératif de comprendre l’intégration de la coutume dans les États de common law et son application en droit interne.

2. Les éléments constitutifs de la coutume dans les États de common law

La common law, non écrite et fondée sur les décisions judiciaires, puise ses fondements historiques dans la coutume anglaise. Une attention particulière doit donc être accordée à cet aspect, et ce, pour circonscrire l’importance de la coutume depuis la création de la common law en Angleterre jusqu’à son implantation dans les pays issus de la colonisation anglaise. Par la suite, les caractéristiques du droit coutumier qui permettent son application seront étudiées. Cette analyse, à l’instar de celle réalisée pour la coutume internationale, est très importante car les critères permettant l’application de cette source de droit dans les États de common law auraient pu être plaidés au moment du rapatriement et pourraient toujours l’être pour faire invalider la Loi constitutionnelle de 1982. En effet, le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit que la constitution canadienne « repos[e] sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni ».

2.1. La formation de la coutume dans les juridictions de common law et son importance contemporaine

En droit public comme en droit privé anglais, la common law s’est établie progressivement à partir des XIIe et XIIIe siècles après la création de la Cour de l’Échiquier, de la Cour des plaids communs, de la Cour du banc du roi ainsi que de plusieurs cours royales dans lesquelles siégeaient des juges itinérants69. Elle tire son

68 Au sujet de l’incorporation du droit international et de son interprétation en droit canadien, voir notamment : E. A. Driedger, The Constitution of Statutes, Toronto, Butterworths, 1974, p. 161 et Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, Markham, Butterworths, 1994, p. 330-333. À titre informatif, la Cour suprême a utilisé les critères du droit coutumier international en droit interne canadien deux ans après le Rapatriement dans le Renvoi relatif au plateau continental de Terre-Neuve, [1984], 1 R.C.S. 86. 69 André Émond, Constitution du Royaume-Uni : des origines à nos jours, Montréal, Wilson & Lafleur, 2009, p. xiii.

24 existence d’une règle dégagée par un tribunal dans un contexte factuel déterminé70. À ses débuts, elle n’est donc pas constituée à partir de statuts adoptés par le roi. Cependant, des règles de droit antérieures à la création même des premières cours de justice permettaient aux juges de rendre des décisions. À ce sujet, David J. Bederman affirme que l’égalité et l’accès aux tribunaux étaient garantis aux hommes libres avant la conquête normande de l’Angleterre71.

En 1066, au moment de la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant, le système législatif anglais repose sur les coutumes. À cette époque, les premiers jalons du droit écrit s’établissent par leur codification. L’adoption de la Charte des libertés par le roi Henri Ier en 1100 marque l’un des premiers moments où est invoquée dans un texte écrit la coutume en droit constitutionnel anglais. En réponse aux abus de perception d’impôt de la noblesse par le prédécesseur du roi Henri 1er, cette charte indique dans son préambule qu’elle élimine les mauvaises coutumes qui oppriment le royaume d’Angleterre. Elle précise par la suite celles qui sont visées. Cette charte, qui aurait servi de modèle aux rédacteurs de la Magna Carta, était toujours invoquée dans des requêtes relatives aux libertés coutumières plus de 100 ans après son adoption72. En 1164, Henri II prétendit agir conformément à la coutume pour affirmer son autorité et celle des cours de justice sur les affaires du clergé lorsqu’il promulgua les Constitutions de Clarendon. En 1215, le roi Jean sans Terre affirma également agir d’après la coutume lorsqu’il codifia les droits féodaux et intégra des dispositions relatives à la coutume dans la Magna Carta. Pendant cette période, le droit était appliqué par des juges et des cours royales qui avaient avant tout comme rôle d’être les gardiens des coutumes existantes. Ils devaient parfois, en l’absence de texte, de charte, de constitution ou d’assise légale, unifier le droit en choisissant une coutume locale pour l’appliquer à l’ensemble du royaume73.

La transformation de la coutume à la common law peut être observée à travers les écrits de Henry de Bracton. Ce juriste anglais du XIIIe siècle affirme qu’à cette époque

70 Nicole Duplé, préc., note 13, p. 61. 71 David J. Bederman, Custom as a Source of Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2010, p. 102. 72 Idem. 73 Émond, préc., note 64, p. 357-359.

25 l’Angleterre utilise des lois non écrites, approuvées par les magnats et la Res publica, ainsi que des coutumes. Il témoigne que ces dernières dérivent de ce que l’usage a approuvé. Ainsi, les lois anglaises se seraient constituées à partir des nombreuses coutumes locales différant d’un endroit à l'autre. Plus important, il apporte un éclairage sur la fonction exercée par la coutume. Celle-ci peut être considérée à titre de loi dans les régions où elle est observée lorsqu’elle est approuvée par la pratique de ceux qui l’utilisent. Elle puise son autorité dans un usage prolongé et substantif74.

La théorie selon laquelle la common law trouverait ses origines au sein de la coutume se serait toutefois établie à partir de la seconde moitié du XIVe siècle. En 1350, le conseil du roi Édouard III affirmait que le « common usage is common law », tandis qu’en 1400 la cour, sous le roi Henri IV d’Angleterre, exprimait la maxime reprise jusqu’à nos jours : « common custom of the realm is common law75 ». Au XVIe siècle, une résurgence de la coutume se produit sous la dynastie Tudor. Afin de restreindre la concentration du pouvoir royal sous les règnes d’Henri VII et d’Élisabeth Ire, certains juristes tels que Sir John Davies et Sir Edward Coke proposèrent un retour aux anciennes coutumes. Pour ce faire, ils invoquèrent les dispositions de la Charte des libertés énoncée lors du règne du roi Henri Ier et la Magna Carta adoptée par le roi Jean sans Terre76.

En 1627, l’arrêt Case of the Five Knights mit une fois encore la coutume constitutionnelle en évidence dans le contexte d’emprisonnements arbitraires. Il y fut plaidé qu’une ordonnance en habeas corpus était un droit coutumier en Angleterre. Le juge en chef Hyde de la Cour du banc du roi soutint que « the common custom of the law is the common law of the land and that hath been the continual common custom of the law, to which we are to submit; for we come not to change the law, but to submit to it77 ».

74 Henry de Bracton, De legibus et consuetudinibus Angliae (On the Laws and Customs of England), Cambridge, Harvard University Press, 1968, p. 19 et 22. La version utilisée est traduite en anglais et annotée par Samuel E. Thorne. Il est possible de consulter la version originale de cet ouvrage écrite en latin sur le site web Internet Archive de la Library of Congress, [En ligne], [http://archive.org/stream/bractondelegibu02histgoog#page/n39/mode/2up] (9 septembre 2013). 75 Y. B. 30 Edw. III, ff. 25, 26 et Y.B. 2 Hen IV, f. 18, Pasch. pl. 5 (cités dans Owen Hood Phillips, A First Book of English Law, Londres, Sweet and Maxwell, 1960, p. 176). 76 Bederman, préc., note 71, p. 103. 77 Ibid., p. 104.

26 Le Parlement britannique répondit alors à ces propos par la promulgation de la Pétition des droits (Petition of Rights). La principale disposition qui y est contenue concerne les ordonnances en habeas corpus et l’interdiction d’emprisonner des individus sans assises légales. Dans la même lignée, la coutume des anciennes constitutions fut également invoquée lors de l’adoption du Bill of Right en 168978.

En 1713, l’idée selon laquelle « common custom of the realm is common law » a été reprise par certains juristes anglais, dont Sir Matthew Hale dans son ouvrage The History and Analysis of the Common Law of England79. Il y mentionne que la common law consiste en des coutumes générales et que les décisions judiciaires qui en tiennent compte constituent une preuve plus fiable de leur existence que l’opinion des individus à leur sujet. Il ajoute que seuls les actes du Parlement peuvent délibérément changer les coutumes. Pour lui, les décisions judiciaires, les résolutions, la législation statutaire et les coutumes ont façonné la common law 80 . Sir William Blackstone, dans son ouvrage Commentaries On the Laws of England publié en 176581, s’intéresse également à la création de la common law. Il y mentionne que les coutumes sont générales, locales ou particulières. Selon lui, les assises des lois anglaises sont en général les coutumes immémoriales et la common law qui se sont reportées d’une époque à l’autre au fil des décisions des cours de justice82.

Peter Karsten montre également que la coutume fut appliquée lors de la formation de nombreux États issus de la colonisation anglaise. De manière spécifique, cette source a permis de créer le droit avant même sa codification ou son incorporation en common law aux États-Unis, au Canada, en Nouvelle-Zélande et en Australie. Elle a notamment joué un rôle dans le règlement des conflits concernant la possession et l’exploitation de la terre et des richesses naturelles, dans les revendications indigènes, dans les lois concernant le

78 Idem. 79 Matthew Hale, The History and Analysis of the Common Law of England, Londres, J. Nutt, 1713. 80 Alan Cromartie,« The Idea of Common Law as Custom » dans Amanda Perreau-Saussine et James Bernard Murphy (dir.), The Nature of Customary Law : Legal, Historical and Philosophical Perspectives, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 203-222. 81 William Blackstone, Commentaries on the Laws of England, Oxford, Clarendon Press, 1765. 82 Phillips, préc., note 75, p. 176.

27 travail, dans la législation contractuelle et dans les délits fondés sur la négligence83. Nous constatons donc que les fonctions législatives et exécutives, en cours d’implantation, ont trouvé appui sur les coutumes pour s’établir et s’adapter aux réalités locales rencontrées84.

Au cours de la période contemporaine, la coutume constitutionnelle est moins utilisée au Royaume-Uni et dans les pays du Commonwealth, et ce, même si les monarques prêtent toujours serment, au moment de leur couronnement, de gouverner « according to their respective laws and customs85 ». Une explication à ce déclin se trouve possiblement dans la classification des sources du droit constitutionnel anglais édictée par Dicey en 1885 dans son ouvrage An Introduction to the Study of Law of the Constitution 86 . Pour Duplé, cet ouvrage a eu pour effet de consacrer l’expression « convention constitutionnelle 87 ». Ainsi, dans certains ouvrages constitutionnels postérieurs à ceux de Dicey, la coutume disparaît au profit de la convention. À titre d’exemple, Jennings établit une distinction stricte entre la loi constitutionnelle contenue dans le droit positif écrit et les conventions qui renferment, quant à elles, l’ensemble des règles constitutionnelles non écrites88. Cette manière d’envisager le droit constitutionnel est également retenue par certains auteurs canadiens. À titre d’exemple, l’ouvrage Constitutional Law of Canada écrit par Peter W. Hogg ne traite aucunement de la coutume parmi les sources de droit applicables en droit constitutionnel canadien89.

Une lecture attentive de l’ouvrage de Dicey permet toutefois de nuancer cette distinction stricte des sources constitutionnelles. D’abord, il énonce au premier chapitre que la loi constitutionnelle anglaise, telle qu’appliquée par les tribunaux, est formée à la

83 Peter Karsten, Between Law and Custom : High and Low Legal Cultures in the Lands of the British Diaspora - the United States, Canada, Australia, and New Zealand, 1600-1900, New York, Cambridge University Press, 2002. 84 À ce propos, voir infra, chapitre I, partie 2.2.1. dans laquelle nous traitons du recours à la coutume dans la formation de l’État américain et canadien. 85 Bederman, préc., note 71, p. 106. 86 A.V. Dicey, An Introduction to the Study of the Law of the Constitution, Londres, Macmillan and Co., 1885. 87 Duplé, préc., note 13, p. 69. 88 Ivor Jennings, The Law and the Constitution, Londres, University of London Press, 1959, p. 106-107. 89 Hogg, préc., note 35, p. 17-26.

28 fois de statuts et d’une masse de coutumes, de traditions et de la common law 90 . Toutefois, il affirme dans le dernier chapitre que les conventions constitutionnelles reposent sur les coutumes, pratiques, maximes et préceptes non reconnus par les tribunaux91. Cette classification peut sembler, à première vue, contradictoire en ce qui concerne la coutume. Selon nous, ce n’est toutefois pas le cas. À la lumière de la classification établie par Dicey, mentionnons, même s’il est difficile de l’établir avec une grande précision, que certaines coutumes font partie du droit formel lorsqu’elles concernent le cadre légal de la constitution. D’autres, en revanche, servent de fondements aux conventions lorsqu’elles s’appliquent à la dimension politique de la constitution. Au regard de cette classification, un exercice de qualification s’avère donc nécessaire afin de déterminer si la coutume invoquée appartient au droit constitutionnel ou encore si elle constitue une règle politique92.

Les précisions que nous venons d’établir montrent que cette source de droit est toujours applicable dans la période contemporaine, notamment au niveau constitutionnel93. De fait, elle n’a jamais été abolie. D’ailleurs, il pourrait exister certaines coutumes constitutionnelles qui n’ont pas eu l’occasion d’être reconnues par les tribunaux. Elles le seraient toutefois si une question constitutionnelle d’ordre coutumière leur était soumise. Cette question ne devrait pas être traitée par le droit positif écrit ni avoir été préalablement incorporée à la common law ou encore être d’ordre conventionnel94. De manière concrète, elle doit, pour être reconnue par les tribunaux, pouvoir être observable à partir de certains critères qui permettraient ainsi de la rendre effective.

90 Dicey, préc., note 86, p. 24-25. 91 Ibid., p. 341. 92 Nous analysons la distinction entre la convention et la coutume constitutionnelle au chapitre II, partie 2.1. 93 Sur l’application de la coutume en droit constitutionnel, voir notamment : Phillips, A First Book of England Law, préc., note 75, p. 175-177 ; Owen Hood Phillips, Constitutional and Administrative Law, Londres, Sweet and Maxwell, 1973, p. 23 ; Bederman, préc., note 71, p. 101-113 ; Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 38-41 ; Duplé, préc., note 13, p. 63 ; André Tremblay, Droit constitutionnel : principes, 2e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2000, p. 18-19. 94 Phillips, A First Book of England Law, Ibid., p. 177-178 ; Phillips, Constitutional and Administrative Law, Ibid., p. 23.

29 2.2. Les critères de la coutume permettant son application en common law

Les critères associés à la coutume en common law sont très semblables à ceux qui existent droit international dont il a été fait mention précédemment95. Les auteurs que nous avons recensés reconnaissent tous l’importance de l’aspect matériel pour que les tribunaux puissent admettre son existence96. Cependant, ce ne sont pas tous les auteurs qui traitent de l’aspect psychologique dans les critères dont le tribunal doit tenir compte. Cette constatation laisse croire que dans les États de common law, la reconnaissance d’une coutume repose davantage sur l’aspect matériel qu’en droit international.

2.2.1. L’aspect matériel

D’emblée, il convient de préciser que puisque les critères matériels de la coutume dans les États de common law sont semblables à ceux que nous avons mentionnés pour la coutume internationale, les explications seront restreintes ci-dessous aux aspects les plus pertinents. De fait, pour qu’une coutume soit reconnue dans ces États, elle doit d’abord être paisible, ce qui signifie qu’elle ne peut être contraire à l’ordre public, aux lois et aux statuts. De plus, elle doit être raisonnable ou du moins ne pas être déraisonnable juridiquement, ce qui veut dire qu’elle ne doit pas répugner aux principes généraux du droit positif. En outre, son caractère doit également être certain dans sa nature et dans sa portée. Elle doit également être constante. Enfin, elle doit être continue. Toutefois, le non-usage d’un droit coutumier n’entraîne pas nécessairement son extinction, mais la preuve sera alors plus difficile à établir97.

95 Supra, chapitre I, partie 1.1. 96 W. Maley, « Laws and Conventions Revisited », (1985), 48, Mod. L.R., p. 127. Dans cet article, l’auteur s’intéresse à la distinction entre les différents termes qui peuvent designer la coutume, soit custom, law, convention et practice à travers les écrits de certains auteurs. De manière succincte, la « coutume » est associée à la loi en raison de son aspect contraignant au niveau judiciaire. La « pratique » serait plutôt considérée comme un élément de la « coutume » ou de la « convention ». Toutefois, certains associent directement « pratique » et « coutume ». L’« usage », quant à lui, naît seulement d’un choix entre diverses solutions offertes par le droit et ne serait pas une règle formelle. Pour ce qui est de la « convention » au sens constitutionnel, il s’agit de règles politiques élaborées empiriquement. Elles ont une force contraignante au niveau politique en raison d’un sentiment de nécessité politique. La Constitution anglaise contient à la fois des coutumes et des conventions. 97 Phillips, préc., note 75, p. 179-182 ; Carleton Kemp Allen, The Law in the Making, Oxford, Clarendon Press, 1927, p. 88-102 ; Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 39.

30

Le caractère continu d’une coutume dans les États de common law mérite que l’on s’y attarde de manière particulière car il implique plusieurs références temporelles. En Angleterre, la limite de ce qui constitue la mémoire légale a d’abord été établie de manière arbitraire à 1189, soit la première année du règne de Richard Ier. Cette limite a été établie, par analogie, d’après la période limite imposée pour faire valoir ses droits dans le Statut de Westminster de 127598. Toutefois, il est établi depuis le XIXe siècle que celui qui veut prouver la coutume doit toutefois montrer qu’elle a existé pour une période substantielle, soit aussi longtemps qu’une personne puisse se remémorer. Il n’est donc pas nécessaire de faire la preuve de la manière dont la coutume s’est formée pour la partie qui allègue son existence. Il revient plutôt à la partie qui veut la nier de prouver qu’elle n’a pu exister à un certain moment depuis 118999.

Dans les États issus de la colonisation anglaise, la limite de temps pour reconnaître une coutume est différente. Elle est fixée selon le contexte historique et législatif propre à chaque État. À titre d’exemple, dans l’arrêt Stuart v. Laird de 1803100, la Cour suprême des États-Unis statue, à propos de son pouvoir de siéger à titre de cour de circuit, qu’une pratique et son acceptation depuis quelques années, soit depuis le moment de l’organisation du système législatif, sont suffisantes pour en établir la preuve101. En l’espèce, puisque la Cour suprême des États-Unis n’existe que depuis la mise en application de la Constitution américaine en 1789, la pratique dont il est question ne peut

98 Allen, Ibid., p. 89-91. 99 Phillips, préc., note 75, p. 179 ; Bastard c. Smith et autres, [1837] 2 M. & Rob. 129, p. 136. Ce jugement est inséré dans le recueil suivant : William Moody et Frederic Robinson, Reports of Cases, Determined at Nisi Prius, in the Courts of King’s Bench, Common Pleas, and Exchequer…, vol. 2, Londres, William Benning & Co., 1837, p. 129. Ce recueil de jugements est disponible sur le site Web Internet Archive de la Library of Congress, [En ligne], [https://archive.org/stream/reportscasesdet21courgoog#page/n142/mode/2up] (23 mai 2014). Albert Mayrand, Dictionnaire des maximes et locutions latines utilisées en droit, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1994, p. 331 précise que la locution latine Nisi Prius est le nom donné à un procès par jury devant un juge seul alors qu'en Angleterre le procès avait lieu normalement devant tous les juges de la cour. On assignait les jurés à Westminster pour un jour fixe « à moins qu'avant ce jour » (nisi prius) les juges siégeant aux assises n'y viennent. De plus, cette expression annonce parfois la condition préalable à l'exécution ou à l'efficacité d'une ordonnance. À propos de la structure et du fonctionnement de ces tribunaux, voir notamment : Donald Fyson, Evelyn Kolish et Virginia Schweitzer, The Court Structure of Quebec and Lower Canada 1764 to 1860, Montréal, Groupe sur l’histoire de Montréal, 2012, [En ligne], [http://www.profs.hst.ulaval.ca/Dfyson/Courtstr/O&t.htm] (23 mai 2014). 100 Stuart v. Laird, 5 U.S. 299 (1803). 101 Bederman, préc., note 71, p. 108.

31 être antérieure à une quinzaine d’années102. En 1915, la Cour suprême des États-Unis ajoute, dans l’arrêt United States v. Midwest Oil Company103, qu’une présomption de validité des actes du pouvoir exécutif existe lorsqu’ils sont répétés sur une longue période. L’analyse effectuée dans cet arrêt reprend d’ailleurs certains critères que nous venons d’évoquer : Both officers, lawmakers, and citizens naturally adjust themselves to any long-continued action of the Executive Department, on the presumption that unauthorized acts would not have been allowed to be so often repeated as to crystallized into a regular practice. That presumption is not reasoning in a circle, but the basis of a wise and a quieting rule that, in determining the meaning of a statute or the existence of a power, weight shall be given to the usage itself, - even when the validity of the practice is subject to investigation104.

Au Canada, l’analyse de ce critère doit également être réalisée selon le contexte historique et législatif propre à cet État. En effet, dès le Régime français, des dispositions législatives visant uniquement la Nouvelle-France s’ajoutent à la coutume de Paris pour régir cette colonie. Un droit adapté à la réalité coloniale y est donc appliqué ainsi que le montre l’article 42 des Articles de Capitulation de Montréal du 8 septembre 1760. Celui- ci énonce que : « les françois et Canadiens Continüeront d’Estre Gouvernés Suivant La Coutume de Paris et les Loix et Usages Établis pour ce pays […]105 ».

Sous le Régime anglais, les habitants du territoire canadien actuel sont également administrés par un corpus législatif adapté à la réalité coloniale 106 . À ce titre, les

102 The Constitution of the United States, Article III, Section I. 103 United States v. Midwest Oil Company, 236 U.S. 459 (1915). 104 Bederman, préc., note 71, p. 109-110. 105 Articles de la Capitulation de Montréal, 8 septembre 1760, article 42 dans Documents concernant l’histoire constitutionnelle du Canada, 1759-1791, Ottawa, C. H. Parmelee, 1911, p. 4-16, (textes choisis et publiés avec des notes par Adam Shortt et Arthur G. Doughty). Pour l’ensemble des documents législatifs et des décrets royaux qui concernent la Nouvelle-France, voir notamment : Arrêts et règlements du Conseil supérieur de Québec, et ordonnances et jugements des intendants du Canada, Québec, E. R. Fréchette, 1855 ainsi que Philippe Fournier, La Nouvelle-France au fil des édits : chronologie reconstituée d’après les principaux édits, ordonnances, arrêts, lois et règlements émis sous le Régime français, Québec, Septentrion, 2011. 106 À ce propos, Lord Mansfield CJ mentionne dans le jugement Campbell v. Hall, (1774) 1 Cowp 204, [1558-1774] All ER Rep 252, p. 254 que : « A country conquered by the British arms becomes a dominion of the King in the right of his crown, and, therefore, necessarily subject to the legislature, the Parliament of Great Britain. […] [T]he conquered inhabitants, once received under the King's protection, become

32 principaux documents adoptés en Angleterre destinés à établir des gouvernements coloniaux sur le territoire actuel du Canada prévoient que ceux-ci peuvent, avec le consentement des représentants royaux, adopter des lois, des décrets et des statuts pour assurer la paix, l’ordre et le bon gouvernement. Les dispositions législatives adoptées ne doivent toutefois pas répugner au droit anglais107.

La délégation de ces pouvoirs aux autorités coloniales a des conséquences concrètes dans l’administration de la justice au quotidien. Pour Donald Fyson, la relation entre l’État et la société coloniale dans la province de Québec, puis au Bas-Canada, entre la Conquête et les Rébellions n’est pas simplement influencée par l’expérience anglaise. Elle est également formée par le contexte local. Pour ce faire, il montre que la législation criminelle et pénale anglaise, implantée à la suite de la Conquête, comprenait une certaine continuité avec celle en vigueur sous le Régime français. Son analyse révèle également que bien qu’il y ait eu peu de changements dans l’application de la loi criminelle anglaise pour les crimes majeurs, la masse des dispositions législatives adoptées par les magistrats et les autorités coloniales étaient modelées par le contexte colonial ainsi que par le désir des élites anglaises et canadiennes108.

Ces dernières précisions concernant le caractère continu d’une coutume montrent que l’analyse de ce critère doit tenir compte du contexte historique et législatif propre et distinct de chaque État. À ce titre, le Canada ne fait pas exception. Il convient toutefois de spécifier que ce n’est qu’à partir de l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1867 que les différents ordres de gouvernements de la fédération canadienne sont créés. De plus,

subjects, and are to be universally considered in that light, not as enemies or aliens. […] [T]he articles of capitulation upon which the country is surrendered, and the articles of peace by which it is ceded, are sacred and inviolable according to their true intent and meaning. […] [T]he law and legislative government of every dominion equally affects all persons and all property within the limits thereof, and is the rule of decision for all questions which arise there. Whoever purchases, lives, or sues there, puts himself under the law of the place ». (Nos italiques). 107 À ce sujet, voir : Proclamation royale, le 7 octobre 1763, reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no 1, Quatrième article ; Acte de Québec de 1774, 14 Geo. III, c. 83 (R.-U.), reproduit dans L.R.C. 1985, app. II, no 2, art. XII ; Acte constitutionnel de 1791, 31 Geo. III, c. 31 (R.-U.), reproduit dans L.R.C. 1985, app. II, no 3, art. II ; Acte d’Union, 1840, 3 & 4 Vict., c. 35 (R.-U.), reproduit dans L.R.C. 1985, app. II, no 4, art. III. 108 Donald Fyson, Magistrates, Police, and People : Everyday Criminal Justice in Quebec and Lower Canada, 1764-1837, Toronto, Osgoode Society for Canadian Legal History, 2006, p. 15-52.

33 cet acte constitutionnel prévoit les pouvoirs législatifs qui sont dévolus à chacun de ceux- ci. À la lumière de ces faits, une coutume visant à obtenir l’assentiment unanime des provinces pour modifier et rapatrier la Constitution ne peut donc être antérieure à l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1867109.

2.2.2. L’aspect psychologique

La coutume doit être reconnue comme obligatoire par ceux qu’elle vise110. À ce propos, John Davidson Lawson écrivait en 1881 que les coutumes pouvaient s’être formées d’un accord commun et que leur respect était alors optionnel. Toutefois, au fur et à mesure que la coutume prenait forme, son respect cessait d’être optionnel pour devenir obligatoire111.

André Émond apporte quelques précisions sur le niveau d’observance de la règle coutumière. Il établit que, au moment de la formation des coutumes au Moyen Âge, la croyance générale envers le caractère obligatoire est déterminante, bien que le poids de l’opinion de chacun au sein de la société puisse varier. De plus, il indique qu’il faut observer en particulier l’opinion des personnes en autorité, c’est-à-dire celles qui sont chargées d’appliquer le droit112.

Les précisions apportées par cet auteur méritent certaines remarques. D’abord, au point de vue quantitatif, la croyance doit être générale et non nécessairement partagée par toutes les personnes concernées par la coutume. Certaines personnes peuvent donc être en désaccord ou n’avoir aucune opinion relativement à la règle à suivre. Au point de vue qualitatif, l’auteur énonce expressément que l’opinion de chacun n’a pas le même poids. Il faut rechercher l’opinion des personnes en autorité et celles chargées d’appliquer le droit. Des problèmes de preuve se situent à ce niveau. En effet, au-delà de la difficulté de prouver l’état psychologique d’une pluralité d’individus, comment démontrer l’opinion

109 Pour l’analyse de la coutume dans le contexte canadien entre 1867 et 1982, voir infra, chapitre II. 110 Allen, préc., note 97, p. 92-93. 111 John Davidson Lawson, The Law of Usages and Customs, with Illustrative Cases, Saint-Louis, F. H. Thomas & Company, 1881, p. 36. 112 Émond, préc, note 69, p. xiii.

34 des personnes en autorité, chargées d’appliquer le droit, alors qu’il nous est impossible de les identifier de manière exhaustive tout au long de la période visée ? Rappelons que, dans cette société hiérarchisée, il peut être difficile de déterminer qui sont les vassaux et les suzerains et qui représente l’autorité. De plus, bien qu’Émond ne spécifie pas que l’aspect psychologique soit formulé de manière expresse, comment pouvons-nous obtenir des preuves matérielles de ces opinions après plusieurs siècles ? Le cas échéant, sommes- nous en présence d’originaux ou de transcriptions de récits oraux ? Ont-ils été traduits ? Quelle est la qualité de la traduction ? Lorsqu’il est possible d’obtenir une preuve matérielle, reflète-t-elle l’opinion de ceux qui sont visés par la coutume et de l’ensemble des personnes en autorité chargées d’appliquer le droit ? Qui plus est, dans cette société où l’écriture n’est pas l’apanage de tous, pourquoi rechercher une preuve écrite formulant une opinion pour une règle de droit non écrite reposant avant tout sur les précédents ? De manière corollaire, n’est-il pas plausible de rechercher l’opinion de personnes chargées d’appliquer le droit dans leurs décisions judiciaires ? Dans ce cas, ne s’agit-il pas d’une intrusion dans le champ de la common law ?

Le fondement sur lequel repose le caractère obligatoire pour les parties visées par la coutume se doit également d’être scruté. En effet, puisque dans les États de common law la coutume n’est pas incorporée dans les décisions judiciaires ou dans des lois et des statuts, sur quels fondements normatifs se situe son caractère obligatoire ? Des théoriciens du droit se sont intéressés à cette question. Pour Hans Kelsen, la genèse de la coutume à travers les actes de ceux qui la constituent n’est pas réalisée en fonction d’un acte de volonté ou par la « commande » d’une règle de droit. À ce titre, le tribunal fonde son jugement sur la présomption que les individus agissent ainsi que l’ont toujours fait les membres de la collectivité. En vertu de cette présomption, la coutume ne peut donc pas refléter la véritable volonté d’un quelconque législateur113. La preuve de la coutume s’établit donc par l’aspect matériel pour ce théoricien, soit par le comportement de ceux qui ont contribué à son établissement. Il spécifie également qu’elle ne lie pas seulement ceux qui ont créé la règle par leur conduite. Il suffit qu’une très grande majorité – et non la totalité – des individus visés par le rapport à régler y soit associée. À ce titre, la

113 Kelsen, préc., note 52, p. 34-35.

35 coutume peut faire partie de la constitution et être créatrice de droit en termes contraignants et déclaratoires114.

Ainsi, la reconnaissance d’une règle coutumière n’exigerait pas une concomitance parfaite dans les précédents, ni une acceptation unanime, mais une obéissance générale. Pour juger de la validité d’une coutume, une présomption de son élément psychologique existe. La preuve de l’existence d’une coutume découle de l’analyse des faits qui constituent son élément matériel, de sa conformité avec l’ensemble du droit positif en vigueur dans un État ainsi que de son caractère raisonnable115.

* * * Au terme de cette partie, plusieurs enseignements relatifs à la coutume méritent d’être soulignés, car ils auraient certainement pu être soulevés à la suite du Renvoi de 1981 pour empêcher le rapatriement de la Constitution canadienne sans le consentement de toutes les provinces. Ainsi, au niveau international, la coutume est inscrite parmi les sources de droit dans les statuts de la Cour internationale de justice. Celle-ci se compose de deux aspects. Le premier est matériel : il constitue la partie observable et démontrable de la coutume. Le second est l’opinio juris : il concerne l’aspect psychologique de la coutume. Celui-ci a trait au caractère normatif ou à la croyance d’être liée par une règle de droit. Cette croyance n’a pas à être unanime, mais elle doit être générale. À l’exception d’un arrêt ancien, les tribunaux internationaux présument que cet aspect existe lorsque les critères inhérents à l’aspect matériel sont satisfaits. De plus, les auteurs doctrinaux consultés expriment l’opinion que la règle coutumière internationale peut être avalisée, même si elle est récente. Enfin, tant au Royaume-Uni qu’au Canada, les tribunaux ont reconnu l’existence de règles coutumières internationales lorsqu’elles ne contreviennent pas au droit interne, ce qui leur donne une autorité en droit interne.

Pour ce qui est des États de common law, la coutume constitue le fondement de plusieurs règles intégrées dans les jugements rendus par les tribunaux et des règles

114 Ibid., p. 126-128 ; Hans Kelsen, Théorie pure du droit, Paris, Dalloz, 1962, p. 303-308. 115 Allen, préc., note 97, p. 88-89.

36 statutaires adoptées. Cependant, ainsi que le prétendent plusieurs auteurs, la coutume n’a pas perdu son autorité juridique. Elle constitue d’ailleurs une source de droit dans de nombreux domaines juridiques et pourrait encore être utilisée pour des questions constitutionnelles non traitées par les tribunaux ou non abordées dans les règles de droit écrites. Dans ces États, elle possède également un aspect matériel observable et un aspect psychologique portant sur sa normativité. Les auteurs de doctrine que nous avons étudiés indiquent que la preuve de ce dernier élément est présumée lorsque les critères matériels sont remplis. À ce titre, la coutume se démontre par les faits et doit être adaptée au système législatif visé, ainsi que le mentionnent certains arrêts anglais, américains et canadiens. La Constitution canadienne de 1867, fondée sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni, laisse donc présager que la coutume aurait pu être invoquée à titre de règle de droit applicable pour que le rapatriement de 1982 soit réalisé avec le consentement de toutes les provinces. La prochaine partie s’attarde précisément aux éléments relatifs à cette question.

37

CHAPITRE II. LA COUTUME À TITRE DE SOURCE DE DROIT APPLICABLE LORS DU RAPATRIEMENT DE 1982

À ce moment-ci, l’analyse doit porter sur le contexte constitutionnel canadien au moment du rapatriement de 1982 pour faire ressortir le caractère incomplet de la formule de modification constitutionnelle. De ce fait, découle l’étude des procédés mis en œuvre avant le rapatriement par les autorités canadiennes pour modifier les rapports constitutionnels entre le fédéral et les provinces. Par la suite, nous porterons notre attention sur la reconnaissance de la coutume en droit canadien son application en regard du rapatriement. Il sera ainsi possible de montrer que les critères reconnus par la jurisprudence et la doctrine canadienne pour invoquer la coutume nécessitant le consentement de toutes les provinces avant de rapatrier la Constitution en 1982 étaient remplis.

1. Le contexte constitutionnel canadien de 1867 à 1982

D’emblée, l’analyse portera sur l’absence de formule générale de modification de 1867 à 1982 et sur les conséquences qui y sont afférentes dans le contexte du rapatriement. Ensuite, la procédure de modification de la Constitution utilisée durant cette période sera scrutée en vue de faire ressortir les critères qui ont guidé son application.

1.1. L’absence de formule générale de modifications constitutionnelles

Le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, adoptée conformément au Colonial Laws Validity Act de 1865116, énonce qu’elle repose sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni. Ainsi, la Constitution canadienne est composée de dispositions insérées dans les textes constitutionnels et de sources édictées à partir de

116 Colonial Laws Validity Act, 28 & 29 Vict., c. 63 (R-U.). L’article 2 de cette Loi prévoit qu’une loi coloniale ne peut contredire la législation britannique applicable à la colonie. Pour sa part, l’article 5 indique que les législatures coloniales peuvent changer leur constitution en autant qu’elles respectent la forme et le mode requis par la législation impériale et coloniale.

39 certaines lois, des coutumes, des conventions ainsi que des décisions des tribunaux, des gouvernements et des assemblées législatives117.

