Amélie BORGNE Mémoire de Master 2 Identités, Patrimoine et Histoire Dynamiques identitaires

Sous la direction de M. Christian Bougeard, professeur d'Histoire contemporaine.

Université de Bretagne Occidentale, Brest 2012-2014

Histoire de Saint-Pol-de-Léon de 1947 à 1975 Monographie d'une commune léonarde.

1

Remerciements

Je remercie :

- M. Christian Bougeard, mon directeur de recherche

- les archivistes de et de Brest, pour leur travail,

- les secrétaires de la mairie de Saint-Pol-de-Léon, pour leur accueil,

- Mélanie Urien, responsable de la communication à la mairie de Saint-Pol-de-Léon, pour m'avoir transmis l'index des archives de la mairie, les adresses utiles, ainsi que certains documents,

- le maire de Saint-Pol-de-Léon, Monsieur Nicolas Floch, pour m'avoir donné l'autorisation de consulter les archives de la mairie.

- M. Jacques Chapalain, M. Gérard Richard, M. Émile Stéphan, M. Jean-Bernard Kéramoal, et M. Louis Guilcher, pour leurs témoignages et les documents qu'ils m'ont transmis.

- Mme Christine Adrien-Le Sann, pour les informations et documents relatifs à son aïeul Henri Le Sann,

- Mme Joëlle Tous-Madec, conseillère municipale, qui m'a dirigée vers certains témoins.

- mes grands-parents, qui m'ont évoqué leurs souvenirs de l'époque,

- ma famille et mes ami(e)s, pour leurs conseils et leur soutien moral.

2

Table des sigles et abréviations

ADF : Archives départementales du Finistère. AM : Archives municipales. APEX : Association des exportateurs de primeurs de Saint-Pol-de-Léon. APP: Action professionnelle et paysanne. AS : Adjoint municipal sortant. CELIB : Comité d'études et de liaisons des intérêts . CFTC : Confédération française des travailleurs chrétiens CGT : Confédération générale de travail COL : Comité ouvrier du logement. CNI : Centre national des indépendants. CS : Conseiller municipal sortant. FACO : Fédération des associations des cinémas de l’Ouest. FDSEA: Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles. FGDS: Fédération de la gauche démocratique et socialiste. FORMA : Fonds d’orientation et de régularisation des marchés agricoles GASFO : Groupement des associations des salles familiales. INSEE : Institut national des statistiques et des études économiques JAC : Jeunesse agricole chrétienne (ou Jeunesse Agricole Catholique) JOC : Jeunesse ouvrière chrétienne LCR : Ligue communiste révolutionnaire. MRP : Mouvement républicain populaire. OCM : Organisation civile et militaire. OTAN: Organisation du traité de l'Atlantique Nord. PCF : Parti communiste français. PDM: Progrès et démocratie moderne. PSA: Parti socialiste autonome. PSU: Parti socialiste unifié. RG : Renseignements généraux. RGR : Rassemblement des gauches républicaines. RPF : Rassemblement du peuple français. SEMENF : Société d'économie mixte d'études du Nord-Finistère. SFIO : Section française de l'Internationale ouvrière.

3

SICA : Société d'intérêts collectifs agricoles. Socoprim : Société de commercialisation des primeuristes. UDSR: Union démocratique et socialiste de la Résistance. UDT: Union démocratique du travail. UFF: Union et fraternité française. UGS: Union de la Gauche Socialiste. UNR: Union pour la nouvelle République. URAS : Union des Républicains d'Action Sociale. URD : Union républicaine démocratique.

4

Introduction

***

Saint-Pol-de-Léon est une commune côtière du Nord-Finistère située entre et . En 1946, la petite ville compte une population totale de 8903 habitants1. En 1962 la surface de la commune atteint 2 334 hectares2. Saint-Pol-de-Léon est le chef-lieu d'un canton comportant huit communes3: Roscoff, l’Ile-de-Batz, , , , , Plouénan. En 1945 c'est d'ailleurs le maire de Saint-Pol-de-Léon, Henri Le Sann, qui est élu conseiller général du canton. Ancien évêché jusqu'en 1790, la commune comporte une cathédrale dédiée à Saint Pol-Aurélien et une chapelle, le Kreisker, ainsi que des établissements scolaires appartenant à des congrégations religieuses : le Collège Sainte- Ursule et le Collège-Lycée Notre-Dame-du-Kreisker. À cette époque, l'économie de Saint- Pol-de-Léon est essentiellement tournée vers l'agriculture. La commune bénéficie en effet d'un climat océanique doux, humide et tempéré, favorable à la culture intensive de légumes de légumes, et qui la place en plein cœur de la zone légumière.

Quelques ouvrages ont été écrits sur la commune de Saint-Pol-de-Léon, essentiellement sur des périodes antérieures à la Seconde Guerre Mondiale. La plupart d'entre eux ont été rédigés par des érudits locaux qui souhaitaient simplement retranscrire l’atmosphère de leur commune à une certaine époque. Ils concernent donc principalement la dimension culturelle de l’Histoire de Saint-Pol-de-Léon. Citons par exemple l'ouvrage iconographique de Philippe Abjean et de Pierre Guivarc'h, St-Pol-de-Léon4, une monographie illustrée de cartes postales montrant une ville très cléricale (des processions religieuses ont été prises en photos) et la fertilité de la campagne. En 1917, l’abbé Gabriel Pondaven, prêtre et professeur à Saint-Pol- de-Léon, publie Saint-Pol-de-Léon, notes5. En s'appuyant sur les délibérations de la communauté religieuse de la cité (couvents, confréries, gouvernements, collèges), il décrit la

1 ADF Quimper, Q 4BB 4-1, Recensement de 1954. Population du département du Finistère. Arrondissement, cantons et communes (Ministère de l'Intérieur, Ministère des Finances, des Affaires économiques et du Plan, PUF, 1954). 2 Archives municipales de Saint-Pol-de-Léon, boîte 539, Enquête monographique de St-Pol-de-Léon, Ministère de la construction, direction départementale du Finistère, Brest. Conclusion novembre 1965. 3 En 1946 le canton de Saint-Pol-de-Léon compte 23 766 habitants (ADF Quimper, Q 4BB 4-1, Recensement de 1954). 4 Editions Alan Sutton, coll. Mémoire en Images, , 1995, 127p. Philippe Abjean est professeur de philosophie au lycée N-D. Du Kreisker à Sant-Pol, et Pierre Guivarch est notaire. 5 Editions Le Livre d'Histoire-Lorisse, coll. Monographies des villes et villages de , , pour la réédition de 2003. 5 vie intra-muros de cette communauté sous l'Ancien Régime, ainsi que l'activité de la population. Plusieurs mémoires de maîtrise ont également traité de l’Histoire de cette commune, ou de sa représentation dans d'autres ouvrages. C'est le cas du mémoire de Germaine Henry, Saint-Pol- de-Léon dans les livres6, qui étudie l'évolution de la ville à travers son nom, la cité sainte, l'emprise de l'éducation religieuse et son « difficile passage à la modernité » au XXème siècle7. Elle explique que jusqu'au XIXème siècle, la ville de Saint-Pol-de-Léon est évoquée uniquement au travers de son saint éponyme, dans les vies de saints. Après la Révolution, « les livres présentent une plus grande diversité »8: on publie alors des notices historiques et religieuses, des études sur un aspect social de la ville (le collège, l'ouvrier agricole...), des récits de voyageurs et de légendes... Au XXème siècle, les monographies se multiplient ainsi que les études économiques et sociales sur le monde rural.

Des études plus ou moins récentes ont notamment été menées sur l'un de ces aspects sociaux de la ville dont parle Germaine Henry : le Collège de St-Pol-de-Léon ou l’Institution Notre- Dame-du-Kreisker, fondée en 1911. Citons par exemple le mémoire de maîtrise de Bernard Verrier, Le rôle du Collège de St-Pol-de-Léon de 1876 à 19739. Dans son introduction, il présente les études antérieures qui ont été faites sur ce même sujet10. La plus ancienne est vraisemblablement celle d’Yves Picard, professeur d’Histoire au Collège : Le Collège de Léon (Morlaix, 1895) retrace la fondation du collège au XVIème siècle et son évolution jusqu'en 1848 (épiscopat de Monseigneur de La Marche) puis jusqu'en 1895 en effectuant un « aperçu descriptif du règlement, des différents services du Collège et du renouvellement du contrat avec l’État de 1890 ». En 1936 c'est l'abbé Kerbiriou qui, dans son ouvrage de 138 pages L’Institution N.D. Du Kreisker, étudie les circonstances de la rupture du contrat avec l’État (1900-1910), ainsi que les personnalités et la vie au Collège. En 1967, Fanch Elegoët fait lui aussi un mémoire de maîtrise, sur l’Histoire du Collège de St-Pol de 1806 à 1848. Dans son propre mémoire, Bernard Verrier fait une étude approfondie de « l'évolution des effectifs scolaires, de son recrutement géographique et social, de sa fonction scolaire et de sa promotion religieuse et professionnelle ». Il explique que les archives du Collège sont abondantes pour l’Ancien Régime, puis deviennent plus rares pour la période contemporaine et l'entre-deux guerres11. En revanche la période qui suit est plus riche en documents, surtout

6 UBO, Faculté des lettres et sciences sociales, 1987, dir. par le professeur Balcou. 7 Germaine Henry, Saint-Pol-de-Léon dans les livres, op.cit. p.110. 8 Ibidem, p.3-4. 9 Dirigé par René Rémond et Monsieur Etienne Fouilloux, Université de Paris X-Nanterre, U.E.R. D'Histoire. 10 Bernard Verrier, Le rôle du Collège de St-Pol-de-Léon de 1876 à 1973, op.cit. p.2. 11 Ibidem, p.3. 6 en sources statistiques. Bernard Verrier délimite son travail de 1876 à 1973 parce que cette période correspond « à la réalité historique de l'évolution socio-économique et politique de la Bretagne contemporaine : l'intégration capitaliste totale et périphérique d'une région sous- industrialisée et retardée dans l’agriculture (1880-1910), le statu quo socio-économique de 1920 à 1950, enfin, la métamorphose contemporaine de 1950 à 1973 à travers le marché commun et le circuit international des échanges. Selon lui, c'est une période qui recoupe l'évolution des statuts du collège : « collège universitaire mixte avant 1910, collège religieux privé de 1911 à 1961, collège sous contrat de 1961 à 1973 ». Il propose une étude de l'interaction des facteurs humains, socio-économiques et religieux ; une analyse des effectifs scolaires sur un siècle, du recrutement scolaire géographique et social ; de la fonction enseignante ; promotion sociale religieuse et professionnelle du collège. Enfin, en 1998, Emmanuelle Kermoal, ancienne lycéenne du Kreisker, complète ces différents travaux dans son mémoire intitulé Le Collège Notre-Dame du Kreisker de Saint-Pol-de-Léon 1945-198312. Elle distingue alors deux périodes : « le Collège du Kreisker héritier du Collège de Léon et ensuite, le Collège face aux changements »13. Elle consacre notamment son étude aux méthodes d'éducation et à l'évolution de l'institution, et tente d'apporter une réponse à la question « y a-t-il un Collège d'après Mai 68 ? », avant d'évoquer la situation du Collège en 1983.

L'économie agraire de Saint-Pol-de-Léon a été abordée à plusieurs reprises ces dernières années. L'ouvrage de Fanch Elegoët, Révoltes paysannes en Bretagne. À l'origine de l'organisation des marchés14 constitue une référence essentielle pour la compréhension des enjeux agricoles de l'époque, des revendications des paysans et des transformations qui en ont résulté dans l'organisation des marchés, avec notamment l'implantation de la SICA (Société d' Intérêt Collectif Agricole) dans la commune au début des années 1960. Un mémoire de master en géographie a également été rédigé par Maria Prigent, intitulé La SICA de Saint-Pol-de-Léon: son rôle dans l'économie régionale de la zone légumière du Nord- Finistère15. À l'occasion des anniversaires de la création du marché au cadran, on assiste à la publication d'ouvrages sur cette épopée menée entre autres par Alexis Gourvennec (1936- 2007)16.

12 Dirigé par M. Yvon Tranvouez, 1997-1998, UBO. 13 Emmanuelle Kermoal, Le Collège Notre-Dame du Kreisker de Saint-Pol-de-Léon 1945-1983, op.cit., p.4. 14 Editions du Léon, , 1984. 15 Editions SEMENF, 1972. 16 Le sociologue Fanch Elegoët a publié plusieurs articles et ouvrages, notamment Alexis Gourvennec, entrepreneur collectif. Entretiens avec Fanch Elegoet, éd. Apogée 2005. 7

Un autre phénomène local marquant des années 1950-1960 a fait récemment l'objet d'études, notamment de la part de Yoann Guiavarch : le mouvement des Castors17. En effet, face à la crise du logement (connue partout en France), des mouvements sont apparus dans certaines communes ou villes afin de faciliter l'accès des familles démunies à un logement décent. Saint-Pol-de-Léon a également souffert de cette crise du logement, et a vu se mettre en place au début des années 1950 ce mouvement des Castors qui a poussé une grande partie des Saint- Politains, quel que soit leur profession, à construire leurs maisons ensemble. Concernant la période de l’Occupation, nous disposons de l'étude très complète de Gilles Grall sur les événements de l'été 194418 : le réseau Centurie-OCM, les arrestations de Résistants par la Gestapo, la prise d'otages et les fusillades qui ont fait 18 victimes parmi les résistants, et 44 victimes civiles, dont le maire Alain de Guébriant. Cette tragédie a beaucoup marqué les esprits et Gilles Grall inclut dans son dernier ouvrage de nombreux témoignages relatant ces journées.

En 2003, un étudiant de l’UBO, Yoann Goaoc, effectue son mémoire de recherche sur la commune en s’intéressant à la décennie 1937-194719. Il explique dans son introduction que « les événements du 4 et 5 août 1944 sont en chantier d'étude depuis une dizaine d'années, de même que l'arrestation des résistants. En ce sens, le présent mémoire s'inscrit dans la continuité. D'ailleurs, l'élargissement de l'espace-temps étudié ainsi que des thèmes étudiés résulte en partie d'une réaction à cette focalisation sur un événement »20. Yoann Goaoc a voulu aller plus loin en évoquant les quatre années de l’Occupation, et donc replacer ces événements « dans un espace temporel plus large ». Il analyse donc une partie de la période d'avant-guerre, puis de l'après-guerre, en expliquant que « les changements au début, pendant et à la fin de la guerre font partie des intérêts majeurs de l'espace-temps abordé ». Il aborde donc la politique de la ville et sa situation agricole avant la guerre. Concernant les événements de 1944, Yoann Goaoc s'était documenté à partir des publications de Gilles Grall, et aussi à partir des témoignages des membres ou ex-membres de l'association 44, malgré certaines divisions entre ces personnes21. Il explique que « la période de 1935 à 1947 montre Saint-Pol comme une ville importante de l'arrondissement de Morlaix et du Finistère Nord. Le

17 Constuire sa maison en commun. L'aventure des Castors, Skol Vreizh n°65, Morlaix 2012, 84p. 18 Il a d'abord fait son mémoire de maîtrise sur le sujet en 1994 à l’UBO, dirigée par Yvon Tranvouez. Puis il a publié des ouvrages complétant ses recherches. Le dernier, Saint-Pol, été 1944. De la rafle des résistants au massacre des civils est paru en 2010 (éd. Gilles Grall Plougastel-) 19 Une Histoire thématique de Saint-Pol-de-Léon (1935-1947), mémoire de master dirigé par Christian Bougeard, 2003, UBO. 20 Yoann Goaoc, Une Histoire thématique de Saint-Pol-de-Léon (1935-1947), op.cit., p.4. 21 Ibidem, p.5. 8 constat est valable au niveau démographique mais aussi économique, notamment par l'intermédiaire de l'agriculture et du milieu de l'expédition [...] Celle-ci occupait avant et après-guerre une grande part des actifs »22. En effet 47% de la population était rurale, et les emballeurs et expéditeurs étaient nombreux dans la ville. « L'importance du milieu agricole, dans les années 1935-1947, rentrait également en compte lors des élections ». Yoann Goaoc a aussi voulu étudier les riches cultures de la Ceinture dorée et la vie de ces travailleurs, en s'appuyant notamment sur l'ouvrage de Fanch Elegoet, Révoltes paysannes en Bretagne, que nous utiliserons ici cette fois pour étudier la période qui suit et les évolutions locales dans l'agriculture. En ce qui concerne la politique, Yoann Goaoc a cherché à savoir s'il existait une rupture avec la mort du maire Alain de Guébriant, fusillé le 4 août 1944. Il aborde notamment la question de l'implantation locale de la gauche après la guerre, les difficultés éprouvées par la droite, l'apparition de femmes dans la vie politique, l'épuration par les Comités de Libération. Il étudie aussi la Résistance, les organes autres que le réseau Centurie-OCM, cherchant ainsi à défaire l’affirmation selon laquelle la Résistance n'avait pas été importante localement23.

Mon projet est le suivant : celui de poursuivre une Histoire de Saint-Pol-de-Léon dans la période de l'après-guerre, sur une période qui couvre à peu près ce qu'on appelle communément les Trente Glorieuses. À cette époque, la France connaît des évolutions importantes, au niveau politique, économique, social et culturel. Il en est de même pour la Bretagne, avec le « plan breton » du CELIB24, la SEMENF25, le développement économique et agricole. Il me semblait donc intéressant d'observer plus localement ces évolutions, de savoir si cette commune traditionnellement bien ancrée à droite, catholique, et dont l'économie était principalement tournée vers l'agriculture, avait, elle aussi, connu une évolution importante au niveau de la politique, de l'économie, du social et de la culture. J’ai choisi comme point de départ à ce mémoire l’année 1947, c’est-à-dire là où Yoann Goaoc fait s’arrêter le sien. C’est une année où les Saint-Politains sont encore confrontés aux problèmes de l’immédiat après-guerre : les soucis de ravitaillement, la modernisation de la ville, la vie politique locale qui reprend son cours (avec de nouvelles élections municipales), les institutions politiques nationales qui se remettent en place…Ensuite, j’ai décidé de terminer ce mémoire par l’année 1975, non seulement parce que cela correspond à la fin des Trente Glorieuses, mais aussi parce qu’il y avait cette année-là un recensement qui me permettait de voir l’évolution de la population sur presque trente ans.

22 Yoann Goaoc, Une Histoire thématique de Saint-Pol-de-Léon (1935-1947), p.6. 23 Ibidem, p.7. 24 Comité d'études et de liaison des intérêts bretons. 25 Société d'économie mixte d'études du Nord-Finistère. 9

Parmi les archives municipales de Saint-Pol-de-Léon, les registres de délibérations offrent un aperçu des préoccupations des différentes municipalités qui se sont succédé : reconstruction après la Libération, lutte contre le chômage, subventions aux écoles privées et publiques, conventions entre la SICA et la commune, mise en place d'une zone industrielle, achats de terrains, etc. Cela m'a permis de déterminer à quel point la municipalité cherchait ou non à moderniser la commune. Concernant la politique proprement dite, je disposais de procès-verbaux des élections municipales et de certains scrutins nationaux. Cependant la plupart des résultats des élections cantonales, législatives, et présidentielles manquaient et je dus les rechercher dans les journaux Le Télégramme ou Ouest-France, ou bien parmi les archives départementales de Quimper. Monsieur Jacques Chapalain, ancien conseiller municipal dont j'ai recueilli le témoignage, m'a également transmis des bulletins de vote contenant les listes de candidats aux élections municipales, ainsi que quelques professions de foi. Hélas, pour certaines campagnes électorales, les documents écrits ont manqué et je ne pus m'en remettre qu'aux témoignages oraux d'anciens conseillers26. Ces entretiens m'ont toutefois été très utiles pour saisir l'atmosphère qui régnait au sein de la municipalité lors des campagnes électorales. D'autres témoignages concernant plutôt la vie sociale et culturelle de la commune sont venus les compléter27. Les archives du Comité d’expansion économique du canton de Saint-Pol-de-Léon m’ont permis de constater les nombreux efforts entrepris par certaines personnes pour moderniser leur commune. Celles de la CFTC locale ainsi que les articles de journaux de l’époque m’ont fait découvrir ou redécouvrir l’atmosphère souvent tendue des manifestations d’agriculteurs ou d’ouvriers-emballeurs de légumes qui ont ponctué le début des années soixante.

La commune de Saint-Pol-de-Léon est traditionnellement ancrée à droite, comme le pays léonard de façon générale. D'abord de droite conservatrice, elle a glissé vers le centre- droit dès l'après-guerre, sans grande rupture toutefois avec les années 1930, puisque le maire Henri le Sann est lui-même issu du conseil municipal conservateur d'Alain de Guébriant. La question est de savoir si Saint-Pol-de-Léon a connu des ruptures ou une continuité politique sur toute cette période d'après-guerre ; si le vote de la population a connu quelques évolutions, aussi bien au niveau local que national. Afin de mieux comprendre les caractéristiques politiques et économiques de la commune entre la Libération et la fin des Trente Glorieuses, il

26 Celui de Jacques Chapalain cité précédemment, élu adjoint en 1971, ainsi que celui de Monsieur Gérard Richard, conseiller municipal de 1959 à 1971. 27 Celui de Jean-Bernard Kéramoal, fils du cultivateur François Kéramoal qui était très proche d'Hervé-Budes de Guébriant; et ceux de mes grands-parents maternels. 10 me semblait vital d'étudier sa sociologie : d'abord en étudiant sa démographie afin de déterminer les causes et conséquences de la diminution ou de l'augmentation de la population, puis en analysant sa composition socioprofessionnelle et son évolution. Dans le contexte de la Reconstruction, il me semblait intéressant de savoir comment la municipalité a réagi face aux problèmes socio-économiques (pénuries, crise du logement, chômage...), et si elle a eu du retard ou de l'avance sur le canton, le département, la région, et le reste de la France. Concernant l'agriculture, le changement est indéniable puisque Saint-Pol-de-Léon est au cœur même de la révolution agricole qui se joue à la fin des années 1950. Mais je ne souhaite pas reprendre ici la chronologie complète de ces événements, ni les causes et conséquences de ces transformations sur la zone légumière. Je m'intéresserai plutôt à l'impact de cette nouvelle agriculture sur la commune, à son accueil par la population et la municipalité, aux transformations sociales et économiques qu'elle a engendré sur le territoire de la commune. Enfin, il était inconcevable d'étudier l’Histoire de Saint-Pol-de-Léon sans aborder l'aspect religieux et culturel de la ville: l'influence de ses archiprêtres, tel que Vincent Favé, a certainement été importante dans la vie des Saint-Politains, mais à quel point ? La pratique religieuse à Saint-Pol-de-Léon a-t-elle évolué au fil de ces décennies, au moment où la société française se détache des valeurs traditionnelles ?

Les réponses à tous ces questionnements m’ont permis de dégager deux phases importantes et distinctes, qui ne correspondent pas forcément à celles des Trente glorieuses nationales, mais qui sont propres à l’histoire de Saint-Pol-de-Léon : la première qui recouvre les années de 1947 à 1958 où l’on observe peu de changements dans la commune, aux prises avec des problèmes qui la paralysent ; et la seconde qui inclut les années de 1959 à 1975, où les évolutions sont bien visibles. Nous verrons en effet que les années 1959-1960 ont constitué un véritable tournant pour la commune, sur les plans socio-économiques, politiques et culturels.

11

Figure 1: Localisation de Saint-Pol-de-Léon

Figure 2: Plan de Saint-Pol-de-Léon (1944)

Conception des deux illustrations: Loïc Richard, in Gilles Grall, Saint-Pol-de-Léon été 1944. De la rafle des résistants au massacre des civils, p.13.

12

Partie I : 1947-1958 : crises et permanences

***

Les « Trente Glorieuses » ont été pour la commune de Saint-Pol-de-Léon, comme pour la France et la Bretagne, une période marquée par des rénovations économiques et sociales. Cependant ces évolutions n’ont pas été forcément vécues par les Saint-Politains en même temps que tous les Français. On sait que dans les années 1950 la Bretagne a du retard sur la France dans de nombreux domaines, un retard qu’elle rattrape toutefois à la fin des années 1960. On peut donc se demander si Saint-Pol-de-Léon est plutôt « en avance ou en retard sur son temps », et à quel rythme ces changements surviennent dans la commune. L’étude de cette première décennie nous permet d’observer l’état de la commune, sur le plan social, politique et culturel, au sortir de la guerre.

13

Chapitre I/ La situation générale de la ville dans les années 1950

Parmi les nombreux éléments qui caractérisent les Trente Glorieuses, le « baby- boom » constitue un phénomène national qui marque durablement la démographie française, au point d’engendrer d’autres transformations dans la société, telles que le rajeunissement de la population et donc une part plus faible de population active. En Bretagne le baby-boom ne fait qu’accentuer le problème de l’exode puisque les jeunes ruraux, trop nombreux pour le nombre d’emplois disponibles, ne trouvent pas de situation convenable. Ce fait est observable dans la commune de Saint-Pol-de-Léon, et vient s’ajouter à d’autres soucis non moins négligeables : la crise du logement et le chômage, même si celui-ci ne semble toucher qu’une branche d’activité.

I/ Qui sont les Saint-Politains ?

Afin de mieux comprendre les enjeux politiques, économiques et sociaux que rencontre la commune de Saint-Pol-de-Léon durant cette période, il est important d’analyser la démographie et la composition de sa population. Les recensements de 1946, 1954, et 1962 seront donc utilisés dans ce chapitre. Ils permettent entre autres de déterminer l’évolution générale de la population saint-politaine, ainsi que sa composition en termes de classes d’âge et de catégories socioprofessionnelles. Ces données permettent d’établir une comparaison entre la population saint-politaine et celle de la Bretagne ou de la France. Ces observations peuvent être ensuite reliées aux problèmes auxquels la commune est confrontée à cette époque, tel que l’exode des jeunes.

14

A) La démographie générale de Saint-Pol-de-Léon de 1946 à 1962

La période qui va de 1946 à 1962 correspond au baby-boom. Les recensements de population nous permettent donc de savoir à quel point la commune de Saint-Pol-de-Léon a été marquée par ce phénomène et d’avoir une vue d’ensemble sur l’état de sa population.

1) L’évolution globale de la population de 1946 à 1962

a) De 1946 à 1954 : des divergences par rapport au Finistère

Les documents relatifs au recensement de 195428 nous donnent l’évolution de la population du département, de l’arrondissement de Morlaix, ainsi que du canton et de la commune de Saint-Pol-de-Léon, entre les recensements de 1936, 1946 et 1954. Un premier constat ressort de ces données : la commune de Saint-Pol-de-Léon ne connaît pas exactement la même évolution que celle du Finistère. En effet entre 1946 et 1954 la population du Finistère augmente, passant de 724 735 à 727 847 habitants, soit une hausse de 0,43%. En revanche dans l'arrondissement de Morlaix la population a diminué durant cette même période, où elle passe de 130 106 à 122 226 habitants (soit une diminution de 6,056%). Le canton de Saint-Pol-de-Léon, qui a d'abord connu une légère augmentation entre 1936 et 1946 (23 600 et 23 766 habitants), voit ensuite sa population redescendre à 23 261 habitants en 1954. Il en est de même dans le chef-lieu du canton : de 8 387 habitants en 1936 (population « totale »), la population de Saint-Pol-de-Léon augmente jusqu'à atteindre 8 903 habitants en 1946 ; puis elle redescend à 8 585 habitants en 1954. Pour expliquer cela, on peut émettre différentes hypothèses : le contexte de la Reconstruction et de l’immédiat après-guerre, avec son lot de pénuries, et qui engendre peut-être des départs, des maladies ou des baisses du nombre de naissances ; un taux de fécondité qui diminue ; ou l’exode rural qui touche les jeunes. C’est d’ailleurs dans cette même période que la Bretagne connaît une stagnation démographique (sa population n’augmente que de 0,6% entre 1946 et 1958), contrairement à la France qui connaît un gain de 10%29. La région connaît ensuite un redressement démographique grâce à un meilleur taux de fécondité et à la baisse de la mortalité infantile. Les tableaux de recensements nous permettent aussi de distinguer dans cette « population

28 ADF Quimper, Q 4BB 4-1, Ministère de l’Intérieur, Ministère des Finances, des Affaires économiques et du Plan, Recensement de 1954. Population du département du Finistère. Arrondissement, cantons et communes, PUF, 1954. 29 Michel Phlipponneau, Debout Bretagne !, Saint-Brieuc, Presses universitaires de Bretagne, 1970, 530 p., p. 9- 10. Michel Phlipponneau (1921-2008) était professeur de géographie à l’Université de Rennes, membre actif puis président de la commission régionale d’expansion économique du CELIB (Comité d'études et de liaisons des intérêts bretons) de 1961 à 1967. 15 totale » la « population municipale » et la « population comptée à part »30. La population municipale représente 8 060 habitants, dont 5 512 agglomérés. La population dite « éparse » représente 2 548 habitants. La population de Saint-Pol-de-Léon est donc majoritairement concentrée autour du centre-ville. La catégorie « population à part » de la commune n'est composée que d'élèves internes, au nombre de 525. La population totale de Saint-Pol-de-Léon ne compte que douze étrangers31.

Population totale Population municipale Population Français Etrangers comptée à part 1936 1946 1954 Totale Agglomérée Eparse au chef-lieu 8 347 8 903 8 585 8 060 5 512 2 548 525 8 573 12 Tableau 1: Répartition de la population à partir du recensement de 1954.

Il est possible grâce à cette même source de comparer l'évolution de la population saint- politaine avec celle de Roscoff, une des communes du canton dont la population représente environ la moitié de celle de Saint-Pol-de-Léon. En 1936, Roscoff comptait 4 294 habitants, et contrairement à sa voisine, elle voit sa population diminuer légèrement jusqu’à 4 183 habitants en 1946. Puis elle augmente légèrement pour atteindre 4 225 habitants en 1954 (dont 2 289 sont agglomérés). Si on reprend les chiffres des années 1946 et 1954, on constate que Saint-Pol-de-Léon ne s’aligne pas non plus sur l’évolution de la population française. Cette dernière connaît en effet une augmentation importante : elle passe de 40,1 millions d’habitants en 1946 à 45 millions d’habitants à la fin des années 195032. Cette croissance de la population est alors causée principalement par l’accroissement naturel, le taux d’immigration étant encore faible à l’époque.

b) La monographie de 1962

Nous disposons de plus d’informations concernant la période 1954-1962. En effet les Services départementaux du Ministère de la Construction ont terminé, en 1965, une enquête

30 La population « à part » désigne les militaires en caserne, les personnes en traitement dans des sanatoriums ou hôpitaux, les mendiants, les détenus et les élèves internes. 31 Leur nationalité n’est pas connue, mais il est possible que ces étrangers soient des volontaires du Service international du travail, embauchés sur les chantiers des maisons « Castors » et qui devaient être logés par les Saint-Politains (cf Yoann Guiavarc’h, Construire sa maison en commun. L’aventure des Castors, Morlaix, Skol Vreizh, 2012, 84 p., p.43). 32 Dominique Borne, Histoire de la société française depuis 1945, Paris, Armand Colin, 2002, 187p. , p.25. 16 monographique sur Saint-Pol-de-Léon « pour servir de base » à la Révision du Plan d’urbanisme directeur33. Le chapitre concernant la démographie de la commune a été conçu essentiellement à partir du recensement de 1962. Selon cette source, la population totale légale de Saint-Pol-de-Léon en 1962 est de 8 899 habitants. Cependant l'auteur de la monographie précise que « si les trois derniers recensements avaient été effectués suivant les mêmes normes, on aurait eu les chiffres suivants : 1936: 8 347 hab. ; 1954: 8 585 hab. ; 1962: 8 600 hab. donc une augmentation de 253 unités ». La population municipale est alors de 8 340 habitants. Dans tous les cas, on observe une augmentation de la population saint-politaine par rapport à 1954. Saint-Pol-de-Léon s’aligne donc sur la Bretagne, puisque la région connaît une hausse de population de 1,5% entre 1954 et 196234.

L’enquête monographique comporte aussi un tableau de la répartition de la population totale de la commune par sexe et par âge pour l’année 1962, ainsi qu’une pyramide des âges35. On voit ainsi nettement à quel point la proportion des classes d’âge de 5 à 14 ans est élevée comparée à celle des 20-34 ans. La part de personnes âgées dans la commune est à peu près équivalente à celle des adultes de 20 à 45 ans, tandis que la classe d’âge des 10-14 ans est la plus forte avec 812 habitants. Ces enfants sont nés entre 1948 et 1952, ce qui correspond, avec les classes des 5-9 ans et des 15-19 ans, aux années du baby-boom. De ce côté-là Saint- Pol-de-Léon connaît donc le même phénomène que la France. Quant aux classes d’âge des 20-24 ans et des 25-29 ans, elles sont assez faibles, ce qui confirme le commentaire des Services de la Construction sur les départs des jeunes ménages. On peut aussi penser que ces classes sont faibles parce qu'elles sont nées pendant la crise des années 1930 et la Seconde Guerre mondiale. Les effectifs des classes de 30 à 59 ans sont assez variables. On observe aussi que la classe des 75 ans et + est plus forte que la classe des 65-69 ans et celle des 70-74 ans. Dans ces dernières, la proportion d'hommes représente environ la moitié de celle des femmes. On peut expliquer cela par le fait que ces hommes avaient entre 17 et 27 ans lors de la Première Guerre mondiale, qu'ils ont dû y participer et s'ils n'en sont pas directement morts, ils sont certainement revenus avec des séquelles importantes.

33 Archives municipales de Saint-Pol-de-Léon, 5M5 boîte 539, Ministère de la construction, direction départementale du Finistère, Enquête monographique de Saint-Pol-de-Léon, conclusion en novembre 1965, Brest. 34 Jacqueline Sainclivier, La Bretagne de 1939 à nos jours, op.cit. p. 164. Cette donnée ne compte pas la Loire- Atlantique. 35 Cf. Annexes 17

2) L’évolution des flux migratoires dans le canton jusqu’en 1962

En plus des informations délivrées par les recensements généraux de la population de 1946 à 1975, nous disposons de données montrant l’évolution des soldes naturels et migratoires de Saint-Pol-de-Léon ainsi que des autres communes du canton. Cela permet notamment d’observer si les départs de population du chef-lieu de canton correspondent à des arrivées dans les autres communes (ou inversement), et si tout le canton est victime de l’exode rural au même moment. Ces données sont regroupées dans le tableau de l’évolution de la population municipale du canton de 1962 à 198236 .

Ainsi, on voit qu’entre 1954 et 1962, le solde naturel de Saint-Pol-de-Léon est positif (+405). Cela correspond en effet à la période du baby-boom. En revanche le solde migratoire est négatif (à -309), révélant ainsi la forte proportion prise par l’exode rural. Celui-ci concerne d’ailleurs l’ensemble du canton, puisque toutes les communes voisines de Saint-Pol-de-Léon connaissent un solde migratoire négatif. Le chef-lieu reste toutefois le plus touché par ce phénomène. Ainsi le canton connaît le même problème rencontré en Bretagne à cette époque : entre 1954 et 1962, un quart de la population bretonne change de commune37. Les deux-tiers restent toutefois dans la région. Cette migration se fait des petites communes vers les grandes communes, et est le plus souvent causée par un changement d’activité. La Bretagne connaît une forte migration vers le reste de la France. Le solde migratoire du Finistère est toujours négatif entre 1954 et 196238, et il en est de même pour celui du Léon. Les émigrants sont surtout des jeunes qui ont entre 25 et 35 ans (particulièrement des jeunes femmes) et qui cherchent du travail. Ce sont pour la plupart des ouvriers peu qualifiés, des employés, des fonctionnaires, des femmes de ménage, des cadres supérieurs et des instituteurs. Cependant, d’après Jacqueline Sainclivier les petites communes côtières résistent mieux à l’exode grâce au tourisme et à l’agriculture. En fait, ce sont surtout les communes comportant plus de 60% d’agriculteurs parmi les actifs qui sont victimes de l’exode rural (leur population diminue alors de 6%). Saint-Pol-de-Léon, où les agriculteurs ne représentent « que » 36% de la population active en 1954 et environ 30% en 1962, se trouve donc relativement épargnée. D’ailleurs, son solde total reste positif (+96), contrairement à toutes les autres communes du canton dont l’économie est sans doute essentiellement agricole. Malgré cela, l’exode des jeunes reste problématique pour la commune.

36 Cf Annexe, AM Saint-Pol-de-Léon, 3F4 boîte 314, Recensement général de la population de 1968, 1975 et 1982. 37 Jacqueline Sainclivier, La Bretagne de 1939 à nos jours, op.cit., p.170. 38 Jacqueline Sainclivier, La Bretagne de 1939 à nos jours, op.cit., p. 172. 18

B) Le problème de l’exode des jeunes

Dans son ouvrage Debout Bretagne !39, Michel Phlipponneau disait « le problème breton, c’est celui de l’avenir des jeunes ». Bien que la situation démographique de la région se soit améliorée vers 1958, son évolution dépend en effet de l’émigration des jeunes. On a vu que Saint-Pol-de-Léon devait être relativement épargnée par le problème de l’exode rural par rapport aux communes non côtières ou plus petites. Néanmoins, la municipalité semble s’en inquiéter à plusieurs reprises. L’auteur de la monographie de 1965 évoque une progression démographique « trop faible » causée par l’exode des jeunes ménages. Dans son chapitre dédié au logement, il estime qu’« il est regrettable de constater qu'environ trente familles “ Castors” ont dû abandonner leur logis et la Ville pour aller chercher du travail à Paris et ailleurs ». D’après son enquête, l’absence d’industrie provoque chaque année des départs définitifs de Saint-Politains.

Cependant cet exode local s’inscrit dans un phénomène national : en effet on estime qu’en France, entre 1954 et 1962, 12 millions de personnes ont changé de commune ou de résidence, et 3 millions d’entre elles ont changé de région40. Ces grands mouvements de population sont bien sûr causés par la croissance économique et industrielle, mais aussi par les « transformations de l’agriculture » qui engendrent un transfert de population vers les secteurs secondaire et tertiaire. En Bretagne, 17 200 personnes émigrent entre 1946 et 1954 ; et 11 600 entre 1954 et 196241. Or cette émigration a des conséquences sur la structure démographique de la région : si les jeunes femmes sont nombreuses à partir, cela engendre un taux de célibat masculin plus fort en milieu rural, donc un taux de natalité plus faible, et à long terme un exode accéléré. Les mêmes conséquences se retrouvent à l’échelle de Saint- Pol-de-Léon42.

Plusieurs facteurs provoquent ces départs de jeunes. À Saint-Pol-de-Léon comme dans d’autres communes du Léon, il semblerait que la question de l’exode rural des jeunes soit intimement liée au problème du logement et, surtout, à la situation des exploitations agricoles comme l’atteste un « Rapport sur la situation des jeunes » datant de juillet 1951. Ce rapport ne

39 Jacqueline Sainclivier, La Bretagne de 1939 à nos jours, op.cit., p.8. La citation est tirée elle-même de son ouvrage Le problème breton et le programme d’action régionale, Paris, 1956, p.23. 40 Elles sont 4,5 millions à l’avoir fait entre 1968 et 1975. Dominique Borne, Histoire de la société française depuis 1945, p.44. 41 Michel Phlipponneau, Debout Bretagne !, op.cit., p.13. 42 Cependant, comme il a été dit précédemment, une grande partie des jeunes bretons qui changent de commune durant cette période part en fait vers les grandes villes bretonnes, et donc pas forcément en-dehors de la région. 19 concerne pas seulement Saint-Pol-de-Léon mais aussi d’autres communes du canton, du Léon et du Trégor. Il expose entre autres les raisons pour lesquelles les jeunes quittent leur commune : « […] Une enquête intéressant plusieurs quartiers de Saint-Pol nous révèle que sur 157 jeunes appelés à s’installer, 96 seulement trouveront une situation […] »

L’enquête rapporte également les chiffres concernant Plouénan, où sur 235 jeunes appelés à s’installer, 164 le peuvent réellement ; à Roscoff, sur 192 jeunes appelés à s’installer dans les 10 ans à venir, 106 ont cette possibilité. En dix ans plus de trente jeunes roscovites ont quitté la ferme pour être emballeurs, manœuvres ou charpentiers. Roscoff compte alors déjà 90 célibataires de plus de 30 ans.

« Sous ces chiffres singulièrement éloquents se cachent parfois des situations vraiment pénibles. À Trézilidé deux jeunes se fréquentent depuis 5 ans sans trouver de situation. À Saint-Pol deux jeunes ont attendu pendant 7 ans. Ils se sont mariés et occupent une chambre en ville. Le mari travaille comme domestique de ferme […]. Car ce serait une erreur de croire que ces difficultés sont propres à notre région de culture maraîchère. Pour être moins grave dans la région de , la situation est loin d’être rassurante […]. L’enquête est vraiment riche d’enseignements […] ».

On voit donc bien à quel point la situation des jeunes qui restent à Saint-Pol-de-Léon est difficile. Ils doivent s’armer de patience pour trouver un logement où s’installer, ou se contenter de peu.

« Ces exemples de Plougoulm et de Roscoff nous donnent un aperçu des difficultés que rencontrent les jeunes qui vivent le long du littoral, sur cette ceinture bordant la mer et qui n’a précisément rien de doré. Mais le problème de l’installation est beaucoup plus complexe. Si dans le Léon nous sommes à l’étroit, dans le Tréguier les situations ne manquent pas […]. ». Se faisant l’écho de leurs camarades du Léon et du Tréguier, les jeunes de nous disent : « Nous ne pouvons nous installer faute d’argent ». Et ils nous annoncent que 70 jeunes ont quitté la terre dans les 10 dernières années… Faute d’argent, faute de situation, nous ne pouvons nous installer. Faut-il en conclure que trop de jeunes restent à la terre ? Ici se pose le problème de l’orientation professionnelle. Evidemment on nous dira : « Les parents ne voient dans leurs enfants qu’une main- d’œuvre immédiate ; ils n’ont pas le souci de les orienter vers d’autres professions ». Mais nous nous garderons bien de les incriminer, parce que nous connaissons leurs difficultés […] Nous avons été sacrifiés à l’exploitation et, victimes des conditions qui nous sont faites, nous sommes aujourd’hui, dans bien des cas, dans l’impossibilité d’exercer notre métier ». 20

Les jeunes Léonards connaissent sans doute les mêmes problèmes. La multiplication des exploitations agricoles empêche les jeunes de trouver une situation intéressante dans ce métier, ce qui les oblige à partir. C’est pour contrer ce problème, entre autres, que le CELIB s’est constitué en juillet 1950. La commune de Saint-Pol-de-Léon y adhère d’ailleurs en janvier 195643. L’exode des jeunes est aussi considéré comme une conséquence « de la modernisation et de la mécanisation des travaux dans les exploitations agricoles »44, comme partout en France.

Cet exode a bien sûr une influence directe sur l’évolution de la population active agricole de Saint-Pol-de-Léon, qu’il faut notamment comparer à celle des autres catégories socioprofessionnelles que l’on retrouve dans la commune.

C) Les catégories socioprofessionnelles entre 1954 et 1962

L’analyse de la répartition de la population active de Saint-Pol-de-Léon permet de déterminer quels sont les secteurs touchés par l’émigration ou l’immigration durant toute cette période. Pour l’année 1954, nous disposons de peu de données. Le tableau de recensement45 donne le chiffre de 44% de population active sur la population totale légale46, ce qui correspond à environ 3 777 habitants. Seulement 14 % de la population totale féminine considérée comme active, contre 40% de la population masculine. Le même tableau nous montre aussi que 36% de la population active se trouve dans le secteur « Agriculture et forêt » (contre 50,7% en Bretagne et 27,2% en France)47, et 14% dans le secteur « Industrie de transformation », sans donner d’information sur les autres secteurs. En revanche l’enquête monographique de 1965 comporte deux tableaux plus complets concernant la répartition de la population active de Saint-Pol-de-Léon en 1962 : un premier tableau montrant la « répartition de la population active par sexe et branche d’activité économique », et un deuxième sur la « répartition de la population active par sexe et catégorie socioprofessionnelle »48.

43 AM Saint-Pol-de-Léon, délibération n°56-14 du 26 janvier 1956, registre des délibérations du Conseil municipal, 1D33-34, boîte 020. 44 AM Saint-Pol-de-Léon, 2F5 boîte 654, Comité d'expansion économique du canton de St-Pol, 1963-1985, lettre de la commission municipale d’expansion économique au maire, 4 juillet 1963. 45 ADF Quimper, Q 4BB 6-2, Recensement général de la population de mai 1954. Résultats du sondage au 1/20ème. Population-ménages-logements, Département du Finistère, INSEE, PUR, 1955. 46 En 1954 la population totale légale est de 8 585 habitants. 47 Michel Phlipponneau, Debout Bretagne !, op.cit., p.219. 48 Cf. Annexes. 21

1) L’agriculture en tête des activités économiques

À partir de ces chiffres bruts, on peut calculer quelques pourcentages. Le premier tableau donne le chiffre de 3 151 pour la population active, soit 35,4% de la population totale légale (8 899 hab.)49. La population active aurait donc baissé de presque dix points par rapport à 1954. Cela s’explique facilement par l’augmentation de la part de jeunes non-actifs (issus du baby-boom) et de personnes âgées, et sans doute par l’exode rural. On constate d’ailleurs que l’activité « Agriculture et forêts » représente environ 30,4% de l’ensemble de la population active, soit une baisse de 6 points par rapport à 1954. En Bretagne la même année, ce secteur représente encore 42,7% de la population active, contre 20,5% en France50. L’agriculture reste toutefois en tête de tous les secteurs d’activité de Saint-Pol-de-Léon. Il est suivi de la catégorie « Commerces, banques, assurances » (27,6%), et des services non publics (13,6%). Les industries extractives et de transformation ne représentent que 11,8% des activités à Saint-Pol-de-Léon, contre 13,6% en Bretagne et 30% en France. L’industrialisation n’a donc pas encore touché la commune.

Les femmes représentent 32% de la population active saint-politaine en 1962. Ce pourcentage est légèrement en-dessous de la moyenne française (34,6% de la population active51) mais c’est une nette progression par rapport à 1954. On remarque toutefois que cette hausse ne suffit pas à faire augmenter la part de population active. Les femmes sont surtout présentes dans les catégories « Agriculture et forêts » (environ 29% de la population active féminine), « Commerces, banques, assurances » (27%) et « Services » (26%). Dans cette dernière catégorie, elles sont majoritaires par rapport aux hommes (61,9%).

2) Une faible part de population active

Le deuxième tableau, qui concerne la répartition par catégorie socioprofessionnelle, se base à quelques habitants près - 8 350 au lieu de 8 340 - sur la population totale municipale. Pour le total de la population active il donne cependant un chiffre supérieur à celui observé dans le précédent tableau : 3 204 au lieu de 3151. Nous nous baserons quand même sur les 3 204 habitants actifs, la différence entre les deux données n’étant pas énorme. La population active représente alors seulement 38,3% de la population totale municipale. Le pourcentage

49 Mais si l’on respecte les mêmes normes de recensement que pour 1954, on obtient 8 600 habitants en population totale légale en 1962, selon l’auteur de l’enquête monographique. La part de population active serait donc de 36,6%, soit une baisse de 8 points par rapport à 1954. 50 Michel Phlipponneau, Debout Bretagne !, op.cit., p.219. 51 Dominique Borne, Histoire de la société française, op.cit., p.103. 22 d’inactifs saint-politains est donc de plus de 61% ! C’est une part élevée comparée aux moyennes régionale (38% d’inactifs en Bretagne) et nationale (37,5%)52. Ceci explique pourquoi l’auteur de l’enquête monographique estime que la progression démographique de la commune est trop faible. Cependant, il faut rappeler que la Bretagne aussi a connu une diminution de sa population active de 7,6% entre 1954 et 196253, à cause de l’exode, du baby- boom et du vieillissement de la population.

On remarque que les Saint-politaines sont 23% à être actives, contre 39,9% en Bretagne et 36,1% en France54. On les retrouve essentiellement dans les secteurs primaire et tertiaire. En effet, 27 % des femmes actives de Saint-Pol-de-Léon se retrouvent dans la catégorie « Agriculteurs exploitants », et elles représentent 36% de la profession. Il s’agit sans doute pour la plupart d’aides familiales. Ensuite, 20% d’entre elles sont patronnes de l’industrie ou du commerce (42,8% de la catégorie) ; 11,7% font partie des personnels de service (87,5% de la catégorie), et 15,7% sont des employées (60,9% de la catégorie contre 58,8% en France55).

Pour l’ensemble de la population active de Saint-Pol-de-Léon, c’est la catégorie « Ouvriers » qui a la part la plus importante, avec 28% des actifs, suivie des « Agriculteurs exploitants » (24%) et des patrons de l’industrie et du commerce (15%). Le nombre élevé d’ouvriers - 904 personnes, dont 812 hommes - peut s’expliquer par l’existence des maisons de conditionnement et d’expédition de légumes, car on sait que les emballeurs étaient plutôt nombreux56. De même les patrons d’industrie et du commerce (276 hommes) doivent aussi leur importance au nombre élevé d’expéditeurs et de petits commerces. En revanche, la catégorie « Professions libérales et cadres supérieurs » ne représente que 2,3% de la population active saint-politaine. Par comparaison, en Bretagne la catégorie « Agriculteurs exploitants » arrive en tête (37,1% en 1962 contre 15,7% en France), puis celle des ouvriers (24,6% contre 36,7%) et les patrons d’industries ou de commerces (11,5% contre 10,4%). Les professions libérales et cadres supérieurs représentent 2,2% contre 4% en France57.

Cette première étude de la démographie de Saint-Pol-de-Léon nous permettent de mieux comprendre les problèmes sociaux que la commune rencontre au même moment.

52 Jacqueline Sainclivier, La Bretagne de 1939 à nos jours, op.cit., p. 165. 53 Ibidem, p.175. 54 Michel Phlipponneau, Debout Bretagne !, op.cit., p.218-219. Le taux d’activité féminin est plus fort en Bretagne compte tenu du nombre élevé de femmes qui travaillent dans les exploitations familiales agricoles. 55 Dominique Borne, Histoire de la société française depuis 1945, op.cit., p.116. 56 On parle souvent de plusieurs centaines d’emballeurs. Philippe Abjean estime qu’ils étaient environ 500 en période de grande activité. 57 Michel Phlipponneau, Debout Bretagne ! , op.cit., p.223. 23

II/ Les problèmes sociaux rencontrés par la commune

Si de nos jours la période des « Trente Glorieuses » nous paraît relativement prospère, elle a eu elle aussi son lot de difficultés, à commencer par la Reconstruction. La France devient un « État-Providence », de par ses interventions dans le domaine social et économique. Mais cela n’empêche pas certaines crises de se former. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la région est confrontée à différents problèmes sociaux, qui touchent particulièrement la ville de Saint-Pol-de-Léon : le ravitaillement, les travaux de modernisation, la question du logement et celle du chômage, ainsi que les révoltes paysannes pour la réorganisation du marché.

A) Le ravitaillement et les travaux de reconstruction

Dans le registre de délibérations des années 1947, 1948 et 194958, il est souvent question des problèmes de ravitaillement en lait de la population urbaine. La commune a fait appel à des laitiers ou fromager de Saint-Pol-de-Léon ou du département pour établir des conventions sur la collecte de lait et la livraison dans les dépôts de la commune. Ce problème de ravitaillement se prolonge en 1948, puisque le compte-rendu des délibérations du 25 janvier 1948 fait part de la nécessité de renouveler ce ravitaillement, et également d'améliorer la collecte pour les fermes isolées. Cette fois-ci, l'étude de ces collectes sera faite par des « commissions compétentes » du conseil. Pour pallier ces carences en lait, la commune achète également de la poudre de lait.

Certains retards dans les travaux d’urbanisation sont directement liés à la Seconde Guerre mondiale. C’est notamment le cas des travaux d’électrification, comme l’en attestent certaines délibérations du conseil municipal. En effet le 31 août 194759 le conseil municipal « considérant que l'électrification rurale de la commune doit être poursuivie dans toute la mesure du possible et qu'il importe de parer aux retards apportés par la guerre de 1939-45 au programme d'électrification établi en 1939 [...] décide de réaliser au plus tôt la construction des secteurs ruraux électriques de Kergréguin et de St-Nep.

On voit donc bien que certains problèmes rencontrés par la commune sont issus plus ou moins directement de l’Occupation, et que deux ans après la fin de la guerre, la municipalité peine encore à y trouver des solutions.

58 AM Saint-Pol-de-Léon, 1D32 boîte 029, registre des délibérations de 1946 à 1951. 59 Ibidem. 24

B) La question du logement et la solution « Castors »

Dès la fin des années 1940 et surtout dans les années 1950, la question du logement préoccupe particulièrement les esprits à Saint-Pol-de-Léon, au vu des nombreux témoignages et des délibérations du conseil municipal qui évoquent ce problème.

1) La difficulté de se loger après-guerre

a) La situation générale en France, en Bretagne et dans le Finistère.

Durant l’entre-deux-guerres, l’État français est en retard par rapport aux besoins de logements. Après la Seconde Guerre mondiale, les mesures de l’État-Providence ne suffisent pas à satisfaire toute la demande, et le problème du logement fait peu à peu l’objet d’une prise de conscience nationale60. En janvier 1953, le Ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme lance une « nouvelle offensive » contre cette crise du logement et propose de construire 240 000 logements par an. Mais ce n’est qu’à la fin des années 1950 que les efforts du gouvernement aboutissent. Entre-temps, ce sont les initiatives privées telles que le mouvement des Squatters et l’entreprise des Castors qui font figures d’alternatives61 : « Ce mouvement hybride qui se glisse dans le vide laissé par les autorités sur le terrain du logement après-guerre, permet à l’ouvrier de découvrir le confort moderne »62. Le Finistère subit lui aussi la crise du logement, en partie due à l’augmentation de la population. Le problème concerne autant le monde rural que les villes, où l’on constate que « certaines familles sont logées dans des conditions dramatiques, dans une exiguïté extrême »63. La crise du logement est bien sûr plus visible dans les grandes villes qui ont été touchées par les bombardements de 1943-1944, et où la solution des fameuses « baraques » s’impose.

b) Le cas de Saint-Pol-de-Léon

Saint-Pol-de-Léon n’a certes pas connu de destruction d’habitats durant la Seconde Guerre mondiale, mais comme d’autres petites villes, elle doit surtout faire face au « mal- logement ». Les bâtiments sont anciens et encore peu équipés : au recensement de 1954, 16%

60 Yohann Guiavarc’h, Construire sa maison en commun. L’aventure des Castors, Morlaix, Skol Vreizh, 2012, 84p., p. 5. 61 Ibidem, pp. 15-17. 62 Ibidem, p.4. 63 Ibidem, p.9. 25 des logements finistériens n’ont toujours pas d’électricité64. Plusieurs témoignages dévoilent les conditions difficiles dans lesquelles une partie de la population saint-politaine se loge : nous avons déjà évoqué précédemment ces deux jeunes mariés qui logeaient dans une « chambre » en ville. En août 1952, Xavier Grall publie un reportage intitulé « Le chantier de ces Castors est né d’un scandale » dans La Vie catholique illustrée65.

« Saint-Pol-de-Léon […] avait jusque-là une réputation d’opulence […] Les maisons étaient élégantes et riches. Pourtant, en 1949, une enquête sur le logement entreprise par les ouvriers démontra que ce n’était qu’une façade. On dénicha alors la misère, la misère noire et cachée, la misère honteuse qui fait peur. On apprit qu’une famille de onze enfants habitait deux petites pièces […]. Qu’un garçon de seize ans était dans l’obligation de dormir dans le même lit que ses sœurs de quatorze et dix-huit ans. Qu’une autre famille de neuf enfants partageait une salle obscure avec des colonies de rats, de crapauds et de limaces. Ces pièces, je les ai vues dans ces quartiers plein de taudis [où] j’ai marché […] ».

Exagère-t-il lorsqu’il évoque les colonies de rats, de crapauds et de limaces ? Combien de familles vivaient dans ces conditions ? Devant l’urgence de ces situations la municipalité semble réagir assez tôt, et en fait une de ses préoccupations les plus importantes, au regard des nombreuses délibérations concernant le logement. Elle rencontre cependant des obstacles conséquents : l’inertie de la population et, surtout, des pouvoirs publics.

2) L’inertie de la population et des pouvoirs publics

Une commission municipale du logement avait été créée à la fin de l’année 1947. Mais en mars 1948, elle est déjà contrainte de démissionner devant l’ampleur du problème :

« La Commission Municipale du logement créée voici quelques mois et composée uniquement de trois membres ouvriers, après une étude approfondie de la question très grave du logement, avait donné un communiqué à la presse. Dans ce communiqué, il était fait appel aux propriétaires cultivateurs, commerçants, familles aisées, pour une étude en commun de ce grave problème, afin d'y apporter remède au plus tôt et dans la mesure du possible. Cet appel aux sentiments étant resté sans réponse, et la situation

64 Yohann Guiavarc’h, Construire sa maison en commun. L’aventure des Castors, op.cit., p. 7. 65 Dans le n° 370 de La vie catholique illustrée, 17 août 1952. Des extraits sont disponibles en annexe du mémoire de Yohann Guiavarc’h Les Castors du Finistère, dirigé par Christian Bougeard en 2010 à l’UBO. Le poète, écrivain et journaliste breton Xavier Grall, originaire de Landivisiau, a notamment passé une grande partie de sa scolarité au Collège du Kreisker de Saint-Pol-de-Léon. 26

s'aggravant de jour en jour, les membres de la Commission municipale de logement, considérant d'une part que leur rôle n'a consisté jusqu'ici qu'à recevoir les doléances des mal-logés ou sans logis et que d'autre part ils ne peuvent attendre le concours de personnes qui pourraient être compétentes en la matière et encore moins le concours des Pouvoirs Publics, dont l'inertie dans le Contrôle et la Réquisition n'est plus à démontrer, décident d'un commun accord de donner leur démission»66.

Visiblement, même la population s’est montrée indifférente à la détresse de certains habitants. Le conseil municipal insiste fortement sur l’inertie des pouvoirs publics qui « n’est plus à démontrer ». On constate notamment que les trois membres de cette commission étaient tous ouvriers. Or cette classe était la plus durement touchée par la crise. Une deuxième délibération relative au logement suit le même jour. Le conseil municipal y explique que « la crise de logement dans les communes est un fait indéniable », qu' « elle est due pour une part à l'accroissement de la population municipale qui a passé de 7 731 en 1936 à 8 186 en 1946 » et qu' « elle est d'autre part justifiée par les nombreuses demandes de logement émanant tant des familles ouvrières nombreuses que des jeunes ménages ». On retrouve ici le problème d’installation des jeunes couples. Considérant tous ces éléments, le Conseil municipal demande alors que « le droit de réquisition de l'autorité préfectorale continue à s'exercer dans la commune ».

À Saint-Pol-de-Léon, le mouvement Castor est accompagné d’autres actions parfois radicales mais efficaces, tels que les squats, pour reloger certaines familles. Pol Pasquet, membre de la CFTC et leader des Castors de Saint-Pol-de-Léon67, use de cette méthode en novembre 1951 pour permettre à deux familles de se loger dans une institution religieuse68, car la Mère supérieure a refusé de les accueillir. Il justifie ainsi son geste dans une lettre adressée à Mgr Fauvel69 :

« Monsieur le maire de Saint-Pol, malgré tous ses efforts auprès d’une personne pouvant disposer de seize pièces, s’est heurtée à l’égoïsme féroce de cette dame qui ne veut admettre aucun argument en faveur de ces malheureux. Devant une telle incompréhension et la nécessité d’agir vite, le COL70 a pris la décision de se dispenser de toutes formalités et de passer outre à toute légalité. Des vies d’enfants sont en jeu […]. C’est pourquoi, Monseigneur, nous avons tenu à vous aviser que ce soir nous

66 AM Saint-Pol-de-Léon, boîte 019, 1D32, registre de délibérations 1946-1951, « Démission de la commission municipale du logement », 7 mars 1948. 67 Il était notamment séminariste avant de devenir électricien. 68 Yohann Guiavarc’h, Construire sa maison en commun, …, op.cit., p.53. Il s’agit peut-être des Ursulines. 69 Mgr André Fauvel (1902-1983) était évêque du diocèse de Quimper et du Léon de 1947 à 1968. 70 COL : Comité ouvrier du logement. 27

procéderons au relogement des précités. Un immeuble inoccupé, propriété d’une communauté religieuse, ne demandait, malgré le refus de la Supérieure, qu’à être peuplé. C’est chose faite. Nous nous opposerons par tous les moyens à l’éviction de nos protégés ». Pol Pasquet écrit même une lettre à la Mère supérieure, où il lui rappelle des passages de la Bible pour appuyer ses arguments. En tant qu’ancien séminariste très impliqué dans le syndicalisme, Pol Pasquet avait une réputation de militant adepte du « catholicisme social de gauche ». D’ailleurs la plupart des Castors de Saint-Pol-de-Léon était des ouvriers issus de la JOC. Il existait donc déjà dans la commune un important « terreau chrétien-social »71 qui, comme on peut le constater ici, n’était pas forcément apporté par les institutions religieuses « classiques », mais plutôt par les militants et les associations d’action catholique. Ce terreau chrétien-social a sans doute facilité le développement du mouvement Castor à Saint-Pol-de- Léon.

3) La solution « Castor »

« Les Castors naissent de la faiblesse de l'intervention de l'État, mais exploitent aussi au mieux les nouvelles législations qui entrent en vigueur [...] à l'inverse, la pratique d'un certain laxisme par les autorités locales permet souvent des accommodements avec la législation au moins dans les petites villes, d'autant que les autorités départementales sont aussi très favorables à l'initiative »72. L’initiative des Castors apparaît donc dans certaines grandes villes et communes de France. Dans le département du Finistère, on commence à s’y intéresser en 1949, en prenant pour modèle la cité de Pessac, près de Bordeaux73. Les premiers Castors finistériens apparaissent en 1950. Au mois de novembre 1952 le Finistère est le troisième département où le mouvement Castor a été le plus fort, avec 27 communes concernées et 640 logements en chantier74. Le principe de ce mouvement est l’auto-construction : des chefs de famille décident de construire ensemble une cité, avec des maisons identiques et modernes, puis en deviennent propriétaires. Chacun doit aider son voisin à construire sa maison. Cela permet de supprimer les intermédiaires, d’acheter des matériaux en grande quantité et donc de diminuer les coûts de construction75. Pour organiser cela, les Castors créent un Comité ouvrier du

71 Philippe Abjean, entretien du 22 décembre 2013. 72 Yohann Guiavarc’h, Construire sa maison en commun. L’aventure des Castors, op.cit., p.15. 73 Ibidem, p. 18. 74 Ibidem, p. 4. Le premier département est le Maine-et-Loire (1 145 logements) suivi de la Seine (713 logements). 75 Yohann Guiavarc’h, Construire sa maison en commun. L’aventure des Castors, op.cit, p. 21. 28 logement (COL) qui se démarque alors du Comité interprofessionnel du logement, composé surtout de patrons. Ils obtiennent des prêts au Crédit immobilier, mais la plus grande part de leurs ressources financières provient des Castors eux-mêmes76. Le principe existait déjà avec la Ruche Quimpéroise créée en 193277.

Après la création du COL de Saint-Pol-de-Léon, son président Pol Pasquet présente la solution Castor lors d’une réunion organisée par le maire de Plouénan, François Prigent. Il s’agit de recruter des futurs Castors, mais l’assemblée n’est composée que d’une vingtaine de personnes78. Cependant la commune de Saint-Pol-de-Léon est rapidement considérée comme pionnière dans le département. Elle reçoit même « les honneurs de la presse nationale » : La Croix lui consacre en effet en février 1952 un article intitulé « Une poignée de militants catholiques anime une cité castors, à Saint-Pol-de-Léon »79. Le premier groupe saint-politain est d’abord composé de 200 candidats. Puis son effectif diminue et passe à 65 personnes, et d’autres groupes se forment80. Quatre quartiers seront ainsi construits dans la commune : Ty Dour, Kervarqueu, Les Bruyères et Kéralivin, ce qui représente, entre 1949 et 1959, la construction de 255 logements81.

Au mois de décembre 1950, le COL de Saint-Pol-de-Léon commence à acquérir des terrains. Certains lui sont vendus par Hervé Budes de Guébriant, après plusieurs négociations concernant le prix. C’est le cas du terrain de Kéralivin, d’une superficie de deux hectares, qui était auparavant occupé par des jardins ouvriers82, ainsi que du terrain de Ty Dour, de deux hectares également83. Le COL n’attend pas toujours l’aide du Crédit foncier pour commencer à construire. Il fait parfois d’abord appel aux ressources des familles qui participent au mouvement ou demandent à la municipalité certaines avances de trésorerie84. Le Conseil municipal se montre la plupart du temps favorable aux demandes des Castors. Certaines dépenses telles que l’électrification ou l’installation du gaz dans les cités sont entièrement prises en charge par le COL, tandis que la municipalité finance par exemple l’adduction d’eau ou les dépenses de voiries85. Le Conseil municipal estime en effet « qu'il est de son devoir de

76 Yohann Guiavarc’h, Construire sa maison en commun. L’aventure des Castors, op.cit, p. 24. 77 La Ruche Quimpéroise devient ensuite la Ruche finistérienne. 78 Yohann Guiavarch, Construire sa maison en commun…, op.cit., p. 34. 79 Ibidem, p. 21. 80 Ibidem., p. 38. 81 Ibidem, p. 33. 82 AM Saint-Pol-de-Léon, 1D32, boîte 019, registre des délibérations du 28 janvier 1946 au 28 décembre 1951, délibération du 7 décembre 1950 sur la question du logement. Dans les délibérations, le COL est souvent désigné sous le nom de « Ruche finistérienne ». 83 AM Saint-Pol-de-Léon, 1D 33, boîte 020, registre des délibérations de janvier 1952 au 28 janvier 1957, délibération du 25 janvier 1952. 84 AM Saint-Pol-de-Léon, 1D32, boîte 019, registre des délibérations du 28 janvier 1946 au 28 décembre 1951, délibération du 19 août 1951, « Avance de trésorerie au COL de Saint-Pol ». 85 AM Saint-Pol-de-Léon, 1D 33, boîte 020, registre des délibérations de janvier 1952 au 28 janvier 1957, 29 contribuer à parer à la crise du logement ». Il sollicite notamment le département et l’État pour recevoir des subventions « les plus larges possibles pour aider la commune à financer le projet dont l’opportunité n’est pas contestable ».

Malgré ces aides, la part financière que doit apporter chaque Castor à l’édification d’une cité n’est pas négligeable, même si le Castor est rémunéré : « à Saint-Pol, comme à , un Castor verse 3 000 F par mois, ce qui représente 10% du salaire moyen »86. On retient surtout la force de travail qui se dégageait de ce mouvement : « Les Castors transforment leur force de travail en argent, démarche qui prend un tour militant à Saint-Pol-de-Léon où l'heure du castor est rémunérée sur la base de celle d'un emballeur de légumes, c'est-à-dire 125F »87. Cette rémunération est basée sur le salaire des ouvriers-emballeurs sans doute parce que cette profession était la plus représentée dans les groupes de Castors : sur les 65 candidats du premier groupe, seize sont ouvriers-emballeurs. Selon Yohann Guiavarc’h, « ils appartenaient au groupe le plus défavorisé de la population de Saint-Pol-de-Léon ». Les autres sont souvent des employés et parfois des fonctionnaires. La construction de ces maisons modernes engendre donc pour la plupart de ces ouvriers une véritable « émancipation sociale »88, puisque cela leur permet d’accéder à un certain confort qui pouvait même faire des jaloux : une maison avec plusieurs pièces dont une salle de bains et des WC intérieurs, un évier dans la cuisine…Ces maisons peuvent même être agrandies de deux chambres, pour accueillir les familles nombreuses.

L’apport-travail d’un Castor représente alors 36 heures par mois, en plus des deux semaines de congés payés dont les Castors profitaient pour faire avancer les travaux, et des huit heures mensuelles d’apport-travail gratuit. Si un Castor ne respectait pas ces règles, il pouvait recevoir des sanctions « allant jusqu’à l’exclusion du groupe ». Chez les Castors, on travaille même le dimanche, ce qui était plutôt mal vu par l’Église. C’est cependant Mgr André Fauvel, évêque du diocèse de Quimper et de Léon, qui le leur autorisa. Si pour une raison ou une autre un Castor ne pouvait pas travailler au chantier, il devait trouver une alternative. Par exemple, Jean Prigent89, qui avait participé à la construction d’une des cités Castors, était dans la Marine et ne pouvait donc pas être toujours présent sur le chantier. Pour être remplacé le dimanche, il faisait alors appel à son oncle, qu’il payait pour effectuer les travaux.

délibération du 22 février 1953, « Aménagement d’un terrain loti appartenant au COL ». 86 Yohann Guiavarc’h, Construire sa maison…, op.cit., p. 24. 87 Ibidem, p. 25 88 Ibidem, p. 40. 89 D’après le témoignage de son frère Louis Germain Prigent. Jean Prigent, né en 1927, était d’ailleurs fils d’un ouvrier-emballeur. 30

4) L’état du logement à Saint-Pol-de-Léon en 1962.

Nous ne disposons pas d’archives datées de la fin des années 1950 nous montrant quel est l’état du logement à Saint-Pol-de-Léon à la suite de l’action des Castors. Il faut attendre 1962 pour que les rapports sur le logement apparaissent. On sait alors que les cités Castors de Saint-Pol-de-Léon ont pu loger 1 147 personnes, dont 642 enfants90. L’enquête monographique de Saint-Pol-de-Léon effectuée en 1965 présente un chapitre sur l’état du logement dans la commune. L’auteur précise qu’en 1946 Saint-Pol-de-Léon comptait 1 506 immeubles. En 1962, la commune comporte 1 985 immeubles, dont 132 résidences secondaires. Entre 1945 et 1965, 500 immeubles ont été édifiés, ce qui correspond à « une augmentation d’un tiers du patrimoine immobilier ». On compte alors 32 lotissements, dont trois communaux. Les Castors, la Ruche finistérienne et les associations de bâtisseurs sont les principaux constructeurs de ces immeubles. Ceux-ci sont, en réalité, exclusivement des maisons individuelles avec jardin. Aucun immeuble locatif n’a été construit, ce qui, selon l’auteur de la monographie, est regrettable : « C’est une lacune qu’il serait bon de combler en sollicitant une attribution d’Habitation à Loyers Modérés ». Finalement, « la partie la plus ancienne de la ville s’est peu métamorphosée ». Certains immeubles du centre-ville sont mêmes plutôt vétustes. Paradoxalement, la construction de ces cités Castors n’a pas eu l’effet escompté sur le solde migratoire de la commune. L’auteur de l’enquête monographique constate en effet qu’ « environ trente familles Castors ont dû abandonner leur logis et la Ville pour aller chercher du travail à Paris et ailleurs ». En effet, après le logement à la fin des années 1940, c’est dorénavant le chômage qui pose beaucoup de problèmes à la commune.

90 Yohann Guiavarc’h, Construire sa maison…, op.cit., p. 44. 31

C) Le chômage des ouvriers-emballeurs

La commune léonarde est loin d’être la seule à connaître le problème du chômage. Entre 1958 et 1960, la Bretagne et la France connaissent une hausse du chômage due à la diminution des offres d’emploi et au bas niveau de la durée hebdomadaire de travail. Cependant le chômage revêt à Saint-Pol-de-Léon un caractère unique. C’est un phénomène qui s’étend régulièrement et ponctuellement sur toute cette période, mais qui ne concerne quasiment qu’une ou deux professions : les ouvriers agricoles et les ouvriers-emballeurs.

1) Un problème récurrent

Le Conseil municipal aborde souvent la question du chômage dans les registres de délibérations. De 1947 à 1959, on relève sept délibérations relatives à la question du chômage et à ses solutions. De 1961 à 1966, on en compte six autres qui démontrent que le problème n’est toujours pas totalement réglé. Certaines années, comme 1959, sont particulièrement concernées par ce phénomène, à voir le nombre de chômeurs et surtout le vocabulaire utilisé par le Conseil municipal pour exprimer sa détresse. « Situation pénible » ou « tragique », « gravité de la situation », « urgence », « grande misère des travailleurs », sont des expressions souvent utilisées dans ces délibérations. Voici un exemple de délibération qui réunit tous ces éléments:

« Le Maire expose au Conseil Municipal la gravité de la situation créée par les conditions atmosphériques actuelles qui provoquent des destructions considérables aux cultures de primeurs. Sur le marché du travail, cela s'est traduit par le débauchage de nombreux ouvriers des magasins d'expéditions et ouvriers agricoles. À ce jour plus de 80 personnes sont inscrites au chômage, chiffre malheureusement très inférieur à la réalité. Il est à craindre que cette situation se prolonge pendant plusieurs mois car le volume de la production sera à coup sûr fort inférieur au volume ordinaire. La situation ne peut d'ailleurs que s'aggraver […] »91.

Comme il a été dit précédemment, nous ne disposons pas d’informations précises sur le nombre d’ouvriers-emballeurs. On suppose qu’il s’exprime en centaines, puisque le nombre

91 AM Saint-Pol-de-Léon, 1D 33, boîte 020, registre des délibérations du 25 janvier 1952 au 28 janvier 1957, extrait de la délibération du 21 février 1956, n°56-29, « Demande de création d'un service d'aide aux travailleurs sans emploi ». 32 de chômeurs dans les maisons d’expédition s’élève de 60 à 220 entre 1947 et 1963. Si on se base sur les recensements de population active de 1962 on compte, tous secteurs d’activités confondus, 904 ouvriers en sachant qu’ils devaient sans doute être majoritairement dans les maisons d’expédition. Selon Fanch Elegoët92, un expéditeur pouvait embaucher une centaine d’ouvriers en pleine saison de choux-fleurs. À la fin des années cinquante, l’ensemble des maisons d’expédition de la zone légumière embauche entre 750 et 800 ouvriers sur toute ou partie de l’année.

Concernant les causes de ce chômage, il est souvent question des « conditions atmosphériques » : en effet si l’hiver est trop rigoureux, le gel peut détruire les cultures de choux-fleurs et donc réduire fortement les arrivages dans les maisons de conditionnement. C’est pour cette raison que la plupart des délibérations relatives à la question du chômage sont formulées aux mois de décembre, janvier et février. On retrouve toutefois certaines délibérations aux mois d’avril, juin et septembre. Parfois, le Conseil municipal évoque d’autres raisons : l’abandon de la culture d’une variété particulière de choux-fleurs, la « mécanisation croissante de la culture » et la « modernisation de l’équipement des magasins d’expédition » qui diminue « le travail humain »93. Et en effet, au fur et à mesure que l’on s’approche des années 1960 où la modernisation des techniques agricoles s’accentue, le taux de chômage augmente à Saint-Pol-de-Léon. En juillet 1947, on compte 60 chômeurs inscrits94 et la délibération indique que ce sont des ouvriers. En janvier 1950 on évoque 82 chômeurs95 ; en septembre 1959, année particulièrement difficile, on compte 107 demandeurs d’emploi96.

Mais le conseil municipal précise bien souvent que ces statistiques sont certainement inférieures au nombre réel de travailleurs sans emploi. En effet, selon Michel Phlipponneau, en milieu rural « les demandeurs potentiels d’emploi sachant qu’ils ne trouveront pas de travail sur place négligent souvent de se faire inscrire ». Ainsi le taux de chômage réel dans la commune pourrait être bien plus élevé que ce qui est prétendu dans les délibérations. Mais il est impossible de savoir combien de chômeurs il y avait exactement.

92 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes en Bretagne. A l'origine de l'organisation des marchés, Plabennec, éd. Du Léon, 1984, p. 53. 93 AM Saint-Pol-de-Léon, 1D 34 boîte 020, registre des délibérations du 7 février 1957 au 17 juin 1960, délibération du 13 février 1959, n°58-9, où l’on évoque « l’abandon progressif de la culture de variétés hâtives de choux-fleurs ». 94 AM Saint-Pol-de-Léon, 1 D32 boîte 019, délibération du 24 juillet 1947 relative à la création d’un fonds de chômage. 95 AM Saint-Pol-de-Léon, 1D32 boîte 019, délibération du 15 janvier 1950 relative à la création d’un fonds de chômage. 96 AM Saint-Pol-de-Léon, 1D34 boîte 020, délibération du 18 septembre 1959. 33

En 1959, le conseil municipal insiste sur le caractère de plus en plus permanent de ce chômage. La période entre le retour des ouvriers de la campagne betteravière et la pleine saison de récolte des primeurs est particulièrement difficile97, mais le chômage se prolonge de plus en plus toute l’année pour les raisons citées précédemment et notamment en septembre. La campagne sucrière ne suffit même plus à compenser la période de sous-emploi des maisons d’expédition98. La situation est d’autant plus grave qu’elle a des conséquences parfois dramatiques sur la commune et pour ces ouvriers, comme l’atteste cet extrait de délibération de février 195999 :

« Considérant que dans ces conditions l'absence d'un fonds de chômage permanent à Saint-Pol-de-Léon entraîne des conséquences sociales d'autant plus graves que de nombreux ouvriers ont fait bâtir des « logements économiques et familiaux » et doivent faire face à des dettes importantes, Considérant que cette insuffisance de revenus dans certaines familles ouvrières, si elle se prolongeait, risquerait de provoquer un exode définitif d'une partie de la main- d’œuvre, ce qui mettrait en péril l'activité économique du pays, en rendant difficile en pleine saison la commercialisation de la production […] ».

Nous avons en effet constaté précédemment qu’une grande part des Castors était constituée d’ouvriers-emballeurs. Ceux-ci devaient sacrifier une partie de leur faible salaire pour pouvoir participer à l’aventure. La perte de leur poste engendrait bien évidemment un souci financier important. En 1950 déjà, la municipalité faisait état des mauvaises conditions de vie des ouvriers-emballeurs pour signifier aux autorités l’urgence de la situation. En février 1950, elle enregistrait 1 657 journées de chômage, en spécifiant qu’« en prenant comme base le salaire journalier d’un ouvrier-emballeur, à savoir 450 frs, cela représente une perte totale de 1 572 300 frs »100. Le conseil municipal prend alors en compte « la situation tragique créée aux travailleurs sans emploi et à leurs familles qui, pour subvenir à leurs besoins matériels ont dû recourir à de multiples achats à crédit ». Mais à long terme aussi le chômage accentue le problème, déjà assez pesant, de l’exode rural.

97 AM Saint-Pol-de-Léon, 1D 34 boîte 020, registre des délibérations du 7 février 1957 au 17 juin 1960, délibération du 13 février 1959, n°58-9. 98 AM Saint-Pol-de-Léon, 1D34 boîte 020, délibération du 18 septembre 1959. 99 AM Saint-Pol-de-Léon, 1D 34 boîte 020, registre des délibérations du 7 février 1957 au 17 juin 1960, délibération du 13 février 1959, n°58-9. 100 AM Saint-Pol-de-Léon, 1D32, boîte 019, registre des délibérations du 28 janvier 1946 au 28 décembre 1951, délibération du 27 février 1950 relative à l’ouverture d’un fonds de chômage. 34

2) La municipalité face à l’inertie des pouvoirs publics.

Le conseil municipal prend à cœur ce problème, notamment parce que l’Union locale de la CFTC lui fait part de son inquiétude vis-à-vis de cette situation. Le 11 juillet 1950 les syndicalistes envoient d’ailleurs une lettre au maire de Saint-Pol-de-Léon, dans laquelle ils font par d’un sentiment d’injustice101 :

« Ce n’est pas sans angoisse que nous voyons se ralentir le travail dans nos magasins d’expédition de légumes de St-Pol. Il y aura des chômeurs, et cela veut dire qu’il y aura un peu plus de misère encore chez nos ouvriers de St-Pol. Les camarades ne comprennent pas pourquoi ils n’ont jusqu’à présent, jamais bénéficié des allocations de chômage, et je vous assure qu’il y a là pour eux le sentiment d’une incompréhensible injustice à leur égard. D’autant plus que des fonds de chômage existent ailleurs, et qu’aucune raison sérieusement valable n’a jamais été donnée aux organisations ouvrières de la localité […] ».

Ils rappellent aussi que les allocations de chômage connaissent à ce moment-là une augmentation, et qu’ils feront tout pour les obtenir. Ils demandent au maire « quelques éclaircissements » sur la question et ce qu’il compte faire, notamment auprès de la préfecture, pour rendre ces allocations effectives. Mais lors d’une assemblée générale de la CFTC en 1955, Paul Kerbrat, qui est alors à la tête de la section locale, explique dans son rapport que la municipalité ne peut rien faire pour les 70 ouvriers inscrits au chômage, « les secours aux chômeurs n’étant accordés qu’aux villes de 50 000 habitants »102. Qu’en pensent les patrons de ces maisons d’expédition, sachant que leur profession est bien représentée au sein du conseil municipal103 ? Depuis des années déjà, les syndicats des ouvriers-emballeurs se battent pour obtenir des expéditeurs un meilleur salaire. À cette question s’ajoute parfois celle du chômage. À cela, l’Union des expéditeurs de Saint-Pol-de- Léon répond que « contrairement à l’argument maintes fois avancé, un fort pourcentage du personnel est conservé toute l’année dans les maisons d’expédition ; ceux qui vont en Angleterre ou aux sucreries (quelque fois malgré le désir de leurs employeurs de les

101 AM Saint-Pol-de-Léon, 3Z2 boîte 195, Union locale de la CFTC (1938-1982), création, fonctionnement : notes, correspondance. 102 AM Saint-Pol-de-Léon, 3Z2 boîte 195, Union locale de la CFTC, article (Ouest-France ou Le Télégramme ?) paru en 1955. 103 Ils sont deux à avoir été élus en 1953 (dont le maire) ; quatre en 1959 ; deux en 1965. 35 conserver) sont généralement repris immédiatement à leur retour »104. Ils estiment ainsi que la part d’ouvriers saisonniers menacés de chômage partiel est « infime » et ne concerne seulement les « ouvriers non-qualifiés qui ne peuvent se fixer nulle part ». En février 1956, le conseil municipal rappelle qu’au début de la crise « des efforts ont été faits pour limiter le chômage, tant par les maisons d’expédition et les coopératives (qui ont conservé un personnel supérieur à leurs besoins) que par la commune qui a embauché des auxiliaires nombreux »105. Les conseillers ajoutent cependant que « les possibilités financières des expéditeurs » et le budget communal sont limités et que « cet effort ne peut se prolonger ». C’est pour ces raisons que le conseil municipal insiste auprès de la préfecture pour obtenir l’ouverture d’un fonds de chômage ou d’un service d’aide aux travailleurs sans emploi.

À chaque délibération, le conseil municipal demande l’autorisation au Préfet d’ouvrir un fonds de chômage ou un chantier de chômage pour ces travailleurs sans emploi. Il insiste bien sur le caractère urgent de la situation, mais malgré cela les réactions des autorités départementales sont parfois lentes. Cela oblige la municipalité à renouveler certaines demandes, par exemple en septembre 1959 où le conseil municipal redemande au Préfet de prononcer l’inscription de la commune sur la liste des localités bénéficiant de ce service d’aide. Il rappelle aussi que la commune a déjà consenti un effort financier « sans aucune aide en vue de limiter le chômage ». La situation devenant encore plus critique en 1959, la municipalité se fait plus insistante, quitte à adopter des solutions parfois radicales :

« Considérant que cette délibération n’a pas reçu jusqu’à ce jour l’approbation de l’Autorité de tutelle […] avise Monsieur le Préfet, qu’à défaut d’une suite favorable à la présente motion, Monsieur le Maire et ses conseillers se démettront de leur mandat afin de protester contre la carence des Autorités devant le grave problème du chômage dans la cité106 ».

Les dernières élections municipales avaient eu lieu en mars de la même année. Nous savons que par la suite ni le conseil municipal ni le maire n’a démissionné. Cependant cette situation rappelle celle qu’avait connue la municipalité en 1948 pour la question du logement, où le

104 AM Saint-Pol-de-Léon, 3Z2 boîte 195, Union locale de la CFTC, lettre du 2 février 1957 de l’Union des expéditeurs adressée à l’Union locale CFTC (en réponse à une lettre précédente). 105 AM Saint-Pol-de-Léon, 1D 33, boîte 020, registre des délibérations du 25 janvier 1952 au 28 janvier 1957, extrait de la délibération du 21 février 1956, n°56-29 106 AM Saint-Pol-de-Léon, 1D34 boîte 020, registre des délibérations du 7 février 1957 au 17 juin 1960, délibération du 19 novembre 1959 relative à la « Caisse de chômage et aux chantiers de chômage », n°59- 136. 36 conseil municipal disait que l’inertie des pouvoirs publics n’était plus à démontrer.

Une chanson de Charles Mercier, un des chansonniers populaires de Saint-Pol-de-Léon à l’époque, illustre bien le désarroi des ouvriers saint-politains107 :

« Dans un beau coin du Finistère, à Saint-Pol et ses environs, Où poussent les plus beaux choux de la terre, par l’hiver que nous subissons Hélas mes amis, tous sont détruits, semant la gêne, la ruine dans le pays,

(Refrain ) : Hélas, c’est la misère, pour nos braves emballeurs, Pour les fils de la terre et les Expéditeurs.

Quand la saison est florissante, lorsqu’il y a des rentrées d’argent, Nos braves fermières sont contentes et font gagner évidemment Les commerçants et certainement les PTT, les Chemins de fer, le Bâtiment.

Mais pour ceux qui sont en chômage il faut que le Département Fasse son devoir, cela est sage aussi que le Gouvernement Pour moderniser nos réseaux routiers Tous les chômeurs pourraient être embauchés.

Pour que cesse la misère Messieurs nos Députés Faites donc le nécessaire pour qu’ils puissent travailler ».

3) Les solutions apportées par la commune

Les premières solutions apportées sont les ouvertures de fonds de chômage. Les dépenses pour remédier à ce chômage vont de 50 000 à 1 400 000 anciens francs selon les périodes. Mais parfois la commune est obligée d’apporter une aide matérielle en attendant l’ouverture de ces fonds108. Cependant, et c’est peut-être une des raisons pour lesquelles les autorités publiques tardent à satisfaire ces demandes, le Préfet se montre parfois « hostile » à

107 Chanson intitulée « La ruine au pays des choux-fleurs », de Charles Mercier (non datée). Annexe du mémoire de Sophie Donnart, « Les compositions sur feuilles volantes des chansonniers populaires du XXème siècle à Saint-Pol-de-Léon » dir. par Ronan Calvez, Parcours celtique, Brest, UBO, 2011. 108 AM Saint-Pol-de-Léon, 1D32, boîte 019, registre des délibérations du 28 janvier 1946 au 28 décembre 1951, délibération du 27 février 1950. 37 l’ouverture d’un fonds de chômage. Ce refus est justifié : « cette solution offrant certes l’avantage de fournir quelques subsides aux travailleurs sans emploi, mais présentant l’inconvénient de les maintenir dans l’oisiveté alors que la plupart d’entre eux souhaiteraient travailler, et obtenir par là un revenu plus substantiel »109. Une autre solution est alors proposée pour répondre aux besoins des chômeurs : les chantiers de chômage, qui offrent un emploi temporaire aux chômeurs, et qui permettent à la commune de faire avancer certains travaux de voirie. Par la suite, les demandes d’ouverture de chantiers de chômage se font plus systématiques. Mais visiblement ces chantiers ne permettent pas non plus de résorber tout le chômage à Saint-Pol-de-Léon. De plus, ce sont souvent des travaux pénibles physiquement et moralement110.

L’état général de la population saint-politaine entre 1946 et 1962 nous montre que celle-ci ne suit pas toujours la même évolution que le Finistère, la Bretagne ou la France. Le baby-boom ne suffit pas à compenser l’exode rural des jeunes. Bien que cet exode soit moins important que dans d’autres communes bretonnes, il devient problématique car il signifie que la commune n’est pas assez attractive. La population active en 1962 est plutôt faible, tandis que l’agriculture est toujours en tête des activités économiques de la commune, devant le secteur ouvrier. La municipalité cherche des solutions à l’exode, comme elle essaie de limiter le chômage des ouvriers-emballeurs, en vain. En revanche, la solution contre la crise du logement est apportée par un groupe de volontaires, composé de militants et d’ouvriers qui se chargent de construire ensemble leurs maisons, face à l’inertie des pouvoirs publics.

Durant cette même période, l’équipe municipale se forme et s’installe progressivement tandis qu’au niveau national, les crises politiques s’enchaînent.

109 AM Saint-Pol-de-Léon, 1D34 boîte 020, délibération du 18 septembre 1959, délibération n° 59-118. 110 Il fallait par exemple casser des cailloux au bord des routes pour refaire la voirie (témoignage de Louis Prigent, 1er décembre 2012). 38

Chapitre II/ La situation politique de 1947 à 1958

Dès la Libération de 1944, le retour vers la démocratie s'opère progressivement dans tout le pays. L'objectif est de remettre en place les institutions de la République, dépourvues de tout collaborateur. Les élections municipales de 1945 sont l'occasion de tester « la fidélité populaire aux institutions de la Résistance »111. Le Parti Communiste, la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) et le Mouvement Républicain Populaire (MRP) composés d'un certain nombre de résistants deviennent les premiers partis de France. Le MRP, parti de démocrates-chrétiens, séduit particulièrement les Bretons. À Saint-Pol-de-Léon c'est d'ailleurs un homme portant l'étiquette MRP, Henri Le Sann, qui devient premier magistrat de la commune. En 1935 il était déjà membre du conseil municipal d'Alain de Guébriant, très marqué à droite. Mais lors de la nomination du nouveau conseil municipal par le régime de Vichy en 1941, Henri Le Sann préféra démissionner, ce qui lui permit de se présenter candidat en 1945 sans le souci de se voir suspecter de collaboration. Son conseil municipal est alors composé d'adhérents ou de sympathisants MRP, de conservateurs et de radicaux, et d'un membre du réseau de résistance Centurie-OCM. Par rapport à la période de l'entre-deux-guerres, la rupture n'est sans doute pas totale, mais on observe tout de même un glissement politique vers le centre-droit112.

Les décennies qui suivent sont marquées au niveau national par des événements politiques importants tels que la mise en place de la IVème République, les chutes de gouvernement, l'essor, le déclin puis le retour du gaullisme, et l'instauration de la Vème République. Quelles répercussions ces événements ont-ils eu sur la vie politique locale de Saint-Pol-de-Léon ? Y a-t-il des divergences ou des similitudes entre les votes, les opinions politiques des Saint- Politains, et ceux des Bretons, des Français ?

111 Jean-Pierre RIOUX, La France de la Quatrième République, t.1, L'ardeur et la nécessité 1944-1952, Paris, Seuil, 1980, p.90. 112 Yoann GOAOC, Une Histoire thématique de Saint-Pol-de-Léon (1935-1947), op.cit., p.177-178. 39

I/ Une commune démocrate-chrétienne (1947-1953)

Que ce soit au niveau des scrutins nationaux ou au niveau des élections locales, on constate tout au long de cette première période que les Saint-Politains ont une forte tendance à voter en faveur des candidats de centre-droit. Une concurrence existe toutefois avec le parti gaulliste RPF, plus à droite.

A) État des lieux en 1947: le MRP à la tête de la commune

De 1945 à 1947, la commune de Saint-Pol-de-Léon est administrée par un maire MRP, donc de centre-droit, et par des conseillers qui sont pour la plupart de ce même bord politique ou de droite. Dans la période de l'entre-deux-guerres le conseil municipal d'Alain de Guébriant était, lui, issu de la droite conservatrice. On peut trouver des origines diverses à cette tradition conservatrice et démocrate-chrétienne.

1) Entre tradition conservatrice et démocrate-chrétienne: les origines

Pour quelles raisons le MRP peut-il avoir autant de succès à Saint-Pol-de-Léon ? Il semble que certains Saint-Politains de l'époque soient issus « de la vieille souche du MRP », inspirée par le mouvement du Sillon, et qu'il existait « dans les années 1900, au Kreisker, une section de jeunes démocrates, qui vendaient le journal du mouvement, et qui faisaient de la vulgarisation politique tous les dimanches matin »113. Le Sillon a été créé à partir d'une revue éponyme publiée dès 1894 par Paul Renaudin, Augustin Léger et Marc Sangnier, et rassemblait des catholiques ralliés à la République, tel que « l'abbé démocrate » Henri Mancel. Ils s'inspirent de l'encyclique Rerum Novarum publiée le 15 mai 1891 par le Pape Léon XIII, qui prônait le ralliement de l’Église à la République. Le mouvement du Sillon prend progressivement de l'ampleur et se fait le représentant de la démocratie-chrétienne en Bretagne.

Le courant démocrate-chrétien s'implante donc bien en France et en Bretagne avant la Seconde Guerre Mondiale. Ensuite, le rôle du MRP a été primordial lors de la Libération.

113 Témoignage de Jacques Chapalain (27 janvier 2013), ancien conseiller municipal élu en 1971 et lui-même centriste. 40

C'est un parti neuf, sans lien avec la collaboration et bénéficiant du prestige de la Résistance, qui rencontre un succès important. Même s'il ne s'affiche pas ouvertement comme un parti chrétien, sa philosophie politique est imprégnée par le christianisme. C'est également un mouvement qui se veut être social (mais pas « socialiste »), et qui s'oppose à la fois au capitalisme et au collectivisme114. Il se développe donc au sein des organisations chrétiennes, mais aussi dans le monde syndical et agricole. Le MRP atteint son apogée en termes d'effectifs en 1946, avec 125 000 inscrits au niveau national, et 5960 dans le Finistère115.

Quant à la droite conservatrice, si elle est minoritaire dans les années 1930, son influence est puissante et peut prendre des formes diverses par le biais notamment de l’Église. Discréditée à la Libération par sa compromission avec Vichy (bien que certains conservateurs soient devenus résistants), la droite est alors divisée et n'obtient que 38% des communes en 1945. Elle renaît progressivement sous la IVème République avec le Centre National des Indépendants (CNI), mais se voit concurrencée par le gaullisme. En effet en Bretagne la « voix de Londres » séduit beaucoup, tout comme ses avertissements à la population sur les difficultés intérieures rencontrées par le gouvernement (ravitaillement, hausse du coût de la vie, présence des communistes au gouvernement...). Le Rassemblement du Peuple Français (RPF) est ainsi créé le 14 avril 1947, et sa section finistérienne naît le 29 avril avec comme secrétaire départemental provisoire M. Joseph Halleguen116.

Les origines de l'attachement de Saint-Pol-de-Léon pour le centre démocrate-chrétien et la droite gaulliste ou plus conservatrice peuvent être politiques, sociales et culturelles. L'historien Jean-Jacques Monnier a démontré dans son ouvrage Le Comportement politique des Bretons117 que le vote politique peut être influencé par des facteurs économiques, sociaux et culturels tels que la présence de notables, l'influence de l’Église, la question scolaire, et les caractéristiques du monde agricole. Or la commune de Saint-Pol-de-Léon est très concernée par ces questions.

a) Des origines politico-sociales. Durant l'entre-deux-guerres la commune est administrée par une famille noble conservatrice, catholique et « paternaliste », les de Guébriant118. En 1932 Alain de Guébriant

114 Jean-Pierre RIOUX, La France de la Quatrième République, t.1, L'ardeur et la nécessité 1944-1952, op.cit. p.255. 115 Pierre Lévêque, Histoire des forces politiques en France, t;3 de 1940 à nos jours, Paris, A.Colin, 1997 p.249- 254. 116 Il était agent commercial à Quimper. 117 Rennes, Éditions PUR, 1994, p.294. 118 Yoann Goaoc, Une Histoire thématique de Saint-Pol-de-Léon (1935-47), op.cit. p.41. 41

(né en 1905) succède à son grand-père119 décédé en cours de mandat. Il est issu de l’Union Républicaine Démocratique (URD) et sa liste porte l'étiquette de « l’Union Nationale », ce qui le place très à droite, mais il reste favorable aux institutions républicaines. Conseiller général en 1934 et réélu maire en 1935, Alain de Guébriant est maintenu à la tête de la commune en 1941 au moment où le régime de Vichy procède à la nomination des conseils municipaux. Il y reste durant toute l’Occupation, jusqu'à son assassinat le 4 août 1944. Le conseil municipal qu'il préside est constitué en majeure partie de conservateurs (catholiques ou non) et de sympathisants URD. Alain de Guébriant est notamment le fils d’Hervé Budes de Guébriant (1880-1972), ingénieur agronome et président de l’Office Central de fondé en 1911 et dont le syndicat agricole de Saint-Pol-de-Léon dépend120. L’Office Central, qui est au départ une coopérative d'achat de matériel agricole, finit par devenir l'organe mutualiste de la révolution agricole en Bretagne, tout en restant très conservateur. L’Office Central est très proche du clergé, qui se charge notamment de l'éducation des paysans. Hervé de Guébriant, propriétaire d'environ 300 fermes dans la région de Saint-Pol-de-Léon, est lui-même pétainiste. Il est favorable à une révolution agricole, mais dans un esprit très « corporatiste », contrairement à Tanguy Prigent121 (1909-1970), paysan trégorrois et socialiste qui veut émanciper la paysannerie des grands propriétaires et du clergé. La famille de Guébriant fait partie des nombreuses familles aristocratiques présentes à Saint-Pol-de-Léon et qui possèdent de nombreuses terres sur la commune. Cela peut constituer un moyen de pression sur les paysans qui travaillent pour elles ou qui paient un loyer122. Par conséquent les paysans ont tendance à voter pour les mêmes idées que leurs propriétaires, et sont donc plutôt de droite.

Or, la présence d'agriculteurs est très forte à Saint-Pol-de-Léon, et leur vote doit donc peser lourd sur les résultats de chaque élection. Cependant, en Bretagne le monde agricole n'est pas tout à fait homogène. Il existe en effet des zones où l'on peut trouver des paysans « rouges » ou « roses », qui votent à gauche, et des paysans « blancs » qui votent au centre ou à droite123. Les zones de paysans rouges sont souvent des zones de faible intensification agricole, avec de petites ou moyennes exploitations, peu modernes, et dont l'économie est défavorable. En revanche les zones de paysannerie blanche sont plutôt des zones de forte intensification, comme la « ceinture dorée » léonarde. Jean-Jacques Monnier explique que plus la Jeunesse Agricole Chrétienne124 (JAC) est implantée à certains endroits et plus le recteur est influent,

119 Il s'appelait lui aussi Alain. 120 Yoann Goaoc, Une Histoire thématique de Saint-Pol-de-Léon (1935-47), op.cit., p.42. 121 Député du Front Populaire de 1936 à 1940, il entre dans la Résistance puis devient Ministre de l’Agriculture en 1944. 122 Yoann Goaoc Une Histoire thématique de Saint-Pol-de-Léon (1935-47), op.cit., p.41. 123 Jean-Jacques Monnier, Le Comportement politique des Bretons, Rennes, PUR, 1994, p.321-325. 124 C'est une organisation catholique de jeunes agriculteurs, créée dans les années 1930 et qui s'est largement 42 plus les jeunes agriculteurs viennent aux réunions, ce qui engendre plus de solidarité et de coopération entre agriculteurs125. La grande proportion d'agriculteurs dans la commune de Saint-Pol-de-Léon a donc certainement une grande responsabilité dans le vote pour le MRP ou la droite. Au sein même des municipalités qui se succèdent, cette profession est bien représentée, surtout lors des mandats d’Henri Le Sann qui portait l'étiquette MRP.

b) Des origines culturelles

La question religieuse a largement été responsable du clivage politique français entre la gauche et la droite, depuis la Révolution et notamment sous la IIIème République126. Sa pression exercée sur certaines questions politiques a été particulièrement forte en Bretagne où l’Église est très présente. Dans le Léon, « terre de prêtres », l'emprise de l’Église est toujours importante, même jusque dans les années 1960 où la déchristianisation de la France s'accélère. Dans un ancien évêché où le paysage est dominé par les clochers, et qui conserve encore de son histoire religieuse des institutions telles que l’Institution Notre-Dame-du- Kreisker, la communauté des Ursulines et son collège, ainsi que plusieurs écoles primaires privées, on peut aisément imaginer à quel point l’Église a pu être influente dans la vie quotidienne et politique des Saint-Politains. Au XXème siècle le clergé joue le rôle d' « agent de mobilisation et de modernisation du monde catholique »127, surtout auprès des femmes et des personnes âgées : il tente le plus possible de détourner les électeurs du communisme et les encourage à voter pour les partis démocrates-chrétiens, notamment par le biais d'associations de l’Action catholique telles que la JAC. Le retrait politique du clergé ne s'effectue qu'à partir du moment où le Concile Vatican II (1962-1965) prône l'autonomie du politique par rapport au religieux. L’Église a bien sûr une part importante de responsabilité dans la question scolaire. Ce problème ressurgit dès la Libération: en 1946, les avantages perçus par les écoles catholiques sous Vichy sont remis en cause. Les partisans de l'enseignement libre souhaitent que les écoles privées reçoivent des subventions de la part de l’État, ce que refuse la gauche laïque. On a constaté ainsi que, sur une carte de la Bretagne, la corrélation était forte entre la présence du clergé et le soutien à l'enseignement libre. Ces facteurs politiques et religieux expliquent la forte prédominance, pendant au moins deux décennies, du MRP dans le vote des Saint- Politains. implantée en Bretagne. 125 On verra ce phénomène se concrétiser avec la mise en place de la Société d’Intérêts Collectifs Agricoles (SICA) par de jeunes jacistes. 126 Jean-Jacques Monnier, Le Comportement politique des Bretons, op.cit. p.294. 127 Ibidem p.301. 43

2) Les élections municipales de 1947

Au moment des élections municipales des 19 et 26 octobre 1947, la France connaît une atmosphère agitée par de nombreuses grèves et manifestations128. Ces élections sont perçues comme un test sur la confiance de la population envers les partis de la Résistance, et aussi pour le RPF né quelques mois auparavant. A la veille des élections, le MRP se retrouve en effet divisé et affaibli par le succès croissant du parti gaulliste: une partie de ses membres est tentée par le ralliement avec le RPF, y compris dans le Finistère129. Cette année-là comme en 1945, une seule liste se présente à Saint-Pol-de-Léon. Henri Le Sann se représente sur une liste portant le même nom qu'en 1945, la « Liste d' Entente Républicaine et d’Intérêt Communal ». Sa profession de foi est placée sous le signe de « l’Union Nationale » et de « la défense de nos intérêts communaux »130. Il fait état des réalisations effectuées depuis 1945 dans la commune, et évoque les difficultés de l'après- guerre. La population saint-politaine doit en effet faire face comme dans l'ensemble de la France, à des problèmes de pénurie, de ravitaillement et de baisse du pouvoir d'achat. L'inflation freine le programme de travaux de la commune et le budget est désorganisé. Parmi les réalisations de la municipalité sortante évoquées dans la profession de foi, on compte la réparation des immeubles communaux détruits pendant l’Occupation, notamment les écoles ; l'extension du réseau d'eau potable ; l'aide apportée à la cantine scolaire municipale ; ainsi que l'électrification totale de la campagne. Parmi les projets des candidats figure le souhait de développer « les œuvres sociales », notamment par la création d'un centre médico-scolaire au manoir de Kéroulas. La municipalité sortante envisage aussi la remise en état de la Place du Kreisker, l'amélioration du Service d' Incendie, de certaines voies urbaines et de chemins ruraux. La fin de la profession de foi insiste une nouvelle fois sur cette volonté d'union : les conseillers se sont « rassemblés dans cet esprit d’Union Communale et Nationale que la voix très respectée du Général de Gaulle a si souvent recommandée à tous les Français et qui est la condition indispensable de notre relèvement ». Cette allusion à Charles de Gaulle montre bien l'attachement de la commune au Général. Parmi les candidats de la liste, treize sont des conseillers ou adjoints sortants. Trois d'entre- eux ont la Croix de Guerre : Louis Le Rest, Jean Le Roux et Henri Le Sann. Paul Creff,

128 ADF Quimper, 72W4, RG du Finistère, La Vie politique dans le Finistère. 129 Franck HOSTIOU, Le RPF dans le Finistère, mémoire de master dir. par Christian Bougeard, 1997, UBO, Brest, p.30. 130 Yoann Goaoc, Une Histoire thématique de Saint-Pol-de-Léon (1935-1947), op.cit. p.184. 44 employé des PTT, est un ancien membre du réseau OCM, et le vicomte Etienne de Kermoysan, capitaine de frégate à la retraite, est Officier de la Légion d' Honneur. Ces personnes apportent donc un certain prestige à la liste, d'autant plus qu'elles étaient déjà élues en 1945. Les cultivateurs sont au nombre de onze comme en 1945. On compte toujours deux expéditeurs de légumes (Jean L' Hourre et Henri Le Sann) et un ouvrier-emballeur. Le monde agricole est donc bien représenté sur cette liste. Celle-ci se compose notamment de deux employés (dont un des PTT), d'un chauffeur, d'un ébéniste, d'un mécanicien, d'un docteur en médecine, d'un notaire et d'un retraité d'origine noble.

Tous les candidats de la liste sont élus au premier tour et les suffrages exprimés lors de ces élections révèlent une confiance relativement conservée. En effet treize des conseillers élus sur vingt-trois l'étaient déjà en 1945, mais dix d'entre eux se retrouvent dans la seconde partie du tableau, ce qui traduit peut-être une déception de la part de la population. Olivier Séité et Paul Creff, conseillers sortants, arrivent toutefois en tête. Quant au maire sortant, il n'est que vingt-deuxième dans la liste. Mis à part l'absence de commerçant, la composition socioprofessionnelle de ce nouveau conseil municipal ne varie que très peu par rapport à celui élu en 1945 : le nombre de cultivateurs est toujours aussi élevé et chacune des autres catégories est représentée par une ou deux personnes. À Saint-Pol-de-Léon le MRP semble donc se consolider, tout comme dans les autres communes où la concurrence avec le RPF est absente131. Au niveau départemental, ces élections sont tout de même un succès pour le RPF qui gagne soixante municipalités, dont trente-six qui appartenaient au MRP132.

131 Franck Hostiou, Le RPF dans le Finistère, op.cit. p.50. 132 ADF Quimper, 72W4 La Vie Politique du Finistère, p.29. 45

Candidat élu133 Profession /Décoration/ CS-AS134 Suffrages Olivier Séité Cultivateur CS 3 155 Paul Creff Employé PTT, ancien OCM, CS 3 114 Jean L'Hourre Expéditeur 3 084 Hervé Olier Cultivateur 3 061 Jean Madec Cultivateur 3 045 Louis Le Rest Cultivateur, Croix de guerre 3 025 Louis Cueff Cultivateur 3 009 Yves Goulard Ébéniste 3 004 René Bagot Docteur 2 977 Paul Moal Cultivateur 2 975 Fernand Guillou Entrepreneur 2 958 Eugène Simon Cultivateur 2 949 Jean-François Moal Cultivateur CS 2 948 Jean Le Roux Cultivateur, Croix de Guerre, CS 2 941 Jean Le Duff Cultivateur CS 2 937 Jean Jézéquel Mécanicien CS 2 895 Corentin Lemoine Notaire CS 2 893 Paul Kerbrat Employé CS 2 889 Auguste Fichot Cultivateur CS 2 866 Jean Mear Emballeur 2 864 Jean Maurice Chauffeur CS 2 861 Henri Le Sann Maire sortant, Croix de Guerre 2 814 Etienne de Kermoysan Capitaine de frégate à la retraite, 2 778 Officier de la Légion d' Honneur AS Tableau 2: Résultats des élections municipales de 1947135

L'installation du conseil se déroule le 26 octobre 1947136, en présence des vingt-trois conseillers nouvellement élus. Lors de l'élection du maire, Henri Le Sann se représente et obtient vingt voix contre le médecin René Bagot (deux voix), et contre Etienne de Kermoysan. On voit donc ici un certain décalage entre le vote des conseillers et celui des électeurs, qui plaçaient Henri Le Sann parmi les derniers candidats. Ensuite, quatre candidats se présentent pour le poste de premier adjoint: Paul Creff l'emporte avec dix-sept voix, contre

133 Yoann Goaoc, Une Histoire thématique de Saint-Pol-de-Léon, op.cit. p.186. 134 CS: Conseiller Sortant; AS: Adjoint Sortant. 135 Archives municipales de Saint-Pol-de-Léon, 1K12 boîte 359. 136 Yoann Goaoc, Une Histoire thématique de Saint-Pol-de-Léon, op.cit. p.187. 46 trois pour Jean L' Hourre, deux pour Etienne de Kermoysan et une pour Olivier Séité. Etienne de Kermoysan obtient la fonction de deuxième adjoint (18 voix) contre Jean L'Hourre (3) et René Bagot (2). Le Conseil décide de maintenir le poste de troisième adjoint créé en 1945. Il est obtenu par Olivier Séité (19 voix) contre Jean Le Roux (2), Louis Le Rest et Hervé Olier (une voix chacun). Puis le Conseil annonce sa décision de créer un quatrième poste d'adjoint, encore une fois en raison de l'accroissement des services municipaux. Ce poste revient alors à Louis Le Rest (17 voix) contre Hervé Olier (2), Jean Madec (2), Jean Le Duff (2) et Jean Le Roux (1). On comptait donc parmi ces adjoints, qui étaient tous d'anciens conseillers élus en 1945, un employé PTT, un militaire noble à la retraite et deux cultivateurs. Plusieurs raisons peuvent justifier le succès d'Henri Le Sann aux élections de 1945 et de 1947137 : ses listes comportent autant de ruraux que de citadins, et reflètent ainsi la répartition de la population de la commune. Henri Le Sann dispose de plusieurs atouts: il est fils de paysans, expéditeur de légumes, et habite en ville, et a donc une « double-casquette » qui doit faciliter ses rapports avec la population. De plus, il est « membre d'une des familles les plus grandes de Saint-Pol », ce qui lui permet d'avoir « des ramifications avec des centaines de personnes dans la commune ». Il est donc bien connu de la population, même avant d'être maire.

B) La vie politique locale de la fin des années 1940 au début des années 1950

Certaines archives départementales offrent un aperçu de la vie politique de Saint-Pol- de-Léon au tournant des années 1949-1950. Les élections cantonales et les réunions politiques permettent de rendre compte de la concurrence existant entre le MRP et le RPF, ainsi que de l'activité de ces deux partis dans la commune et plus largement dans le canton. D'autres archives mettent en évidence les opinions des Saint-Politains sur les divers enjeux nationaux et internationaux de l'époque.

1) Les élections cantonales des 20 et 27 mars 1949: rivalité entre le MRP et le RPF

a) Le MRP concurrencé par le RPF

À Saint-Pol-de-Léon, malgré le vote important en faveur du MRP, il semble que le nombre d'adhérents véritables au parti ne soit pas très élevé. Lors d'une réunion publique en

137 Ces raisons m'ont été données par Monsieur Jacques Chapalain lors de l'entretien du 27 janvier 2013. 47 février 1949138, on rapporte la présence d'une quarantaine de personnes seulement. De plus, ces personnes ne sont probablement pas toutes originaires de Saint-Pol-de-Léon et doivent provenir de tout le canton. Et pourtant durant cette réunion, Louis Guillou, député, devait exposer l'action du MRP au sujet de l'agriculture, sujet qui aurait dû intéresser une grande partie des Saint-Politains. Il est alors possible que la population locale se soit désintéressée du MRP, ou peut-être de la politique en général. Il est aussi probable que la section locale du parti soit concurrencée par celle du RPF139. En effet le RPF connaît en France une première vague d'adhésion entre 1947 et 1950. A la fin de 1947 on compte entre 15 000 et 18 000 adhérents au RPF dans le Finistère140. Il dépasse donc en effectifs le MRP, qui ne compte que 6 000 Finistériens. Ces adhérents sont pour la plupart des anciens membres du MRP, qui ont démissionné de leur ancien parti ou qui en ont été virés parce qu'ils avaient joué la carte de la double-appartenance (ce que les dirigeants du MRP condamnaient). C'est le cas par exemple du maire de Morlaix et ancien député le docteur Le Duc, exclu du MRP en juin 1948 pour avoir donné son adhésion officielle au RPF141. Cependant le RPF connaît un recul en 1949, avec une perte d'environ 35% d'adhérents dans le département qui serait due à la diminution de la peur envers le communisme142et aux conflits internes du parti gaulliste143.

b) La campagne électorale et les résultats du premier tour.