Ce préambule prévoit également que l’union contractée est de nature fédérale, ce qui diffère de la Constitution du Royaume-Uni qui, quant à elle, se situe dans un cadre unitaire. Une répartition des pouvoirs législatifs entre le gouvernement fédéral canadien, ainsi créé, et les provinces parties à l’union y est édictée pour déterminer la sphère de compétence de chaque ordre de gouvernement au sein du cadre fédératif. La plupart des pouvoirs relèvent exclusivement du Parlement canadien ou des législations provinciales, quoique certains pouvoirs soient partagés118.

Seules quelques dispositions permettent d’y apporter des modifications de manière exceptionnelle et limitée. En vertu de celles-ci, chaque ordre de gouvernement n’est habilité à modifier la Constitution que dans ses propres champs de compétence119. La procédure de modification relative à l’union fédérative est donc incomplète car elle relève

117 Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 9 à 50. 118 Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 8, art. 91 et suiv. 119 Pour une nomenclature des articles de la Loi constitutionnelle de 1867 permettant de modifier la Constitution canadienne avant 1982, voir : Benoît Pelletier, La modification constitutionnelle au Canada, Scarborough, Carswell, 1996, p. 22 et suiv. ; Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 214 à 216 ; Gérald A. Beaudoin, Le fédéralisme au Canada : les institutions, le partage du pouvoir, Montréal, Wilson & Lafleur, 2000, p. 305-343; José Woehrling et Jacques-Yvan Morin, Les constitutions du Canada et du Québec : du régime français à nos jours, 2e éd., t.1 : « Études », Montréal, Éditions Thémis, 1994, p. 409- 467. De même, les auteurs Julien Fournier, Patrick Taillon, Geneviève Motard et André Binette, « L’abdication d’Édouard VIII en 1936 : « autopsie » d’une modification de la Constitution canadienne », dans Michel Bédard et Philippe Lagassé, (dir.), La Couronne et le Parlement / The Crown and the Parliament, Cowansville, Édition Yvon Blais, 2015, p. 357, note 12, écrivent à propos de la procédure de modification antérieure au rapatriement de 1982 que « Si le Parlement britannique détenait formellement la capacité à agir à titre de pouvoir constituant pour le Canada, il a tout de même établi un certain nombre d’exceptions à ce principe en autorisant le Parlement fédéral ou la législature des provinces à modifier des normes constitutionnelles souples telles que la constitution interne de la province sous l’article 92(1) de la Loi constitutionnelle de 1867 ([R-U], 30 & 31 Vict, c 3, reproduite dans LRC 1985, ann II, no 5 [LC 1867]), la création d’une cour générale d’appel et de tribunaux fédéraux par l’article 101 de la LC 1867, la création de nouvelles provinces par l’article 146 de cette loi (pouvoir confirmé en 1871 par la Loi constitutionnelle de 1871 [R-U], 34 & 35 Vict, c 28, reproduite dans LRC 1985, ann II, no 11) ou encore, après 1949, les caractéristiques non essentielles des institutions fédérales sous l’article 91(1) de cette loi (Acte de l’Amérique du Nord britannique [No 2] [R-U], 1949, 13 Geo VI, c 81, reproduit dans LRC 1985, ann II, no 33) ».

40 de la compétence du Parlement impérial britannique120. Ce dernier a donc toute autorité, au point de vue juridique, pour modifier la Constitution. En pratique toutefois, il était déjà établi avant 1867 que ces modifications ne seraient apportées qu’à la demande et avec l’accord de la colonie visée121.

Il est difficile d’expliquer les raisons pour lesquelles une formule générale de modification n’a pas été prévue lors de l’adoption de Loi constitutionnelle de 1867. Parmi les explications proposées, il semble que les concepteurs originaires du régime fédératif aient voulu éviter d’aborder la délicate question de la participation des provinces aux amendements lors des conférences de Québec et de Londres puisqu’elle était susceptible de créer des différends. Ils auraient plutôt considéré que le fait de confier au Parlement britannique le rôle de modifier les dispositions relatives à la répartition des pouvoirs législatifs était suffisant pour protéger provinces et les minorités122.

Avant d’aller plus loin, une attention particulière doit être portée au Statut de Westminster 123 ratifié par le Parlement de Londres en 1931 124 . Cette loi impériale, intégrée à la Constitution canadienne, assure la plénitude du pouvoir législatif des dominions125. En outre, l’article 4 vient consacrer une convention déjà bien établie en

120 Pour Woehrling et Morin, Ibid., p. 371 et 372, l’absence d’une procédure de modification complète de modification dans la Loi constitutionnelle de 1867 est surprenante puisque l’article 5 du Colonial Laws Validity Act de 1865 reconnaissait aux législatures des colonies le pouvoir de modifier leur constitution. 121 Woehrling et Morin, Ibid., p. 371 ; Robert MacGregor Dawson, The Governement of Canada, 5e éd., Toronto, University of Toronto Press, 1970, p. 123 ; William S. Livingston, Federalism and Constitutional Change, Oxford, Clarendon Press, 1956, p. 26 ; Eugénie Brouillet, La négation de la nation : L’identité culturelle Québécoise et le fédéralisme canadien, Québec, Septentrion, 2005, p. 160-161. 122 Livingston, Ibid., p. 20-21. Pour expliquer cette situation, Woehrling et Morin, Idem, avancent également d’autres hypothèses. D’abord, il semble qu’au moment de l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1867, la Grande-Bretagne n’était pas prête à concéder au Canada une pleine autonomie en matière de modification constitutionnelle. De plus, les élites coloniales qui ont participé à l’élaboration de la Constitution canadienne n’auraient pas prévu que le besoin d’adopter des modifications se manifeste fréquemment. Dans une telle situation, ils estimaient que le Parlement de Westminster adopterait une modification sans difficulté à la demande du Canada. 123 Statut de Westminster de 1931, 22 & 23 Geo. V, c. 4 (R.-U.), reproduit dans L.R.C. 1985, app. II, no 27. 124 Sur l’adoption du Statut de Westminster de 1931 et ses conséquences sur la procédure de modification de la Constitution canadienne, voir notamment : Guy Favreau, Modification de la Constitution du Canada, Ottawa, R. Duhamel, 1965, p. 18-19 ainsi que Woehrling et Morin, préc., note 119, p. 396 à 399. 125 Statut de Westminster de 1931, préc., note 123, art. 2 et 3. À titre informatif, le Comité judiciaire du conseil privé a affirmé plusieurs années avant l’adoption de ce statut qu’à l’intérieur de leurs domaines respectifs de compétences, le Parlement fédéral et les assemblées législatives des provinces étaient aussi

41 matière de modification constitutionnelle. En effet, il prévoit que toute loi qui sera dorénavant édictée par le Parlement du Royaume-Uni ne fera partie ni ne sera considérée comme faisant partie de la législation d’un dominion, à moins qu’il n’y soit formellement déclaré qu’elle a été édictée à sa demande et avec son assentiment126. De ce fait, le Parlement britannique s’engageait, par l’adoption de ce statut, à ne pas tenter de reprendre ou de diminuer, à l’avenir, l’indépendance octroyée aux dominions127.

En vue de l’adoption du Statut de Westminster de 1931, le gouvernement fédéral et les assemblées législatives ont tenté de s’entendre sur une procédure de modification afin d’assurer l’indépendance constitutionnelle complète du Canada par rapport au Parlement de Westminster. À la suite de l’échec de la conférence fédérale-provinciale de 1927, qui visait à régler cette question, la solution a consisté à préserver la suprématie de la

souverains que le Parlement de Westminster. À ce sujet, voir notamment : Woehrling et Morin, préc., note 119, p. 226 et 227 ; Hodge v. The Queen, [1883] 9 A.C. 117, p. 132 ; Attorney-General for Canada v. Cain, [1906] A.C. 542, p. 547 ; Croft v. Dunphy, [1933] A.C. 156, p. 163 et 164 et British Coal Corporation and others v. The King, [1935] A.C. 500, p. 523. Précisons également qu’au moment du rapatriement les tribunaux britanniques ont également reconnu l’indépendance des couronnes britanniques et canadiennes dans les jugements R. c. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, ex parte Indian Association of Alberta, [1982] All E.R. 118 ; [1982] 1 Q.B. 892, permission d’appeler refusée [1982] 1 Q.B. 937 ainsi que Manuel c. A.-G. England, [1982] 3 All E.R. 822 ; [1982] 3 C.N.L.R. 13 ; [1982] 3 W.L.R. 821. 126 À propos de la participation des provinces aux modifications constitutionnelles en regard du Statut de Westminster, voir notamment : Brouillet, préc., note 121, p. 161 et 162. 127 Woehrling et Morin, préc., note 119, p. 397. À ce propos, Louis Sormany, « L’article 4 du Statut de Westminster et l’indépendance du Canada », (1979), 20, 1-2, C. de D., p. 54-59 énonce notamment que l’adoption d’une loi en contravention de l’article 4 ne serait pas nécessairement invalide, et ce, car le Parlement de Westminster n’a pas le pouvoir de se lier pour l’avenir. En effet, dans l’arrêt British Coal Corporation and others v. The King, préc., note 125, p. 520, Lord Sankey indique, au nom du Comité judiciaire du Conseil privé, « It is doubtless true that the power of the Imperial Parliament to pass on its own initiative any legislation that it though fit extending to Canada remains in theory unimpaired : indeed, the Imperial Parliament could, as a matter of abstract law, repeal or disregard section 4 of the Statute. But that is theory and has no relation to realities ». D'ailleurs, Woehrling et Morin, préc., note 119, p. 413, mentionnent qu'après l'adoption du Statut de Westminster de 1931, le Parlement britannique adopta unilatéralement une loi, sans caractère significatif, intitulée Loi de 1950 sur la révision du droit statutaire, 14 Geo. VI, ch. 6 (R.-U.) pour faire disparaître des lois en vigueur les dispositions périmées ou devenues désuètes mais non abrogées. Toutefois, Fournier, Taillon, Motard et Binette, préc., note 119 montrent que toutes les demandes canadiennes de modifications de sa constitution depuis 1931 ont été respectées par le Parlement de Westminster depuis 1931. De même, dans le Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 855- 856 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer), il est énoncé, en prenant appui sur les écrits de Peter W. Hogg, que si cette convention était violée, il faudrait, par décision judiciaire, intégrer cette convention à la common law de manière à la transformer en règle de droit. Il est à noter que nous aborderons également cette question dans la partie 2 du chapitre III.

42 Constitution canadienne en tant que loi impériale et, par conséquent, à maintenir le rôle traditionnel du Parlement du Royaume-Uni à titre de « fiduciaire constitutionnel ». Pour appliquer cette solution, le gouvernement fédéral avec l’accord unanime des provinces, proposa l’insertion d’une « clause Canada » dans le Statut de Westminster qui permettrait de maintenir le statu quo ante en ce qui concerne la modification de la Constitution canadienne. Cette clause, qui devint l’article 7 du Statut, énonce que l’article 2 de cette loi ne s’applique pas à l’abrogation ou à la modification des Actes de l’Amérique du Nord britannique édictés avant 1930. En outre, cet article restreint le Parlement fédéral et les législatures provinciales à l’édiction de lois dont l’objet relève de leurs compétences respectives. De l’avis de José Woehrling et Jacques-Yvan Morin, cette disposition pourrait laisser croire que les modifications postérieures à 1930 étaient également protégées par le principe de la suprématie des lois impériales dans la mesure où elles influaient sur la répartition des pouvoirs législatifs128.

À la suite de l’adoption du Statut de Westminster de 1931, les Actes de l’Amérique du Nord britannique restent donc les seuls que l’on ne peut modifier au Canada (à l’exception de ceux qui le permettent)129. L’adoption en 1949 de l’Acte de l’Amérique du nord britannique (no 2) élimine une partie de cette restriction sans toutefois régler la question des modifications constitutionnelles touchant les deux ordres de gouvernements 130 . Aucune autre loi constitutionnelle ne sera adoptée avant le rapatriement afin de préciser la procédure de modification des pouvoirs législatifs lorsque le gouvernement fédéral et les législatures provinciales sont concernés.

En réponse à l’absence de formules de modification dans les textes constitutionnels canadiens, une procédure s’est imposée en pratique de manière plus claire à partir des années 1930. Il en est d’ailleurs question dans le Renvoi de 1981 : […] L’histoire ne peut modifier le fait qu’en droit, il y a une loi britannique [l’Acte de l’Amérique du Nord britannique] à interpréter et à appliquer relativement à un sujet absolument fondamental mais que la loi ne régit pas. On a évidemment vu se développer des pratiques qui tenaient compte de

128 Woehrling et Morin, préc., note 119, p. 398, note 895. 129 Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 75-76. 130 Acte de l’Amérique du nord britannique (no 2), préc., note 119.

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l’indépendance canadienne. Elles avaient à la fois des aspects intracanadiens et extra-canadiens par rapport au pouvoir législatif britannique […]131. Ainsi que nous pourrons le constater au cours de cette étude, celle-ci exigeait l’assentiment préalable des provinces concernées avant que le fédéral ne s’adresse au Parlement de Westminster pour modifier ou rapatrier la Constitution canadienne.

Au moment du Renvoi de 1981, cette procédure est toujours en vigueur puisque le fédéral n’a jamais modifié unilatéralement les règles relatives au partage des pouvoirs législatifs prévues dans la Loi constitutionnelle de 1867 sans l’accord des provinces visées132. Le projet de modification et de rapatriement unilatéral de la Constitution par le gouvernement fédéral présenté à la Chambre des communes en octobre 1980 constitue donc une première133. En effet, celui-ci vise à introduire une charte des droits et libertés et un ensemble de formules de modification constitutionnelle dans la Constitution, ce qui réduirait les pouvoirs législatifs du Parlement fédéral et des assemblées législatives provinciales134.

Les cours de justice devant lesquelles sont entendus les renvois doivent donc décider de la validité d’un aspect constitutionnel sans pouvoir s’appuyer sur une règle de droit écrit ou sur un jugement en droit interne. De plus, elles ne peuvent pas davantage s’inspirer de jugements qui auraient été rendus au Royaume-Uni dans des situations similaires puisqu’il s’agit d’un État unitaire135.

La situation n’est cependant pas aussi complexe qu’elle le paraît à première vue. En vertu de la Constitution du Royaume-Uni analysée précédemment, la coutume, en tant que source de droit de cet État, est une norme juridique reconnue et appliquée dans le

131 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 802 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer). 132 Renvoi de 1981, Ibid., p. 893. (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer) ; Peter C. Oliver, The Constitution of Independence : The Development of Constitutional Theory in Australia, Canada, and New Zealand, Cambridge, Oxford University Press, 2005, p. 165. 133 Nous aborderons cette question au cours de la prochaine partie. 134 Procureur général du Québec, Factum de l'appelant / intimé le Procureur général du Québec, Ottawa, s. n., 1981, p. 4-16. À ce propos, voir également l’introduction ainsi que la partie 2.3.10. du chapitre II de la présente étude. 135 Hogg, préc., note 35, p. 22.

44 contexte constitutionnel canadien136. Elle aurait pu permettre aux tribunaux d’énoncer le droit en prenant appui sur la pratique mise en place, et ce, malgré l’absence de règles écrites et de jugements des tribunaux portant sur la procédure de modification constitutionnelle lorsque les deux ordres de gouvernements étaient concernés.

1.2. La procédure de modification constitutionnelle adoptée en pratique

D’abord, mentionnons que le Livre blanc intitulé Modification de la Constitution au Canada, publié en 1965 par Guy Favreau, ministre de la Justice de l’époque, recense l’historique des lois édictées jusqu’alors par le Parlement de Westminster pour modifier la Constitution du Canada. Ce livre constitue, de l’avis de la Cour suprême, « l’exposé officiel d’une politique gouvernementale, sous l’autorité du ministre fédéral de la Justice en tant que membre d’un gouvernement responsable devant le Parlement137 ». Il s’agit donc d’une source de premier ordre pour établir l’historique des actes de procédure de modification constitutionnelle canadiens jusqu’à 1965. Aux pages 10 et 11 de cet ouvrage, il est possible d’y apprendre ceci : [Un] certain nombre de règles et de principes, inspirés des méthodes et des moyens grâce auxquels diverses modifications à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique ont pu être obtenues depuis 1867, se sont dégagés au cours des années. Bien que n’ayant strictement aucun caractère obligatoire sur le plan constitutionnel, ils ont fini par être reconnus et acceptés dans la pratique comme des éléments de la procédure de modification au Canada138.

Cet enseignement mérite une assertion. L’absence de l’obligation sur le plan constitutionnel dont il est fait mention ne se trouve justifiée que si l’on aborde la question du point de vue du droit positif écrit. En effet, aucune règle écrite n’affirme le caractère obligatoire des procédés suivis pour apporter des modifications à l’Acte de l’Amérique du nord britannique de 1867 puisque la Constitution canadienne ne contient pas de procédure générale de modification constitutionnelle. En outre, le Statut de Westminster de 1931 n’établit pas le niveau d’assentiment provincial requis avant que le Parlement

136 Favreau, préc., note 124, p. 1 et 2 ; Duplé, préc., note 13, p. 63. 137 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 900 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer). 138 Favreau, préc., note 124, p. 11 (l’italique est de nous).

45 fédéral demande et consente à l’adoption d’une modification constitutionnelle par le Parlement de Westminster. Cette question est cependant abordée différemment d’un point de vue coutumier. Des auteurs tels que Kelsen et Hood indiquent clairement que le caractère obligatoire provient des comportements adoptés par la très grande majorité des individus visés. Le respect de manière générale de la coutume crée l’obligation. Ils spécifient également que la preuve de la pratique fait présumer son caractère obligatoire139. En l’espèce, le Livre blanc mentionne que les méthodes et les moyens employés ont été reconnus et acceptés dans la pratique. Il s’agit d’une admission de faits, ce qui constitue davantage qu’une présomption.

Dans le même ordre d’idées, le Livre blanc dégage quatre principes généraux, inhérents aux actes de procédure de modification mis en œuvre jusqu’en 1965, qui permettent d’établir leur caractère obligatoire. Le quatrième principe est certainement le plus important aux fins de cet exercice. À ce propos, le Livre énonce ce qui suit : [Le] Parlement du Canada ne procède pas à une modification de la Constitution intéressant directement les rapports fédératifs sans avoir au préalable consulté les provinces et obtenu leur assentiment. Ce principe ne s’est pas concrétisé aussi tôt que les autres, mais, à partir de 1907 et en particulier depuis 1930, il a été de plus en plus affirmé et accepté. Il n’a pas été facile, cependant, de préciser la nature et l’étendue de la participation provinciale à la procédure de modification140.

À la lumière de ces propos, comment ne pas y voir une obligation constitutionnelle pour le fédéral et les provinces ? Les juges majoritaires de la Cour suprême répondent d’ailleurs à cette question lorsqu’ils affirment à propos de ce principe « [qu’] il ne s’agit pas d’une déclaration faite de manière casuelle. On la trouve dans un document soigneusement rédigé dont toutes les provinces ont pris connaissance avant sa publication et qu’elles ont trouvé satisfaisant. […] Par cette déclaration, tous les acteurs dans les précédents reconnaissent que l’exigence d’un consentement est une règle constitutionnelle141 ».

139 Supra, chapitre I, partie 2.2. 140 Favreau, préc., note 124, p. 16. 141 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 900 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer) (l’italique est de nous).

46 Cette citation montre que les juges majoritaires de la Cour suprême considèrent que le consentement est obligatoire. Cela s’avère d’autant plus important que les propos de ces juges ont une autorité nettement plus importante que l’interprétation du ministre Favreau en droit canadien 142 . Pour ce qui est de la nature et de l’étendue de la participation à la procédure de modification dont il est question dans le quatrième principe, les motifs des juges majoritaires dans le Renvoi de 1981, traités dans la prochaine partie, permettront de préciser que l’accord unanime des provinces a été obtenu en pratique et que tous les acteurs se sont crus liés par une règle lorsque des modifications étaient apportées aux pouvoirs législatifs fédéraux et provinciaux143.

Après 1965, on a tenté vainement d’en venir à un consensus sur la procédure de modification lors des conférences fédérales-provinciales tenues en 1971 à Victoria, ainsi que lors des conférences tenues en 1978, en 1979 et en 1980144. Faute d’accord unanime, les discussions ont achoppé, ce qui montre dans les faits que, même à la veille du rapatriement, l’accord de toutes les parties était obligatoire pour qu’il puisse se réaliser.

La procédure de modification de la Constitution canadienne adoptée en pratique de 1867 à 1982 permet déjà de pressentir l’existence d’une règle coutumière. D’ailleurs, dans le Renvoi de 1982, les juges de la Cour suprême reconnaissent qu’une règle existe avant le rapatriement tant au point de vue juridique que conventionnel145. Toutefois, il est impératif, à cette étape, de s’attarder à la reconnaissance de la coutume en droit canadien avant le rapatriement par la doctrine et par la jurisprudence. Il sera ainsi permis de se demander s’il aurait été possible d’obtenir la reconnaissance par une cour de justice de la

142 Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 26, affirment «[qu’]il arrive fréquemment qu’une cour de justice soit appelée à interpréter et appliquer cette source suprême qu’est la Constitution. La décision judiciaire a alors la même autorité que la Constitution ». 143 Infra, chapitre II, parties 2.2 et 2.3. 144 À ce sujet, voir Gérald A. Beaudoin, préc., note 119, p. 321-326. Pour la liste des réunions et conférences constitutionnelles fédérales-provinciales, voir : Parlement du Canada, Conférences constitutionnelles, [http://www.parl.gc.ca/parlinfo/compilations/constitution/ConstitutionalConferences. aspx?Language=F], [En ligne], (20 novembre 2014). 145 Dans le Renvoi de 1982, préc., note 7, p. 806, les juges de la Cour suprême indiquent ceci : « [La Loi constitutionnelle de 1982] prévoit une nouvelle procédure de modification de la Constitution du Canada qui remplace complètement l’ancienne tant au point de vue juridique que conventionnel » (l’italique est de nous).

47 coutume nécessitant l’accord préalable de toutes les provinces pour modifier et rapatrier la Constitution.

2. La reconnaissance de la coutume en droit canadien et son application en regard du rapatriement constitutionnel de 1982

Pour établir la possibilité de plaider la coutume en droit constitutionnel canadien, il importe de la distinguer par rapport à la convention constitutionnelle invoquée dans le Renvoi de 1981. Par la suite, il sera possible de s’attarder à l’application de la coutume portant sur la procédure de modification constitutionnelle établie de 1867 à 1982 en regard du rapatriement constitutionnel.

2.1. La distinction entre la convention et la coutume constitutionnelle

D’emblée, une question se pose. Est-ce que la coutume constitutionnelle aurait pu être considérée relativement au rapatriement et à la procédure de modification constitutionnelle ou ne serait-ce que la convention constitutionnelle qui pouvait être appliquée comme le montrent les questions formulées dans le Renvoi de 1981 et le Renvoi de 1982 ? Pour répondre à cette question, il faut établir la distinction entre la convention et la coutume constitutionnelle. Celle-ci permettra d’établir leurs caractéristiques propres ainsi que leurs champs d’application en matière constitutionnelle.

2.1.1. L’application de la convention constitutionnelle

D’emblée, les juges majoritaires de la Cour suprême énoncent dans le Renvoi de 1981 que « l’objet principal des conventions constitutionnelles est d’assurer que le cadre juridique de la Constitution fonctionnera selon les valeurs constitutionnelles dominantes de l’époque146 ». Elles sont donc dynamiques et peuvent varier en fonction du contexte propre à ces valeurs. Pour cette raison, il est difficile de définir avec précision leurs

146 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 880 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer).

48 champs d’application, ce qui rend d’autant plus difficile la détermination de leurs contours. Selon Duplé, les plus connues d’entre elles portent sur le fonctionnement des parlements canadiens et sur les rapports entre les représentants de la Reine et le premier ministre en tant que chef réel du gouvernement. Les rapports entre le gouvernement et les chambres législatives, tels que ceux portant sur la responsabilité ministérielle des membres du gouvernement devant les élus de la collectivité, sont également visés par les conventions147.

De manière concrète, les conventions transforment ou rendent inopérantes les règles de droit constitutionnelles qu’elles postulent sans toutefois les abroger. À titre d’exemple, mentionnons l’acceptation de la légitimité de l’opposition par les gouvernements successifs et la concession à l’avance de son droit de prendre le pouvoir si elle remporte les élections 148 . Les conventions permettent également de transférer l’exercice du pouvoir détenu par le titulaire légal vers une autre institution. Elles peuvent même limiter ou rendre inopérant l’exercice de ce pouvoir149. Pour illustrer ce propos, mentionnons que la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit que le pouvoir exécutif fédéral est détenu par la Reine ou par son représentant au Canada, soit le gouverneur général. Toutefois, en vertu d’une convention reposant sur le principe du gouvernement représentatif, ce pouvoir est exercé par le premier ministre, et ce, même si aucune disposition constitutionnelle ne prévoit l’existence de cette fonction150.

Les sanctions en cas de violation d’une convention constitutionnelle sont de nature politique, car il ne s’agit pas, à proprement parler, de règles de droit constitutionnelles151.

147 Duplé, préc., note 13, p. 63-64. 148 À ce propos, il est précisé dans le Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 882 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer) que la violation de cette convention fondamentale pourrait être si sérieuse qu’elle équivaudrait à un coup d’État. 149 Renvoi de 1981, Ibid., p. 855. 150 À propos de la dévolution du pouvoir exécutif à la Reine ou au gouverneur général, voir la Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 8, art 9 et 10. L’article 11 de cette loi énonce, pour sa part, que le Conseil privé de la Reine pour le Canada sera composé de membres choisis par le gouverneur général. Son rôle consiste à « aider et aviser » dans l’administration du gouvernement du Canada. 151 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 774 et suiv. (Partie I sur l’aspect juridique - motifs du juge en chef Laskin et des juges Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer) ainsi que la p. 882 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer) ; Duplé,

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En ce sens, un tribunal ne pourrait pas intervenir pour invalider un acte qui contrevient à une convention puisqu’il n’applique que les sources de droit portant sur le cadre juridique de la Constitution152. Une sanction peut toutefois émaner du Parlement ou des assemblées législatives car ces institutions ont le pouvoir d’assurer le respect et la légitimité des conventions constitutionnelles153. À titre d’exemple, un vote de non-confiance à l’endroit du gouvernement par le Parlement ou par une assemblée législative pourrait éventuellement le forcer à démissionner. D’autres sanctions pourraient également être appliquées. En effet, le gouverneur général ou le lieutenant-gouverneur pourrait limoger le gouvernement et demander à l’opposition d’exercer ses fonctions ou encore dissoudre le Parlement ou les assemblées législatives154. Enfin, nous devons mentionner que même en l’absence de sanctions les acteurs politiques respectent les conventions afin d’éviter de s’aliéner l’opinion publique155.

Pour Dicey, le manquement à une règle conventionnelle entraîne ultimement la violation de la loi constitutionnelle. Selon lui, puisque les tribunaux appliquent le droit constitutionnel, elles reconnaissent indirectement les conventions. De manière concrète, il énonce que le non-respect d’une convention pourrait empêcher le vote de lois annuelles, ce qui créerait des situations d’illégalité pour certaines institutions qui dépendent de l’adoption de ces lois. De même, le fonctionnement de l’appareil administratif pourrait être perturbé ou même paralysé156.

préc., note 31, p. 623 ; Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 41-50; Foley, préc., note 36, p. 94- 95 ; Duplé, préc., note 13, p. 63-73. 152 Duplé, Ibid., p. 71. 153 Choudhry et Howse, préc., note 17, par. 51. De même, le Parlement canadien et les assemblées législatives provinciales ont le pouvoir de réprimer les outrages commis à l’intérieur de ses murs. À ce sujet, voir notamment : Michel Bonsaint (dir.), La procédure parlementaire du Québec, 3e édition, Québec, Direction générale des affaires législatives et parlementaires de l’Assemblée nationale, 2012, p. 101-103, [En ligne], [file:///C:/Users/franc_000/Downloads/procedure_parlementaire.pdf] (3 avril 2015) ; À propos des fondements historiques et constitutionnels du privilège parlementaire au Canada, voir notamment : Marc-André Roy, « Le Parlement, les tribunaux et la Charte canadienne des droits et libertés : vers un modèle de privilège parlementaire adapté au XXIe siècle », (2014), 55, 2, C. de D., 489. 154 Duplé, préc., note 13, p. 71 et Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 8, art. 50 et 84. 155 Duplé, Ibid., p. 65. 156 A.V. Dicey, Introduction to the Study of the Law of the Constitution, 10e éd., Londres, Macmillan, 1959, Ch. XV « The Sanction by which the Conventions of the Constitution are Enforced », p. 439-474.

50 La position de Dicey a toutefois été critiquée. À titre d’exemple, Jennings affirme d’abord que le manquement à certaines conventions n’entraîne pas nécessairement l’inobservation d’une loi constitutionnelle. De ce fait, il affirme que le recours aux tribunaux pour faire respecter les conventions ne peut être que très limité. Pour lui, ce sont davantage les juristes consultés par les gouvernements qui leur indiquent s’ils violent une règle de droit ou un usage constitutionnel. De plus, il nuance les répercussions du non-respect d’une convention sur l’appareil administratif étatique. En effet, plusieurs de ces institutions peuvent fonctionner sans avoir recours à l’adoption de lois annuelles. Enfin, il affirme que le souci d’éviter les difficultés politiques est la principale raison qui incite les acteurs politiques à respecter les conventions constitutionnelles. À titre d’exemple, il mentionne qu’un manquement à ces règles pourrait amener le gouvernement à expliquer ses agissements devant les questions de l’opposition157.

Les écrits de Jennings ont d’ailleurs été utilisés par les juges majoritaires dans le Renvoi de 1981 pour répondre aux questions portant sur la nécessité d’obtenir l’accord des provinces pour modifier et rapatrier la Constitution en vertu d’une convention constitutionnelle. En effet, ils énoncent trois critères tirés de l’ouvrage The Law and the Constitution de 1959 158 pour qu’une convention soit reconnue, soit : l’existence de précédents, le fait que les acteurs dans les précédents se croyaient liés par une règle et le fait que la règle a une raison d’être159.

Parmi ces critères, le deuxième est appliqué de manière formaliste. De fait, les juges majoritaires exigent que les tous les acteurs concernés par les précédents aient exprimé de manière formelle qu’ils considèrent la règle obligatoire160. La reconnaissance ne peut donc s’exprimer de manière tacite. Cette exigence n’est toutefois pas présente

157 Jennings, préc., note 88, p. 127-136. À ce sujet, voir égalment : Geoffrey Marshall, Constitutional Conventions : The Rules and Forms of Political Accountability, Oxford, Oxford University Press, 1984, p. 5- 10. 158 Jennings, Idem. 159 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 888 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer). 160 Ibid., p. 901.

51 dans les écrits de Jennings161. En effet, il reconnaît que la preuve de la convention est difficile à établir puisque l’ensemble des informations sur les précédents n’est pas toujours disponible162. Plus encore, il mentionne, dans le même ouvrage qu’utilisent les juges majoritaires dans le Renvoi de 1981, que la convention repose sur le consentement général – et non unanime – des acteurs visés. Il s’exprime en ces termes : « [t]he conventions are like most fundamental rules of any constitution in that they rest essentially upon general acquiescence 163 ». Les juges majoritaires ne font donc pas qu’appliquer ce critère de manière formaliste. Ils y ajoutent des exigences non prévues par Jennings, ce qui le rend plus difficile, voire impossible, à remplir.

2.1.2. L’application de la coutume constitutionnelle

D’emblée, tout comme en droit international et en common law, la coutume est une règle de droit constitutionnelle au Canada. Le Livre blanc énonce d’ailleurs que « […] la Constitution canadienne réside pour une part dans des textes écrits et pour une autre part dans des usages ou coutumes164 ». Cette affirmation montre que la coutume complète le droit positif écrit sans le contredire. Pour cette raison, elle est susceptible d’être sanctionnée par les tribunaux si elle respecte certains critères énoncés par la jurisprudence et la doctrine165.

Pour être applicable, la coutume doit d’abord être née de la répétition continue d’un acte public et paisible (précédent positif) ou de l’abstention de commettre un acte (précédent négatif) durant un certain temps, sans qu’il n’y ait de protestation à l’endroit

161 Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 44. À ce sujet, Yves DeMontigny, préc., note 31, exprime de sérieuses critiques à l’égard de l’interprétation des critères énoncés par Ivor Jennings que font les juges majoritaires de la Cour suprême dans la partie II du Renvoi de 1981 portant sur la convention constitutionnelle. Il souligne notamment, à la p. 1148 de son article, que Jennings n’indique à aucun moment dans ses ouvrages que la règle doit être formulée expressément. Pour les autres ouvrages de Jennings, voir notamment : Cabinet Government, Cambridge, Cambridge University Press, 1959. 162 Jennings, Cabinet Government, Ibid., p. 10-13. 163 Jennings, préc., note 88, p. 117 (les italiques sont de nous). 164 Favreau, préc., note 124, p. 1. 165 À ce sujet, voir : infra, chapitre II, partie 2.1.

52 de cet acte ou de cette abstention166. Certains arrêts, traités ultérieurement dans la même partie, ont précisé le temps requis pour la formation d’une coutume.

À propos de la répétition d’un précédent positif ou négatif, Brun, Tremblay et Brouillet précisent qu’il s’agit d’une façon habituelle de faire 167 . Le qualificatif « habituelle » montre que la manière de faire n’a pas à être toujours exécutée de manière identique. Ces trois auteurs précisent également que la coutume est une façon de faire communément acceptée 168 . Le dictionnaire Larousse définit ce mot en ces termes : « suivant l’usage commun ; couramment, habituellement, généralement 169 ». Ainsi, comme nous l’avons précisé pour l’application de la coutume en droit international et en common law, l’acceptation n’a pas à être unanime en toutes circonstances pour que la coutume puisse être sanctionnée par les tribunaux en droit canadien.

La coutume doit également être raisonnable, ce qui signifie qu’elle ne doit pas répugner aux principes généraux du droit positif. En ce sens, elle ne pas doit entrer en conflit avec un principe fondamental de la common law. Qui plus est, le caractère raisonnable doit s’évaluer de manière contemporaine par rapport à la pratique sur laquelle s’établit la coutume170. À titre d’exemple, Brun, Tremblay et Brouillet indiquent qu’une coutume qui permettrait aux députés de tout faire serait juridiquement déraisonnable171.

Certaines autres qualités doivent être présentes, selon ces auteurs, pour que la coutume puisse être reconnue en droit canadien. Ainsi, la coutume doit créer une obligation claire, prouvable et démontrable 172 . Cette obligation doit être certaine et

166 Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 38. Pour les critères de la coutume, voir également : André Tremblay, préc., note 93, p. 18. 167 Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 38. 168 Ibid., p. 39. (l’italique est de nous). 169 Cette définition est tirée du dictionnaire de français Larousse, Paris, Éditions Larousse, [En ligne] [http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/communément] (30 août 2012). 170 Andrea C. Loux, « The persistence of the Ancien Regime : Custom, Utility and the Common Law in Nineteenth-Century », (1993), 79 Cornell Law Review, p. 195. 171 Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 39. 172 Sur le caractère obligatoire de la coutume, voir supra, chapitre I, partie 2.2.