Les élections cantonales de 1949 sont très politisées et tendues. La question scolaire est au cœur des débats et on affiche un certain mécontentement face au gouvernement incapable de mettre un terme à l'inflation ou d'accélérer la reconstruction du pays. Cette déception de la part des Français est alors profitable aux partis les plus conservateurs. Quatre candidats se présentent dans le canton de Saint-Pol-de-Léon : Henri Le Sann, conseiller sortant (MRP), Jean Kerné, le maire SFIO de Santec ; Yves Le Déroff, cultivateur et ex-adjoint au maire de Roscoff (RPF) et Hervé Autret, cultivateur à Saint-Pol-de-Léon (PCF). La campagne s'annonce difficile pour le conseiller sortant. D'après ce qu'on peut lire

138 ADF Quimper, 31W 411- 417, rapport du commissaire de police de Saint-Pol-de-Léon au sous-préfet de Morlaix, 13 février 1949. 139 Toutefois je ne dispose d'aucun rapport de réunion du RPF local pour l'année 1949 qui pourrait confirmer cela. 140 Franck HOSTIOU, Le RPF dans le Finistère, op.cit, p.103. Ces chiffres ont été rapportés par la préfecture. Franck Hostiou estime quant à lui que ces effectifs peuvent être ramenés à 11 000, selon le nombre de cartes délivrées. 141 ADF Quimper 31W 411-417, RG Brest 7 juin 1948. 142 Franck Hostiou, Le RPF dans le Finistère, op.cit. p.106. 143 Ces conflits sont causés par la refonte de l'organisation départementale du parti en 1948. Joseph Halleguen, qui décide de dissoudre le comité directeur, est alors critiqué pour son autoritarisme. Certains dirigeants décident alors de quitter la direction du RPF. 48 dans la presse de l'époque, ses chances d'être réélu sont minces face au candidat RPF. Dans un article de journal on peut lire que « la lutte sera [...] sans doute serrée dans le Léon, où le MRP a vu une grosse fraction de ses troupes [...] passer dans le camp RPF [...]. De même à St-Pol-de-Léon, où M. Le Déroff (RPF) de Roscoff est le concurrent dangereux du MRP M. Le Sann ». Les pronostics des autorités publiques vont également dans ce sens, et ce dès les annonces de candidatures. Le sous-préfet de Morlaix affirme que « les chances de M. Le Sann, seraient fortes réduites »144. La probabilité que Le Déroff soit élu est peut-être due à l'une des raisons évoquées précédemment, c'est-à-dire la montée de la droite au détriment du MRP. Toutefois Yves Le Déroff n'était pas le premier pressenti pour la candidature au RPF. Au moment où l'ébauche de la liste de candidats de l'arrondissement de Morlaix est annoncée145, un rapport affirme que du côté du canton de Saint-Pol-de-Léon « la situation politique [...] est toujours confuse [...]. Le candidat du RPF n'est pas encore officiel ; toutefois, M. Prigent, maire de Plouénan146, s'étant récusé, c'est le nom de M. L' Hour[re]147, expéditeur de légumes, conseiller municipal de St-Pol, qu'on met actuellement en avant ». La candidature de François Prigent avait en effet été annoncée dans une note d'information de la Direction Générale de la Sûreté nationale datant du 21 février. Les chances de Jean L'Hour[re] étaient élevées car « selon les récents sondages, la popularité de M. Le Sann aurait diminué »148. D'après le bilan des RG sur la situation dans l'arrondissement « le RPF mènerait une campagne active dans ce canton, où il ne désespère pas de l'emporter sur le MRP. Il se servirait notamment de la baisse de la mévente actuelle des produits agricoles pour exciter les paysans contre le MRP, qu'il rendrait en partie responsable de cette politique [...] ».

Le 5 mars le commissaire de Police de St-Pol-de-Léon rapporte au sous-préfet que le jour- même, le candidat du RPF avait été désigné et que, « contrairement à ce que l'on croyait », ce n'était pas M. Jean L' Hourre, mais Yves Le Déroff. L'ex-adjoint au maire de Roscoff, ancien combattant, « jouit de l'estime de ses concitoyens » mais ne paraît pas toutefois « avoir la même notoriété que Jean L' Hourre ». Il ajoute que ce nouveau candidat a tout de même de fortes chances d'être élu, et que « la lutte entre le MRP [...] et le RPF sera particulièrement sévère dans le canton de Saint-Pol-de-Léon ». Plusieurs documents font état des pronostics du Préfet pour le premier tour des élections. Au moment où Jean L' Hourre était encore considéré

144 ADF Quimper, 145 W 118, Informations sur les cantonales de 1949, rapport du 8 mars 1949 du sous-préfet de Morlaix. 145 ADF Quimper 145 W 118, rapport des RG de Brest du 23 février 1949. 146 François Prigent, minotier-boulanger, est maire de Plouénan depuis 1945 sous l'étiquette MRP. 147 Il s'agit de Jean L'Hourre. L'orthographe de son nom de famille varie selon les documents. 148 Rapport des RG de Brest du 23 février 1949. 49 comme le candidat potentiel du RPF, la préfecture prévoyait un ballotage entre Le Sann, Autret et L'Hourre. Le 10 mars, au moment où les candidatures de Le Déroff et de Kerné sont connues, le journal Le Télégramme donne une idée de l'importance de cette campagne, et de son caractère inédit : « Le canton de St-Pol verra le 20 mars ce qu'il n'a jamais vu : quatre candidats en présence, et sans doute quelque chose qu'il n'a jamais vu davantage : probablement un ballotage ». Il explique la probabilité de ce ballotage par le fait que tous les partis candidats dans ce canton ont un nombre d'adhérents ou de sympathisants à peu près égal. Autre explication : selon le journaliste les candidats proviennent de communes plutôt importantes, ce qui pourrait jouer dans la répartition des voix et donc provoquer ce ballottage.

Le Préfet avait vu juste. Au premier tour de ces cantonales, le candidat RPF est en tête avec 38,5% des suffrages exprimés149, suivi d'assez près par Henri Le Sann qui en obtient 32,9%. Louis Kerné ne reçoit que 19% des voix, et Hervé Autret 9,2%. À Saint-Pol-de-Léon, avec 5559 inscrits, 4168 votants et 4060 suffrages exprimés, Henri Le Sann arrive en tête avec 42,6% des voix, suivi d’Yves Le Déroff (36,37%), de Louis Kerné (10,5%) et d'Hervé Autret (9,4%). Si on compare ces résultats avec les communes voisines, on note qu’Yves Le Déroff et Louis Kerné arrivent en tête de leur commune respective, Roscoff et Santec. Le Télégramme150 commente ce premier tour en disant que les résultats du département ne sont pas surprenants, car « le nombre de candidats laissait prévoir une telle dispersion des voix et d'aussi nombreux ballotages ». Le canton de St-Pol-de-Léon fait partie de ceux qui « seront cette semaine encore le théâtre d'une campagne électorale qui dans certains chefs- lieux [...] sera l'objet des attentions toutes particulières des leaders politiques opposés ». Dès lors, ces résultats donneront lieu à des modifications de candidature. Au niveau national, on ne constate pas de « changement profond dans le rapport des forces politiques »151 Au sein de la coalition gouvernementale, on observe un glissement vers le centre. Cependant le MRP a beaucoup reculé par rapport aux dernières élections générales. Il se maintient toutefois dans ses bastions traditionnels. Le RPF gagne moins de voix et de sièges que l'ensemble des partis gouvernementaux, mais continue de progresser dans certaines régions, notamment en Bretagne.

149 On compte dans le canton 11 446 suffrages exprimés. 150 Le Télégramme du 22 mars 1949. 151 Le Télégramme du 22 mars 1949. 50

c) L’entre-deux-tours : le retrait d'Henri Le Sann

La candidature de Le Déroff aura eu raison de Le Sann. Celui-ci se désiste et se fait alors remplacer par François Prigent. Le même qui, quelques jours plus tôt avait été pressenti pour représenter le RPF... Ainsi le 22 mars, le commissaire de Police rapporte au sous-préfet de Morlaix que « la candidature de M. Le Sann ne sera vraisemblablement pas maintenue au second tour. M. Prigent François [...] serait de nouveau candidat avec l'étiquette : Indépendant152 ». Là encore, le commissaire estime que Le Déroff a toutes ses chances de l'emporter « si les candidats socialistes ne se désistent pas ». Au vu des résultats de Le Sann, la raison de son retrait semble évidente. Elle est évoquée dans le rapport du commissaire datant du 23 mars, au moment où le désistement est confirmé: « M. Le Sann s'est désisté en faveur de M. Prigent [...] Cette manœuvre a pour but de faire échec à la candidature de M. Le Déroff, RPF ». Par ailleurs, il semble que l'éventuel succès d'Yves Le Déroff pourrait avoir des conséquences importantes dans le canton, puisque selon le même rapport, « si celui-ci est élu, comme il est probable, il faut s'attendre à la démission de M. Célestin Séité, maire de Roscoff, qui a dit que si M. Le Déroff devenait conseiller général, « il pourrait aussi prendre la mairie ». Par voie de conséquence, le bruit court que M. Le Sann [...] démissionnerait ensuite ». Il semble effectivement que des proches d'Henri Le Sann lui avaient conseillé de renoncer à sa candidature pour le conseil général s'il voulait « garder la mairie et survivre »153.

La nouvelle candidature de François Prigent suscite bien sûr des critiques au sein des opposants. Lors de la réunion publique et contradictoire du RPF154 qui s'est déroulée le 26 mars dans les Halles de Saint-Pol-de-Léon, l'un des orateurs, M. Le Gac de Morlaix, « après avoir manifesté sa sympathie personnelle pour le candidat François Prigent, démontra qu'il ne pouvait être indépendant mais qu'il était un MRP camouflé « Pourquoi ? Conclut-il, parce que le MRP porte la poisse » », faisant sans doute référence aux difficultés que connaissait récemment ce parti. Lors de cette réunion, MM Quéré (communiste) et Hervé Autret tentèrent avec difficulté d'apporter leur contradiction, car ils furent « chahutés par l'assistance ». Une assistance qui compte alors, selon le commissaire, « environ mille personnes, dont de nombreuses femmes ». Ce qui montre que cette campagne était suivie avec beaucoup

152 Le Centre National des Indépendants est créé le 6 janvier 1949, dans le but de rassembler toute la droite non gaulliste (Pierre Lévêque, p.318). 153 D'après le témoignage de Jacques Chapalain (27 janvier 2013), qui aurait assisté très jeune à une réunion de Le Sann avec ses conseillers. 154 ADF Quimper, 145 W 118, Rapport du commissaire de police au sous-préfet, le 27 mars. 51 d'intérêt, par rapport à ce qu'on pouvait remarquer le restant de l'année.

d) Les résultats du second tour : une victoire pour le MRP dans le canton.

Henri le Sann et ses proches avaient vu juste dans leur manœuvre155 : le candidat indépendant François Prigent est élu conseiller avec 40,5% des voix exprimées, alors que Yves Le Déroff en obtient 37,4%, Jean Kerné 15,07% et Hervé Autret 6,9%. À Saint-Pol-de- Léon156, pour 4101 suffrages exprimés, François Prigent est aussi en tête avec 46,15% des voix. Le Déroff est assez bien placé (39,6%), tandis qu’Autret et Kerné reçoivent respectivement 7,9% et 6,2% des voix. Les Saint-politains votent donc cette année-là en suivant la tendance du canton : pour le MRP au premier tour, puis pour le candidat républicain indépendant (sympathisant MRP) au second tour. La commune se situe plutôt au centre de l'échiquier politique, entre Roscoff qui est marquée par le gaullisme, et Santec qui vote à gauche. Au niveau départemental, le RPF est au sommet de son succès, avec quatorze élus sur vingt- et-un. En France, il totalise 31,3% des suffrages (25,4% pour les candidats sans double- appartenance)157. Au niveau national, la troisième force perd vingt-cinq sièges et la droite en gagne quarante. Les raisons de cette évolution sont nombreuses : l'élan révolutionnaire issu de la Résistance s'atténue tandis que la fidélité au Général de Gaulle, qui s'oppose au régime des partis, s'accentue.

2) Les réunions politiques à Saint-Pol-de-Léon: le « combat des aigles ».

Durant les années qui suivent ces élections cantonales, Saint-Pol-de-Léon accueille régulièrement des réunions politiques du MRP et du RPF. L'animosité entre les deux partis existait dans la commune. « Les réunions [politiques] à Saint-Pol faisaient partie des grands moments de vie politique. Venir à une réunion publique sous les Halles de Saint-Pol, c'était assister au combat des aigles »158. À certains moments, cela relevait même du folklore. Les différents rapports de ces réunions permettent d'avoir une idée de cette animosité, mais aussi de connaître les réactions des Saint-Politains à certains sujets abordés, ainsi que l'évolution du nombre de personnes assistant à ces réunions (et donc l'intérêt des Saint-Politains pour ce genre de rassemblement). Les réunions qui ont eu lieu en 1951 sont particulièrement

155 Pour 11 815 suffrages exprimés. 156 Avec 4145 votants sur 5557 inscrits. 157 Pierre Lévêque, Histoire des forces politiques en France, t.3 de 1940 à nos jours, Paris, A. Colin, 1997 p.364. 158 Jacques Chapalain. 52 intéressantes car elles préfigurent les élections législatives de juin 1951.

Un rapport des RG de Quimper datant du 3 janvier 1951159 annonce la tenue d'une réunion du Conseil Départemental du RPF pour le 14 janvier, à Saint-Pol-de-Léon. « C'est, depuis sa création, la première fois que cette assemblée se réunit dans le nord-Finistère, le lieu habituel choisi pour ses réunions étant la ville de Châteaulin. Cette décision a été prise à la suite d'un vœu émis par plusieurs personnalités du RPF, dont M. Pinvidic [...] le 2 décembre dernier à Châteaulin. L'ambiance de cette réunion et l'optimisme qui l'avait suivie ont donné à penser aux dirigeants du RPF que la tenue de cette réunion à Saint-Pol-de-Léon, foyer de la dissidence, ne provoquerait aucun incident. Le RPF tient à ramener à lui les militants qui l'ont quitté durant les deux dernières années, et il estime que la réunion de Saint-Pol-de-Léon constituera un moyen de propagande par le fait même qu'elle doit montrer aux adhérents du Nord-Finistère qu'il est toujours actif et qu'il a réussi à rétablir l'union entre ses membres [...] ». En effet, entre 1948 et1950 le RPF connaît une chute de ses effectifs: en 1949, le parti a perdu 35% de ses effectifs dans le département160. Le RPF éprouve quelques difficultés à vendre ou renouveler ses cartes d'adhérents. Cette perte serait en partie due à la diminution de la peur du communisme (puisque les communistes ont quitté le gouvernement en 1947) et aux discordances entre les membres du parti.

Les RG de Brest161 informent à leur tour que « le 14 ou 21 janvier prochain, M. L' Hour, expéditeur de légumes à St-Pol-de-Léon, responsable cantonal, est chargé de l'organisation d'une réunion inter-cantonale qui doit grouper les militants de la région nord de l'arrondissement de Morlaix. Une réunion publique clôturera peut-être cette manifestation. La région de Saint-Pol-de-Léon a été choisie en raison de sa proximité des cantons dissidents de et Plouzévédé et aussi pour tenter de rallier les mécontents de Roscoff ». La commune de Saint-Pol-de-Léon est donc vue comme un « foyer de dissidence » par le RPF, et le parti souhaite récupérer ses adhérents qui avaient dû « s'égarer » durant les deux années précédentes. Si le RPF souhaite « montrer aux adhérents du Nord-Finistère qu'il est toujours actif et qu'il a réussi à rétablir l'union entre ses membres », c'est parce qu'à cette époque-là le RPF connaît une chute dans ses effectifs et des conflits internes. En effet, le 26 novembre 1948 la direction nationale du parti demande un renforcement du pouvoir exécutif dans chaque organisation départementale, ainsi qu'un « élargissement de la représentation départementale ». Le Conseil départemental du RPF passe donc de 25 à 52 membres, dont 43

159 ADF Quimper, 31W 411- 417, Partis politiques, rapport des RG de Brest du 30 janvier 1951. 160 Franck Hostiou, Le RPF dans le Finistère, op.cit. p.106. 161 ADF Quimper, 31W 411-417, rapport des RG de Brest du 6 janvier 1951. 53 sont représentants des cantons. Cela est fait dans l'objectif de pouvoir « remplacer les Conseillers Généraux et l’Administration préfectorale par des militants sûrs »162 On reproche alors à M. Halleguen son autoritarisme, après qu'il ait décidé de dissoudre le Comité directeur. Certains dirigeants décident de quitter la direction du RPF, d'autres sont suspendus par le délégué régional puis exclus par le Comité exécutif du RPF163. En 1951, le RPF est donc très affaibli. Les RG164 rapportent également que « les RPF dissidents de l'arrondissement s'inquiéteraient de connaître dans quelle mesure la journée RPF [...] serait publique afin d'y porter la contradiction qui, si elle venait à se réaliser, ne manquerait pas de provoquer une atmosphère houleuse ». Les autorités craignent donc que cette réunion opposant le RPF et ses dissidents soit tendue. Cette réunion est d'abord fixée au 14 janvier165. On prévoit que la matinée soit réservée à « une causerie sur la politique générale et l'action du Rassemblement », l'après- midi à la réunion du comité départemental et à une « discussion sur la création d'un journal départemental ». Puis on annonce que la réunion est finalement reportée au 21 janvier, à cause de la fête annuelle du Collège du Kreisker qui a lieu le 14 et qui risquerait d'amoindrir l'auditoire du RPF166 . Le parti fait donc tout son possible pour attirer le plus grand nombre de personnes à cette réunion.

Ce 21 janvier, lors de la réunion qui a lieu à la salle « Sévère », on compte entre quatre-vingt- cinq167 et « une centaine »168 de personnes présentes. Les RG de Brest rajoutent même que « sur ce nombre d'ailleurs, il y aurait à peine une quarantaine de Saint-Politains »169. La réunion n'a donc « pas attiré l'auditoire escompté par les organisateurs ». Elle s'est faite en ouverture de la campagne électorale 170 et était donc annoncée « par voie d'affiches sous le libellé « Informations sur les questions agricoles » ». Malgré cela elle n'aura été qu'une « remise en confiance » des électeurs avant les élections législatives. Étaient présents, entre autres, M. Jean L'Hourre « président de la section Saint-Politaine », Fernand Guillou et Jean Madec du Conseil Municipal, ainsi que les dirigeants du parti M. Joseph Pinvidic (maire de Landivisiau et conseiller général du canton de Landivisiau), M. Fauchon (conseiller municipal de Brest délégué à la propagande), et M. Joseph Halleguen (maire de Quimper, délégué

162 ADF Quimper 72W4 La vie politique dans le Finistère, p.33-34. 163 C'est le cas de MM. Coquelin et Lombard, exclus le 2 juin 1949 par le Comité exécutif du RPF parce qu'ils avaient révélés les querelles du parti. 164 ADF Quimper, 31W 411- 417, Partis politiques, rapport des RG de Brest du 6 janvier 1951. 165 Rapport RG Brest du 10 janvier 1951. 166 Rapport RG Brest du 11 janvier 1951. 167 Rapport RG Brest, 22 janvier 1951. 168 Rapport du Préfet du 24 janvier 1951. 169 Rapport du 25 janvier 1951 170 Rapport des RG de Brest du 22 janvier 1951. 54 départemental RPF). En guise de commentaires, les RG racontent que M. Fauchon s'est lancé « sans préambule dans de vives attaques contre le MRP et les personnalités de ce parti ». Selon le préfet171, une rétrospective a été faite sur l'activité des gouvernements depuis le départ de Charles de Gaulle : le réarmement, la réforme électorale, la lutte contre le système des apparentements. L'atmosphère était peut-être tendue, mais aucun incident n'a été noté.

Le 28 janvier 1951, c'est au tour du MRP de se réunir à l’Hôtel de l’Évêché, dans le cadre d'une journée cantonale réservée aux militants et sympathisants172. Une soixantaine de personnes seulement y assistent, malgré la présence du député Louis Guillou et de l'ancien ministre André Colin. L'effectif est faible, d'autant plus que ces personnes venaient probablement de tout le canton. Il est toutefois plus élevé que lors de la réunion MRP de 1949 citée précédemment. Mais si on ne retient que le nombre de Saint-Politains, les effectifs doivent se rapprocher de ceux de la réunion RPF du 21 janvier. Il est surtout question de politique agricole et générale, ainsi que de la liberté d'enseignement, objet d'un certain clivage entre la droite et la gauche. En effet la droite souhaite que la liberté de l'enseignement soit reconnue dans la Constitution, et que les collectivités locales subventionnent les écoles privées, ce que refuse la gauche laïque. Le sous-préfet mentionne dans son rapport qu' « au cours de son discours, M. Colin fut applaudi, particulièrement lorsqu'il a parlé de la liberté de l'enseignement ». Bien sûr, ayant une majorité d’établissements privés catholiques, Saint-Pol- de-Léon ne pouvait qu'être préoccupée par ce genre de questions. Et la liberté d'enseignement était dans la ligne du parti MRP, donc celle du maire. Sur ce point, André Colin avait déclaré « que le père de famille avait autant de droit de choisir son école que de défendre son salaire. Il critique à ce sujet l'attitude des socialistes en raison de leur anticléricalisme, et celle du RPF qui, à tort, se proclame champion de la liberté de l'enseignement ». En effet le RPF se montre lui aussi favorable à l'enseignement libre « pour mieux attirer à lui l'électorat catholique »173, ce qui constitue une rivalité entre ces deux partis sur cette question.

Le 8 juin 1951 Jean L' Hourre préside une réunion contradictoire du RPF dans les Halles de Saint-Pol-de-Léon en présence de M. Alfred Chupin, maire de Brest et de M. Pinvidic174. Cette fois 500 (ou 900 ?)175 personnes environ y assistent. L'effectif est donc bien plus élevé que lors des réunions précédentes, mais les raisons sont assez simples : premièrement, c'est une réunion publique qui a lieu dans une grande salle ; deuxièmement, elle a lieu quelques

171 Rapport du préfet du 24 janvier 1951. 172 ADF Quimper, 31W 411- 417, Partis politiques, rapport des RG de Brest du 30 janvier 1951. 173 Pierre Lévêque, Les Forces politiques en France, op.cit. p.262. 174 Rapport du commissaire de police de Saint-Pol-de-Léon, le 9 juin 1951. 175 Les chiffres ne sont pas bien lisibles sur le document. 55 jours avant les élections législatives. Cette réunion est assez agitée, les personnalités de chaque parti recevant de nombreux applaudissements ou sifflements de part et d'autre de la salle. Il est souvent question des apparentements : en effet la « troisième force », craignant que la IVème République ne soit menacée par le RPF et le PCF, décide en avril-mai 1951 d'adopter une loi sur l'apparentement des listes. Ainsi, si les listes apparentées sont majoritaires lors des élections, cela leur permet d'enlever tous les sièges d'un département176. Lors de la contradiction on note la présence d'un socialiste, le docteur Ary Fichez177 qui défend l'œuvre de la IVème République sur le plan social, et qui « se montre hostile à un parti comptant à son avis trop de généraux et insiste sur le danger que cela peut représenter quand on examine la situation en Espagne avec Franco, en Argentine avec Péron, en Bolivie, en Syrie [....] où s'agitent des généraux ». Cette objection provoque « un remous » dans la salle. Ary Fichez s'appuie alors sur un article publié par l'organe du Vatican qui considère le RPF « comme une dictature voilée ». À ce moment, de nombreux sifflements surgissent de la salle avant que M. Pinvidic ne lui réponde. Ensuite M. Roué, ancien maire de et MRP « monte à la tribune et fait l'objet de nombreux applaudissements ». Il reproche au RPF de diviser les Français au lieu de les rassembler, et d'insulter tout le monde. Il regrette aussi que l'apparentement MRP-RPF ne se soit pas fait alors que cela aurait évincé quelques députés communistes ou socialistes, ce qui déclenche dans la salle de très nombreux applaudissements. Lorsqu'il évoque la question de l'enseignement, « il s'étonne que M. Capitant178, RPF, ne semble nullement favoriser cette liberté [...], ce qui provoque encore des applaudissements. M. Chupin fait quant à lui « l'objet de nombreux sifflements » lorsqu'il s'explique après cette interpellation. À la fin de la réunion, M. Pinvidic exprime sa confiance dans la victoire du RPF, « parti du Général de Gaulle, et non parti de la calomnie ou des apparentements boiteux », ce qui entraîne de nombreux applaudissements dans les premiers rangs (sans doute de la part des RPF) et de sifflements au fond de la salle (car les sympathisants MRP se sentent visés). Toutefois, cette réunion se termine sans incident à 23h45. Cette réunion est donc un bel exemple de ce que certains appellent un « combat des aigles », un véritable « match » entre ces deux partis qui sont régulièrement en tête des scrutins saint- politains. On observe aussi l'intérêt que portent les Saint-Politains pour les questions d'actualité, notamment celle de la liberté de l'enseignement, ainsi que la question des apparentements.

176 Christian Bougeard, Tanguy-Prigent, paysan ministre, PUR, coll. Histoire, 2002, p.235. 177 Ancien résistant, docteur à Plougoulm. 178 Il s'agit de René Capitant, député de Seine depuis 1946, qui se présente aux législatives en Isère. 56

3) L'opinion saint-politaine à propos du contexte national et international (1950-1951)

a) Le regard des Saint-Politains sur la politique nationale et internationale

Certains rapports de préfecture offrent des informations sur les opinions et les comportements de la population de Saint-Pol-de-Léon (ainsi que du canton et de l'arrondissement) vis-à-vis des événements politiques et internationaux de l'époque. Dans les années 1950-1951, ce sont les questions coloniales (guerre d'Indochine179), les interventions américaines en Corée et le réarmement de l'Allemagne qui font l'objet des plus vives attentions. Ainsi, le 25 octobre 1950, le commissaire de police180 rapporte que « Parmi les événements extérieurs, c'est l'affaire d'Indochine qui a le plus défrayé les conversations. La guerre de Corée, après les succès des troupes des Nations Unies181, est généralement considérée ici comme un avertissement solennel pour ceux qui seraient dorénavant tentés de commettre une agression ». En pleine Guerre froide, la crainte du communisme est en effet au plus fort et on considère que l'intervention des Nations Unies peut être un frein aux ambitions des Soviétiques. Le commissaire rajoute que « les plus sceptiques du début de cette opération [...] ont maintenant confiance dans l'efficacité de l'intervention américaine. Le prestige du pacte de l’Atlantique s'en trouve renforcé.

Aussi l'espoir d'une aide matérielle pour nos propres troupes et celles du Vietnam est-il nettement exprimé dans les commentaires entendus ici ce mois-ci 182». En ce qui concerne le réarmement de l'Allemagne, « les affirmations du Chef du Gouvernement183 [...] ont produit une excellente impression ». L'OTAN souhaite en effet constituer une force militaire européenne suffisamment puissante pour dissuader l’Union Soviétique de commettre une agression. L’État français, qui avait d'abord refusé d'autoriser le réarmement de l'Allemagne à cause du souvenir de l’Occupation, finit par céder, car cela lui permettait notamment de recevoir l'aide américaine en Indochine. Les Saint-Politains sont donc visiblement d'accord avec cette décision, peut-être parce que la peur du communisme a

179 Commencée en mars 1946. 180 ADF Quimper 124 W 5 : Situation politique, économique, sociale, rapports mensuels, 1946-1951, rapport du commissaire de police de Saint-Pol-de-Léon sur l'activité de la circonscription de Saint-Pol au mois d'octobre 1950. 181 La guerre de Corée commence le 25 juin 1950 lorsque les Coréens du Nord envahissent le Sud. Les troupes américaines et des Nations Unies parviennent à les repousser momentanément en septembre. 182 La France craint en effet de ne pas pouvoir assurer seule ce conflit. 183 René Pleven, dont le premier cabinet débute le 12 juillet 1950 et se termine le 10 mars 1951. 57 fini par supplanter le souvenir douloureux de l’Occupation (malgré celui, toujours présent, des événements de l'été 44). Cependant, cette opinion semble diverger de celle de la population de l'arrondissement de Morlaix : la même semaine, le sous-préfet de Morlaix184 rapporte que la question du réarmement de l'Allemagne a fait l'objet «d'abondants commentaires dans le public qui s'y montre hostile, d'une façon générale ».

Dans les deux mois qui suivent, les rapports185 sur la situation de l'arrondissement de Morlaix mentionnent toujours une inquiétude vis-à-vis du « rebondissement de la guerre de Corée » et de la menace qui continue de peser sur les troupes françaises en Indochine. L'hostilité face au réarmement de l'Allemagne est toujours vive. Quant à la commune de Saint-Pol-de-Léon, les rapports de début janvier 1951186 ne mentionnent aucun comportement particulier ou expliquent que ces questions sont peu commentées « en raison de la forte activité des paysans et des commerçants en cette période ». Cela évolue à la fin du mois de janvier187: « La guerre en Indochine préoccupe beaucoup les habitants de la circonscription de Saint-Pol-de-Léon, qui déplorent déjà un certain nombre de morts. Devant les attaques réitérées et de plus en plus puissantes du Viet-Minh, beaucoup s'inquiètent devant l'insuffisance des Forces françaises et souhaitent les voir renforcées. Certains seraient partisans d'une participation plus active des Nations Unies qui, en liaison étroite avec les forces françaises et vietnamiennes, mèneraient à bien les opérations et rétabliraient peut-être le calme. La question de Corée a également été commentée. Une partie de la population est assez pessimiste et craint de voir ce conflit se généraliser. La réponse négative de la Chine communiste à la tentative de négociation faite par les Nations Unies n'a fait qu'accentuer cet état d'esprit ».

Un autre événement, lié cette fois à la défense du continent européen, suscite toutefois un renouveau d'espoir de la part des Saint-Politains, comme d'une partie des Français : « L'annonce de l'arrivée en Europe du Général Eisenhower avait été accueillie assez favorablement. L'élite de la population considère que ce déplacement était nécessaire pour établir des contacts sûrs et tracer les lignes de la Défense Européenne qui, puissante et organisée, sauvegardera peut-être la paix. L'action de certaines organisations syndicales qui tentait d'appeler les travailleurs à faire grève188 pour manifester contre la venue en France du

184 ADF Quimper 124 W 5, rapport du 26 octobre 1950. 185 Rapport du 30 novembre par le sous-préfet. 186 Rapports hebdomadaires du commissariat de police du 6, du 13 et du 20 janvier 1951. 187 Rapport du 25 janvier 1951 du commissaire sur l'activité de la circonscription de Saint-Pol-de-Léon au cours du mois de janvier. 188 Ces grèves et manifestations de la CGT ont lieu le 9 et le 24 janvier à Paris. 58

Commandant Suprême des Forces Alliées a été vivement critiquée dans les milieux paysans et commerçants de la circonscription ».

Les Saint-Politains partagent donc les mêmes inquiétudes que tous les Français, mais approuvent les décisions prises par le gouvernement.

b) Les élections législatives de juin 1951.

Comme le suggérait la réunion contradictoire du 8 juin 1951, ces élections législatives sont avant tout l'occasion de déterminer de quelle manière les électeurs vont se positionner par rapport au RPF et au MRP189. Le leader du MRP André Colin est alors Secrétaire d' État à l’Intérieur dans le gouvernement de Georges Bidault. Joseph Halleguen est candidat sur la liste RPF et se démet pour cela de sa fonction de délégué départemental. La question des « apparentements » pose encore problème: le RPF refuse le rapprochement avec le MRP, même si cela permettrait à ces deux formations favorables à l'enseignement libre de gagner largement les dix sièges190. En guise de commentaire sur les résultats nationaux des élections législatives, Le Télégramme note qu'il n'y a « pas de surprise notable ». En effet la coalition de la « troisième force » obtient 30% des voix, tandis que le RPF se maintient. On observe alors un glissement du vote vers le centre et la droite. Le MRP ne doit toutefois son succès qu'aux apparentements avec les autres formations de la troisième force : son propre score est faible (12,6% des suffrages)191. Dans le Finistère, la liste RPF arrive en tête avec 27,78% des voix, talonnée par la liste MRP qui en obtient 25,13%. Le MRP conserve donc trois élus (André Colin, André Monteil, Emmanuel Fouyet), tout comme le RPF (le sénateur Joseph Pinvidic, le maire de Brest Alfred Chupin et Joseph Halleguen). Viennent ensuite les communistes avec 20,93 % des suffrages exprimés; les socialistes (16,11%), la liste d'action professionnelle et paysanne (6,21%) et enfin la liste du Rassemblement des gauches républicaines RGR (3,08%). Le parti gaulliste est déçu de ses résultats. À Saint-Pol-de-Léon, où l'on compte 4285 suffrages exprimés192, les résultats sont serrés entre le MRP (37,3%) et RPF (36,5%). La SFIO obtient 13,2% de voix, les communistes 7,7%, suivis du RGR avec ses 2,8% de voix et de l’Action Populaire et Paysanne APP (2,2%). Comme pour le Finistère les résultats locaux du MRP et du RPF sont rapprochés, mais ils sont plus élevés dans la commune que dans le département. En 1951, Saint-Pol-de-Léon est donc plus à droite que l'ensemble du Finistère.

189 ADF Quimper, 72W4, RG du Finistère, La vie politique du Finistère, p.32-.36. 190 Ibidem, p.37. 191 Pierre Lévêque, Les forces politiques en France, op.cit. p.262. 192 Pour 5547 inscrits et 4436 votants (Le Télégramme). 59

Elections législatives de juin 1951 37,5 35 32,5 30 27,5 25 22,5 20 17,5 Résultats 15

12,5 Résultats en % en Résultats 10 7,5 5 2,5 0 PCF SFIO RGR MRP RPF APP Partis politiques Figure 1: Répartition des scrutins saint-politains aux élections législatives de juin 1951.

La vie politique locale de Saint-Pol-de-Léon est donc marquée par des réunions politiques rassemblant des sympathisants de centre-droit ou de droite ; par une opinion publique globalement favorable aux décisions prises par le gouvernement de la « troisième force » ; par des élections locales ou nationales dont les résultats confirment la tendance démocrate- chrétienne de la commune, même si le gaullisme concurrent séduit aussi la population saint- politaine.

60

II/ 1953-1958 : du centrisme au gaullisme référendaire

Les années de 1953 à 1958 correspondent au glissement du scrutin saint-politain du centre-droit vers la droite gaulliste, ou plus particulièrement le gaullisme référendaire.

A) Les élections municipales de 1953

Après les élections législatives de 1951, le parti gaulliste s'effrite de plus en plus, notamment à cause de la crise interne qui le traverse. Le recul du RPF se fait alors au profit du MRP lors des élections municipales des 26 avril et 3 mai 1953. Dans le Finistère on le constate surtout dans les grandes villes comme Quimper et Brest, et beaucoup moins « à Landerneau, Douarnenez, Morlaix où comme en 1947, des listes d'entente Modérés-MRP- RPF, parfois radicaux, réunissent des candidats allant du centre à la droite »193 .

1) Deux listes s'affrontent

a) La liste d' Henri Le Sann

La liste de Le Sann s'appelle toujours « liste d’Entente Républicaine et d’Intérêt Communal »194. Quatorze membres sur les vingt-trois sont des conseillers sortants. Hormis Le Sann, cinq d'entre eux avaient déjà été élus en 1945, dont quatre sous l'étiquette MRP: Louis Le Rest, Auguste Fichot, Jean Le Roux et Jean-François Moal (et peut-être Paul Creff qui était notamment un ancien membre du réseau de résistants OCM). Les autres candidats ne sont marqués sous aucune étiquette. René Bagot, docteur en médecine et conseiller sortant, était déjà candidat sur la liste conservatrice du grand-père d'Alain de Guébriant en 1929. Il n'y a donc pas beaucoup de renouvellement dans cette liste. Si on s'attarde sur les professions de ces candidats, on remarque que onze d'entre eux sont des cultivateurs, et deux sont expéditeurs. Ensuite les professions sont plutôt variées. Quatorze de ces conseillers sont natifs de Saint-Pol-de-Léon.

193 ADF Quimper, 72W4, RG du Finistère, La vie politique du Finistèrep.48. 194 Archives municipales de Saint-Pol-de-Léon, 1K12 -14, boîte 359. 61

Liste d’Entente Républicaine Date naissance Profession/ statut et d’Intérêt communal LE SANN Henri 7 novembre 1888 Maire, ancien expéditeur de légumes CREFF Paul 15 avril 1901 Employé PTT, AS (ancien OCM) SEITE Olivier 30 septembre 1899 Cultivateur, AS LE REST Louis 17 mai 1890 Cultivateur, AS BAGOT René 22 octobre 1908 Docteur en médecine, CS CASTEL Louis 14 juillet 1901 Boucher CUEFF Louis 13 mai 1902 Cultivateur, CS FICHOT Auguste 14 novembre 1899 Cultivateur, CS GUEGUEN Alain 19 août 1917 Secrétaire de l’Union des expéditeurs GOULARD Yves 12 juin 1912 Artisan-ébéniste, CS JESTIN Alain 4 août 1901 Commerçant JEZEQUEL Jean 22 août 1897 Mécanicien, CS LE BRUN Joseph 18 décembre 1923 Comptable LEMOINE Corentin 17 avril 1887 Notaire, CS LE ROUX Jean 8 avril 1895 Cultivateur, CS MOAL Jean-François 4 juin 1895 Cultivateur, CS MOAL Paul 5 février 1909 Cultivateur, CS OLIER Hervé 30 novembre 1906 Cultivateur, CS SEVERE Louis 31 janvier 1925 Cultivateur SIMON Eugène 8 janvier 1912 Cultivateur, CS STEPHANY Henri 21 décembre 1905 Cultivateur LAGADEC Hervé 20 juin 1918 Transporteur PERON René 17 avril 1912 Employé de commerce Tableau 3: Liste d'Entente républicaine et d'intérêt communal195.

Dans sa profession de foi Henri Le Sann dresse le bilan de son dernier mandat, très tourné vers le « social », relatant les difficultés de l'après-guerre : pénurie, dépréciation de la monnaie, inflation « désorganisant nos programmes », et même une « pénurie de cuivre [...] freinant l'électrification rurale ». Parmi les réalisations que, malgré tout, il a pu effectuer, on note la création du centre médico-scolaire, et l'amélioration des voiries urbaines et rurales, ce qui figurait déjà au programme de Le Sann dans sa profession de foi de 1947. On note aussi la remise en état des immeubles communaux, l'extension et l'amélioration du service d'eau, de l'éclairage public, de l'aménagement de classes supplémentaires, etc. Le programme pour le prochain mandat constitue le prolongement de ces réalisations. Y figure aussi « l'aide et

195 Archives municipales de Saint-Pol-de-Léon, 1K12 -14, boîte 359. 62 l'encouragement à la construction et en général à tous efforts de lutte contre la crise du logement ». À la fin de la profession de foi, le maire sortant ajoute: « Ce programme, nous nous efforcerons de le remplir, comme nous avons accompli les réalisations précédentes; réalisations indispensables et utiles, mais, il faut le reconnaître, peu spectaculaires; nous le ferons encore, sans démonstrations bruyantes, en administrateurs prudents, « en père de famille », tournés vers les progrès, mais soucieux d'éviter l'aggravation des charges déjà lourdes pour nos concitoyens ».

Le maire sortant reconnaît donc que les réalisations entreprises durant son mandat ont été modestes. Son souci « d'éviter l'aggravation des charges déjà lourdes » et donc de ne pas hausser les impôts est mis en avant dans sa profession de foi. Des témoignages sont venus confirmer par la suite le caractère « prudent » d’Henri Le Sann : il ne voulait jamais « faire trop de frais »196 pour sa commune, il avait tendance à épargner plutôt qu'investir197. Certains conseillers plus « progressistes » peinaient à faire voter certains projets car Henri Le Sann et la plupart de ses conseillers ne voulaient pas faire augmenter les impôts198. Dans cette profession de foi, certains passages tels que « tournés vers les progrès » sont donc contestables.

b) La liste de Jean L'Hourre: une liste RPF ?

La liste d'opposition est intitulée « Liste d' Union paysanne, commerçante et ouvrière des intérêts communaux » Elle est menée par Jean L'Hourre, conseiller sortant qui avait été pressenti pour être candidat RPF aux élections cantonales de 1949, et qui avait animé la réunion contradictoire du RPF le 8 juin 1951. Jean Madec et Fernand Guillou, conseillers sortants, étaient aussi connus pour être du RPF, et figuraient parmi les organisateurs des réunions cantonales du RPF. Ils se sont peut-être tournés vers le RPF dès 1948, peu après la création du parti199. En moyenne cette liste est plus « jeune » que celle de Le Sann: les candidats ont entre 26 et 55 ans. Parmi les plus jeunes figure le comptable Jacques Guilcher, 27 ans200, l'un des rares otages à avoir pu s'échapper de la fusillade du 4 août 1944.Les professions mentionnées dans le nom de la liste sont bien représentées mais pas dans les grandes proportions qu'on aurait pu croire : on compte sept cultivateurs et un expéditeur, cinq ou six commerçants, trois ouvriers de l'artisanat, et en plus de cela un entrepreneur, deux

196 Gérard Richard, conseiller municipal élu en 1959, entretien du 1er mars 2013 à Saint-Pol-de-Léon. 197 Jacques Chapalain, 27 janvier 2013. 198 Émile Stéphan, conseiller municipal élu en 1959, entretien du 30 mars 2013 à Saint-Pol-de-Léon. 199 Jacques Chapalain. 200 Jacques Guilcher est notamment le frère jumeau du futur maire élu en 1971, Louis Guilcher. 63 comptables, un pharmacien, un employé de bureau. Aucune femme ne figure sur la liste, comme sur celle d’Henri Le Sann. Raymond Guillou est le seul à avoir une décoration : celle de Grand mutilé de Guerre et Commandeur de la Légion d'Honneur.

Liste d’Union paysanne, Date de naissance Profession commerçante et ouvrière des intérêts communaux L'HOURRE Jean 19/05/1899 Expéditeur, CS

MADEC Jean 12/04/1902 Cultivateur, CS GUILLOU Fernand 15/11/1912 Entrepreneur, CS GUILLOU Raymond 17/07/1906 Grand mutilé de guerre, Commandeur de la Légion d' Honneur BESSELIEVRE Georges 9/02/1912 Commerçant MATRON Maurice 01/03/1923 Mandaté par l’Union des Commerçants RIGOLOT René 12/01/1913 idem TIGREAT Eugène 06/03/1917 Commerçant ACQUITTER Louis 21/10/1923 Employé de bureau CHEMINANT Pierre 10/07/1914 Pharmacien DANIELOU Alexis 17/05/1905 Cultivateur GUILCHER Jacques 23/02/1926 Comptable GUIVARCH Paul-Stanislas 10/02/1927 Menuisier-charpentier KERBIRIOU Alain 13/01/1924 Cultivateur LERROL Germain 15/06/191. Agent commercial MESGUEN Alphonse 07/07/1898 Cultivateur PASQUET Pol 02/09/1912 Comptable (militant CFTC) PLEYBER Guillaume 10/04/1903 Cultivateur QUEMENEUR François 12/03/1908 Cultivateur QUERE Jean-François 02/03/1898 Cultivateur RIOUALEC Yves 23/11/1918 Artisan électricien ROUSSEAU Paul 01/01/1903 Commerçant STEPHAN Paul 03/09/1905 Ferrailleur Tableau 4: Liste d'Union paysanne, commerçante et ouvrière des intérêts communaux201.

Malgré la présence d'au moins trois membres du RPF sur cette liste, il n'est pas certain que l'on puisse qualifier cette dernière de « liste RPF ». A Saint-Pol-de-Léon, il semble que les listes de candidats se forment autour de mêmes intérêts communaux plutôt que sur la base

201 AM de Saint-Pol-de-Léon, 1K12 -14, boîte 359. 64 d’idéologies politiques202. Cependant certains candidats étaient connus pour être républicains indépendants ou très à droite et s'étaient tournés vers les sympathisants RPF « parce qu'ils reprochaient au MRP d'avoir un côté un peu trop social, pour ne pas dire socialiste »203. On peut alors tenter de comparer la sociologie de cette liste avec celle du RPF finistérien que Franck Hostiou a étudiée, puis avec celle de la liste d'Henri Le Sann. Cela permettrait de déterminer la position de la liste de Jean l' Hourre par rapport aux principaux partis qui existaient alors. Dans son mémoire de recherche204, Franck Hostiou reprend l'étude de de Jacques Cressard sur la sociologie des compagnons du RPF en Bretagne205 basée sur fichier 1954. D'après Jacques Cressard ce sont les patrons d'industrie, du commerce et de la pêche qui sont les plus représentés au sein du RPF (propriétaires, petits boutiquiers...). On explique leur importante présence par leur « conservatisme protecteur de la propriété ». Ensuite viennent les professions libérales et cadres supérieurs. Les agriculteurs et les ouvriers sont sous- représentés. Or, sur la liste saint-politaine, on trouve presque autant de cultivateurs que de commerçants. On pourrait expliquer cela par le nombre élevé d'agriculteurs dans la commune (la catégorie « agriculture et forêt » représente 36% de la population active selon le recensement de 1954), mais il faut bien garder à l'esprit que les cultivateurs étaient sous- représentés dans le fichier de Cressard, c'est-à-dire peu représentés par rapport à ce qu'ils sont dans la population active. Au vu de la représentation des autres catégories socioprofessionnelles (un entrepreneur, et trois professions libérales seulement, trois ouvriers et un employé de bureau), on voit bien que cette liste est plus souple au niveau des recrutements et de sa politique que ne l'était le RPF à cette même époque. Sa profession de foi, bien que très courte, peut donner quelques indices sur les idées politiques dont elle se réclame. Elle ne contient pas de programme, mais s'adresse plus directement aux électeurs:

Electeurs, électrices, Dans vos choix, tenez compte des valeurs morales et des compétences. Tenez compte du dévouement manifesté par certaines personnes indépendantes pour le plus grand bien de tous. L'équipe qui se présente est l'équipe des hommes de bonne volonté. Vu: les candidats.

« Valeurs morales », « compétences », « dévouement », « bonne volonté »...On peut alors

202 Gérard Richard. 203 D'après Jacques Chapalain. 204 Le RPF dans le Finistère, op.cit., p.78-86. 205 Mémoire de DEA dirigé par Jacqueline Sainclivier, 1994-1995, Rennes II. 65 penser à des personnes telles que Pol Pasquet (leader du mouvement des Castors de St-Pol-de- Léon) ou Raymond Guillou (commandeur de la Légion d' Honneur). La liste étant marquée par la présence du RPF, il s'agit peut-être aussi de montrer son attachement au gaullisme. La profession de foi parle aussi de « personnes indépendantes », ce qui pourrait être aussi bien une allusion aux républicains indépendants qu'une référence à de Gaulle. La liste s'attache donc plus à mettre en avant ses capacités morales et sa ligne politique qu'à dévoiler un programme précis. L'objectif principal est surtout de changer l'équipe municipale.

2) Les résultats : un échec pour la liste d'opposition

Le premier tour a lieu le 26 avril 1953. Entre les deux bureaux de vote on compte 5431 électeurs inscrits et 4405 votants (soit environ 81% des inscrits)206. On trouve ensuite dans les urnes 4208 suffrages exprimés (95% des votants, 77,4% des inscrits). La majorité absolue est alors de 2105 voix. Cette année-là, un tour a suffi pour élire tous les conseillers. La liste de Le Sann l'emporte : Olivier Séité (cultivateur) arrive largement en tête, avec 2813 voix, suivi de Paul Creff, Louis Castel et Henri Le Sann (2501 voix). Les cultivateurs sont assez bien placés. Parmi les conseillers élus, aucun ne vient de l'opposition. Le cas d'Olivier Séité ne manque pas d'intérêt. Aux élections municipales, il arrive régulièrement parmi les tous premiers de la liste, quand il n'en est pas à la tête207. M. Chapalain apporte une explication à cela: « Il habitait la rue ici Corre, donc proche de la ville, et il était proche de la cité Créac'h Mikéal. Il avait un cheval qu'il mettait à la disposition des gens pour aller chercher du goémon à la grève, pour aller chercher du bois [...] et donc les gens disaient en souriant « C'est pas lui qui a été élu c'est son cheval ! ». Voyez-vous, il avait pris l'habitude de rendre un service ». On comprend alors aisément pourquoi ce monsieur pouvait-il avoir autant de popularité, et sur une période aussi longue. La composition socioprofessionnelle des élus ne varie presque pas par rapport à 1947. On retrouve le même nombre de cultivateurs (onze), un expéditeur, deux employés, deux artisans (un boucher et un ébéniste), un mécanicien et un transporteur. Parmi les professions libérales on retrouve toujours un comptable, un docteur et un notaire. Mais le commerce est mieux représenté: Alain Jestin est commerçant, et René Péron est un employé de commerce.

206 AM Saint-Pol-de-Léon, 1K12 -14 boîte 359. 207 Il était deuxième aux élections municipales de 1945 (cf. Yoann Goaoc), et premier à celles de 1947. 66

Suffrages Nom Profession 2813 SEITE Olivier Cultivateur 2621 CREFF Paul Employé PTT 2578 CASTEL Louis Boucher 2501 LE SANN Henri Maire (expéditeur de légumes) 2450 SEVERE Louis Cultivateur 2448 JESTIN Alain Commerçant 2442 LE REST Louis Cultivateur 2405 OLIER Hervé Cultivateur 2380 GUEGUEN Alain Secrétaire de l'Union des expéditeurs 2357 GOULARD Yves Artisan-ébéniste 2339 LE ROUX Jean Cultivateur 2325 CUEFF Louis Cultivateur 2318 PERON René Employé de commerce 2263 BAGOT René Docteur 2263 MOAL Paul Cultivateur 2263 STEPHANY Henri Cultivateur 2262 MOAL Jean-François Cultivateur 2255 LAGADEC Hervé Transporteur 2215 SIMON Eugène Cultivateur 2214 LEMOINE Corentin Notaire 2178 FICHOT Auguste Cultivateur 2163 JEZEQUEL Jean Mécanicien 2144 LE BRUN Joseph Comptable Tableau 5: Résultats des élections municipales de 1953208.

3) Installation du maire

L'installation du conseil municipal et l'élection du maire a lieu le 10 mai. Tous les élus sont présents. La séance est d'abord présidée par Henri Le Sann, puis par Corentin Lemoine, car il est le plus âgé de l'assemblée. Les conseillers décident d'élire quatre adjoints, donc de maintenir les deux adjoints supplémentaires élus lors du mandat précédent. En voici la raison209:

208 AM Saint-Pol-de-Léon, 1K12 -14 boîte 359. 209 AM Saint-Pol-de-Léon, 1K12 -14 boîte 359, procès-verbal de l'installation du maire et des adjoints. 67

Le Maire expose au Conseil qu'en raison du développement pris par les Services municipaux, il y a lieu de maintenir les 2 postes d'adjoints supplémentaires déjà existants. Les 3è et 4è adjoints seraient chargé des affaires agricoles et de toutes les questions se rapportant aux chemins ruraux. Le Conseil, après en avoir délibéré, décide de maintenir... ».

Ensuite, Henri Le Sann est réélu maire avec vingt-deux voix, contre Paul Creff (employé PTT), bien que celui-ci était arrivé deuxième aux élections avec 2621 voix. Paul Creff est ensuite élu premier adjoint (21 voix) contre Olivier Séité. Ensuite, Alain Jestin (commerçant) est le seul à se présenter pour le poste de second adjoint, pour lequel il est donc élu. Au vu des fonctions attribuées aux postes suivants, ce sont naturellement deux cultivateurs, Olivier Séité et Louis Le Rest, qui sont élus respectivement troisième et quatrième adjoint.

Le Télégramme du 11 mai, après avoir relaté l'élection d'Henri Le Sann et de ses adjoints, publie le discours du maire réélu : « Notre dernier mandat, poursuit-il, a été marqué par une collaboration parfaite. Il nous a permis de résoudre beaucoup de problèmes, tel, par exemple, celui de l'électrification rurale. D'autres problèmes resteront à résoudre. Les deux plus importants dans l'avenir, sont l'aménagement du terrain de Keraliden et la construction d'une digue protectrice sur le littoral de la grève du Man. L'évolution de la condition humaine entraînera de nouveaux problèmes. Nous nous pencherons sur eux avec la plus grande sollicitude en administrateurs prudents, avec la seule ambition de servir la commune de Saint- Pol avec toute notre conscience et tout notre cœur ». « En administrateurs prudents »: Henri Le Sann répète ici des paroles déjà inscrites dans sa profession de foi, comme pour rassurer la population sur sa future gestion de la commune. Il rappelle encore quelques réalisations de son ancien mandat. On voit que la question de l'électrification rurale lui tient à cœur, ainsi qu'à ses conseillers. Le réaménagement de la ville reste encore la priorité de son équipe pour le nouveau mandat. Ensuite le premier adjoint Paul Creff ajoute: « Serrons-nous les coudes, pour servir de notre mieux la population ».

4) Bilan de la période : une confiance confirmée envers le centre-droit.

En pleine période de Reconstruction, les Saint-Politains maintiennent donc une certaine confiance dans l'équipe municipale qui s'était formée après la Libération. Le

68 glissement de la commune vers le centre-droit se confirme mais certaines « traditions » persistent, comme la présence importante d'agriculteurs au sein de la municipalité. Le courant démocrate-chrétien qui était déjà bien implanté dans le secteur avant la guerre s'est renforcé dès la Libération. Cependant, il est de plus en plus concurrencé par le mouvement gaulliste, qui le suit de très près dans les résultats des élections cantonales et législatives. Les résultats des élections municipales de 1953 montrent toutefois que le centre-droit l'emporte encore sur le mouvement gaulliste ou la droite classique. Mais il ne faut pas oublier que dans une municipalité de cette importance, c'est avant tout l'intérêt communal qui prime sur les idées ou les tendances politiques. Les Saint-Politains partagent les mêmes craintes que beaucoup de Français sur certains problèmes, notamment la question scolaire, les guerres coloniales et le réarmement de l'Allemagne. Leur opinion est plutôt favorable aux décisions du gouvernement de la « troisième force », et se traduit donc par le succès du MRP dans les résultats des élections locales et nationales.

B) Vers la Vème République

Durant cette période où l'on commence à observer des transformations économiques, sociales et culturelles, la commune de Saint-Pol-de-Léon connaît encore une certaine stabilité, alors même qu'à la tête de l’État les crises politiques font se succéder les gouvernements et les assemblées de députés. Le pays passe ensuite de la IVème à la Vème République, où le chef de l’État dispose d'une plus forte autorité. Comment les Saint-Politains réagissent-ils face au changement des institutions ? Au contexte politique dominé par le problème algérien ? Au retour du Général de Gaulle sur la scène politique ?

À la suite de l'échec du RPF aux élections municipales de 1953, le Général de Gaulle décide le 6 mai de mettre fin aux activités électorales et parlementaires du parti. Le mouvement continue toutefois de recruter, car quelques gaullistes créent l’Union des Républicains d' Action Sociale (URAS)210. En revanche les républicains indépendants du CNI obtiennent des places importantes à la tête de l’État : le 26 juin 1953, Joseph Laniel remplace René Mayer211 au poste de Président du Conseil212. Dans le nouveau gouvernement, on retrouve six membres du RPF devenus « républicains d'action sociale ». Enfin, le 22 décembre 1953, le républicain indépendant René Coty devient président de la République. En parallèle se développe le

210 Pierre Lévêque, Les Forces politiques en France, op.cit. p.367. 211 Lui-même avait succédé au républicain indépendant Antoine Pinay au début de l'année. 212 Pierre Lévêque, p.320. 69 mouvement poujadiste (de Pierre Poujade) à partir d'une révolte antifiscale213 et qui va à l'encontre de la modernisation214. Il se proclame apolitique mais emprunte régulièrement des thèmes à l'extrême-droite (antisémitisme, antiparlementarisme...). Durant l'été 1955, le général de Gaulle craint qu'une confusion s'établisse entre les républicains sociaux et le RPF. Le 30 juin, il annonce son retrait de la politique, et en septembre toutes les activités du RPF sont suspendues215. Cette décision a évidemment des conséquences sur les élections qui vont suivre. Il est donc intéressant d'observer l'évolution du vote des Saint-Politains aux scrutins locaux et nationaux entre le retrait du Général de Gaulle et son retour en 1958.

1) Les élections cantonales de 1955 : une victoire sans surprise de François Prigent.

En 1955 seulement deux candidats se présentent dans le canton de Saint-Pol-de-Léon: le conseiller sortant François Prigent (républicain indépendant) et le communiste Paugam. Un seul tour a suffi cette année-là pour départager les candidats. Sans surprise, François Prigent l'emporte aussi bien au niveau du canton (90,3% des voix)216 que dans la commune (91,6%)217. Le taux de participation des Saint-Politains est légèrement plus faible que celui du canton : 59,5% contre 60,4% des inscrits. L'abstention est donc plus forte qu'aux élections cantonales de 1949, où le taux de participation était d'environ 75% au premier tour, et de 74,5% au second tour. Cela traduit peut-être un désintérêt des Saint-Politains vis-à-vis d'une élection qui semble déjà jouée d'avance, puisqu'elle oppose un candidat de droite à un candidat d'extrême-gauche qui avait peu de chance de l'emporter. Au niveau départemental, les gaullistes perdent quatre sièges alors que le MRP en gagne sept, mais M. Jean Crouan (RPF)218 conserve la présidence du Conseil Général.

2) Les élections législatives partielles de 1955 et les élections législatives de 1956.

a) Les élections législatives partielles de 1955.

Suite au décès de Joseph Halleguen le 31 janvier, des élections législatives partielles

213 L'État met en place la TVA en 1954, perçue comme une contrainte supplémentaire par les commerçants. 214 Pascale Goetschel et Bénédicte Toucheboeuf, La IVe République. La France de la Libération à 1958, Paris, éd. Librairie Générale Française, 2004, p.382. 215 Pierre Lévêque, p.368. 216 Pour 9317 votants (60,4% des inscrits) et 9075 suffrages exprimés. 217 Pour 5370 inscrits et 3109 suffrages exprimés. 218 Député du Finistère. 70 sont organisées le 20 mars et le 3 avril 1955. Six candidats se présentent : Jean Crouan (Union Nationale); Louis Orvoen (MRP) ; Eugène Bérest219 (Jeune République) ; Jean Maurice Demarquet (RP) ; Hervé Mao (SFIO) et Mazé (PCF). Jean Crouan, président du Conseil Général220 est soutenu par les républicains sociaux, les républicains indépendants et les indépendants-paysans. Au premier tour, il arrive en tête avec 28,87% des suffrages devant le candidat MRP et ancien député Louis Orvoen (25,36%). Celui-ci se désiste pour le deuxième tour en faveur de Jean Crouan, qui sera élu avec environ 55% des suffrages. « Aux deux tours il y a eu plus de 45% d'abstentions. Le nombre des abstentionnistes et plus encore la forte personnalité de M. Crouan [...] enlèvent au scrutin une part de sa signification politique221 . Au premier tour à Saint-Pol-de-Léon, Jean Crouan est en tête avec 38,6 % des voix222 devant Louis Orvoen (28,3%), Eugène Bérest (11,6%), Hervé Mao (9,8%), Mazé (7%) et Demarquet (4,5%). Dans l'arrondissement de Morlaix, l'ordre des résultats est à peu près le même, mais Eugène Bérest (3,4%) est largement dépassé par le candidat SFIO Hervé Mao (23,88%). Au second tour, Jean Crouan obtient 76,3% des voix223, devant Hervé Mao (12,3%), Mazé (7,4%) et le candidat indépendant agricole Le Roux (5,40%). Le taux d'abstention a été de 39% au premier tour et de 43,4% au second tour. Il est donc plus faible que celui du Finistère.

b) Les élections législatives du 2 janvier 1956.

Face au problème algérien, aux difficultés internes du gouvernement et à la double opposition mendésiste et poujadiste, Edgar Faure tente à la fin de l'année 1955 d'avancer les élections législatives. Mais l’Assemblée s'y oppose, ce qui engendre la chute du gouvernement le 29 novembre 1955. Edgar Faure dissout l’Assemblée le 2 décembre224. Les élections législatives sont donc annoncées pour le 2 janvier 1956 (avec un seul tour de scrutin), ce qui laisse peu de temps aux députés pour effectuer leur campagne. La réforme du mode de scrutin n'ayant pu aboutir, il est identique à celui de1951 : à la proportionnelle, et avec un système d'apparentements225. Au niveau national, quatre ensembles politiques s'affrontent lors de ces élections législatives: le Front républicain qui rassemble la SFIO, le Parti Radical, l’UDSR (Union Démocratique et socialiste Résistance) et des gaullistes progressistes (sous la tutelle de Chaban-Delmas) ; le

219 Eugène Bérest est originaire de Saint-Pol-de-Léon où il est né en 1922. Il est professeur de Lettres au lycée de Brest. 220 Il était quatrième de la liste RPF en 1951, et n'avait pas été élu. 221 ADF Quimper, 72W4, Vie politique dans le Finistère, p.51. 222 Pour 5 354 inscrits, 3 229 votants (60,3% des inscrits) et 3130 suffrages exprimés. (Le Télégramme). 223 Pour 5 351 inscrits, 3 034 votants (56,6% des inscrits) et 2887 suffrages exprimés. (Le Télégramme). 224 Pascale Goetschel et Bénédicte Toucheboeuf, La IVe République. La France de la Libération à 1958, op.cit, p.445-447. 225 Pascale Goetschel et Bénédicte Toucheboeuf, La IVe République...op.cit,, p.450. 71

Parti communiste ; le mouvement poujadiste qui mène une campagne assez violente ; la coalition de centre-droit menée par Edgar Faure avec les indépendants, le MRP, les gaullistes et les radicaux dissidents226. Neuf listes se présentent dans le Finistère. Parmi les candidats, on retrouve Tanguy-Prigent (SFIO), Burin (radicaux-socialistes), Gaby Paul (communistes), Eugène Bérest (Jeune République), Guy (Républicains sociaux), le poujadiste Jean-Maurice Demarquet (Union et Fraternité Française UFF). Les trois autres listes sont apparentées: celle de Joseph Pinvidic (Indépendants et Paysans), celle d’André Colin (MRP) et celle d'Alfred Chupin (RGR).

À Saint-Pol-de-Léon227, le candidat Colin du MRP obtient le plus de voix (37,3%), et les résultats des autres candidats se suivent d'assez près : Pinvidic (17,4%), Demarquet (14,6%), Tanguy-Prigent (11,6%), Gaby Paul (7,1%), Burin (5%), le capitaine Guy (3,2%), Eugène Bérest (2,7%), Alfred Chupin (0,8%). On note tout de même que le poujadiste obtient la troisième place devant la SFIO, et que son pourcentage de voix est plus élevé que celui du Finistère.Il est probable que la majorité de ses voix provienne des commerçants et des artisans frustrés par la politique fiscale de l’État et par la croissance. Cela ne veut pas dire pour autant que l'extrême-droite gagne du terrain dans la commune : malgré les rapprochements avec certaines idées d'extrême-droite, le poujadisme ne rassemble que trois nouveaux députés provenant de ce courant (Jean-Marie Le Pen notamment)228.

Elections législatives de janvier 1956 37,5 35 32,5 30 27,5 25 22,5 20 17,5 Colonne B 15 12,5

Résultats en % en Résultats 10 7,5 5 2,5 0 PCF SFIO Rad-soc. JR Rép. RGR MRP Indép. UFF Soc. Paysans Partis politiques

Figure 4: Résultats des élections législatives de 1956.

226 Pascale Goetschel et Bénédicte Toucheboeuf, La IVe République...op.cit., p.449. 227Illustration Pour 5547 inscrits,2: Répartition 4570 votants des (soit scrutins 17,7% saint d'abstention)-politains et 4421 aux suffrages élections exprimés. législatives de 1956. 228 Pascale Goetschel et Bénédicte Toucheboeuf, La IVe République...op.cit, p.385. 72

Dans le Finistère le MRP est en tête avec 102 367 voix, soit 25,6% des 398 472 suffrages exprimés. Grâce aux apparentements, le MRP, Pinvidic (16,8%) et Chupin (3,2%) obtiennent à eux trois 45,6% des voix. Ensuite vient le PCF de Gaby Paul (18,6%), la SFIO (17% des voix), l’UFF de Demarquet (8,6%) les Républicains sociaux de Guy (3,61), la Jeune République de Bérest (2,1) et les radicaux-socialistes de Burin (4,5%). Au niveau national, le taux de participation est de 82,8%, ce qui montre que les Français se sont fortement mobilisés. Le Front républicain obtient 30% des suffrages exprimés (dont 15% pour la SFIO) et 170 députés ; le PCF reçoit 25,3% des voix et 150 députés (soit un gain de 47 sièges) ; les poujadistes progressent avec leurs 12% de voix et 52 sièges ; enfin la coalition de centre-droit obtient 200 députés (11% des voix pour le MRP, et 4,4% pour les républicains sociaux anciens gaullistes)229. Après leur désastre électoral, les gaullistes entrent dans la phase de « traversée du désert » qui ne prendra fin qu'en 1958 avec le retour de Charles de Gaulle sur la scène politique.

3) Les Saint-Politains favorables au « gaullisme référendaire ».

Les événements du 13 mai 1958 entraînent la France dans une crise de régime230. Le gouvernement de Pierre Pflimlin est confronté au Comité de salut public algérois auquel plusieurs chefs militaires se sont ralliés. Le 5 mai, le président René Coty avait demandé à Charles de Gaulle ses conditions pour accepter de prendre la tête du gouvernement. Mais devant ses trop fortes exigences, le président René Coty fait appel le 8 mai au chef du MRP Pierre Pflimlin, favorable à une politique libérale en Algérie. Le 13 mai, des manifestants partisans de l’Algérie française prennent d'assaut le bâtiment du gouvernement général d'Alger et le général Massu accepte de présider le Comité de salut public. Le 15 mai, de Gaulle annonce « qu'il se tient prêt à assumer les pouvoirs de la République », mais la SFIO refuse de l'investir. Après une série de manifestations, René Coty menace de démissionner en cas de non-investiture. Le Général de Gaulle finit par être investi le 1er juin 1958 par les droites, la majorité de chaque formation centriste et la majorité de la SFIO. L'un des textes présentés par de Gaulle à l’Assemblée Nationale, et voté le 3 juin, réclame la préparation d'une nouvelle Constitution. Il souhaite en effet « mettre en place un État fort, afin de

229 Pascale Goetschel et Bénédicte Toucheboeuf, La IVe République..., op.cit., p.450-451. 230 Ibidem, p.497-503. 73 négocier avec le FLN »231. La nouvelle Constitution est élaborée par un groupe dirigé par Michel Debré. Soutenue par le MRP, les républicains sociaux et les indépendants, elle est présentée à l’Assemblée le 4 septembre et fait l'objet d'un référendum le 28 septembre 1958.

a) Le référendum de septembre 1958 sur la nouvelle Constitution.

La nouvelle Constitution est adoptée par les Français à une majorité écrasante de « oui » : à 79%, bien plus que ce qui était prévu. Le taux d'abstention est très faible : 15% seulement. En Bretagne, le pourcentage de « oui » est encore plus fort: 84,5%232. Le Finistère vote « oui » à cette nouvelle Constitution à 83 % des voix. Dans le canton de Saint-Pol-de- Léon le « oui » l'emporte aussi largement, avec 12 240 voix contre 876, (92,8% de oui)233. Le taux de participation est de 85,4% des inscrits. À Saint-Pol-de-Léon le « oui » obtient 4 428 voix (93%)234 contre 281 « non », ce qui montre bien l'attachement au gaullisme. Le taux de participation des Saint-Politains est légèrement supérieur à celui du canton: 86% des inscrits. La commune se positionne donc plus à droite que le département, la Bretagne et la France.

b) Les élections législatives de novembre 1958 : le MRP en tête à Saint-Pol-de-Léon.

Une nouvelle formation politique apparaît lors de la préparation des élections législatives de novembre 1958 : l’Union pour la Nouvelle République (UNR), qui se veut être l'unique incarnation du gaullisme authentique, ce qui n'empêche pas les partis traditionnels à se maintenir. En effet, les partis qui se sont prononcés en faveur du « oui » à la Constitution obtiennent de bons résultats aux élections législatives: le MRP conserve ses 11,1% de suffrages exprimés de 1956, le CNI progresse de 15,3% à 22,1% et la SFIO se maintient à 15,7%. Le glissement de l'électorat à droite et la disparition du poujadisme permettent à l’UNR d'obtenir avec succès 20,4% des suffrages et de devenir ainsi le deuxième parti de France235. Le taux de participation oscille entre 70 et 80%236.

Les candidats du premier arrondissement de Morlaix sont Jean Le Duc (Indépendants et Paysans), maire de Morlaix ; le communiste Alphonse Penven ; Tanguy-Prigent (SFIO) et François Prigent (MRP)237. Tanguy-Prigent arrive en tête au premier tour. A Saint-Pol-de-

231 Pascale Goetschel et Bénédicte Toucheboeuf, La IVe République..., op.cit., p.504. 232 D'après Jean-Jacques Monnier. 233 Pour 15 437 inscrits, 13189 votants et 13 116 suffrages exprimés. 234 Pour 5 491 inscrits, 4 726 votants et 4 709 suffrages exprimés. 235 Colette Ysmal, Les partis politiques sous la Vème République, Paris, éd. Montchrestien, 1989, p. 20-21. 236 Le Télégramme du 1er décembre 1958. 237 Ibidem. 74

Léon, il est même en deuxième position avec 18,8% des voix238, devant Jean Le Duc (17,9%) mais toujours derrière François Prigent (59,6%). Alphonse Penven obtient 3,4% des voix. Selon Jean-Jacques Monnier239, on retrouve également une hausse d'influence du PSA à Taulé240. Il est donc possible que cette influence se soit légèrement diffusée jusqu'à Saint-Pol- de-Léon. Pourtant Tanguy-Prigent s'était opposé à l'investiture de Charles de Gaulle et avait appelé à voter « non » au référendum pour la nouvelle Constitution, contrairement à la majorité des Saint-Politains. Le deuxième tour se joue entre Jean Le Duc et Tanguy-Prigent. C'est finalement Jean Le Duc qui est élu avec 51,6% des voix, contre 48,4% pour Tanguy-Prigent. Les Saint-Politains votent évidemment largement en faveur de Jean Le Duc (69%)241. En revanche, Tanguy- Prigent obtient un score de 60% des voix à Santec, et d'environ 45% à Sibiril, Plougoulm, Mespaul (qui sont des communes traditionnellement plus à gauche que Saint-Pol-de-Léon) et Plouénan242. Saint-Pol-de-Léon vote donc plus à droite que l'arrondissement de Morlaix.

Les élections législatives de novembre 1958 60 55 50 45 40 35 30 25

20 Rsultats en % en Rsultats 15 10 5 0 PCF SFIO MRP Indép. Paysans Partis politiques

Figure 3: Répartition des scrutins saint-politains au premier tour des élections législatives de 1958.

Si les Saint-Politains répondent très favorablement au gaullisme référendaire de 1958, ils continuent de rester fidèles au parti démocrate-chrétien puisqu'ils votent largement pour François Prigent au premier tour. Ce n'est qu'au second tour qu'ils se voient contraints de voter pour la droite classique.

238 Pour 5 552 inscrits, 4 602 votants, 4 527 suffrages exprimés. 239 Dans Comportement politique des Bretons, op.cit, p.183. 240 Une autre commune de l'arrondissement de Morlaix. 241 Pour 5 549 inscrits, 4 529 votants, 4 446 suffrages exprimés. 242 Fanch Elegoet, Révoltes paysannes en Bretagne. À l'origine de l'organisation des marchés, p. 49. 75

L’une des raisons pour lesquelles les Saint-Politains votent, durant cette période, largement pour le parti démocrate-chrétien ou la droite est sans nul doute l’influence encore importante de l’Église.

76

Chapitre III/ L’influence de l’Église

« Très longtemps en France le catholicisme a été un phénomène de mentalité, c’est-à- dire un ensemble de gestes et de pratiques inscrit dans la vie quotidienne, structurant naturellement les groupes sociaux, permettant l’insertion de l’individu au sein des communautés, définissant l’identité »243. Ce faisant, et parce que nous étudions ici l’histoire d’un ancien évêché, il était impossible de ne pas aborder la question de la place accordée à la religion et au clergé dans la vie saint-politaine durant ces Trente Glorieuses. Or cette période correspond à un véritable tournant socioculturel pour la France et le monde catholique. C’est en effet durant ces années que l’on observe une déchristianisation progressive, qui débute dès la Seconde Guerre mondiale et qui s’accentue à la suite du Concile de Vatican II244. L’éducation religieuse et les règles liturgiques se relâchent tandis que le nombre de vocations diminue, en même temps que les pratiques religieuses. La commune de Saint-Pol-de-Léon n’a pas été étrangère à cette évolution, mais on peut tout de même s’interroger sur la vitesse à laquelle elle l’a connue. Il est en effet intéressant d’observer comment une petite ville léonarde au passé religieux aussi important a elle-même vécu ces changements, et à quel rythme. Saint-Pol-de-Léon tient son nom de saint Paul-Aurélien, fondateur du diocèse du Léon vers l’an 530 et originaire de l’île de Bretagne.245 Un jour, Paul-Aurélien reçoit l’île de Batz de la part du comte Withur, ainsi qu’une « forteresse romaine en ruine », Kastell Paol, qui devient l’annexe de son monastère puis le siège de son épiscopat. Le nom de Saint Paul-Aurélien est donné à la cathédrale gothique dont la construction commence à la fin du XIIIème siècle pour s’achever au XVème siècle246. La chapelle du Kreisker, dont la flèche domine la ville, est construite à partir du XIVème siècle et modifiée au siècle suivant247. À quelques centaines de mètres la petite chapelle Saint-Pierre, construite par la confrérie des Trépassés au XVIème siècle, surplombe toujours le cimetière. Plusieurs ordres réguliers se sont fixés à Saint-Pol-de- Léon, comme on peut aisément le constater par la toponymie de la commune248. L’ordre

243 Dominique Borne, Histoire de la société française depuis 1945, Paris, Armand Colin, 2002, (187 p.), p. 158. 244 Ouvert le 11 octobre 1962 par le pape Jean XXIII, le 26ème concile de l’Église catholique se poursuit sous le pontificat de Paul VI et s’achève le 8 décembre 1965. 245 Michel de Mauny, Le pays de Léon. Bro Leon. Son histoire, ses monuments, Mayenne, éditions régionales de l’Ouest, 1993 (deuxième édition), 399 p., p.11-13. Saint Paul Aurélien est né vers l’an 480 dans le comté de Clamorgan. Après avoir obtenu la prêtrise à 30 ans, il fonde un monastère et s’enfuit en Armorique en 512. Installé à Ouessant, il se charge d’évangéliser le continent et crée un monastère à Lampaul-Ploudalmézeau. 246 Michel de Mauny, Le pays de Léon…, op. cit. , p. 53. 247 Elle sert d’abord de chapelle municipale jusqu’au XVIIème siècle, puis de chapelle pour le séminaire avant d’être rattachée au Collège au XIXème siècle. (Michel de Mauny, Le pays de Léon…, op. cit. , p. 60). 248 Le terrain des Carmes, le collège Sainte-Ursule, la rue des Minimes… 77 mendiant des Carmes installe son couvent dans la cité en 1353. Au XVIIème siècle, après le Concile de Trente, plusieurs couvents sont fondés dans le Léon et certains d’entre eux dans la ville épiscopale : l’ordre féminin des Ursulines en 1629, chargé principalement de l’éducation et de la jeunesse ; les Dames de la Retraite en 1680 ; et l’ordre masculin des Minimes en 1622249. Pas moins de quatre communautés religieuses exercent donc leur mission auprès des Saint-Politains, du moins sous l’Ancien Régime. Le clergé séculier est évidemment bien présent lui aussi250. Les effectifs des prêtres léonards diminuent dès le XVIIIème siècle, mais entre 1807 et 1964, encore 185 prêtres du diocèse proviennent de l’ancien évêché251. La Révolution a bien sûr durement touché le clergé saint-politain, puisqu’elle supprime l’Évêché du Léon. Dans le diocèse, le taux de refus du serment à la Constitution civile du clergé est de 89%, quand il est de 45% en France. Les prêtres assermentés subissent l’hostilité des fidèles252. Mais la fin de la présence épiscopale à Saint-Pol-de-Léon n’entame en rien la foi et la pratique religieuse de ses habitants. Le clergé conserve une place importante dans la commune jusqu’à la moitié du XXème siècle. André Siegfried s’en rend bien compte en 1913 : « La profondeur de la foi catholique [en Léon], le respect du sacré de l’Église et de ses prêtres donnent au clergé, je ne dis pas une influence, mais une puissance devant laquelle toute autre puissance plie ou disparaît (…). Tous les Bretons sont religieux ; le Léonard, lui, est clérical. Le Léon est une théocratie (…). Dès lors, il est naturel que les prêtres soient les seuls conducteurs de ce peuple, dans toutes les démarches de son existence individuelle, sociale ou politique (…) »253. Même la loi Ferry du 29 mars 1882 sur la neutralité de l’école publique ainsi que la fermeture des écoles congrégationnistes ordonnée par Émile Combes en 1902254 ne découragent pas le clergé saint-politain dans sa mission d’éducation religieuse : les séculiers, n’étant pas concernés par cette dernière loi, ouvrent des écoles catholiques et deviennent eux-mêmes instituteurs.

Qu’en est-il donc exactement du taux de pratique religieuse des Saint-Politains au milieu du XXème siècle ?

249 Louis Elegoët, Le Léon, op.cit, p. 96. 250 Entre les XIVème et XVIème siècles, l’évêque de Saint-Pol-de-Léon est accompagné de trois archidiacres, d’un vicaire général et de plusieurs chanoines (Louis Elegoët, Le Léon, op. cit. , p. 75). 251 Ibidem, p. 181. 252 Ibidem, p. 127. Monseigneur de La Marche, évêque du Léon dès 1772 et qui n’était pas foncièrement opposé aux premières idées de la Révolution, rejette lui aussi la Constitution civile du clergé et émigre à Londres en 1791 après la suppression de son évêché. 253 Cité par Louis Elegoët dans Le Léon, op. cit. , p. 186. 254 Émile Combes, président du Conseil, ordonne le 7 juin 1902 la fermeture des écoles congrégationnistes non autorisées par l’État. 78

I/ Un taux de pratique religieuse élevé

Dans le diocèse de Quimper et de Léon255 l’année 1947 constitue déjà un tournant, sans que l’on assiste toutefois à un début de déchristianisation. Il s’agit plutôt d’un désir de modernisation de l’Église. C’est aussi l’année où Mgr Fauvel256, 45 ans, succède à Mgr Duparc257 à la tête du diocèse. Issu d’une génération de prêtres connaissant le succès de l’Action catholique, Mgr Fauvel souhaite « consolider » l’Église en l’ouvrant au monde extérieur et aux réalités humaines et sociales258. Pour lui, il est donc nécessaire d’ « adapter la pastorale traditionnelle aux exigences du monde moderne ». Bien que l’attachement de la Bretagne à l’Église soit resté fort, notamment grâce à l’essor des mouvements d’Action catholique, Mgr Fauvel fait part de ses craintes vis-à-vis des « mutations » d’après-guerre259. Une enquête de sociologie religieuse est donc nécessaire pour connaître ces nouvelles exigences et rénover la pastorale, d’autant plus que la déchristianisation semble déjà amorcée dans le reste de la France260.

A) Les résultats de l’enquête Boulard en 1957

En France, le précurseur de la sociologie religieuse est Gabriel Le Bras261. Ses recherches inspirent celles du chanoine Fernand Boulard qui entreprend en 1957 une enquête sur les pratiques religieuses dans le diocèse de Quimper et de Léon, en prenant en compte l’influence du milieu social262. L’enquête, menée foyer par foyer et dans les établissements scolaires et religieux, montre aussi les influences du milieu géographique et les influences collectives, c’est-à-dire l’âge, le sexe et la catégorie socioprofessionnelle de l’individu

255 Le diocèse de Quimper et de Léon, tel qu’il a été délimité dans le Concordat de 1801, est composé de l’ancien évêché du Léon, de l’évêché de Cornouaille, de trois cantons de l’évêché de Tréguier, et du canton d’Arzano (évêché de Vannes). 256 Mgr André Fauvel (1902-1983) est ordonné prêtre en 1925, et intronisé évêque à Quimper le 10 juillet 1947. Il était aumônier dans plusieurs mouvements d’Action catholique et se chargeait de la JAC féminine. 257 Mgr Duparc est évêque de Quimper et de Léon de 1908 à 1946. 258 Hélène Ropars, L’enquête Boulard dans le diocèse de Quimper et de Léon (1957-1958), mémoire d’histoire dirigé par Yvon Tranvouez, professeur d’histoire contemporaine, Brest, UBO, 1997/1998, p. 1. 259 Ibid ., p. 5. 260 Cependant ces enquêtes s’intéressent principalement aux taux de pratiques religieuses et n’ont donc pas véritablement de valeur qualitative, puisqu’on ne peut savoir si, derrière ces pratiques, se cache une foi réelle. 261 Hélène Ropars, L’enquête Boulard dans le diocèse de Quimper et de Léon (1957-1958), op. cit. , p.11. Gabriel Le Bras (1891-1971) était sociologue et historien du droit, et a enseigné dans les facultés de Strasbourg et de Paris. Souvent considéré comme « l’initiateur de la sociographie de la pratique du catholicisme en France » (Encyclopaedia universalis, www.universalis.fr), il a publié notamment Études de sociologie religieuse, tome 1, Sociologie de la pratique religieuse dans les campagnes françaises (Paris, PUF, 1995). 262 Hélène Ropars, L’enquête Boulard dans le diocèse de Quimper et de Léon (1957-1958), op. cit. , p. 14. 79 interrogé. Les résultats de l’enquête sont dévoilés sous forme de cartes du diocèse, où l’on distingue des zones plus ou moins pratiquantes, et sous forme de graphiques et de tableaux propres à chaque commune étudiée : une pyramide des différentes pratiques religieuses par âge (assistance à la messe du dimanche, grandes fêtes, communion mensuelle et jeunes catéchisés) ; une autre pyramide pour les catégories socioprofessionnelles ; un « graphique à secteurs » montrant le pourcentage des hommes de chaque profession à la messe du dimanche ; un autre pour le pourcentage de pratiquants par profession.

1) Des taux forts dans le Léon comme à Saint-Pol-de-Léon

Dans le diocèse l’enquête Boulard révèle un taux de pratique religieuse toujours élevé par rapport à la moyenne française, bien que des disparités soient de plus en plus visibles entre certains milieux géographiques. C’est dans le Nord-Ouest du diocèse que l’on trouve les taux de « messalisants » (les personnes qui vont régulièrement à la messe le dimanche) les plus élevés, quel que soit l’âge, le sexe ou la catégorie socioprofessionnelle de la population étudiée. Dans toutes les communes du Nord-Ouest finistérien, plus de 45% des adultes se rendent tous les dimanches à la messe. Le taux de pascalisants est également élevé : les jeunes filles de 15 à 19 ans font leurs pâques à plus de 45 % dans tout le Finistère, et il en est de même pour les garçons de leur âge, sauf dans quelques doyennés263 ; dans onze paroisses rurales, le taux de femmes faisant leurs pâques ne descend pas en-dessous de 20%. Comme c’est souvent le cas, le taux de pratique religieuse chez les hommes est légèrement plus faible, car ils sont moins attachés à la tradition. De manière générale, à Pâques on observe une plus grande assiduité chez les femmes et chez les jeunes. Selon Fernand Boulard, un fort écart entre le taux de pratique des hommes et celui des femmes peut annoncer une « descente religieuse », c’est-à-dire un prochain décrochage de la population par rapport à la tradition religieuse. Mais dans les zones de forte religiosité la courbe de pratique par âge n’est pas très marquée, ce qui signifie que les hommes et les femmes du diocèse restent globalement fidèles à la tradition religieuse tout au long de leur vie. L’enquête Boulard montre aussi que l’écart entre la ville et la campagne en matière de pratique religieuse (les urbains étant souvent moins pratiquants que les ruraux) tend à s’estomper264. Dans le canton de Saint-Pol-de-Léon les taux de pratique religieuse sont très forts, comme dans le Léon de manière générale, et que ce soit pour les messalisants ou les pascalisants. On constate toutefois une légère baisse depuis 1936, comme nous le montre l’enquête Boulard

263 La Semaine religieuse de Quimper et Léon (2/3) : 1925-1967. Tables générales- Enquête Boulard (synthèse de 1958), éditée sur CD-ROM par les Archives diocésaines de Quimper et Léon en 2008, p. 2 de l’enquête. 264 Fernand Boulard pense que cela est en partie dû à la mécanisation agricole. 80 pour les Matériaux pour l’histoire religieuse du peuple français :

Hommes Femmes Deux sexes ensemble 1936 1957 1936 1957 1909 1936 1957 89,1 * 71,2 93,6 * 88,2 98,1 91,5 * 80,2 Tableau 6 : Évolution (en %) du taux de pascalisants dans le canton de Saint-Pol-de-Léon de 1909 à 1957265.

Par comparaison, en 1957 le taux de pascalisants dans tout l’arrondissement de Morlaix (dont le canton de Saint-Pol-de-Léon fait partie) est, pour les deux sexes ensemble, de 71,5%266. Soit environ dix points de moins que dans le canton de Saint-Pol-de-Léon. En ce qui concerne la ville même de Saint-Pol-de-Léon, les résultats de l’enquête Boulard montrent que la pratique est un peu plus élevée du côté des femmes et des jeunes de 0 à 24 ans. La carte du diocèse sur le taux masculin de messalisants267 montre que dans la paroisse de Saint-Pol-de-Léon, en 1957, entre 60 et 74% de la population masculine vont à la messe le dimanche. Le taux est le même pour les pascalisants hommes268. Les taux de messalisantes et de pascalisantes se situent entre 75 et 89% de la population féminine. On observe sur les graphiques concernant uniquement la paroisse de Saint-Pol-de-Léon que le taux de pratiquants est plus élevé pour la classe d’âge des 0-24 ans269. Cela s’explique assez facilement par la présence d’établissements scolaires privés tels que les collèges du Kreisker et de Ste-Ursule, où la présence à la messe est obligatoire pour les élèves. Ensuite les différences de pratiques sont faibles entre les classes d’âge des 25-44 ans, des 45- 64 ans et des 65 ans et plus. Les taux se rapprochent de 90% chez les femmes et de 75% chez les hommes. Les enquêteurs ont calculé un écart moyen de 18,3 points entre les taux de pratique religieuse masculin et féminin. Par comparaison, ces taux sont plus équilibrés à Lesneven. Cela signifie-t-il que les Saint-Politains « décrocheront » plus vite que dans la capitale léonarde ? À Saint-Pol-de-Léon on observe déjà une diminution des pratiques religieuses après l’âge de la communion solennelle, et un écart assez important entre les taux de

265 Tableau issu de l’enquête sur l’évolution des taux de pascalisants dans l’arrondissement de Morlaix de 1909 à 1957, dans Matériaux pour l’histoire religieuse du peuple français, XIXème-XXème siècle, tome 2, (Bretagne, Basse-Normandie, Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Champagne, Lorraine, Alsace), recueil fondé par Fernand Boulard et dirigé par Gérard Cholvy, Jacques Gadille et Yves-Marie Hilaire, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, éditions de l’EHESS et du CNRS, 1987, 684 p., p. 206. * : Les résultats de 1936 concernent la seule ville de Saint-Pol-de-Léon. La base d’âge utilisée pour l’enquête est de 14-15 ans. 266 Si on ne compte pas la ville de Morlaix, le taux de pascalisants dans l’arrondissement en 1957 est alors de 75,5%. 267 Cf Annexes 268 La Semaine religieuse de Quimper et Léon (2/3) : 1925-1967. Tables générales- Enquête Boulard, op. cit. , p. 8. 269 Cf. Annexes. 81 messalisants et les taux d’assistance à la communion mensuelle. Mais cela est bien peu comparé à la commune de Quimperlé dont les résultats de l’enquête se trouvent sur la même page que ceux de Saint-Pol-de-Léon. Ainsi à Quimperlé, les taux de pratiques se rapprochent plutôt des 50% des classes d’âge. Le taux de messalisants n’y est pas beaucoup plus élevé que le taux d’assistance à la communion mensuelle. Concernant les catégories socioprofessionnelles, on constate sans surprise l’importance de la pratique religieuse chez les agriculteurs (83% de messalisants dans la profession) et même chez les cadres supérieurs (environ 70%) et les employés (60%). En revanche le taux de messalisants chez les ouvriers est relativement faible (38%). Or le nombre d’ouvriers augmente dans le Léon comme partout en France, ce qui peut avoir une incidence sur les taux de pratique des décennies suivantes.

Toutefois, les spécialistes de l’histoire religieuse nous mettent en garde contre l’abus de statistiques sur les pratiques religieuses : « on ne peut accorder à la pratique religieuse plus qu’elle ne peut donner »270. Il faut donc bien faire la part des choses, entre la pratique religieuse et la foi réelle : les Saint-Politains vont-ils à la messe par conformité, par obligation ou par conviction personnelle ? Peut-être un peu pour toutes ces raisons, mais nous ne disposons pas d’enquête sur la conscience religieuse qui pourrait le confirmer. On peut cependant déterminer les causes de la forte pratique catholique de la commune.

B) Les causes de cette pratique élevée

1) Un passé clérical

Les premières causes du maintien d’une pratique religieuse élevée à Saint-Pol-de-Léon sont sans doute à rechercher dans le passé clérical de cette petite ville, comme nous l’avons expliqué précédemment. Dans une ancienne cité épiscopale, dont les vestiges sont bien visibles, il est tout à fait logique qu’une grande partie de ses habitants respecte encore scrupuleusement la tradition religieuse. Mais d’autres facteurs peuvent expliquer cette fidélité aux pratiques. Tout d’abord, Saint-Pol-de-Léon est une commune rurale et la présence d’agriculteurs, souvent respectueux des traditions, y est très importante. Pendant très longtemps certaines grandes familles paysannes vont jusqu’à donner un fils ou une fille au

270 Gérard Cholvy, La religion en France de la fin du XVIIIème siècle à nos jours, Paris, Hachette, 1998 (deuxième édition), 254 p., p. 151. 82 clergé ou aux ordres religieux271. Ainsi, pour expliquer la légère baisse des pratiques religieuses dans le canton entre 1936 et 1957, les enquêteurs affirment qu’elle est due aux « phénomènes d’urbanisation » de Saint-Pol-de-Léon et de Roscoff272 : les deux communes étendent leur agglomération au détriment de la campagne, et le nombre d’agriculteurs tend à diminuer.

2) Des structures qui encouragent la pratique religieuse

En outre, comme dans la plupart des communes où le taux de pratique religieuse est fort, les écoles saint-politaines privées reçoivent presque tous les enfants de la commune, voire du canton. Elles assurent donc l’éducation religieuse des jeunes et les encouragent à pratiquer. On trouve aussi à Saint-Pol-de-Léon beaucoup de « structures sociales d’inspiration chrétienne » tels que le patronage, les associations sportives catholiques, la JAC, la JOC et des syndicats tels que la CFTC. De plus la commune continue de susciter de nombreuses vocations sacerdotales et religieuses, notamment grâce à son séminaire273. Nous verrons dans un deuxième temps que la présence de certaines personnalités influentes (cléricales ou laïques) dans la commune a encouragé la fidélité des Saint-Politains aux pratiques religieuses.

II/ La religion omniprésente dans le quotidien

Le temps accordé à ces nombreuses pratiques religieuses donne à la religion un caractère omniprésent dans la vie quotidienne des Saint-Politains. Il est courant d’entendre dire que Saint-Pol-de-Léon a été longtemps considérée comme une « théocratie », ou une « ville sainte » (Kastell santel) en raison de son passé épiscopal et de la présence de nombreuses institutions religieuses. « [Saint-Pol-de-Léon] était une pépinière de prêtres, de religieux et de religieuses, et la vie quotidienne était irriguée par cela274 ». L’éducation et l’instruction strictement religieuses y sont sans doute pour beaucoup.

271 Philippe Abjean, entretien du 22 décembre 2013 à Saint-Pol-de-Léon. 272 Fernand Boulard, Gérard Cholvy, Jacques Gadille et Yves-Marie Hilaire, Matériaux pour l’histoire religieuse du peuple français, XIXème-XXème siècle, tome 2, op. cit. , p. 29. 273 Enquête Boulard, dans la Semaine religieuse, op. cit. , p. 8. 274 Philippe Abjean. 83

A) Une éducation religieuse

Cette instruction religieuse est assurée essentiellement par les prêtres-enseignants, qui sont nombreux à Saint-Pol-de-Léon. En effet au Collège du Kreisker en 1945, sur 23 professeurs, on ne compte que trois laïcs275, et ces derniers restent minoritaires jusqu’en 1960. Dans son roman autobiographique Le Temps des soutanes276, dont l’action se passe à la fin des années 1940, Louis Pouliquen décrit longuement ce collège « peuplé de soutanes », celles qui composent alors l’essentiel du corps professoral :

« Les soutanes occupaient les lieux. Au collège, elles étaient chez elles. Elles sortaient de toute part, apparaissaient à l’angle d’une cour ou au bout d’un escalier, glissaient dans les couloirs, occupaient les classes, surveillaient les études et veillaient sur les dortoirs. Elles participaient même aux récréations, se mêlaient à nos jeux, virevoltaient en tous sens. Des soutanes en folie »277.

1) Une présence obligatoire aux offices religieux

D’après Philippe Abjean, « jusque dans les années 1965, l’assistance à la messe […] y était obligatoire […] y compris pour les externes »278. La présence aux grandes fêtes religieuses, aux rituels de la communion et à la confession l’est également, et est toujours vérifiée par les enseignants. L’emploi du temps des élèves est ponctué de prières (à 5h50 avant le petit-déjeuner, à 19h), de lectures spirituelles, de messes (le dimanche à 7h, avec les vêpres le même jour à 13h15) et de séances de catéchisme les jeudis et dimanches279.

2) « Forger des âmes »

C’est cet encadrement « très fort » qui a permis au Collège du Kreisker de se construire une très bonne réputation dans tout le Finistère (en même temps que le Collège Saint-François de Lesneven) notamment auprès des parents qui sont très fiers d’y envoyer

275 Emmanuelle Kermoal, Le Collège Notre-Dame du Kreisker de Saint-Pol-de-Léon (1945-1983), Travail d’études et de recherche sous la direction d’Yvon Tranvouez, Brest, UBO, 1997-1998, p. 16. 276 Louis Pouliquen, Le Temps des soutanes, Brest, Éditions du Liogan, 1993, 273 p. 277 Louis Pouliquen, Le Temps des soutanes, op. cit. , p. 12. 278 Philippe Abjean, entretien du 22 décembre 2013. Philippe Abjean a lui-même été élève au Collège du Kreisker, dans les années 1960-1970. 279 D’après un emploi du temps des élèves daté de 1945, en annexe du mémoire d’Emmanuelle Kermoal, Le Collège Notre-Dame du Kreisker de Saint-Pol-de-Léon (1945-1983). 84 leurs fils280. Pendant des années, le Collège du Kreisker a formé « des centaines » de prêtres et de missionnaires. La discipline y est dure : Xavier Grall, qui a passé une partie de sa scolarité au Collège du Kreisker à la fin des années quarante, en garde un souvenir amer, celui de l’absence de chauffage et des dortoirs surpeuplés, tout en reconnaissant que s’il n’avait pas été au Kreisker, quelque chose aurait manqué dans sa vie281. Philippe Abjean pense que ce « quelque chose » était en en fait une certaine « sensibilité à la spiritualité ». Les prêtres- enseignants essayaient en effet de « forger des âmes », de créer un « homo Kreiskerus ». « On y développait cette fierté, une sorte d’abnégation, d’ascétisme ».

3) Privé, public : la question scolaire

Il existe bien sûr une rivalité entre les établissements scolaires privés et publics, exacerbée lorsque la question scolaire ressurgit certaines années. Les préjugés envers l’école publique, minoritaire à Saint-Pol-de-Léon, persistent jusque dans les années 1960. Certains parents disent encore à leurs enfants « si tu ne travailles pas bien tu iras à l’école publique »282, car celle-ci est encore considérée comme une « punition » ou comme une « décadence ». Beaucoup de parents « préféraient se saigner aux quatre veines même s’ils n’avaient pas d’argent, plutôt que d’envoyer leurs enfants à l’école publique ». Mais il n’est pas rare non plus que des parents pratiquants inscrivent leurs enfants dans les écoles publiques. Ces derniers font alors leur catéchisme sur leur temps libre, en-dehors du cadre scolaire. Le corps enseignant semble respecter ce choix : par exemple à l’École communale des garçons, l’un des instituteurs, Monsieur Moal, ne dit rien quand une partie de ses élèves arrive de leur cours de catéchisme avec un peu de retard283. Il ne fait pas de distinction entre les pratiquants et non-pratiquants. Si certains témoins284 évoquent un véritable « mur » entre ces deux populations285, dans la réalité la municipalité se doit d’accorder la même attention aux deux types d’établissements scolaires, notamment parce que la loi l’y oblige286. Dans une délibération du 3 décembre 1959, le conseil municipal émet d’ailleurs un vœu concernant la question scolaire287 :

280 D’autant plus que l’entrée au Collège du Kreisker se faisait, à l’époque, à l’issue d’une sélection par concours. 281 D’après le témoignage de Philippe Abjean. 282 Philippe Abjean. 283 D’après le témoignage de Louis Germain Prigent, entretien du 1er décembre 2012 à Santec. Les cours de catéchisme se déroulaient alors entre 12h et 13h30. 284 Notamment Philippe Abjean. 285 La population dite « laïque » est toutefois minoritaire à Saint-Pol-de-Léon. 286 La loi Debré du 31 décembre 1959 permet aux écoles privées d’alléger leurs charges concernant le salaire des enseignants, ce qui les met à pied d’égalité avec les écoles publiques. 287 AM Saint-Pol-de-Léon, 1D34 boîte 020, registre des délibérations 7 février 1957 au 17 juin 1960, délibération no 59-158 du 3 décembre 1959. 85

« Le Conseil municipal, soucieux de la défense des justes intérêts comme de la liberté de toutes les familles, À la majorité de 15 voix contre une, Considérant que les parents ont, pour priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants (art. 26 et 3 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948), Considérant que l’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assume dans le domaine de l’Éducation et de l’Enseignement doit respecter le droit des parents d’assurer cette éducation […] conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques […], Considérant que la France a souscrit à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, Considérant que le droit des parents ne doit pas être illusoire en matière d’éducation et d’enseignement, Émet le vœu : - Que l’État permette à tous les parents l’application sans entrave de la Constitution, qui leur garantit : - La scolarité obligatoire et gratuite pour leurs enfants, - La liberté de conscience, - Le droit de choisir l’éducation à donner à leurs enfants, - Que l’État mette en pratique, en matière scolaire, sa devise « Liberté, Égalité, Fraternité » - Que l’État réalise très rapidement sa promesse d’une juste solution du problème scolaire ».

Bien sûr, au vu de sa composition il n’est guère étonnant que le conseil municipal de Saint- Pol-de-Léon ait émis ce vœu. En 1959, il est encore très marqué au centre-droit ou à droite, et un seul conseiller se déclare socialiste288.

Toutefois la vie associative et culturelle saint-politaine est la plupart du temps dédoublée entre les groupes laïcs et les groupes d’inspiration catholique, comme c’est souvent le cas à l’époque dans la plupart des communes françaises.

288 Il s’agit de Gérard Richard. Ce dernier nous a raconté que « lors d’un vote au sujet des écoles privées », il était le seul à avoir voté contre. Il est d’ailleurs probable que ce soit le même vote qui ait conduit à émettre ce vœu du 3 décembre 1959. 86

B) La religion dans la vie associative et culturelle

Pour un club sportif laïc, il existe parallèlement un club sportif « catholique ». C’est notamment le cas pour le football, où le Stade léonard concurrençait l’Étoile du Kreisker, jusqu’à leur fusion en 1965. Concernant la musique, les Saint-Politains avaient le choix entre la « Saint-Politaine »289 et « l’Harmonie du Kreisker ».

1) Le cinéma comme vecteur d’éducation religieuse et morale

On trouve également à Saint-Pol-de-Léon deux salles de cinéma : la salle Sainte- Thérèse, qui appartient à la paroisse, et le cinéma Le Majestic, que certains qualifient de « cinéma du Diable ». Au cinéma Sainte-Thérèse, les films avec des « scènes d’amour » sont proscrits. La programmation est donc très différente d’une salle à l’autre : un jour de mars 1959 par exemple, la salle Sainte-Thérèse propose de visionner La route joyeuse tandis que la même semaine le Majestic diffuse le film Haine, amour et trahison, dans lequel joue Brigitte Bardot, puis Wanda, la pécheresse 290… En fait, c’est en grande partie grâce aux associations catholiques que le cinéma s’est développé en Bretagne, et ce dès l’entre-deux-guerres. Les salles paroissiales telles que la salle Sainte-Thérèse adhèrent à la Fédération des Associations des Cinémas de l’Ouest (FACO) puis au Groupement des Associations des Salles Familiales (GASFO) après la Seconde Guerre Mondiale291. En échange d’une cotisation, les patronages reçoivent de la part de ces associations une aide pour la programmation de leurs salles. Ils diffusent alors des films « compatibles avec la morale catholique », pour éduquer le spectateur292. Les salles de cinéma des patronages sont souvent dirigées par un curé, et parfois par un laïc293. De son côté la JAC, qui a aussi pour but de former culturellement les jeunes agriculteurs, crée des ciné- clubs dans toute la Bretagne et lance l’association « Films et Culture » en 1956. Celle-ci intervient dans les écoles primaires et secondaires privées, comme c’est le cas à Saint-Pol-de- Léon. Puisque la JAC se préoccupe des changements économiques et sociaux de la région, ces ciné-clubs diffusent la plupart du temps des films qui traitent de ces « interrogations sociales

289 La « Saint-Politaine » a été créée en 1908. Gérard Richard y entre en 1947. Louis Germain Prigent en a fait partie lui aussi. 290 La diffusion de ces films est annoncée dans un journal Le Télégramme de mars 1959. 291 Michel Lagrée, Jacques Deniel, « Le cinéma en Bretagne rurale : esquisse pour une histoire », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 1985, vol. 92, no 92-3, pp. 257-288, p. 265 et p. 266. Le GASFO est lié à la Centrale Catholique du Cinéma et de la Radio créée en 1934 sous l’autorité épiscopale française. En 1958 le Gasgo compte 320 salles de cinéma en Bretagne. 292 Les salles paroissiales diffusent aussi les actualités, des documentaires et des films comiques. 293 Michel Lagrée et Jacques Deniel, « Le cinéma en Bretagne rurale… », op. cit., p. 267. 87 et idéologiques »294, notamment pour faire comprendre les changements de mentalité et le problème de l’exode rural295. La morale catholique est également présente dans les chansons populaires, telles que celles de Francis Moal296. Les chansonniers font parfois appel à Dieu dans leurs chansons pour qu’il vienne en aide à la commune.

a) L’encadrement des jeunes

En dehors de l’école, l’encadrement des jeunes est également très important à Saint-Pol- de-Léon. Les structures du type « maison des jeunes » n’existent pas encore dans la commune. C’est donc au patronage que les jeunes se retrouvent. Organisé par les séminaristes, il accueille aussi bien les enfants des écoles publiques que des écoles privées297. Les filles ont également leur petit patronage, celui de l’école privée de la Charité, « ouvert aux fillettes de 4 à 10 ans de toutes les écoles de la ville indistinctement »298. Les enfants peuvent y aller pendant les vacances. Comme chez les scouts, cela permet de partir en excursion dans les forêts voisines, où on leur apprend à faire des feux de camps, à vivre en communauté et à éviter de vagabonder dans les rues299. Par la présence des séminaristes, cela encourage aussi la pratique religieuse et suscite des vocations.

b) Les grands rendez-vous religieux

À Saint-Pol-de-Léon, chaque année est bien sûr ponctuée par les grandes fêtes religieuses. La Fête-Dieu300 est sans doute l’une des plus marquantes pour les esprits : « [elle] se traduisait par de grandes processions dans les rues avec le reposoir, le dais, avec des autels […] parsemés de pétales de roses, de sciure colorée… ». Les photographies prises lors de la Fête-Dieu montrent une foule importante observant la procession.

294 Michel Lagrée et Jacques Deniel, « Le cinéma en Bretagne rurale… », op. cit., p. 270. 295 Parmi ces films on retrouve par exemple Les Raisins de la colère, d’Elia Kazan. 296 Sophie Donnart, Les chansonniers populaires du XXème siècle à Saint-Pol-de-Léon, mémoire de master dirigé par Ronan Calvez, parcours celtique, Brest, UBO, 2011. 297 Louis Germain Prigent. 298 AM Saint-Pol-de-Léon, 1D34 boîte 020, registre des délibérations 7 février 1957 au 17 juin 1960, délibération no 58-100 du 4 juillet 1958 relatif à une demande de service communal de transport pour le petit patronage de la Charité. 299 Louis Germain Prigent. 300 La Fête-Dieu se déroulait le deuxième dimanche après la Pentecôte. Elle célèbre la présence du Christ dans le sacrement de l’eucharistie. Durant la procession, le prêtre devait porter l’eucharistie dans les rues que les enfants avaient tapissées de pétales de roses. 88

En 1950 les Saint-Politains sont témoins d’un événement religieux inédit : le Bleun-Brug des saints. En 1948 l’ancien évêché avait déjà accueilli une fête du Bleun-Brug dédiée à son créateur l’abbé Jean-Marie Perrot. Le mouvement du Bleun-Brug (« fleur de bruyère »), fondé en 1905, est chargé de faire la promotion de la langue et de la culture bretonnes, et connaît son apogée au moment où la commune de Saint-Pol-de-Léon organise sur plusieurs jours ce congrès où sont rassemblées les reliques des grands saints bretons. Les Vies des saints sont alors abordées dans des conférences ; les Tantadou ar sent (« feux de joie des saints ») et autres processions aux lumières se succèdent. Les cérémonies sont grandioses : les unes après les autres, les reliques des saints fondateurs convergent vers Saint-Pol-de-Léon ; tous les évêques de Bretagne sont présents pour les accueillir. « 20 000 personnes assistent à la messe dominicale célébrée par Mgr Villepelet, évêque de Nantes, et chantée en grégorien par les moines de Kerbénéat »301. De quoi perpétuer la foi des habitants, sans doute impressionnés par tout ce cérémonial.

Difficile alors d’échapper au carcan de la religion catholique qui entoure la vie quotidienne des Saint-Politains. D’autant plus que l’Église a toujours joué un rôle social auprès de cette population où l’on trouve des personnalités pieuses et influentes.

III/ Un « terreau » pour le christianisme social

Plusieurs facteurs ont fait de Saint-Pol-de-Léon un terrain propice au renforcement des liens entre l’Église et la société saint-politaine. Premièrement, comme dans beaucoup d’autres communes jusqu’aux années 1950, l’Église joue un rôle social non négligeable dans la plupart des domaines où l’État n’intervient pas encore ou très peu : l’éducation, la santé publique (les hôpitaux), les œuvres sociales (orphelinats…), le problème du logement, etc. À Saint-Pol-de- Léon ce rôle social est d’autant plus important que les institutions religieuses et les membres du clergé y sont nombreux. Leur influence, ainsi que celle d’autres personnalités laïques tout aussi impliquées dans la vie religieuse, a permis de faire perdurer au sein de la commune une forme de « christianisme social » pendant au moins une décennie.

301 Yann Celton (dir.), L’Église et les Bretons, , éditions Palantines, 2008, 191 p., p. 108. 89

A) Des personnalités influentes

Parmi les personnalités ayant contribué au maintien de ce christianisme social à Saint- Pol-de-Léon, celle qui a le plus marqué la période d’après-guerre est sans doute le curé- archiprêtre Vincent Favé.

1) Vincent Favé

Vincent Favé assure la fonction de curé-archiprêtre de Saint-Pol-de-Léon de 1949 à 1956302, mais possède déjà à son arrivée un « bagage » considérable en matière de catholicisme social. Né en 1902 à Cléder, il fait ses études au Collège du Kreisker puis au séminaire de Quimper303. Il est ordonné prêtre en 1925 et devient aumônier général du Bleun- Brug pour les cinq diocèses bretons304. Il dirige également la JAC finistérienne, ce qui le rapproche du monde agricole. a) Un curé proche de ses fidèles

On le décrit comme « très sensible aux situations humaines et à leur incidence sur la foi et le comportement religieux »305. Il est notamment connu pour son « dynamisme », son « optimisme » et sa proximité avec la population dont il a la charge : « [il] parcourt les cantons à vélo, discute avec les parents, les convainc de libérer les enfants » pour leur donner une éducation technique, morale et religieuse306. Sa voix « charrie des images saisissantes, proches du terroir »307. Certains Saint-Politains le qualifient d’ « humaniste »308. Ces qualificatifs sont à la mesure de l’accueil que les Saint-Politains lui font le jour de son arrivée dans la commune, en 1949. Vincent Favé succède alors au chanoine Sibiril, décédé le 2 décembre 1948 dans un accident de voiture, et dont les funérailles ont été bien suivies par la population309. Lors de l’installation de Vincent Favé à Saint-Pol-de-Léon, on observe « une grosse animation » sur la route de Brest où « une partie de la population était venue attendre

302 Il devient ensuite évêque auxiliaire de Mgr Fauvel en 1957, puis de Mgr Barbu, jusqu'à ses 75 ans. 303Biographie de Vincent Favé rédigée par J.-L. Le Floc’h, dans Dictionnaire du monde religieux de la France contemporaine, tome 3, La Bretagne (dir. par Michel Lagrée), Paris, éd. Beauchesne, et Rennes, Institut culturel de Bretagne, 1990, 425 p., p. 137-138. 304 Après la mort de Jean-Marie Perrot en 1943. 305 J.-L. Le Floch, Dictionnaire du monde religieux de la France contemporaine, op. cit., p. 137-138. 306 Louis Elegoët, Le Léon. Histoire et géographie contemporaine, op. cit., p. 216. 307 Yann Celton, L’Église et les Bretons, op. cit., p. 108. Yann Celton parle ainsi de Vincent Favé lorsqu’il évoque l’intervention du chanoine à la messe du 25ème anniversaire de la JAC et de la JACF à Quimper le 9 mai 1954. 308 Jacques Chapalain, entretien du 27 janvier 2014. 309 Le Télégramme du 4 janvier 1949 relate les funérailles du chanoine Sibiril, pour lesquelles on observe une « nombreuse affluence », allant des personnalités locales au député du Finistère M. Fouyet. 90 le nouveau curé-archiprêtre, pour l’escorter ensuite vers la cathédrale »310. Une foule importante l’attend ainsi à l’entrée de la commune : « un cortège imposant, composé de cavaliers, bicyclettes décorées, tracteurs agricoles, et de plusieurs dizaines de voitures automobiles et hippomobiles [...]. Tout au long du parcours, les rues avaient pris un air de fête : de nombreuses guirlandes et drapeaux indiquaient la joie de la population, massée sur le trottoir pour accueillir son nouveau pasteur ». Parmi les personnalités présentes figurent le maire Henri Le Sann, les conseillers municipaux, Hervé de Guébriant, le conseil paroissial, les abbés, le supérieur du Kreisker, etc311. Cette effervescence témoigne de la renommée et de l’importance de la fonction de curé-archiprêtre aux yeux des Saint-Politains. b) Un rôle socioculturel important dans la commune

Les Saint-Politains retiennent de cette personnalité son rôle important sur le plan culturel comme sur le plan social. Avec lui, le mouvement du Bleun Brug s’implante à Saint- Pol-de-Léon. La culture bretonne est mise en valeur lors des processions de 1948 et 1950, et toujours en lien avec la religion, notamment lors du rassemblement des reliques de saints bretons312. Le Bleun Brug faisait aussi la promotion de la langue bretonne, par le biais des théâtres en breton, le plus souvent d’inspiration religieuse313. Les témoins se souviennent aussi de l’implication de Vincent Favé dans le mouvement des Castors, tout comme celle de Mgr Fauvel. Tous deux étant issus de l’Action catholique, Vincent Favé et Mgr Fauvel soutiennent facilement ce genre d’initiative314. Ce dernier autorise même les Castors à travailler le dimanche pour avancer leurs constructions (ce qui était assez exceptionnel à l’époque dans le Léon), mais à condition de se rendre à la messe ce jour-là315. À ce propos, Yohann Guiavarc’h écrit que « l'absence des hommes sur les bancs de l'église le dimanche n'a rien de choquant pour la communauté, alors que dans d'autres communes, comme Saint-Pol-de-Léon, celle-ci aurait été très remarquée et jugée choquante par une partie des habitants, dont un certain nombre sont de précieux soutiens pour les

310 Le Télégramme du 28 janvier 1949. 311 Ibidem. 312 Cf. la vidéo de la Cinémathèque de Bretagne réalisée par Pierre Caoussin où l’on voit la procession et les festivités du Bleun Brug de 1948, en hommage à l’abbé Jean-Marie Perrot [http://www.cinematheque- bretagne.fr/Geolocalisation-970-7422-0-0.html]. 313 Vincent Favé a traduit des manuels en breton pour les jeunes de la JAC. Après le Concile de Vatican II, il traduit également des textes liturgiques en breton. 314 Dans son ouvrage Construire sa maison en commun. L'aventure des Castors, Yohann Guiavarc’h s’interroge d’ailleurs sur l’origine du mouvement des Castors, en se demandant si on pourrait le qualifier de « mouvement d’Action catholique » (p. 60). De plus, le terme « castor » était le surnom donné à l’abbé Pierre quand il était scout, et ce dernier a sans doute largement inspiré ces bâtisseurs de maisons. 315 Yohann Guiavarc’h, Construire sa maison en commun. L'aventure des Castors, op. cit., p. 56. Les groupes de Castors devaient alors faire une demande de dérogation au diocèse, pour pouvoir travailler le dimanche. 91 groupes Castors »316. Il arrive même qu’une messe dominicale soit célébrée sur le chantier. L’évêque se présente à chaque inauguration de quartiers Castors, et visite les maisons une à une pour les bénir. Par son intervention contre le problème du logement, le clergé de Saint- Pol-de-Léon317 compense en quelque sorte l'inertie des pouvoirs publics, comme nous l’avons vu précédemment. On constate donc que le lien entre l’Église et ce groupe de Saint-Politains, même s’il est composé en grande partie d’ouvriers, reste fort dans ces années-là : le clergé fait preuve de son soutien pour régler le problème du logement et « encourage l’aventure sociale » des Castors318, tandis que ces derniers continuent de respecter la pratique religieuse. Par ailleurs, le curé-archiprêtre Vincent Favé s’implique aussi auprès des saisonniers qui partent chaque année dans les usines de sucreries du nord et de l’est de la France. Ces « sucriers » sont pour la plupart des ouvriers agricoles et des ouvriers-emballeurs contraints de trouver un emploi hors de la commune pendant la morte saison. Environ 900 hommes de la région de Saint-Pol-de-Léon partent ainsi tous les ans « au sucre »319. En compagnie de quelques vicaires de Saint-Pol-de-Léon et du canton (tels que l’abbé Perrot et l’abbé Jean Feuntren), Vincent Favé effectue donc chaque année une « tournée pastorale » dans chacune des villes sucrières où travaillent ses fidèles, comme par exemple à Pithiviers320. Ces derniers leur assurent un bel accueil, souvent festif. Les ouvriers en profitent pour chanter quelques chansons, enregistrées sur un magnétophone qui « servait de trait d’union entre les différentes sucreries ». Le but de ces visites était d’offrir aux saisonniers un « confort spirituel ». Les usines tournent aussi le dimanche et ne permettent donc pas aux saisonniers d’aller à l’église. En quelque sorte, c’est la messe qui vient alors aux saisonniers puisque les vicaires saint- politains en célèbrent une à chacun de leurs passages. Cela permet aussi aux ouvriers d’oublier quelque temps leur éloignement avec leur famille et leur commune d’origine. Les prêtres venus en « mission » se disent aussi marqués par la difficulté des conditions de vie et de travail de ces ouvriers. Ainsi la personnalité de Vincent Favé et certainement celle d’autres prêtres saint-politains321, ont permis de maintenir ce « triple lien »322 entre le social, le religieux et le culturel323.