53 cohérente. Elle ne doit donc pas changer au gré des circonstances ni être susceptible d’être interprétée différemment ou avec des écarts importants173.

Enfin, l’importance de la coutume dans tout système juridique doit être admise, car elle permet de rendre moins artificielle, à certains égards, la règle de droit volontaire. En ce sens, l’enracinement social du droit coutumier entraîne un haut degré d’adaptation du droit aux faits174. Par conséquent, elle s’apprécie nécessairement au regard de ceux-ci. En droit canadien, tout comme en droit international et en common law, l’existence d’une coutume doit donc être évaluée en fonction de son aspect matériel qui constitue sa dimension observable, démontrable et prouvable. Les quelques décisions de tribunaux canadiens répertoriées avant 1982 qui abordent la coutume confirment d’ailleurs ce postulat.

Au niveau jurisprudentiel, peu de jugements explicitent les critères pertinents à prendre en considération pour appliquer la coutume en droit canadien avant 1982. L’analyse de certains d’entre eux permet toutefois de dégager quelques constats. Ainsi, dans l’arrêt Ouimet c. Bazin de 1912, une coutume implantée dans la province de Québec depuis des temps immémoriaux est évoquée 175 . Cependant, il n’est cependant pas nécessaire d’établir le caractère séculaire d’une coutume en droit canadien. En effet, les tribunaux ont reconnu l’existence de coutumes qui s’étalent sur une période plus courte. À titre d’exemple, dans l’affaire The King c. Cliche de 1935, portant sur la possibilité d’intenter une action en responsabilité civile contre la Couronne en droit civil québécois, la Cour suprême édicte qu’elle croit « devoir suivre la coutume acceptée depuis un grand nombre d’années dans la province de Québec et interpréter cet article 1011 C.P.C. comme créant un droit d’action contre la Couronne dans les cas de délits et de quasi- délits, en suivant les formalités de la pétition de droit176 ». De manière plus précise, un passage précédent de cet arrêt souligne que la Couronne n’a pas mis en doute sa responsabilité dans cette affaire, conformément à la pratique depuis l’adoption de la loi

173 Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 40. 174 Ibid., p. 41. 175 Ouimet c. Bazin, [1912], R.C.S. 502, p. 533. 176 The King c. Cliche, [1935], R.C.S. 561, p. 565 (les italiques sont de nous).

54 The Quebec Petition of Right Act de 1883177 portant sur les recours contre la Couronne en matière de responsabilité civile178. Ce « grand nombre d’années », de l’avis de la Cour suprême, ne peut donc être supérieur à 52 ans, car la pratique s’est instaurée après l’adoption de la loi de 1883, tandis que le jugement a été rendu en 1935. Qui plus est, il s’agit d’un arrêt de la Cour suprême. Un certain nombre d’années doit donc s’être écoulé depuis les poursuites intentées devant les cours inférieures, ce qui réduirait d’autant plus le nombre d’années nécessaires pour établir la coutume.

Cet arrêt montre, tel qu’il a été énoncé précédemment, que seul le contexte législatif canadien est pris en considération lorsqu’il s’agit de préciser le nombre d’années nécessaires à la reconnaissance d’une coutume. En effet, aucune référence à l’existence d’une pratique en vigueur depuis 1189 n’est mentionnée comme ce qui est parfois observé en Angleterre avant le XIXe siècle. De plus, la Cour suprême ne se fonde que sur l’aspect matériel de la coutume pour présumer l’acceptation et ainsi affirmer son caractère obligatoire, ce qui est conforme à ce qui a été observé en droit international et en common law. Un dernier constat s’impose au regard de cet arrêt. Plusieurs critères élaborés par les auteurs doctrinaux précédemment cités ne sont pas, à première vue, analysés par la Cour suprême pour établir l’existence de la coutume, ce qui laisse présager que les deux critères principaux sont l’acceptation fondée sur la pratique et le temps nécessaire à sa formation. Qu’en est-il des autres critères ? Seraient-ils secondaires ?

Avant 1982, le droit coutumier a également été utilisé par les tribunaux canadiens à titre de source de droit pour reconnaître les coutumes autochtones en matière d’adoption et de mariage179. La preuve de l’existence d’une coutume y est établie par le témoignage ex parte d’un individu d’un certain âge ou d’un certain statut au sein de la communauté. Les parties ou une seule d’entre elles peuvent également témoigner de l’existence de la

177 The Quebec Petition of Right Act, 46 Vict. c. 27 (1883). 178 The King c. Cliche, préc., note 176, p. 564. 179 Norman K. Zlotkin, « Judicial Recognition of Aboriginal Customary Law in Canada : Selected Marriage and Adoption Cases », (1984) 4 C.N.L.R. 1.

55 coutume. À titre d’exemple, dans l’affaire R. v. Nan-E-Quis-A-Ka180 de 1883, la seule preuve d’un mariage selon les coutumes amérindiennes présentée au tribunal était celle de la mariée. Néanmoins, cela a été suffisant pour que celui-ci affirme la validité du mariage. Norman K. Zlotkin précise également que des témoins-experts n’ont pas été appelés pour témoigner dans les actions en justice qu’il a répertoriées181. En conséquence, puisque les témoignages ont porté sur des faits et non sur une opinion, force est d’admettre, encore une fois, qu’avant 1982 la preuve de la coutume s’est établie à partir des faits et de la pratique. Ce constat est d’autant plus pertinent que des différends relatifs aux adoptions et aux mariages amérindiens ont été entendus par les tribunaux de la plupart des provinces canadiennes entre la seconde moitié du XIXe siècle et le rapatriement de 1982.

Un arrêt de la Cour d’appel des Territoires du Nord-Ouest qui s’attarde à la coutume en droit des peuples autochtones mérite une attention particulière. En 1972, ce tribunal a indiqué, dans l’affaire Re Deborah, les critères qui doivent être rencontrés pour que le droit coutumier soit reconnu dans le cas d’une adoption amérindienne contestée par les parents naturels. Il y est spécifié ceci : Custom has always been recognized by the common law and while at an earlier date proof of the existence of a custom from time immemorial was required, Tindal, C.J., in Bastard v. Smith (1837), 2 M. & Rob. 129 at p. 136, 174 E.R. 238, points out that such evidence is no longer possible or necessary and that evidence extending" . . . as far back as living memory goes, of a continuous, peaceable, and uninterrupted user of the custom" is all that is now required182.

Cet extrait est intéressant à plus d’un titre. D’abord, il réaffirme l’existence de la coutume à titre de source de droit en common law ainsi que nous en avons traité précédemment 183 . Ensuite, il établit que la jurisprudence anglaise inhérente au droit coutumier peut être utilisée en droit canadien, ce qui cadre avec le préambule de la Loi

180 R. v. Nan-E-Quis-A-Ka, [1889] 1 Terr. L. R. 211. 181 Zlotkin, préc., note 179, p. 10. 182 Re Kitchooalik et al. and Tucktoo et al., [1972] N.W.T.J. no 23, 28 D.L.R. (3d) 483 (C.A. T.N.-O.), par. 19 (ci-après « Re Deborah ») (l’italique est de nous). À propos des critères permettant d’attester de l’existence d’une coutume énoncés dans l’arrêt Bastard c. Smith et autres, préc., note 99, p. 136, voir : supra, chapitre II, partie 2.1. 183 Supra, chapitre I, partie 2.2.

56 constitutionnelle de 1867. Enfin, il expose les critères dont les tribunaux canadiens tiennent compte lorsqu’ils avalisent l’existence d’une coutume. À ce propos, réaffirme que le critère portant sur l’aspect temporel ne repose plus sur la preuve d’une coutume existant depuis des temps immémoriaux. Celui-ci est désormais fixé à l’étendue de la mémoire humaine, ce qui est la suite logique de ce que nous venons d’exposer. Quant aux autres critères mentionnés, ils font référence à un usage de la coutume continu, paisible et ininterrompu, ce qui correspond à une partie des critères que les auteurs doctrinaux canadiens ont fait ressortir.

Un autre arrêt doit être mentionné brièvement, si ce n’est que pour signaler que la coutume a été invoquée relativement au statut de langue officielle du français au Québec. En effet, dans le jugement Association des Gens de l’Air du Québec inc. c. Lang portant sur la reconnaissance du français à titre de langue officielle dans le milieu de l’aviation commerciale, le droit coutumier a été plaidé de manière secondaire. Il y est admis que l’avocat des appelants a raison d’invoquer que la coutume a depuis longtemps fait du français une langue officielle du Québec 184 . Qu’est-il possible d’inférer de cette affirmation au-delà du fait que le statut de langue officielle du français a d’abord été acquis par voie coutumière, et ce, préalablement à son officialisation en droit positif écrit185 ? En effet, aucun critère d’application n’est révélé ni même utilisé par le juge pour expliquer cette affirmation, ce qui montre que les critères pour utiliser la coutume ne sont pas appliqués de manière très formelle.

Dans le Renvoi de 1981, les juges majoritaires distinguent la convention de la coutume constitutionnelle. Ils se contredisent toutefois sur la fonction de cette dernière source de droit dans certains passages. D’emblée, ils énoncent que la coutume est de nature politique aux côtés des usages et des conventions :

184 Association des Gens de l’Air du Québec inc. c. Lang, [1978] 2 C.F. 371, 375, par. 9 (C.A.F.). 185 Au niveau fédéral, la Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970, c. 0-2, a été adoptée en 1969 afin d’établir les langues anglaise et française en tant que langues officielles pour tout ce qui relève du Parlement du Canada. Cette loi est abrogée en 1988 lors de l’adoption de la nouvelle Loi sur les langues officielles. Au Québec, la Loi sur la langue officielle, L.Q., 1974, c. 6, aussi appelée « loi 22 », proclame le français en tant que langue officielle au Québec. Elle sera abrogée trois ans plus tard lors de l’adoption de la Charte de la langue française, RLRQ 1977, c. 11, communément appelée « loi 101 ».

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Cette constitution repose donc sur des lois et des règles de common law qui disent le droit et ont force de loi, et des coutumes, usages et conventions élaborés en sciences politiques qui, sans avoir force de loi en ce sens qu’il existe un mécanisme juridique d’application ou une sanction légale de leur violation, forment un élément vital de la Constitution sans lequel elle serait incomplète et incapable d’atteindre son but186.

Puis, les juges majoritaires affirment que la coutume est une règle de droit constitutionnelle, en s’appuyant sur les propos de Dicey que nous avons énoncés précédemment : [Traduction] Il existe un groupe de règles qui sont au sens le plus strict des « règles de droit » puisque ce sont des règles auxquelles (qu’elles soient écrites ou non, sous forme de lois ou dérivant d’une masse de coutume, de tradition ou de maximes judiciaires comme la common law) les tribunaux donnent effet; ces règles constituent « le droit constitutionnel » au sens propre de cette expression et, pour les distinguer, on peut les qualifier collectivement de « règles de la constitution ».

L’autre groupe de règles est formé des conventions, des arrangements, des habitudes ou pratiques qui, quoiqu’ils puissent régir la conduite des nombreux tenants du pouvoir souverain, du Gouvernement ou d’autres fonc- tionnaires, ne constituent aucunement en réalité des règles de droit puisque les tribunaux n’y donnent pas effet. Pour la distinguer, on peut qualifier cette partie du droit constitutionnel de « convention de la constitution » ou de moralité constitutionnelle187.

Un autre passage du Renvoi de 1981 marque cette distinction. La Cour suprême affirme, en se fondant sur l’opinion du juge en chef Freedman du Manitoba, ce qui suit : [Il] existe un consensus général qu’une convention se situe quelque part entre un usage ou une coutume d’une part et une loi constitutionnelle de l’autre. Il y a un consensus général que si l’on cherchait à fixer cette position avec plus de précision, on placerait la convention plus près de la loi que de l’usage ou de la coutume. Il existe également un consensus général qu’une convention est une règle que ceux à qui elle s’applique considèrent comme obligatoire188.

Bien que la Cour suprême applique une distinction entre la coutume et la convention dans cet extrait, celle-ci pose problème. En effet, la coutume y est dépeinte

186 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 853 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer). 187 Ibid, p. 854. 188 Ibid, p. 883.

58 comme n’étant pas une loi. Elle doit cependant être considérée comme une source de droit, ainsi que le précisent les juges majoritaires de la Cour lorsqu’ils citent Dicey à la page 854 du Renvoi de 1981. De surcroît, plusieurs auteurs et acteurs juridiques insistent sur le fait que la coutume constitue une source de droit en Angleterre depuis le Moyen Âge et, par le fait même, au Canada par le biais du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867189. D’ailleurs, nous avons constaté au cours de cette partie que la coutume est intégrée de jure par les tribunaux canadiens. Il s’agit donc d’une source de droit reconnue en droit canadien190.

La Cour suprême établit également une autre distinction entre la coutume et la convention constitutionnelle dans le Renvoi de 1981. Elle énonce que « [l]es conditions à remplir pour établir une convention ressemblent à celles qui s’appliquent au droit coutumier. Les précédents et l’usage sont nécessaires mais ne suffisent pas. Ils doivent être normatifs191 ». Ce passage est intéressant à plus d’un égard. En plus d’établir une distinction entre la coutume et la convention, il énonce que les critères pour établir leur reconnaissance respective, bien qu’ils soient semblables, ne sont pas les mêmes. Dans celui-ci, les juges majoritaires mentionnent que le droit coutumier repose sur les précédents et l’usage sans énumérer d’autres critères pertinents relativement à sa reconnaissance. À la lumière de cette déclaration, nous pouvons encore une fois constater que l’aspect matériel est le seul qui est considéré lorsqu’il s’agit de reconnaître cette règle de droit au Canada avant 1982.

Que retenir de l’utilisation de la coutume au Canada au moment des renvois relatifs au rapatriement de la Constitution de 1982 ? D’abord, les critères formulés par les auteurs de doctrine pour appliquer cette règle de droit susceptible de sanction par les tribunaux

189 Supra, chapitre I, partie 2.1. 190 À titre informatif, certains auteurs montrent que la coutume s’applique même dans le cas du droit civil québécois, pourtant codifié depuis 1866. À ce sujet, voir notamment : Matthieu Juneau, La notion de droit commun en droit civil québécois, Mémoire de maîtrise, Université Laval, 2009, p. 97-121 ; Roderick A. Macdonald, « Encoding Canadian Civil Law », dans L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme canadien : Recueil d’études, Ottawa, ministère de la Justice, 1997, p. 137- 212. 191 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 888 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer).

59 sont du même ordre que ceux qui ont été dégagés en droit international et en common law. Il est possible de mentionner certains critères factuels tels qu’une pratique continue, cohérente, paisible et publique durant une certaine période de temps plus ou moins longue de l’ordre de l’étendue de la mémoire humaine. Le caractère obligatoire, quant à lui, est présumé et doit être analysé à partir des faits. Ce constat est d’ailleurs confirmé par la jurisprudence canadienne, bien qu’elle soit peu formelle dans l’application des critères permettant d’utiliser la coutume. En aucun cas, la doctrine ou la jurisprudence canadienne consultée n’établit la nécessité de prouver de manière directe l’aspect psychologique pouvant constituer la coutume. D’ailleurs, la jurisprudence canadienne antérieure au rapatriement n’en fait aucunement mention.

2.2. L’application de la coutume en regard du rapatriement de 1982

Après avoir établi les distinctions entre la convention et la coutume constitutionnelle, nous devons déterminer s’il aurait été possible d’appliquer cette dernière source de droit à l’égard du rapatriement de 1982. Pour ce faire, nous devons d’abord montrer que la procédure pour modifier et rapatrier la Constitution antérieurement au rapatriement de 1982 doit être analysée du point de vue juridique. Par la suite, il sera possible de se prononcer sur l’existence d’une coutume constitutionnelle exigeant l’unanimité des provinces pour modifier et rapatrier la Constitution à la lumière des motifs énoncés dans le Renvoi de 1981.

2.2.1. L’aspect juridique de la modification et du rapatriement de la Constitution

Avant 1982, il était déjà reconnu par les acteurs politiques que la procédure de modification constitutionnelle constitue une partie importante du cadre juridique normalement intégré à la constitution d’un État. À ce sujet, le Livre blanc de 1965 énonce que « [l]a méthode prévue pour la modification de la constitution est généralement un aspect essentiel du droit qui régit un pays. Cela est particulièrement vrai dans un texte officiel, comme c’est le cas dans des États fédéraux tels l’Australie, les États-Unis et la Suisse. Dans ces pays, la formule de modification est une partie importante de l’acte

60 constitutif192 ». D’ailleurs, la volonté du gouvernement fédéral d’inclure une procédure générale de modification constitutionnelle écrite dans la Constitution est clairement une indication en ce sens 193 . Celle-ci fait d’ailleurs partie intégrante du processus de rapatriement de la Constitution, et ce, même avant 1982. Le ministre de la Justice du Canada Guy Favreau le reconnaît en ces mots à la Chambre des communes, en réponse à des questions portant sur la Conférence de Charlottetown de juillet 1964 : Comment arriverons-nous à faire du document connu sous l'appellation Acte de l'Amérique du Nord britannique, un document vraiment canadien, en pourvoyant à ce que les structures qu'il consacre puissent être modifiées exclusivement au Canada? Voilà certes la principale question d'ordre juridique qui nous intéresse comme législateurs194.

De ce fait, il est donc tout à fait cohérent que les questions soumises aux juges de la Cour suprême dans le Renvoi de 1981 abordent l’aspect juridique de la modification et du rapatriement constitutionnel. En répondant à ces questions, ces derniers reconnaissent à la fois qu’elles doivent être traitées du point de vue juridique et que le pouvoir judiciaire est habilité pour émettre des avis et juger des litiges qui les concernent195. D’ailleurs, les juges majoritaires admettent que certaines questions portant sur l’aspect juridique de la modification et du rapatriement de la Constitution « soulèvent des points justiciables des tribunaux et […] qu’il faut y répondre puisqu’elles contiennent des points de droit196 ».

La coutume constitutionnelle abordée dans cette étude n’a pourtant pas été traitée dans la partie du Renvoi de 1981 portant sur l’aspect juridique. De manière précise, les juges majoritaires y énoncent que la convention constitutionnelle ne peut se cristalliser en règle de droit. De plus, ils établissent que les deux chambres du Parlement fédéral ont le pouvoir d’adopter leurs propres procédures, ce qui comprend les résolutions. En outre, ils

192 Favreau, préc., note 124, p. 10-11. 193 Des règles codifiées de modification constitutionnelle ont été intégrées à la Constitution lors du rapatriement de 1982. À ce sujet, voir la Loi constitutionnelle de 1982, préc., note 4, art. 38 et suiv. 194 Débats de la Chambre des communes, 26e Législature, 2e Session, vol. 8, 30 septembre 1964, p. 8777 (l’italique est de nous). 195 Dans le Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 762 à 848, les juges majoritaires et minoritaires se prononcent sur l’aspect juridique du rapatriement constitutionnel en réponse aux questions 1 et 3 des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve, de la question 4 du renvoi de Terre-Neuve, de la question A du renvoi du Québec et de l’aspect juridique de la question B de ce renvoi. 196 Ibid., p. 768 (Partie I sur l’aspect juridique - motifs du juge en chef Laskin et des juges Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer).

61 mentionnent que le pouvoir du Parlement canadien n’a aucun effet sur les pouvoirs du Parlement de Westminster de donner suite aux résolutions197. Pour leur part, les juges minoritaires indiquent que la modification et le rapatriement constitutionnel sans l’accord unanime des provinces contreviennent aux pouvoirs qui leur sont conférés dans la Loi constitutionnelle de 1867 et qui sont reconnus dans le Statut de Westminster de 1931198.

De même, la présence de la coutume traitée dans le présent texte n’est pas abordée dans la partie du Renvoi de 1981 portant sur l’aspect conventionnel199. Pourtant, les juges majoritaires et minoritaires y abordent la question B du renvoi du Québec. Celle-ci contient la mention ou autrement parmi les sources de droit pouvant s’appliquer au rapatriement, ce qui ouvre théoriquement la porte à une discussion sur la coutume constitutionnelle200. Toutefois, l’argumentation présentée dans le factum du Québec ne concerne que la convention constitutionnelle, ce qui n’oblige pas la Cour suprême à se prononcer sur la question201. Quant aux questions posées par les autres provinces, elles ne contiennent aucune référence explicite à l’existence d’une coutume constitutionnelle202.

À la lumière de ce que nous venons d’exposer, nous constatons que la procédure de modification constitutionnelle antérieure au rapatriement doit être considérée du point de

197 Ibid., p. 762 à 848 (Partie I sur l’aspect juridique - motifs du juge en chef Laskin et des juges Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer). 198 Ibid., p. 847-848 (Partie I portant sur l’aspect juridique - opinion minoritaire des juges Martland et Ricthie). 199 À ce sujet, voir : Ibid., p. 849-910 (partie II portant sur l’aspect conventionnel). Les juges majoritaires et minoritaires traitent de la question 2 des renvois du Manitoba et de Terre-Neuve et de la question B du renvoi du Québec. 200 Ibid., p. 757. Cette question est formulée ainsi : «La constitution canadienne habilite-t-elle, soit par statut, convention ou autrement, le Sénat et la Chambre des communes du Canada à faire modifier la constitution sans l’assentiment des provinces et malgré l’objection de plusieurs d’entre elles […] canadienne? » 201 Procureur général du Québec, préc., note 134. 202 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 756 à 758. Un mémorandum rédigé le 30 août 1980 par le conseiller politique du premier ministre Trudeau, Michael Kirby, nous permet de connaître la position défendue par le gouvernement fédéral avant le Renvoi de 1981 sur la question du rapatriement constitutionnel. Dans ce document, il est mentionné que la validité du rapatriement ne pourrait être attaquée devant les tribunaux car le pouvoir de rapatrier la Constitution est détenu par le Parlement de Westminster qui doit agir à la demande du Parlement canadien. En droit interne canadien, ce mémorandum situe la question du rapatriement au niveau conventionnel. Il évoque quatre arguments principaux en vertu desquels une convention constitutionnelle s’appliquant au rapatriement ne peut être reconnue. Pour davantage d’informations à ce sujet, voir : Marianopolis College, Highlights of the Kirby Memorandum, [En ligne], [http://faculty.marianopolis.edu/c.belanger/quebechistory/docs/1982/17.htm] (28 novembre 2014).

62 vue juridique. La coutume abordée au cours de cette étude est donc une source de droit pertinente en regard du rapatriement, et ce, malgré qu’elle ne soit pas formellement analysée dans le Renvoi de 1981203. À ce propos, Owen Woods Phillips et Carleton Kemp Allen affirment que certaines questions constitutionnelles en Angleterre pourraient toujours être jugées selon des principes inhérents au droit coutumier dans certaines situations précises204. Les remarques de ces auteurs valent tout autant en droit canadien puisque le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 établit que la Constitution canadienne repose sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni205. D’ailleurs, la coutume est reconnue dans la Charte canadienne des droits et libertés206. En outre, la Cour suprême reconnaît dans le Renvoi de 1981 qu’il est possible que les usages émanant de la pratique puissent se cristalliser en règle de droit en matière constitutionnelle207. Elle cite le jugement du Comité judiciaire du Conseil privé dans l’Affaire des Conventions de travail de 1937, qui s’exprime comme suit à propos de l’obligation du gouverneur général en conseil du Canada de conclure un traité ou d’accepter une obligation internationale envers un État étranger : […] Tout d’abord, le droit constitutionnel est très largement formé d’usages constitutionnels établis auxquels les tribunaux reconnaissent la valeur d’une règle de droit. […] Le Dominion a pour pratique de conclure des conventions de cette nature avec des pays étrangers, et des conventions d’un

203 Pour ce faire, précisons que les critères matériels de la coutume sont abordés à la partie 2.1 du présent chapitre tandis que l’aspect psychologique est traité à la partie 2.3. 204 Supra, chapitre I, partie 2.2. 205 En 2014 et 2015, la coutume était toujours utilisée dans de nombreux jugements de tribunaux canadiens pour analyser divers aspects du droit constitutionnel. À titre illustratif, un dépouillement sélectif permet notamment de relever les jugements suivants : Huron-Wendat Nation of Wendake c. Canada, 2014 CF 1154 ; Band (Eeyouch) c. Napash, 2014 QCCQ 10367 ; Felix c. Sturgeon Lake First Nation, 2014 CF 911 ; Chef Gayle Strikes With a Gun c. Conseil de la Première Nation des Piikani, 2014 CF 908 ; Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani-Utenam) c. Compagnie minière IOC inc. (Iron Ore Company of Canada), 2014 QCCS 4403 ; Nation Tsilhqot’in c. Colombie-Britannique, 2014 CSC 44 ; Munyaneza c. R., 2014 QCCA 906 ; Canada (Affaires indiennes) c. Daniels, 2014 CAF 101 ; Boisclair c. Duchesneau, 2014 QCCS 767 ; R. c. Caron, 2014 ABCA 71 (appel rejeté dans Caron c. Alberta, 2015 CSC 56) ; École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12. De manière succincte, notons que les sujets abordés dans ces jugements sont les suivants : l’analyse de coutumes des peuples autochtones liées à des revendications fondées sur l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, le recours à la coutume internationale et à la Charte canadienne des droits et libertés afin de déterminer la validité de poursuites criminelles au Canada pour des allégations de crimes de guerre commis à l’étranger, l’analyse de la coutume pour traiter des origines de l’immunité parlementaire au Canada ainsi que l’examen de la coutume dans le cadre de revendications linguistiques et religieuses. 206 Charte canadienne des droits et libertés, préc., note 5, art. 22. 207 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 777 (Partie I sur l’aspect juridique - motifs du juge en chef Laskin ainsi que des juges Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer).

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type encore moins formel, simplement par un échange de notes. Les conventions conclues sous les auspices de l’Organisation du travail de la Ligue des Nations sont invariablement ratifiées par le gouvernement du Dominion en cause. En règle générale, la cristallisation de l’usage constitutionnel en une règle de droit constitutionnel à laquelle les tribunaux donneront effet, est un processus lent qui s’étend sur une longue période; mais la Grande guerre a accéléré le rythme dans ce domaine et apparemment les usages dont j’ai parlé, la pratique, en d’autres termes, en vertu de laquelle la Grande-Bretagne et les Dominions concluent des conventions avec des pays étrangers sous forme de conventions entre gouvernements et celles d’un type encore moins formel, doit être reconnue par les tribunaux comme ayant force de loi.208

Cette citation met déjà la table pour la prochaine partie. D’une part, les juges majoritaires indiquent que la cristallisation de l’usage constitutionnel en règle de droit est un processus qui s’est accéléré pendant la période visée par cette étude. D’autre part, la dernière phrase énonce sans ambiguïté que la pratique qui concerne les conventions entre gouvernements signées par la Grande-Bretagne et les dominions et celles d’un type encore moins formel doivent être reconnues comme ayant force de loi. Au moment du rapatriement, la Cour suprême connaît donc cette règle juridique. En effet, le Renvoi de 1981 cite un jugement du Comité judiciaire du Conseil privé de 1937 qui en fait l’analyse.

2.2.2. L’analyse des motifs du Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution de 1981 en regard du droit coutumier canadien

Afin de déterminer si l’accord unanime des provinces était nécessaire pour que le fédéral puisse modifier et rapatrier la Constitution lorsque leurs pouvoirs étaient touchés, il est impératif de s’attarder aux modifications de la Constitution canadienne réalisées de 1867 à 1982. Dans le Renvoi de 1981, les juges majoritaires de la Cour suprême les analysent de manière exhaustive afin de déterminer si la première condition relative à l’existence d’une convention constitutionnelle nécessitant l’accord des provinces pour

208Affaire des Conventions de travail, [1937] A.C. 326, p. 476-478 (citée dans le Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 777) (l’italique est de nous).

64 modifier la Constitution est remplie 209 . Cette analyse doit absolument être prise en considération dans le cas de la coutume constitutionnelle. En effet, tel que nous l’avons spécifié précédemment, la convention et la coutume reposent toutes deux sur l’existence de précédents. Ce sont les autres critères permettant de prouver leur existence respective énoncés par les juges majoritaires qui sont différents. Précisons, enfin, que l’exégèse du Renvoi de 1981 permettra de montrer que les motifs qu’ils ont rendus remplissent les critères énoncés par les auteurs de doctrine et par les tribunaux canadiens relativement à l’existence d’une coutume constitutionnelle.

Pour réaliser cet exercice, les juges majoritaires de la Cour suprême distinguent trois catégories de modifications constitutionnelles. La première regroupe des modifications qu’une législature provinciale peut faire seule en vertu du paragraphe 92(1) de la Loi constitutionnelle de 1867, la deuxième comprend celles que le Parlement du Canada peut réaliser sans l’intervention des provinces en vertu du paragraphe 91(1) de la même loi et la troisième vise toutes les autres modifications210. La Cour suprême précise par la suite, en prenant appui sur le Renvoi sur la compétence du Parlement relativement à la Chambre haute, qu’elle doit se limiter à l’examen des modifications de la troisième catégorie, car celles-ci ont « un effet direct sur les relations fédérales-provinciales en ce sens qu’elle[s] … modifie[nt] … les pouvoirs législatifs fédéral et provinciaux …211 ». La Cour suprême établit cette position en insistant sur le fait que la charte des droits que l’on voudrait intégrer à la Constitution restreint les pouvoirs législatifs du Parlement fédéral et des législatures provinciales. De plus, la formule de modification, qui y serait également intégrée, permettrait la modification de la Constitution, y compris la répartition des pouvoirs législatifs. Elle mentionne, enfin, pour justifier sa position que les projets de modification inhérents au rapatriement « ont le plus direct des effets sur les relations fédérales-provinciales en modifiant les pouvoirs législatifs et en fournissant une formule pour effectuer ce changement212 ».

209 Renvoi de 1981, Ibid., p. 886-896 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer). 210 Ibid., p. 886. 211 Renvoi : Compétence du Parlement relativement à la Chambre haute, préc., note 35, p. 65. 212 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 887 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer).

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Dans les paramètres que se sont fixés les juges majoritaires de la Cour suprême, ces derniers font état de 22 modifications constitutionnelles apportées de 1868 à 1964 au Canada213. Parmi celles-ci, ils établissent que cinq d’entre elles constituent des précédents positifs qui ont un effet direct sur les relations fédérales-provinciales. Ces modifications sont : (1) celle de 1930, par laquelle les provinces de l’Ouest ont reçu la propriété et le contrôle administratif de leurs ressources naturelles, ce qui a assuré leur égalité avec les colonies qui se sont unies à l’origine; (2) l’adoption du Statut de Westminster de 1931, qui autorise, d’une part, le Parlement et les législatures à abroger toutes les lois du Royaume-Uni faisant partie du Canada et qui permet, d’autre part, au Parlement d’adopter des lois de portée extra territoriale; (3) la modification de 1940 qui transfère les pouvoirs provinciaux en matière d’assurance-chômage au Parlement fédéral; (4) celle de 1951 qui autorise le Parlement fédéral à légiférer concurremment avec les provinces sur les pensions de vieillesse ; et (5) celle de 1964 qui accorde au Parlement fédéral la compétence exclusive pour légiférer en matière de pensions de vieillesse et de prestations additionnelles.

Les juges majoritaires de la Cour suprême statuent alors que ces cinq précédents positifs ont tous reçu l’approbation de chaque province dont le pouvoir législatif était touché214. La modification de 1940 portant sur l’assurance-chômage est particulièrement pertinente pour démontrer les conclusions des juges majoritaires. En effet, dès novembre 1937, le gouvernement fédéral est entré en contact avec les provinces pour leur demander leur avis de principe215. Cependant, il a dû attendre juin 1940 avant que l’ensemble des neuf provinces d’alors consente au projet de modification. Ce précédent positif montre à quel point l’assentiment de toutes les provinces était nécessaire avant de modifier les pouvoirs législatifs dans les rapports fédéraux-provinciaux. En effet, pourquoi, dans le contexte de la crise économique des années 1930, de la Seconde Guerre mondiale et des

213 Ibid., p. 888- 891. 214 Ibid., p. 893. 215 En 1936 et 1937, la Cour suprême et le Comité judiciaire du Conseil privé ont respectivement déclaré inconstitutionnelle la Loi sur le placement et les assurances sociale, S.C. 1935, ch. 38, qui prévoit une aide financière directe à certaines catégories de chômeurs. Cette loi fut adoptée unilatéralement par le gouvernement conservateur de Bennett en 1935. À ce sujet, voir infra, chapitre II, partie 2.3.4.

66 recommandations de la Commission royale d'enquête des relations entre le Dominion et les provinces (commission Rowell-Sirois) favorable au transfert de la responsabilité en matière d’assurance-chômage au gouvernement fédéral, celui-ci aurait-il attendu trois ans avant de modifier les pouvoirs législatifs fédéraux et provinciaux s’il avait le pouvoir de le faire unilatéralement216 ?

Les juges majoritaires de la Cour suprême s’intéressent par la suite aux précédents négatifs, c’est-à-dire à ceux pour lesquels l’accord unanime des provinces n’a pas été obtenu217. Ils constatent que ces précédents sont encore plus éloquents pour établir la nécessité d’obtenir l’accord de toutes les provinces avant de procéder à des modifications constitutionnelles qui auraient des incidences sur les pouvoirs législatifs fédéraux et provinciaux. À ce sujet, ils rappellent qu’en 1951 l’Ontario et le Québec s’opposèrent à un projet de modification pour donner aux provinces un pouvoir limité en matière de taxation indirecte, ce qui le rendit caduc. Ils poursuivent à propos de la conférence constitutionnelle de 1960 dans laquelle une formule de modification de la Constitution a été élaborée. Ils indiquent qu’à cette occasion une grande majorité des participants ont jugé la formule acceptable, mais que certains d’entre eux divergeaient d’opinions, ce qui a fait avorter le projet. Par la suite, ils font état de la conférence des premiers ministres de 1964, qui adopta à l’unanimité une formule de modification des pouvoirs législatifs, mais qui n’eut pas de suites en raison du retrait ultérieur du Québec. Enfin, les juges majoritaires mentionnent, parmi les précédents négatifs, des projets de modifications approuvés par le gouvernement fédéral et huit des dix provinces en 1971. À cette occasion, le Québec désapprouva encore une fois ces ententes, tandis que le

216 Pour une mise brève mise en contexte historique de cette modification constitutionnelle, voir : Ministère des Affaires intergouvernementales du Canada, Des ententes fédérales-provinciales visant à modifier la Constitution ont précédé la création du programme d'assurance-chômage en 1941, [En ligne], [http://www.pco-bcp.gc.ca/aia/index.asp?lang=fra&page=hist&sub=eip- pac&doc=eip-pac-fra.htm] (2 septembre 2012). 217 Pour la liste des précédents négatifs, voir : Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 893-894 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer). Ces précédents négatifs sont l’échec du projet de modification en matière de taxation indirecte de 1951 ainsi que celui des conférences constitutionnelles de 1960, 1964 et 1971.

67 gouvernement de la Saskatchewan ne prit pas position, estimant que le désaccord du Québec rendait la question théorique218.

Il est également utile de rappeler qu’au cours de leur analyse des précédents pertinents dans ce renvoi, les juges majoritaires prennent le contrepied des motifs des cours d’appel du Québec et du Manitoba. À ce propos, ils s’expriment ainsi par rapport aux motifs de la Cour d’appel du Québec : À notre avis, et nous l’exprimons avec égards, la majorité de la Cour d’appel du Québec a commis une erreur sur ce point en ne distinguant pas les différents types de modifications constitutionnelles. La Cour d’appel du Québec a mis toutes ou presque toutes les modifications sur un pied d’égalité et, comme on pouvait s’y attendre, a conclu non seulement à l’inexistence d’une convention exigeant le consentement des provinces mais même à l’effet contraire219.

Après avoir répertorié les précédents positifs et négatifs portant sur la modification des pouvoirs des deux ordres de gouvernements, la majorité des juges de la Cour suprême se prononce sans équivoque par rapport aux précédents, ce qui constitue une condition pour établir une coutume applicable en matière de modification constitutionnelle au Canada. Ils énoncent que : « [l]’accumulation de ces précédents, positifs et négatifs, concordants et sans exception, ne suffit pas en soi à établir l’existence de la convention, mais indubitablement, elle nous oriente dans sa direction. D’ailleurs, si les précédents se trouvaient seuls, on pourrait alléguer que l’unanimité est requise220 ».

À la lumière de ce passage, la présence de précédents, nécessaire à la reconnaissance de la coutume, est donc admise. Cette condition est la seule mentionnée comme nécessaire en droit coutumier par les juges majoritaires de la Cour suprême dans ce renvoi221. En conséquence, puisqu’il s’agit du seul critère qu’ils indiquent à ce propos, est-il possible de conclure à la présence d’une règle coutumière à partir de ce constat ?

218 Idem. 219 Ibid., p. 895. 220 Ibid., p. 894. (l’italique est de nous). 221 Ibid., p. 888.

68 Les juges majoritaires de la Cour suprême en rajoutent à propos de l’unanimité des précédents lorsqu’ils rejettent ceux qui ont été présentés par les cours d’appel du Manitoba et du Québec. Ils affirment d’abord, contre l’avis de la Cour d’appel du Manitoba, que la Colombie-Britannique ne s’est pas opposée à la modification de 1907 qu’avaient approuvée les autres provinces. Après quelques explications factuelles, ils affirment que « le premier ministre de la Colombie-Britannique n’a pas refusé d’accepter l’adoption de la loi222 ».

Quant aux propos du juge Turgeon dans le renvoi devant la Cour d’appel du Québec à propos de la modification de 1949 qui a confirmé la frontière Québec-Labrador sans l’accord du Québec, les juges majoritaires de la Cour suprême expriment qu’aucune demande ni protestation officielle n’ont été formulées. Le premier ministre de la Nouvelle-Écosse aurait également agi en ce sens à cette occasion. Les propos du même juge selon lesquels la charte des droits en annexe au projet de résolution d’adresse commune ne change pas la répartition des pouvoirs législatifs entre le Parlement du Canada et les législatures provinciales sont également écartés par la majorité des juges de la Cour suprême. Selon ces derniers, cette charte diminuerait l’autorité législative provinciale d’une manière encore plus significative que dans le cas des modifications antérieures pour lesquelles le consentement des provinces avait été demandé et obtenu. Pour cette raison, la Cour suprême répond que, si le consentement des provinces était requis dans les cinq précédents positifs qu’elle relève, il le serait à plus forte raison en l’espèce223.

L’analyse des juges majoritaires de la Cour suprême à propos des précédents est fondamentale pour cet exercice. À ce propos, les motifs qu’ils énoncent, tant pour retenir des précédents positifs et négatifs que pour invalider les arguments qui feraient la démonstration contraire, donnent de très sérieux arguments à ceux qui auraient voulu faire valoir la présence d’une coutume constitutionnelle nécessitant l’accord unanime des provinces dont les pouvoirs législatifs étaient touchés pour modifier la Constitution avant

222 Ibid., p. 896. 223 Ibid., p. 896-897.

69 le rapatriement de 1982. Pour s’en convaincre formellement, une analyse des précédents retenus par la Cour suprême par rapport aux critères du droit coutumier énoncés par la jurisprudence et la doctrine canadienne s’impose à cette étape en vue de déterminer si une règle coutumière existe.

D’abord, les précédents positifs et négatifs retenus par la Cour suprême remplissent les critères permettant d’établir l’existence d’une coutume en matière de modification des pouvoirs législatifs fédéraux et provinciaux en ce sens qu’ils constituent une répétition d’un acte continu (positif ou négatif) et paisible durant un certain temps sans qu’il n’y ait de protestation. Le caractère continu des précédents est révélé par les juges majoritaires de la Cour suprême lorsqu’ils affirment que les précédents sont concordants et sans exception. En ce qui a trait au caractère paisible des précédents, les discussions et les négociations ont été au cœur de leur mise en place par des autorités élues démocratiquement. Aucun d’entre eux n’a été établi par un coup de force. Une simple divergence d’opinions de certaines provinces, et non un refus formel, pouvait être suffisante pour faire échouer le projet de modification, tel que ce fut le cas en 1960. La coutume ainsi établie ne répugne pas aux principes fondamentaux de la common law. En l’absence de règle écrite, elle tient compte de l’opinion de chacun des acteurs visés par la procédure générale de modification constitutionnelle. Qui plus est, elle respecte le « désir de contracter une Union fédérale pour ne former qu’une seule et même Puissance » exprimé dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 par les provinces réunies dès l’origine. Le respect de ce désir, inscrit dans l’acte fondateur de l’État canadien, est fondamental dans la mesure où il constitue le socle sur lequel s’établissent les structures législatives, exécutives et judiciaires au niveau fédéral et provincial.

Le facteur temporel, quant à lui, est conforme à ce que la doctrine et la jurisprudence ont établi. Dans l’arrêt The King c. Cliche de 1935, la Cour suprême consacrait une coutume d’environ 50 ans, ce qui constituait à son avis, « un grand nombre d’années224 ». Dans le Renvoi de 1981, les juges majoritaires reprennent les énoncés du Livre blanc de 1965 lorsqu’ils affirment que le principe selon lequel le

224 The King c. Cliche, préc., note 176, p. 565.

70 Parlement du Canada doit obtenir l’assentiment des provinces pour modifier la Constitution s’est concrétisé à partir de 1907 et a été de plus en plus affirmé et accepté depuis 1930225. En effet, l’insertion de l’article 7 dans le Statut de Westminster de 1931, avec l’accord unanime des provinces, consacre en quelque sorte cette règle 226 . La formation de ce principe aurait donc commencé de 50 à 75 ans auparavant, ce qui constitue un nombre d'années supérieur à ce qui est observé dans l'arrêt The King c. Cliche. Ce critère est donc rempli s'il est acquis que la temporalité pertinente débute au cours de cette période.

La période pertinente pourrait également débuter au moment de l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1867, soit 115 ans avant le rapatriement de 1982. Un passage du Renvoi de 1981 pourrait faire en sorte de privilégier cette temporalité. Les juges majoritaires de la Cour suprême affirment d’ailleurs qu’« on ne trouve depuis la Confédération aucune modification qui change les pouvoirs législatifs provinciaux sans l’accord d’une province dont les pouvoirs législatifs auraient ainsi été modifiés227 ». Dans un même ordre d’idées, ils énoncent également que le Parlement fédéral n’a jamais cherché à obtenir une modification de la Constitution sans le consentement des provinces et que cette possibilité n’a apparemment jamais été envisagée « au cours des cent quatorze années écoulées depuis la Confédération 228 ». Guy Favreau, ministre de la Justice au fédéral, privilégie également cette approche lorsqu’il retrace l’historique des méthodes de modification constitutionnelle utilisées au cours des 97 années précédant la parution de son Livre blanc en 1964229. Cette temporalité dépasse largement le critère de l’étendue de la mémoire humaine applicable dans le contexte du système législatif canadien tel qu’il a été établi dans l’arrêt Re Deborah230. Enfin, puisque le Parlement fédéral n’est pas présumé légiférer à l’encontre des règles du droit international en l’absence de règles précises en droit interne, il aurait été possible de prétendre, par

225 Favreau, préc., note 124, p. 16 (cité dans le Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 870) (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer). 226 À ce sujet, voir supra, chapitre II, partie 1.1. 227 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 893. (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer) (l’italique est de nous). 228 Ibid., p. 895. 229 Favreau, préc., note 124, p. 11. 230 Re Deborah, préc., note 182.

71 analogie, qu’une coutume puisse émerger en quelques années lorsqu’un nombre important d’États adhèrent à la pratique, ce qui est le cas en l’espèce231.

La doctrine étudiée précédemment dans cette section établit que la coutume est la façon habituelle de faire et que celle-ci doit être communément acceptée. Ainsi, il n’y a pas de nécessité d’uniformité pour ce qui est des précédents ni d’unanimité en ce qui concerne les acteurs visés par la règle coutumière. Cette manière de concevoir la coutume en droit canadien est tout à fait conforme aux critères édictés en droit international et en common law232. Dans ce contexte, ce critère est rempli car l’uniformité et l’unanimité ont été atteintes tant au regard des précédents positifs que négatifs qu’en ce qui a trait aux acteurs visés par ces précédents. Les juges majoritaires le précisent en ces mots : Les cinq modifications [précédents positifs] ont reçu l’approbation de chacune des provinces dont le pouvoir législatif était ainsi touché.

En termes négatifs, on ne trouve depuis la Confédération aucune modification qui change les pouvoirs législatifs provinciaux sans l’accord d’une province dont les pouvoirs législatifs auraient ainsi été modifiés.

Il n’existe aucune exception233 .

L’obligation créée par la règle coutumière doit être claire, démontrable et prouvable. De plus, elle s’apprécie au regard des faits. Dans le Renvoi de 1981, n’est-ce pas justement ce que les juges majoritaires de la Cour suprême s’appliquent à établir lorsqu’ils analysent les différents précédents positifs et négatifs ? Les inférences qu’ils en retirent contribuent à établir la règle coutumière et l'obligation qu'elle crée. En effet, nous avons observé que cette dernière est présumée dans la jurisprudence canadienne antérieure à 1982 lorsque que la preuve de l’élément matériel est établie. Enfin, la coutume doit être certaine et cohérente. À ce propos, les juges majoritaires en viennent à la conclusion que les précédents qu’ils retiennent et analysent sont concordants et sans exception.

231 Pour les principes de l’interprétation et de l’intégration des lois internationales en droit canadien, voir supra, chapitre I, partie 1.1. 232 Supra, chapitre I. 233 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 893 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer) (l’italique est de nous).

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L’analyse des motifs des juges majoritaires de la Cour suprême dans le Renvoi de 1981 permet de conclure à la présence d’une coutume constitutionnelle relative à la procédure de modification constitutionnelle entre l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1867 et le rapatriement de 1982. En effet, lorsque les précédents positifs et négatifs dégagés par les juges majoritaires sont confrontés aux critères reconnus par l’ensemble de la doctrine et de la jurisprudence analysée portant sur la coutume, il est permis de croire que la preuve de son existence aurait pu être établie.

2.3. L’analyse de l’aspect psychologique (opinio juris)

Ainsi que nous l’avons précisé plus haut, la coutume est constituée d’un élément psychologique aussi appelé l’opinio juris. Il s’agit de l’acceptation qu’une pratique répétée depuis un certain temps constitue une règle de droit. De même, il existait, avant 1982, une présomption de l’existence de l’opinio juris, en droit international, dans les États de common law et au Canada, lorsque la preuve matérielle de la coutume était réalisée 234 . Toutefois, aurait-il été possible d’établir la preuve formelle de l’aspect psychologique de la coutume nécessitant l’accord unanime des provinces pour rapatrier et modifier la Constitution en 1982 si les juges de la Cour suprême l’avaient exigé ?

Avant de répondre à cette question, nous devons rappeler quelques constats établis précédemment qui concernent l’opinio juris. À ce propos, nous avons pu déterminer que même lorsqu’elle est recherchée de manière formelle, elle doit être générale et non unanime235. De plus, son importance peut varier en fonction des États et des individus visés par la coutume236. En contrepartie, dans la partie du Renvoi de 1981 portant sur la convention constitutionnelle, les juges majoritaires ont exigé, en dépit des écrits de Jennings, la preuve écrite que tous les acteurs dans les précédents, soit les ministres en

234À ce sujet, voir : supra, chapitre I. 235 À ce propos, voir : supra, chapitre I, partie 1.2. et 2.2.1. À titre informatif, l’article 3 du Louisiana Civil Code prévoit également que l’opinio juris doit être générale et non unanime. Cet article prévoit que « Custom results from practice repeated for a long time and generally accepted has having acquired the force of law. Custom may not abrogate legislation » (l’italique est de nous). 236 Supra, chapitre I.

73 poste, aient accepté le principe de l’unanimité237. D’après cette dernière exigence, le fardeau de preuve pour établir de l’existence de l’aspect psychologique est donc plus difficile à atteindre dans le cas de la convention constitutionnelle que dans celui de la coutume constitutionnelle.

Afin d’analyser l’aspect psychologique, nous avons utilisé les Débats historiques du Parlement du Canada car ils constituent des documents authentiques dans lesquels nous trouvons les déclarations officielles des différents parlementaires canadiens238. Pour cette raison, nous utiliserons de nombreuses citations dans cette partie, que nous laisserons telles qu’elles ont été consignées car il s’agit de déclarations réalisées dans un contexte officiel. Le souci de présenter intégralement les idées exprimées par les acteurs intéressés par les modifications et le rapatriement de la Constitution motive également ce choix.

L’élément temporel, quant à lui, est conforme à celui énoncé dans Livre blanc de 1965 lorsqu’il y est affirmé que : « ce principe [l’unanimité] ne s’est pas concrétisé aussi tôt que les autres, mais, à partir de 1907 et en particulier depuis 1930, il a été de plus en plus affirmé et accepté 239 ». De cette manière, il sera possible d’analyser l’élément psychologique de chaque gouvernement fédéral qui s’est prononcé sur les modifications constitutionnelles impliquant les deux ordres de gouvernements en 1907 ainsi que de 1930 au rapatriement de 1982.

De manière plus précise, l’analyse porte principalement sur les déclarations à propos de la nécessité d’obtenir l’assentiment unanime des provinces pour modifier et

237 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 901-902 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer). À propos des écrits de Jennings, voir le chapitre II, partie 2.1. 238 Il est possible de consulter les Débats historiques du Parlement du Canada sur le site web de la Bibliothèque du Parlement du Canada, [En ligne], [http://parl.canadiana.ca/] (janvier à mars 2014). En ce qui concerne le caractère authentique de ces débats, les règles de preuve en droit civil québécois énoncent, à titre illustratif, que les documents officiels du Parlement du Canada constituent des documents authentiques. Les énonciations qui y sont contenues ou qui proviennent d’une copie de cet acte ou d’un extrait authentique de celui-ci font preuve à l’égard de tous. À ce sujet, voir : Code civil du Québec, RLRQ, chap. 64, art. 2814 et suiv. 239 Favreau, préc., note 124, p. 16.

74 rapatrier la Constitution énoncées par les premiers ministres et les ministres du gouvernement fédéral alors au pouvoir. Elles sont présentées de manière chronologique par périodes regroupant les divers mandats des premiers ministres canadiens. De cette manière, il est possible d’analyser l’élément psychologique de ces acteurs au gré de l’évolution constitutionnelle canadienne lorsqu’une modification constitutionnelle impliquant directement les provinces est envisagée. Enfin, mentionnons que les déclarations des chefs de l’opposition sont examinées occasionnellement pour montrer que l’opinion exprimée par le gouvernement en place est partagée par d’autres partis politiques présents à la Chambre des communes.

2.3.1. Les gouvernements libéraux de Wilfrid Laurier (au pouvoir lors de quatre mandats du 11 juillet 1896 au 6 octobre 1911)

D’emblée, avant 1907, les principales modifications à la Constitution portaient sur l’octroi de subventions financières fédérales à une province. Les changements étaient donc effectués de manière bilatérale par le biais d’ententes entre les parties visées240. En 1907, l’adoption d’une nouvelle formule de répartition des subventions financières aux provinces est la première véritable occasion de modifier de manière notable la Constitution241. À cette occasion, le gouvernement fédéral consulte pour la première fois les neuf provinces de l’époque puisque la modification à apporter à la Constitution les intéresse directement. Pour le premier ministre Wilfrid Laurier, la consultation des provinces, mais également l’obtention de leur accord, sont nécessaires pour modifier la Constitution. Il l’exprime en ces termes : La confédération est un pacte qui a été conclu en premier lieu entre quatre provinces, et qui a été accepté par les neuf provinces qui sont entrées dans l'union et je soumets aux honorables membres de cette Chambre que ce pacte ne doit pas être modifié à la légère. On ne devrait y toucher que dans les cas de nécessité réelle et après que les provinces eurent l'occasion de se prononcer. Mon honorable ami d'York, N. B. (M. Crocket) a dit que le discours du trône annonçait que nous allons demander au Parlement de modifier les conditions financières de la confédération. Cela est très vrai,

240 À ce sujet, voir l’énumération des ententes à propos des subsides réalisées entre le gouvernement fédéral et certaines provinces avant 1907 énumérées par le premier ministre Wilfrid Laurier dans Débats de la Chambre des communes, 10e Législature, 3e Session, vol. 3, 25 mars 1907, p. 5460-5461. 241 À ce sujet, voir la déclaration du premier ministre Wilfrid Laurier, Ibid, p. 5452-5453.

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mais mon honorable ami doit savoir que nous n'avons pris cette détermination qu'à la suite d'une conférence avec les provinces et après que tous les gouvernements se fussent unis pour demander la même chose242.

Cette citation montre qu’au moment de l’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1907243, le gouvernement fédéral, par la voix de son premier ministre, requiert l’assentiment de toutes les provinces pour modifier la Constitution. D’ailleurs, le premier ministre Laurier, affirme que ce principe a fait partie de la politique officielle du Parti libéral fédéral et qu’il a été affirmé à plus d’une occasion à la Chambre des communes avant 1907244.

2.3.2. Le gouvernement libéral de William Lyon Mackenzie King (mandat du 25 septembre 1926 au 7 août 1930)

Le 9 mars 1927, un débat s’engage à la Chambre des communes à propos d’une motion pour la nomination d’un comité chargé d’examiner l’opportunité de modifier la Constitution. Celui-ci se tient dans la foulée de la conférence impériale de 1927 portant sur l’autonomie des dominions de l’empire britannique. Au cours de ce débat, le ministre de la Justice et procureur général Ernest Lapointe mentionne : [Un amendement pour modifier la Constitution] se fera du consentement de la part de ceux qui, en 1867, ont adhéré au pacte fédératif à certaines conditions. […] La Confédération a été le résultat de l'opinion et de l'accord des colonies, ce qu'étaient alors les provinces. Chacune des colonies avait des pouvoirs particuliers. Elles ont consenti à abandonner certains de ces privilèges à un pouvoir central, conservant le droit de légiférer dans les matières d'intérêt local, tandis qu'elles abandonnaient à un gouvernement central le pouvoir de disposer des affaires d'ordre plus général. Elles ont abandonné certains de leurs pouvoirs à des conditions déterminées et, sans ce compromis, il aurait été impossible de conclure d'où est sortie la Confédération. Le gouvernement impérial a simplement réalisé le désir des provinces canadiennes en adoptant l'Acte de l'Amérique britannique du nord. On a toujours considéré la Confédération comme un accord. Certains l'appellent un pacte; d'autres un traité. S'il en est ainsi, ce qu'on ne saurait mettre en doute, je prétends, comme l'ont fait tous les auteurs et hommes publics du Canada par le passé,

242 Ibid, vol. 2, 28 janvier 1907, p. 2269 (l’italique est de nous). 243 Loi constitutionnelle de 1907, L.R.C. (1985), app. II, no 22. 244 Débats de la Chambre des communes, 10e Législature, 3e Session, vol. 3, 25 mars 1907, p. 5465.

76 qu'on ne peut modifier cet accord, ce pacte ou ce traité, comme vous voudrez sans le consentement des signataires de cet accord ou de leurs successeurs245.

Ce même jour, Ernest Lapointe a également l’occasion de préciser que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux sont indépendants dans leur sphère de compétence respective et que toutes les parties intéressées doivent consentir aux modifications constitutionnelles. Il l’affirme en ces mots : […] [L]es provinces ne sont pas les enfants du Parlement fédéral; au contraire, c'est le Parlement fédéral qui est l'œuvre des provinces. Celles-ci existaient avant le Parlement, et l'Acte de l'Amérique britannique du nord est autant la constitution et la charte des provinces que celle du gouvernement et du Parlement fédéraux. [...] Dans toutes les questions réservées aux provinces comme étant de leur ressort et relevant de leur autorité, elles sont souveraines autant que le Parlement canadien dans toutes les affaires assignées au gouvernement fédéral. Les provinces sont autonomes dans leur sphère. Leurs législatures sont libres et indépendantes autant que ce Parlement est indépendant dans les choses qui sont de son ressort, et, par les délibérations d'un comité parlementaire, vous ne sauriez modifier une charte commune aux provinces et à nous. Elle ne peut se modifier que par le mutuel accord des parties au pacte.

[…] Les provinces, je le réitère, sont tout aussi libres et autonomes dans leur propre sphère, que le Parlement fédéral dans la sienne. Cette situation n'a pas été modifiée; elle ne pourra l'être que le jour où le peuple canadien le voudra, et il faudra que ce désir soit manifesté non seulement par le Parlement, mais aussi par les provinces qui sont intéressées à cette question246.

Ces paroles, prononcées à la Chambre des communes par le ministre de la Justice Lapointe, ne laissent aucun doute relativement à la présence de l’opinio juris associée à la nécessité d’obtenir l’assentiment des provinces intéressées par une modification constitutionnelle. L’analyse des déclarations de ce ministre montre également qu’il n’est pas le premier à affirmer cette nécessité. En effet, il mentionne que « tous les auteurs et hommes publics du Canada par le passé » ont prétendu que la Constitution ne peut être modifiée sans l’accord des parties intéressées.

Le principe de l’obtention de l’assentiment de toutes les provinces visées par une modification constitutionnelle est d’ailleurs appliqué lors de l’adoption de la Loi

245 Ibid., 16e Législature, 1ère Session, vol. 1, 9 mars 1927, p. 1040 à 1042. 246 Idem., (les italiques sont de nous).

77 constitutionnelle de 1930247, qui confirme les accords relatifs aux ressources naturelles intervenus entre le gouvernement du Canada et ceux du Manitoba, de la Colombie- Britannique, de l’Alberta et de la Saskatchewan. Qui plus est, au cours de ces négociations, le gouvernement fédéral indique également aux autres provinces qu’elles ne seraient pas lésées par l’entente intervenue avec les provinces de l’Ouest248. Ceci montre un degré supplémentaire de déférence du ministre de la Justice envers l’opinion de l’ensemble des provinces au moment d’une modification constitutionnelle puisqu’il entretient également des discussions avec celles qui ne sont pas directement concernées par la modification envisagée.

2.3.3. Le gouvernement conservateur de Richard Bedford Bennett (au pouvoir lors d’un mandat du 7 août 1930 au 23 octobre 1935)

Très tôt au cours de son mandat, le gouvernement conservateur de Richard Bennett doit négocier tant avec les autorités impériales qu’avec les provinces pour adopter le Statut de Westminster de 1931. En ce qui concerne ces dernières, elles exprimèrent certaines craintes face aux pouvoirs étendus susceptibles d’être accordés au Parlement fédéral par ce statut. Elles insistèrent donc pour qu’une clause spéciale, qui ne devait s’appliquer qu’au Canada, y soit incluse afin d’éviter que le Parlement fédéral empiète sur les champs de compétence provinciaux249. Une conférence fédérale-provinciale a donc été organisée en avril 1931 afin d’élaborer une « clause Canada » qui serait éventuellement insérée dans ce statut250.

Le 30 avril 1931, le premier ministre Bennett soumet à la Chambre des communes la résolution proposant qu’une adresse soit présentée à Sa Majesté pour demander la promulgation du Statut de Westminster. Lors du débat sur la résolution, le premier ministre Bennett fait une déclaration intéressante sur la nécessité d’obtenir l’assentiment unanime des provinces pour modifier la Constitution lorsque leurs pouvoirs législatifs

247 Loi constitutionnelle de 1930, L.R.C. (1985), app. II, no 26. 248 Débats de la Chambre des communes, 16e Législature, 4e Session, vol. 2, 30 avril 1930, p. 1568-1569. 249 À ce sujet, voir : Favreau, préc., note 124, p. 19. 250 Statut de Westminster de 1931, préc., note 123, art. 7.

78 sont touchés. Il déclare à propos de la négociation de la « clause Canada » lors de la conférence fédérale-provinciale, tenue précédemment au cours du même mois, qu’ [on] a soulevé des doutes au sujet de la modification des conclusions adoptées par la conférence interprovinciale, et vu que les conclusions ont été initialées par les représentants de toutes les provinces, nous ne nous sommes pas crus libres d'en changer un iota. Elles sont donc sous la forme dans laquelle elles ont été conçues et acceptées251.

Cette déclaration du premier ministre Bennett mérite quelques assertions. D’abord, elle est faite dans le cadre officiel d’un débat législatif à la Chambre des communes visant justement à s’assurer, à la demande de l’ensemble des provinces, que le Statut de Westminster ne permette pas au gouvernement fédéral d’empiéter sur les champs de compétence provinciaux. À ce titre, elle prévaut sur sa déclaration, consignée dans le procès-verbal de la conférence fédérale-provinciale de 1931 et relevée par les juges majoritaires dans le Renvoi de 1981, dans laquelle il affirme qu’aucun État ne requiert l’unanimité à l’heure actuelle et que cette règle pourrait être d’un certain point de vue désirable252. De plus, le fait que les représentants de toutes les provinces aient apposé leurs initiales sur les conclusions soumises dans la résolution montre que, dans les faits, les provinces donnent leur assentiment aux modifications constitutionnelles et ne sont pas seulement consultées tel que le mentionne le Livre blanc de 1965253. Qui plus est, le premier ministre affirme qu’il ne s’est pas cru libre de changer les conclusions d’un iota puisqu’elles avaient été acceptées par l’ensemble des représentants provinciaux. L’aspect psychologique de la coutume est donc présent car le premier ministre exprime qu’il est lié par les conclusions de la résolution à soumettre à la Reine adoptées à l’unanimité par les provinces et par le fédéral.

Au cours de ce même débat, le premier ministre indique à propos de la procédure de modification et de l’insertion de la « clause Canada » dans le Statut de Westminster que « [la] coutume voulait que, jusqu'à 1929, par une adresse conjointe de la Chambre

251 Débats de la Chambre des communes, 17e Législature, 2e Session, vol. 3, 30 juin 1931, p. 3177. 252 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 902 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer). 253 Favreau, préc., note 124, p. 19.

79 des communes et du Sénat, il était possible de modifier la constitution du Canada254 ». Cette déclaration est intéressante à plus d’un point de vue. D’abord, le premier ministre lui-même indique que la procédure de modification constitutionnelle peut être régie par le droit coutumier. Pour ce qui est de la modification par une adresse conjointe de la Chambre des communes et du Sénat évoquée dans la déclaration, il faut bien mettre cette affirmation en contexte. En effet, il a toujours été reconnu qu’une adresse conjointe de la Chambre des communes et du Sénat était nécessaire pour modifier la Constitution avant 1982. Ce qui est en jeu est plutôt la nécessité d’obtenir l’assentiment de toutes les provinces visées par un changement constitutionnel préalablement à ce qu’une telle adresse soit adressée à la Reine. À ce sujet, avant cette déclaration du premier ministre de 1931, seules les modifications constitutionnelles de 1907 et de 1930 ont concerné toutes les provinces ou plusieurs d’entre elles. À ces deux occasions, les provinces visées par les modifications ont donné leur assentiment. Donc, nous constatons qu’au moment de l’adoption du Statut de Westminster de 1931, une coutume concernant la modification de la Constitution par une adresse conjointe de la Chambre des communes et du Sénat existait. Elle nécessitait cependant l’assentiment préalable unanime des provinces visées par les changements constitutionnels ainsi que l’ont montré les précédents de 1907 et de 1930.

Cette position est d’ailleurs confortée en 1935 par le ministre de la Justice Hugh Guthrie lors du débat sur la proposition de nomination d’un comité spécial pour modifier la Constitution afin de trouver une solution face aux problèmes économiques urgents. À cette occasion, il affirme que : […] De tout temps, me semble-t-il, il a été reconnu que, lorsqu'il s'agit de questions de formalité et de questions de procédure, le parlement de la Grande-Bretagne adopterait invariablement une modification de notre loi constitutionnelle, si on le lui demande, à la suite d'une adresse collective de la Chambre des communes et du Sénat. Cependant, c'est là un aspect secondaire de la question. Les questions de formalité et de procédure sont choses de peu d'importance. [...]

Mais lorsqu'on cherche à obtenir une modification qui vise la base même du traité primitif ou l'arrangement conclu lors de l'établissement de la

254 Débats de la Chambre des communes, 17e Législature, 2e Session, vol. 3, 30 juin 1931, p. 3158-3159.

80 confédération, ou lorsque les principes fondamentaux en vertu desquels nous sommes unis à l'origine, sont en jeu, je doute fort si le parlement de Westminster accueillerait une demande de cette nature fondée uniquement sur une adresse collective du Sénat et de la Chambre des communes. [...] Les provinces du Canada, constituées par l'Acte de l'Amérique britannique du Nord, participent de la nature d'États souverains pour ce qui est des affaires qui leur ont été attribuées par l'article 92 de l'Acte de l'Amérique britannique du Nord. Lorsqu'il s'agit de sujets qui leur ont été ainsi attribués, elles jouissent d'une autorité suprême et de pouvoirs tout aussi pléniers et entiers que ceux du Parlement relativement aux matières rangées sous l'autorité fédérale.

[...] Je suis d'avis que les provinces doivent être consultées sur tout changement important de notre loi constitutionnelle qui atteint les intérêts provinciaux. Je reconnais que certaines modifications constitutionnelles sont nécessaires, mais on ne saurait les faire qu'à la suite d'un accord entre les parties qui ont conclu la convention originale255.

Cette déclaration du ministre de la Justice Guthrie confirme, en quelque sorte, ce que nous venons d’évoquer à propos de la modification constitutionnelle par une adresse conjointe de la Chambre des communes et du Sénat. Lorsque les modifications concernent des aspects reliés au fondement même de la Constitution, tels que la répartition des pouvoirs entre les deux ordres de gouvernements, les provinces intéressées doivent être consultées et un accord doit être obtenu.

2.3.4. Les gouvernements libéraux de William Lyon Mackenzie King (au pouvoir lors de 3 mandats du 23 octobre 1935 au 15 novembre 1948)

Devant la situation économique préoccupante qui prévaut, notamment dans les provinces de l’Ouest, au moment de son accession au pouvoir, le gouvernement libéral de Mackenzie King doit se pencher sur la possibilité de modifier la Constitution relativement aux impôts et à la garantie des dettes provinciales. À ce sujet, lorsque questionné le 1er avril 1936 à la Chambre des communes par le chef de l’opposition Bennett sur la procédure de modification de la Constitution applicable, le ministre des Finances, Charles Avery Dunning, répond qu’« [il] ne s'est élevé aucun doute, à la conférence du Dominion et des provinces [de décembre 1935] ou à la conférence

255 Ibid., 17e Législature, 6e Session, vol. 1, 28 janvier 1935, p. 221 (les italiques sont de nous).

81 financière subséquente qui étudia expressément ce sujet, sur le consentement unanime des provinces à l'adoption de ce projet de loi256 ». Ainsi, même lorsque la situation économique est dans un état précaire, tous les acteurs intéressés acceptent que la Constitution ne puisse être modifiée qu’à l’unanimité.

Au cours des deux années qui suivent, la question de la modification constitutionnelle, en vue de l’adoption d’un régime national d’assurance-chômage, reste au cœur des préoccupations du gouvernement. En effet, deux décisions judiciaires émanant de la Cour suprême du Canada et du Comité judiciaire du Conseil privé déclarent inconstitutionnelle la Loi sur le placement et les assurances sociales257, qui prévoit une aide financière directe à certaines catégories de chômeurs, adoptée unilatéralement par le gouvernement conservateur de Bennett en 1935258.

La lecture du jugement rendu par les juges du Comité judiciaire du Conseil privé indique clairement les raisons pour lesquelles ils invalident cette loi. Il y affirment que « [in] the present case, their Lordships agree with the majority of the Supreme Court in holding that in pith and substance this Act is an insurance Act affecting the civil rights of employers and employed in each Province, and as such is invalid259 ». Ainsi, puisque cette loi est invalidée car elle touche aux compétences réservées à chaque province, ne peut-on pas croire qu’elles doivent toutes donner leur assentiment pour modifier la Constitution afin qu’une loi portant sur un régime national d’assurance-chômage puisse être adoptée ?

La réponse à cette question nous est fournie par le premier ministre Mackenzie King lors du débat sur le discours du trône de janvier 1938. À ce moment, il indique que la seule méthode pour adopter un régime national d’assurance-chômage requiert l’accord unanime des provinces:

256 Ibid., 18e Législature, 1ère Session, vol. 2, 1er avril 1936, p. 1716. 257 Loi sur le placement et les assurances sociales, préc., note 215. 258 Reference re The Employment and Social Insurance Act, [1936] R.C.S. 427, conf. par Attorney-General for Canada c. Attorney-General for Ontario, [1937] A.C. 355. 259 Attorney-General for Canada c. Attorney-General for Ontario, [1937], Ibid., p. 316 (l’italique est de nous).

82 […] le ministère actuel a cherché à aborder le sujet de la seule façon qui permette une solution rapide et satisfaisante, celle qui consiste à se mettre en rapport avec les provinces elles-mêmes, avec l'autorité constituée de chacune d'elles, dans l'espoir qu'elles puissent juger à quel point l'attitude du Gouvernement est raisonnable et accorder la coopération nécessaire relativement à la modification de l'Acte de l'Amérique britannique du nord. Cette coopération permettrait de proposer très tôt la mesure législative dont il s'agit. Si l'on ne peut y arriver au moyen d'une coopération entre les provinces et le gouvernement fédéral, je me demande comment on pourrait s'y prendre. C'est la seule méthode […]260.