316 Yohann Guiavarc’h, Construire sa maison en commun. L'aventure des Castors, op. cit., p. 59. 317 C’était aussi le cas dans d’autres communes où les Castors se sont développés. 318 Philippe Abjean, entretien du 22 décembre 2013. 319 Jean Feuntren (abbé), Chroniques d’histoires publiées dans le Bulletin paroissial de Roscoff no 178, de décembre 1963. [http://www.roscoff-quotidien.eu/hstoire-bulletin-paroissiaux-roscoff.pdf] 320 Cette tournée pastorale passe également par Engenville, Toury, Artenay, Montereau, Mery-sur-Seine, Sermaize, Chalons, Saint-Germainmont, Vierzy et Meaux. 321 Philippe Abjean évoque aussi le chanoine Ménez, « très impliqué dans le milieu ouvrier », devenu ensuite curé à Landerneau. 322 Terme utilisé par Philippe Abjean durant l’entretien. 323 Vincent Favé est également présent lors de l’assemblée générale des coopératives agricoles du Finistère et des Côtes-du-Nord, organisée à Saint-Pol-de-Léon en janvier 1949. Cf. Le Télégramme du 27 janvier 1949. 92

Du côté des laïcs les personnalités qui ont pu avoir un rôle dans le domaine religieux ne manquent pas. On retient notamment la famille noble des vicomtes de Guébriant324.

2) Hervé Budes de Guébriant

De par son rang et son pouvoir politique et économique sur la commune, la famille de Guébriant a eu un rôle socioculturel important que les Saint-Politains n’ont pas oublié. Même après la mort du dernier maire de la lignée, Alain de Guébriant, et malgré les déboires d’Hervé Budes de Guébriant lors de la Libération325, les de Guébriant bénéficient toujours d’un certain prestige à Saint-Pol-de-Léon, car la famille continue de s’investir dans les domaines sociaux et culturels au nom d’un catholicisme plutôt conservateur. a) Une charité chrétienne

Elle le fait déjà au début du siècle : en 1905 lors de la séparation de l’Église et de l’État, le Collège du Léon doit fermer ses portes. Il est ensuite transféré en 1911 dans les bâtiments actuels du lycée du Kreisker, grâce à la famille de Guébriant qui a permis justement l’acquisition du bâtiment auprès des Ursulines326. Les vitraux de la cathédrale sont aussi des dons de la famille de Guébriant. Le lycée technique Saint-Jean-Baptiste, tenu par les Frères de Ploërmel, doit son nom à Mgr Jean-Baptiste de Guébriant, Supérieur des Missions catholiques à Rome. b) Hervé Budes de Guébriant : un « catholique social »

Hervé Budes de Guébriant doit sa notoriété de « catholique social » à la création durant l’entre-deux-guerres de l’Office central de Landerneau, dont il est le président327. Son projet syndical jugé progressiste à l’époque est aussi paradoxalement conservateur, voire corporatiste328. Il est en effet empreint d’une dimension catholique conséquente. La culture

324 D’après Philippe Abjean, la famille Budes est d’origine normande. Elle est devenue « de Guébriant » par alliance et a acquis le château de Villeneuve à Saint-Pol-de-Léon par la famille de Poulpiquet. Le château a ensuite été renommé en breton « Kernévez ». 325 Président de l’Office central de Landerneau, Hervé Budes de Guébriant (né en 1880) a été nommé président de la Commission nationale d’organisation corporative par le maréchal Pétain. Il est donc accusé de collaboration avec le régime vichyste. Il est emprisonné en novembre 1944, puis relâché en août 1945 faute de charges suffisantes. 326 Philippe Abjean, entretien du 22 décembre 2013. D’après lui les Ursulines étaient alors exilées en Belgique. 327 Il a également été vice-président de l’Union centrale des syndicats agricoles. 328 David Bensoussan, « Le syndicalisme agricole entre conservatisme et progressisme : le projet syndical du Comte de Guébriant dans la première moitié du XXè siècle », dans Élites et Notables de l’Ouest. XVIe-XXe siècle. Entre conservatisme et modernité, dir. par Frédérique Pitou, Rennes, PUR, 2003, 320 p., p. 193. 93 politique contre-révolutionnaire d’Hervé de Guébriant se forme dans la lignée du député Albert de Mun329, sans pour autant rallier celle de l’Action française. Mais au lieu de s’immiscer dans la voie politique, qu’il juge « incapable d’assurer l’avenir du pays », il s’intéresse rapidement au milieu agricole et entreprend dans sa jeunesse des études à l’Institut agronomique de Paris330. À l’époque ce genre de projet est assez typique de l’aristocratie rurale : « forte de son statut de notable qui la place en intermédiaire privilégiée entre la société locale et la société englobante, l’aristocratie rurale est bien placée pour continuer à se placer en protecteur des communautés rurales face à des structures commerciales dont les valeurs mercantiles sont dénoncées comme antagonistes aux vertus chrétiennes et face à un État laïque répudié »331. Cette aristocratie dispose en effet des capitaux nécessaires pour développer l’agriculture. Ce rôle va s’amenuiser vers la fin des années 1950, au fur et à mesure que les paysans prendront eux-mêmes en main l’organisation du marché. Mais les Saint-Politains n’en oublient pas moins la dimension sociale du projet d’Hervé de Guébriant : les baux de fermage du vicomte sont connus pour être « dérisoires » et donc plus intéressants que ceux des autres propriétaires terriens332. Ce bail-type « va devenir emblématique des réalisations du syndicalisme agrarien de l’entre-deux-guerres333, et démontre bien la volonté d’Hervé de Guébriant d’« améliorer le bien-être des agriculteurs »334. C’est sans doute aussi pour cette raison que le vicomte soutient les initiatives de la JAC locale dans les années 1950335. Ainsi Yvon Tranvouez affirme qu’Hervé de Guébriant « appartient à cette nouvelle génération de nobles passés, par la force des choses, de l’armée à la terre, et, dans l’esprit du catholicisme intégral, de la cause du roi à la cause du peuple »336.

Les actions de la famille de Guébriant dans ces différents domaines ainsi que la mort tragique d’Alain de Guébriant ont certainement contribué au maintien d’un grand respect de la population saint-politaine envers elle. En plus de ces deux personnalités influentes, les Saint-Politains bénéficiaient également de l’action de la JAC, de la JOC et des militants catholiques.

329 Député de la circonscription de 1894 à 1914. 330 David Bensoussan, « Le syndicalisme agricole… », op. cit., p. 195. 331 Ibidem, p. 197. 332 D’après Jean-Bernard Kéramoal et Philippe Abjean. 333 David Bensoussan , Le syndicalisme agricole… », op. cit., p. 199. 334 D’après Henri Jacob. 335 Il les avait notamment aidés à organiser une fête du cheval en vers 1956-1957 à Saint-Pol-de-Léon. 336 Yvon Tranvouez, Catholiques en Bretagne au XXème siècle, Rennes, PUR, coll. Histoire, 2006, 237 p., p. 37. 94

B) La JAC, la JOC et les militants catholiques du mouvement Castor

L’Action catholique et les groupes de militants catholiques présents à Saint-Pol-de- Léon ont certainement contribué à maintenir un lien fort entre la société locale et l’Église.

1) Les mouvements d’Action catholique à Saint-Pol-de-Léon

L’Action catholique est bien présente dans la commune de Saint-Pol-de-Léon, représentée par la Jeunesse Agricole Chrétienne (JAC) et la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC)337. De manière générale, ces groupes d’action catholique spécialisés, encadrés par des vicaires, ont pour but de reconquérir la société et de rechristianiser les campagnes en se basant sur la vie professionnelle338. Ils mettent donc l’accent sur le progrès technique et l’instruction et allient donc le christianisme à l’action sociale. La dimension chrétienne-sociale des deux mouvements se renforce après la Seconde Guerre mondiale, notamment avec le désir de moderniser les campagnes. « On y discute certes religion, mais aussi innovations techniques, cultures, nouvelles du monde »339. Pour faire se rencontrer les jeunes des différents villages, la JAC finistérienne organise régulièrement des fêtes et des événements tels que les Coupes de la Joie dès 1946, des concours, des représentations théâtrales, des jeux sportifs. Cela permet aux jeunes gens et jeunes filles de sortir de leur village et de s’ouvrir un peu au monde, avec pour les parents un « gage de sécurité ». Ainsi, « être jaciste, […] c’est pouvoir vivre dans une société chrétienne intégrale, où certes la messe quotidienne compte, mais où le quotidien est rythmé par un environnement chrétien »340. Les deux mouvements d’action catholique sont donc complémentaires du patronage organisé pour les plus jeunes. Mgr Vincent Favé, en tant qu’ancien aumônier diocésain de la JAC, résume bien ainsi le rôle de la JAC auprès des jeunes : « Tout un travail se faisait au cours des réunions, des retraites, des sessions d’études où ils [les jacistes] apprenaient à construire l’homme en eux et la société ; la famille : futurs époux, futurs pères de famille ; la profession, le travail, le syndicalisme ; la vie sociale, civique, politique. Ils apprenaient la dignité de la personne humaine et sa

337 La JOC a été créée en France en 1926 (elle est lancée en 1928 dans le Finistère) et la JAC en 1929. Des fédérations sont ensuite créées dans plusieurs départements, et la fédération jaciste du Finistère rejoint le mouvement national en 1935. 338 Yves Lambert, Dieu change en Bretagne. La religion à Limerzel de 1900 à nos jours, Paris, éditions du Cerf, 1985, 451 p., p. 119. 339 Yann Celton, L’Église et les Bretons, op. cit., p. 112. 340 Yann Celton, L’Église et les Bretons, op. cit., p. 113. 95

grandeur »341.

La JAC organise régulièrement des activités culturelles et des grandes fêtes à Saint-Pol-de- Léon, comme la fête du Cheval.

2) Les Castors, un mouvement catholique

Le catholicisme social est également bien présent au sein du mouvement des Castors, animé par des militants catholiques tels que Pol Pasquet, membre de la CFTC et ancien séminariste, et Raymond Cudennec, président de la délégation locale de la CFTC. Les médias catholiques parlent d’ailleurs régulièrement de leurs projets : La Croix, La Semaine religieuse de Quimper et Léon…On a bien vu que le clergé s’est impliqué directement ou indirectement dans le mouvement, en autorisant le travail des Castors le dimanche et en inaugurant les quartiers terminés.

Le rapport à la religion s’est donc transformé et modernisé depuis l’entre-deux-guerres, du moins chez les jeunes générations. Cependant, pour certains historiens ou membres du clergé cette nouvelle forme de spiritualité est en partie responsable de « l’échec religieux » observé dans les décennies suivantes :

« Pourquoi se le cacher ? écrit en 1950 le chanoine Boulard, dans le monde rural, un affrontement se produit, de plus en plus pénible, entre deux types de spiritualité chrétienne. L’une, qui se cantonne dans l’absolu, dans l’enseignement abstrait de la doctrine, dans les exercices traditionnels de la piété. L’autre, qui veut partir de la vie, prendre l’homme par ce qui fait son soucis quotidien, pour le mener certes jusqu’à Dieu, jusqu’à la prière, jusqu’à la communion eucharistique, jusqu’à l’oraison »342.

Yvon Tranvouez ajoute à cela que « ceux qui avaient eu besoin de la JAC, pour accompagner et légitimer le changement social n’ont plus vu l’utilité d’une religion décalée par rapport à la modernité qu’ils venaient d’embrasser »343. Indirectement, ces nouvelles pratiques religieuses vont donc entraîner un premier décrochage des Saint-Politains par rapport à la tradition.

341 Cf. la préface de Mgr Visant Favé dans l’ouvrage de Didier Hascoët, De la J.A.C. à la politique. Cinq itinéraires finistériens, Quimper, éditions Calligrammes, 1992, 270 p., p. 8. 342 Fernand Boulard, in « Devant l’évolution du monde rural. Transformations psychologiques et exigences spirituelles », Les Cahiers du clergé rural, décembre 1950, p. 459. La citation est reprise et commentée par Yvon Tranvouez, dans Catholiques en Bretagne au XXème siècle, Rennes, PUR, coll. Histoire, 2006, 240 p., p. 143. 343 Yvon Tranvouez, Catholiques en Bretagne au XXème siècle, op. cit., p. 143. 96

Nous avons vu que dans cette première décennie la commune de Saint-Pol-de-Léon reste dans l’ensemble assez conservatrice. L’agriculture reste la première activité économique de la commune, et les exploitants agricoles représentent l’une des premières catégories socioprofessionnelles, avec celle des ouvriers. La commune peine à trouver des solutions pour contrer l’exode des jeunes et son manque d’attractivité. Le chômage des ouvriers-emballeurs préoccupe la municipalité, qui doit parfois faire face à l’inertie des pouvoirs publics. Quant à la crise du logement, elle a été résolue en grande partie grâce à la volonté de quelques familles et de militants Castors. En ce qui concerne la politique, les Saint-Politains votent encore surtout pour le centre droit ou, dans une moindre mesure, pour la droite classique. Les pratiques religieuses sont encore très fortes, comme nous le montre l’enquête Boulard de 1957, et les Saint-Politains sont encore globalement très attachés à leurs institutions religieuses. La Seconde Guerre mondiale n’a donc pas vraiment constitué de rupture sur les plans politique, social et culturel à Saint-Pol-de-Léon, bien que la rupture morale due aux événements de l’été 44 soit certaine. On constate tout de même que la municipalité cherche à moderniser sa commune par différents moyens, et qu’à la fin des années 1950 le changement se fait sentir. La véritable rupture surgit finalement vers les années 1959-1960.

97

Partie II/ 1959-1975 : ruptures et modernité

***

À partir de 1959, le destin de Saint-Pol-de-Léon semble basculer. La commune léonarde devient le centre des attentions lorsque la crise agricole, relative à la réorganisation du marché, surgit. Cette crise aura alors des conséquences sur la politique locale et les structures socioéconomiques de Saint-Pol-de-Léon. Les résultats locaux des élections nationales évoluent également par rapport à la décennie suivante. On assiste également à une rupture du côté culturel avec un décrochage au niveau des pratiques religieuses.

98

Chapitre I / Le tournant de 1959

À Saint-Pol-de-Léon, l’année 1959 constitue un tournant pour deux raisons. Dans le domaine de l’agriculture, la réorganisation du marché menée par de jeunes agriculteurs qui souhaitent notamment pouvoir investir sans trop s’endetter, et ainsi récupérer le retard pris par leur région, va avoir quelques conséquences sur les relations entre les différentes classes sociales présentes dans la commune, et aussi sur la politique locale. L’autre tournant s’observe lors des scrutins nationaux, où les Saint-Politains commencent à voter différemment par rapport aux années passées.

I/ Les conséquences sociales de la réorganisation du marché agricole (1959-1967 )

C’est dans les années 1950 que l’agriculture française commence à s’intégrer dans l’économie nationale, en consommant des produits industriels et en exportant ses surplus de production344. Le projet de la modernisation de l’agriculture est mené par « une génération de jeunes agriculteurs […] parfois impatients de remplacer leurs aînés pour réaliser la modernisation des exploitations ». Cette citation fait sans doute référence implicitement aux actions menées par les jeunes paysans bretons tels qu’Alexis Gourvennec, Marcel Léon, ou Pierre Chapalain dans le Finistère. Ces jeunes sont pour la plupart issus de la JAC. Formés aux nouvelles techniques et mieux informés grâce aux stages, aux divers voyages effectués345 et aux rencontres, ils préconisent l’agrandissement des exploitations, l’émancipation par rapport à l’encadrement traditionnel ainsi que l’installation d’industries alimentaires346. Cependant les jeunes agriculteurs qui souhaitent investir se heurtent à un endettement important. Le marché traditionnel n’est plus adapté aux nouveaux modes de production347, ce qui engendre des révoltes paysannes, notamment dans le Léon qui en constitue le noyau.

Le conflit lié à la volonté de réorganiser le marché s’étend alors de mars 1957, où les paysans se mobilisent une première fois à cause de la mévente du chou-fleur, à juin 1967 lorsque les producteurs indépendants de la Socoprim finissent par accepter l’application des nouvelles

344 Dominique Borne, Histoire de la société française depuis 1945, op.cit., p. 29. 345 Notamment en Hollande, où ils visitent les veilings, marchés aux enchères publiques. 346 Claude Geslin, Patrick Gourlay, Jean-Jacques Monnier, Histoire d’un siècle. Bretagne 1901-2000. L’émancipation d’un monde, 2010, Skol Vreizh, Morlaix, chapitre cinq, Jean-Jacques Monnier, « Un immense mouvement de rattrapage (1950-1972) ». 347 Jean-Jacques Monnier, « Un immense mouvement de rattrapage (1950-1972) », Histoire d’un siècle. Bretagne 1901-2000..., op.cit., p.219. 99 règles de commercialisation. Alexis Gourvennec devient rapidement le leader du mouvement : premier président du Comité de l’artichaut fondé le 27 décembre 1958, il est connu pour ses prises de paroles en public et pour la prise de la sous-préfecture de Morlaix en juin 1961. Avec d’autres producteurs, il tente régulièrement de négocier avec le gouvernement à Paris, notamment en août 1962 pour la loi complémentaire à la loi d’orientation agricole348. La Sica se constitue le 20 janvier 1961, mais ses adhérents doivent encore faire face aux négociants et aux producteurs indépendants qui s’opposent à l’organisation du marché agricole. Le Syndicat indépendant des primeuristes voit le jour le 18 novembre 1960, et sera suivi par la Socoprim le 8 juillet 1962.

L’histoire de l’organisation du marché agricole ayant été longuement évoquée dans certains ouvrages tels que celui de Fanch Elegoët349, il est inutile de s’attarder sur la chronologie des événements, l’avancée des revendications des agriculteurs et les réactions du gouvernement. Ici nous nous intéresserons plus particulièrement à l’évolution des relations qui existaient entre les agriculteurs favorables à la Sica, les agriculteurs dits « indépendants », la classe commerçante représentée par les expéditeurs, et les ouvriers-emballeurs. Ces relations, déjà en partie étudiées par Fanch Elegoët, traduisent un clivage fort qui existait depuis longtemps entre la ville et la campagne saint-politaine, et qu’on retrouve parfois au sein même des conseils municipaux de l’époque. Il est donc également intéressant d’étudier par la même occasion la mémoire, ou plus exactement les mémoires liées à ces événements, à travers le récit des protagonistes d’opinions ou de milieux sociaux divergents.

A) Les relations entre les agriculteurs, les expéditeurs et les emballeurs

L’évolution de la bataille liée à l’organisation du marché a été déterminée par différents accords et tensions qui ont animé les relations entre les agriculteurs, les expéditeurs et dans une moindre mesure les ouvriers-emballeurs. Ces groupes sociaux se caractérisent par des conditions et des intérêts bien différents, qu’il est essentiel de connaître pour comprendre les enjeux de ce conflit.

348 La loi d’orientation agricole est votée le 5 août 1960. 349 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes en Bretagne. A l'origine de l'organisation des marchés, Plabennec, éd. Du Léon, 1984. 100

1) Qui sont-ils ?

a) Les agriculteurs « pro-Sica » face aux agriculteurs « indépendants ».

On trouve les futurs adhérents à la Sica plutôt du côté des jeunes producteurs. Fanch Elegoët le constate en calculant la moyenne d’âge des dirigeants de la Sica en 1961350, qui est alors de 33 ans. On sait de plus que la plupart d’entre eux sont issus de la JAC351. Cette dernière est constituée de jeunes de 17 à 24 ans. Cela n’empêche pas certains agriculteurs d’un âge plus avancé d’adhérer eux aussi aux principes de la Sica : par exemple certains conseillers municipaux de 1959, tels qu’Olivier Séité (60 ans), Paul Moal (50 ans), et Hervé Olier (53 ans)352. La taille des exploitations a pu être un facteur important dans la répartition des producteurs entre la Sica et la Socoprim. Les agriculteurs indépendants considèrent en effet que le conflit entre la Sica et le syndicat indépendant a été en réalité un affrontement entre les « gros » et les « petits producteurs ». D’après Fanch Elegoët353, sur les dix dirigeants du premier conseil d’administration de la Sica, neuf d’entre eux ont une exploitation de 6 à 15 hectares, et un seul en a une de plus de 20 hectares, ce qui fait une moyenne de 12,31 hectares. Ce sont donc plutôt des producteurs de moyennes exploitations. Concernant leur position géographique dans la zone légumière, Fanch Elegoët constate qu’en 1963, environ 75% des producteurs de l’intérieur ont adhéré à la Sica354. Mais il s’avère aussi que 57% des producteurs de la Sica viennent de la côte. L’idée selon laquelle le conflit entre la Sica et la Socoprim serait une bataille entre l’intérieur et la côte est donc à nuancer, puisque la composition de la Sica est assez homogène. De plus, même si parmi les 1 744 souscripteurs de la Socoprim 72% viennent de la côte et 28% de l’intérieur, le syndicat des indépendants n’attire que 40% des producteurs côtiers de la zone légumière355. Lors d’une réunion le 10 novembre 1960, on compte plus de 150 producteurs indépendants présents. Ils proviennent de toutes les communes côtières du canton (Saint-Pol-de-Léon, Santec, Plougoulm, Roscoff, Sibiril, Mespaul), ou des cantons voisins (…)356.

350 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes en Bretagne. A l'origine de l'organisation des marchés, op.cit., p. 382. Sept administrateurs de la Sica sur dix ont alors 33 ans ou moins. 351 Par exemple Sébastien Jacob et son frère Henri Jacob, tous deux anciens administrateurs de la Sica. 352 Henri Jacob (entretien du 24 novembre 2013) a pu me donner quelques informations sur l’appartenance des conseillers municipaux cultivateurs à la Sica ou au syndicat des indépendants. 353 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…, op.cit., p. 381. 354 Ibidem, p. 374. Il se base sur la liste des sociétaires de la Sica du 31 mars 1963. Cette liste comporte alors 3 349 producteurs. 355 Fanch Elegoët ne précise pas la date de cette souscription mais elle est sans doute proche de 1963 (cf. Révoltes paysannes…, op.cit., p. 374). 356 Ibidem, p. 330. 101

En revanche on assiste bien à un conflit de générations. La moyenne d’âge des 12 administrateurs de la Socoprim en 1961 est de 40 ans et 9 mois357 : quatre administrateurs ont moins de 33 ans ; quatre ont entre 34 et 41 ans, et les quatre autres ont plus de 50 ans (l’aîné en a 61). Cette différence d’âge est d’ailleurs bien présente sur le terrain, si l’on observe la composition des deux groupes d’adhérents. Les producteurs les plus âgés se sont retrouvés au syndicat des indépendants pour plusieurs raisons, notamment la méfiance envers cette organisation plus moderne du marché. Celle-ci prévoyait que les producteurs soient dorénavant payés par un organisme bancaire, et non plus directement en espèces par le négociant. « Quand la Sica s’est mise en place, il y avait obligation d’ouvrir un compte bancaire, et certains agriculteurs refusaient de faire cette chose-là, parce qu’ils ne voyaient pas l’argent ! »358. Les paysans les plus âgés craignaient donc de ne plus voir la « couleur » de l’argent, et de ne plus pouvoir dépenser le jour même359. Ils avaient peut-être aussi un niveau d’instruction moins élevé que les jeunes producteurs de la Sica.

Mais d’autres facteurs expliquent pourquoi les producteurs côtiers indépendants se sont opposés aux producteurs de la Sica. En effet les exploitations côtières sont en générales plus petites et plus pauvres, et les légumes constituent donc une culture de subsistance, voire de « survie »360. Pour les petits producteurs côtiers, « le concurrent et le danger ne peuvent venir que de ces producteurs de l’intérieur qui enlèvent aux côtiers l’exclusivité des cultures qui seules leur permettent de tenir sur leurs petites exploitations ». Voilà donc pourquoi ils ne souhaitent pas se solidariser avec les producteurs favorables à l’organisation du marché. De plus, le quatrième plan d’équipement agricole prévoit de réduire de 300 000 le nombre d’agriculteurs et donc d’éliminer les petites exploitations361, menaçant ainsi directement les petits producteurs. Un article du Figaro du mois de juin 1962 résume bien les différences observées entre les producteurs « réformistes » et les paysans indépendants : « L'opposition entre la SICA et les indépendants porte sur des questions de doctrine. La SICA n'est que l'émanation économique des syndicats d'exploitants agricoles. En général ses membres sont de jeunes cultivateurs formés au cours de cercles d'études aux questions de production et de commercialisation. Ils pensent détenir la bonne solution.

357 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes..., op.cit., p. 382. 358 Témoignage de Jean-Bernard Kéramoal, entretien du 10 février 2013, Saint-Pol-de-Léon. 359 Fanch Elegoët, p. 372. Par ailleurs, « le paiement direct permettait à certains producteurs d’échapper au pouvoir de la femme, notamment financier ». Certaines femmes de producteurs indépendants encourageaient en effet leur mari à adopter le nouveau système pour que le compte soit « plus clair », et pour qu’ils évitent de dépenser l’argent dans les bistrots, p. 373. 360Ibidem, p. 384. 361Ibidem, p. 386. On considère alors que pour qu’une exploitation soit viable, elle doit en moyenne atteindre une surface de 8 hectares. 102

L'organisation rationnelle d'un marché serait la meilleure défense des producteurs bretons contre leurs concurrents du Marché commun. Les indépendants sont plus âgés et assez individualistes. Ils ne veulent pas une organisation du marché par la SICA car ils craignent de perdre leur liberté de vente. Ils affirment que l'organisation de la SICA serait la dictature de quelques syndicalistes sur la masse des producteurs »362.

Même s’ils reconnaissent que le système traditionnel a des imperfections, les paysans côtiers se battent pour maintenir une organisation « libérale et démocratique » de la profession363. Leur structure syndicale ne sera jamais aussi forte que celle de la Sica, mais leurs effectifs restent tout de même importants (1 744 souscripteurs en 1963). Le Syndicat des indépendants n’a pas de délégués de quartiers, mais il dispose d’un bureau avec un administrateur par commune, et publie des circulaires ainsi qu’un journal364.

b) Les expéditeurs de légumes

Le premier marché de légumes de Saint-Pol-de-Léon s’ouvre en 1890. Les maisons d’expédition apparaissent donc à la fin du XIXème siècle365, et avec elle une nouvelle classe de commerçants qui s’enrichissent rapidement en achetant et revendant la marchandise à leur compte. Les années 1950 constituent un sommet pour le négoce de légumes366. En 1959, on compte 76 maisons d’expédition dans toute la zone légumière, dont 37 à Saint-Pol-de-Léon. Cependant cette classe commerçante n’est pas homogène. Si certaines maisons d’expédition sont puissantes (notamment les maisons Sévère, Caroff et Séité), d’autres sont plus fragiles. Les maisons exportatrices dominent le marché et constituent le « noyau » du négoce saint- politain. « Beaucoup d’expéditeurs avaient été directeurs de coopératives auparavant et quand ils avaient appris le métier ils se mettaient à leur compte […]. Mais en général ils arrivaient difficilement à tenir les rênes […] C’est un métier qui usait, qui n’était pas évident, mis à part [pour] les noyaux d’exportateurs qui étaient plus formés, et qui réellement étaient des commerciaux ». 367 Cette classe se distingue fortement de la paysannerie et est souvent considérée comme bourgeoise, car elle n’hésite pas à « étaler » sa richesse en achetant des voitures, des grandes maisons, des écuries de courses368.

362 Le Figaro (22 ?) juin 1962, article rédigé par Jean-Pierre Cressard. 363 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…, op.cit., p. 331. 364 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…, op.cit., p. 335. 365 Ibidem, p. 52. 366 En 1957, le chiffre d’affaires de l’ensemble des expéditeurs de la zone légumière représente 6,9 milliards de francs (Fanch Elegoët, p. 53) 367 Témoignage d’Henri Jacob, 24 novembre 2013. 368 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes, op.cit., p. 54. 103

c) Les ouvriers-emballeurs

Les ouvriers-emballeurs se trouvent bien malgré eux pris dans la tourmente qui oppose leurs patrons aux producteurs. Comme nous l’avons vu précédemment, d’autres soucis les concernent plus directement : le chômage et le logement. De plus, cette classe ouvrière considérée comme la plus défavorisée de la population saint-politaine est depuis longtemps déjà aux prises avec l’Union des expéditeurs sur la question des salaires. Les documents de la CFTC locale permettent de suivre l’évolution lente de leurs pourparlers. Dès 1949, la question du règlement des heures supplémentaires se pose, car certaines maisons ne semblent pas le respecter369. Puis les années 1950 sont ponctuées par des tentatives de négociations salariales plus ou moins fructueuses pour les emballeurs370. Les archives de la CFTC locale donnent quelques indices sur les conditions de vie des ouvriers emballeurs, notamment sur leur pouvoir d’achat assez faible et qui leur permet à peine d’avoir une vie décente. S’il arrive parfois que les patrons des maisons d’expédition soient attentifs aux besoins de leurs ouvriers, les relations entre ces deux groupes sociaux restent tendues. Le mépris des patrons envers la classe ouvrière est très visible. Malgré ces crispations, les ouvriers-emballeurs se placeront, dans un premier temps, dans le même camp que leurs patrons contre les agriculteurs de la Sica. Pourtant on ne trouve aucune allusion à un quelconque problème entre les ouvriers- emballeurs et les agriculteurs avant la bataille pour l’organisation du marché.

2) L’évolution de ces relations

a) De la création du Comité de l’artichaut à la fondation de la Sica L’une des principales raisons pour lesquelles les jeunes paysans veulent réorganiser le marché est le contrôle des prix du chou-fleur et de l’artichaut. Jusque-là, il n’existait pas de prix-plancher. Le prix se faisait au poids ou selon un calibre, et était négocié entre le producteur et l’expéditeur, qui avait souvent le dernier mot. 371. Le marché de Saint-Pol-de-

369 AM Saint-Pol-de-Léon, 3Z2 boîte 195, Union locale CFTC, 25 juin 1949, circulaire n°45 : « L’Union locale des syndicats CFTC de St-Pol-de-Léon nous signale que certaines maisons ne règlent pas les heures supplémentaires ou n’appliquent pas le tarif légal. Nous rappelons que le salaire de base pour les emballeurs est de 2 850 francs par semaine […] ». 370 En mars 1950, ils obtiennent ainsi un salaire de 4 000 frs nets pour 48h de travail hebdomadaire, au lieu des 2 680 frs nets qui leur étaient attribués jusque-là. En février 1957, les emballeurs obtiennent un salaire de 8 000 francs nets par semaine. AM Saint-Pol-de-Léon, 3Z2 boîte 195, Union locale de la CFTC. 371 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…, op.cit., p. 72. 104

Léon se déroule uniquement sur la Place de l’Évêché, à côté de la cathédrale et des halles372. Certains patrons de maisons d’expédition n’hésitent pas à tricher sur le poids de la marchandise en « truquant » leur balance, pour éviter de se faire « écraser » par la concurrence. C’est donc contre cette « loi des négociants » qu’une partie des agriculteurs léonards va se battre. En mars 1957, la température trop douce engendre un surplus de récolte et donc une mévente du chou-fleur373. Les producteurs refusent alors de brader leurs récoltes et décident de se mobiliser. En parallèle, la FDSEA du Finistère, l’Office Central de Landerneau et le Syndicat du rayon de culture de Saint-Pol-de-Léon (présidé par Charles Fichot) tentent d’obtenir des aides à l’exportation de la part de l’État. Cependant ces syndicats se révèlent être insuffisamment efficaces. Les jeunes producteurs décident donc de procéder à une « rénovation syndicale » :

« Il y avait déjà au niveau de la JAC, des jeunes qui s’intéressaient au marché et qui avaient été voir en Hollande374 ce qui se faisait. Donc c’est de là que l’idée qu’il fallait faire quelque chose est partie, et la première chose qui a été faite à l’époque, c’est la refonte des syndicats locaux, pour pouvoir informer l’ensemble des producteurs et leur demander leur avis […]. Sachant qu’avant, certaines personnes détenaient tous les pouvoirs syndicalistes […] On avait les mêmes personnes qui finalement ne permettaient pas de faire évoluer les choses tel que le souhaitaient les jeunes »375.

Les jeunes producteurs tentent avec succès de recréer une organisation syndicale plus soudée et efficace376. Cependant les négociants refusent catégoriquement de réorganiser le marché. En juin 1958 alors que la restructuration syndicale est bien en cours, la bataille de l’artichaut commence et les producteurs se mettent en grève. Certains négociants tentent de briser l’unité de ces paysans en proposant des prix plus intéressants au marché377. De leur côté, les ouvriers-emballeurs commencent à subir le conflit. Ils regrettent de ne pas avoir été consultés

372 Ce marché a été ré-ouvert en janvier 1947 sur cette place. Dans la délibération du 24 janvier 1947 (1D32, boîte 019), le maire explique au conseil municipal que « la liberté ayant été rendue au commerce des légumes, un marché s'est installé sur la place de la Gare et dans les rues avoisinantes, gênant ainsi la circulation et la rendant même dangereuse. Après échange de vues, il est décidé, à l'unanimité des conseillers présents, d'annuler tous les arrêtés antérieurs réglementant le marché des choux-fleurs et d'affecter la place de l'Évêché au marché des choux-fleurs, toute transaction étant interdite ailleurs et le marché étant ouvert de 7h à 19h chaque jour ouvrable à partir du lundi 3 février 1947. » 373 Le 1er mars, le prix du gros chou-fleur est fixé par les négociants entre 20 et 28 francs pièce. Le 11 mars, il ne vaut plus qu’entre 5 et 12 francs (Fanch Elegoët, Révoltes paysannes, op.cit., p. 120). 374 Un premier voyage d’études avait été organisé par le Syndicat du rayon de culture en 1955, notamment grâce au Conseil général du Finistère. En juin 1956, le conseil municipal de Saint-Pol-de-Léon approuve la préparation d’un voyage en Hollande et en Belgique pour le mois de septembre (délibération n°56-83, du 1er juin 1956, 1D 33, boîte 020). En 1957, un autre groupe de jacistes se rend également en Hollande, avec parmi eux Alexis Gourvennec et Pierre Chapalain. 375 Henri Jacob, entretien du 24 novembre 2013. 376 Ces nouvelles structures ont pour base des quartiers regroupant chacun une dizaine d’exploitations. La commune constitue le deuxième échelon de la structure syndicale, et le canton en est le troisième. 377 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes..., op.cit., p. 139. 105 par les producteurs lors de l’appel à la grève et sentent une menace sur leur travail378. Le 21 juin, des barrages sont formés par les producteurs pour empêcher les camions d’apporter les chargements d’artichauts à la gare. Des « commandos punitifs » sont mêmes lancés contre les producteurs qui ont vendu leur récolte. On observe déjà un manque d’unité parmi les producteurs.

Le Comité de l’artichaut, présidé par Alexis Gourvennec, est fondé le 27 décembre 1958 lors d’une réunion à Berven. Le siège du comité se trouve alors à la mairie de Saint-Pol-de-Léon. En février 1959, les expéditeurs acceptent de ne plus exporter les drageons d’artichaut379. Voyant l’efficacité de « l’opération drageons », le Comité de l’artichaut décide d’élargir ses revendications. Tandis que les producteurs se retrouvent aux prises avec la municipalité, notamment sur la question du pesage des marchandises, l’année 1959 constitue selon Fanch Elegoët les prémices de la « grande explosion de juin 1961 ». En effet le 19 octobre la FDSEA lance la première manifestation de masse, qui va concerner l’ensemble du Finistère. Au début de l’année 1960, les négociants bloquent encore la régularisation des pesées, ce qui engendre un affrontement entre les agriculteurs et la classe commerçante de Saint-Pol-de- Léon380.

Par ailleurs, les ouvriers-emballeurs sont de plus en plus perçus par les agriculteurs comme étant les « fantassins des expéditeurs »381. Henri Jacob explique que les relations entre les agriculteurs de la Sica et les emballeurs avaient été tendues les deux ou trois premières années. Elles ne se sont améliorées qu’à partir du moment où les tensions entre les négociants et les producteurs se sont atténuées382. Les emballeurs manifestent à leur tour le 17 juin 1960 pour s’opposer au départ de quelques wagons directement chargés par les producteurs. Deux- cents ouvriers font grève le lendemain383. Ils réussissent à obtenir l’obligation de la part des agriculteurs de faire conditionner leur marchandise par les emballeurs avant toute exportation. Cela montre bien que les producteurs s’opposent surtout aux négociants, et non pas aux ouvriers-emballeurs pour lesquels ils prennent conscience de la nécessité de conserver leur monopole du conditionnement.

Cependant les relations entre les agriculteurs et les ouvriers-emballeurs ne deviennent pas pour autant plus clémentes, au contraire. Le Comité de l’artichaut leur avait proposé de

378 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes..., op.cit., p. 140. 379 L’exportation des drageons d’artichaut à l’extérieur de la Bretagne ne faisait que renforcer la concurrence entre la zone légumière léonarde et les autres régions productrices d’artichauts. Ce qui rendait donc plus difficile la vente d’artichauts. 380 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes, op.cit., p. 168. 381 Ibidem, p. 170. 382 Entretien du 24 novembre 2013. 383 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes, op.cit., p. 186. 106 conditionner également les invendus pour approvisionner Paris. Les emballeurs refusent mais le Comité n’en tient pas compte et fait quand même partir quelques wagons sur Paris. Les emballeurs décident à nouveau de faire une grève générale le lundi 30 juin. La journée se révèle être particulièrement tendue. Ils appellent à la suppression du Comité de l’artichaut, à la liberté totale du marché et à l’obligation de conditionner la marchandise avant toute expédition. Ils se montrent aussi solidaires de leurs patrons : « ils défendent leur travail, mais prennent aussi en charge les objectifs des négociants, leurs patrons. Les uns et les autres se sentent menacés par le Comité de l’artichaut »384. Voilà pourquoi ils sont qualifiés de « fantassins des expéditeurs ». Le même jour, une réunion se tient à la mairie, entre les responsables du Comité de l’artichaut, les représentants des syndicats d’emballeurs et les expéditeurs. Sont également présents le conseiller général François Prigent, et le maire Henri Le Sann. Ils arrivent ensemble à plusieurs compromis : l’interdiction de détruire la marchandise, d’expédier les légumes en vrac, et l’instauration d’un prix minimal de 0,15 francs. Mais ces décisions se révèlent insuffisantes, car les emballeurs contestent la position adoptée par leur syndicat, et réclament la dissolution du Comité de l’artichaut. Henri Le Sann demande lui aussi au Comité de quitter les lieux. Au même moment, Jean-Louis Lallouët385 se fait agresser par les manifestants et les ouvriers-emballeurs bloquent la place du marché386. Les délégués des producteurs, des expéditeurs et des emballeurs sont encore une fois réunis par le préfet Andrieu en début d’après-midi. La discussion est « animée » et sans résultat. Jean-Louis Lallouët propose aux emballeurs de payer leur journée à condition qu’ils acceptent de conditionner la marchandise pour Paris. Les expéditeurs s’y opposent mais le préfet les oblige à acheter la marchandise. Les négociants quittent la réunion et de leur côté les emballeurs refusent de céder387.

On constate donc qu’en juin 1960 les positions de chaque camp se durcissent. Les producteurs commencent à se diviser : le samedi 11 juin, la première manifestation des « petits producteurs côtiers » a lieu. Ces derniers sont en désaccord avec les ordres du Comité de l’artichaut. Ils créent alors un « comité de défense des petites exploitations » avec pour président le maire socialiste de Santec, Jean-François Porcher, lui-même agriculteur exploitant.388. Une centaine de primeuristes côtiers, originaires surtout de Santec et de Plougoulm, arrive alors sur la place du marché, afin de montrer leur refus de « payer » pour la surproduction des autres, et d’affirmer leur souhait de conserver une liberté totale du

384 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes, op.cit., p. 187. 385 Au printemps 1957, cet agriculteur de Roscoff avait été élu secrétaire de la Commission d’organisation du marché et avait mené la rénovation syndicale avec Marcel Léon. Puis il devient secrétaire du Comité de l’artichaut en 1958 avant de succéder à Alexis Gourvennec à la présidence du comité. 386 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…op.cit., p. 187. 387 Ibidem, p. 188. 388 Ibidem, p. 179. 107 marché389. Finalement, dès le lundi suivant les autres producteurs leur font une concession, pour éviter d’en venir aux mains, et leur permettent donc de continuer leurs transactions comme avant.

Les producteurs favorables à l’organisation du marché vont tenter de mettre les ouvriers- emballeurs de leur côté. Le 22 juin, le Comité de l’artichaut lance dans un communiqué un appel aux emballeurs : « Ouvriers saint-politains, vous êtes indispensables à l’acheminement de la production…Ouvriers et paysans, nos intérêts sont solidaires. Seuls ceux qui nous exploitent les uns et les autres s’opposent à notre entente »390. Cet appel est accompagné de quelques arguments : les producteurs affirment que la réorganisation du marché permettra de créer de nouveaux emplois pour les ouvriers. Ils jugent aussi que les expéditeurs sont « moins indispensables » que les emballeurs. On retrouve donc ici la rivalité entre les paysans et la classe commerçante, qui semblent se mépriser mutuellement.

Pourtant, il existe bien au moins un commerçant qui trouve un certain intérêt aux actions des réorganisateurs du marché : Edouard Leclerc. Ce dernier s’active particulièrement dans la vente directe des artichauts à Paris, pour éviter qu’ils ne soient détruits391. Mais son soutien est plus ou moins bien reçu. Certains producteurs voient son action comme un coup de publicité en faveur de ses magasins (puisqu’il vend les légumes moins chers), ou comme une récupération de leurs revendications. « Edouard Leclerc à l’époque était en train de mettre en place ses fameux circuits de distribution et donc il avait voulu en 1960 ou 1961 récupérer les manifestations locales […] et négocier à un prix unique l’artichaut »392. Dans son ouvrage Fanch Elegoët se pose des questions sur cette action : « La vente de Paris serait-elle devenue une opération publicitaire récupérée par Edouard Leclerc qui l’aurait transformée en promotion pour son propre système de production ? ». Les agriculteurs qui avaient pris part à cette action décident finalement de l’annuler car ils estiment que les ventes directes leur avait fait perdre de l’argent. C’est d’ailleurs pour cela que Jean-Louis Lallouët, à qui on attribue l’idée de ces ventes directes, décide de démissionner le 4 juillet 1960393. Dans une lettre qu’il communique au journal Ouest-France, il continue cependant de défendre Edouard Leclerc qui venait ainsi de démontrer que les circuits courts de vente étaient réalisables. L’action d’Edouard Leclerc, d’abord considérée comme une forme de soutien aux agriculteurs, finit donc par être perçue comme une source de profit pour une nouvelle classe commerçante, celle

389 , Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…op.cit., p. 180. Les producteurs favorables à l’organisation du marché avaient instauré un contrôle des billets attestant la vente à un prix-plancher de 20 centimes, ce que les primeuristes côtiers refusaient. 390 Ibidem, p. 189. 391 Ouest-France, 24-25 juin 1960. 392 Henri Jacob, entretien du 24 novembre 2013. 393 Il est alors remplacé par Jean-Marie Saillour à la présidence du Comité de l’artichaut. 108 de la grande distribution qui commence alors à émerger. Toutefois la presse de l’époque estime que « l’usage du circuit court a amené le producteur à entrer en contact avec le grand public et à lui exposer ses problèmes »394. L’auteur de l’article, Paul Capitaine, ajoute que les producteurs ont ainsi montré qu’ « ils pourraient aussi donner du travail aux ouvriers- emballeurs, et donc concurrencer et menacer les expéditeurs »395.

À la fin de l’année 1960, les relations entre les différents protagonistes semblent s’améliorer. Les réunions de travail reprennent, et les expéditeurs réintègrent la Société d’études du marché de légumes du Nord Finistère, rebaptisée « Société pour la construction et la gestion du marché d’intérêt national de la zone légumière du Nord-Finistère »396. Cette société a pour but de créer une convention interprofessionnelle afin de concilier les producteurs, les expéditeurs, et les emballeurs. Mais à la mi-novembre 1960, les primeuristes côtiers fondent le « Syndicat indépendant des primeuristes du Léon », qui va ensuite se structurer progressivement et se placer du côté des expéditeurs397.

Les agriculteurs de la future Sica se trouvent donc un peu plus isolés, même s’ils bénéficient du soutien de la Chambre d’agriculture et de François Kéramoal, administrateur de l’Office central de Landerneau. « Quand la Sica s’est mise en place, on a eu l’appui des coopératives et de Landerneau en particulier […] Le père Keramoal398 était « pour » [l’organisation]. Après, il a fallu attendre quand même cinq ou six ans avant qu’ils adhèrent […] au marché […] »399. En tant que président de l’Office central de Landerneau, Hervé de Guébriant se montre lui aussi plutôt favorable à la réorganisation du marché. « Il a été très compréhensif, dès le départ, parce que ce qu’il avait cherché quand il avait mis en place la coopérative de Landerneau, c’était bien améliorer le pouvoir et le bien-être des agriculteurs. C’était son premier souci, et donc pour lui l’organisation du marché allait plutôt dans le bon sens ». Henri Jacob explique la position d’Hervé de Guébriant par le fait qu’un jour, il avait demandé aux jeunes jacistes de l’aider à organiser une fête et un concours hippique à Saint-Pol-de-Léon, et qu’il s’était donc « attaché à cette équipe ». Mais ce soutien ne suffit pas à encourager les expéditeurs à adopter la réorganisation du marché. Ils tendent en effet à retarder les décisions : lors de leur assemblée générale du 28 novembre, où on leur soumet la convention interprofessionnelle, ils décident de reporter leur avis au 5 décembre. Le projet d’une société d’économie mixte est donc mis en échec devant ce que les producteurs appellent la « politique

394 Ouest-France, 6 juillet 1960 (Fanch Elegoët) 395 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…, op.cit., p. 195. 396 Ibidem, p.197. 397 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes… op.cit., p. 199. Ils procèdent à l’élection d’un administrateur du syndicat par commune. Porcher devient le président du syndicat. 398 François Kéramoal, agriculteur et administrateur de l’Office central de Landerneau. 399 Henri Jacob, 24 novembre 2013. 109 d’usure » menée par les négociants.

Impatients, les agriculteurs réformistes décident d’organiser eux-mêmes le marché. Lors d’une réunion au Rialto à Morlaix le 29 novembre 1960, Alexis Gourvennec propose une nouvelle organisation sous la forme d’une société d’intérêt collectifs agricoles400, avec des enchères dégressives et un cadran. Les producteurs ainsi rassemblés votent pour leur retrait de la Société d’économie mixte401. En effet Alexis Gourvennec estime qu’il n’est plus possible de faire confiance aux négociants. Cela traduit, selon Fanch Elegoët, une méfiance réciproque qui existait déjà depuis fort longtemps, comme l’illustrent les propos d’Alexis Gourvennec :

« Les négociants commandaient la région depuis un siècle et nous imposaient leurs caprices d’acheteurs […]. Il est évident que ceux qui commandaient la région depuis un siècle ne voyaient pas d’un bon œil le fait de passer […] à la situation au mieux de ceux qui devaient composer, au pire de ceux qui devaient obéir »402. Commentant cette citation, Fanch Elegoët ajoute que « la modification des relations entre producteurs et négociants ne peut passer par la négociation, mais nécessite une rupture brutale […] ». Il semble donc que les producteurs soient obligés de passer « à la vitesse supérieure ». Le 1er décembre 1960, les producteurs se réunissent à Plouescat pour créer un « comité organisateur du marché aux légumes ».

Après des négociations difficiles avec la municipalité, la mise en place du nouveau marché est annoncée pour le début du mois de mars 1961403. Il est alors prévu que le contrôle de la marchandise se fasse par les agriculteurs, et que les expéditeurs abandonnent leurs dépôts qui deviendront des « ateliers de conditionnement » gérés par la Sica. On procède à l’élection des premiers administrateurs de la Sica. Le canton de Saint-Pol-de-Léon a le droit d’élire deux représentants : un pour la côte (Sébastien Jacob) et un pour l’intérieur (Jean-Marie Saillour), afin de « limiter la fracture »404 entre les deux zones. Une manière aussi peut-être de rassembler le plus possible de producteurs.

400 L’idée avait déjà été proposée en 1958, mais refusée car « impropre à un accord » par les parties concernées. On lui préféra une Société d’économie mixte. Celle-ci fut créée le 21 février 1958 lors d’une assemblée générale à Saint-Pol-de-Léon. A Saint-Pol-de-Léon, 18 maisons d’expéditions y adhèrent, et 10 y sont encore opposées en octobre 1958 (AM Saint-Pol-de-Léon, 3F2 boîte 325, article d’Ouest-France du 11 octobre 1958, « La Chambre d'agriculture du Finistère a décidé d'adhérer à la société d'économie mixte pour l'organisation du marché de légumes. L'Union des Expéditeurs émet un vote favorable »). 401 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…,op.cit., p. 206. 402 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…, op.cit., p. 207. 403 Ibidem, p. 218. 404 Ibidem, p. 219 110

b) De la fondation de la Sica à la reddition des négociants.

Le 16 janvier à Roscoff, le préfet réunit une dernière fois les producteurs et les expéditeurs de la Société d’économie mixte. Il leur propose de former une commission paritaire chargée d’étudier les problèmes qui pourraient se poser lors de la prochaine campagne de choux-fleurs. « Les expéditeurs acceptent à condition que toutes les organisations de producteurs y soient représentées […]. Du côté de la Sica, on refuse la présence des indépendants et ses délégués réclament d’être reconnus comme seuls représentants de la production ». Les adhérents de la Sica tentent d’obliger les expéditeurs à acheter « exclusivement » à la Sica. Mais les expéditeurs refusent et préfèrent conserver la liberté d’acheter à tout producteur, quelque soit son organisation. C’est sur ce point que les pourparlers entre expéditeurs et agriculteurs de la Sica vont rester bloqués.

Toutefois cela n’empêche pas la Sica de se constituer officiellement le 20 janvier 1961, lors d’une assemblée générale constitutive aux Halles de Morlaix, où 1 200 producteurs sont présents. Le préfet Andrieu suit de près la mise en place de la nouvelle organisation et tente de mettre fin aux divisions405. Il demande aux producteurs de la Sica de renouer le dialogue avec les négociants et les indépendants. Les agriculteurs acceptent de le faire avec les premiers mais pas avec les seconds, qu’ils n’hésitent pas à qualifier de « fossoyeurs de la profession ». Le préfet ne réussira pas plus à rapprocher les deux camps lors de sa réunion du 21 janvier. Les expéditeurs saint-politains sont trop attachés aux vieilles méthodes existant sur le marché, et fustigent le « cadran tentateur »406 que la Sica veut installer. Ils vont même jusqu’à le boycotter lors de l’ouverture du nouveau marché sur la place de l’Évêché le 24 mars 1961. Les responsables de la Sica avaient pourtant pris soin d’essayer de rassurer chaque groupe d’adversaires, lors d’une réunion le 21 mars, par quelques arguments : la nouvelle organisation du marché engendrerait une concurrence honnête entre les expéditeurs ; les emballeurs seraient assurés d’avoir un travail : les transactions seraient plus honnêtes envers les paysans407. En cas de boycott de la part des négociants, les producteurs de la Sica ont même demandé à ces derniers de faire charger la marchandise dans leurs wagons pour le compte de la Sica, pour ne pas « heurter » les emballeurs. Finalement les ouvriers acceptent que les agriculteurs assurent eux-mêmes pendant quelques jours l’expédition de leurs légumes408. On s’attend alors à ce que les négociants manquent de marchandises, puisque celles apportées par les agriculteurs indépendants risquent d’être insuffisantes.

405 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…, op.cit., p. 223. 406 Ibidem, p. 224, extrait de l’éditorial de Joseph Bosc dans La Journée des Fruits et Légumes, journal professionnel dédié aux expéditeurs, du 25 janvier 1961. 407 Ibidem, p. 227. 408Ibidem, p. 229. 111

Le lendemain, ce sont les emballeurs qui commencent à s’inquiéter de cette situation. On constate alors un glissement dans leur position par rapport au conflit. Le dimanche 26 mars, les responsables syndicaux des emballeurs se réunissent avec les dockers de Roscoff, à Saint- Pol-de-Léon409. Ils décident alors d’adopter une « stricte neutralité » et de se concentrer uniquement sur le maintien de leur emploi. Le lendemain, ils mettent en place une commission pour essayer d’obtenir des concessions de la part de chaque camp. Ils se mettent aussi en grève pour manifester sur la place de l’Évêché410.

La médiation a lieu le matin même au local de la CFTC de Saint-Pol-de-Léon, avec les représentants de chaque partie concernée par le conflit : les syndicalistes emballeurs411, les expéditeurs, les producteurs de la Sica et les indépendants412. Ils arrivent ensemble à un accord, dans lequel la Sica s’engage à ne pas commercialiser elle-même sa marchandise, et à supprimer l’exclusivité d’achat que contestaient les expéditeurs. En contrepartie, ces derniers et les indépendants acceptent de mettre fin aux livraisons directes. Selon Fanch Elegoët, les syndicalistes emballeurs jouent désormais le rôle d’arbitres413.