Au cours du mois de juin suivant, le premier ministre est questionné par le député conservateur Harry James Barber. Celui-ci désire savoir si une mesure permettant l'établissement d'un système d'assurance-chômage au Canada serait prise au cours de la présente session tel que prévu dans le discours du trône. La réponse du premier ministre énonce que non seulement l’adoption de cette mesure est impossible faute de coopération des provinces mais également que le gouvernement fédéral ne veut « aucunement contraindre ou même paraître contraindre une quelconque province du Canada261 ». Cette réponse, ainsi que la déclaration du premier ministre réalisée au mois de janvier précédent, montrent qu’il accepte la règle de l’unanimité 262 pour adopter un régime national d’assurance-chômage. Qui plus est, il accorde une grande importance l’indépendance des provinces au niveau législatif puisqu’il estime que le gouvernement fédéral n’est pas autorisé à « même paraître contraindre » une province à accepter de donner son accord pour la mise en place de ce régime.

Les juges majoritaires de la Cour suprême ont occulté, dans le Renvoi de 1981, ces déclarations réalisées en 1938 par le premier ministre Mackenzie King. Ils retiennent plutôt une déclaration réalisée par ce dernier le 28 mars de la même année. Dans celle-ci, il énonce, en réponse à une question du chef de l’opposition Bennett, qui désire savoir si une entente préalable est nécessaire ou désirable avant de modifier la Constitution pour mettre en place un régime national d’assurance-chômage : « Je ne crois pas le moment

260 Débats de la Chambre des communes, 18e Législature, 3e Session, vol. 1, 31 janvier 1938, p. 63. 261 Ibid., vol. 4, 6 juin 1938, p. 3637. 262 Selon cette règle, il est nécessaire d’obtenir l’assentiment du Parlement canadien et de toutes les assemblées législatives provinciales pour modifier et rapatrier la Constitution.

83 opportun de répondre à cette question. Mieux vaudrait attendre que nous ayons pris tout d’abord connaissance des réponses que nous recevrons263 ».

Une mise en contexte temporelle s’impose ici. Cette déclaration du premier ministre se situe entre les deux déclarations précédentes que nous venons d’analyser. Au cours de celles-ci, il évoque que la seule méthode qu’il connaît pour modifier la Constitution afin de mettre sur pied un régime national d’assurance-chômage requiert l’unanimité des provinces et que les compétences législatives des provinces doivent être respectées par le fédéral. À ce moment, le gouvernement fédéral était toujours dans l’attente des réponses des législatures provinciales pour modifier la Constitution afin de mettre en place un régime national d’assurance-chômage. Dans ce contexte, l’interprétation la plus plausible de la déclaration retenue par les juges majoritaires de la Cour suprême dans le Renvoi de 1981, est que le premier ministre considère que la question du chef de l’opposition est théorique en l’absence de réponse de toutes les provinces visées.

En 1940, le gouvernement fédéral obtient l’accord unanime des provinces pour modifier la Constitution afin d’adopter un régime national d’assurance-chômage. Dans ce contexte, la question de l’unanimité refait surface à la Chambre des communes. Les déclarations retenues par les juges majoritaires dans le Renvoi de 1981 à cette occasion méritent que l’on s’y attarde attentivement264. D’abord, ils énoncent que le ministre de la Justice Lapointe déclare, à propos de la nécessité d’obtenir l’assentiment de l’unanimité des provinces, que : « ni le premier ministre ni moi n’avons dit que cela est nécessaire; nous avons dit que cela est désirable265 ».

Pour les juges majoritaires de la Cour suprême, cette réponse du ministre de la Justice est neutre et doit être accompagnée d’autres déclarations qu’il a faites à propos de

263 Débats de la Chambre des communes, 18e Législature, 3e Session, vol. 2, 28 mars 1938, p. 1794 (citée dans le Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 901) (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer). 264 Renvoi de 1981, Ibid., p. 901-902 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer). 265 Débats de la Chambre des communes, 18e Législature, 6e Session, vol. 2, 25 juin 1940, p. 1157.

84 la nécessité du consentement des provinces pour modifier la Constitution. Parmi celles qu’ils retiennent, nous évoquerons la déclaration qu’il a réalisée précédemment au cours du même débat car le contexte législatif et temporel est identique. Dans celle-ci, le ministre de la Justice laisse notamment entendre que l’assentiment unanime des provinces est requis afin que le Parlement fédéral détienne les pouvoirs nécessaires à l’établissement d’un régime national d’assurance-chômage : Depuis le moment où le conseil privé a rendu sa décision, on s’est proposé de faire en sorte que le Parlement soit revêtu des pouvoirs nécessaires pour édicter une mesure du genre de celle que l’on présentera, une fois l’adresse adoptée par le Parlement et la modification requise apportée, à Westminster, à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Nous n’avons épargné aucun effort pour obtenir l’assentiment des différentes provinces à une modification de cette nature, mais ce n’est que tout dernièrement qu’elles se sont prononcées unanimement en sa faveur266.

En lien avec la déclaration du ministre de la Justice, dans laquelle il indique que l’assentiment unanime des provinces est désirable, les juges majoritaires de la Cour suprême analysent également ce que le premier ministre a affirmé dans le cadre de ce débat. Pour ce faire, ils relèvent ce passage : Nous avons évité tout ce qui aurait pu passer pour une pression sur les provinces et nous avons évité, en outre, une question d’ordre constitutionnel très grave, celle de savoir si, en modifiant l’Acte de l’Amérique britannique du Nord, il est nécessaire d’obtenir l’assentiment de toutes les provinces, ou si le consentement d’un certain nombre d’entre elles aurait pu suffire. Cette question pourra se présenter plus tard mais, au sujet de l’assurance- chômage ...267.

Par le fait même, ils occultent une longue partie de ce qui précède dans le même paragraphe. Le premier ministre y énonce que la partie la plus difficile et la plus importante pour l’adoption de cette mesure a été d’obtenir l’assentiment des diverses provinces. À ce propos, il ajoute qu’il regrette qu’un temps précieux ait été perdu mais que cette situation est attribuable aux législatures provinciales qui n’ont pas accepté

266 Ibid., p. 1145. 267 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 901-902 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer).

85 auparavant que le Parlement fédéral adopte un régime national d’assurance-chômage268. De plus, il précise que l’adhésion de chaque province en particulier est un « résultat fort important » car il permet d’éviter que la validité du le projet de loi sur l’assurance- chômage ne soit mise en doute. Enfin, si, de l’avis du ministre de la Justice Lapointe, le premier ministre n’a pas dit que l’unanimité est nécessaire, en aucun cas ce dernier n’a prétendu le contraire269. À la lumière de l’ensemble de ces déclarations, il ressort que le premier ministre ne se prononce clairement à ce sujet qu’en janvier 1938 lorsqu’il évoque que la seule méthode dans les circonstances requiert l’unanimité270.

Ainsi, lorsque la déclaration du premier ministre de 1940 est prise dans son ensemble, elle permet de remettre en question la conclusion des juges majoritaires de la Cour suprême selon laquelle « [c]ette déclaration laisse planer un doute sur le point de savoir si l’unanimité est nécessaire, mais aucun sur le point de savoir si un appui provincial appréciable est requis271 ». D’ailleurs, lorsque nous analysons l’intégralité de la déclaration du premier ministre dans les Débats de la Chambre des communes, elle montre que, si un doute existe à propos de l’unanimité chez les juges majoritaires de la Cour suprême, en revanche, la validité du projet de loi sur l’assurance-chômage peut être contestée si ce seuil n’est pas atteint. D’ailleurs, la citation retenue par les juges majoritaires de la Cour suprême est complétée ainsi dans les Débats de la Chambre des communes : « [c]ette question pourra se présenter plus tard, mais, pas au sujet de l’assurance-chômage pour le moment du moins, nous avons évité une embuche de ce côté et nous pouvons maintenant saisir la Chambre d’une mesure qui a l’appui de toutes les

268 À ce sujet, le premier ministre déclare dans les Débats de la Chambre des communes, 18e Législature, 6e Session, vol. 2, 25 juin 1940, p. 1151-1152, que son parti a adopté une résolution dès 1919 pour que diverses législations sociales, dont l’une portant sur l’assurance-chômage, puissent être adoptées par le gouvernement fédéral de concert avec les législatures provinciales. De plus, son gouvernement a déclaré en prenant le pouvoir en 1921 qu’il avait l’espoir de faire adopter une loi d’assurance sociale mais qu’il fallut du temps pour y parvenir car il s’agissait pour le gouvernement fédéral d’entrer dans un nouveau domaine de compétence. 269 Ibid., p. 1153. En raison d’une erreur de transcription dans la version française, voir également la version anglaise à la page 1117. 270 Ibid., 3e Session, vol. 1, 31 janvier 1938, p. 63. 271 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 901-902 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer).

86 provinces272 ». Ainsi, puisque le premier ministre était conscient de cette embûche et que l’adhésion de chaque province en particulier constitue un « résultat fort important » permettant d’éviter que la validité du projet de loi sur l’assurance-chômage ne soit mise en doute, comment prétendre qu’il n’ait pas la conviction d’être lié par la règle de l’unanimité pour modifier la Constitution afin de mettre en place un régime national d’assurance-chômage ?

2.3.5. Les gouvernements libéraux de Louis-Stephen St-Laurent (au pouvoir lors de 3 mandats du 15 novembre 1948 au 21 juin 1957)

Dès l’arrivée au pouvoir du premier ministre Louis-Stephen Saint-Laurent, la question de la modification de la Constitution est mise à l’avant-plan. En effet, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (no 2) est adopté le 16 décembre 1949 sans l’assentiment préalable des provinces. Voici, tel que le précise le premier ministre, la raison pour laquelle il fut possible de procéder ainsi : […]. On demande donc simplement dans cette résolution qu'il soit déclaré que, dorénavant, les modifications de cette nature soient apportées par le Parlement au lieu de l'être par le parlement de New-Westminster, à la demande du Parlement canadien. On a pris bien soin d'éviter toute possibilité d'empiétement sur les droits des provinces, sur les droits des assemblées législatives ou gouvernements provinciaux et sur les principes fondamentaux ayant trait aux écoles et touchant à l'usage des deux langues officielles du pays, de même qu'on a évité toute déclaration indiquant la ligne de démarcation entre les questions relevant des provinces, celles de ressort fédéral et celles qui intéressent conjointement les autorités fédérales et provinciales.

[...] Si, sous prétexte de modifier sa constitution provinciale, une assemblée législative provinciale avait tenté d'empiéter sur des questions de ressort fédéral, les tribunaux auraient déclaré pareille tentative inconstitutionnelle et invalide. De même, si après adoption de la modification proposée, quelque législature du Canada cherche à jamais à prendre des mesures qui, selon un gouvernement provincial ou, à la vérité, selon quelque autre intéressé, empiète sur les pouvoirs de l'assemblée législative ou sur les droits et privilèges garantis aux assemblées législatives ou gouvernements provinciaux, ou sur toute sauvegarde en matière scolaire ou à l'égard de

272 Débats de la Chambre des communes, 18e Législature, 6e Session, vol. 2, 25 juin 1940, p. 1153 (‘italique est de nous).

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l'emploi des langues officielles, la mesure législative pourra être contestée devant les tribunaux et ceux-ci pourront décider et décideront de fait si la mesure est du ressort du Parlement fédéral, si elle empiète sur les pouvoirs attribués ou sur les droits garantis à un autre organisme.

Il nous a semblé que telles étaient les seules démarches que nous pouvions entreprendre sans l'assentiment des représentants des dix provinces canadiennes et que nous devions prendre dès maintenant toutes les dispositions que nous avions droit de prendre. Il nous a paru opportun d'aviser ensuite les autorités provinciales à la meilleure méthode à suivre, à une méthode que les provinces et nous-mêmes jugerions convenable et sûre, afin de ramener au Canada le dernier vestige de compétence législative exercée par le parlement d'un autre pays sur les affaires internes de la nation canadienne273.

Cette longue déclaration est importante pour plusieurs raisons. D’abord, le premier ministre établit qu’une modification constitutionnelle touchant les champs de compétences des provinces ne peut se réaliser sans l’accord unanime des provinces. Il s’agit d’ailleurs de la raison pour laquelle l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (no 2) ne concerne que les pouvoirs dévolus au Parlement fédéral. De plus, le premier ministre indique clairement qu’une mesure législative adoptée par le fédéral, qui modifierait les compétences législatives des provinces, sans l’assentiment de même une seule d’entre elles, pourrait être contestée devant les tribunaux. De ce fait, la procédure de générale de modification constitutionnelle fait partie du domaine juridique puisqu’elle concerne, entre autres, le partage des compétences législatives entre le Parlement fédéral et les législatures provinciales. Elle doit être considérée du point de vue de la coutume constitutionnelle en l’absence de dispositions législatives pour la régir.

En 1951, deux modifications sont envisagées. D’abord, le fédéral et l’ensemble des provinces s’entendent pour que le régime des pensions de vieillesse soit modifié afin qu’il soit partagé entre les deux ordres de gouvernements. De plus, une modification est examinée pour que les provinces puissent bénéficier d’un pouvoir limité en matière de taxation indirecte. Cette dernière modification n’a toutefois jamais eu lieu puisqu’elle n’obtint pas l’accord unanime des provinces274.

273 Ibid., 21e Législature, 1ère Session, vol. 1, 17 octobre 1949, p. 846-847 (les italiques sont de nous). 274 À ce sujet, voir supra, chapitre II, partie 2.2.

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La lecture des Débats historiques de la Chambre des communes permet de prendre connaissance de la correspondance du ministre de la Justice, Stuart Garson, avec les premiers ministres provinciaux lors des négociations pour modifier la Constitution en ce qui concerne le régime de pensions de vieillesse. À cette occasion, la nécessité d’obtenir l’assentiment de tous les premiers ministres provinciaux pour réaliser la modification envisagée est exprimée par le ministre fédéral de la Justice, à la fin d’une lettre datée du 28 février 1951, envoyée à tous les premiers ministres provinciaux : […] Nous nous empresserons d'étudier les réponses à cette lettre, que nous recevrons de tous les gouvernements provinciaux; et s'il devient manifeste qu'une nouvelle tentative en vue de coordonner vos avis que nous sollicitons maintenant devrait être faite grâce à un autre libellé de cette modification à la constitution, nous rédigerons un autre texte. Si cependant, il semble impossible de concilier certaines opinions exprimées par les provinces et notre propre point de vue, je tâcherai de m'entendre avec les premiers ministres provinciaux qui différeront d'opinion, au moyen d'appels téléphoniques; si cela se révèle impossible, il nous sera peut-être nécessaire de nous réunir encore une fois afin d'examiner ces questions et de continuer nos efforts en vue d'aboutir à un accord général à leur égard275.

Au cours de la même session parlementaire, le premier ministre St-Laurent énonce également qu’il est nécessaire d’obtenir l’accord unanime des provinces pour modifier la Constitution lorsque leurs pouvoirs législatifs sont touchés. Sa déclaration porte sur l’octroi aux provinces du pouvoir limité en matière de taxation indirecte : « […] Si les gouvernements provinciaux demandaient à l'unanimité un amendement de ce genre, à l'étape où nous en sommes de notre évolution constitutionnelle, compte tenu des questions qui sont en suspens entre les autorités provinciales et le gouvernement fédéral, je conseillerais à mes collègues de ne pas s'opposer à ce que nous nous rendions aux vœux des provinces 276 ». Cette déclaration montre que le gouvernement fédéral ne recherche pas seulement l’unanimité lorsqu’il souhaite modifier la Constitution pour obtenir des pouvoirs législatifs de la part des provinces. Il recherche également leur adhésion unanime lorsqu’il est disposé à leur en octroyer.

275 Débats de la Chambre des communes, 21e Législature, 4e Session, vol. 1, 6 mars 1951, p. 1012-1014. 276 Ibid., vol. 4, 22 mai 1951, p. 3348.

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En 1956, la modification constitutionnelle est abordée à la Chambre des Communes par le député du parti social démocratique du Canada, Major James William Coldwell, en en ce qui concerne l’insertion dans la Constitution d’une déclaration des droits pour garantir les libertés fondamentales. À cette occasion, le ministre de la Justice Garson et le premier ministre St-Laurent énoncent clairement qu’il est impossible de le faire sans l’assentiment unanime des provinces en raison du caractère fédératif de la Constitution. Voici ce que le premier ministre indique à ce sujet : Mon honorable ami [M. Coldwell] prétend que le fait d'avoir un État fédéral devrait nous inciter à obtenir cette modification. Je lui dirai que, si nous possédons le moindre sens politique, nous saurons que, étant donné le partage de l'autorité qui existe entre le Canada et les provinces, il est de la plus haute importance que toute modification apportée à notre constitution soit revêtue du jugement, non seulement des parlement et gouvernement fédéraux, mais de toutes les autorités provinciales qui doivent appliquer toute modification par nous recherchée ou obtenue.

[...] [Il] me semble qu'il serait bien peu sage de tenter, au Parlement, ou par l'entremise d'autres organismes fédéraux, d'enlever certains droits aux provinces même si nous le jugeons opportun car, - une fois que l'autorité est divisée entre le gouvernement central et les gouvernements provinciaux dans un État fédératif libre [...] - le seul moyen de trouver ici une solution pratique à cette question des droits de l'homme, c'est d'agir avec les autorités provinciales, car tant que, sous le régime de notre constitution pour laquelle mon ami a tant d'admiration, les provinces conserveront la compétence exclusive à l'égard de l'administration de la justice et de l'application de la loi, l'efficacité de tout changement que nous pourrons apporter à nos lois en y insérant une charte des droits de l'homme dépendra de leur coopération277.

Cette déclaration du premier ministre, énoncée 25 ans avant le Renvoi de 1981, amène une question très importante. En effet, comment est-il possible d’enchâsser une charte des droits dans la Constitution en 1982 sans l’assentiment unanime des provinces dans la mesure où le premier ministre canadien reconnaît dès 1956 que ce niveau d’accord doit être atteint pour y parvenir ? Au moment du rapatriement, cette question restait pertinente car la procédure générale de modification constitutionnelle n’avait pas, entretemps, été modifiée.

277 Ibid., 22e Législature, 3e Session, vol. 1, 30 janvier 1956, p. 730 (les italiques sont de nous).

90 2.3.6. Les gouvernements Progressistes-conservateurs de John Diefenbaker (au pouvoir lors de 3 mandats du 21 juin 1957 au 22 avril 1963)

La période au cours de laquelle le premier ministre John Diefenbaker est au pouvoir est caractérisée par un intérêt marqué pour la procédure générale de modification constitutionnelle. Il a l’occasion de se prononcer à ce sujet en 1960 dans le cadre de la modification de l’article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867 pour changer la durée des fonctions des juges des cours supérieures. Il s’exprime en ces termes à propos de la procédure de modification constitutionnelle, qui a cours jusqu’à ce moment, et de la nécessité d’obtenir l’assentiment unanime des provinces : Je sais qu'on s'étonne toujours que le Canada, pays indépendant, au sein du Commonwealth, n'ait pas encore obtenu le droit de modifier sa propre constitution. Nous avons fait des efforts en ce sens au cours des années et la question a été débattue maintes et maintes fois. À mes yeux, c'est un paradoxe politique, incompatible avec le statut du Canada, que notre pays soit obligé, pour modifier sa constitution, - je fais abstraction ici des amendements qui relèvent exclusivement du Parlement fédéral, - de s'adresser au modèle des Parlements, à Westminster. Mais nous ne pouvons faire autrement, car jusqu'ici, nous avons constaté qu'il est difficile, voire impossible, d'obtenir l'assentiment des provinces quant au moyen de confier au Parlement canadien, avec l'approbation ou le concours des provinces, consigné dans un accord, le pouvoir de modifier la constitution du Canada.

Voilà pourquoi, - et ce n'est pas que le Parlement du Royaume-Uni tienne à conserver son pouvoir ou son autorité, - le changement n'a pas encore été fait. Je le répète, c'est que les Canadiens ne sont pas parvenus à s'entendre sur une formule de modification qui recueillerait l'adhésion de toutes les parties278.

Cette opinion est partagée par le chef de l’opposition Lester B. Pearson, ce qui montre que ce n’est pas seulement le gouvernement en place qui se croit lié par l’obligation d’obtenir l’assentiment unanime des provinces pour adopter une procédure générale d’amendement. Dans sa déclaration, le chef de l’opposition énonce également de manière formelle que les provinces bénéficient d’un droit de veto en cette matière : À vrai dire, notre impuissance à régler ce problème constitutionnel cause de plus en plus d'embarras au Parlement du Royaume-Uni. Il a déjà laissé entendre ces dernières années qu'il serait fort heureux de pouvoir se décharger

278 Ibid., 24e Législature, 3e Session, vol. 5, 14 juin 1960, p. 5096 (les italiques sont de nous).

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de cette responsabilité, même s'il ne s'agit, comme je le suppose, que d'une responsabilité de forme. Bien entendu, la difficulté réside dans le caractère de notre constitution fédérale, car je crois que nous sommes tous d'accord ici, - du moins je l'espère, - pour reconnaître qu'aucune procédure visant à modifier notre constitution ne sera acceptable au Canada, si elle ne respecte pas les droits de chaque province.

On ne saurait trouver aucune autre solution acceptable. Mais nous oublions parfois que cette attitude, qui est la seule attitude convenable que nous puissions adopter, pourrait faire qu'un gouvernement provincial, appuyé peut- être dans les dernières élections par 25,000 ou 30,000 électeurs canadiens au plus, aurait un droit de veto pour s'opposer à certain changement constitutionnel. Cela pourrait arriver, car chaque province aurait le même droit que toutes les autres dans une question intéressant toutes les provinces. Je ne vois pas quel autre principe on pourrait adopter si la question intéressait chaque province. C'est la rançon de notre système fédératif279.

Au cours de la même session parlementaire, le premier ministre a de nouveau l’occasion d’affirmer que l’accord unanime des provinces est nécessaire lorsque leurs compétences sont touchées. Sa déclaration du 1er juillet 1960, énoncée dans le cadre de la deuxième lecture du projet de loi no C-79 portant sur la reconnaissance et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales, met en lumière les raisons pour lesquelles la Déclaration canadienne des droits280, sanctionnée le 10 août suivant, ne touche qu’aux domaines législatifs fédéraux : D'aucuns prétendent que pour être efficace, la mesure doit s'étendre aux provinces également. Ils doivent se rendre compte qu'il est impossible d'obtenir le consentement de toutes les provinces. Je ne fais allusion à aucune d'entre elles en particulier. Toute modification de la constitution qui toucherait à ce qu'on entend par l'expression les droits civils dans l'expression "les droits de propriété et droits civils" ne serait pas approuvée par toutes les provinces. La présente mesure est un pas en avant. Elle s'appliquera seulement à ce qui relève de la juridiction fédérale.

[...] Pour ce qui est d'une modification constitutionnelle, elle est impossible à réaliser à l'heure actuelle. [...] [O]n ne pourrait obtenir l'assentiment des provinces à des dispositions qui toucheraient aux droits de propriété et aux droits civils. Ce n'est là une critique à l'endroit d'aucune province. L'expérience nous a appris que les droits découlant de la constitution qui appartiennent aux législatures provinciales et au Parlement

279 Ibid., p. 5100 (les italiques sont de nous). 280 Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44.

92 fédéral et qui visent les deux parties sont inchangeables telles que les choses existent aujourd'hui et telles qu'elles ont existé par le passé.

[...] Je tiens à ajouter que, si jamais les provinces sont disposées à donner leur accord à une modification constitutionnelle comprenant une déclaration des droits qui énoncerait ces libertés, le gouvernement s'empressera de collaborer. Nous présenterons sans tarder une modification constitutionnelle, englobant non seulement la compétence fédérale mais aussi celle des provinces, dès que toutes les provinces y consentiront281.

Au cours de la même période, une conférence de tous les procureurs généraux du Canada étudia l’adoption d’une procédure de modification constitutionnelle282. Celle qui a été retenue fut connue sous le nom de « formule Fulton ». Toutefois, elle ne fut pas adoptée en raison de divergences de quelques provinces, dont le Québec, à propos de certains articles 283 . Malgré l’échec des négociations visant à mettre en œuvre cette formule, une déclaration du ministre de la Justice fédéral, Edmund Davie Fulton, montre qu’il considérait la règle de l’unanimité comme obligatoire. Le 27 mai 1961, il se prononce ainsi à la Chambre des communes : « J'ai certes l'espoir que, de notre conférence émanera une proposition qui sera acceptable à tous les gouvernements et aux assemblées législatives ainsi qu'au Parlement. Tel est notre but, mais ce n'est qu'après que les gouvernements auront étudié notre proposition et que les assemblées législatives et le Parlement l'auront approuvée que nous la mettrons en œuvre284 ».

Le contenu de cette déclaration contredit les juges majoritaires de la Cour suprême lorsqu’ils énoncent, dans le Renvoi de 1981, qu’aucun consensus ne s’est dégagé sur la mesure du consentement provincial lors des conférences constitutionnelles tenues entre 1927 et 1980 mais que « la discussion de ce point précis […] postule que tous les gouvernements en cause reconnaissent clairement le principe qu’un degré appréciable de

281 Débats de la Chambre des communes, 24e Législature, 3e Session, vol. 5, 1er juillet 1960, p. 5891-5892. 282 Cette conférence s’est tenue lors de quatre sessions entre octobre 1960 et septembre 1961. 283 Favreau, préc., note 124, p. 27-29 ; Marcel Martel, Le deuil d’un pays imaginé : rêves, luttes et déroutes du Canada français : les rapports entre le Québec et la francophonie canadienne, 1867-1975, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 1997, p. 141. 284 Débats de la Chambre des communes, 24e Législature, 4e Session, vol. 5, 27 mai 1961, p. 5656.

93 consentement provincial est nécessaire285 ». En effet, le ministre de la Justice Fulton mentionne clairement que la proposition de formule de modification constitutionnelle qui émanera de la conférence doit être acceptable à tous les gouvernements et assemblées législatives ainsi qu’au Parlement fédéral pour qu’elle soit mise en œuvre. Ainsi, l’absence de consensus à propos de l’adoption d’une formule de modification au cours des conférences fédérales-provinciales tenues entre 1927 et 1980 ne signifie pas que les acteurs dans les précédents ont eu la conviction qu’un degré appréciable de consentement provincial était nécessaire durant cette période. Au contraire, le fait qu’il n’y a pas eu de consensus à ce propos signifie que les acteurs visés par la procédure générale de modification ont la conviction qu’ils doivent s’entendre à l’unanimité pour qu’une nouvelle procédure soit adoptée286.

Ce constat montre encore une fois que l’unanimité était requise avant le rapatriement de 1982. Il s’agissait d’ailleurs d’une règle qui s’appliquait au niveau juridique. Les juges de la Cour suprême le reconnaissent d’ailleurs en ces mots dans le Renvoi de 1982 : « [La Loi constitutionnelle de 1982] prévoit une nouvelle procédure de modification de la Constitution du Canada qui remplace complètement l’ancienne tant au point de vue juridique que conventionnel287 ».

285 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 904-905, (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer). 286 André Burelle, Pierre Elliott Trudeau : l’intellectuel et le politique, Montréal, FIDES, 2005, p. 291 nous révèle que cette position était également défendue par le chef de l’opposition officielle du Québec, Claude Ryan, à cette époque. Dans une note pour Pierre Elliott Trudeau intitulée « Rencontre de Claude Ryan en compagnie de Pierre de Bané », datée du 12 août 1980, Burelle énonce que Claude Ryan lui a révélé que « Dans une fédération, la constitution appartient à toutes les parties prenantes et le fédéral n’a pas le droit d’en changer un élément aussi fondamental que la formule d’amendement sans le consentement des provinces. Et la règle de l’unanimité représente, selon lui, un tel changement du simple fait qu’elle crée une formule d’amendement là où il n’n’y en avait pas ». 287 À ce sujet voir la section 2.1. dans laquelle nous évoquons la référence suivante : Renvoi de 1982, préc., note 7, p. 806 (l’italique est de nous).

94 2.3.7. Les gouvernements libéraux de Lester B. Pearson (au pouvoir lors de 2 mandats du 22 avril 1963 au 20 avril 1968)

La procédure de modification constitutionnelle a été au cœur des mandats du gouvernement libéral de Lester B. Pearson. En 1964 et 1965, cette question s’est vue accorder une importance accrue dans des dossiers tels que les pensions de vieillesse et les prestations additionnelles ainsi que dans les négociations fédérales-provinciales pour mettre en place une procédure générale de modification constitutionnelle. Cette dernière, connue sous le nom de formule Fulton-Favreau, est acceptée à l’unanimité lors de la conférence fédérale-provinciale du 14 octobre 1964. Elle est toutefois abandonnée en janvier 1966 lorsque le gouvernement québécois de Jean Lesage décide de ne pas y donner suite288.

Le 20 février 1964, dans le contexte qui précède immédiatement les négociations constitutionnelles portant sur la formule Fulton-Favreau et les pensions de vieillesse, le premier ministre Lester B. Pearson se prononce sur le caractère spécifique de la province de Québec au sein de la fédération canadienne. À cette occasion, il énonce également les principes sur lesquels se fonde le fédéralisme coopératif tels que l’obtention de l’accord des provinces pour les questions constitutionnelles : On doit résoudre les problèmes de notre fédération en acceptant au départ le principe que les Canadiens de langue anglaise et de langue française sont des associés égaux. Dans notre fédération nationale, chaque province a ses propres droits, ses propres ressources et sa propre compétence. Cela a une importance particulière pour le Québec, qui est non seulement une province, mais aussi la patrie de la plupart des Canadiens de langue française, le gardien de leur langue, de leurs traditions et de leur mode de vie. Fondée essentiellement sur ce que j'ai indiqué, la solution de nos problèmes doit se trouver dans ce que nous appelons le fédéralisme coopératif. Cela signifie, d'après moi, qu'avant de prendre des décisions, le gouvernement fédéral doit toujours obtenir l'approbation des gouvernements provinciaux lorsque notre constitution l'exige. Cela saute aux yeux. Mais des consultations doivent aussi avoir lieu sur les questions qui, même si elles relèvent de la compétence fédérale, ressortissent également aux gouvernements provinciaux aux termes de la constitution, ou qui sont d'un tel intérêt direct pour les gouvernements

288 Favreau, préc., note 124, p. 30-31 ; Beaudoin, préc., note 119, p. 321-322 ; Woehrling et Morin, préc., note 119, p. 433.

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provinciaux qu'afin d'obtenir de bons résultats, l'appui et la collaboration des provinces doivent être obtenus289.

Au mois de juin suivant, le ministre de la Justice Guy Favreau a l’opportunité de donner une portée concrète à cette politique adoptée par son gouvernement. Il spécifie que toutes les provinces, dont le Québec par voie de résolution de sa législature, ont approuvé complètement la demande de modification de la Constitution relativement aux pensions de vieillesse et aux prestations additionnelles 290 . Par cette déclaration, le ministre de la Justice exprime une nouvelle fois que l’assentiment unanime des provinces est nécessaire pour modifier la Constitution lorsque leurs compétences sont touchées.

Les 1er et 2 septembre 1964, une conférence fédérale-provinciale des premiers ministres a lieu à Charlottetown pour commémorer le centenaire de la Conférence des Pères de la Confédération. À la clôture de celle-ci, le premier ministre fédéral et ceux des provinces annoncent, par voie de communiqué, leur « décision unanime d’effectuer sans délai le rapatriement de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique291 ». Pour ce faire, une conférence des procureurs généraux du Canada et des provinces est convoquée à Ottawa les 5, 6, 13 et 14 octobre suivant.

Quelques jours avant cette conférence, le ministre de la Justice affirme, à la Chambre des communes, que l’adoption d’une formule de modification de la Constitution doit être acceptable pour tous les gouvernements visés comme ce fut le cas lors des conférences fédérale-provinciales précédentes292. Dans les faits, la règle de l’unanimité pour modifier la Constitution a effectivement été suivie lors de la conférence fédérale- provinciales d’octobre 1964, à laquelle il participe. Dès le lendemain de la conférence, il s’exprime en ces mots à la Chambre des communes : Monsieur le président, il me fait honneur d'annoncer à la Chambre un accord qui fera date dans l'évolution constitutionnelle du Canada. Après des années d'impasse, les gouvernements fédéral et provinciaux se sont entendus, hier

289 Débats de la Chambre des communes, 26e Législature, 2e Session, vol. 1, 20 février 1964, p. 67 (les italiques sont de nous). 290 Ibid., vol. 4, 18 juin 1964, p. 4668. 291 Favreau, préc., note 124, p. 30. 292 Débats de la Chambre des communes, 26e Législature, 2e Session, vol. 8, 30 septembre 1964, p. 8796.

96 après-midi, sur un texte définitif conférant aux Canadiens eux-mêmes le pouvoir illimité et exclusif d'amender l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.

[...] En acceptant comme ils l'ont fait notre texte à l'unanimité, le premier ministre du Canada et ceux des provinces ont fait disparaître l'anachronisme qui depuis trop longtemps masquait notre statut de nation autonome. Ils ont prouvé une fois de plus que notre Fédération reposait sur une union profonde et durable.

Je suis heureux d'assurer aux députés que le gouvernement du Canada a l'intention d'inscrire la nouvelle formule d'amendement au Feuilleton dès que possible. Une fois que le Parlement canadien l'aura adoptée sous forme de requête conjointe et que chaque province l'aura aussi approuvée officiellement, on demandera au Parlement de Westminster de promulguer la formule comme faisant partie de la constitution du Canada [...]293.

En mars 1965, le premier ministre Lester B. Pearson est questionné à la Chambre des communes par les députés du parti Progressiste-conservateur Heward Grafftey et Eldon Mattison Woolliams à propos d'une déclaration du premier ministre du Québec Jean Lesage. Selon ces députés, le premier ministre québécois aurait affirmé que le projet de loi visant le rapatriement de la constitution octroierait un droit de veto au Québec sur l'évolution constitutionnelle du Canada. La réponse du premier ministre Pearson est très importante car elle montre qu’il se considère lié par la règle de l’unanimité qui s’exprime par le veto des provinces. À ce sujet, il indique que : […] la province de Québec a exactement les mêmes droits de veto que les autres provinces en ce qui regarde les modifications de la constitution, dans les matières qui relèvent de la compétence provinciale, ni plus, ni moins.

En vérité, monsieur l'Orateur, toute province devrait l'avoir, sur les questions qui relèvent de sa compétence dans les affaires constitutionnelles, selon l'Acte de l'Amérique du Nord britannique; et l'Acte de l'Amérique du Nord britannique le prévoit294.

Un mois plus tard, dans la foulée des négociations portant sur une formule de modification de la Constitution, le premier ministre précise davantage la notion de fédéralisme coopératif sur laquelle repose la politique du gouvernement fédéral. Cette

293 Ibid., 15 octobre 1964, p. 9255 (les italiques sont de nous). 294 Ibid., vol.11, 11 mars 1965, p. 12416-12417.

97 notion ne laisse planer aucun doute sur la nécessité d’obtenir l’assentiment de toutes les provinces pour modifier la Constitution lorsque leurs pouvoirs législatifs sont touchés : Un fédéralisme sain, un fédéralisme coopératif est un système politique dans lequel les deux niveaux de gouvernement s'acquittent de leurs responsabilités respectives et se respectent l'un l'autre, en tenant compte de leurs intérêts communs. S'ils sont chargés d'une action parallèle, ce doit être une action concertée et, par conséquent, fondée sur la consultation et la coopération, à un plus haut point, monsieur l'Orateur, que jamais auparavant, et c'est là la politique du gouvernement actuel. C'est ce que nous entendons par fédéralisme coopératif.

C'est la politique reflétée notamment dans la formule visant à faire de notre constitution une constitution entièrement canadienne, en abolissant la nécessité d'un recours au Royaume-Uni chaque fois qu'il y a lieu de la modifier. La formule que nous proposons […] est l'aboutissement d'années de patientes négociations fondées sur ce principe, reconnu par tous les Canadiens à l'esprit pratique, que nous devons à Ottawa, nous assurer l'assentiment des dix provinces au sujet de toute formule modificatrice. S'il nous est impossible d'en arriver là - mais je crois que nous réussirons, que nous en approchons déjà - il ne nous restera qu'à nous adresser de nouveau à Westminster et à demander à nouveau au Parlement britannique de se charger de modifier notre constitution295.

La dernière phrase de cette déclaration du premier ministre Pearson mérite une attention particulière. Si, à sa lecture, nous pouvons croire qu’en l’absence de consentement unanime des provinces pour modifier la Constitution, le Parlement fédéral pourrait tout de même s’adresser à Westminster, cette solution n’est jamais envisagée en pratique. En effet, la lecture des Débats historiques de la Chambre des communes montre que le gouvernement fédéral ne considère pas de s’adresser au Parlement britannique lorsque le gouvernement québécois refuse de donner suite, en janvier 1966, à l’adoption de la formule Fulton-Favreau. Une lettre du premier ministre Pearson, envoyée au premier ministre Lesage, le 26 de ce même mois, montre plutôt que la solution, pour pallier le refus du Québec d’entériner la formule Fulton-Favreau, serait la mise sur pied d’une nouvelle conférence fédérale-provinciale296. D’ailleurs, cette solution aurait été conforme à l’ensemble des déclarations sur la règle de l’unanimité et le droit de veto des

295 Ibid., 3e Session, vol. 1, 6 avril 1965, p. 43 (l’italique est de nous). 296 Ibid., 27e Législature, 1ère session, Vol. 1, p. 423.

98 provinces faites par le premier ministre Pearson et le ministre de la Justice Favreau au cours des deux années précédentes.

2.3.8. Les gouvernements libéraux de Pierre Elliott Trudeau (au pouvoir lors de 4 mandats du 20 avril 1968 au 4 juin 1979)

Durant cette période, une des premières conférences constitutionnelles pour adopter une formule de modification de la Constitution se tient à Ottawa les 8 et 9 février 1971. Au cours de celle-ci, les participants s’entendent sur une proposition de modification de la Constitution nommée « formule Turner-Trudeau »297. Le lendemain de la conférence, le premier ministre Trudeau indique que les premiers ministres provinciaux devront d’abord obtenir l’approbation de leurs cabinets respectifs relativement à cette formule. Une fois cette étape franchie, ils pourront se rendre à Victoria au cours du mois de juin suivant afin de voir s’ils peuvent l’accepter298. Cette déclaration montre que le premier ministre Trudeau est conscient qu’il ne peut imposer une formule de modification de la Constitution aux provinces.

Au cours de la conférence constitutionnelle de Victoria, qui se tient du 14 au 16 juin suivant, la formule Turner-Trudeau est intégrée dans la Charte de Victoria299. Une déclaration du ministre de la Justice , faite à la Chambre des communes dans les semaines précédant la Conférence constitutionnelle de Victoria, permet d’apprendre qu’il s’est rendu à Londres pour préparer un éventuel rapatriement dans l’éventualité où l’accord unanime des premiers ministres canadiens était obtenu lors de la Conférence. Dans celle-ci, il est également possible d’apprendre que les autorités britanniques connaissaient et respectaient la règle de l’unanimité : Lors de mon séjour à Londres la semaine dernière, je me suis entretenu avec le Grand Chancelier du Royaume-Uni et le procureur général des détails de tout rapatriement éventuel de la constitution, advenant que la rencontre des

297 Il est notamment possible de lire les dispositions de cette formule dans Ibid., 28e Législature, 3e Session, vol. 3, 9 février 1971, p. 3268 à 3270. 298 Ibid., 10 février 1971, p. 3243. 299 Pour les dispositions de la Charte de Victoria, voir : Ministère des Affaires intergouvernementales du Canada, Conférence constitutionnelle de Victoria (1867), [En ligne], [http://www.pco- bcp.gc.ca/aia/index.asp?lang=fra&page=hist&doc=victoria-fra.htm] (25 avril 2014).

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premiers ministres à Victoria soit fructueuse. Les ministres et les fonctionnaires britanniques savaient que ces entretiens dépendaient de l'issue favorable des pourparlers au Canada.

[...] J'ai eu le privilège de discuter de cette formule [Turner-Trudeau] avec tous les premiers ministres canadiens en vue d'obtenir leur accord unanime au sujet de la réforme300.

À la suite du retrait du Québec, le 23 juin suivant, la nécessité d’obtenir l’accord unanime des provinces pour modifier et rapatrier la Constitution est une fois de plus énoncée à la Chambre des communes. Le jour même du retrait du Québec, le premier ministre suppléant et secrétaire d’État aux Affaires extérieures, , indique à propos de la possibilité de trouver une entente, à la suite du retrait du Québec, qu’il pourrait être possible d’instaurer des discussions bilatérales entre le fédéral et une ou deux provinces mais que « les résultats de ces entretiens doivent rallier toutes les parties intéressées301 ». Deux jours plus tard, le premier ministre Trudeau mentionne qu’il trouve décevant et regrettable que le Québec ait décidé de rejeter la Charte. Il ajoute que « si le gouvernement du Québec veut proposer des propositions précises de nature à dissiper toute incertitude à cet égard, le gouvernement fédéral les accueillera volontiers. Le cas échéant, nous communiquerions alors avec les autres provinces pour voir s'il n'y aurait pas moyen de résoudre ce problème de façon acceptable à tous les intéressés302 ».

La nécessité d’obtenir l’assentiment préalable des provinces est également énoncée entre 1977 et la défaite électorale du gouvernement libéral de Pierre Elliott Trudeau de 1979. À titre d’exemple, le gouvernement fédéral fait part de son intention de travailler avec les gouvernements des provinces dans le discours du trône de la 3e Session de la 30e Législature de la Chambre des communes en vue de la mise en place d’un mécanisme de révision constitutionnelle. Par la même occasion, il se déclare confiant que cette révision sera susceptible de recevoir l’assentiment et l’adhésion de tous les Canadiens303.

300 Débats de la Chambre des communes, 28e Législature, 3e Session, vol. 6, 2 juin 1971, p. 6295 (l’italique est de nous). 301 Ibid., vol. 7, 23 juin 1971, p. 7292-7293 (l’italique est de nous). 302 Ibid., 25 juin 1971, p. 7317 (l’italique est de nous). 303 Ibid., 30e Législature, 3e Session, vol. 1, 18 octobre 1977, p. 3.

100 Le 12 juin 1978, le gouvernement fédéral fait connaître ses orientations pour renouveler la Constitution dans un ouvrage intitulé Le temps d’agir : Jalons du renouvellement de la fédération canadienne. Celui-ci contient notamment l’élaboration des grandes orientations en matière constitutionnelle ainsi que les principes du renouvellement qu’entend suivre le gouvernement fédéral en cette matière304. En lien avec la parution de cet ouvrage, le gouvernement dépose à la Chambre des communes le projet de loi C-60, le 20 juin suivant305. Celui-ci ne sera toutefois jamais adopté. Le débat qui suit ce dépôt permet toutefois au premier ministre Trudeau de se prononcer au sujet de l’inclusion d’une charte des droits dans la Constitution canadienne, ainsi que le prévoit le projet de loi : […] En général, monsieur l'Orateur, nous savons tous que conformément à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique - la Constitution du Canada - le gouvernement fédéral peut agir seul dans certains domaines. Dans d'autres, ce sont les provinces qui ont l'initiative. Il y a aussi les domaines exigeant la collaboration des deux paliers de gouvernements et, enfin, ceux où ils peuvent agir ensemble, mais chacun dans sa sphère d'attributions. La Déclaration des droits appartient à cette quatrième catégorie. Nous avons l'intention de soumettre le projet d'une charte des droits constituant un document constitutionnel auquel le Parlement serait lié. Nous savons fort bien que certaines applications d'un tel projet de charte ne peuvent pas lier les provinces car elles mettent en jeu la compétence provinciale, mais nous espérons que les provinces accepteront néanmoins de souscrire à la charte des droits, même dans ces domaines. Autrement dit, il y aura une disposition qui permettra aux provinces d'opter pour la charte, soit au moyen d'une loi parallèle, soit au moyen d'une résolution ou de toute autre formule engageant en fin de compte, nous l'espérons, tous les Canadiens306.

Cette déclaration du premier ministre, réalisée à peine quelques années avant le rapatriement de 1982, énonce en toutes lettres que le gouvernement fédéral est lié par le partage des compétences prévu dans la Loi constitutionnelle de 1867. En effet, Pierre Elliott Trudeau exprime, tout comme ses prédécesseurs, qu’une charte des droits et

304 Gouvernement du Canada, Le temps d’agir : Jalons du renouvellement de la fédération canadienne, Ottawa, Ministère des Approvisionnements et Services, 1978. 305 Projet de loi C-60 : Loi modifiant la Constitution du Canada dans certains domaines ressortissant à la compétence législative du Parlement du Canada et prévoyant les mesures nécessaires à la modification de la Constitution dans certains autres domaines, 30e législature, 3e session, 1978. 306 Débats de la Chambre des communes, 30e Législature, 3e Session, vol. 6, 12 juin 1978, p. 6293-6294 (l’italique est de nous).

101 libertés ne peut s’appliquer aux champs de compétence dévolus aux provinces. Il admet également que la souscription des provinces à une éventuelle charte est de leur ressort et qu’elle ne peut leur être imposée. Il peut, tout au plus, espérer que ces dernières y adhèrent. D’ailleurs, le premier ministre indiquera en janvier suivant que la même règle que celle prévue pour l’insertion d’une charte des droits et libertés s’appliquera à la protection des droits linguistiques. Seules les provinces qui désireraient adhérer à ces dernières dispositions seraient engagées par cette protection307. Un an plus tard, le rapport de la Commission sur l’unité canadienne indique, à propos de la formule préconisée dans le projet de loi C-60, que l’intégration constitutionnelle des droits fondamentaux ne serait réalisée que lorsque l’ensemble des dispositions portant sur ces droits seraient adoptées par toutes les provinces308.

De manière concrète, l’ouvrage Le temps d’agir : Jalons du renouvellement de la fédération canadienne contient deux phases pour renouveler la Constitution canadienne. Dans la première, devant se terminer avant le 1er juillet 1979, le gouvernement fédéral entend s’attarder aux modifications constitutionnelles pour lesquelles il a les pleins pouvoirs. Il s’engage pour ce faire à consulter tous les gouvernements provinciaux et à adopter des mesures susceptibles d’être acceptées par ces derniers309. Cette volonté de consulter les provinces et d’obtenir, dans la mesure du possible, leur assentiment lorsque leurs pouvoirs ne sont pas concernés peut surprendre. En effet, la Loi constitutionnelle de 1949 donne les pleins pouvoirs au gouvernement fédéral pour modifier la Constitution dans ses propres champs de compétence. Le fait que le gouvernement libéral de Pierre Elliott Trudeau s’engage tout de même à consulter les provinces et à obtenir leur assentiment dans la mesure du possible, lorsqu’il n’y est pas obligé, montre un important degré de déférence par rapport à leur opinion en matière constitutionnelle.

Dans la seconde phase, qui doit se terminer le 1er juillet 1981, le gouvernement fédéral énonce qu’il veut s’attarder à toutes les dispositions dont la modification concerne

307 Ibid., 4e Session, vol. 3, 25 janvier 1979, p. 2258. 308 Commission de l’unité canadienne, Se retrouver : Observations et recommandations, Ottawa, Ministère des approvisionnements et Services Canada, 1979, p. 116. À titre informatif, cette commission fut également connue sous le nom de « Commission Pepin-Robarts ». 309 Gouvernement du Canada, préc., note 304, p. 26.

102 à la fois le gouvernement fédéral et ceux des provinces. La révision de la répartition des compétences législatives entre les deux ordres de gouvernements serait la principale question qui serait abordée310. La nécessité d’obtenir l’assentiment unanime de toutes les provinces pour modifier la Constitution lorsque les pouvoirs des provinces sont visés est énoncée de manière sans équivoque par le gouvernement fédéral : « Nous croyons néanmoins que, si tous les gouvernements du pays abordent cette entreprise avec la même volonté d’aboutir, il devrait être possible de compléter la révision du partage des pouvoirs et d’arrêter les modifications requises à ce chapitre dans des délais qui nous permettraient de proclamer la nouvelle constitution canadienne le 1er juillet 1981311 ».

Le 2 novembre 1978, au lendemain d’une conférence fédérale-provinciale des premiers ministres tenue à Ottawa, la procédure de modification de la Constitution est de nouveau abordée à la Chambre des communes par le premier ministre Trudeau en réponse à une question du chef de l’opposition Joe Clark. Ce dernier demande si le gouvernement a renoncé à la date du 1er juillet 1979 pour réaliser la première phase de son échéancier visant à renouveler la Constitution. En réponse, le premier ministre indique : « […] J'ai annoncé moi-même que je ne voulais pas aller de l'avant avec les dispositions du bill C-60 qui portent sur le Sénat à moins d'avoir le consentement unanime des provinces312 ». Cette déclaration montre clairement que le premier ministre se considère lié par la règle de l’unanimité pour modifier la Constitution relativement au Sénat. Qui plus est, puisque la réponse du premier ministre porte sur les modifications envisagées lors de la première phase devant se terminer le 1er juillet 1979, nous devons conclure que les toutes les modifications que le gouvernement fédéral envisage d’apporter pour renouveler la Constitution requièrent, dans les faits, l’assentiment unanime des provinces.

Au point de vue temporel, il est intéressant de noter que le premier ministre Trudeau prononce ces paroles le 2 novembre 1978 tandis que le décret C.P. 1978-3581 du gouverneur en conseil, qui initie le Renvoi : Compétence du Parlement relativement à la

310 Idem. 311 Ibid., p. 27. 312 Débats de la Chambre des communes, 30e Législature, 4e Session, vol. 1, 2 novembre 1978, p. 720.

103

Chambre haute, n’est adopté que le 23 novembre suivant313. Force est donc de constater que la nécessité d’obtenir l’assentiment unanime des provinces pour modifier la Constitution relativement à la Chambre haute était donc admise par le gouvernement fédéral au moment d’adopter de ce décret.

Une fois ce constat établi, il importe toutefois de préciser qu’il n’y a pas de contradiction entre la déclaration du premier ministre que nous venons d’évoquer et les enjeux législatifs soulevés devant la Cour suprême dans le cadre du Renvoi : Compétence du Parlement relativement à la Chambre haute. En effet, la question à laquelle la Cour devait répondre « n’était pas celle de savoir si les provinces devaient être consultées avant une telle modification, mais bien si le Parlement canadien pouvait effectuer cette modification en vertu du paragraphe 91 (1) de la [Loi constitutionnelle] de 1867, c’est-à- dire sans avoir à s’adresser au Parlement de Westminster314 ».

Au cours de cette période, les questions constitutionnelles ont été abordées une dernière fois lors d’une conférence fédérale-provinciale des premiers ministres. Celle-ci se tint à Ottawa les 5 et 6 février 1979. Elle se solda une fois de plus par un échec pour trouver une formule générale de modification de la Constitution. Selon le ministre d’État chargé des relations fédérales-provinciales, John M. Reid, la règle de l’unanimité adoptée par les provinces fit achopper les négociations car ces dernières ne pouvaient s’entendre sur aucun point. Par la même occasion, il indique qu’il faudra convoquer de nouvelles conférences pour en arriver à une entente315. À la lumière de ce que prétend le ministre Reid, force est d’admettre que la règle de l’unanimité lie les parties impliquées dans les

313 Renvoi : Compétence du Parlement relativement à la Chambre haute, préc., note 35, p. 54. 314 Catherine Mathieu, La réforme du Sénat en marge des procédures multilatérales de modification constitutionnelle, Mémoire de maîtrise, Université Laval, 2013, p. 41-42. Il convient de préciser que les juges de la Cour suprême ont indiqué aux pages 77 et 78 de ce renvoi que « bien que le par. 91 (1) permette au Parlement d’adopter certains changements à la constitution actuelle du Sénat, il ne permet pas d’apporter des modifications qui porteraient atteinte aux caractéristiques ou essentielles attribuées au Sénat pour assurer la représentation régionale et provinciale dans le système législatif fédéral ». Notons également que les juges de la Cour suprême ont récemment indiqué, en prenant appui sur les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982 relatives à la procédure de modification de la Constitution (art. 38 à 49), que l’unanimité des provinces n’est désormais nécessaire que pour abolir le Sénat. À ce sujet, voir : Renvoi relatif à la réforme du Sénat, 2014 CSC 32. 315 Débats de la Chambre des communes, 30e Législature, 4e Session, vol. 3, 9 février 1979, p. 3077.

104 relations fédérale-provinciales. En effet, bien que les propos tenus par ce ministre indiquent que ce sont les provinces qui ont adopté cette règle lors de la conférence de février 1979, ils indiquent également que cette règle lie le gouvernement fédéral puisque, faute d’entente, il est contraint de convoquer d’autres conférences constitutionnelles.

2.3.9. Le gouvernement Progressiste-conservateur de Joe Clark (au pouvoir lors d’un mandat du 4 juin 1979 au 3 mars 1980)

D’emblée, ce gouvernement, malgré une courte période au pouvoir, dut énoncer sa position au sujet des modifications constitutionnelles. Le discours du trône, qu’il présente à la 1ère session de la 31e législature de la Chambre des communes, fait déjà état de la volonté de ce gouvernement d’apporter des solutions pratiques aux problèmes concrets en collaboration avec ses partenaires provinciaux316. Lors du débat sur le discours du trône, le premier ministre Joe Clark a l’occasion de préciser davantage la philosophie de son gouvernement. Il indique notamment que les relations fédérale-provinciales doivent être empreintes de collaboration mutuelle entre les deux ordres de gouvernements ainsi que du respect des compétences exclusives des provinces : […] Il faudra dans cette Chambre une confiance mutuelle, comme pour la conduite des relations fédérales-provinciales qui, à notre avis, ont nécessité une confiance mutuelle renouvelée entre Ottawa et les provinces.

La force du fédéralisme ne tient pas au pouvoir sacré du gouvernement central d'imposer son point de vue aux provinces. Elle tient plutôt à la volonté des partenaires de collaborer à la bonne marche des affaires du pays. La réussite de notre fédéralisme dépendra de notre aptitude à servir les différentes collectivités où les Canadiens choisissent de vivre. Ces collectivités ont différents potentiels économiques et leurs objectifs culturels et sociaux sont également différents.

La Confédération a donné aux provinces non pas uniquement des pouvoirs réels - et dans certains cas des pouvoirs exclusifs - qu'elles peuvent exercer dans ces domaines, mais elle leur a aussi confié les sources de revenu, c'est-à- dire les moyens économiques d'exercer ces pouvoirs avec efficacité. C'est dans cet esprit que, jadis, les forêts, les mines et les ressources naturelles,

316 Ibid., 31e Législature, 1ère Session, vol. 1, 9 octobre 1979, p. 5.

105

ainsi que les revenus dérivés de ces ressources, avaient été attribués aux provinces [...]317.

Au cours de cette session parlementaire, le premier ministre Joe Clark donne une portée concrète à l’esprit de collaboration qui doit régir les relations fédérale-provinciales pour modifier la Constitution. Le 2 novembre 1979, il mentionne que toutes les provinces doivent participer à la réforme constitutionnelle en matière de compétences sur les ressources marines 318 . La règle de l’unanimité pour modifier la Constitution est également abordée plus tard au cours de ce mois dans le contexte de l’enchâssement d’une charte des droits dans la Constitution pour protéger les minorités linguistiques. À ce sujet, les réponses du premier ministre Joe Clark aux questions du député libéral Jean- Robert Gauthier indiquent clairement qu’il est impossible pour le gouvernement fédéral d’imposer des dispositions linguistiques aux provinces réfractaires, en raison du partage des compétences prévu dans la Loi constitutionnelle de 1867 : La position affirmée par mon gouvernement, […] c'est qu'à notre avis la voie la plus utile à suivre en matière de droits des minorités linguistiques au Canada consiste pour le gouvernement fédéral à encourager les provinces, en leur faisant savoir que nous aimerions aller de l'avant d'un commun accord, plutôt que de menacer une province quelconque de l'imposition d'un régime. C'est toujours ce que pense le gouvernement.

[…] Pour nous, il serait préférable si nous pouvions conclure un accord touchant toutes les provinces. Toutefois, il s'agit de quelque chose [l’enchâssement des droits des minorités linguistiques dans la Constitution] que nous sommes disposés à considérer comme une option valable , s'il nous est possible d'en arriver avec plusieurs provinces et s'il n'est pas nécessaire de faire un effort en vue d'imposer aux autres provinces qui ne sont pas d'accord319.

Cette déclaration prononcée à la Chambre des communes par le premier ministre Joe Clark montre que son gouvernement privilégie l’accord unanime des provinces pour l’adoption d’une charte des droits dans laquelle se trouveraient des dispositions relatives à la protection des minorités linguistiques. Certes, il ouvre la porte à un accord avec plusieurs provinces, ce qui ne signifie pas l’unanimité d’entre elles. Toutefois, les paroles

317 Ibid., 10 octobre 1979, p. 40. 318 Ibid., 2 novembre 1979, p. 884-885. 319 Ibid., vol. 2, 26 novembre 1979, p. 1679 (l’italique est de nous).

106 qu’il prononce montrent qu’une telle entente ne pourrait être envisagée que si elle n’était pas imposée aux provinces en désaccord avec les modifications constitutionnelles proposées. Cette manière de concevoir les modifications constitutionnelles avant le rapatriement de 1982 est tout à fait compatible avec le partage des compétences prévu dans la Loi constitutionnelle de 1867 et avec le droit de veto de chaque province dans ses champs de compétence qui en résulte320.

2.3.10. Le gouvernement libéral de Pierre Elliott Trudeau (du 3 mars 1980 au rapatriement constitutionnel du 17 avril 1982)

Au cours de cette période, le gouvernement libéral de Pierre Elliott Trudeau doit s’attarder aux questions constitutionnelles très peu de temps après son élection. En effet, il est confronté à la tenue, le 20 mai 1980, d’un référendum sur la souveraineté- association du Québec avec le Canada. Un des faits saillants de la campagne référendaire se produit le 14 mai 1980 lors d’un rassemblement du camp fédéraliste au centre Paul- Sauvé de Montréal. À cette occasion, Pierre Elliott Trudeau promet aux Québécois de renouveler le fédéralisme et de remettre en marche le processus constitutionnel. Cette volonté sera d’ailleurs réaffirmée par le ministre de la Justice Jean Chrétien dès le lendemain du référendum à la Chambre des communes. À ce moment, ce dernier énoncera qu’il est nécessaire de consulter les provinces afin de mettre fin au statut quo constitutionnel321. L’été qui suit sera d’ailleurs marqué par de nombreuses rencontres entre les ministres et premiers ministres fédéraux et provinciaux afin de trouver une entente pour modifier et rapatrier la Constitution322.

320 À ce sujet, la Cour suprême énonce dans le Renvoi de 1982, préc., note 7, p. 801 que « la règle de l’unanimité repose sur l’égalité fondamentale de toutes les provinces puisque chacune jouirait d’un droit de veto […]». 321 Débats de la Chambre des communes, 32e Législature, 1ère Session, vol. 2, 21 mai 1980, p. 1255. 322 Au cours de l’été 1980, le comité permanent des ministres responsables du dossier constitutionnel s’est réuni à Montréal du 8 au 11 juillet, à Toronto du 14 au 18 juillet et à Vancouver du 22 au 24 juillet. Des conférences fédérales-provinciales des premiers ministres sur la Constitution se sont également tenues au lac Harrington du 8 au 13 juin et à Ottawa du 8 au 12 septembre. Au cours de cette période, une conférence des premiers ministres provinciaux sur la Constitution s’est également déroulée à Winnipeg les 21 et 22 août.

107

La volonté du gouvernement fédéral de procéder unilatéralement au rapatriement de la Constitution serait progressivement apparue au cours de cette période. Dans une note envoyée à Pierre Elliott Trudeau datée du 25 juin, son conseiller politique et rédacteur de discours, André Burelle, lui reproche d’avoir ouvert une discussion impossible avec le premier ministre du Québec René Lévesque pour justifier le rapatriement unilatéral par le Parlement fédéral323. Le même jour, lors d’une rencontre à Londres entre les premiers ministres Thatcher et Trudeau, ce dernier aurait indiqué à son homologue britannique que l’obtention de l’unanimité pour rapatrier la Constitution était peu probable. Il aurait toutefois reçu l’assurance de la première ministre Thatcher qu’elle légifèrerait à sa demande selon le mode d’action qui serait le moins problématique pour les deux gouvernements. Il fut enfin convenu que la première ministre Thatcher ne rencontrerait pas les représentants provinciaux afin d’éviter les accusations d’ingérence324.

Le 2 juillet suivant, le premier ministre Trudeau est questionné sur cette rencontre à la Chambre des communes par le député progressiste-conservateur, Arthur Jacob Epp. Celui-ci désire savoir si le premier ministre a reçu l’assurance que Parlement britannique adopterait rapidement une loi permettant de rapatrier la Constitution une fois que les mesures à cet effet auraient été prises au Canada. Le premier ministre Trudeau lui répond : « […] j’ai mentionné au premier ministre Thatcher et peut-être à un ou deux autres chefs de parti que nous nous étions engagés au Canada à renouveler la fédération dans les plus courts délais. Quand je dis nous, je veux bien sûr parler du Parlement du Canada et de tous les premiers ministres provinciaux325 ».

À la lumière de cette déclaration faite à la Chambre des communes, nous constatons que jusqu’à ce moment, le premier ministre Trudeau continue d’exprimer

323 Burelle, préc., note 286, p. 80. Il est possible de consulter cette note intitulée « Remise en question de la stratégie adoptée par le gouvernement pour donner suite aux promesses de changement faites au Québécois » aux pages 276 à 279. 324 Frédéric Bastien, La bataille de Londres : dessous, secrets et coulisses du rapatriement constitutionnel, Montréal, Boréal, 2013, p. 98-104. 325 Débats de la Chambre des communes, 32e Législature, 1ère Session, vol. 3, 2 juillet 1980, p. 2499 (les italiques sont de nous).

108 officiellement qu’il n’envisage pas de « renouveler la fédération » sans la participation de tous les premiers ministres provinciaux. Ces paroles revêtent une grande importance puisqu’elles sont prononcées à l’intention de la première ministre britannique Thatcher. Celle-ci est, en effet, une actrice incontournable dans le cadre du rapatriement de la Constitution canadienne.

Au lendemain d’un congrès du parti Libéral fédéral, qui s’est tenu du 4 au 6 juillet à Winnipeg, le premier ministre Trudeau ouvre officiellement la porte au rapatriement de la Constitution par le gouvernement fédéral sans l’accord des provinces. Il affirme à la Chambre des communes qu’il préférerait incorporer les droits et libertés dans la Constitution en obtenant l’accord des provinces et des Autochtones par la négociation et la persuasion. Toutefois, il indique qu’il faudra procéder unilatéralement à un certain moment si cela s’avère impossible326. Une journée plus tard, le premier ministre Trudeau fait part d’un autre moyen pour rapatrier la Constitution sans l’accord des provinces. À cette occasion, il indique qu’il songe à l’opportunité de tenir un référendum si les provinces et le gouvernement fédéral n’arrivent pas à s’entendre327. Quelques jours plus tard, il fait volte-face au sujet d’une modification constitutionnelle en matière familiale. À ce sujet, il se prononce en faveur de la règle de l’unanimité dans le cadre d’une proposition de transfert de juridiction sur le divorce du gouvernement fédéral vers les assemblées législatives provinciales328.

Ces dernières déclarations, énoncées de manière contradictoire à la Chambre des communes, montrent un changement d’attitude du premier ministre Trudeau à l’égard du degré d’assentiment provincial requis pour rapatrier et modifier la Constitution. Certains de ses propos montrent que le gouvernement fédéral envisage désormais une action unilatérale sans l’assentiment unanime des provinces pour inclure une charte des droits dans la Constitution, et ce, même si leurs pouvoirs sont touchés. En contrepartie, il réaffirme la nécessité d’obtenir l’unanimité pour modifier la Constitution en matière familiale. À la lumière de ces déclarations, force est de constater qu’à ce moment précis,

326 Ibid., 7 juillet 1980, p. 2588. 327 Ibid., 8 juillet 1980, p. 2640. 328 Ibid., 10 juillet 1980, p. 2743-2744.

109 le premier ministre Trudeau n’envisage l’action unilatérale que pour inclure une charte des droits et libertés dans la Constitution.

Au cours des mois de juillet à septembre 1980, plusieurs rencontres constitutionnelles, qui réunirent des acteurs fédéraux et provinciaux, eurent lieues. Toutefois, nous ne pouvons avoir accès aux déclarations à la Chambre des communes des acteurs fédéraux concernés par le rapatriement en raison d’un ajournement de la session parlementaire du 22 juillet au 6 octobre. Nous devons donc avoir exclusivement recours aux travaux d’auteurs qui ont étudié ces événements afin de déterminer l’élément psychologique des acteurs qui ont procédé au rapatriement constitutionnel durant cette période précise329.

À la suite de trois réunions des ministres chargés de la réforme constitutionnelle au cours du mois de juillet, les premiers ministres provinciaux se rencontrent à Winnipeg les 20 et 21 août. Le lendemain de cette rencontre, un mémorandum confidentiel du greffier du Conseil privé, Michael Pitfield, destiné au premier ministre Trudeau, est publié dans le Ottawa Citizen. En substance, il explique la voie à suivre pour rapatrier la Constitution sans l’accord des provinces. Il y est mentionné que le gouvernement fédéral devra attendre quelques semaines après la rencontre de l’ensemble des premiers ministres canadiens qui doit se tenir au mois de septembre suivant. Ce délai doit permettre de montrer que le gouvernement fédéral était de bonne foi dans les négociations. Le ministre de la Justice Jean Chrétien affirmera, lors d’une réunion subséquente avec ses collègues provinciaux, qu’il ne s’agit que d’un plan de contingence 330. Au même moment, le gouvernement fédéral prépare secrètement l’envoi d’une équipe de juriste au Foreign Office britannique afin de mettre au point une demande de rapatriement unilatéral de la

329 À ce sujet, voir notamment : Bastien, préc., note 324 ; Ron Graham, The Last Act : Pierre Trudeau, the Gang of Eight, and the Fight for Canada, Toronto, Allen Lane Canada, 2011 ; Burelle, préc., note 286 et James Ross Hurley, La modification de la Constitution du Canada : historique, processus, problèmes et perspectives d’avenir, Ottawa, Ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1996. 330 Bastien, Ibid., p. 129-130. À titre informatif, pour Graham, Ibid., p. 62, ce mémorandum n’est qu’un simple plan de contingence comme l’affirme Jean Chrétien. Il ne serait, en fait, qu’un échéancier dans lequel il est spécifié qu’une résolution pourrait être déposée à la Chambre des communes avant la fin de septembre, adoptée avant Noël et envoyée à Londres au début de la nouvelle année.

110 Constitution331. À la lumière de ces faits, nous constatons que le gouvernement fédéral franchit une nouvelle étape en vue de rapatrier unilatéralement la Constitution à la fin de l’été 1980.

Ce constat s’avère encore plus crédible à la suite de la fuite du mémorandum du conseiller politique du premier ministre Trudeau, Michael Kirby, à la veille de la conférence des premiers ministres sur la Constitution qui débute le 8 septembre. Dans ce document daté du 30 août 1980 remis secrètement au ministre des Affaires intergouvernementales du Québec, Claude Morin, puis redistribué aux autres délégations provinciales, il est écrit au dernier paragraphe que « The probability of an agreement is not high. Unilateral action is therefore a distinct probability. In the event unilateral action becomes necessary, Ministers should understand that the fight in Parliament and the country will be very, very rough 332 ». Ce document traite également de la stratégie fédérale pour inclure une charte des droits et libertés. Il y est prévu que […] The Premiers who are opposed should be put on the defensive very quickly and should be made to appear that they prefer to trust politicians rather than impartial and non-partisan courts in the protection of the basic rights of citizens in a democratic society. It is evident that the Canadian people prefer their rights protected by judges rather than by politicians. As far as patriation is concerned, the issue can very easily be developed to make those provinces who oppose it look as though they believe that they are happy with Canada's problems being debated in the Parliament of another country333.

La fuite de ces deux derniers documents a eu un effet dévastateur au cours des négociations qui se déroulèrent lors de conférence fédérale-provinciale de septembre 1980334. Dans un contexte de grande tension, M. Trudeau dépose l’avant-projet d’un nouveau préambule de la Constitution. Outre la reconnaissance du Québec comme société distincte, l’offre déposée par le premier ministre Trudeau comprend notamment :

331 Bastien, Ibid., p. 130. 332 Marianopolis College, Highlights of the Kirby Memorandum, préc., note 202. 333 Idem. 334 Burelle, préc., note 286, p. 296 écrit, à ce propos, dans une note du 19 septembre 1980 au premier ministre Trudeau, intitulée « Au lendemain de l’ultime occasion ratée », que « [q]uels que soient les torts des provinces, et quelles que soient nos protestations de bonne volonté ou notre désir réel d’en venir à une entente, les gens ne peuvent s’empêcher de penser que nous avons planifié le désastre, pour mieux justifier un geste unilatéral auquel nous étions décidés avant même d’entreprendre les négociations ».

111

(1) une formule de préservation des vetos régionaux pour préserver le droit de veto historique du Québec; (2) un projet de charte canadienne des droits et libertés; (3) une réforme du Sénat pour en faire un lieu de concertation entre les deux ordres de gouvernements de la fédération; (4) une réforme de la Cour suprême du Canada prévoyant que trois juges sur neuf proviendront du Barreau du Québec et ne seront nommés qu’après consultation obligatoire du Procureur général du Québec; (5) une décentralisation des pouvoirs en matière de droit familial et de télécommunications ; et (6) un renforcement des pouvoirs fédéraux pour assurer une gestion plus cohérente de l’union économique canadienne335.