L’accord entre en vigueur le 30 mars et le marché au cadran peut donc débuter. Cependant les producteurs de la Sica redoutent la concurrence avec les paysans indépendants, et certains négociants ne respectent pas l’application de la suppression des ventes directes414. Le débat reprend en avril, et « divise même les familles »415. Il arrive même que, sur un fonds de rivalité ou de conflit familial, un paysan se tourne vers le syndicat indépendant après qu’il ait appris que son frère vendait à la Sica416. Lors d’une réunion le 10 avril organisée par le préfet et en présence de toutes les parties concernées, dans le but de créer un organisme interprofessionnel, des « propos violents » sont échangés417. Les emballeurs et les responsables de la Sica acceptent finalement la constitution d’une commission interprofessionnelle, mais ces derniers veulent conserver la clause de suppression des ventes directes dans le texte du 27 mars. Les indépendants et les expéditeurs refusent quant à eux la création de la commission et considèrent que l’accord du 27 mars n’est plus applicable en

409 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…, op.cit., p. 230. 410 La tension monte entre les dockers et les producteurs de la Sica, car ces derniers s’apprêtent à affréter un cargo à leur compte. Des coups sont échangés jusqu’à l’intervention des forces de l’ordre. Finalement les dockers acceptent de charger le cargo. 411 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…,. p.231. On retrouve parmi eux les syndicalistes de la CGT Kérivin, Corre et Quéré, ainsi que les délégués de la CFTC Cadiou, Kerbrat et un autre Quéré. 412 Ibidem, p. 231. 413 Henri Jacob affirme que les relations avec les emballeurs sont moins tendues, mais il n’est personnellement pas certain qu’ils aient pu jouer véritablement le rôle d’arbitre. En revanche leur désir de neutralité est incontestable. 414 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes, op.cit., p. 233. 415 Ibidem, p. 239. 416 Henri Jacob, entretien du 24 novembre 2013. 417 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes, op.cit. ,p. 239. 112 raison de l’exclusion de certains expéditeurs du marché par la Sica. On constate que les ouvriers-emballeurs ne se placent plus sous la coupe de leurs patrons et adoptent dorénavant une position plus neutre en se montrant favorable à une commission interprofessionnelle.

Le préfet décide de trancher avec un arrêté supprimant les ventes directes, et impose donc la création de l’organisme interprofessionnel418. Mais cet arrêté ne sera pas appliqué. Les paysans de la Sica décident donc de passer à l’action au mois de juin 1961. On assiste alors le 8 juin au fameux épisode de la prise de la préfecture, qui aboutit le 16 juin à la reconnaissance officielle de la Sica par le Ministère de l’Agriculture419. Cela va changer la donne au niveau des relations entre les agriculteurs de la Sica et les expéditeurs.

Lors de la visite à Saint-Pol-de-Léon du nouveau ministre de l’Agriculture Edgar Pisani420 le 21 octobre 1961, la Sica reçoit la signature d’une convention avec une grande partie des expéditeurs, notamment ceux des plus puissantes maisons d’expédition de Saint-Pol-de-Léon. Le nouveau préfet Eriau les avaient en effet encouragé à reprendre le contact. Les deux parties421 se rencontrent « en terrain neutre » à Paris, puis le 10 novembre à Morlaix et le 22 novembre à Quimper. Ces réunions aboutissent à des concessions de la part des négociants et des producteurs. La Sica renonce à commercialiser elle-même sa production, et les expéditeurs s’engagent à n’acheter qu’au marché organisé. Les adversaires de ces derniers, tels que Jean-Marie Saillour, ne cachent pas leur étonnement vis-à-vis de ce revirement soudain. « C’est curieux de voir comment les expéditeurs ont démissionné […] Ils auraient pu nous battre en brèche, je crois. Mais ils étaient assez désorganisés et ils avaient peur. Puis ils avaient mauvaise conscience peut-être aussi […] On était à bout de souffle quand ils ont cédé422 ». L’expéditeur Joseph Sévère explique qu’ « il fallait clarifier certaines choses, surtout les histoires de pesée. C’était cela qu’on nous jetait le plus à la figure et on avait une position difficile à défendre ». En réalité, si les négociants ont changé leur positionnement, c’est essentiellement parce que les ventes à la Sica leur sont plus avantageuses (puisque le rapport entre l’offre et la demande est meilleur), et parce que les agriculteurs du nouveau marché menaçaient de commercialiser eux-mêmes la production. D’après l’expéditeur Yves Priser, ce rapprochement entre négociants et agriculteurs de la Sica « n’était pas un mariage d’amour », mais plutôt « un mariage de raison ».

418 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes, op.cit. p. 240. 419 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…, op.cit., p. 263. 420 Il succède à Rochereau le 24 août 1961. Alexis Gourvennec profite de sa visite pour lui demander une subvention pour les nouvelles installations du marché, « l’exclusivité des interventions du FORMA (Fonds d’orientation et de régularisation des marchés agricoles) au bénéfice de la Sica », la reconnaissance de la Sica comme unique groupement de producteurs et donc l’extension de ses disciplines à tous les producteurs de la zone légumière (Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…, p. 270). 421 Précisément l’Union des expéditeurs, l’Union des coopératives et la Sica. 422 Propos recueillis par Fanch Elegoët dans Révoltes paysannes…, op.cit., p.271. 113

Les maisons d’expédition abandonnent donc les paysans indépendants, qui dorénavant se retrouvent seuls face à la Sica et aux expéditeurs.

c) Le conflit entre la Sica et la Socoprim.

La Socoprim423, syndicat des primeuristes indépendants, prend le temps de se structurer parallèlement à l’avancée des négociations entre agriculteurs et expéditeurs. Des négociations dont les primeuristes côtiers se sentent souvent exclus, comme c’est le cas pour l’accord du 27 mars 1961. Pourtant, pendant longtemps le syndicat des indépendants « a conscience d’avoir avec lui la grande masse des producteurs, la masse des ouvriers, ainsi que les courtiers et les expéditeurs »424, et ne manque pas de le montrer aux agriculteurs de la Sica, comme pour les « bluffer ». Lorsqu’ils apprennent que les négociants et la Sica sont sur le point de trouver un accord définitif, les indépendants se réunissent en assemblée extraordinaire à la mi-novembre. Les 600 adhérents critiquent la nouvelle position des expéditeurs et se déclarent prêts à agir contre la convention qui s’est mise en place entre ces derniers et la Sica. Ils mènent alors une campagne pour une pétition, et les deux « hommes forts » du Syndicat des indépendants rencontrent quelques jours plus tard les députés Pinvidic et Le Duc « pour solliciter leur intervention auprès du préfet afin qu’aucune décision relative à l’organisation des marchés ne soit prise avant le vote par le Parlement de la loi sur les groupements de producteurs »425.

Le 11 décembre 1961, entre 2 000 et 4 000 producteurs indépendants426 se rassemblent sous les Halles de Saint-Pol-de-Léon. Ceux qui prennent la parole prétendent que la Sica est « un moyen pour les gros d’écraser les petits ». Ils demandent l’instauration d’un référendum pour délivrer un avis sur l’adhésion de tous les producteurs à la Sica. Le 13 décembre, environ 1 500 paysans indépendants se regroupent une nouvelle fois place de l’Évêché pour « faire du bruit et entrer dans l’illégalité427 ». Ils redemandent au sous-préfet Séron, en vain, de reporter la convention. Après un meeting le soir-même, ils décident de s’en prendre au cadran et aux bureaux de la Sica. On observe aussi des scènes de violence à Plouescat et à Plougoulm428. Le lendemain le calme revient et le conseil d’administration de la Sica tire un bilan de ces actions. Le conseil d’administration assure que « cet incident grotesque ne fera que renforcer la cohésion de la Sica ».

Devant le conflit qui oppose cette fois surtout les primeuristes côtiers aux agriculteurs de la

423 Société de commercialisation des primeuristes. 424 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…, op.cit., p. 224. 425 Ibidem, p. 278. Cette loi prévoit notamment l’organisation d’un référendum avant l’extension des règles de discipline liées à l’organisation du marché. 426 Respectivement d’après la presse et d’après le syndicat des indépendants (Fanch Elegoët, op.cit., p. 279). 427 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…, op.cit., p. 280. 428 Ibidem, p.281. 114

Sica, les syndicalistes ouvriers vont une nouvelle fois intervenir pour essayer de concilier les deux parties. Le maire de Plouvorn, Christophe Roué, donne l’idée à Eugène Quéméner de mobiliser les maires pour « tenter de trouver un terrain d’entente429 ». Une réunion est alors organisée le 27 janvier 1962, en leur présence, entre les représentants de la Sica et ceux du syndicat indépendant. Les deux parties finissent par trouver un accord : deux producteurs indépendants pourront figurer au conseil d’administration de la Sica. Un arrangement était nécessaire pour faire face à la concurrence extérieure430. Dans un communiqué de presse, il est dit qu’ « à ce moment les dirigeants des deux organismes […] reconnurent que plus aucun différend n’existait entre eux ». En réalité le conflit ne s’arrête pas là. Les indépendants réclament 50% des sièges de la Sica. Celle-ci constate « que le désaccord ne porte plus sur le « programme de la Sica » mais « sur les hommes chargés de l’appliquer » »431. Les relations vont s’envenimer par la suite à cause d’une « nouvelle affaire » de drageons432, et surtout à cause de la surproduction du mois de juin 1962 qui engendre à nouveau une crise, surnommée « bataille de Saint-Pol »433. On procède à la destruction massive des artichauts invendus434 : des centaines de tonnes d’artichauts sont alors déversées sur la voie publique. Des altercations ont lieu entre les producteurs de la Sica et les indépendants, notamment avec Jean-Yves Guivarch qui est vivement pris à parti. Les journées du 20 et 21 juin sont particulièrement violentes.

La classe commerçante est en quelque sorte aux premières loges de cette bataille. L’Union des expéditeurs se plaint de violences commises envers les négociants. Le 21 juin les commerçants saint-politains publient un communiqué dans lequel ils expriment leur mépris envers ces violences « d’où qu’elles viennent ». Ils refusent de « prendre position dans un conflit dont ils ne connaissent pas les données et qui ne les regarde en rien ». Ils adoptent donc une attitude neutre malgré la proximité professionnelle qu’ils entretiennent avec les expéditeurs, et les avantages commerciaux que leur procurait le marché libre435. Le clivage entre la ville et la campagne semble ressurgir de nouveau, comme l’explique Fanch Elegoët : « Un fossé très large sépare la paysannerie et le commerce saint-politain, ce qui nous renvoie aux motivations des producteurs organisés et à la conscience de domination qu’ils éprouvent

429 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…, op.cit., p. 284. 430 Ibidem, p. 286. 431 Ibidem, p. 287. 432 Les indépendants brisent la convention en expédiant des drageons d’artichauts dans le Maine-et-Loire et la Sica tente de les en empêcher. 433 Parallèlement, lors d’une réunion organisée par la Sica sous les Halles, Alexis Gourvennec adresse un ultimatum aux pouvoirs publics en exigeant l’exclusivité de l’aide du FORMA et l’application immédiate des procédures d’extension à la zone légumière saint-politaine. 434 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…, op.cit., p. 290-291. 435 Par exemple, les dépenses des paysans et expéditeurs dans certains bistrots autour de la place du marché. 115 face à la ville et à toutes les composantes de la classe commerçante qui l’habite »436. Ainsi, les producteurs de la Sica ne font aucune distinction entre les professions commerçantes classiques et les patrons des maisons d’expédition. Alexis Gourvennec reproche aux indépendants de « profiter de la situation » en bradant leurs artichauts437.

Quant aux emballeurs, ils décident une nouvelle fois d’adopter une position neutre, du moins jusqu’au 22 juin. En effet ce jour-là, ils décident de se mettre en grève « pour manifester leur mécontentement à la suite des récents événements »438. Le 23 juin, 2 000 producteurs indépendants se rassemblent eux aussi sur la place du Kreisker et créent leur propre syndicat d’intérêt collectif agricole, la Socoprim. Le positionnement du syndicat d’emballeurs par rapport à celui des indépendants apparaît alors de manière assez floue, du moins pour la presse, à en voir certains articles relatant ces événements. La presse semble en effet s’être trompée en évoquant un certain rapprochement entre les deux syndicats. La CFTC locale s’empresse de corriger cela dans un communiqué439 : « le mouvement de grève de 48 heures a été décidé pour protester contre les violences dont ont été victimes des ouvriers emballeurs au cours de leur travail […] et non pour prendre position dans un conflit opposant divers groupements agricoles ». La CFTC locale en profite d’ailleurs pour exposer les justifications de sa « neutralité » dans le conflit :

« Depuis deux ans, sans prendre position dans les conflits opposant SICA, primeuristes indépendants et expéditeurs, le syndicat CFTC a défendu à travers des actions diverses, le principe du droit au travail des ouvriers emballeurs, en essayant d’obtenir des différents groupements la garantie que le conditionnement des légumes de la région saint-politaine soit assuré par les ouvriers professionnels [...]. Les ouvriers emballeurs n’ayant aucune responsabilité économique […] le rôle du syndicat des emballeurs est d’agir pour que la nécessaire organisation des marchés et de l’évolution des méthodes de commercialisation ne se fassent pas au détriment du plein emploi des ouvriers professionnels, surtout dans une région où il n’y a toujours pas de création d’emplois industriels ».

436 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…, op.cit., p. 297. 437 Le Figaro, 21 juin 1962. Les indépendants vont jusqu’à brader l’artichaut à 25 centimes le kilo alors que la Sica maintient son prix unique à 35 centimes. 438 Le Télégramme (Quimper), 23 juin 1962. La confusion s’installe au moment où les grévistes apprennent que la Sica a décidé d’acheminer la marchandise invendue vers Brest, Morlaix, St-Brieuc et Guingamp, et de la distribuer gratuitement aux ouvriers de ces villes. Certains emballeurs s’y opposent craignant que la marchandise ne soit conditionnée dans ces villes. Les représentants du syndicat des emballeurs tentent de maintenir le calme afin d’éviter toute « provocation ». Finalement un accord a lieu pour que la marchandise soit effectivement acheminée dans ces villes. 439 Le Télégramme, Morlaix 28 juin 1962, article intitulé « Mise au point du syndicat CFTC des ouvriers emballeurs de la région de Saint-Pol-de-Léon », et relatif au mouvement de grève du 22 juin. 116

Malgré la reconnaissance officielle de la Sica, les producteurs indépendants tardent à se rallier au nouveau marché organisé. Les affaires concernant l’expédition des drageons vont encore mobiliser ces hommes pendant un certain temps, notamment en 1963 et en 1965440. Le conflit ne s’arrête définitivement qu’en juin 1967, au moment où la Socoprim se décide à adopter l’accord sur l’extension des disciplines de commercialisation du chou-fleur et de l’artichaut.

3) Y-a-t-il eu une politisation du conflit ?

Nous avons rappelé précédemment que les deux groupes opposés l’un à l’autre, la Sica et la Socoprim, avaient des différences sociales importantes et qui pouvaient être plus ou moins les causes directes de ce conflit. On peut aussi observer des divergences politiques entre les deux groupes d’agriculteurs, mais il est difficile de déterminer leur lien de causalité avec la bataille pour (ou contre) l’organisation du marché, ou d’affirmer que cet affrontement est devenu politique. Les réflexions de certains historiens ou témoins divergent sur ce point.

Dans son étude sur le comportement politique des Bretons dans la seconde moitié du XXème siècle, Jean-Jacques Monnier note que « les communes de droite ont adhéré massivement au début des années 60 à la SICA de Gourvennec » et qu’en revanche « les isolats de gauche, de Sibiril, Cléder, Santec, Mespaul et autres ont rejoint la Socoprim, organe dissident, hostile au marché au cadran, et opposé à un organisme trop peu préoccupé de sauver les petits exploitants »441. En effet, si on observe les résultats des élections locales, Saint-Pol-de-Léon et Plouénan votent plutôt au centre-droit tandis que les communes côtières votent à gauche442, sauf Roscoff. Le premier président de la Socoprim est d’ailleurs le maire socialiste de Santec. C’est ainsi que Jean-Jacques Monnier fait la distinction entre paysans « rouges » et paysans « blancs »443. Les premiers ne veulent pas obéir à une « logique productiviste ». L’historien ajoute que toutefois les primeuristes côtiers bénéficiaient d’un léger avantage climatique et d’une précocité de leurs primeurs par rapport à ceux de l’intérieur, et qu’ils subissaient donc moins l’effondrement des cours. Par conséquent « le souci politique et social masquait sans doute leur refus de « payer pour les autres », c'est-à-dire de jouer le jeu de la solidarité »444.

Cependant cette idée selon laquelle il y a forcément eu une opposition politique entre les deux groupes est à nuancer. Henri Jacob, qui a vécu plus ou moins directement les événements liés

440 Le 19 juin 1965, le Ministre de l’Agriculture engage la libération du commerce de ce produit. 441 Jean-Jacques Monnier, Le comportement politique des Bretons, Rennes, PUR, 1994, p. 172. 442 Ces communes sont sans doute influencées par l’électorat de pêcheurs, qui votent souvent plus à gauche que les agriculteurs. 443 Ibidem , p. 321-325. 444 Jean-Jacques Monnier, p. 172. Il ajoute même que le déclin de la gauche dans le Léon serait en partie dû au manque de dynamisme attribué aux paysans de la Socoprim envers l’économie agricole. 117

à l’organisation du marché, ne pense pas que la logique politique ait eu un rapport avec ce conflit445. D’après lui, si certains agriculteurs refusaient l’organisation du marché, « c’était parce qu’ils avaient des relations ou certaines parentés avec des négociants », ou en raison de rivalités familiales. Selon Henri Jacob l’opposition gauche-droite ne se retrouve principalement qu’au niveau des dirigeants des deux sociétés d’intérêt collectif agricole : ceux de la Sica étaient pour la plupart d’anciens jacistes, donc plutôt de droite. Pour le reste, « cela n’a pas été trop politisé ». D’ailleurs on peut difficilement affirmer que l’affrontement entre « pro-Sica » et « anti-Sica » soit le reflet d’un conflit entre la gauche et la droite locales puisque les producteurs indépendants et les expéditeurs se soutiennent mutuellement. Or il y a plus de chance que les patrons des maisons d’expédition soient de droite ou de centre-droit : Henri Le Sann est maire MRP, l’expéditeur Jean L’Hourre est du RPF446…L’opposition entre les paysans côtiers indépendants et les expéditeurs d’une part, et les producteurs de la Sica d’autre part, est donc avant tout socio-économique.

En fait, s’il y eut quelques tentatives de politisation du conflit, elles venaient plutôt de l’extérieur. Ainsi le 23 juin 1960, les maires du canton et les délégués de la FDSEA se réunissent en présence de Tanguy Prigent et de Serge Mallet447. Pour pallier la crise de l’artichaut, ce dernier propose de créer à Morlaix « un marché géré par les producteurs eux- mêmes » ainsi qu’une coopérative ouvrière de conditionnement à Saint-Pol-de-Léon. Mais le Comité de l’artichaut refuse « les conseils des étrangers à la production » et la politisation du mouvement. De son côté le syndicat des indépendants nie lui aussi toute appartenance politique, ainsi que l’influence supposée de Tanguy Prigent. En effet, si celui-ci est en conflit avec Alexis Gourvennec448, il n’est pas profondément opposé à la création de la Sica449. La politique a sans doute eu plus d’impact dans la commune de Santec, puisque le président de la Socoprim était le maire santécois, d’étiquette socialiste.

Les mouvements pour ou contre l’organisation du marché n’ont donc pas eu de véritable coloration politique dans leur composition ou dans leurs revendications. Cependant, il est certain qu’ils ont eu un impact sur la politique locale puisque la municipalité elle-même a été directement impliquée dans la création de ce nouveau marché. Le maire et le conseil municipal de l’époque ont eu des réactions mitigées face à ces transformations.

445 Entretien du 24 novembre 2013. 446 Il menait la liste d’opposition aux élections municipales de 1953. 447 Fanch Elegoët, op.cit., p. 190. 448 Alexis Gourvennec avait fait campagne contre Tanguy Prigent aux élections de novembre 1958 (Henry Mendras, Yves Tavernier, « Les manifestations de juin 1961 », Revue française de science politique, 1962, vol. 12, n°3, p. 647-671). 449 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…,op.cit., p. 368. 118

B) Action et réactions de la municipalité face aux revendications paysannes

Dès lors que la commune de Saint-Pol-de-Léon est devenue le centre des manifestations des agriculteurs, la municipalité saint-politaine a tenu un rôle non négligeable dans l’avancée des négociations. En effet, au sein même du conseil municipal, tous les protagonistes de ce conflit sont plus ou moins représentés. Dans le conseil municipal élu en 1959, on compte neuf cultivateurs, quatre expéditeurs dont le maire, et deux commerçants. Tous les cultivateurs n’étaient pas du même bord. La plupart étaient plutôt contre la réorganisation du marché, ce qui était compréhensible au vu de leur âge déjà avancé. Mais il n’empêche que certains conseillers cultivateurs âgés se montraient favorables à la Sica. Selon Henri Jacob, le cultivateur Olivier Séité, âgé de 60 ans à l’époque, était plutôt favorable à la Sica. Paul Moal, 50 ans, servait même parfois d’intermédiaire entre le nouveau marché et le conseil municipal. Mais comme il a été dit dans les chapitres précédents, le maire Henri le Sann était fortement influencé par les expéditeurs, bien que ceux-ci soient minoritaires au sein du conseil. Henri Jacob fait part également du clivage traditionnel entre la classe commerçante « supérieure » et la classe paysanne considérée comme « inférieure » à l’époque.

1) Des réticences envers la réorganisation du marché.

La municipalité étudie plusieurs solutions destinées à améliorer la commercialisation des légumes et répondre aux crises de celle-ci. Parmi ces solutions figure la constitution d’une société d’économie mixte qui a fait longtemps débat à Saint-Pol-de-Léon. Elle est créée le 21 février 1958 lors d’une assemblée générale composée de syndicats d’exploitants agricoles, d’expéditeurs, des maires de l’arrondissement de Morlaix et des conseillers généraux450. « Elle fut alors présentée et adoptée comme contre-proposition d’une société d’intérêt collectif agricole, formule qui s’était révélée impropre à un accord ». Mais des voix lui manquaient pour officialiser sa création : « le 10 mars 1958, un nouveau vote devait confirmer cette création. Une motion préparée par M. de Guébriant affirmait alors la volonté de tous les intéressés d’aboutir à une réorganisation du marché, respectant les activités professionnelles et sociales existantes. Malheureusement, la décision du 10 mars ne fut pas suivie d’effets et de longs mois furent perdus jusqu’au jour où apparurent les textes officiels

450 AM Saint-Pol-de-Léon, article d’Ouest-France du 11 octobre 1958, « La Chambre d'agriculture du Finistère a décidé d'adhérer à la société d'économie mixte pour l'organisation du marché de légumes. L'Union des Expéditeurs émet un vote favorable ». 119 sur la réglementation des marchés agricoles et l’organisation des marchés, dits marchés d’intérêt national ». Comme il a été dit plusieurs fois précédemment, Hervé Budes de Guébriant, alors président de la Chambre d’agriculture, était sensible à l’idée de réorganiser l’économie agricole, comme il l’avait déjà fait lui-même dans les années 1920 avec l’Office central. Il décide donc de faire adhérer la Chambre d’agriculture à cette société d’économie mixte. L’Union des expéditeurs a elle-même consulté ses négociants et émis un vote majoritairement favorable : sur les 30 adhérents à l’Union, elle a reçu 28 réponses, dont 18 sont favorables à l’adhésion de l’Union des expéditeurs à la société d’économie mixte. Dix maisons d’expéditions y sont donc encore opposées. Les sept expéditeurs de l’APEX451 ont eux aussi été sollicités à voter, ainsi que les conseils municipaux de l’arrondissement dont la plupart sont favorables, tel que celui de Morlaix. En revanche, le débat semble se prolonger au conseil municipal de Saint-Pol-de-Léon :

« À Saint-Pol, le maire M. Le Sann a posé la question à la réunion du conseil qui s’est tenue jeudi soir. La discussion ayant fait apparaître des divergences et montré que la question n’était pas entendue par tous de la même façon, le conseil a donné mandat au maire de provoquer une réunion où les points de vue seront confrontés »452.

Ces divergences peuvent s’expliquer par la présence plus ou moins forte, en 1958, de l’une et l’autre des principales professions concernées par la réorganisation du marché. L’auteur de l’article explique que l’un des objectifs de cette société d’économie mixte est d’éliminer la spéculation de ce circuit de consommation, ce qui vise directement les expéditeurs et qui peut expliquer la lenteur des négociations. Mais c’est en tant que maire, et non en tant qu’expéditeur, qu’Henri Le Sann présente ici les enjeux de cette société d’économie mixte. Il adopte ainsi une position plus neutre : « avec raison, M. Le Sann n’entend pas prendre position ni au nom d’une minorité, ni même au nom d’une majorité ». Il a pris conscience de l’importance de ces enjeux pour sa commune :

« Il s’agit d’engager l’avenir de toute la cité avec ses ouvriers qui ont, ces dernières années, fourni un gros effort en construisant 500 maisons « Castors » pour leurs familles, avec ses commerces d’expédition de légumes, avec ses producteurs, ses coopératives agricoles, mais aussi avec tous les commerçants détaillants et toutes les activités qui, indirectement, participent à l’économie de la production, à la vente des légumes, recevant leur part de l’afflux de numéraire en période de prospérité et subissant la mévente en période de crise ».

451 Association des exportateurs de primeurs de Saint-Pol-de-Léon. 452 AM Saint-Pol-de-Léon, article d’Ouest-France du 11 octobre 1958, « La Chambre d'agriculture du Finistère a décidé d'adhérer à la société d'économie mixte pour l'organisation du marché de légumes. L'Union des Expéditeurs émet un vote favorable. 120

Il semble aussi que le conseil municipal souhaite élargir le débat à toutes les catégories socioprofessionnelles concernées de près ou de loin par cette question. Le maire reconnaît que la présence de certaines professions à ces réunions a été négligée et qu’il y a donc un déséquilibre dans les négociations liées à l’organisation du marché.

« C’est au nom de tous les tenants de cette économie que le maire et le conseil municipal de Saint-Pol prendront leur position définitive. Or, jusqu’à présent, plusieurs catégories n’ont pas été ou ont été insuffisamment représentées aux diverses réunions qui ont examiné le problème de l’organisation du marché des légumes : les ouvriers du négoce, des coopératives, le personnel des entreprises de transports, les courtiers et les acheteurs et les commerçants détaillants ont eux aussi intérêt au développement des activités économiques de Saint-Pol. C’est pourquoi M. Le Sann, doit réunir prochainement tous les intéressés pour connaître leur position »453.

La composition du nouveau conseil municipal en 1959 est peut-être le prolongement de cette décision, puisque Le Sann tentera d’incorporer dans sa liste des représentants de toutes ces catégories socioprofessionnelles454.

La neutralité du maire est pourtant remise en question à plusieurs reprises au cours du conflit. C’est notamment le cas lorsque les agriculteurs veulent installer sur la place du marché deux bascules pour régulariser la pesée des légumes, qui comme on le sait était souvent « truquée » par les négociants. Ainsi, le 2 juillet 1959 le Comité de l’artichaut lance une sorte d’ultimatum à l’encontre de la municipalité : dans le cas où la première bascule publique ne fonctionnerait pas dès le 6 juillet, les producteurs prévoient une grève des droits de place455. Le paiement de ces droits de place est en effet exigé par la municipalité, en plus de celui des droits de pesée. Le maire refuse. Fanch Elegoët insiste sur le fait qu’il est « l’allié des expéditeurs et ancien expéditeur lui-même ». Par conséquent il est peu probable qu’il soit totalement neutre, même dans sa position de maire. Plusieurs témoins affirment qu’Henri Le Sann « était sous la coupe des expéditeurs », ou qu’il était souvent du côté des commerçants et qu’ « il ne voulait rien entreprendre au niveau des modifications du marché agricole »456. Et ce malgré le nombre important de cultivateurs présents au conseil municipal. D’autres au contraire estiment que le maire ne s’opposait pas totalement aux agriculteurs car sinon « il

453 Finalement la commune adhère en juillet 1959 à la société d’économie mixte chargée de l’étude des futurs marchés d’intérêt national, à 19 voix contre une (cf. délibération n° 59-106, 1D34 boîte 020). 454 Cette idée peut être cependant nuancée car on sait que les syndicats agricoles n’ont pas eu de représentants dans cette liste. Les agriculteurs étaient représentés à titre personnel. Cf. p. 52 de ce mémoire, « Les élections municipales du 8 mars 1959 : le rassemblement ». 455 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…, op.cit., p. 163. 456 Émile Stéphan, Jean-Bernard Kéramoal et Henri Jacob. 121 aurait eu tous les gens de la campagne de sa liste contre lui »457, mais cette opinion est minoritaire.

Le 7 juillet, la bascule n’est toujours pas mise en service, et le maire reçoit donc les délégués des producteurs. Le Comité de l’artichaut et la municipalité se mettent au moins d’accord pour essayer de « coopérer » et d’expérimenter la pesée publique, mais sans rendre la pesée obligatoire. « Aux revendications des producteurs, le maire de St-Pol répond d’ailleurs par un projet d’organisation très flou qui prend à contre-pied les promoteurs de la Société d’économie mixte en cours de constitution »458. On voit donc que le maire cherche à faire cesser le conflit entre les négociants et les cultivateurs en optant pour quelques compromis, sans toutefois accepter la modernisation complète du marché agricole. Au printemps 1960 les relations s’enveniment entre la municipalité et les agriculteurs du Comité de l’artichaut. La crise de l’artichaut ressurgit au mois de mai, incitant les producteurs à détruire leur récolte. Les négociants bloquent la régularisation des pesées. Le maire, « à cause de la pression des expéditeurs », décide le 20 juin de faire sortir le Comité de la mairie où les représentants de ce dernier avaient établi leur siège459. Les lignes téléphoniques leur sont également coupées. La réaction du Comité, contraint de s’installer à Morlaix460, est vive. Dans un tract envoyé aux emballeurs, il exprime son mécontentement devant « l’attitude du maire de Saint-Pol, qui a clairement montré hier qu’il ne se considérait que comme le maire des expéditeurs »461.

La position du conseil municipal de Saint-Pol-de-Léon tranche avec celle des conseillers généraux et de certains maires de la zone légumière, qui se sont réunis le 30 mai 1960. Ils soutiennent les actions du Comité de l’artichaut, notamment la destruction des marchandises qu’ils jugent efficace sur les cours462. Ils décident ainsi d’interdire les apports directs sur les marchés. Le conseiller général François Prigent se montre en effet plutôt favorable à la réorganisation du marché, tout comme le député-maire de Morlaix Jean Le Duc. Le conseil général a plusieurs fois participé au financement des voyages d’études entrepris en Belgique et en Hollande par les jacistes463. Cependant plusieurs maires sont, comme Henri Le Sann, encore contre l’organisation du marché, notamment ceux de Plougoulm et de Roscoff et bien évidemment celui de Santec. Henri Jacob estime toutefois que les maires ne sont pas beaucoup intervenus dans le conflit, et qu’ils n’avaient pas pris trop position464.

457 Gérard Richard. 458 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…, op.cit., p. 163. 459 Ibidem, p. 170. 460 Place du Pouliet. 461 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…, op.cit., p. 188. 462 Ibidem, p. 176. 463 Henri Jacob, entretien du 24 novembre 2013. 464 Entretien du 24 novembre 2013. 122

2) La soumission de la municipalité aux revendications de la Sica

La crise entre la municipalité et les agriculteurs du Comité s’accentue le 25 juin 1960, au moment où le Comité réclame la démission du maire de Saint-Pol-de-Léon. Le conseil municipal refuse et préfère mettre à disposition des représentants du Comité un nouveau local à proximité du marché. Les relations entre ces deux parties semblent s’améliorer dès le mois de décembre. La question de l’installation des cadrans est remise à l’ordre du jour au moment où les adhérents de la FDSEA font prendre connaissance à la municipalité d’un projet d’organisation du marché plus complet465. On demande à ce que les municipalités des communes possédant un marché prévoient des installations permettant de regrouper et mettre en vente les marchandises. Le conseil municipal autorise le maire à négocier avec les entreprises fabricant des cadrans. La municipalité commence donc à céder aux volontés des agriculteurs de la future Sica, bien avant les expéditeurs. Malgré cela, l’attitude du maire de Saint-Pol-de-Léon envers la question de l’organisation du marché est souvent critiquée, et diffère souvent de celle des autorités publiques. Ainsi, en 1963 la sous-préfecture de Morlaix écrit au Préfet que « M. Le Sann est très déférent envers l'autorité préfectorale – à l'exception de ce qui a trait à la SICA- très respectueux de ses décisions ou demandes »466. S’il n’y a pas eu de politisation au sein même des deux groupes de paysans, la bataille pour l’organisation du marché a certainement eu un impact sur la politique locale. Cela paraît évident lorsqu’on observe la composition des conseils municipaux qui se succèdent à Saint- Pol-de-Léon. Fanch Elegoët affirme ainsi que « si la division Sica-Soco a exacerbé ou ravivé des oppositions antérieures, aux élections municipales qui vont suivre on va clairement s’opposer entre Sica et Soco. En 1965, chaque groupe aura parfois sa liste467 ». En 1959 on voit déjà des tensions apparaître lors de la formation de la liste unique d’Henri Le Sann, qui a refusé d’y intégrer les membres du syndicat agricole468. Dans son communiqué à la presse, celui-ci avait laissé entendre qu’il émettait alors « toutes réserves sur la conduite qu'il adoptera dans l'avenir ». Les relations entre les cultivateurs et la municipalité restent tendues à la suite de cette bataille pour l’organisation du marché, et ce même avec les conseils municipaux qui succèdent à celui

465 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…, op.cit. p. 214. 466 ADF Quimper, 145 W 12, Tournées cantonales de 1963, lettre du 9 janvier 1963, rubrique « Commune de Saint-Pol-de-Léon. Renseignements généraux sommaires ». En effet, après la prise de la sous-préfecture de Morlaix en 1961, l’autorité préfectorale (représentée par Monsieur Eriau) est plutôt du côté de la Sica et encourage les négociations entre les deux parties. 467 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes…, op.cit. p. 394. 468 Cf le chapitre de ce mémoire sur l’Histoire politique de Saint-Pol-de-Léon, p. 52. 123 d’Henri Le Sann469. En effet en 1965, la Socoprim n’a pas encore adhéré aux nouvelles réglementations imposées par le marché organisé. Le syndicat des indépendants continue donc de manifester ou d’exprimer ses propres revendications tout en recherchant le soutien du nouveau maire François Branellec, un commerçant. Ce dernier reçoit en novembre 1965 une lettre de la Socoprim accompagnée d’une circulaire, et qui reflète bien « l’ambiance » qui régnait alors à Saint-Pol-de-Léon470 : « Monsieur le Maire, à l'heure où le sort de la production légumière de notre région fait l'objet de mesures disciplinaires, [...] peut-être que votre attitude à l'égard de ces mesures peut [se] transformer en un véritable service à toute la population dont vous avez la charge et le souci, nous n'en doutons pas. Vous savez combien les élections municipales de mars dernier ont été déterminantes vis-à-vis des options des tenants de l'Organisation arbitraire de la profession. Elles ont été la manifestation publique de la confiance faite par vos administrés à des représentants qui ont choisi en toute objectivité de ne pas apporter leur soutien inconditionnel à un système d'organisation représenté par la SICA de Saint-Pol-de-Léon mettant en cause la prospérité de la région […]. Nous comptons sur votre objectivité après un débat respectant les options de chacun pour apporter votre soutien au respect des libertés que la démocratie exige contre tous les abus. Il ne fait aucun doute que l'exemple de telles mesures appellera votre réprobation, aussi nous nous tenons à votre disposition pour analyser [...] la répercussion des engagements futurs pour l'avenir de la région légumière [...]. Souhaitant être entendus après cinq années de réduction au silence, de tergiversations et de contradictions d'un système imposé et sans issue, nous vous prions d’agréer, etc ... ».

Il ne fait aucun doute que la Socoprim reproche au conseil municipal précédent de ne pas avoir pris en compte les revendications des indépendants, alors même que ces derniers étaient majoritaires parmi les cultivateurs du conseil municipal. En 1965, il y a à peu près autant de commerçants que de cultivateurs au conseil municipal de François Branellec, et presque tous ces cultivateurs ont plus de 50 ans et proviennent de l’ancien conseil.

469 Henri Jacob, 24 novembre 2013. 470 AM Saint-Pol-de-Léon, boîte 325, agriculture, 3F2, lettre de la Socoprim adressée au maire et datant du 16 novembre 1965. 124

3) L’impact sur le commerce et les relations entre la ville et la campagne.

Les maisons d’expédition qui n’ont pas « pris assez vite le virage » de la Sica disparaissent peu à peu, même celles qui autrefois étaient les plus performantes471. L’implantation du nouveau marché de la Sica a également un impact plus ou moins direct sur les autres commerces qui existaient à Saint-Pol-de-Léon. Le 12 janvier 1961 le conseil municipal autorise l’installation d’un marché sur un terrain de 2 000 m² situé à proximité de la Place de l’Évêché. Mais après avoir constaté l’exiguïté du terrain situé Place de l’Évêché, notamment pour le parking des véhicules agricoles, la Sica réclame un terrain plus grand472. Le 24 août 1961, le conseil municipal examine cette demande mais estime que jusqu’ici la Place de l’Évêché était suffisante, et que la création d’une autre place de marché serait onéreuse473. Après quelques temps la municipalité propose finalement un terrain aux Carmes, mais sa taille est estimée insuffisante par les représentants de la Sica. Au moment où la municipalité consent à leur accorder plus d’hectares, il est déjà trop tard : par l’intermédiaire de François Kéramoal, les représentants de la Sica ont réussi à négocier avec Hervé de Guébriant pour l’acquisition du terrain encore boisé de Kérisnel474. Les relations entre la Sica et la municipalité sont certes devenues plus cordiales, mais sur certains points l’incompréhension et les divergences entre les deux parties demeurent.

Les commerçants ont en effet tout intérêt à conserver le marché de la Sica au centre-ville. En mai 1962 le président de la commission d’expansion économique du canton de Saint-Pol-de- Léon, qui n’est autre que le commerçant Émile Stéphan, expose dans un communiqué les différents avantages de l’implantation de la Sica aux Carmes par rapport à celle envisagée à Kérisnel475. Voici ses arguments :

« Le marché aux légumes implanté aux Carmes, EVITE :

1° Le déséquilibre de la ville de Saint-Pol-de-Léon.

2° Le va et vient entre la gare et Kérisnel de tous ceux qui sont directement et

471 Henri Jacob, entretien du 24 novembre 2013. 472 En 1961, la Sica regroupe en effet 3 800 producteurs, puis 4 000 en 1962, d’après le rapport sur les marchés d’intérêt national du 22 mai 1962, présenté au nom du Conseil économique et social par Jean Paquette, AM Saint-Pol-de-Léon, boîte 325, 3F2 (Agriculture, création de la Sica, organisation). 473 AM Saint-Pol-de-Léon, registre des délibérations 1960-1965, 1D35 boîte 021, délibération du 24 août 1961, n° 61-90. Dans cette même délibération le conseil municipal demande aussi aux pouvoirs publics de préciser la date d’exécution du projet d’érection du marché de Saint-Pol-de-Léon en un marché d’intérêt national, ainsi que son lieu d’implantation, et délègue pour cela un conseiller municipal auprès du Préfet. 474 Henri Jacob ajoute toutefois que le refus de la municipalité d’agrandir le terrain des Carmes a été finalement bénéfique, puisque sinon la Sica aurait été dans une « impasse » si elle était restée trop près du centre-ville. 475 AM Saint-Pol-de-Léon, 3F2 boîte 325, communiqué du 22 août 1962 intitulé « Principales raisons qui militent en faveur de l'établissement du marché aux légumes au lieu-dit prairie des Carmes au lieu et place du lieu-dit Kérisnel en St-Pol-de-Léon (prévu actuellement) ». 125

journellement intéressés par ce marché […]

3° Le prolongement du trajet des cultivateurs qui viennent au marché avec des voitures hippomobiles qui sont en très grande majorité de Santec, Roscoff, St-Pol, Plougoulm […]

4° La création, dans un délai plus ou moins long, en bordure des voies d’accès au marché, d’une zone de construction de logements et de commerces d’où déséquilibre plus prononcé de la Ville en ce qui concerne, les écoles, les offices religieux, et tout le commerce local.

Par contre, il MAINTIENT une activité effective pour le commerce local existant en dehors des expéditions de légumes ».

Émile Stéphan explique ensuite que l’implantation de la Sica aux Carmes serait « une réalisation commune à toutes les classes de la société » car « toutes les organisations locales et officielles y participeraient dans un esprit d’entente et de réconciliation, de construction d’un avenir meilleur […] en oubliant une bonne fois pour toutes les dissensions, les inimitées, les coups de pieds distribués jusqu’ici, peut-être par moments à tort et à travers, avec une prodigalité étonnante ». On voit nettement une volonté de réconciliation de la part des commerçants qui n’ont pas été directement impliqués dans cette bataille. Tous ces arguments sont recevables, mais c’est sans doute la question de la taille du terrain qui a finalement primé. Suite à l’installation de la Sica à Kérisnel, le clivage entre la ville et la campagne va prendre un nouvel aspect. Comme le montre le communiqué rédigé par Émile Stéphan, à l’époque la prospérité du commerce du centre-ville saint-politain dépend pour beaucoup du marché agricole. L’installation de la Sica à Kérisnel, bien qu’elle présente des avantages non négligeables pour les agriculteurs, a causé « du tort à la ville »476. Pour Jacques Chapalain, la mise en place du marché organisé de la Sica a été un tournant pour la commune : « Quand il n'y a plus eu le marché de légumes sur la place, quand il n'y a plus eu les bistrots à Saint-Pol […], quand il n'y a plus eu les cinquante petites baraques à la gare [...]. Quand tous ces métiers-là, avec la transformation, la centrale d'achat, la mise en place de la Sica, les gros dépôts, quand tout ça s'est mis en place, toute l'économie traditionnelle a sombré. Il y avait des pourboires qui se donnaient dans les magasins d'expédition de légumes, il y avait une sorte d'économie souterraine qui a disparu avec la structuration du marché »477. En effet, puisque l’attente au marché était longue pour les paysans qui devaient vendre leur

476 Gérard Richard, entretien du 1er mars 2013. 477 Jacques Chapalain, entretien du 27 janvier 2013. 126 marchandise, la plupart d’entre eux allait dans les bistrots ou mangeait au centre-ville.

La réorganisation du marché a donc profondément transformé le paysage rural, mais aussi urbain, de Saint-Pol-de-Léon. Elle a également imprégné fortement la politique locale et, comme on pourra le constater par la suite, les mémoires des Saint-Politains.

C) La mémoire, ou les mémoires liée(s) à ces événements : l’exemple des manifestations de juin 1962.

Environ cinquante ans après les faits, la mémoire de ceux qui ont vécu de près ou de loin ces événements est toujours vive. La plupart des témoins de l’époque sont encore en vie. La presse départementale ou nationale a longuement couvert l’évolution de ce conflit, de 1959 à l’application des dernières lois en 1967. Les sources orales et écrites ne manquent pas. Les souvenirs ressurgissent régulièrement lors des anniversaires du marché de la Sica, lors des assemblées générales, des rétrospectives478 ou des hommages dédiés aux fondateurs aujourd’hui décédés. La presse de l’époque semble avoir particulièrement insisté sur le caractère violent des manifestations, notamment celles de juin 1962. Les journées du 20 et du 21 juin ont été particulièrement relatées. Même les déversements d’artichauts dans les rues provoquent la stupéfaction des Saint-politains et des gens de passage : « c’était un spectacle impressionnant que cette masse de camions, de bennes, de chariots, de charrettes se vidant en quelques instants de leur contenu. Ce fut un bel encombrement et les Saint-Politains n’en croyaient pas leurs yeux. Les commentaires allaient bon train, chacun donnant ses impressions en fonction de ses convictions »479. Durant la journée du 19 juin les journalistes notent quelques « petits incidents », des altercations sans grande gravité entre les agriculteurs de la Sica et ceux de la Socoprim, notamment lorsque Jean-Yves Guivarch, secrétaire général du syndicat indépendant, est « pris à partie par la foule »480 . La journée du 20 juin semble plus violente. Un article du Figaro est titré « Violent conflit entre producteurs d'artichauts. Gare bloquée, poteaux téléphoniques sciés. Bagarres dans les rues de la ville et carroussel de tracteurs. »481. Le journaliste évoque un « durcissement » de la part des paysans indépendants, et d’ « opérations de harcèlement ». Ce jour-là les agriculteurs de la Sica ont voulu empêcher les paysans indépendants de charger leurs cageots d’artichauts à la gare, et la gendarmerie a

478 Notamment l’ouvrage de Philippe Gallouédec, Les producteurs du bout du monde, éd. Copilote, 2011, 165 p., et celui d’Hélène Géli, Ferries. L’épopée d’un armement paysan 1973-2003, Brest, éditions Le Télégramme, 2003. 479 Le Télégramme, 20 juin 1962. 480 Le Télégramme, 20 juin 1962. 481 Le Figaro, 21 juin 1962, article rédigé par Jean-Pierre Cressard. 127 dû intervenir en raison d’une « bagarre à coups de cailloux » entre les deux camps. Le lendemain un marchand de légumes de Plouénan nommé Job Moal est frappé à coups de gourdin et « grièvement blessé », et de « sérieux accrochages »482 opposent les manifestants aux gendarmes. Les journalistes relatent aussi les « expéditions punitives » menées par les deux camps : les agriculteurs de la Sica décident de répondre à la destruction des semis de choux-fleurs d’un des leurs commise pendant la nuit par les paysans indépendants. Le calme revient cependant le 22 juin, jour où les ouvriers-emballeurs font grève. Ces derniers stigmatisent les actes de violence commis entre agriculteurs et, comme la population saint- politaine, regrette les destructions massives des récoltes. Certaines personnes jugent cependant que la presse a exagéré le degré de violence observée durant les conflits, notamment lors de la prise de la sous-préfecture du Morlaix. Fanch Elegoët lui-même écrit dans la préface de son ouvrage que « la presse et les médias s’emparent de l’événement et en font une énorme affaire »483.

Mais les souvenirs de violences se retrouvent dans les témoignages des personnes qui n’étaient pas directement impliquées dans le conflit, c’est-à-dire les commerçants, les gens de passage, et mêmes les enfants. Certains vont même jusqu’à dire qu’ils se seraient crus « en pleine guerre »484. Et pour cause, beaucoup se souviennent qu’une grenade lancée par un manifestant avait roulé puis explosé sous un véhicule de gendarmerie485. Les manifestants se jetaient des cailloux et des artichauts, qui frôlaient parfois les têtes des passants486. Des témoins racontent avoir entendu qu’un emballeur s’était fait presque étrangler par des agriculteurs, ou qu’un paysan s’était fait « coursé » par des ouvriers jusqu’à l’entrée d’une boutique…Mais les rumeurs se formaient vite, et dans la confusion, certains faits ont été déformés. Une ancienne collégienne de Sainte-Ursule a gardé elle aussi en mémoire « des images assez violentes »487 . Les collégiennes peinaient à rentrer chez elles à cause des bagarres dans les rues, des convois de tracteurs et des déversements d’artichauts.

Cependant cette violence est parfois minimisée, ou peut-être ramenée à ce qu’elle était réellement, notamment par les acteurs du conflit. Henri Jacob, futur administrateur de la Sica, n’a pas vécu tous les événements directement puisqu’il a passé quelques mois en Algérie. Il estime toutefois que le terme « scènes de violence » est exagéré. Il explique que « l’un des

482 La Croix, 22 juin 1962. 483 Fanch Elegoët, Révoltes paysannes en Bretagne…, op.cit., p.7. 484 Louis Prigent, originaire de Saint-Pol-de-Léon, et sa femme Clotilde étaient de passage à Saint-Pol-de-Léon en juin 1962. 485 Le Figaro du 21 juin 1962 ; Fanch Elegoët, p. 293 ; témoignages de Louis et Clotilde Prigent. 486 Louis et Clotilde Prigent racontent qu’en se rendant à la gare avec leur jeune fils d’un an dans les bras, une tête d’artichaut avait frôlé celui-ci. Le chef de gare les avait alors aidés à se réfugier précipitamment à l’intérieur de la gare. 487 Marie-Jeanne Keramoal (épouse de Jean-Bernard Kéramoal). 128 premiers soucis quand il y avait des manifestations, c’était bien de stopper [la violence] avant que ça n’aille vraiment trop loin », et qu’il n’y avait pas eu trop de « gros blessés ». Il pense que les affrontements étaient surtout verbaux, plutôt que physiques. Il rappelle aussi que parallèlement aux manifestations très tendues, des négociations avec les pouvoirs publics étaient toujours en cours (Alexis Gourvennec se rendait directement à Paris au Ministère de l’Agriculture), et qu’il y avait une demande réelle : « ce n’était pas une manifestation pour manifester ». Le clivage entre la « ville » et la « campagne » revient souvent dans les mémoires. Certains témoins parlent même d’une véritable « gué-guerre »488, à partir du moment où les commerçants ont regretté le déplacement du nouveau marché.

Les relations entre ces agriculteurs, les négociants et les emballeurs sont donc ponctuées par des compromis et des accords qui engendrent parfois un glissement des tensions entre ces différents groupes. Ces conflits ont une répercussion sur les liens entre les agriculteurs et la municipalité, puisque les conseils municipaux se caractérisent à la fois par la forte présence des agriculteurs et par celle, minoritaire mais considérée comme plus influente, de la classe commerçante. On constate aussi que le souvenir de ces événements est encore bien présent dans les esprits.

Les revendications pour la réorganisation du marché agricole ont eu un impact sur la vie locale, comme nous l’avons constaté, et cela va se répercuter sur les élections. Au même moment, la Vème République s’installe progressivement en fonction des référendums proposés par le Président Charles de Gaulle, et auxquels les Saint-politains devront eux aussi répondre.

488 Jean-Bernard Kéramoal. 129

II/ Le tournant politique de 1959

Avant même que les manifestations paysannes ne soient terminées à Saint-Pol-de- Léon, la vie politique locale en a subit plus ou moins directement les conséquences. On peut observer cela lors des élections municipales de mars 1959. D’autre part, on constate également un décalage entre les résultats des scrutins locaux et ceux des scrutins nationaux.

A) Les élections municipales du 8 mars 1959 : le rassemblement.

Pour les élections municipales du 8 mars 1959, les candidats décident de se rassembler sur une liste unique.

1) Le retour à la liste unique.

Henri Le Sann se représente, mais cette fois avec une liste portant simplement le nom de « liste d'entente et d'intérêt communal » Il n'y a pas de liste d'opposition. « À l'époque, ceux qui s'étaient occupés de la réélection de Le Sann, en 1953, avaient tellement bien fait les choses que personne n'avait osé se présenter six ans après. Et puis six ans après, la bagarre ce n'était plus la bagarre de la ville de Saint-Pol, c'était la bagarre liée à l'implantation du marché de la SICA489. Les expéditeurs de l'époque avaient mis trois des leurs sur la liste d'Henri Le Sann, pour pouvoir prendre part aux discussions. Ces trois-là sont Kerbiriou, Joseph Sévère [...] et Pierre Jacq. [...] »490. En fait, l'équipe de Le Sann décide de former une liste unique regroupant tous les corps de métier et toutes les tendances, sans doute pour mieux négocier certains problèmes à l'avenir. La municipalité sortante recherche alors trois commerçants et trois expéditeurs. « Cela avait été constitué surtout pour les commerçants, les expéditeurs, qui autrement aurait eu du mal à être élus, et qui ne se seraient pas présentés s'il y avait eu deux listes, pour ne pas subir un échec ». Les membres du RPF local ont aussi pris conscience qu' « il ne suffisait pas de bloquer les choses, il fallait aussi avoir du sang neuf ». La majorité des candidats est toujours de centre- droit, mais la liste est ouverte à d'autres tendances. En effet, Gérard Richard, coiffeur de 23 ans, est connu pour être socialiste491. Pourtant ce dernier ne devait pas apparaître initialement dans la liste. Lorsqu' Henri Le Sann se mit à la recherche de candidats, il proposa aux commerçants de s'inscrire dans sa liste. Ces derniers, après quelques hésitations, acceptèrent à

489 La SICA de Saint-Pol-de-Léon sera créée en 1961. 490 Jacques Chapalain, entretien du 27 janvier 2013. 491 Entretien avec Gérard Richard, le 1er mars 2013 à Saint-Pol-de-Léon. 130 condition de pouvoir choisir eux-mêmes leurs cinq candidats, ce qu’Henri Le Sann refusa dans un premier temps492. Il finit par accepter cette condition quelques jours plus tard. Lors d'une réunion de l’Union des commerçants organisée chez son président Eugène Tigréat, on avait d'abord désigné ce dernier ainsi qu’Émile Stéphan, secrétaire de l’Union, et François Daniélou, président du Syndicat d'initiatives. François Daniélou avait fini par se désister quelques jours plus tard, et c'est alors que les candidats étaient allés rechercher Gérard Richard pour lui demander de signer la déclaration de candidature. C'est donc en partie pour cette raison que dix nouveaux noms apparaissent par rapport à 1953. On remarque également sur la liste la présence d'Eugène Tigréat (commerçant), qui en 1953 était dans la liste d'opposition. Peu importe donc que certains candidats se soient opposés à Henri Le Sann les années passées. Les cultivateurs sont encore bien représentés, quoiqu'un peu moins que les années précédentes : ils sont neuf. Les autres professions sont assez variées mais pas autant qu'on pouvait l'espérer dans une liste qui se qualifie d' « ouverte à toutes les professions » : trois expéditeurs en plus du maire, deux comptables, un clerc de notaire, trois commerçants, un seul retraité (des Ponts-et-Chaussées), un ébéniste, un chef de travaux, un secrétaire.

Cependant un article du Télégramme, paru au même moment que l'annonce de la composition de la liste de Le Sann, traduit un certain mécontentement de la part des agriculteurs493. Après la réunion de son conseil d'administration le syndicat agricole avait envoyé au maire une lettre (revêtue de 21 signatures) retranscrite intégralement par le journaliste : « Réuni le 1er mars, le conseil d'administration du syndicat agricole représentant valable de tous les agriculteurs de la commune marque sa stupéfaction d'être la seule organisation professionnelle à n'avoir pas été appelée à proposer ses mandataires pour représenter ses intérêts au sein de la future municipalité de Saint-Pol-de-Léon. Il estime que le fait de l'avoir tenu à l'écart marque la volonté de ne considérer les cultivateurs proposés au suffrages de leurs citoyens qu'à titre personnel alors que les circonstances et la gravité des problèmes actuels nécessitaient l'engagement de l'organisation responsable de la profession. Par conséquent, une formation qui l'ignore ne peut prétendre représenter valablement l'agriculture et ne saurait prendre de décisions dont à l'heure actuelle les conséquences peuvent être incalculables pour les familles paysannes aussi bien que pour l'ensemble de la commune. Il fait donc toutes réserves sur la conduite qu'il adoptera dans l'avenir ». Les agriculteurs sont donc numériquement bien présents dans la liste, mais à titre personnel

492 Entretien du 30 mars 2013 avec Émile Stéphan, qui était à ce moment-là secrétaire de l’Union des Industriels et Commerçants de Saint-Pol-de-Léon. 493 Le Télégramme, « Après la réunion du conseil d'administration du syndicat agricole », 3 mars 1959. 131 puisqu' apparemment le syndicat agricole n'a pas de représentant. Cela peut traduire l'indifférence prêtée à Henri Le Sann en ce qui concerne les revendications des agriculteurs.

Candidat 494 Profession, décoration LE SANN Henri Maire sortant SEITE Olivier Cultivateur, AS

LE REST Louis Cultivateur AS LE BRUN Joseph Comptable AS CUEFF Louis Cultivateur CS GUEGUEN Alain Secrétaire CS GOULARD Yves Ébéniste, CS JACQ Pierre Expéditeur KERBIRIOU Yves Expéditeur LE ROUX Jean Cultivateur CS LOTRUS Paul Clerc de notaire MOAL Isidore Cultivateur MOAL Paul Cultivateur CS OLIER Hervé Cultivateur CS OLLIVIER Laurent Chef de travaux PERON René Comptable CS RICHARD Gérard Coiffeur SEVERE Joseph Expéditeur SIMON Eugène Cultivateur CS STEPHAN Émile Commerçant STEPHANY Henri Cultivateur CS TIGREAT Eugène Commerçant UGUEN Yves Retraité Ponts-et-Chaussées Tableau 7: La liste d'entente et d'intérêt communal en 1959.