Les participants ne parvinrent pas à s’entendre à l’unanimité sur ces questions. Les délégations provinciales profitèrent toutefois de l’occasion pour se réunir en privé le 11 septembre au Château Laurier pour rédiger une proposition commune, communément appelée « consensus du Château ». La formule de modification qui y était préconisée combinait des éléments des formules de Vancouver et de Victoria, sans toutefois préciser de quelle manière elles seraient harmonisées. Le consentement unanime à cet accord dépendait de sa mise en œuvre intégrale. Lorsque le gouvernement fédéral refusa de s’y rallier, les provinces ne se considérèrent plus liées. Cela permit à l’Ontario et au Nouveau-Brunswick de se dissocier du consensus336.

L’échec de la rencontre constitutionnelle de septembre 1980 marque un tournant concernant la règle de l’unanimité. Le gouvernement fédéral avait certes acquis progressivement la certitude qu’il pourrait être nécessaire d’effectuer le rapatriement de manière unilatérale au cours des mois précédent. Toutefois, pour Burelle, ce n’est véritablement qu’à la suite du « consensus du Château » que « M. Trudeau se braqua, ramassa ses billes et décida de tasser Lévesque et tous ses « complices » provinciaux [note omise] en procédant unilatéralement au rapatriement de la Constitution337 ».

335 Ibid., p. 61-62. 336 Hurley, préc., note 329, p. 57-58. Il est possible de consulter le texte de la proposition commune des provinces connue sous le nom de « consensus du Château » aux pages 225 à 234 de cet ouvrage. 337 Burelle, préc., note 286, p. 65.

112 Le 2 octobre suivant, le gouvernement fédéral publie un document intitulé Projet de résolution portant adresse commune à Sa Majesté la Reine concernant la constitution du Canada qui exprime la volonté de rapatrier unilatéralement la Constitution et d’y insérer une charte des droits et libertés. Le même jour, le premier ministre Trudeau s’adresse à la nation dans un discours télévisé. Il y énonce notamment que la nécessité d’obtenir l’assentiment de toutes les provinces pour rapatrier la Constitution a empêché sa réalisation, ce qui confirme que cette règle a été observée jusqu’à ce moment338. Le 6 octobre, dès l’ouverture de la session parlementaire, il dépose une résolution pour l'institution d'un comité spécial mixte du Sénat et de la Chambre des communes chargé d’examiner le Projet de résolution publié le 2 octobre précédent.

Lors de son allocution à la Chambre des communes, au moment du dépôt de cette résolution, le ministre de la Justice Chrétien affirme ce qui suit à propos de la règle de l’unanimité : L'expérience nous enseigne qu'il n'existe pas de règle sacrée, précisant si le gouvernement fédéral doit consulter les provinces et obtenir leur consentement, ni comment il doit le faire, avant de présenter une résolution visant à modifier l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Théoriquement, la souveraineté du Parlement du Royaume-Uni est telle qu'il peut modifier l'Acte de l'Amérique du Nord britannique avec ou sans le consentement du Canada. Mais l'histoire nous indique que le Parlement du Royaume-Uni ne modifiera l'Acte de l'Amérique du Nord britannique qu'à la demande du Parlement du Canada, et qu'il le fera en dépit des objections soulevées par une ou plusieurs provinces.

En ce qui concerne les sujets contenus dans cette résolution, le gouvernement du Canada a consulté les provinces depuis des années. Nous n'avons toujours pas réussi à nous entendre, et par conséquent, le gouvernement a décidé d'agir de lui-même pour répondre aux intentions de la résolution adoptée à l'unanimité par cette Chambre, le 9 mai dernier. Quels que soient les avantages d'un accord unanime pour procéder à des changements, on ne peut accepter de demeurer à jamais dans l'impasse constitutionnelle dans laquelle nous nous trouvons depuis 53 ans. Cependant, la nouvelle formule d'amendement que nous proposons fera en sorte qu'à l'avenir il sera impossible au gouvernement d'agir unilatéralement. Autrement dit, les changements que nous proposons vont effectivement réduire les pouvoirs qu'a le Parlement de modifier la Constitution339.

338 Bastien, préc., note 324, p. 149. 339 Débats de la Chambre des communes, 32e Législature, 1ère Session, vol. 3, 6 octobre 1980, p. 3287.

113

Les propos que le ministre de la Justice tient à ce moment méritent certaines observations. D’abord, il énonce qu’il n’y a pas de règle sacrée concernant la participation et l’obtention du consentement des provinces pour modifier de la Constitution. Toutefois, il est contredit moins d’un an plus tard par les juges majoritaires de la Cour suprême dans le Renvoi de 1981. En effet, ces derniers y énoncent qu’il existe une convention constitutionnelle nécessitant l’accord d’un nombre appréciable de provinces pour que le gouvernement fédéral adresse une requête au Parlement de Westminster en vue de rapatrier la Constitution canadienne340. Il existe donc au moins une règle susceptible de sanction au niveau politique en ce qui concerne la participation et l’assentiment des provinces à la procédure de modification constitutionnelle341.

Dans cette déclaration, le ministre de la Justice affirme également que le Parlement du Royaume-Uni modifiera la Constitution canadienne à la demande du Parlement fédéral sans tenir compte des objections soulevées par une ou plusieurs provinces. Les événements qui se dérouleront entre cette déclaration et le rapatriement de la Constitution, le 17 avril 1982, montreront que cette question est loin d’être aussi claire que le prétend le ministre de la Justice Chrétien. En effet, l’opposition des provinces mène, le 21 janvier 1981, au dépôt d’un rapport du comité permanent des Affaires étrangères de la Chambre des communes du Parlement de Westminster, présidé par Anthony Kershaw. Il y est mentionné que depuis 1930, il existe un devoir de ne pas transmettre au Parlement britannique une requête relative à toute modification constitutionnelle qui touche les provinces sans leur consentement et peut-être même sans leur consentement unanime. Les membres du comité ajoutent qu’ils croient que tous les Canadiens – et par le fait même les gouvernements provinciaux – ont, et ont toujours eu le droit de s’attendre à ce que le Parlement de Westminster exercera son pouvoir de modification de la Constitution canadienne de manière à respecter le régime fédéral de la

340 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 902 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer). 341 À propos de la sanction de la convention constitutionnelle au niveau politique, voir : Ibid., p. 774 et suiv. (Partie I sur l’aspect juridique - motifs du juge en chef Laskin et des juges Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer) ainsi que la p. 882 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer).

114 Constitution canadienne342. De plus, dans un livre paru récemment, Frédéric Bastien montre à quel point l’opposition des provinces au projet de rapatriement unilatéral du gouvernement fédéral a créé des problèmes politiques pour le gouvernement de Margaret Thatcher343.

Enfin, la déclaration de Jean Chrétien fait mention de la « nouvelle formule d’amendement que nous proposons ». Ceci montre qu’il sait qu’il rompt avec une précédente formule de modification puisqu’il en propose une nouvelle qui permettra, selon lui, de sortir de l’impasse constitutionnelle qui existe depuis 53 ans. Or, comme nous l’avons montré au cours de ce chapitre, la règle de l’unanimité pour modifier la Constitution lorsque les compétences législatives des provinces étaient touchées a été respectée et affirmée par tous les gouvernements fédéraux précédents au cours de cette période. D’ailleurs, un peu plus tôt au cours de cette même allocution, le ministre de la Justice Chrétien justifie le fait que les provinces ne devraient pas refuser d’être liées par une charte canadienne des droits et libertés puisqu’elles ont accepté à l’unanimité d’adhérer au Pacte international relatif aux droits civils et politiques en 1976344. Cet exemple illustre bien le changement d’attitude de ce gouvernement par rapport aux précédents. Alors que les gouvernements libéraux antérieurs de Pierre Elliott Trudeau requéraient l’accord unanime des provinces pour qu’elles acceptent d’être liées par un accord international touchant à leurs pouvoirs législatifs, ce gouvernement nouvellement élu affirme qu’il n’est plus lié par la règle de l’unanimité lorsque les pouvoirs législatifs des provinces sont touchés.

La déclaration du ministre de la Justice Chrétien à propos de l’adhésion unanime des provinces au Pacte international relatif aux droits civils et politiques amène une réflexion par rapport aux pouvoirs que détient chaque province d’accepter d’être liée ou

342 Royaume-Uni, House of Commons, First Report from Foreign Affairs Committee, session 1980-1981, vol. 1 : British North America Acts :The Role of Parliament, sess. 1980-1981, vol. 1, Londres, 1981, p. xxxvii et lii. 343 Bastien, préc., note 324. 344 Débats de la Chambre des communes, 32e Législature, 1ère Session, vol. 3, 6 octobre 1980, p. 3285. Pour plus d’informations sur l’adhésion du Canada et le contenu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, voir : Nations Unies, Collection des traités, Pacte international relatif aux droits civils et politiques, [En ligne], [https://treaties.un.org/pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV- 4&chapter=4&lang=fr], (11 avril 2014).

115 non par une norme juridique. En effet, si nous suivons la logique exprimée par le ministre de la Justice Chrétien, l’unanimité serait requise pour lier les provinces au niveau international lorsque leurs pouvoirs constitutionnels sont touchés, mais le même niveau d’accord ne serait pas requis lorsque l’on souhaite modifier la substance même des pouvoirs constitutionnels qu’elles détiennent en droit interne. Si nous poussions plus loin cette logique, cela ne reviendrait-il pas à dire que plus une modification toucherait de manière importante une norme de l’ordre juridique fédéral canadien, moins nécessaire serait l’assentiment unanime des provinces ? Il s’agirait selon nous d’un non-sens.

La volonté de rapatrier unilatéralement la Constitution n’est pas seulement critiquée par huit des dix provinces et par les membres du parti Progressiste-conservateur du Canada, elle l’est également par certains membres du parti Libéral du Canada. Le 12 mars 1981, à l’occasion du débat portant sur la résolution que nous venons d’évoquer, le secrétaire parlementaire du secrétaire d’État aux Affaires extérieures, Louis Duclos, prononce des paroles qui font écho aux propos tenus dans le présent texte : Monsieur le Président, que conclure de tout cela si ce n'est que ce projet de résolution est à la fois politiquement illégitime et constitutionnellement de légalité très douteuse ? Politiquement illégitime en raison de l'opposition de huit des dix provinces du Canada et de l'absence de mandat populaire précis à cette fin, et constitutionnellement de légalité très douteuse, parce que contraire à la coutume constitutionnelle de l'unanimité qui pourrait être requise pour modifier le partage des pouvoirs législatifs et tout autre élément fédératif de la Constitution de 1867, et surtout parce que contraire à l'article 91.1 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, qui ne permet pas au gouvernement fédéral, pour reprendre les termes mêmes de l'avis de 1980 de la Cour Suprême sur le Sénat, et je cite : de modifier de quelque façon les articles 91 et 92 régissant l'exercice de l'autorité législative par le Parlement du Canada et les législatures provinciales. […] Quel avantage a-t-on donc à ce que la Charte des droits et libertés fasse partie de la résolution qu'on demandera au Parlement britannique d'approuver par voie de résolution ? Ce qu'il faut savoir, monsieur le Président, c'est qu'en procédant de cette façon, le gouvernement demande en fait au Parlement de Westminster de rendre légal ce qui pouvait être illégal à l'origine et qui aurait pu être jugé inconstitutionnel par les tribunaux canadiens s'il n'y avait eu recours à cette procédure d'exception que constitue l'adoption d'une loi par le Parlement britannique345.

345 Débats de la Chambre des communes, 32e Législature, 1ère Session, vol. 7, 12 mars 1981, p. 8186 (l’italique est de nous).

116 Les propos que Louis Duclos tient à cette occasion sont très éclairants car ils montrent que certains parlementaires étaient conscients qu’une coutume constitutionnelle requérant l’assentiment unanime des provinces pour rapatrier et modifier la Constitution existait. Qui plus est, ils posent la question de la légalité de la procédure adoptée par le gouvernement fédéral tant en regard du droit coutumier que de la Loi constitutionnelle de 1867. Soulignons que les préoccupations qu’il exprime à ce moment sont partagées par plusieurs provinces. En effet, le 23 octobre précédent, Terre-Neuve, le Québec et le Manitoba demandèrent des avis juridiques à leurs cours d’appel respectives qui portaient notamment sur la légalité de la démarche du gouvernement fédéral346.

* * * En somme, à la lumière de l’analyse que nous venons de réaliser, nous constatons que les critères relatifs à l’aspect matériel de la coutume constitutionnelle requérant l’assentiment unanime des provinces pour modifier et rapatrier la Constitution sont tous remplis. En effet, toutes les modifications constitutionnelles réalisées à partir de 1907, et plus particulièrement à compter de 1930, ont été réalisées avec l’accord des provinces concernées. D’ailleurs, l’analyse effectuée par les juges majoritaires de la Cour suprême dans le Renvoi de 1981 étaie cette conclusion. Ce constat est important car la jurisprudence et les auteurs de doctrine qui portent sur la coutume en droit international, dans les États de common law et au Canada montrent, à quelques rares exceptions, que lorsque ces critères sont rencontrés, l’aspect psychologique est présumé.

346 À la suite du dépôt par le gouvernement fédéral de la résolution visant à étudier le rapatriement unilatéral à la Chambre des communes le 6 octobre 1980, les provinces se réunirent le 14 octobre suivant à l’hôtel Harbour Castle de Toronto pour discuter de la stratégie à adopter face à la position fédérale dans le dossier constitutionnel. À ce moment, l’Ontario et le Nouveau-Brunswick favorisent la position fédérale tandis que la Nouvelle-Écosse et la Saskatchewan choisissent de rester neutres. Les six autres provinces, désignées sous le nom de « Groupe des Six », décident de contester la position fédérale devant les tribunaux. Pour ce faire, il est décidé que les provinces de Terre-Neuve, du Québec et du Manitoba demanderaient un avis juridique à leurs cours d’appel respectives le 23 octobre suivant. Le gouvernement du Québec a, pour sa part, soumis les questions relatives à cet enjeu à la Cour d’appel du Québec par le décret portant le numéro 3850-80, en date du 17 décembre 1980, modifié par le décret portant le numéro 198-81, en date du 21 janvier 1981. À ce sujet, voir : Bastien, préc., note 324, p. 173-178 et Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, préc., note 1, p. 83.

117

L’analyse effectuée indique également que l’aspect psychologique de la coutume étudiée était aussi présent à chaque occasion où la modification et le rapatriement de la Constitution furent envisagés. En effet, ce n’est qu’en octobre 1980 que le gouvernement fédéral adopta une résolution pour rapatrier unilatéralement la Constitution. Avant ce moment, les principaux acteurs parlementaires ont tous exprimé la nécessité d’obtenir l’assentiment unanime des provinces et de respecter le partage des compétences législatives pour modifier ou rapatrier la Constitution lors des divers mandats de chacun des premiers ministres fédéraux.

De manière plus précise, les premiers ministres et les ministres fédéraux se sont crus liés par la règle de l’unanimité lors de moments charnières de l’histoire constitutionnelle canadienne. Ils savaient donc, contrairement à ce que prétendent les juges majoritaires dans le Renvoi de 1981, que cette procédure de modification existait347. Pour s’en convaincre, nous pouvons d’abord mentionner les propos tenus par le premier ministre Bennett au moment de l’insertion de la « clause Canada » dans le Statut de Westminster en 1931. En outre, de 1956 à la veille du rapatriement de 1982, au moins trois premiers ministres ont exprimé la nécessité de respecter la règle de l’unanimité pour adopter une charte des droits. Ils exprimaient, de cette manière, l’impossibilité pour le gouvernement fédéral d’enchâsser dans la Constitution des dispositions législatives qui porteraient atteinte à l’intégralité des pouvoirs législatifs dévolus aux provinces dans la Loi constitutionnelle de 1867. L’adoption, en 1960, de la Déclaration canadienne des droits, qui ne s’applique qu’aux lois fédérales, ainsi que les déclarations à la Chambre des communes du premier ministre Diefenbaker réalisées à cette occasion montrent également que ces acteurs se sont crus liés par la règle de l’unanimité. Ces éléments montrent que le fardeau de preuve visant à établir une pratique généralement – et non unanimement - acceptée comme étant le droit par les acteurs concernés est largement rempli.

347 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 788 (Partie I sur l’aspect juridique - motifs du juge en chef Laskin ainsi que des juges Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer). À cette occasion, ces juges se sont exprimé en ces termes : « Il serait évidemment anormal qu’en droit, ce qui cacherait l’anomalie d’une constitution sans dispositions modificatrices, que cette Cour dise rétroactivement qu’en droit, il y a toujours eu une formule de modification même si nul ne le savait jusqu’ici […] ».

118 CHAPITRE III. L'OPPORTUNITÉ DE PLAIDER LA COUTUME CONSTITUTIONNELLE

Fort de l’exercice réalisé au cours des précédents chapitres, nous croyons que certaines questions d’importance persistent. À la suite du Renvoi de 1981, aurait-il été possible de plaider le droit coutumier pour éviter de modifier substantiellement les compétences législatives fédérales et provinciales sans le consentement unanime de toutes les provinces, et ce, avant de rapatrier la Constitution en 1982 ? De la même manière, serait-il toujours possible aujourd’hui de faire invalider la Loi constitutionnelle de 1982 ? Pour répondre à ces questions, nous évoquerons dans un premier temps la possibilité de plaider la coutume constitutionnelle au moment du rapatriement de 1982 pour s’attarder, par la suite, à l’opportunité de faire invalider la Loi constitutionnelle de 1982 encore aujourd’hui.

1. L’opportunité de plaider la coutume constitutionnelle au moment du rapatriement de 1982

D’emblée, peu de sources permettent d’en apprendre sur les décisions et les stratégies adoptées aux niveaux politique et judiciaire par les acteurs visés par le rapatriement. Selon Bastien, les questions posées par Terre-Neuve, le Québec et le Manitoba dans le Renvoi de 1981 résultent d’une stratégie commune adoptée par six des huit provinces opposées au rapatriement unilatéral par le gouvernement fédéral. D’après une correspondance de cet auteur avec Claude Morin, ministre québécois des Affaires intergouvernementales au moment du rapatriement, la stratégie adoptée n’avait pas tant pour objet de résoudre un problème juridique que de montrer aux autorités fédérales et britanniques que le rapatriement unilatéral soulevait de graves problèmes au niveau constitutionnel. Pour Morin, cette stratégie retardait le processus, embêtait et mettait mal à l’aise le gouvernement fédéral ainsi que les Britanniques. Pour ces raisons, il a été décidé de plaider la violation des conventions constitutionnelles par le fédéral plutôt que

119 de faire valoir des règles de droit348. Cette approche mettait davantage l’accent sur la dimension politique de l’exercice. Qui plus est, en acceptant de se prononcer sur les questions posées, les juges n’auraient fait que joindre leur voix au débat alors en cours, tout en n’ajoutant rien du point de vue juridique349.

À la lumière de cet énoncé, aurait-il été possible de plaider la coutume constitutionnelle exigeant l’assentiment de toutes les provinces pour rapatrier la Constitution ? Faute de renseignements supplémentaires à ce sujet, il serait spéculatif, à ce moment-ci, d’avancer des réponses à cette question. Une chose demeure, cette règle de droit n’a pas été plaidée avant le rapatriement ni dans le Renvoi de 1982.

En plus de ces considérations, l’aspect temporel doit être considéré pour déterminer si la coutume constitutionnelle aurait pu être plaidée. En effet, le Renvoi de 1982, rendu le 6 décembre 1982, mentionne que la question constitutionnelle qui lui a été présentée est devenue théorique, car la Loi constitutionnelle de 1982 est en vigueur. Sa légalité ne pouvait être ni contestée ni contestable350. De plus, diverses formules de modification constitutionnelle y étaient insérées. Pour cette raison, la Cour suprême affirme dans le Renvoi de 1982 que, même si l’on supposait que le consentement du Québec était conventionnellement requis avant le rapatriement, celui-ci est désormais sans objet ni effet 351 . Aurait-il été possible d’empêcher ce constat en plaidant la coutume constitutionnelle avant le rapatriement le 17 avril précédent, tout en tenant compte des motifs énoncés dans le Renvoi de 1981 dont il a été question précédemment ?

348 Au point de vue juridique, il aurait été possible de faire valoir, en plus de la coutume étudiée dans le présent texte, que la modification et le rapatriement unilatéralement de la Constitution canadienne par le fédéral étaient impossibles en vertu de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (No 2), adopté en 1949. En effet, cette loi constitutionnelle prévoit que le Parlement du Canada est autorisé à modifier la Constitution « sauf en ce qui concerne les matières comprises dans les domaines exclusivement attribués par la présente loi aux législatures des provinces […] ». D’ailleurs, il est précisé dans le Renvoi : Compétence du Parlement relativement à la Chambre haute, préc., note 35, p. 65 que « [l]es lois adoptées depuis 1949 en vertu du par. 91(1), n’ont pas, pour citer le Livre blanc, porté atteinte aux relations fédérales-provinciales ». Il importe toutefois de préciser que l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (no 2) ne précise pas le degré d’assentiment provincial requis dans cette situation. 349 Bastien, préc., note 324, p. 178-179. 350 Au cours de la prochaine partie, nous évoquerons qu’il pourrait toujours être possible, selon nous, de contester la validité de la Loi constitutionnelle de 1982 malgré cette affirmation des juges de la Cour suprême. 351 Renvoi de 1982, préc., note 7, p. 805-806.

120

Pour répondre à cette question, la chronologie des événements associés au rapatriement de 1982, énoncée en introduction du présent texte, est primordiale352. Elle permet de dégager certains moments propices, voire cruciaux, pendant lesquels les tribunaux canadiens auraient pu reconnaître l’existence d’une coutume constitutionnelle nécessitant l’accord unanime des provinces visées avant que le fédéral puisse rapatrier la Constitution.

À ce propos, il aurait pu être possible de faire déclarer la coutume constitutionnelle pour modifier la Constitution avant le Renvoi de 1981 en réalisant le même exercice que les juges majoritaires de la Cour suprême. Toutefois, la période qui se situe entre l’opinion émise dans ce renvoi le 28 septembre 1981 et l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 le 17 avril suivant est, certes, la fenêtre d’opportunité la plus probable, car on aurait pu faire valoir l’opinion des juges majoritaires rendue dans le Renvoi de 1981. D’une manière encore plus précise, la période qui suit l’entente conclue dans la nuit du 4 au 5 novembre 1980 entre neuf provinces, à l’exception du Québec, et le gouvernement fédéral s’avère sans aucun doute celle où il aurait été impératif de la faire valoir pour qu’elle puisse être prise en considération par les tribunaux canadiens. En effet, à partir de cette période, la conclusion d’une entente politique se révélait de plus en plus difficile en vue d’obtenir l’assentiment du Québec pour le rapatriement tandis qu’il devenait toujours plus évident que le gouvernement fédéral et celui des autres provinces procéderaient sans l’accord du Québec.

Dans l’éventualité où la coutume constitutionnelle pour modifier et rapatrier la Constitution avec l’accord unanime des provinces aurait été plaidée par voie judiciaire ou par renvoi entre le Renvoi de 1981 et le rapatriement de 1982, il aurait été très difficile pour les tribunaux canadiens de nier son existence. D’une part, puisque la coutume est une source de droit, il aurait été impossible d’esquiver une question à ce propos en la situant au niveau politique. Il n’aurait pas été davantage possible d’invoquer l’autorité de la chose jugée, car il s’agit d’une question différente. D’autre part, les arguments des

352 Supra, introduction du présent texte.

121 juges majoritaires du plus haut tribunal canadien présentés dans le Renvoi de 1981 concernant les précédents positifs et négatifs établissent les fondements mêmes sur lesquels repose la coutume constitutionnelle. La confrontation de ces arguments au regard des critères du droit coutumier énoncés dans le contexte législatif canadien par les auteurs de doctrine et les tribunaux ne peut que conforter cette prétention. En outre, la règle de l’unanimité fondée sur une règle coutumière est conciliable avec la règle de l’égalité entre les provinces en ce sens qu’elle n’accorde pas de droit de veto à une seule province353. À partir de ce constat, comment les tribunaux canadiens auraient-ils pu éviter de se considérer liés par les arguments énoncés dans le Renvoi de 1981, alors que ces derniers furent énoncés par la majorité des juges du plus haut tribunal du pays moins d’un an auparavant ?

À un autre niveau, une décision des tribunaux canadiens en faveur de la reconnaissance de la coutume constitutionnelle aurait-elle lié le gouvernement fédéral ? Ce dernier aurait-il tout de même pu s’adresser au Parlement de Westminster pour rapatrier unilatéralement la Constitution canadienne ? La réponse à ces questions se situe en droit interne canadien. En effet, depuis l’adoption du Statut de Westminster, en 1931, le Parlement fédéral et les législatures provinciales sont autonomes pour édicter les lois internes canadiennes354. Tel que le précise Hogg, il est ultimement et exclusivement du ressort des tribunaux canadiens de décider si une loi ou une règle de droit est valide au Canada, et ce, qu’elle ait été adoptée par le Parlement fédéral, une législature provinciale ou le Parlement de Westminster 355 . Le 31 mars 1981, le premier ministre Trudeau reconnaît d’ailleurs à la Chambre des communes qu’une décision de la Cour suprême défavorable au gouvernement fédéral l’empêcherait de s’adresser au Parlement de Westminster356.

Dans ces conditions, un recours visant à faire reconnaître la règle de l’unanimité en regard du droit coutumier aurait pu forcer le gouvernement fédéral à renégocier pour

353 Renvoi de 1982, préc., note 7, p. 815. 354 Statut de Westminster de 1931, préc., note 123, par. 2(2) et 7(2). 355 Hogg, préc., note 31, p. 329. 356 Débats de la Chambre des communes, 32e Législature, 1ère Session, vol. 8, 31 mars 1981, p. 8785- 8786.

122 obtenir l’appui de toutes les provinces. À ce sujet, Gérald-A. Beaudoin suggère qu’il aurait été théoriquement possible de rapatrier la Constitution sans formule générale de modification en enchâssant la règle de l’unanimité en attendant de trouver une formule plus souple357. Cette dernière position reste toutefois spéculative dans le contexte que nous avons décrit. Chose certaine, le gouvernement fédéral aurait dû attendre que la question soit entendue et que l’ensemble des recours judiciaires soit épuisé avant de procéder. Dans l’éventualité où la coutume aurait été reconnue à titre de règle de droit applicable, le gouvernement fédéral n’aurait pu se soustraire à son application, et ce, avant même d’avoir la possibilité de demander au Parlement de Westminster de rapatrier la Constitution358.

À ce propos, le deuxième principe de modification énoncé dans le Livre blanc de 1965 énonce clairement que le « Parlement du Canada doit autoriser toute demande au Parlement britannique de modifier l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Ce principe a été établi dès le début et l’on ne s’en est pas écarté depuis 1895359 ». Si un tribunal canadien avait empêché le Parlement du Canada d’autoriser une demande au Parlement britannique en ce sens, comment ce dernier aurait-il pu modifier la Constitution canadienne ? En effet, dans la perspective où le Canada n’est plus une colonie britannique, il n’est plus approprié que les décisions en regard de sa constitution dépendent du jugement d’un corps législatif qui n’est aucunement responsable devant

357 Beaudoin, préc., note 119, p. 318. 358 Dans le rapport intitulé First Report from Foreign Affairs Committee, session 1980-1981, vol. 1, British North America Acts :The Role of Parliament, préc., note 342, p. lix et lx, nous pouvons constater que plusieurs parlementaires britanniques se sentaient aussi concernés par la procédure judiciaire canadienne. Au moment du dépôt du rapport le 21 janvier 1981, ils insistaient notamment sur le fait qu’il ne fallait pas anticiper sur l’issue de celle-ci et que les autorités britanniques seraient en sérieuse difficulté pour adopter une loi en faveur du rapatriement si les tribunaux canadiens désapprouvaient le gouvernement fédéral dans les instances judiciaires alors en cours. 359 Favreau, préc., note 124, p. 15 ; voir également Woehrling et Morin, préc., note 119, p. 413, où les auteurs indiquent qu’il existe trois exceptions apparentes à cette règle, qui n’ont cependant aucun caractère significatif : « […] en 1893, 1927 et 1950 - le Parlement britannique adopta une loi sur la révision du droit statutaire pour faire disparaître des lois en vigueur les dispositions périmées ou devenues désuètes mais non abrogées. Chacune de ces lois avait notamment pour effet d’abroger certaines dispositions faisant partie de la Constitution du Canada. Il semble que le Parlement de Westminster ait adopté ces « modifications » de sa propre initiative plutôt qu’en réponse à une demande des autorités canadiennes ».

123 l’électorat canadien 360. En conséquence, l’adoption d’une loi constitutionnelle par le Parlement de Westminster n’aurait pu être incorporée en droit interne canadien si un tribunal canadien avait reconnu, en vertu du droit coutumier, qu’une demande de modification ou de rapatriement de la Constitution par le Parlement fédéral devait préalablement avoir obtenu l’assentiment unanime des provinces concernées.

2. L’opportunité de plaider la coutume constitutionnelle à la suite du rapatriement de 1982

Ainsi que nous l’avons mentionné dans la partie précédente, les juges de la Cour suprême mentionnent dans le Renvoi de 1982 que la question constitutionnelle est devenue théorique car la Loi constitutionnelle de 1982 est désormais en vigueur. Qui plus est, sa légalité est incontestée et incontestable361. À la lumière de ces affirmations, nous devons d’abord déterminer si le rapatriement de 1982 a eu pour effet d’empêcher tous recours ultérieurs visant à invalider la Loi constitutionnelle de 1982. Si tel n’est pas le cas, nous pourrons, par la suite, analyser les arguments légaux qui pourraient être invoqués afin d’invalider cette loi constitutionnelle.

Le premier argument qui pourrait être invoqué à l’encontre de la possibilité d’invalider de la Loi constitutionnelle de 1982 provient, par analogie, du droit français. En effet, plusieurs auteurs énoncent que l’adoption du Code civil, en 1804, aurait abrogé tout le droit antérieur et non consacré dans son texte pour former un code complet et uniforme362. À la lumière de cette affirmation, serait-il possible d’invoquer cette théorie, par analogie, pour contester un recours visant à faire invalider la Loi constitutionnelle de 1982 ? Plusieurs motifs nous incitent à répondre par la négative à cette question.

360 Favreau, préc., note 124, p. 10 et 15 ; Hogg, préc., note 31, p. 330-332 ; Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 801 à 804. À ce sujet, nous traitons également de l’indépendance du Parlement canadien, des législatures provinciales et du Parlement britannique dans la partie 1 du chapitre II. 361 Renvoi de 1982, préc., note 7, p. 805-806. 362 À ce sujet, voir notamment : Marie-Claire Belleau, « Pouvoir judiciaire et codification : perspective historique », (1997-1998) 28 R.D.U.S., par. 32 ; Juneau, préc., note 190, p. 102 et John E. C. Brierley, « The Civil Law in Canada », (1992), 84 Law Library Journal, p. 162-163.

124 D’emblée, nous devons spécifier que nous divergeons d’opinion avec les auteurs qui mentionnent que l’adoption du Code civil a abrogé tout le droit antérieur. En effet, d’après nous, le droit antérieur, qui comprend notamment les principes généraux du droit, la coutume, les lois romaines, les statuts et la jurisprudence, n’a pas été complètement abrogé. La lecture du Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil permet d’ailleurs de constater que ce droit conserve une fonction supplétive : Comme ce Code ne renferme pas toutes les décisions justes et raisonnables que l'on trouve dans les lois romaines, les ordonnances et les coutumes, il s'ensuivrait que si on abrogeait toutes ces lois pour ne donner aux juges d'autre règle que le Code, on serait livré à l'arbitraire pour une infinité de contestations363.

Nous pouvons donc observer que le droit antérieur à l’adoption du Code civil n’a été abrogé que dans les matières qui y sont expressément prévues 364 . Pour s’en convaincre, précisons que l’article 593 du Code civil, adopté en 1804 et toujours en vigueur à ce jour, établit, à propos des droits relatifs à l’usufruitier, qu’« [il] peut prendre, dans les bois, des échalas pour les vignes ; il peut aussi prendre, sur les arbres, des produits annuels ou périodiques ; le tout suivant l'usage du pays ou la coutume des propriétaires ». De même, l’article 2511 alinéa 4, adopté en 2006, précise, à propos du livre foncier de Mayotte, que « [l]es droits collectifs immobiliers consacrés par la coutume ne sont pas soumis au régime de l’immatriculation 365 ». La lecture de ces articles montre, encore une fois, que le Code civil n’abroge pas entièrement le droit antérieur à son adoption et qu’il y fait toujours référence à ce jour. Ce constat correspond d’ailleurs à ce que nous observons en droit civil québécois366.

363 P.-A. Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t. 1, Osnabrück, O. Zeller, 1968, LXXXI. À ce propos, il est possible de lire dans Observations du Tribunal de cassation sur le projet de Code civil, Paris, Imprimerie de la République, An X (1801-1802) que ce tribunal propose que l’article IV soit rédigé ainsi : « Le droit intérieur et particulier de chaque peuple se compose en partie du droit universel, en partie des lois qui lui sont propres, et en partie de ses coutumes et usages, qui ne doivent et ne peuvent être que le supplément des lois ». 364 P.-A. Fenet, Ibid., p. LXXXV. 365 Le Département de Mayotte est un département d’outre-mer français de l’océan indien situé dans l’archipel des Comores. 366 Juneau, préc., note 190, p. 97-121 montre que l’adoption du Code civil du Bas-Canada en 1866 n’a pas abrogé le droit antérieur à son adoption et qu’il est toujours possible de s’y référer.

125

D’autres motifs nous incitent à exclure la référence, par analogie, à l’adoption du Code civil pour valider la thèse selon laquelle la légalité de la Loi constitutionnelle de 1982 serait incontestée et incontestable. D’abord, comme nous l’avons précisé, la Constitution canadienne repose sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni en vertu du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867. À ce titre, il peut s’avérer inapproprié de se référer aux principes du droit civil français pour interpréter le droit constitutionnel canadien. En effet, le premier est en majeure partie codifié tandis que le second repose, dans une large mesure, sur des principes constitutionnels dégagés à partir de la common law ou encore sur des règles non écrites telles que la coutume et la convention. De plus, tel que nous venons de le mentionner, le Code civil forme un code complet et uniforme dans les matières qui y sont expressément prévues. Ce n’est pas le cas de la Loi constitutionnelle de 1982 qui complète le droit antérieur à son adoption sans l’abroger367.