2) Les résultats des élections.

L'extrait du procès-verbal des élections indique que pour cette année Saint-Pol-de- Léon compte 5591 électeurs inscrits, soit une augmentation d'une centaine d'unités. En revanche on note moins de votants : 4362 contre 4405 en 1953. On compte aussi moins de suffrages exprimés (4150 contre 4208), ce qui pourrait traduire un certain désintérêt de la

494 AM Saint-Pol-de-Léon, 1K12 -14 boîte 359. 132 population saint-politaine pour la politique. Une annexe de ce procès-verbal précise que cinquante-et-un Saint-politains ont voté par correspondance (mais trois de ces enveloppes étaient sans carte électorale). La majorité absolue est de 2076 voix. Les vingt-trois conseillers sont tous élus dès le premier tour. Henri Le Sann se retrouve cependant dans les derniers de la liste, au 18ème rang avec 3103 voix. Olivier Séité est encore en tête, avec 3604 voix. Le dernier, Gérard Richard, a 2600 voix. Tous les autres candidats ont plus de 3000 voix.

Candidats Suffrages SEITE Olivier 3604 GUEGUEN Alain 3375 LOTRUS Paul 3359 OLIER Hervé 3357 PERON René 3347 LE REST Louis 3324 STEPHANY Henri 3317 MOAL Isidore 3316 SEVERE Joseph 3316 OLLIVIER Laurent 3281 MOAL Paul 3280 SIMON Eugène 3255 GOULARD Yves 3223 LE ROUX Jean 3221 CUEFF Louis 3218 KERBIRIOU Yves 3169 TIGREAT Eugène 3130 LE SANN Henri 3103 UGUEN Yves 3103 LE BRUN Joseph 3091 JACQ Pierre 3091 STEPHAN Émile 3004 RICHARD Gérard 2600 Tableau 8: Tableau des résultats des élections municipales de 1959495.

495 AM Saint-Pol-de-Léon, 1K12 -14 boîte 359. 133

3) L'installation difficile du maire et des adjoints.

Cette année-là, l'élection du maire se passe de manière très différente. « Ce jour-là, Jopic [Joseph] Sévère a été élu maire de Saint-Pol-de-Léon. Mais il a refusé. Il n'a pas accepté les élections, absorbé par son travail »496. Gérard Richard, qui était alors secrétaire de cette séance, explique que la plupart des colistiers de Le Sann ne voulaient plus que celui-ci soit réélu maire, et qu'ils s'étaient donc tournés vers cet autre expéditeur. Sur les vingt-trois bulletins de vote, vingt-deux sont exprimés. Joseph Sévère obtient dix-neuf voix et Henri Le Sann trois voix. Joseph Sévère est proclamé maire, mais refuse immédiatement ses fonctions. « M. Joseph Sévère remercia le conseil de la confiance qui lui est témoignée aussi spectaculairement. En raison de ses occupations très absorbantes et en dépit des demandes instantes dont il fit l'objet de la part du conseil, M. Sévère devait maintenir sa décision de ne pas assumer cette tâche de premier magistrat de la commune »497. Richard Gérard explique qu'après ce refus, Joseph Sévère a lui-même demandé à Henri Le Sann de se représenter498. On procède donc à un nouveau vote : Henri Le Sann reçoit dix-sept voix, contre Joseph Sévère (deux voix), Olivier Séité, Paul Lotrus et Laurent Ollivier qui obtiennent chacun une voix. Henri Le Sann est donc finalement réélu, et déclare « accepter de continuer de prendre en main les destinées de la commune avec un même souci d'intégrité et de désintéressement »499.

L'élection du premier adjoint a elle aussi été difficile. Sur les vingt-trois votants, tous se sont exprimés et la majorité absolue est donc portée à douze voix. Alain Guéguen obtient douze voix, contre Eugène Tigréat (5), Olivier Séité (3), Paul Lotrus (2) et Laurent Ollivier (1). Alain Guéguen est proclamé premier adjoint, mais refuse immédiatement ses fonctions, également pour des raisons professionnelles, et on procède donc à une nouvelle élection. La majorité absolue est toujours portée à douze, mais aucun des candidats suivants ne l'atteint : Eugène Tigréat et Paul Lotrus reçoivent chacun neuf voix, contre Olivier Séité (3), Laurent Ollivier (1) et Joseph Lebrun (1). Au second tour de scrutin, Paul Lotrus est finalement proclamé premier adjoint avec quatorze voix, contre Eugène Tigréat (6), Olivier Séité (2) et Laurent Ollivier (1). Mais Paul Lotrus refuse à son tour ses fonctions, « pour les mêmes raisons professionnelles qui motivèrent les décisions d'abstention manifestées

496 Jacques Chapalain, 27 janvier 2013. 497 Le Télégramme du 20 mars 1959. 498 Entretien du 1er mars 2013. 499 Article du Télégramme. 134 précédemment »500. Lors de la nouvelle élection, un seul tour suffit à départager les candidats (avec une majorité absolue de douze voix) : Eugène Tigréat l'emporte avec quatorze voix, face à Olivier Séité (4), Yves Kerbiriou (2), Paul Lotrus, Joseph Lebrun et Joseph Sévère (chacun trois voix). L'élection du second adjoint se déroule normalement : sur les vingt-deux suffrages exprimés, Olivier Séité reçoit dix-neuf voix, contre Eugène Simon (1), Hervé Olier (1) et Pierre Jacq (1).

Puis, suite à la proposition du maire, le nouveau conseil municipal décide de maintenir les deux postes d'adjoints supplémentaires. Au premier tour de l'élection du troisième adjoint aucun candidat n'a la majorité absolue (qui était toujours de douze) : Alain Guéguen obtient dix voix, contre Paul Lotrus, René Péron (cinq voix chacun), Louis Le Rest, Joseph Le Brun, Yves Uguen (une voix chacun). Au deuxième tour il ne reste plus que René Péron (quinze voix), Laurent Ollivier (4), Joseph Le Brun (3) et Alain Guéguen (1). René Péron devient donc troisième adjoint. Pour le poste de quatrième adjoint, Hervé Olier l'emporte avec dix- huit voix contre Louis Le Rest (3) et Émile Stéphan (1). Les quatre nouveaux adjoints sont donc dans l'ordre : Eugène Tigréat, Olivier Séité, René Péron et Hervé Olier. Concernant les résultats nationaux, malgré leur victoire au référendum et aux élections législatives précédentes, les gaullistes ne remportent pas le succès escompté. La gauche perd 5% de ses sièges, mais on note une importante stabilité des tendances traditionnelles501.

B) Un décalage entre les scrutins nationaux et les scrutins locaux.

1) Le référendum du 8 janvier 1961 pour l'autodétermination de l'Algérie.

Le référendum du 8 janvier 1961 sur l'autodétermination de l'Algérie révèle « les débuts de l'emprise du gaullisme présidentiel sur la Bretagne »502. En effet, si la France vote « oui » à ce projet à 75,2% des suffrages, la région l'approuve encore plus fortement avec 82,9% de « oui ». Les Saint-Politains suivent largement cette tendance puisqu'ils se prononcent en faveur du projet à 91% des suffrages exprimés503. Le canton vote aussi

500 Article du Télégramme. 501 Jacques Chapsal, La Vie politique sous la Vème République, tome 1, 1958-1974, Paris, PUF, 1993 (5ème édition), p.140. 502 Jacqueline Sainclivier, La Bretagne de 1939 à nos jours, op.cit., p.245. 503 Pour 5567 inscrits, 4341 votants et 4308 suffrages exprimés. 135 majoritairement en faveur de l'autodétermination, ce qui n'est guère étonnant puisque le projet est globalement bien accueilli par les milieux de droite.

2) Les cantonales des 4 et 11 juin 1961: François Prigent se maintient.

Trois candidats se présentent dans le canton de Saint-Pol-de-Léon : François Prigent (MRP) ; Jean-Yves Guivarch, candidat du PSU (Parti Socialiste Unifié)504 et Pierre Le Meur, PCF. Le PSU est né le 3 avril 1960 à partir de l’Union de la Gauche Socialiste (UGS, qui regroupe des catholiques de gauche), de la SFIO et du Parti Socialiste Autonome (PSA). Ce petit parti (3 à 4000 membres) s'implante dans les zones de tradition catholique (Est, Ouest, Rhône-Alpes...) et dans les fiefs de la SFIO tels que les Côtes-du-Nord. Au niveau cantonal, François Prigent est élu dès le premier tour avec 56,3% des voix505. Jean- Yves Guivarch reçoit 38% des suffrages exprimés, et Pierre Le Meur 5,4%. Le candidat centriste est en tête dans toutes les communes sauf à Mespaul, Plougoulm et Santec qui votent pour Jean-Yves Guivarch. A Saint-Pol-de-Léon, pour 3695 suffrages exprimés, François Prigent obtient 56,7% des voix, devant Jean-Yves Guivarch (36,5%) et Pierre Le Meur (6,7%).

Inscrits Votants Pierre Le Meur Jean-Yves François Guivarch Prigent Total canton 15 330 10 679 581 4 035 5 966 Saint-Pol 5 528 3 739 249 1 351 2 095 Ile-de-Batz 721 345 54 24 265 Mespaul 662 572 6 287 277 Roscoff 2 530 1 577 114 481 963 Sibiril 1 084 743 39 271 429 Plougoulm 1 476 1 178 25 634 513 Santec 1 533 985 43 658 276 Plouénan 1 796 1 550 51 329 1 148 Tableau 9: Les résultats des élections cantonales de 1961 dans le canton de Saint-Pol-de- Léon.

504 Le Télégramme le place sous l'étiquette « républicain de défense des intérêts économiques ». 505 Pour 15 330 inscrits, 10 679 votants (environ 70% des inscrits), et 10 582 suffrages exprimés. 136

3) Le référendum du 28 octobre1962 sur l'élection du Président au suffrage universel direct.

Le référendum du 28 octobre 1962 concerne le projet de loi visant à faire élire le Président de la République au suffrage universel direct. La procédure choisie par le pouvoir exécutif pose problème car contrairement à ce qui est prévu à l'article 89 de la Constitution, un référendum visant à réviser celle-ci ne peut se faire qu'après une consultation du Parlement. Mais le Président affirme que les lois constitutionnelles visant à réorganiser les pouvoirs publics peuvent être soumises directement à un référendum (article 11)506 . Le Président de Gaulle décide de dissoudre l’Assemblée le 9 octobre. La campagne est donc très agitée, mais la France vote « oui » au suffrage universel direct à 62,25% des suffrages exprimés. Dans le canton de Saint-Pol-de-Léon, le « oui » obtient 9 520 voix (soit environ 80% des suffrages) contre 2 381 « non »507. Les résultats sont donc plus partagés que ceux du référendum précédent sur la nouvelle Constitution (92,8% de « oui »), mais le soutien au gaullisme est toujours fort. Il en est de même à Saint-Pol-de-Léon508 où le « oui » reçoit 83% des suffrages exprimés.

4) Les élections législatives des 18 et 25 novembre 1962 : la poussée de l'UNR.

Au élections législatives des 18 et 25 novembre 1962, les candidats sont nombreux au premier tour : 2 073 candidats pour 465 sièges, soit 4 ou 5 par siège509 Le taux d'abstention est « considérable », à plus de 31%, et traduit donc un certain désintérêt de la part des Français de choisir leurs représentants. On constate une forte poussée de l’UNR à 32% des suffrages exprimés, tandis que le MRP passe de 11,7% à moins de 9%, et la SFIO de 15,5 à moins de 13%510. Dans l'arrondissement de Morlaix, Jean Le Duc (CNI) arrive en tête au premier tour avec 8483 voix. A Saint-Pol-de-Léon511, c'est l’UNR qui obtient le plus de voix, avec son candidat Bernard Guillou (35,78%), suivi de très près par le MRP de François Prigent (35,57%). Comme en 1958, le candidat du PSU Tanguy-Prigent obtient plus de voix (11,10%) que Jean Le Duc (CNI, 9,45%), mais il recule de quelques points. Viennent ensuite Alphonse Penven (PC, 4%), Yves Le Louz (extrême droite, 2,24%) et Robert Arnault (SFIO, 1,8%). Le

506 Jacques Chapsal, La vie politique sous la Vème République, t.1, 1958-1974, op.cit., p.238-240. 507 Pour 15 332 inscrits, 12 036 votants, 11 901 suffrages exprimés. 508 Pour 5 549 inscrits, 4 352 votants, 4 308 suffrages exprimés. 509 Jacques Chapsal, La vie politique sous la Vème République, op.cit., p.249. 510 Ibidem, p.251. 511 Pour 5550 inscrits, 3 957 votants, 3 881 suffrages exprimés. 137 taux d'abstention est de 29% et se rapproche donc de la moyenne française. Au niveau du canton, où le taux d'abstention avoisine aussi les 30%, c'est le candidat MRP qui arrive en tête avec 37,5% des suffrages exprimés, et Bernard Guillou est en deuxième position avec 24,4% des voix, suivi de Tanguy-Prigent (17,3%). Le gaullisme séduit donc de plus en plus les Saint-Politains. Le pourcentage de vote en faveur de l’UNR est même supérieur à la moyenne française. Ainsi, avec la commune de Roscoff où l’UNR est également en tête512, Saint-Pol-de-Léon est l'une des communes les plus à droite du canton. Mais le parti démocrate-chrétien y a toujours une influence importante. Au deuxième tour513 où le taux d'abstention est de 26%, il ne reste plus que Le Duc et Tanguy-Prigent. Les résultats de l'ensemble de l'arrondissement se sont donc plus partagés entre la droite classique et la gauche. Les Saint-Politains se rallieront au final plus massivement au candidat indépendant (71,5% des voix) qu'au PSU (28,5%). Au niveau national, les gaullistes obtiennent la majorité absolue, avec 233 sièges. Georges Pompidou redevient Premier Ministre et forme un nouveau gouvernement composé principalement de gaullistes.

C) Un premier bilan du comportement politique des Saint-politains

Premièrement, on peut dire que le comportement politique des Saint-Politains suit généralement celui de la Bretagne. En effet, « entre 1958 et 1962, la Bretagne par rapport à la France devenait plus gaulliste ; pendant ces années-là, elle amorça une évolution de plus en plus favorable au gaullisme présidentiel »514. Il en est de même à Saint-Pol-de-Léon, surtout lorsqu'il s'agit des référendums où la population vote à plus de 80% en faveur des projets du gouvernement gaulliste. Selon Jacqueline Sainclivier, « les référendums confirment ce que montraient les élections législatives à savoir qu'en l'espace de quatre ans, la Bretagne se détacha peu à peu du centrisme au profit du général de Gaulle et dans une moindre mesure au profit du gaullisme partisan représenté ici par l' UNR ». Cependant cette dernière affirmation doit être relativisée en ce qui concerne Saint-Pol-de-Léon : aux élections législatives de 1958 aucun candidat gaulliste ne se présente, de même qu'aux cantonales de 1961. A droite on ne retrouve que des candidats du CNI et/ou du MRP, et c'est ce dernier qui l'emporte aux premiers tours. Ce n'est que pour les élections législatives de 1962 où l'on a effectivement un candidat gaulliste que l'on peut faire une réelle comparaison. Cette année-là l’UNR l'emporte

512 Avec 28,6% des suffrages exprimés. 513 5 550 inscrits, 4 152 votants, 4 045 suffrages exprimés. 514 Jacqueline Sainclivier, La Bretagne de 1939 à nos jours, op.cit, p.246. 138

à Saint-Pol-de-Léon (35,78%), mais de très peu par rapport au MRP (35,57%) une fois de plus représenté par François Prigent. C'est donc bien peu comparé aux résultats des référendums. En ce qui concerne la droite classique représentée par des candidats du CNI ou « Indépendants et Paysans », malgré un sursaut aux élections législatives de 1955 où les Saint-Politains lui donnent 38,6% de leurs voix, elle ne dépasse plus les 20%, toujours concurrencée par le centrisme. Jacqueline Sainclivier apporte en ce qui concerne la Bretagne une explication supplémentaire qui pourrait s'appliquer à la commune: « Il ne s'agit pas véritablement d'un glissement vers la droite, la personnalité du général de Gaulle, ses idées souvent dérangeantes pour la droite classique, amenaient des électeurs de la droite extrémiste à refuser de voter pour lui, tandis que des électeurs du centre [...] votaient pour lui. La droite modérée et le centre se trouvaient réunis, rassemblant ainsi les deux grandes tendances politiques de la Bretagne »515. Tout dépend aussi du candidat qui se présente pour chaque parti : le succès du MRP aux cantonales et aux législatives à Saint-Pol-de-Léon doit sans doute beaucoup à la popularité de François Prigent. La poussée de l'extrême-droite aux élections législatives de 1956 (14,6%) s'observe aussi en Bretagne : les commerçants et artisans regroupés dans l’UDCA (Union de Défense des Commerçants et Artisans) sont hostiles au système parlementaire qui selon eux est responsable de leurs difficultés (concurrence avec les grandes surfaces) et adhèrent au mouvement de Pierre Poujade. Or à cette époque, on trouve beaucoup de petits commerçants dans la commune, ce qui explique en partie la troisième position de J-M Demarquet dans les suffrages. Quant à la gauche (SFIO puis PSU), le pourcentage de ses voix augmente entre 1955 et 1961 jusqu'à atteindre 36,5%, mais il faut relativiser ce chiffre en prenant en compte le nombre peu élevé de candidats.

515 Ibidem, p.247. 139

Cantonales Législatives Législatives Législatives Cantonales Législatives 1955 1955 1956 1958 1961 1962 MRP 91,6 28,3 37,3 59,6 56,7 35,57 Gaullistes 0,8 35,78 CNI 38,6 17,4 17,9 9,45 Indépendant Paysan SFIO/ PSU 9,8 11,6 18,8 36,5 11,10 (PSU) 1,8 (SFIO) PCF 8,4 7 7,1 3,4 6,7 4 Extrême- 4,5 14,6 2,24 droite Tableau 10: Récapitulatif des suffrages exprimés (en %) par les Saint-Politains lors des élections législatives et cantonales (1955-1962).

Référendums 1958 1961 1962 Constitution Autodétermination de Suffrages universel l'Algérie direct Oui 93% 91% 80% Non 7% 9% 20% Tableau 11: Récapitulatif des suffrages exprimés par les Saint-Politains lors des référendums de 1958, 1961 et 1962.

La commune de Saint-Pol-de-Léon est donc de plus en plus séduite par le gaullisme référendaire et présidentiel, mais lorsqu'il s'agit d'élections législatives ou locales son centrisme démocrate-chrétien reste en tête de ses suffrages, sauf en 1962 où le candidat gaulliste devance de peu le MRP. Concernant la municipalité, si elle est toujours administrée par un centriste, on observe une volonté de la part de l'équipe municipale de réunir en son sein presque toutes les professions et tendances politiques et donc de donner un peu de « sang neuf » à la commune.

140

Chapitre II/ Un pas vers la modernisation

La seconde moitié des années soixante confirme la volonté, de la part des Saint- Politains, de moderniser leur commune. Elle confirme également leur attachement aux valeurs gaullistes.

I/ 1965-1968 : entre gaullisme partisan et centrisme local

Sur le plan national, cette période est traversée par des élections aux conséquences importantes sur l'évolution politique du pays et sur l'organisation des institutions : la première élection du président de la République au suffrage universel direct, et les élections législatives qui suivent les événements de mai 1968. Quelle position prennent les Saint-Politains face à ces scrutins? Leur attachement grandissant au gaullisme remet-il en question leur centrisme ?

A) Les élections municipales des 14 et 21 mars 1965: « la guerre des tranchées »

Cette élection fut une véritable « guerre de tranchées »516. Cette année-là, trois listes se présentent dans la commune. Henri Le Sann présente sa liste sous le nom de « Liste Républicaine de progrès économique », un changement par rapport aux dernières élections. Dans cette liste, on dénombre au moins quatorze nouveaux noms, dont ceux de François Branellec et de Jean Mens. La seconde liste se nomme « Liste d' Union pour la défense des intérêts communaux » et la troisième liste se nomme « Liste d' Union Démocratique ».

Liste républicaine de progrès économique Profession BRANELLEC François Commerçant COMBOT Jean Horticulteur CUEFF Louis Cultivateur GRALL Eugène Marchand de cageots KERBRAT René Cultivateur LE DUFF Jean-Louis Cultivateur LE GALL Maurice Agent SNCF LE ROUX Jean Cultivateur, ancien de la Délégation spéciale

516 Jacques Chapalain, 27 janvier 2013. 141

LE SANN Henri Maire sortant, retraité MENS Jean Chirurgien-dentiste MEUDIC Jean Docteur en médecine SEITE Olivier Cultivateur COLLOMB Alain Expéditeur MOAL Alain Cultivateur MOAL Jean Cultivateur, président de la coopérative La Bretonne. OLIER Hervé Maraîcher PERON René Employé de commerce QUIVIGER Guillaume Cultivateur RICHARD Gérard Coiffeur RIGOLOT René Droguiste RIOU Yves Comptable ROBERT Louis Commerçant STEPHANY Henri Cultivateur Tableau 12: Liste républicaine de progrès économique (1965)517.

La liste « républicaine de progrès économique » est en réalité menée par François Branellec. « François Branellec est arrivé en constatant que dans les équipes précédentes il y avait eu des dissidences »518. Il estimait que la présence d'Henri Le Sann à la tête de la commune avait été trop longue. « Il avait l'ambition de devenir maire, et a donc fait alliance avec le groupe de conseillers resté en place, ainsi qu'avec de nouvelles personnes. Il avait donc de fortes chances de remporter les élections ». La liste comporte vingt candidats, mais aucune femme.

La liste d' « Union pour la défense des intérêts communaux » est menée par Paul Favé professeur au lycée du Kreisker et frère de l'archiprêtre Vincent Favé. Paul Favé et Anne Le Duff sont connus pour être centristes519. La liste est constituée principalement par le syndicat agricole « qui avait fait élire des gens dans les quartiers », des personnes « bien vues » dans leur quartier, mais pas forcément très connues dans la commune. C'est sans doute là le résultat de la composition de la liste candidate de Le Sann en 1959. A l'époque, le syndicat agricole avait reproché au maire de ne pas inclure de membres du syndicat dans sa liste, et avait conclu qu'il allait faire « toutes réserves sur la conduite qu'il adoptera dans l'avenir ». Les syndicalistes ont donc finalement décidé de former eux-mêmes une liste. Le cultivateur

517 ADF Quimper, 1171W2 : Elections municipales 1965-1971 . La plupart des prénoms et professions de candidats m'ont été donnés par Jacques Chapalain. 518 Émile Stéphan. 519 Jacques Chapalain, 27 janvier 2013. 142

François Kéramoal, proche du comte Hervé Budes de Guébriant et qui avait participé aux négociations de terrains pour la SICA, en fait partie. Parmi les candidats, on retrouve notamment Émile Stéphan, Laurent Ollivier et Joseph Le Brun, qui appartenaient au groupe des « dissidents » de 1961. Sollicités par les membres de cette liste, ils avaient accepté d'être candidats tout en sachant qu'ils ne seraient probablement pas élus520.

Liste de Défense des Intérêts communaux Professions FAVE Paul Professeur HERROU Jean Cultivateur JACOB Sébastien Cultivateur KELBERT Gérard Employé de commerce KERAMOAL François Cultivateur KERBIRIOU Alain Cultivateur KERGUILLEC François Agent SNCF LE BRUN Joseph Comptable LE DUFF Veuve KERRIEN Anne Secrétaire LEON François Commis d'entreprise MOAL Jacques Cultivateur MOAL Robert Cultivateur MOYSAN Jean Comptable NORROY Marie-Madeleine Professeur OLLIVIER Laurent Employé de bureau PENGUILLY Joseph Cultivateur PLEIBER Léon Menuisier PRISER Jean Cultivateur QUERE Jean Contremaître RIOU Jean Directeur de société SEVERE Louis Cultivateur STEPHAN Émile Employé de commerce STEPHAN Yves Cultivateur Tableau 13: Liste de Défense des intérêts communaux (1965)521.

Quant à la liste d' « Union Démocratique », elle était menée par Henri Briant. « Henri Briant [...] avait constitué une liste en tant que chef du PCF. Directeur de l'école publique, il était communiste. Il avait pour « second » Maïstre, qui était un Corse arrivé à Saint-Pol, et qui était commissaire de police retraité. Ensuite, c'était des gens du cru. Et M. Briant s'était fait

520 Émile Stéphan, 30 mars 2013. 521 ADF Quimper, 1171W2 : Elections municipales 1965-1971 . La plupart des prénoms et professions de candidats m'ont été donnés par Jacques Chapalain. 143 une popularité parce que c'était l'année où il avait été dit que tous les agriculteurs qui n'avaient pas leur BEPA Brevet agricole n'auraient pas droit aux aides du Crédit agricole. Et pour préparer le diplôme, nous avions été amenés, les jeunes agriculteurs, à recruter quelqu'un pour assurer les cours de français et de maths »522. Ils avaient pensé à demander au directeur de l'école publique, afin de rester « neutres ». Comme ce M. Briant avaient refusé d'être payé pour cette aide, certains avaient promis de voter pour lui aux élections !

Candidats de la liste d'Union Démocratique Profession BRIANT Henri Instituteur QUERE Olivier Auxiliaire routier MAISTRE Albin Retraité RAMEAU Lucien Représentant éclairagiste PERON Paul Chauffeur livreur GUENEGOU Jean-Michel Contrôleur des PTT NENEZ Paul Tailleur LE MEUR Pierre Retraité GUILLEMIN François Instituteur Mme PLEYBER Marie-Anne Sans profession MADEC Marcel Agent de l'EDF Mme BOUER Yvonne Institutrice ANDRE Yves Retraité LE BRIS Ernest Peintre TOUX Jacques Agent SNCF LE BRAS Léon Inspecteur des PTT LE REST François Cheminot Mlle LE GUELLEC Marie Tailleuse GRALL Jean-Yves Photographe PRIGENT Maurice Agent des Installations PTT LE BORGNE 523...... ? RUAUX ...... ? Mme HERY ? Tableau 14 : Liste d’Union démocratique (1965)524.

522 Jacques Chapalain. 523 Ne disposant que des bulletins du second tour, je n'ai pas pu disposer des prénoms et professions de ces trois personnes qui ont été éliminées au premier tour. Aucun témoin n'a pu me les transmettre. 524 ADF Quimper,1171W2: Elections municipales 1965-1971 . La plupart des prénoms et professions de candidats m'ont été donnés par Jacques Chapalain. 144

Cette année-là, les Saint-Politains doivent donc choisir entre une liste plutôt de droite, une liste centriste et une liste de gauche. Chaque liste a une composition socioprofessionnelle différente.

1) La composition socioprofessionnelle des listes de 1965

CSP525 Liste Républicaine de Défense des Intérêts Union démocratique progrès économique communaux Agriculteurs - 9 cultivateurs 10 0 exploitants - 1 horticulteur - 1 maraîcher

Artisans, - 4 commerçants - 1 directeur de société - 1 peintre commerçants et chefs - 1 expéditeur - 1 menuisier - 1 photographe d'entreprise - 1 coiffeur - 2 tailleurs - 1 représentant- éclairagiste Cadres et professions - 1 chirurgien-dentiste - 2 professeurs (dont un intellectuelles - 1 comptable dans le privé) supérieures - 1 docteur en - 2 comptables médecine Professions - 1 contremaître - 3 instituteurs (dont un intermédiaires dans le public) - 1 inspecteur des PTT Employés - 1 agent SNCF - 2 employés de - 1contrôleur PTT - 1 employé de commerce - 1 agent d'installation commerce - 1 employé de bureau PTT - 1 secrétaire - 1 agent EDF - 1 agent SNCF - 1 agent SNCF - 1 commis d'entreprise Ouvriers - 1 auxiliaire-routier - 1 chauffeur-livreur - 1 cheminot Sans profession ou - 1 retraité - 3 retraités inconnue ou retraités - 1 sans profession Tableau 15: Composition socioprofessionnelle des trois listes de candidats (1965)526.

La première liste comporte un nombre assez élevé de cultivateurs, même si ceux-ci sont bien moins nombreux que les années précédentes. Les commerçants sont assez bien représentés. En revanche, elle ne comporte pas d'ouvrier, ni de profession intermédiaire. La

525 Classement inspiré de la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles des emplois salariés d'entreprise établie par l’INSEE en 2003. 526 Les professions des candidats m'ont été données par Jacques Chapalain. 145 deuxième liste comporte évidemment plus de cultivateurs puisqu'il s'agit de la liste menée par le syndicat agricole. Mais elle se compose aussi de quatre personnes issues de professions libérales ou intellectuelles, et de nombreux employés. La dernière liste se démarque par un nombre plus élevé d'ouvriers, de fonctionnaires et d'artisans, donc de professions aux revenus plus modestes.

2) Les professions de foi : entre modernité et cohésion

Nous ne disposons seulement que de la profession de foi de la liste de François Branellec et de celle de la liste de Paul Favé527. La profession de foi de la liste de François Branellec est en réalité celle qui a été rédigée entre les deux tours de scrutin. Elle doit reprendre globalement ce qui a été dit dans celle du premier tour. Le premier thème abordé est celui de l'agriculture, ce qui n'est guère étonnant au vu du nombre toujours assez élevé de représentants de la profession dans la liste. Outre le souhait d'accélérer les travaux d'extension du service d'eau, les candidats mettent l'accent sur un souci qui leur semble visiblement important : « nous souhaitons dans l'avenir une meilleure compréhension entre la ville et la campagne », dont les intérêts seraient « intimement liés quoi qu'il ait pu être fait et dit à ce jour ». Plus concrètement, la liste annonce son désir d' « élargir la Commission Agricole à tous ceux qui voudraient y participer ». Le deuxième paragraphe s'adresse aux ouvriers. En fait il est surtout question d'une « éventuelle implantation d'usine » pour laquelle un terrain a été récemment acquis (il s'agit probablement des Carmes). Les candidats souhaitent faire une publicité auprès des industriels. Ensuite vient la question du chômage. Pour lutter contre celui-ci, les candidats envisagent d'effectuer «d'importants travaux qui absorberont une main-d’œuvre considérable» et de favoriser le développement de l'artisanat. On constate donc une volonté de la part de ces candidats de développer l'industrie dans la commune tout en maintenant les activités plus traditionnelles et artisanales. Concernant l'enseignement, les membres de la liste disent attendre la décision de l’Académie pour la réalisation d'un groupe scolaire. La liste prévoit aussi la construction d'une maternité et la modernisation de l’Hospice communal pour les personnes âgées. Mais c'est dans le domaine du tourisme que la liste de Branellec souhaite visiblement le plus s'engager: « Donner à notre économie une impulsion nouvelle, une activité accrue. Attirer à St-Pol un grand nombre de visiteurs, donc d'acheteurs. Embellir notre ville et mettre en valeur ses monuments classés ». Pour ce faire, ils souhaitent mettre en place un plan d'aménagement

527 Cf. annexes. 146 de la plage et l'îlot de Sainte-Anne, un projet faisant partie d'un plan concernant toute la côte léonarde. La municipalité sortante annonce que d'importantes subventions ont été obtenues à cet effet, et que « les dossiers de St-Pol sont en bonne voie ». Puis, toujours à propos du même sujet, la profession de foi sort un temps du cadre municipal pour parler du canton : « Là aussi, pour le développement harmonieux de notre région, nous souhaitons que les 23 000 habitants du canton se disent que les querelles de clochers sont dépassées et que tous ensemble nous aurons assez à faire pour notre défense ». Encore une fois, comme en ce qui concerne l'union entre la ville et la campagne, la municipalité sortante préconise le compromis et l'harmonie dans tout le canton. Même lorsque la liste aborde le domaine des sports et de la jeunesse, elle revient sur la question de cet aménagement qu'elle nomme « complexe touristique »: « l'îlot de Sainte-Anne sera un modèle du genre. Rien ne sera oublié pour rendre les vacances agréables pour les touristes, pour nos jeunes et aussi pour ceux d'entre vous qui restent fidèles à leur station balnéaire ». Les candidats ajoutent ensuite qu'ils souhaitent « une collaboration sincère avec tous les groupements constitués » et les candidats des autres listes. À la fin de la profession de foi, la raison pour laquelle la municipalité sortante souhaite cette collaboration est abordée plus ou moins explicitement: « Nous n'avons pas l'intention de quitter nos fonctions en cours de mandat. Il ne serait pas, non plus, souhaitable pour la bonne renommée de notre ville que les réunions de votre Conseil Municipal soient à nouveau tumultueuses, ridicules et burlesques. Au contraire ce nouveau conseil qui sera le vôtre devra être sérieux, objectif, efficace. L'intérêt municipal doit l'emporter sur toutes les querelles politiques ou personnelles ». Et suite à la devise, « aussi nous pensons qu'il est indispensable d'avoir une équipe unie, solide et homogène ; conditions plus que jamais nécessaires pour mener notre tâche à bien ». Ces promesses font sans doute référence aux conflits concernant le vote du budget primitif de 1961 et la démission de plusieurs conseillers, qui se retrouvent d'ailleurs dans la seconde liste.

La liste de défense des intérêts communaux commence sa profession de foi en évoquant des « problèmes graves ». Elle estime y répondre en proposant « une équipe d'hommes jeunes, choisis dans tous les milieux professionnels de la commune [...] une équipe cohérente, soudée ». Selon Jacques Chapalain, cette liste se voulait être moderne. Etait-ce parce que les candidats proposaient de « rénover les méthodes de travail du Conseil Municipal [...] normaliser les relations de la Municipalité avec tous les organismes constitués [...] exploiter les meilleures formes de publicité pour nos richesses naturelles [...] », comme il est dit dans leur profession de foi ? Les fondateurs de la liste ont sans doute voulu choisir une « équipe d'hommes jeunes » en opposition à celles d'Henri Le Sann qui se composaient d'hommes assez âgés, à commencer par lui puisqu'il approchait des 80 ans. Ces candidats sont 147 effectivement « choisis dans tous les milieux professionnels », sauf le milieu ouvrier, mais près de la moitié d'entre eux sont des cultivateurs. D'ailleurs, le souhait de « normaliser les relations de la Municipalité avec tous les organismes constitués » renvoie sans doute au désir autrefois exprimé de mieux intégrer le syndicat agricole dans le conseil municipal. Dans le programme publié par la liste, on perçoit la volonté des agriculteurs de désenclaver les campagnes, notamment en y installant des cabines téléphoniques, des points d'eau et un service de ramassage scolaire adapté. Certaines propositions rejoignent celles de la liste de Branellec : la construction d'une zone industrielle, celle d'une maternité, un aménagement sportif, l'aménagement touristique de la baie de Pempoul, des plages et des terrains de camping. Mais il n'est pas question ici de thalassothérapie ou de « complexe » touristique. Ils ne parlent pas non plus d'hospice pour les personnes âgées. En revanche, ils souhaitent rénover certaines classes et installer un bureau d'aide social à la mairie. La profession de foi ne comporte ni de devise, ni d'allusion à des querelles politiques.

3) Les résultats

Cette année-là, deux tours ont été nécessaires pour élire les vingt-trois conseillers. Au premier tour le nombre d'électeurs inscrits est de 5487, soit une centaine de moins qu'en 1959, celui des votants est de 4290 (ce qui correspond à un taux d'abstention de 22%) et celui des suffrages exprimés est de 4132. Seulement trois candidats ont été élus au premier tour, tous issus de la liste d'Henri Le Sann, ce qui d'ailleurs « avait fait sensation »528 : Jean Meudic (2249 voix), René Péron (employé de commerce, 2151), et Jean Combot (horticulteur, 2101). Richard Gérard, socialiste, qui était pourtant dernier de la liste en 1959, arrive cette fois-ci à la sixième place. Il doit peut-être cela à sa popularité et au fait qu'il est très actif dans la commune depuis quelques années : il s'occupe du Comité des Fêtes, fait partie de la fanfare la Saint-Politaine, et en tant que coiffeur il a sûrement beaucoup de contacts. Ensuite, les suffrages vont à la liste d’Union pour la défense, avec en tête la veuve Kerrien (1763 voix) ; puis à la liste d’Union démocratique (Briant est en tête avec 1263 voix) Le Sann obtient au premier tour 1801 voix. La tête de la liste d’Union pour la défense n'est donc pas loin en termes de suffrages. Les voix des Saint-Politains semblent être très partagées entre ces deux listes.

528 Jacques Chapalain, le 27 janvier 2013. 148

Liste républicaine de progrès Suffrages économique MEUDIC Jean 2 249, élu PERON René 2151, élu COMBOT Jean 2101, élu MENS Jean 1930 SEITE Olivier 1831 RICHARD Gérard 1805 LE SANN Henri 1801 OLIER Hervé 1801 RIOU Yves 1757 ROBERT Louis 1722 RIGOLOT René 1716 LE GALL Maurice 1701 LE DUFF Jean-Louis 1698 MOAL Alain 1689 STEPHANY Henri 1664 QUIVIGER Guillaume 1663 COLLOMB Alain 1658 BRANELLEC François 1633 LE ROUX Jean 1601 GRALL Eugène 1549 CUEFF Louis 1524 KERBRAT René 1517 MOAL Jean 1513 Tableau 16: Résultats de la liste républicaine de progrès économique au premier tour des élections municipales de 1965529.

529 ADF Quimper, 1171W2 : Elections municipales 1965-1971 . La plupart des prénoms et professions de candidats m'ont été donnés par Jacques Chapalain. 149

Liste d'Union pour la défense des intérêts Suffrages communaux Mme Le Duff veuve Kerrien Anne 1763 FAVE Paul 1670 SEVERE Louis 1639 QUERE Jean 1593 KERGUILLEC François 1516 KELBERT Gérard 1514 RIOU Jean 1513 PLEIBER Léon 1481 STEPHAN Émile 1428 LE BRUN Joseph 1414 Mlle NORROY Marie-Madeleine 1389 PRISER Jean 1388 KERAMOAL François 1386 KERBIRIOU Alain 1368 MOYSAN Jean 1331 LEON François 1310 HERROU Jean 1232 MOAL Robert 1232 JACOB Sébastien 1231 OLLIVIER Laurent 1217 STEPHAN Yves 1207 MOAL Jacques 1196 PENGUILLY Joseph 1167 Tableau 17: Résultats de la liste d'Union pour la défense des intérêts communaux. au premier tour des élections municipales de 1965530.

530 ADF Quimper, 1171W2: Elections municipales 1965-1971 . La plupart des prénoms et professions de candidats m'ont été donnés par Jacques Chapalain. 150

Liste d'Union démocratique suffrages BRIANT Henri 1263 MAISTRE Albin 986 QUERE Olivier 831 PERON Paul 808 LE BRAS Léon 803 Mme BOUER Yvonne 801 GUILLEMIN François 799 TOUX Jacques 769 GUENEGOU Jean-Michel 764 PRIGENT Maurice 761 MADEC Marcel 758 Mlle LE GUELLEC Marie 737 ANDRE Yves 715 RAMEAU Lucien 715 NENEZ Paul 707 LE REST François 704 LE BRIS Ernest 690 Mme PLEYBER Marie-Anne 689 LE MEUR Pierre 686 GRALL Jean-Yves 672 LE BORGNE...... 671 RUAUX...... 668 Mme HERY...... 663 Tableau 18: Résultats de la liste d' Union démocratique au premier tour des élections municipales de 1965531.

Le deuxième tour a lieu le 21 mars. Pour 5488 électeurs inscrits, 4264 ont voté (23 % d'abstention) et 4084 se sont exprimés. Il apparaît au comptage des résultats que les voix données au premier tour à la liste d'Henri Briant se sont ensuite partagées quasiment en deux au deuxième tour pour être attribuées aux deux listes qui restaient. Henri Le Sann remonte à la neuvième place (1896 voix). Finalement, deux élus seulement font partie d'une autre liste que celle du maire sortant : Anne Le Duff (2016 voix), avec un peu plus de voix que le Le Sann, et Paul Favé, (1783 voix), tous deux issus de la liste d’Union locale pour les intérêts communaux. En ce qui concerne leur profession on compte sept cultivateurs, un maraîcher, un horticulteur; un employé de commerce, un droguiste, un coiffeur, deux commerçants, un

531 ADF Quimper, 1171W2: Elections municipales 1965-1971. La plupart des prénoms et professions de candidats m'ont été donnés par Jacques Chapalain. 151 représentant, un expéditeur ; un docteur en médecine, un dentiste ; une secrétaire, un comptable, un professeur (dans le privé), un facteur chef SNCF. Les professions sont donc assez variées, mais on ne compte ni ouvrier ni artisan. Et on compte cette fois une femme, Anne Le Duff.

Suffrages Nom/prénom Titre/ décoration Profession 2249 MEUDIC Jean Docteur en médecine 2151 PERON René Employé de commerce 2101 COMBOT Jean Horticulteur 2067 MENS Jean Dentiste 2016 LE DUFF veuve Secrétaire KERRIEN Anne 1996 OLIER Hervé Maraîcher 1941 SEITE Olivier Cultivateur 1915 RICHARD Gérard Coiffeur 1896 LE SANN Henri Maire sortant 1884 RIGOLOT René Droguiste 1882 RIOU Yves Croix de Guerre 39-45 + Croix du Comptable combattant 1936 LE GALL Maurice Facteur chef SNCF 1818 LE DUFF Jean-Louis Cultivateur 1806 ROBERT Louis Médaille d'honneur de la Jeunesse Commerçant et des sports + médaille de FF de basket 1801 QUIVIGER Guillaume Cultivateur 1788 MOAL Alain Cultivateur 1783 FAVE Paul Professeur 1778 COLLOMB Alain Expéditeur 1763 STEPHANY Henri Cultivateur 1700 LE ROUX Jean Cultivateur 1667 BRANELLEC François Commerçant 1658 GRALL Eugène Médaille de la Résistance Représentant 1633 CUEFF Louis Cultivateur Tableau 19: Résultats du second tour des élections municipales de 1965532.

532 ADF Quimper, 1171W2 : Elections municipales 1965-1971. 152

L'installation du conseil municipal a lieu le 26 mars 1965. Henri Le Sann, alors âgé de 77 ans, préside la séance pour l'installation et pour l'élection du maire puisqu'il est le plus âgé. Il se représente pour l'élection du maire contre François Branellec (58 ans), mais c'est celui-ci qui est élu avec dix-sept voix sur les dix-neuf exprimées. François Branellec n'était que vingt- et-unième dans la liste des élus. Cependant Henri Le Sann obtient tout de même largement le poste de premier adjoint, contre René Péron (employé de commerce) et Jean Mens (dentiste). Le second poste (et dernier poste d'adjoint cette fois-ci) est obtenu par René Péron (17 voix) contre Olivier Séité, Jean Mens, Jean Combot et Eugène Grall. En réalité, avant même que les élections municipales ne soient commencées François Branellec avait promis à Henri Le Sann le poste de premier adjoint. Henri Le Sann avait en effet souhaité, malgré son grand âge, rester à la tête de la municipalité, ce qui n'était pas de l'avis de la plupart des autres candidats. François Branellec lui avait donc promis cette fonction afin de le maintenir de son côté, car il est probable que dans le cas contraire Henri Le Sann se serait porté candidat à la tête d'une autre liste533. Si à Saint-Pol-de-Léon on assiste à une transition entre le centriste Henri Le Sann et le républicain indépendant François Branellec 534, en France les élections ont été globalement favorables aux municipalités sortantes et aux centristes535et on observe donc une importante stabilité.

533 Émile Stéphan, 30 mars 2013. 534 ADF Quimper 1171W2: Elections municipales 1965-1971, liste nominative des maires du canton de 1965. 535 Ouest-France, édition de Brest, 15 et 22 mars 1965. 153

B) Les Saint-Politains et le gaullisme partisan

Durant la deuxième moitié des années soixante, le comportement politique des Saint- Politains lors des élections législatives évolue. On assiste à ce que les historiens appellent le « gaullisme partisan », à distinguer du « gaullisme référendaire ou présidentiel » qui traduit l'attachement des Français à la personnalité du Général de Gaulle.

1) L'attachement au gaullisme se confirme. a) Les élections présidentielles des 5 et 19 décembre 1965.

Les citoyens et les formations politiques doivent s'adapter au nouveau système du suffrage universel direct pour l'élection du Président de la République en décembre 1965. Les candidats sont les suivants : Charles de Gaulle (UNR-UDT536), Jean Lecanuet537 (MRP), François Mitterrand (CIR538), Pierre Marcilhacy539 (centre-droit, Parti Libéral Européen), Jean-Louis Tixier-Vignancour (extrême-droite) et Marcel Barbu540 (hors parti). Les trois premiers « font le poids », mais, mis à part Charles de Gaulle, peu de candidats sont connus du grand public541. François Mitterrand constitue le principal « challenger » et réussit à rallier tous les leaders de la gauche. Jean Lecanuet n'était pas très connu jusque-là, mais sa jeunesse (il a seulement 45 ans) et ses convictions centristes lui font atteindre environ 20% d'intentions de vote dans les sondages. Au premier tour, au niveau national, Charles de Gaulle obtient 44,65% des suffrages exprimés, suivi de François Mitterrand (gauche, 31,72%), Jean Lecanuet (15,57%), Jean- Louis Tixier-Vignancour (5,2%), Pierre Marcilhacy (1,71%) et Marcel Barbu (1,15%). Le taux d'abstention est de 15,25%. Dans le canton de Saint-Pol-de-Léon542 où le taux d'abstention est de 16,3%, De Gaulle obtient 54,6% des voix et arrive ainsi en tête, devant François Mitterrand (gauche 20,8%), Jean Lecanuet (19,2%), Jean-Louis Tixier-Vignancour (extrême-droite, 2,1%), Pierre Marcilhacy (Parti Libéral Européen 1,3%) et Marcel Barbu

536 L’Union pour la Nouvelle République et l’Union Démocratique du Travail (gaullistes de gauche) ont fusionné après les élections législatives de 1962. 537 Sénateur élu en 1959. 538 Convention des institutions républicaines. 539 Sénateur élu en 1959 et en 1962. 540 Ancien membre de l’Assemblée constituante en 1946. 541 Jacques Chapsal, La vie politique sous la Vème République, t.1, 1958-1974, op.cit, p.294. 542 Pour 14 801 inscrits, 12 401 votants et 12 332 suffrages exprimés. 154

(divers 0,9%). À Saint-Pol-de-Léon, le taux d'abstention est de 17% 543 De Gaulle est en tête avec 62,4% des voix suivi de Lecanuet avec 17,24% des voix. Ce dernier obtient une centaine de voix de plus que Mitterrand (15,05%), ce qui montre bien que Saint-Pol-de-Léon est une commune plus centriste que l'ensemble du canton. Viennent ensuite Tixier-Vignancour (2,65%) Marcilhacy (1,4%) et Barbu (1,10%). Les Saint-Politains ont donc délaissé le centre et préféré voter en faveur du gaullisme. Au deuxième tour, les Français doivent choisir entre de Gaulle et Mitterrand. Le président sortant est réélu avec 55,20% des suffrages exprimés. Dans le canton544, de Gaulle l'emporte largement sur le candidat socialiste avec 70% des voix, de même qu'à Saint-Pol-de-Léon545 où il atteint 78,15% des voix. Il est probable qu'une bonne partie des voix obtenues par Lecanuet, Tixier-Vignancour, Marcilhacy et Barbu soient allées à de Gaulle. b) Les élections législatives des 5 et 12 mars 1967.

« On attend des élections calmes et des résultats confirmant la stabilité. L'élection présidentielle de 1965 semble avoir réglé le problème de la majorité, aucun événement bouleversant n'est intervenu, et l'opinion publique paraît en retrait par rapport aux préoccupations des partis »546. D'après François Goguel547, « c'est un pays en pleine prospérité, en même temps qu'un pays en paix, qui est appelé aux urnes après une longue période de stabilité gouvernementale ». Toutefois la campagne prend en compte quelques problèmes économiques tels que la situation de l'emploi et l'aménagement du territoire, et les partis de l'opposition continuent de remettre en cause les institutions de la Vème République. On retrouve une moyenne de cinq candidats par circonscription, mais comparé aux élections législatives de 1962, leur appartenance politique est plus clarifiée548. Au niveau national le taux de participation est élevé puisqu'il dépasse les 80%, un taux bien supérieur à celui des élections de 1962. En métropole au premier tour de scrutin, 62 élus sur 72 sont issus de la majorité. L’Union de la Vème République gagne plus de 30% des suffrages exprimés, la FGDS près de 19%,

543 Pour 5 433 inscrits, 4 546 votants, 4 522 suffrages exprimés. 544 Pour 14 816 inscrits, 12 345 votants, 12 113 suffrages exprimés. 545 Pour 5 448 inscrits, 4 512 votants, 4 423 suffrages exprimés. 546 Jacques Chapsal, La Vie politique..., op.cit., p.315-316. 547 In « Les élections législatives de mars 1967 » Cahier de la FNSP, n°170, p.320. 548 Jacques Chapsal, La Vie politique..., op.cit., p.317. 155

Au premier tour le canton de Saint-Pol-de-Léon549 vote d'abord pour le candidat « Vème République » Pierre Lelong550 qui gagne environ 49% des suffrages exprimés, puis pour Roger Prat, du PSU (22,69%), André Colin (Centre Démocrate, 21 %) et Alphonse Penven, candidat du PCF (7,3%). Les Saint-Politains551 votent aussi majoritairement pour Pierre Lelong (56,10%), puis André Colin (20,56%), Roger Prat (16,39%) et Alphonse Penven552 (7%). Le centrisme a donc beaucoup reculé dans la commune comme dans le canton, au profit des gaullistes. La commune vote quand même plus à droite que l'ensemble du canton puisque Pierre Lelong y obtient plus de voix, et la FGDS n'est qu'en troisième position et non pas deuxième comme dans le canton.

Elections législatives de mars 1967 60 55 50 45 40 35 30 25

20 Résultats en % en Résultats 15 10 5 0 PCF FGDS Centre dém. Vème Rép. Partis politiques

Figure 4: Répartition des scrutins saint-politains au premier tour des législatives de 1967.

Au second tour, seul deux candidats restent : Pierre Lelong et Roger Prat, qui sera élu. Dans le canton, Pierre Lelong obtient 64,8% des voix. À Saint-Pol-de-Léon553, Pierre Lelong l'emporte largement avec 72,2 % des voix. Il est probable qu’environ 15 ou 16% des voix du centriste André Colin soient allées au candidat gaulliste, et qu'une autre partie se soit ajoutée à celles d’Alphonse Penven pour constituer le résultat de Roger Prat au second tour. Au niveau national, où la majorité sortante a obtenu 247 sièges et l'opposition 240, on a constaté que beaucoup de voix centristes ont été transférées en faveur de la gauche, sans doute comme une sorte d'avertissement à la majorité sortante de la part des centristes opposés au gaullisme.

549 Pour 13 752 inscrits, 12 215 votants et 12 048 suffrages exprimés. 550 Membre du cabinet de Georges Pompidou dès 1962. 551 Pour 5440 inscrits, 4462 votants, 4392 suffrages exprimés. 552 Député PCF du Finistère de 1956 à 1958. 553 Pour 5440 inscrits, 4448 votants et 4353 suffrages exprimés. 156

Sans les départements d’outre-mer, le PCF, la Fédération de gauche et le Centre PDM (Progrès et démocratie moderne) auraient eu ensemble la majorité des sièges554. Mais dans la commune la plupart des voix centristes se sont ralliées au gaullisme, ce qui montre que les Saint-Politains sont bien attachés à la majorité gouvernementale et qu'ils ne prennent pas le risque de faire gagner un candidat de gauche.

2) L'après mai 68

La crise étudiante de mai 1968 laisse place en quelques jours à une crise sociale, qui engendre progressivement une crise politique importante dans le pays. Le pouvoir en place tarde à réagir devant les revendications des manifestants. Le 22 mai la motion de censure demandée par la gauche au Parlement n'est pas votée. François Mitterrand annonce qu'il est prêt à former un gouvernement provisoire et à se présenter à des élections présidentielles, en vain. De retour de Baden-Baden555, le Président dissout l’Assemblée le 30 mai, mais décide de maintenir Georges Pompidou comme Premier Ministre pour qu'il remanie le gouvernement (31 mai). La dissolution des mouvements gauchistes est décrétée le 12 juin, et deux jours après la Sorbonne est « libérée ». La campagne pour les élections législatives prévues les 23 et 30 juin commence, sans que les conflits sociaux ne soient totalement terminés. a) Les élections législatives des 23 et 30 juin 1968

Malgré un taux d'abstention assez élevé (20% au premier tour) pour une consultation dont l'enjeu était aussi important, ces élections vont constituer un « véritable triomphe pour le pouvoir »556. On assiste en effet à un raz-de-marée à droite dès le premier tour, en faveur de l’UDR (Union pour la Défense de la République), nouveau sigle de la majorité. L'UDR, les Républicains indépendants et les gaullistes dissidents obtiennent ensemble 46% des suffrages exprimés au premier tour ; la FGDS 16,50% ; le PCF 20% et le Centre Progrès et Démocratie Moderne (PDM) 10,34%557. Au premier tour, dans l'arrondissement de Morlaix, le candidat UDR Pierre Lelong est en tête avec 21 002 voix, suivi de Roger Prat (PSU), Alphonse Penven (PCF) et Eugène Bérest

554 François Goguel, « Les élections législatives des 23 et 30 juin 1968 », in Revue française de science politique, 1968, vol.18, n°5, p. 840. 555 Le 29 mai Charles de Gaulle, démoralisé, avait quitté l’Elysée sans prévenir, pour venir passer quelques jours à Baden-Baden en Allemagne. 556 Jacques Chapsal, La Vie politique..., op.cit, p.359. 557 François Goguel, « Les élections législatives des 23 et 30 juin 1968 », in Revue française des sciences politiques, 1968, vol.18, n°5, p.840. 157

(PDM). Dans le canton de Saint-Pol-de-Léon558, Pierre Lelong est également en tête avec 58,8% des voix, suivi de Roger Prat (22%), Eugène Bérest (14,3%) et Alphonse Penven (4,7%). Mais à Saint-Pol-de-Léon559 cet ordre est un peu modifié : Pierre Lelong est toujours premier avec 63% des voix, mais c'est Eugène Bérest qui le seconde (16,5%), suivi de près par Roger Prat (15,8%) et Alphonse Penven (4,3%).

Elections législatives de juin 1968 65 60 55 50 45 40 35 30 25 20

15 Résultats en pourcentage 10 5 0 PCF PSU PDM UDR Partis politiques

Figure 5: Répartition des scrutins saint-politains au premier tour des législatives de 1968.

Pierre Lelong est élu au deuxième tour, comme tous les candidats UDR du Finistère. Saint-Pol-de-Léon560 donne au candidat de l’UDR 75,5% des voix contre 24,5% pour Roger Prat. Le canton561 se prononce aussi en faveur de Pierre Lelong, mais avec un pourcentage de voix moins élevé (68,7%). Santec est la seule commune à voter pour Roger Prat. Au niveau national il semble que, contrairement à 1967, un bon nombre d'électeurs de gauche ait voté en faveur des gaullistes562. La majorité sortante obtient finalement 41,2% des suffrages exprimés ; les communistes environ 22% ; la Fédération de gauche 18% ; le Centre PDM 10,8%. Les centristes et la gauche subissent donc un échec.