Un second argument pourrait être invoqué visant à contrer un recours pour faire invalider la Loi constitutionnelle de 1982. En effet, il pourrait être possible de prendre appui sur les motifs énoncés dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec pour affirmer que les tribunaux ne doivent pas s’immiscer dans les aspects politiques des négociations constitutionnelles puisqu’« [u]ne fois établi le cadre juridique, il appartiendrait aux dirigeants démocratiquement élus des divers participants de régler leur différends 368 ». Or, tel que nous l’avons précisé précédemment, la procédure de modification constitutionnelle est d’ordre juridique369. Qui plus est, dans le Renvoi de 1981, les juges de la Cour suprême se prononcent sur la légalité de la modification de la Constitution et du rapatriement de 1982, sans toutefois aborder la coutume analysée dans

367 À ce sujet, le paragraphe 52 (2) de la Loi constitutionnelle de 1982 énonce que la Constitution du Canada comprend les lois figurant à l’annexe de cette loi. 368 Renvoi relatif à la sécession du Québec, préc., note 14, par. 101. 369 Supra, chapitre II, partie 2.2. À ce propos, les juges de la Cour suprême énoncent d’ailleurs dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, Ibid, par. 102 que « La non-justiciabilité de questions politiques dénuées de composante juridique ne retire pas au cadre constitutionnel existant son caractère impératif et ne signifie pas non plus que les obligations constitutionnelles pourraient être violées sans entraîner de graves conséquences juridiques ».

126 la présente étude370. En conséquence, une nouvelle question d’ordre juridique portant sur les mêmes faits devrait être analysée par les tribunaux371.

Choudhry et Howse critiquent d’ailleurs le fait que la Cour suprême soumet entièrement la révision du processus de négociation constitutionnelle aux institutions politiques dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, et ce, même si des aspects légaux sont présents. Selon eux, cette position accroît la pression sur le processus démocratique. Ainsi qu’ils l’expliquent, en refusant totalement d’intervenir lorsque les parties lui soumettent un litige en raison de positions irréconciliables, la Cour suprême peut accroître les coûts de transaction372 des négociations visant à établir de nouvelles règles qui seront éventuellement appliquées par les tribunaux. Enfin, Choudhry et Howse mentionnent qu’il peut arriver que des interprétations politiques soient invalides en regard du droit constitutionnel existant ainsi que ce fut le cas, selon nous, lors du rapatriement de la Constitution de 1982. Dans ces cas, les tribunaux doivent intervenir lorsqu’une question d’ordre juridique leur est soumise afin de s’assurer que les acteurs politiques agissent de manière conforme au cadre juridique constitutionnel373.

En ce qui concerne les motifs pour lesquels il serait, selon nous, toujours possible de faire invalider la Loi constitutionnelle de 1982, nous devons d’abord indiquer que la légalité d’une modification constitutionnelle en droit canadien nécessite le respect des règles constitutionnelles qui prévalent à ce moment. Cette règle découle de la primauté du droit qui prévoit que l’État n’agit que par le droit édicté, que nul n’est au-dessus du droit

370 À ce propos, les juges majoritaires et minoritaires ont analysé l’aspect juridique du rapatriement dans la partie I du Renvoi de 1981, préc., note 2 que nous trouvons aux pages 762 à 848. 371 À titre d’exemple, la Cour suprême s’est prononcée à trois occasions sur des questions juridiques portant sur la fermeture du magasin Wal-Mart de Jonquière de 2005 à la suite de l’accréditation syndicale des travailleurs de l’établissement en 2004. À ce propos, voir : Plourde c. Compagnie Wal-Mart du Canada Inc., [2009] 3 R.C.S. 465 ; Desbiens c. Compagnie Wal-Mart du Canada, [2009] 3 R.C.S. 540 ; Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie Wal-Mart du Canada, [2014] CSC 45. 372 Ronald H. Coase, « The Problem of Social Cost », (1960) 3 Journal of Law and Economics, p. 1-44 énonce notamment que l’intervention étatique peut se justifier par la théorie économique, mais seulement à deux conditions : 1) il faut d'une part que les coûts de transaction engendrés par la réglementation soient eux-mêmes inférieurs aux coûts de transaction engendrés par les autres solutions n'impliquant pas l'intervention de l'État et ; 2) il faut d'autre part que l'action produise des bénéfices supérieurs à ces coûts de transaction, sans quoi l'intervention de l'État engendrerait une perte nette. 373 À ce propos, voir : Choudhry et Howse, préc., note 17, par. 43-46.

127 et qu’ un contrôle effectif de la constitutionnalité et de la légalité des actes normatifs existe374.

La primauté du droit est reconnue dans les Lois constitutionnelles de 1867 et de 1982. Cette règle est un principe fondamental de la Constitution canadienne375. À titre illustratif, nous avons mentionné précédemment que la Loi constitutionnelle de 1867 devait respecter les dispositions du Colonial Laws Validity Act de 1865 pour être valide au moment de son adoption376. De même, dans le contexte constitutionnel actuel, une modification à la procédure de modification de la Constitution qui serait adoptée sans l’assentiment unanime des provinces et du gouvernement fédéral pourrait être invalidée par les tribunaux377. Ainsi, force est d’admettre, par analogie, que la légalité de l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 peut être contestée en vertu des normes juridiques, telles que la coutume, qui prévalaient au point de vue constitutionnel avant le rapatriement.

À ce propos, certaines déclarations des premiers ministres canadien et britannique montrent qu’il serait possible de faire invalider la Loi constitutionnelle de 1982 par les tribunaux canadiens, et ce, même après le rapatriement de 1982. À titre d’exemple, le premier ministre Trudeau déclare, le 20 novembre 1980, lors d’un débat à la Chambre des communes portant sur le Projet de résolution portant adresse commune à Sa Majesté la Reine concernant la constitution du Canada que « […] [n]ous devrions commencer par rapatrier la constitution et adopter une déclaration des droits. Ensuite, si un citoyen ou un gouvernement provincial se sentent lésés par cette mesure et estiment qu'elle est entachée

374 Duplé, préc., note 13, p. 94-95. 375 Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, par. 63 et 64. Ce principe est reconnu implicitement dans la Loi constitutionnelle de 1867 en vertu des mots suivants du préambule « avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni ». Or, Dicey, préc., note 156, p. 183, énonce que la primauté du droit a toujours été considéré comme le fondement même de la Constitution anglaise qui caractérise les institutions politiques d’Angleterre depuis l’époque de la conquête normande. La Loi constitutionnelle de 1982, pour sa part, reconnaît explicitement la primauté du droit dans son préambule qui déclare : « Attendu que le Canada repose sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit ». 376 Supra, chapitre II, partie 1.1. 377 Loi constitutionnelle de 1982, préc., note 4, art. 41.

128 d'illégalité, […] ils n'auront qu'à présenter leurs arguments aux tribunaux378 ». De même, dans une lettre de Margaret Thatcher à René Lévesque, datée du 14 janvier 1982, celle-ci indique que les procédures judiciaires ultérieures concernant la validité du rapatriement doivent être réglées au Canada379.

Nous devons à présent nous demander si un délai de prescription existe pour faire invalider une loi constitutionnelle. À ce propos, dans le Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba de 1985, les juges de la Cour suprême déclarent invalides les lois manitobaines unilingues adoptées depuis 1890380. Qui plus est, dans l’arrêt Manitoba Metis Federation Inc. C. Canada (Procureur général), le même tribunal énonce que « les lois sur la prescription des actions ne peuvent empêcher les tribunaux de rendre un jugement déclaratoire sur la constitutionnalité de la conduite de la Couronne381 ». Nous constations donc que les recours portant sur la constitutionnalité d’une loi ou sur la conduite de la Couronne sont imprescriptibles.

Il est également possible d’évoquer que le Renvoi de 1981 et le Renvoi de 1982 ne peuvent, par leur nature même, avoir l’autorité de la chose jugée, même si en pratique les différents gouvernements s’y conforment comme s’il s’agissait de jugements382. En effet, le renvoi est un avis consultatif qui permet à la Cour suprême de transmettre son avis sur

378 Débats de la Chambre des communes, 32e Législature, 1ère Session, vol. 5, 26 novembre 1980, p. 5092. Le premier ministre Trudeau fera une autre déclaration en ce sens le 2 février 1981. À ce propos, voir Ibid., vol. 6, 2 février 1981, p. 6773. Rappelons également que nous avons cité une déclaration du premier ministre Louis-Stephen St-Laurent, au cours de la partie 2.3.5 du chapitre II, réalisée en 1949, à la suite de l’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord (no 2), dans laquelle il indique que les assemblées législatives provinciales pourraient contester devant les tribunaux les modifications constitutionnelles qui empièteraient sur les pouvoirs qui leurs sont dévolus sans leur consentement. 379 Marianopolis College, Lettre du premier ministre René Lévesque à Mme Margaret Thatcher, première ministre de Grande-Bretagne, le 19 décembre 1981, et réponse de celle-ci, le 14 janvier 1982, préc., note 30. Dans la réponse de Margaret Thatcher, elle écrit : «Given the terms of the judgment of the Supreme Court of Canada on 28 September 1981 and the fact that an address has been submitted to Her Majesty I am satisfied that existence of further legal proceedings in Canada of the kind to which you refer is entirely a Canadian matter ». 380 Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, préc., note 375. 381 Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général), [2013] 1 R.C.S. 623, par. 135. 382 À ce sujet, voir : Gérald A. Beaudoin, « Le contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois », (2003), 48, R.D. McGill, par. 14 à 17 ; Stéphane Bernatchez, « Les traces de la légitimité du débat de la justice constitutionnelle dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada », (2005-2006), R.D.U.S., par. 52-53 et Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 849.

129 chaque question d’ordre constitutionnel qui lui est soumise par le gouverneur en conseil 383 . Un gouvernement provincial peut également déférer une question constitutionnelle par renvoi à la cour d’appel de sa province. Celui-ci peut être interjeté en appel devant la Cour suprême384.

Le 25 janvier 1940, le premier ministre Mackenzie King a l’occasion de se prononcer à la Chambre des communes sur l’utilité du renvoi constitutionnel devant la Cour suprême. Il affirme à cette occasion qu’il s’agit d’une procédure qui permet à ce tribunal de « se prononcer définitivement sur une question afin d’éviter des frais inutiles ainsi que l’inconvénient et les ennuis qui résultent de l’annulation ultérieure de toute loi 385 ». Les juges de la Cour suprême ont également traité de la nature du renvoi constitutionnel dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec. Ils y énoncent que ce rôle consultatif attribué à la Cour suprême est « très clairement une fonction accomplie en dehors des procédures contentieuses386 ». Nous constatons donc qu’il y a une dichotomie entre l’utilité et la nature du renvoi constitutionnel devant la Cour suprême. D’une part, il est de facto considéré comme un véritable jugement ayant une utilité réelle. D’autre part, il ne s’agit de jure que d’un avis consultatif. Pour cette raison, le Renvoi de 1981 et le Renvoi de 1982 ne peuvent légalement avoir l’autorité de la chose jugée quoique tous les justiciables s’y conforment en pratique.

La situation est toutefois plus complexe en ce qui concerne les deux renvois effectués par le gouvernement québécois devant la Cour d’appel du Québec au moment du rapatriement. En effet, la Loi sur les renvois à la Cour d’appel ne prévoyait pas à ce moment que l’opinion certifiée de cette cour devait être considérée comme un jugement387. Or, pour pouvoir interjeter appel de ces renvois devant la Cour suprême, ils

383 Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, ch. S-26, art. 53. 384 Pour la province de Québec, voir : Loi sur les renvois à la Cour d’appel, RLRQ, 1977, c. R-23. 385 Débats de la Chambre des communes, 18e Législature, 6e Session, vol. 2, 25 juin 1940, p. 1152. 386 Renvoi relatif à la sécession du Québec, préc., note 14, par. 15. 387 L’article 5.1 de l’actuelle Loi sur les renvois à la Cour d’appel, préc., note 384, qui prévoit que les opinions exprimées par la Cour d’appel du Québec doivent être considérées comme des jugements, n’a été adopté qu’en 1987.

130 devaient être assimilés à des jugements ayant l’autorité de la chose jugée 388 . Pour remédier à cette lacune, le gouvernement québécois adopta donc deux lois pour que les renvois devant la Cour d’appel du Québec de 1981 et de 1982 soient considérés comme des jugements389. Cependant, les juges de la Cour d’appel du Québec ne font aucunement mention de ces deux lois dans les renvois de 1981 et en 1982, et ce, malgré qu’ils justifient leur devoir de répondre aux questions qui leur sont soumises par certains articles de la Loi sur les renvois à la Cour d’appel390.

Dans l’éventualité d’un recours ou d’un renvoi ultérieurs fondés sur la coutume constitutionnelle, la Cour d’appel du Québec devrait tout de même, selon nous, respecter certains éléments énoncés par les juges majoritaires dans le Renvoi de 1981 puisque ses avis ont été interjetés en appel devant la Cour suprême. Ainsi, elle devrait prendre en compte les précédents positifs et négatifs retenus dans ce renvoi pour établir le degré d’assentiment provincial nécessaire pour rapatrier la Constitution. De cette manière, toute contradiction à ce sujet serait évitée.

Cette difficulté, plus théorique que réelle, pourrait être contournée par d’autres motifs permettant d’invoquer l’absence d’autorité de la chose jugée. Il est ainsi possible d’alléguer qu’un éventuel recours fondé sur la coutume constitutionnelle pour faire invalider la Loi constitutionnelle de 1982 ne porterait pas sur le même objet. En effet, pour qu’il y ait identité d’objet et que l’autorité de la chose jugée puisse s’appliquer, le point que l’on demande de déclarer irrecevable doit manifestement avoir été tranché nettement et clairement, et ce, à titre d’étape fondamentale dans la logique de la décision rendue391. De même, l’omission du juge de statuer sur un point en litige ouvre la porte à une nouvelle demande392. En l’espèce, le Renvoi de 1981 ne traite pas de la validité du

388 Loi sur la Cour suprême, préc., note 383, art. 36. 389 Loi sur un renvoi à la Cour d’appel, L.Q. 1980, c. 24, art. 1 et Loi sur un renvoi à la Cour d’appel, L.Q. 1981, chap. 17, art. 1. 390 Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, préc., note 1, (motifs de M. le juge en chef Crête) et Re : Opposition à une résolution pour modifier la constitution, préc., note 6. 391 Kaufman, Admissibility of Confessions, 3e éd. (1979), p. 63 (Cité dans Duhamel c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 555, p. 559. 392 Juris-Classeur Civil (vo. Contrats—Obligations en général—Div. 155, art. 1351, nos. 57 et 107) (Cité dans Ellard v. Millar, [1930] SCR 319, p. 326-327).

131 rapatriement constitutionnel du point de vue coutumier, et ce, même si certaines questions soumises sont formulées en termes assez larges pour que cette source de droit soit prise en compte393. Il en est de même pour le Renvoi de 1982 puisqu’il ne porte que sur le droit de veto conventionnel du Québec en matière constitutionnelle lorsque ses pouvoirs législatifs sont touchés.

De la même manière, ce ne sont pas nécessairement les mêmes parties qui seraient impliquées dans un éventuel recours visant à faire reconnaître une coutume nécessitant l’assentiment unanime des provinces pour rapatrier la Constitution. En effet, tel que le mentionnent Brun, Brouillet et Tremblay, tout justiciable peut saisir les tribunaux d’une question constitutionnelle si ces conditions sont remplies: (1) la question de la validité de la loi se pose sérieusement; (2) le justiciable est directement touché par la loi ou il a un intérêt véritable quant à sa validité et (3) il n’existe pas d’autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la justice394. Ils affirment également que la qualité pour agir peut être accordée en vertu des « pouvoirs discrétionnaires résiduaires » des tribunaux à une personne qui désire contester une loi lorsqu’elle fait face à des mesures coercitives395. De plus, le premier ministre Trudeau reconnaissait lui-même, dans le débat à la Chambre des communes portant sur le rapatriement unilatéral par le fédéral, que « n'importe quel citoyen pourra soumettre toute loi qu'il juge inconstitutionnelle ou illégale à la Cour Suprême, qui jugera de sa constitutionnalité396 ».

393 À titre d’exemple, la question 3 soumise par le Manitoba et Terre-Neuve énonce « Le consentement des provinces est-il constitutionnellement nécessaire pour modifier la Constitution […] », ce qui ouvre théoriquement la porte à l’analyse de la coutume à titre source de droit applicable au rapatriement de 1982. D’ailleurs, dans les motifs minoritaires de la partie I du Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 814 portant sur l’aspect juridique, les juges Martland et Ritchie se demandent si les mots « constitutionnellement nécessaires » devraient avoir le sens de « juridiquement nécessaire ». 394 Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 187. Voir également : Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, [2012] 2 R.C.S. 524 ; Conseil du patronat du Québec Inc. c. Québec (Procureur général), [1991] 3 R.C.S. 685; Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236 ; Hy and Zel’s Inc. c. Ontario (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 675 et Vriends c. Alberta, [1998] 1. R.C.S. 493, 526-529. Sur la notion de justiciable, la Cour suprême, sous la plume du juge Gonthier, énonce dans Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326, 360 que « […] tous sont justiciables devant les tribunaux de droit commun ». 395 Brun, Tremblay et Brouillet, idem. Voir également : Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, [1998] 3 R.C.S. 157, 182-188. 396 Débats de la Chambre des communes, 32e Législature, 1ère Session, vol. 6, 2 février 1981, p. 6773 (les italiques sont de nous).

132

À ce moment-ci, certaines questions persistent, selon nous, relativement à l’opportunité de faire invalider la Loi constitutionnelle de 1982. En effet, est-ce que le l’adoption du Canada Act par le Parlement de Westminster, pour permettre le rapatriement de la Constitution canadienne, pourrait empêcher un éventuel recours devant les tribunaux canadiens pour faire invalider la Loi constitutionnelle de 1982 ? En ce sens, l’adoption de cette loi par le Parlement de Westminster a-t-elle permis de rendre légal ce qui pouvait être illégal à l'origine et qui aurait pu être jugé inconstitutionnel par les tribunaux canadiens avant le rapatriement de la Constitution397 ?

La réponse à ces questions se trouve dans l’application du Statut de Westminster de 1931. D’abord, il est impératif de mentionner qu’en vertu de l’article 2 de ce statut, le Canada est désormais indépendant du Royaume-Uni au point de vue législatif398. Le quatrième article, quant à lui, prévoit que « Les lois adoptées par le Parlement du Royaume-Uni après l'entrée en vigueur de la présente loi ne font partie du droit d'un dominion que s'il est expressément déclaré dans ces lois que le dominion a demandé leur édiction et y a consenti399 ». Or, pour le que Parlement canadien puisse se conformer à cette disposition, il aurait d’abord dû obtenir l’assentiment unanime des provinces en vertu de la coutume constitutionnelle que nous avons exposé au chapitre précédent. De ce fait, puisque la demande et le consentement du Parlement canadien à l’édiction du Canada Act par le Parlement de Westminster pourraient être déclarés nuls dès le départ, cette loi ne pourrait faire partie du droit canadien. En conséquence, l’ensemble de la Loi constitutionnelle de 1982 devrait être invalidée puisque le Canada Act ne pourrait être incorporé en droit interne 400 . Il serait donc impossible d’appliquer la théorie de la

397 À ce sujet, voir notamment la déclaration faite en 1981 par le secrétaire parlementaire du secrétaire d’État aux affaires étrangères Louis Duclos présentée à la fin de la partie 2.3 du chapitre II. 398 Sur cette question, voir la partie I du chapitre II. 399 Nous avons utilisé la version française du Statut de Westminster de 1931 qui se trouve sur le site Web du ministère de la Justice du Canada, [En ligne], [http://canada.justice.gc.ca/fra/pr-rp/sjc- csj/constitution/loireg-lawreg/p1t171.html] (26 avril 2014). À ce propos, voir également le troisième paragraphe du préambule qui énonce : « Attendu : qu’est également conforme à cette situation constitutionnelle la règle selon laquelle les lois désormais adoptées par le Parlement du Royaume-Uni ne peuvent faire partie du droit d’un dominion qu’à la demande et le consentement de celui-ci ». 400 Il convient de préciser que les tribunaux canadiens ne pourraient pas invalider le Canada Act adopté par le Parlement de Westminster car ils n’ont aucune autorité à l’égard du pouvoir législatif d’un État

133 divisibilité de la législation afin de préserver les articles de la Loi constitutionnelle de 1982 qui ne portent pas atteinte aux pouvoirs législatifs des provinces401. En effet, une loi adoptée par le Parlement du Royaume-Uni ultérieurement à la promulgation du Statut de Westminster doit valablement faire partie du droit canadien pour qu’elle puisse y être modifiée402.

À présent, nous devons nous demander quelles seraient les conséquences de l’invalidation de la Loi constitutionnelle de 1982. À ce propos, la Cour suprême a énoncé plusieurs principes juridiques dans le Renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba de 1985 qui doivent être pris en compte 403 . D’abord, lorsqu’une loi est déclarée inconstitutionnelle, elle est invalide ab initio, soit depuis son adoption, et non à compter du jugement qui prononce l’invalidité. En effet, une loi déclarée invalide n’a en principe aucunement existé car le parlement dont elle émane n’a jamais eu le pouvoir de l’adopter404. Toutefois, le Renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba de 1985 énonce que lois constitutionnelles déclarées invalides peuvent, en vertu de certains principes juridiques, avoir des effets depuis l’adoption de la loi invalidée. De cette manière, il est possible de maintenir la primauté du droit qui « exige la création et le maintien d’un ordre réel de droit positif qui préserve et incorpore le principe plus général de l’ordre normatif405 ». Qui plus est, la déclaration d’invalidité peut également être suspendue

indépendant. Ils pourraient toutefois déclarer que cette loi ne peut s’appliquer au Canada, ce qui aurait pour effet d’invalider la Loi constitutionnelle de 1982. Cela serait tout à fait conforme aux propos des juges majoritaires de la Cour suprême dans le Renvoi de 1981 lorsqu’ils énoncent qu’il « serait illégal de recourir au pouvoir du Royaume-Uni pour faire au nom du Canada ce que ce dernier ne peut faire lui- même ». À ce propos, voir : Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 798 (Partie I sur l’aspect juridique - motifs du juge en chef Laskin et des juges Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer). 401 Cette théorie est reconnue en droit canadien en vertu du Colonial Laws Validity Act de 1865, préc., note 116, art. 2. À propos de la doctrine de la divisibilité de la législation aussi appelée doctrine de la dissociation législative ainsi que de l’interprétation large telle qu’appliquée récemment par les tribunaux, voir notamment : Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, 695 et suiv. 402 À ce sujet, le paragraphe 2 (2) du Statut de Westminster de 1931 prévoit que le parlement d’un dominion peut abroger ou modifier les lois du Parlement du Royaume-Uni adoptées ultérieurement à la promulgation de ce statut « dans la mesure où ils font partie du droit du dominion ». 403 Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, préc., note 375, p. 721. 404 Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 196. 405 Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, préc., note 375, p. 749.

134 durant une certaine période afin de laisser l’opportunité au législateur de concevoir une nouvelle approche législative s’il le juge opportun406.

Pour maintenir la primauté du droit, il est possible de faire appel au principe de la validité de facto. Il est important de spécifier que ce principe ne fait que valider les actes posés par une autorité qui exerce sa charge sous apparence d’autorité. Il n’a pas pour effet de valider les actes posés en vertu d’une autorité invalide. Selon la Cour, ce principe « ne reconnaît et ne donne effet qu'aux attentes justifiées de gens qui se sont fiés aux actes de ceux qui ont appliqué les lois invalides, ainsi qu'à l'existence et au fonctionnement des corps publics ou privés mêmes irrégulièrement ou illégalement constitués 407 ». Il ne s’agit toutefois que d’une solution partielle car un bon nombre de ces droits, obligations et autres effets ne doivent pas leur existence au fait que le public s’est fié à des actes exercés avec l’apparence d’autorité. Qui plus est, l’autorité de facto des officiers publics cesse avec le jugement qui prononce l’invalidité de la loi constitutionnelle408.

D’autres principes juridiques énoncés dans le Renvoi sur les droits linguistiques du Manitoba de 1985 pourraient remédier aux conséquences de l’invalidité de la Loi constitutionnelle de 1982. D’abord, le principe de la chose jugée empêcherait la réouverture des dossiers qui ont été jugés en fonction de lois invalides. Le principe de l’erreur de droit pourrait, quant à lui, empêcher le recouvrement de sommes versées en vertu de lois invalides. Ces principes restent toutefois, de l’avis des juges de la Cour suprême, de portée restreinte et ne peuvent s’appliquer à toutes les situations qui pourraient être contestées409. Pour ces derniers, la seule solution permettant de préserver les droits, obligations et autres effets qui découlent de lois invalides proviennent de la garantie constitutionnelle de la primauté du droit ainsi que dans le principe de l’état de

406 À titre d’exemple, voir : Canada (Procureur général) c. Bedford, [2013] 3 R.C.S. 1101 dans lequel les juges de la Cour suprême ont suspendu pour un an la déclaration d’invalidité de l’article 210 ainsi que des alinéas 212 (1) j) et 213 (1) c) du Code criminel relatifs à la prostitution et aux maisons de débauche afin de permettre au législateur de concevoir une nouvelle approche de l’encadrement de la prostitution s’il le juge opportun. 407 Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, préc., note 375, p. 757. 408 Ibid., p. 755 à 757. 409 Ibid., p. 757.

135 nécessité 410 . Ces principes permettent de préserver un système juridique valide et efficace. En vertu de ceux-ci, il serait donc possible de valider temporairement la Loi constitutionnelle de 1982, pendant la période permettant au pouvoir constituant de concevoir une nouvelle approche constitutionnelle, s’il le jugeait opportun.

410 Ibid., p. 758 à 766.

136 CONCLUSION

Au cours de ce texte, il a d’abord été possible de montrer que la coutume est une source de droit au niveau international énumérée dans les articles du Statut de la Cour internationale de Justice. Elle est d’ailleurs prise en considération dans les jugements de cette dernière. Cette cour de justice a appliqué différents critères permettant de statuer sur l’existence ou non d’une coutume entre deux ou plusieurs États. Sans insister davantage sur les critères propres à cette source de droit au niveau international, il est impératif de mentionner qu’elle comporte un aspect matériel et psychologique (opinio juris). Hormis, quelques décisions éparses et datées, la jurisprudence s’accorde avec les auteurs de doctrine pour affirmer que la cohérence et la preuve de la présence de l’aspect matériel de la coutume internationale font présumer l’existence de son aspect psychologique. Enfin, cette source de droit s’applique, au niveau international, aux parties visées par la pratique mise en œuvre dont la reconnaissance est recherchée, que ce soit de manière générale, régionale ou locale.

Par la suite, la coutume a été abordée à titre de source de droit en common law. Déjà présente dès le Moyen Âge en Angleterre, elle fut intégrée à la common law grâce aux jugements des tribunaux royaux mis en place à cette époque. Les statuts adoptés par la suite, jumelés à certaines interprétations doctrinales et aux décisions judiciaires, ont contribué à rendre la coutume marginale dans les sources de droit applicables aujourd’hui au Royaume-Uni. Toutefois, elle n’en demeure pas moins pertinente lorsque aucun jugement ni aucun statut n’ont été édictés pour disposer du droit applicable. En effet, la coutume n’a jamais été abolie, que ce soit par une décision judiciaire ou par un statut. Elle demeure donc théoriquement applicable. De surcroît, certains auteurs avancent qu’elle pourrait toujours être utilisée relativement à des questions constitutionnelles au Royaume-Uni.

Pour être applicable en common law, la coutume doit, tout comme en droit international, répondre à certains critères propres au contexte législatif de l’État visé. Elle se compose également d’un aspect matériel et psychologique. À l’instar du droit

137 international, les tribunaux établissent la preuve de la coutume grâce à son aspect matériel. L’aspect psychologique, quant à lui, est présumé lorsque les critères propres à l’aspect matériel sont remplis.

Ces enseignements sont primordiaux pour le droit canadien. D’abord, certains arrêts établissent que la coutume internationale peut être utilisée en droit canadien dans la mesure où elle n’entre pas en conflit avec une loi interne, ce qui est le cas pour la procédure générale de modification antérieure au rapatriement de la Constitution. En ce qui concerne l’utilisation de la coutume dans les États issus de la colonisation anglaise, la Loi constitutionnelle de 1867 énonce dans son préambule que les provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont exprimé le désir de contracter une union fédérale avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni. Puisque la coutume s’applique en droit constitutionnel dans cet État, elle est donc intégrée parmi les sources de droit applicables au Canada. Elle doit cependant être appliquée de manière conforme au contexte législatif canadien.

Dans le cas du rapatriement de 1982, la coutume étudiée aurait pu et pourrait toujours être plaidée puisque tous les éléments permettant sa reconnaissance étaient présents. De plus, celle-ci s’est établie alors qu’aucun élément du droit positif écrit canadien ni aucune décision judiciaire ne permettaient d’établir la règle de droit à suivre. La coutume, pouvait donc, dans ce contexte, être plaidée et sanctionnée par les tribunaux canadiens. Ce fut toutefois la convention constitutionnelle qui fut plaidée lors du Renvoi de 1981 et du Renvoi de 1982. Il a été possible d’établir que, bien qu’elle repose sur des précédents, au même titre que la coutume, la convention constitutionnelle diffère de celle-ci par sa sanction exclusivement politique et par les autres critères qui permettent de concrétiser son existence. Cette distinction est importante, car l’analyse de la jurisprudence canadienne inhérente à la coutume montre que les critères permettant sa reconnaissance sont appliqués de manière moins formelle que ceux portant sur la convention conventionnelle utilisés dans le Renvoi de 1981.

138 Précisons également que la preuve de l’aspect psychologique de la coutume aurait pu être établie si elle avait été exigée. En effet, la jurisprudence et les divers textes législatifs qui s’intéressent à cette question énonce que les coutumes doivent être généralement – et non unanimement – acceptées comme étant la règle de droit par les acteurs concernés. Or, l’analyse effectuée montre que les acteurs se sont crus liés par la règle de l’unanimité à chaque occasion où une modification de la Constitution fut envisagée. De ce fait, le gouvernement libéral de Trudeau rompt avec cette règle lorsqu’il adopte une résolution à la Chambre des communes pour rapatrier unilatéralement la Constitution canadienne en octobre 1980. D’ailleurs, au cours des débats parlementaires entourant cet événement le ministre de la Justice Jean Chrétien affirme qu’il propose une nouvelle formule de modification, ce qui implique nécessairement qu’il sait qu’une procédure existe à ce moment.

Selon nous, il aurait été possible de plaider la coutume constitutionnelle entre le Renvoi de 1981 et le rapatriement. En effet, les juges majoritaires de la Cour suprême précisent dans cet arrêt quels sont les précédents pertinents qui doivent être pris en considération. Ils statuent par la même occasion qu’ils sont concordants et sans exception et qu’il serait possible d’alléguer que l’unanimité serait requise s’ils se trouvaient seuls. Plus encore, ces juges écartent les arguments contraires à cette position tenus par les juges des cours d’appel du Manitoba et du Québec. Or, lorsque la position majoritaire de la Cour suprême est confrontée aux critères propres à la coutume tels qu’ils ont été élaborés par le droit international, la common law ou le droit canadien, il est plausible de soutenir que la règle coutumière exigeant l’assentiment de toutes les provinces existait avant le rapatriement de 1982.

Le débat juridique entourant le rapatriement de la Constitution sans l’accord unanime des provinces est toujours d’actualité. En effet, il serait toujours envisageable de plaider la coutume constitutionnelle pour faire invalider la Loi constitutionnelle de 1982. Ce débat, loin d’être rébarbatif, pourrait permettre au pouvoir constituant de concevoir une nouvelle approche au niveau constitutionnel, s’il le jugeait opportun.

139

Quelque 30 ans plus tard, que retenir du rapatriement au point de vue constitutionnel ? D’abord, que celui-ci a divisé profondément le pays. Il a été adopté malgré la dissidence du Québec, qui fait pourtant partie des provinces formant dès l’origine l’État canadien. D’ailleurs, le Québec n’a toujours pas signé la Constitution canadienne à ce jour. De plus, le rapatriement a créé, en quelque sorte, une situation absurde. La procédure de modification prévue dans la Loi constitutionnelle de 1982, adoptée en vue de défiger les débats constitutionnels canadiens, n’a jamais obtenu les résultats escomptés. Les échecs successifs des accords du lac Meech et de Charlottetown ont montré que l’accord unanime des provinces est toujours requis dans la pratique. Qui plus est, cette exigence est désormais sujette à l’approbation par voie de consultation populaire dans certaines provinces411. Cette situation se révèle d’autant plus absurde qu’il a été plaidé lors du Renvoi de 1981 que la nécessité d’obtenir l’assentiment de toutes les provinces figerait la Constitution et ne permettrait pas de la modifier. La procédure suivie en pratique avant 1982 rendait certes difficile tout changement constitutionnel lorsqu’il impliquait des modifications à l’égard des pouvoirs législatifs fédéraux et provinciaux. Elle avait toutefois le mérite d’être inclusive à l’égard de toutes les provinces, et ce, au regard de leur désir commun de contracter une union fédérale tel qu’il a été exprimé dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867.

411 Patrick Taillon et Alexis Deschênes, « Une voie inexplorée de renouvellement du fédéralisme canadien : l’obligation constitutionnelle de négocier des changements constitutionnels », (2012) 53, 3, C. de D., p. 466, énoncent ce qui suit concernant le niveau fédéral : « La Loi concernant les modifications constitutionnelles, L.C. 1996, c. 1, prévoit que le gouvernement du Canada ne peut plus déposer de résolution autorisant une modification de la Constitution devant la Chambre des communes, à moins que cette résolution n’ait préalablement reçu le consentement de l’Ontario, du Québec, de la Colombie- Britannique, d’au moins deux provinces représentant au moins 50 % de la population des Prairies et, enfin, d’au moins deux provinces de l’Atlantique représentant 50 % de la population de cette région ». Cette loi requiert, dans les faits, l’accord de provinces représentant 92 p. 100 de la population canadienne. Toujours selon Taillon et Deschênes, préc., p. 466 : « [au] niveau provincial, la Colombie- Britannique (Referendum Act, R.S.B.C. 1996, c. 400 ; Constitutional Amendment Approval Act, R.S.B.C. 1996, c. 67) et l’Alberta (Constitutional Referendum Act, R.S.A. 2000, c. C-25), ont adopté des lois afin d’obliger leur gouvernement à tenir un référendum sur ces questions avant toute modification constitutionnelle. En Saskatchewan, les électeurs se sont déjà prononcés par référendum à 79,3 % en faveur de la tenue d’un tel scrutin. À Terre-Neuve-et-Labrador, des référendums ont été organisés en 1995 et en 1997 afin d’obtenir une approbation populaire des modifications constitutionnelles relatives au régime des écoles confessionnelles ». À ce sujet, voir également : Patrick Taillon, Le référendum expression directe de la souveraineté du peuple ? Essai critique sur la rationalisation de l’expression référendaire en droit comparé, Paris, Dalloz, 2012, p. 50 et 387.

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