558 Pour 14 557 inscrits, 12 420 votants et 12 337 suffrages exprimés. 559 Pour 5 404 inscrits, 4460 votants et 4425 suffrages exprimés. 560 Pour 5 403 inscrits, 4 485 votants et 4 416 suffrages exprimés. 561 Pour 14 547 inscrits, 12 385 votants, 12 227 suffrages exprimés. 562 François Goguel, « Les élections législatives des 23 et 30 juin 1968 » op.cit., p.841. 158

C) Un vote centriste aux élections cantonales

Les élections cantonales du 24 septembre et du 1er octobre 1967 permettent de mesurer l'évolution d'une partie de l'électorat quelques mois après les dernières élections législatives. Mais au lendemain du premier tour des élections cantonales de septembre 1967, on constate que la campagne s'est faite sans passion : au niveau national le taux d'abstention est de 45%, à peu près égal à celui des élections cantonales de 1964. Les candidats du canton de Saint-Pol-de-Léon sont François Prigent, conseiller sortant ; Pierre Lelong, député « Vème République »; Jean-François Muzellec, adjoint au maire de Santec ; et Andrée Maot, candidate du Parti Communiste. François Prigent est réélu dès le premier tour avec 50,8% des voix, devant Pierre Lelong (25,8%), Jean-François Muzellec (17,7%) et Andrée Maot (5,5%). Le conseiller sortant est en tête dans toutes les communes du canton, sauf à Santec où l'on a voté pour l'adjoint au maire. À Saint-Pol-de-Léon563 où le taux d'abstention atteint 31,6%, François Prigent l'emporte avec 50,1% des suffrages, devant Pierre Lelong (32,2% donc un score plus élevé que dans le canton), Jean-François Muzellec (12,3%) et Andrée Maot (5,4%). Alors même que les Saint-Politains avaient voté massivement en faveur du gaulliste Pierre Lelong aux élections législatives, celui-ci se fait largement devancer par le candidat centriste aux élections locales. Serait-ce dû à la grande popularité de François Prigent, maire de Plouénan depuis 1945 et conseiller général depuis 1949 ? En effet lorsque le candidat centriste, qui était minotier-boulanger de profession, était venu à l’Ile-de-Batz et à Santec pour animer des réunions cantonales, « des gens lui rappelaient que pendant la guerre, ils avaient eu des sacs de farine venant de son moulin »564 Cela avait beau être « de l'histoire ancienne », ces personnes n'oubliaient pas les services qu'il leur avait rendu des années auparavant. De plus, il était perçu comme étant un homme « besogneux », qui accomplissait son travail scrupuleusement tous les jours. Donc, plus que son appartenance politique, c'est peut-être cette popularité qui lui a permis de rencontrer autant de succès aux élections pendant près de vingt ans. Quoiqu'il en soit, le centrisme démocrate-chrétien est encore bien présent dans le secteur de Saint-Pol-de-Léon.

563 Pour 5 383 inscrits, 3 684 votants, 3 652 suffrages exprimés. 564 D'après Jacques Chapalain, qui avait accompagné François Prigent dans sa campagne électorale. 159

II/ Modernisation des structures sociales et économiques

La période 1965-1968 est aussi celle des changements au niveau des structures sociales et économiques de la commune.

A) Décrochage démographique et évolution des catégories socioprofessionnelles à Saint-Pol-de-Léon

Entre 1962 et 1975, on observe à Saint-Pol-de-Léon un décrochage démographique par rapport à la période 1954-1962 où la population avait augmenté.

1) Une population qui diminue malgré l’évolution des flux migratoires

En Bretagne, le taux d’accroissement naturel est le plus faible de France565. Cela peut être attribué au déclin des zones rurales et au vieillissement des campagnes. La commune de Saint-Pol-de-Léon n’est pas étrangère à ce phénomène : elle n’atteint plus les 8 903 habitants qui la composaient en 1946. Les recensements de 1968 et 1975 confirment ce « tassement » de la population566 : en 1962, la population totale municipale est de 8 340 habitants ; en 1968 et 1975, elle est de 8 044 habitants.

1962 1968 1975 PA567 PE PTM PA PE PTM PA PE PTM 6 271 2069568 8 340 6 194 1 850 8 044 6 571 1 473 8 044

Tableau 20 : Répartition de la population municipale en 1962, 1968 et 1975569.

565 Jacqueline Sainclivier, La Bretagne de 1939 à nos jours, op.cit., p. 167. Selon Jacqueline Sainclivier, malgré un taux de nuptialité constant et légèrement supérieur à celui de la France, la Bretagne n’est plus le « réservoir démographique » du pays car son taux de natalité tend à s’aligner sur celui de la France. Il en est de même pour le taux de mortalité infantile, dont la baisse est due à l’amélioration de l’hygiène. En revanche, bien que le taux de mortalité en Bretagne ait baissé depuis 1954, il reste supérieur à celui de la France, malgré un taux de personnes âgées identique. Ce surplus de décès serait dû en partie à l’alcoolisme… 566 Recensements de 1962, 1968 et 1975, Population du département du Finistère. 567 PA : population agglomérée ; PE : population éparse ; PTM : Population totale municipale. 568 Les documents relatifs aux recensements émettent le chiffre de 1 687 habitants pour la population éparse, tandis que l’enquête monographique de 1965 compte 2 069 habitants. Ce dernier chiffre paraît plus logique une fois additionné à celui de la population éparse, car on trouve bien 8 340 habitants pour la population totale municipale. 569 ADF Quimper, Recensements de 1962, 1968 et 1975, Population du département du Finistère. 160

L’écart se creuse de plus en plus entre la population agglomérée et la population éparse : en 1962 la population agglomérée représente 75% de la population totale municipale, et la population éparse 24,8% ; en 1975 la population agglomérée est de 81,6%, et la population éparse n’est plus que de 18,3%. L’exode rural est donc une fois de plus bien visible, mais la hausse de la population agglomérée peut être aussi due à l’industrialisation de la commune dans les années 1970. Quant à la diminution de la population totale, elle est probablement due à la baisse du nombre de naissances dans la commune.

a) La diminution de la natalité

L'auteur de la monographie de 1965 a également étudié les taux de natalité, de mortalité et de nuptialité entre 1960 et 1964 dans la commune. On observe ainsi qu’entre 1960 et 1962, le nombre de naissances a chuté de 40 unités, et n’augmente que de 20 unités entre 1962 et 1964.

Année Naissances Mariages Décès 1960 147 49 99 1961 137 53 97 1962 107 45 108 1963 119 58 100 1964 127 64 109 637 269 513 Tableau 21 : Naissances, mariages et décès domiciliés survenus entre 1960 et 1964570.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette diminution des naissances : au niveau national, après la période du baby-boom, on attribue la diminution du taux de fécondité à l’augmentation du taux d’activité des femmes571. À Saint-Pol-de-Léon en 1954, les femmes représentent 14% de la population active572, puis 32% en 1962573, un taux qui se rapproche de celui de la France (34,6%). Cette année-là, 23 % des Saint-politaines ont une activité professionnelle. Dominique Borne formule une autre hypothèse : si en général on compte plus de naissances chez les catholiques pratiquants, après-guerre l’Église semble de moins en

570 Tableau établi dans l’enquête monographique de Saint-Pol-de-Léon. 571 Dominique Borne, Histoire de la société française depuis 1945, op.cit. p.82. 572 ADF Quimper, Q 4BB 6-2, Recensement général de la population de mai 1954. Résultats du sondage au 1/20ème. Population-ménages-logements. INSEE, PUR, 1955, p.41. 573 Enquête monographique de Saint-Pol-de-Léon, tableau de la répartition de la population active par sexe et catégorie socioprofessionnelle en 1962. 161 moins influencer ses fidèles dans ce domaine574. Mais il ne faut pas oublier que le Léon est une « terre de prêtres », et que l’Église y a sans doute une emprise bien plus importante sur ces questions. Il semble donc plus plausible que la diminution des naissances à Saint-Pol-de- Léon soit due à l’exode des jeunes ou à la hausse d’activité professionnelle féminine. Pourtant, le taux de nuptialité dans la commune est plutôt en augmentation entre 1960 et 1964. Il est donc possible que les jeunes gens se marient à Saint-Pol-de-Léon avant de s’installer hors de la commune.

b) La répartition de la population par âge

La répartition de la population par âge n’évolue pas beaucoup, même si on observe une légère diminution de la tranche des 0-19 ans qui forment environ un tiers de la population de la commune. La part des 20-64 ans se stabilise autour de 53%. En revanche la part des « 64 ans et plus » augmente de plus de trois points entre 1962 et 1975, ce qui annonce un vieillissement de la population.

Tranches d'âge 1962 1968 1975 0-19ans 33,8% 32,6% 30,2% 20-64ans 53,2% 52,3% 53,6% 64ans + 13% 15% 16,2% Tableau 22 : Evolution de la répartition de la population par tranche d'âge de 1962 à 1975575.

Dans le premier Bulletin officiel municipal576, Monsieur Kersébet577 publie les moyennes de la répartition de la population française de 1962 : les 0-19 ans représentent 33,1% de la population, les 20-64 ans 55,1%, et les plus de 64 ans 11,8%. La proportion de jeunes de moins de vingt ans à Saint-Pol-de-Léon est donc quasiment identique à la moyenne française, ce qui n’est pas le cas pour les deux autres tranches. La part de population saint-politaine en âge d’être active est légèrement inférieure à la moyenne nationale, tandis que la part des personnes âgées est plus forte dans la commune que dans toute la France. En ce qui concerne la Bretagne, sa population adulte est peu nombreuse et n’augmente que de 3% entre 1968 et 1975. Le taux de natalité breton est presque toujours supérieur au taux national, mais tend progressivement à s’en approcher. En effet dans les années 1970 les femmes prennent plus de

574 En 1962, près de 40% des catholiques seraient favorables aux méthodes contraceptives (Dominique Borne, Histoire de la société française depuis 1945, p.82). 575 Ibidem. 576 Le premier bulletin officiel de Saint-Pol-de-Léon date environ de 1970. Monsieur Émile Stéphan nous a ainsi prêté son exemplaire. 577 Il est secrétaire général de la mairie de Saint-Pol-de-Léon. 162 libertés vis-à-vis de l’Église et de ses restrictions en matière de contraception et, depuis longtemps, elles quittent la région pour aller travailler ailleurs, ce qui fait donc diminuer le nombre de naissances sur le territoire breton. Un autre tableau récapitulatif du recensement de 1975 nous permet de comparer la répartition par âge de la population saint-politaine avec celles de Roscoff et du canton578 :

Communes 0-19ans 20-64ans 64 ans et plus nombre % Nombre % Nombre % Saint-Pol 2 430 30,2 4 311 53,6 1 297 16,1 Roscoff 892 26,3 1 846 54,4 658 19,4 Canton 5 943 28,7 11 003 53,1 3757 18,1 Tableau 23 : Répartition par âge des populations de Saint-Pol-de-Léon, Roscoff et du canton en 1975.

La population saint-politaine est plus jeune que celle de Roscoff et du canton, puisque sa part de 0-19 ans est la plus forte et que son taux de personnes âgées est la plus faible. En revanche son taux d’habitants adultes en âge d’être actifs est légèrement plus faible que celui de Roscoff579. Cette répartition de population correspond en fait à ce que connaît la Bretagne à la même époque : entre 1968 et 1975, la population adulte bretonne est peu nombreuse et n’augmente que de 3%580. Le rajeunissement de la population entraîne par conséquent un rétrécissement de la population active. Après l’observation des flux migratoires, nous analyserons l’évolution de la population active saint-politaine pour vérifier si ce constat vaut aussi pour la commune.

c) L’évolution des flux migratoires entre 1962 et 1975

Il semble que le problème de l’exode des jeunes perdure tout au long de cette décennie : en 1965, Jean Mens écrit au maire Henri Le Sann que « l'exode […] s'intensifie et prend des proportions alarmantes »581. En 1970, dans le premier Bulletin officiel municipal, Monsieur Kersébet parle d’une « hémorragie […] due à l’exode des jeunes vers les lieux de travail »582. Il ajoute cependant que ces départs sont en partie compensés « par l’arrivée

578 Recensement de 1975, Feuille récapitulative de la population de la commune, imprimé n°8. 579 On peut donc supposer que son pourcentage de population active est aussi plus faible, mais nous ne disposons pas des chiffres concernant le taux d’activité de la population roscovite ou cantonale pour le confirmer. 580 Jacqueline Sainclivier, La Bretagne de 1939 à nos jours, op.cit., p. 420. 581 AM Saint-Pol-de-Léon, 2F5 boîte 654, Comité d'expansion économique du canton de Saint-Pol-de-Léon, lettre de Jean Mens au maire datant du 11 février 1965. Jean Mens est chirurgien-dentiste à Saint-Pol-de- Léon, et membre de ce comité. Il devient conseiller municipal en mars 1965. 582 Bulletin officiel municipal n°1, p.17. 163 d’habitants des communes limitrophes où les offres d’emplois sont inexistantes », en plus des retours de retraités. De même, l’offre de logements neufs (sans doute ceux construits par les Castors) a aussi attiré la population des alentours583. En clair, Saint-Pol-de-Léon continue à attirer certaines personnes, mais cela ne suffit pas à compenser l’exode de ses jeunes.

Cependant la situation de la commune semble nettement s’améliorer entre 1962 et 1968. Si on s’appuie sur le tableau de l’évolution de la population municipale du canton de 1962 à 1982584, on constate que le nombre de naissances diminue et engendre un solde naturel moins fort mais toujours positif (+100). En revanche le solde migratoire de Saint-Pol-de-Léon bondit (+264), donnant à la commune un solde total de + 364. Ce n’est pas le cas des autres communes du canton qui ont toutes un solde total négatif ou presque nul. Or cette période correspond à la mise en place de la Sica à Saint-Pol-de-Léon et à une politique d’industrialisation entreprise par la municipalité. L’économie agricole, agro-alimentaire et industrielle s’est améliorée, et la commune est devenue par conséquent plus attractive en termes d’emplois. Il est fort possible qu’elle attire donc la population des communes voisines. La période 1968-1975 apparaît la plus « faste » pour Saint-Pol-de-Léon : son solde migratoire grimpe à +596. Même si dans le même temps le solde naturel continue de diminuer, le solde total de la commune est au plus fort (+673). Mais déjà deux autres communes, Roscoff et Santec, semblent voir leur situation s’améliorer, grâce à un solde migratoire faible, certes, mais enfin positif (+43 et +14).

L’ensemble du Léon connaît d’ailleurs un début de croissance entre 1962 et 1968 grâce à la décentralisation industrielle585. On peut toutefois tempérer ce raisonnement : si l’on observe l’évolution du solde migratoire breton par tranche d’âge586 on s’aperçoit qu’entre 1962 et 1968 ce sont les personnes de 35 ans et plus, et surtout les 45-64 ans, qui immigrent. Les classes d’âge de 0 à 34 ans continuent d’émigrer. Un examen de l’évolution de la population active de la commune est donc nécessaire pour vérifier si oui ou non l’immigration saint- politaine est due à l’attractivité économique de la commune.

À la fin des années 1970, le flux migratoire de Saint-Pol-de-Léon s’inverse brutalement : il devient fortement négatif (- 622), tout comme le solde naturel (- 77). Le solde total de la commune est alors retombé à – 582. On peut expliquer cela par le contexte de la crise

583 AM Saint-Pol-de-Léon, boîte 654, Questionnaire de l'enquête « constructions publiques » proposé à la municipalité vers 1962. 584 AM Saint-Pol-de-Léon, 3F4 boîte 314, Recensement général de la population de 1968, 1975 et 1982, Cf. Annexe. 585 Louis Elegoët, Le Léon, Histoire et géographie contemporaine, Plomelin, éditions Palantines, 2007, 293p., p.250. 586 INSEE, Bulletin trimestriel de statistiques, 3e trimestre 1969. 164

économique enclenchée par le choc pétrolier de 1973-1974. Il semblerait que ce soit aussi la fin des Trente Glorieuses pour Saint-Pol-de-Léon, alors que les communes de Plougoulm, Roscoff, Santec et Sibiril connaissent un regain de population entre 1975 et 1982, essentiellement de la population immigrée.

Toutefois les données de ce tableau sont peut-être à remettre en question. En effet, on a déjà vu dans les tableaux précédents que la population saint-politaine stagne entre 1968 et 1975. Les statistiques de l’INSEE587 donnent toujours un chiffre de 8 044 habitants en 1968 et en 1975. Cependant les autres communes du canton ont des résultats qui correspondent bien aux soldes que l’on trouve dans ces tableaux. Il s’agit peut-être d’un problème de définition de certains concepts588.

Dans tous les cas, Saint-Pol-de-Léon suit la même évolution démographique que la Bretagne qui, après une démographie décroissante de la Première Guerre Mondiale à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, ré-atteindra son niveau de population de 1911 en 1975. Toutefois la commune (comme le Léon) a un léger train d’avance sur la région : « entre 1962 et 1968, 80% des communes perdaient de la population, principalement en raison d’un processus d’exode rural orienté vers les villes bretonnes ou vers l’extérieur de la région L’émigration vers les autres régions françaises est donc encore forte au cours de cette décennie. Le renversement de cette tendance s’est produit à la fin des années 1960, lorsque la Bretagne est entrée dans une phase de développement économique intense, générant activités et emplois, dans un contexte où s’affirmait également la volonté de « vivre et travailler au pays »589. Le projet de loi-programme de 1962 pour la région est passé par là, l’un de ses objectifs étant de rééquilibrer la balance migratoire bretonne pour 1970590.

2) Le fléchissement du secteur primaire a) La répartition de la population active en 1968…

Selon l’INSEE591, qui se base sur la population municipale, on compte à Saint-Pol-de-Léon en 1968 une population active de 3057 personnes, soit 38% de la population totale. Environ 19,3% de la population active sont des agriculteurs exploitants (soit une baisse de 5% par

587 Notamment lors du recensement de population de 2010, où l’institut redonne les chiffres des années passées. 588 En effet leur définition peut changer d’un recensement à l’autre. 589 Yves-Henri Nouailhat, Fanch Postic, Jean-François Simon, Jean Le Dû, Bretagne : Côtes-d’Armor, Ile-et- Vilaine, Finistère, Loire-Atlantique et Morbihan, Paris, éd. Christine Bonneton, 2006, 320 p. cf. chapitre « Population bretonne » de Nicolas Bernard, p.254. 590 Michel Phlipponneau, Debout Bretagne !, op.cit., p.169. 591 AM Saint-Pol-de-Léon, 3F4 boîte 314, « Recensements 1962-68-75, Population du département du Finistère ». 165 rapport à 1962), et 4,5% sont des salariés agricoles. L’agriculture représente donc 23,8% des emplois à Saint-Pol-de-Léon. Les patrons de l’industrie et du commerce représentent 13,3% de la population active (contre 15% en 1962), les professions libérales et cadres supérieurs 3,1%. Les ouvriers représentent toujours la part la plus importante de la population active (29,6%), et les employés 12,4%, alors qu’ils ne représentaient que 8% de la population active en 1962.

b) …et en 1975

Si on se base sur le tableau « Population totale par sexe et catégorie socioprofessionnelle » de 1975592, on trouve 3 405 actifs sur 8185 habitants, soit 41,6% de la population totale (sachant que la population municipale est de 8 044 habitants). Les agriculteurs exploitants ne sont plus que 400 et ne représentent donc que 11,7% de la population active. Ils sont quasiment à égalité avec les patrons d’industries et de commerce (11,9%) et les cadres moyens (11,2%). Ce sont les ouvriers qui représentent la plus grande part de population active (35,4%), puis les employés (13,7%). Les femmes représentent 38,9% de la population active, et on les retrouve surtout parmi les ouvriers et les employés. Elles représentent 91,9% du personnel de service, et 61,3% des employés.

La commune de Saint-Pol-de-Léon s’aligne donc sur l’ensemble de la France : son secteur primaire a fortement diminué tandis que le taux de population active dans le secteur tertiaire a augmenté, en même temps que le taux d’activité des femmes. Cette tertiarisation est notamment due à l’installation, à la fin des années 1960, de plusieurs entreprises dans la commune.

B) Industrialiser pour résorber le chômage

En Bretagne, entre 1960 et 1965, le chômage est en grande partie absorbé par l’industrialisation, puis il remonte pour atteindre son plus haut niveau en 1968593. À Saint- Pol-de-Léon, un sommet est atteint en janvier 1963 avec 220 chômeurs594, où le Conseil municipal consacre une séance exceptionnelle à cette question. Puis le taux de chômage

592 AM Saint-Pol-de-Léon, 3F4 boîte 314, Recensement de 1975. Cf Annexe. 593 Michel Phlipponneau, Debout Bretagne !, op.cit., p. 225. 594 AM Saint-Pol-de-Léon, 1D35, boîte 021, délibération du 17 janvier 1963, n° 63-1, relative à la demande de création de chantiers de chômage. 166 redescend à 47 demandeurs d’emploi au mois de juin de la même année595, et à 76 chômeurs en février 1966596. L’auteur de la monographie de 1965 note : « Il est regrettable qu'environ trente familles « Castors » ont dû abandonner leur logis et la Ville pour aller chercher du travail à Paris et ailleurs »597. Il est fort probable, vu leur forte proportion parmi les Castors, que la plupart de ces familles soient celles d’ouvriers-emballeurs.

Les chantiers de chômage ne suffisent plus à résorber le nombre de personnes en recherche d’emploi. Au début des années 1960, une autre solution est alors envisagée. La création d’une zone industrielle à Saint-Pol-de-Léon est décidée le 27 juillet 1962598. En octobre, l’Union locale de la CFTC signe une pétition demandant l’ouverture d’un fonds de chômage et la création d’une zone industrielle à Saint-Pol-de-Léon. Cette pétition comportant 600 signatures est alors examinée par le Conseil municipal. Celui-ci invite la commission municipale chargée du projet de création de zone industrielle « à poursuivre ses démarches ». Dans l’enquête monographique de 1965, il est dit que « l'absence d'industries à St-Pol se fait cruellement sentir et provoque, chaque année, des départs définitifs et le départ, pendant 3 mois, de 200 emballeurs. Tous les efforts devraient tendre à obtenir l'implantation d'usines à St-Pol. Dans ce but, la Municipalité a réservé un terrain aux Carmes pour y créer une zone industrielle ». La CFTC locale réfléchit déjà depuis un certain temps à cette solution. Lors d’une réunion le 9 février 1960 pour la réélection du bureau, les responsables évoquent l’implantation d’une usine comme un « remède vraiment efficace » au problème du chômage599 .

Le Comité d’expansion économique du canton joue alors un rôle important [dans les tentatives] d’industrialisation de la commune. Il est composé des représentants de toutes les activités économiques du canton : l’Union des expéditeurs de Saint-Pol-de-Léon, la FDSEA, la SICA, l’Union des commerçants, industriels et artisans de la commune, l’Union des coopératives de Saint-Pol-de-Léon, l’Union locale ouvrière de la CGT et celle de la CFTC, ainsi que les municipalités du canton600.

595 AM Saint-Pol-de-Léon 1D35 boîte 021, délibération du 20 juin 1963. 596 AM Saint-Pol-de-Léon, 1D36 boîte 021, délibération du 18 février 1966 n° 66-9. 597 AM de Saint-Pol-de-Léon, 5M5 boîte 539, Ministère de la construction, direction départementale du Finistère, Enquête monographique de Saint-Pol-de-Léon, conclusion en novembre 1965, Brest, chapitre « Habitation et zonage ». 598 AM Saint-Pol-de-Léon, 1D35 boîte 021, registre du 17 juin 1960 au 25 avril 1965, délibération du 18 octobre 1962, n° 62-84, 599 Et notamment à « l’anarchie complète des heures de travail ». AM Saint-Pol-de-Léon, 3Z2 boîte 195, Union locale de la CFTC. 600 C’est en tout cas ainsi que le Comité est composé en décembre 1963. Cf note du 9 décembre 1963 relative à la composition du comité, AM Saint-Pol-de-Léon, 2F5, Comité d'expansion économique du canton de Saint- Pol-de-Léon, 1963-1985, boîte 654. 167

Plusieurs lettres signées par les membres de ce comité sont ainsi envoyées au maire et au conseil municipal pour les convaincre de la nécessité d’implanter des usines à Saint-Pol-de- Léon. Parmi les projets envisagés, on compte celui de l’installation d’une usine de déshydratation. Celle-ci présenterait, selon les signataires d’une lettre datée de mai 1962601, de nombreux avantages pour la commune, y compris en matière d’emploi :

« L'usine de déshydratation doit avoir sur toute la région légumière une grande influence pour le développement économique et agricole : débouché complémentaire, cultures nouvelles, création d'emplois. La société a demandé à la Municipalité de Saint- Pol-de-Léon de lui fournir, en location vente, un terrain [...] pour son implantation […]. Saint-Pol-de-Léon a grand besoin de créations d'emplois. Sans apporter une solution complète au problème de la main d'oeuvre, cette usine sera un premier pas vers « la solution » et les ouvriers de Saint-Pol-de-Léon y comptent beaucoup ».

En 1963, on commence à évoquer la création d’une véritable zone industrielle. Le maire Henri Le Sann demande en février à la commission municipale d’expansion économique (alors présidée par Émile Stéphan) de négocier avec les propriétaires des terrains situés dans la zone envisagée602, notamment à Lanvérec. Ces propriétaires sont le Comte de Guébriant et le Vicomte de Kermoysan. Ce dernier est toutefois plus réservé face à ce projet. Au départ la municipalité avait souhaité créer cette zone industrielle sur les terrains des Carmes, mais ceux-ci étaient jugés trop proches de l’Hospice et étaient déjà réservés à un autre projet, celui de l’installation d’un complexe sportif, comme il est expliqué dans cette même lettre. Mais quelques années plus tard, les Carmes sont finalement utilisés pour l’implantation de certaines entreprises et sont alors qualifiés de « zone artisanale ».

Cependant, à la fin de la décennie, la réorganisation du marché agricole de Saint-Pol- de-Léon par la Sica aura fait quasiment disparaître la profession des ouvriers-emballeurs603. Les transformations que connaît alors l’agriculture locale, tout comme l’industrialisation et la tertiarisation de la commune, ont de nombreuses conséquences sur l’économie et le paysage social de Saint-Pol-de-Léon. L’autre rupture du début des années 1970 concerne la culture religieuse et la politique locale.

601 AM Saint-Pol-de-Léon, 2F5, Comité d'expansion économique du canton de Saint-Pol-de-Léon, 1963-1985, boîte 654, lettre du 22 mai 1962, signée par E. Stéphan (Expansion économique), F. Daniélou (syndicat d'initiative), et E. Tigréat (Union des Commerçants et Artisans de Saint-Pol-de-Léon). 602 AM Saint-Pol-de-Léon, 2F5, Comité d'expansion économique du canton de Saint-Pol-de-Léon, 1963-1985, boîte 654, lettre du 4 juillet 1963 adressée au maire par la commission municipale. 603 En effet le conditionnement se fait progressivement par les cultivateurs eux-mêmes, directement dans les champs. 168

Chapitre III/ Une rupture politico-culturelle vers 1970

Malgré la forte influence de l’Église que l’on pouvait encore observer dans les années 1950 à Saint-Pol-de-Léon, la commune n’est pas étrangère à la désaffection progressive dont les pratiques religieuses font l’objet en France à la fin des années 1960. Cela constitue bien évidemment une rupture importante pour l’ancien évêché. Indirectement, c’est peut-être aussi ce décrochage qui a engendré un autre changement important, du côté de la politique locale.

I/ Saint-Pol-de-Léon dans le contexte de déchristianisation

En France la déchristianisation commence dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale et s’accentue après le Concile de Vatican II dans les années 1965-1970. À Saint-Pol-de-Léon comme dans la plupart des communes du diocèse de Quimper et de Léon, le décrochage ne se fait véritablement qu’à partir de ce concile, et plus particulièrement dans les années 1970. Bien que Vatican II ne soit sans doute pas le seul élément responsable de la diminution des pratiques religieuses, il semble que son accueil ait eu un impact non négligeable sur le comportement religieux des Saint-Politains.

A) L'accueil du Concile

Pourtant, les raisons qui ont poussé la Papauté à convoquer un nouveau concile en 1959 sont à peu près les mêmes que celles qui ont amené le chanoine Boulard à lancer son enquête en 1957. La génération de théologiens et de prêtres issus de l’Action catholique souhaite « rapprocher l’Église des réalités du monde » et « moderniser l’action pastorale »604, afin de « mettre l’Église en mesure d’accueillir tous les hommes, y compris ceux qui s’en détournent »605. À l’issue du Concile, le Saint-Siège prend donc des mesures qui vont dans ce sens. Mais celles-ci vont contribuer indirectement à la diminution des pratiques religieuses dans le monde catholique.

604 Michel Cool, « Vatican II, tournant pour l’Église », Manière de voir (publication du Monde diplomatique), 1er août 2009. Michel Cool est journaliste de presse écrite et audiovisuelle, et auteur des Nouveaux Penseurs du christianisme, Paris, Desclée de Brouwer, 2006. 605 Paul Poupard, Le Concile de Vatican II, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 1982, 127 p., p. 9. Paul Poupard (né en 1930) est nommé évêque en avril 1979 puis cardinal en mai 1985. 169

1) Ce que le Concile a impliqué comme changements dans le monde catholique

Le Concile réaffirme le rôle de l’Église et des parents dans l’éducation générale et religieuse des enfants (« l’Église doit prendre soin de la totalité de la vie de l’homme »), tout en prônant la liberté dans le choix des établissements scolaires606. Cependant, les constitutions issues du Concile de Vatican II mettent l’accent sur la « libre adhésion personnelle »607 au catholicisme et sur un dialogue plus ouvert avec les fidèles. Mais les changements les plus visibles et les plus conséquents [se trouvent] dans la liturgie et l’« apparat » de l’Église. Parmi ces évolutions, on retient notamment l’abandon progressif du latin pour les langues vernaculaires. L’article 36 de la constitution Sacrosanctum concilium608 dit pourtant que « l’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins ». L’Église a fini par reconnaître que « l’emploi de la langue du pays peut être souvent très utile pour le peuple », et qu’il est bon de lui accorder plus de place dans la liturgie. La langue latine étant peu compréhensible au plus grand nombre, les langues vernaculaires comme le français sont donc de plus en plus utilisées pour favoriser la participation active de l’assistance lors de la messe. Les textes et les rites sont réorganisés et simplifiés afin d’être mieux compris par les fidèles609. Le prêtre abandonne la chaire et doit se tourner vers l’assistance pour célébrer la messe. Face à la diminution des vocations religieuses, le Concile de Vatican II encourage l’apostolat des laïcs et leur participation à la liturgie. Les prêtres délèguent ainsi certaines tâches aux laïcs, comme le catéchisme. On assiste aussi à l’abandon progressif de la soutane, essentiellement pour des raisons pratiques : « l’habit religieux […] doit être simple et modeste, à la fois pauvre et décent, adapté aux exigences de la santé et accordé aux circonstances de temps et de lieux, ainsi qu’aux besoins de l’apostolat »610. Progressivement, les manifestations et processions religieuses se font moins voyantes et les églises sont volontairement plus « dépouillées »611. Les adversaires de ces réformes affirment que le Concile Vatican II est responsable de la crise que subit l’Église les années suivantes : « le concile, en rompant des habitudes séculaires, en ébranlant les certitudes, en bousculant la tradition, aurait jeté le trouble dans les esprits et fragilisé l’institution »612. Plusieurs historiens pensent eux aussi que la simplification des rites

606 Paul Poupard, Le Concile de Vatican II, op. cit., p.64. 607 Paul Poupard, Le Concile Vatican II, op. cit., p.107. 608Elle est promulguée le 4 décembre 1963. Cf. le site internet du Vatican, www.vatican.va/archives/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_const_19631204_sacrosanctum- concilium_fr.html. 609 Paul Poupard, ibidem, p. 31. 610 Paul Poupard, ibidem, p. 60. 611 Dominique Borne, Histoire de la société française depuis 1945, op. cit., p. 159. 612 René Rémond, « Un chapitre inachevé (1958-1990) », in Histoire de la France religieuse, tome 4, Société 170 et l’abandon de l’apparat religieux a entraîné une désacralisation des pratiques religieuses. Si l’on ajoute à cela la libre adhésion personnelle au catholicisme, une Action catholique plus militante, une spiritualité plus « cérébrale »613 et « l’esprit critique et anti-autoritaire » de Mai 68614, cela peut être une des raisons de la désaffection de certains fidèles, notamment des plus jeunes.

2) L'accueil du Concile par les Saint-Politains

La Bretagne s’est adaptée comme toutes les régions françaises à ces transformations souhaitées par le Concile, même avant sa clôture. Dès 1962, la soutane est abandonnée au profit du « clergyman », les processions à l’occasion de la Fête-Dieu tendent à disparaître. Les communes rurales tendent à s’aligner sur les villes. Il en est de même à Saint-Pol-de-Léon. D’après Philippe Abjean, les Saint-Politains n’ont pas protesté contre ces changements, mais ils ont progressivement « déserté » les bancs des églises dans les années qui ont suivi le concile. Pour lui, l’une des raisons de cette désaffection est la désacralisation des rites et du statut de l’Église : « je pense qu’il y a un instinct du sacré au sein des fidèles […] et dès qu’ils n’ont plus senti ce sacré-là, ils sont partis tout doucement […]. Le fait notamment d’abandonner le latin faisait perdre une certaine sacralité aux cérémonies, le fait de perdre la soutane ou l’habit religieux pour les sœurs faisait qu’ils perdaient aussi une certaine sacralité »615. On peut ajouter à cela l’instauration du tutoiement de Dieu dans les prières, chose que certains fidèles (anciens, nobles, bretonnants) ont sans doute eu du mal à accepter616.

Il est vrai que le changement le plus notoire apporté par le concile dans le diocèse de Quimper et de Léon a été la réforme liturgique. Cependant, Amaury Noslier apporte dans son mémoire une nuance à ce constat. Il estime que cette réforme n’était pas vraiment une rupture car elle n’a fait que « confirmer, amplifier, accélérer une tendance de fond dont Mgr Fauvel avait été

sécularisée et renouveaux religieux (XXème siècle), codir. par René Rémond et Jacques Le Goff, Paris, éd. Du Seuil, 1992, 476 p., p. 358. 613 Dans son ouvrage Dieu change en Bretagne. La religion à Limerzel de 1900 à nos jours, Yves Lambert, qui étudie l’évolution des pratiques religieuses dans cette commune du diocèse de Vannes, émet l’idée que la diminution des pratiques serait due « aux bouleversements liturgiques et à leur spiritualité trop cérébrale » et qu’ainsi le peuple « se serait senti dépossédé » (p. 247). On verra, d’après le témoignage de Philippe Abjean, qu’il en est de même à Saint-Pol-de-Léon. 614 Gerd-Rainer Horn, « Les chrétientés catholiques à l’épreuve des sixties et des seventies », in La décomposition des chrétientés occidentales (1950-2010), dir. par Yvon Tranvouez, Brest, CRBC, 2013 (actes du colloque international à Brest du 31 mai au 1er juin 2012), 388 p., p. 28. 615 Philippe Abjean, entretien du 20 décembre 2013. 616 Annie Laurent-Croguennec, Les traditions religieuses dans le diocèse de Quimper et Léon à la fin du XXème siècle, maîtrise de celtique dir. par Daniel Giraudon, Brest, UBO, 2003-2004, p. 24. 171 d’emblée contemporain et principal acteur »617. En effet Mgr Fauvel, issu de l’Action catholique, avait déjà commencé dès 1948 à faire évoluer la liturgie dans le diocèse, en instaurant notamment le rituel bilingue et la messe du dimanche soir. Son diocèse est donc plutôt en phase avec le concile de Vatican II. Amaury Noslier parle même d’un « accueil favorable et serein » de la réforme liturgique. Au pire, il n’aurait suscité que le scepticisme sur certaines questions, celle de la langue bretonne notamment618. Le témoignage de Philippe Abjean laisse penser que les Saint-Politains ont été plus sceptiques que l’ensemble des Bretons à la réception du concile.

B) Un décrochage vers 1970

Les transformations liturgiques apportées par le Concile ont donc engendré un début de décrochage chez les pratiquants Saint-Politains. Mais celui-ci est relativement faible par rapport à celui que connaissent la Bretagne et la France.

1) En France et en Bretagne

La crise de l’Église catholique se traduit en France par une régression de l’assistance à la messe et une baisse du nombre de baptêmes et de mariages religieux. Les statistiques effectuées sur les pratiques religieuses catholiques en France montrent que celles-ci baissent légèrement depuis 1950, puis diminuent fortement dès 1965. En 1950, le taux de mariages catholiques sur le nombre de mariages totaux avoisine les 80%619. En 1965, il est de 78%, et en 1972 il n’est déjà plus que de 74%. Les pourcentages de baptêmes par rapport au nombre de naissances sont plus forts que ceux des mariages religieux620. Mais le nombre de baptêmes diminue également au fil des décennies. Ainsi, en 1958 le taux de baptisés catholiques est de 91% et se stabilise jusqu’en 1966 ; il diminue ensuite pour arriver à 71% en 1978 ; puis 64% en 1983621. En ce qui

617 Amaury Noslier, Vatican II dans le diocèse de Quimper et de Léon (1962-1968), d’après La Semaine religieuse, TER d’Histoire, dir. par Yvon Tranvouez, Brest, UBO, 2004, p.132-133. 618 Amaury Noslier, Vatican II dans le diocèse de Quimper et de Léon (1962-1968), d’après La Semaine religieuse, op. cit., p. 134. 619 Alfred Dittgen, « Évolution des rites religieux dans l’Europe contemporaine. Statistiques et contextes », in Annales de démographie historique, 2003/2, no 106, p. 111-129, cf. fig. 1 « France : Évolution depuis 1950 du rapport des mariages catholiques aux mariages totaux (MC/MT) et du rapport des mariages catholiques aux mariages de non-divorcés (MC/MnD) ». Le taux de mariages catholiques sur le nombre de mariages de non-divorcés en 1950 est de 90%, et il est de 80% en 1972. 620 L’une des raisons avancées par Alfred Dittgen est qu’il semble plus important de marquer l’entrée dans la vie que d’officialiser un couple à l’avenir incertain. 621 René Rémond, « Un chapitre inachevé (1958-1990) », in Histoire de la France religieuse, tome 4, op. cit., 172 concerne le nombre de fidèles assistant régulièrement à la messe du dimanche, il est estimé à 24% des Français catholiques au lendemain du concile622.

En Bretagne, entre 1950 et 1958, on compte 52,72% de messalisants et 67,17% de pascalisants623. Vers 1978-1980, on ne compte plus que 23% de messalisants (c’est-à-dire ceux qui vont à la messe au moins une à deux fois par mois)624. Bien évidemment, cela va de pair avec la baisse spectaculaire du nombre d’ordinations dans chaque diocèse, y compris celui de Quimper et de Léon.

Décennies Moyenne annuelle d’ordinations 1950-1960 16 1960-1970 13 1970-1980 2

Tableau 24 : Moyenne annuelle des ordinations du diocèse de Quimper et de Léon625.

2) À Saint-Pol-de-Léon

Dans le Léon, le « décrochage » a certainement été plus tardif que dans le reste de la France, comme nous le montrent les chiffres concernant le pourcentage de baptêmes, de mariages et d’obsèques religieux dans le diocèse de Quimper et Léon :

1966 1976 1986 Baptêmes 97% 90% (-7) 75% (-15) Mariages 94% 88% (-6) 75% (-13) religieux Obsèques 96% 95% (-1) 89% (-6) religieuses Tableau 25 : Évolution du pourcentage de baptêmes, de mariages et d'obsèques religieux par rapport au nombre de naissances, de mariages et de décès dans le diocèse de Quimper626.

p. 367. 622 René Rémond, ibidem, p. 371. 623 Georges Minois, Histoire religieuse de la Bretagne, Luçon, éd. J.-P. Gisserot, 1991, p. 107 (cité par Annie Laurent-Croguennec dans Les traditions religieuses dans le diocèse de Quimper et Léon à la fin du XXème siècle, op. cit., p.31). 624 Jacqueline Sainclivier, La Bretagne de 1939 à nos jours, op. cit., p. 465. 625 Annie Laurent-Croguennec, Les traditions religieuses dans le diocèse de Quimper et Léon à la fin du XXème siècle, op. cit., p. 36. 626 Yvon Tranvouez, « La configuration bretonne de la crise catholique (1965-1975) », in L’Ouest dans les années 68 (dir. Christian Bougeard, Vincent Porhel, Gilles Richard et Jacqueline Sainclivier), Rennes, PUR, coll. Histoire, 2012, 268 p., p. 110. 173

Il faut cependant rappeler que ces cérémonies sont bien plus suivies que les autres pratiques religieuses, car elles font partie des traditions familiales. Elles ne sont donc pas vraiment représentatives de l’évolution de l’ensemble des pratiques religieuses. Dans le Léon le taux de pratique religieuse diminue à partir des années 1960, en même temps que les vocations religieuses627. En ce qui concerne Saint-Pol-de-Léon, Philippe Abjean estime que dans les années 1960 le taux de pratiquants religieux dans la commune devait avoisiner les 80%, et que dans les années 1980 il était quasiment descendu à 20%.

3) Les causes profondes

Dans la commune de Saint-Pol-de-Léon, la « dégradation » des pratiques religieuses est d’autant plus forte que le taux de pratique était à la base très élevé. Comme il a déjà été dit précédemment, il se peut qu’une partie de la population saint-politaine se soit détournée de l’église en voyant celle-ci se désacraliser, parce que ces fidèles étaient très attachés à ce caractère sacré auparavant. Le fait que certains rituels aient disparu ou que la religion catholique soit devenue « une affaire d’intellect» et non plus une « affaire de cœur »628a donc peut-être entraîné une perte de repères ou une déception chez certains Saint-Politains. Mais il existe sans doute d’autres raisons qui peuvent expliquer la diminution des pratiques religieuses dans la commune. En effet, puisque le Concile avait pour but d’adapter l’Église aux réalités du monde moderne, il serait étonnant que les fidèles (ou du moins les plus jeunes) aient cessé d’aller à la messe simplement parce que celle-ci ne respectait plus la tradition. Il est probable que les causes de la diminution des pratiques religieuses à Saint-Pol-de-Léon, bien qu’elle ait été plus tardive que dans d’autres communes françaises, soient globalement les mêmes que celles de la déchristianisation qui a touché la France. Le Concile de Vatican II, en accordant plus de souplesse et de liberté aux pratiques, en est paradoxalement l’un des responsables. C’est ainsi qu’Yvon Tranvouez évoque une succession de chocs « stimulants » pour les uns et de chocs « traumatisants » pour d’autres629. L’accent mis sur la « libre adhésion personnelle » à la religion a pu laisser plus de place au scepticisme, et l’autorisation accordée aux laïcs de participer activement à la liturgie au côté des prêtres a peut-être contribué à la désacralisation et à la perte d’autorité du clergé. Ainsi les croyants se sentent moins obligés de pratiquer régulièrement. La religion devient de plus en plus une affaire privée. On peut donc observer un décalage entre le sentiment d’appartenance à la religion catholique et la pratique religieuse.

627 Louis Elegoët, Le Léon, Histoire et géographie contemporaine, op. cit., p. 262. 628 Philippe Abjean, entretien du 20 décembre 2013. 629 Yvon Tranvouez, « La configuration bretonne de la crise catholique (1965-1975) », in L’Ouest dans les années 68, op. cit., p. 103. 174

Dans le même temps si l’Église fait des progrès sur certains points, sur d’autres elle maintient des positions conservatrices qui ne correspondent plus aux attentes d’une nouvelle génération de fidèles. Le 25 juillet 1968 l’encyclique Humanae vitae condamne la contraception ; l’Église n’autorisera pas non plus l’avortement ; ni le mariage des prêtres que certains ont demandé. Ce paradoxe engendre une « rupture silencieuse » entre la plupart des croyants (notamment les femmes) et l’autorité ecclésiastique630. Cependant le Concile est loin d’être la seule cause de la diminution des pratiques religieuses en France. René Rémond souligne que « les symptômes de la crise étaient déjà perceptibles avant la clôture du concile »631. Et les événements de Mai 68, mouvement de contestation de la morale traditionnelle, ont également ébranlé la vie religieuse en France632. En effet la déchristianisation dans les pays européens est aussi une question de génération. Ainsi Céline Béraud a mis en valeur le fait que la rupture avec le catholicisme s’est faite avec la génération du baby-boom633. Le contexte économique, social et culturel des Trente Glorieuses en est en partie responsable : l’augmentation des déplacements, notamment les week-ends grâce à la « démocratisation » de l’automobile ; la prolifération des médias (les gens ne vont plus au bourg après la messe pour recevoir des informations) ; l’émancipation des adolescents et la volonté d’indépendance des couples634, etc. La commune de Saint-Pol- de-Léon connaît elle aussi ces transformations, ce qui a bien pu se répercuter sur les pratiques religieuses. Même si les Saint-Politains n’ont a priori pas été particulièrement touchés par les idéaux de Mai 68 (« la population n’était pas du tout soixante-huitarde »635), ils ont accepté certaines ruptures issues plus ou moins directement des revendications estudiantines. En effet dans ces années-là, l’assistance à la messe devient facultative au Collège du Kreisker, donc les élèves sont de moins en moins pratiquants. L’école catholique s’aligne de plus en plus sur l’école publique en recrutant plus de laïcs aux postes d’enseignants. Au Collège du Kreisker, d’après Emmanuelle Kermoal, le basculement se fait entre 1960, où l’on compte encore dix-neuf prêtres-enseignants pour cinq laïcs, et la rentrée 1965-1966 où l’on compte dix-sept ecclésiastiques et seize laïcs ; en 1970-1971, les laïcs sont majoritaires (34 contre 16 prêtres- enseignants) ; les effectifs des prêtres ecclésiastiques continuent de diminuer dans les années

630 Yvon Tranvouez, ibidem, p. 104. 631 René Rémond, « Un chapitre inachevé (1958-1990) », in Histoire de la France religieuse, tome 4, op. cit., p. 358. 632 René Rémond, ibidem, p. 359. 633 Céline Béreaud, « Le catholicisme français à l’épreuve du vieillissement », in La décomposition des chrétientés occidentales (1950-2010), op. cit., p. 65. Elle cite également Yves Lambert qui, pour expliquer l’effondrement des pratiques religieuses en France, distingue « les effets liés aux cycles de vie » des « effets de période » et des « effets de générations ». 634 Yves Lambert, Dieu change en Bretagne. La religion à Limerzel de 1900 à nos jours, op. cit., p. 237- 322. 635 Philippe Abjean. 175

1980636. Avec eux disparaissent progressivement les pratiques religieuses autrefois imposées au Collège. De plus, les nouveaux prêtres-enseignants recrutés dans les années 1960 sont beaucoup plus dans la mouvance du Concile de Vatican II que leurs prédécesseurs. Ils encouragent notamment une participation plus active des élèves durant les cours, et à les ouvrir un peu plus sur l’actualité637.

En parallèle, la généralisation progressive du travail féminin ainsi que la fin de la cohabitation de trois générations dans un même foyer ont également fait diminuer la transmission des traditions religieuses aux plus jeunes638 . Les causes de la baisse des pratiques religieuses à Saint-Pol-de-Léon peuvent aussi être économiques. On a vu précédemment que la catégorie socioprofessionnelle des agriculteurs était l’une des plus pratiquantes. Or, avec la modernisation de l’agriculture, les paysans s’endettent et sont contraints à travailler de plus en plus les dimanches et les jours fériés, ce qui leur laisse moins de temps pour aller à l’église639. Dans le même temps, l’État prend de plus en plus le relais de l’Église dans le domaine social, et par conséquent certaines congrégations spécialisées dans les œuvres caritatives « n’ont plus raison d’être » et disparaissent petit à petit640. Dorénavant les clercs ne sont plus les seuls encadrants de la jeunesse (maison des jeunes, animateurs laïcs…). Enfin, la diminution progressive de la population agricole, qui devient minoritaire dès 1965 en Bretagne, contribue à la régression du taux de pratique religieuse dans la région, et cela doit être le cas également à Saint-Pol-de-Léon.

La diminution des pratiques religieuses à Saint-Pol-de-Léon a donc des raisons multiples, qu’il faut à la fois rechercher dans le contexte socioculturel de l’époque et dans les transformations engendrées par le Concile. Conséquence plus ou moins directe, une rupture a lieu également à la même période, au niveau de la politique locale.

636 D’après le tableau « Évolution du nombre de professeurs laïcs et ecclésiastiques de 1945-1981 » établi par Emmanuelle Kermoal dans son mémoire Le Collège Notre-Dame du Kreisker de Saint-Pol-de-Léon (1945- 1983), op. cit. (p. 108), à partir des palmarès du Collège et de la brochure de René Gauthier, Collège de Léon. Institution Notre-Dame du Kreisker. Les chiffres varient de quelques unités selon les sources. 637 Emmanuelle Kermoal, Le Collège Notre-Dame du Kreisker de Saint-Pol-de-Léon (1945-1983), p. 111-112. 638 Annie Laurent-Croguennec, Les traditions religieuses dans le diocèse de Quimper et Léon à la fin du XXème siècle, maîtrise de Celtique dir. par Daniel Giraudon, Brest, UBO, 2003-2004, p. 5-6. 639 Annie Laurent-Croguennec, ibidem, p. 8. 640 Philippe Abjean. 176

II/ Une « rupture » politique en 1971 ?

« Jusqu'en 1973, le paysage politique breton est relativement stable [...]. Toutes les élections législatives des années soixante montrent une croissance constante des suffrages exprimés en faveur du mouvement gaulliste [...] »641. Ensuite, après le départ du général de Gaulle en 1969, « les courbes s'inversent ». Dès la création du Parti Socialiste en 1971, la gauche voit son pourcentage de voix augmenter tandis que celui de la droite et du centre diminue. À Saint-Pol-de-Léon, on assiste également à une rupture au niveau de la composition politique de la nouvelle municipalité.

A) Le mandat de François Branellec : des projets trop ambitieux ?

D'après les témoignages, il semble bien que le mandat effectué par François Branellec et son conseil municipal constitue une rupture avec la politique menée par Henri Le Sann. Tout d'abord il est « républicain indépendant », ce qui le situe plus à droite que son prédécesseur sur l'échiquier politique. Contrairement à l'ancien maire, François Branellec investit beaucoup pour la commune, notamment dans la construction d'infrastructures touristiques telles qu'elles avaient été envisagées dans sa profession de foi de 1965. On retient aussi la reconstruction du Sillon de Sainte-Anne, le long de la côte, et l'achat du terrain des Carmes qui offre la possibilité de créer une zone industrielle. Le but est donc de moderniser la commune, et sans doute aussi d'attirer la population extérieure: « il comptait voir Saint-Pol avec 15 000 habitants 642». Mais certains de ses projets ne répondent pas aux besoins de la population643, tel que la construction d’HLM à Créac'h-ar-Léo. Or cet endroit se trouve de l'autre côté de la route qui mène vers Roscoff, donc plutôt éloigné du centre-ville, des écoles, des réseaux d'eau et du reste de la population. Les projets de plan d'eau à Pempoul et d'un centre de thalassothérapie nécessitent des structures hôtelières, que Saint-Pol-de-Léon n'a pas. Voyant que malgré les critiques François Branellec ne renonce pas à ces projets, Jacques Chapalain, cultivateur, décide rapidement de constituer une liste d'opposition.

641 Jacqueline Sainclivier, La Bretagne de 1939 à nos jours, op.cit., p.446. 642 Gérard Richard, 1er mars 2013. 643 Jacques Chapalain, 27 janvier 2013. 177

B) Les élections municipales des 14 et 21 mars 1971: la victoire de l'opposition.

Comme aux élections municipales de 1965, trois listes se présentent : celle du maire sortant François Branellec, qui s'intitule « Liste républicaine pour le progrès économique et social »; la « Liste républicaine d'action municipale et sociale », avec Jacques Chapalain et dans laquelle on retrouve Paul Favé, et la liste d’Union démocrate et sociale. Les deux premières listes comportent bien vingt-trois candidats, pour vingt-trois sièges à pourvoir. En revanche la dernière ne comporte que cinq candidats. D'après Jacques Chapalain, ces cinq personnes voulaient en réalité se présenter sur sa liste, ce qu'il avait refusé (il pensait déjà qu'elles allaient perdre). Ces personnes avaient donc décidé de constituer une liste à part.

1) Les trois listes candidates

Dans la liste du maire sortant on dénombre huit nouveaux noms, les autres étant tous des conseillers ou adjoints sortants. Dans la liste républicaine d'action municipale et sociale, on retrouve aussi Gérard Kelbert, François Kerguillec et Louis Sévère qui étaient présents en 1965 sur la liste pour la défense des intérêts communaux. Les membres de cette liste n'ont pas voulu donner d'étiquette à leur liste, afin de rester neutre. Toutefois, au moins cinq candidats peuvent être étiquetés « CNI »644: Paul Gad, Jean Le Saout, Michel Roignant, Louis Castel et Gérard Kelbert. La liste contient donc à la fois des centristes, des personnes appartenant à une droite libérale et modérée, mais aussi des personnes de gauche telles que Louis Guilcher et Jean-François Autret645. Parmi les cinq candidats de la troisième liste, Jean-Michel Guenegou et Olivier Quéré étaient déjà dans la liste d’Union démocratique de 1965.

644 ADF Quimper, 1171W2 : Elections municipales 1965-1971, étude sur les communes. 645 Louis Guilcher, entretien téléphonique du 9 mai 2013. 178

Liste républicaine pour le progrès économique et Profession 646 social BERNARD Jean-Pol Clerc de notaire BOURHIS Hervé Cultivateur BRANELLEC François Commerçant maire sortant COLOMB Alain Expéditeur CS COMBOT Jean Horticulteur CS CREIGNOU François Cultivateur GRALL Eugène Commerçant CS GUIVARCH Pierre Notaire LE DUFF Jean-Louis Cultivateur CS LE GAL Maurice Agent SNCF CS LE REST René ? RIGOLOT René Droguiste CS MENS Jean Chirurgien-dentiste CS MEUDIC Jean Médecin CS MEVEL Félicia Directrice d'école publique en retraite MOAL Alain Cultivateur CS MOAL Robert Cultivateur PERON Henri Marin d'État en retraite PERON René Agent de maîtrise CS QUIVIGER Guillaume Cultivateur CS RICHARD Gérard Coiffeur CS RIOU Yves Comptable CS ROBERT Louis Commerçant CS Tableau 26 : Liste républicaine pour le progrès économique et social (1971)647.

646 N'ayant pu disposer des bulletins de ces élections, la plupart des professions m'ont été indiquées par Monsieur Jacques Chapalain, qui a eu quelques doutes sur certaines d'entre elles. 647 ADF Quimper, 1171W2: Elections municipales 1965-1971. 179

Liste républicaine d'action municipale et Professions sociale AUTRET Jean-François Dr en sciences économiques (urbaniste) BLOUET Laurent Ingénieur agronome CASTEL Louis Commerçant (CNI) CHAPALAIN Jacques Cultivateur CHOQUER Joseph Cultivateur DANIELOU René Cultivateur FAVE Paul Professeur école privée, CS GAD Paul Docteur en médecine (CNI) GOARANT Marie-Renée Secrétaire de direction à la SICA GUILCHER Louis Chef de district SNCF KELBERT Gérard Cadre commercial (CNI) KERBIRIOU Joseph Entrepreneur des travaux publics KERBRAT Olivier Cultivateur KERGUILLEC François Agent SNCF LE CORFEC Paul Agent commercial LE REST Baptiste Cultivateur (Secrétaire Syndicat fermiers- métayers) LE SAOUT Jean Commerçant (CNI) MORIZUR Ambroise Employé de carrosserie, militaire en retraite QUEGUINER Marie-Jo Cultivatrice QUERE Jean Contremaître ROIGNANT Michel Kinésithérapeute (CNI) SALLIOU Andrée Agent des Télécom ? SEVERE Louis Cultivateur Tableau 27 : Liste républicaine d'action municipale et sociale (1971)648.

Liste d'Union démocrate et sociale Profession GUENEGOU Jean-Michel Technicien télécom HERRY Guillaume Militaire en retraite QUERE Olivier Agent DDE LE FLOCH Roger Instituteur SEITE Claude Cultivateur Tableau 28 : Liste d’Union démocrate et sociale (1971)649.

648 ADF Quimper, 1171W2 : Elections municipales 1965-1971. La plupart des prénoms et professions de candidats m'ont été donnés par Jacques Chapalain. . 180

CSP Liste républicaine Liste républicaine Liste d’Union pour le progrès d'action municipale démocrate et économique et social et sociale sociale Agriculteurs exploitants - 6 cultivateurs - 7 cultivateurs - 1 cultivateur - 1 horticulteur Artisans, commerçants et - 1 expéditeur - 2 commerçants chefs d'entreprise - 3 commerçants - 1 cadre commercial - 1 droguiste - 1 agent commercial - 1 coiffeur

Cadres et professions - 1 clerc de notaire - 1 urbaniste intellectuelles supérieures - 1 notaire - 1 ingénieur - 1 comptable agronome - 1 chirurgien- - 1 docteur en dentiste médecine - 1 médecin - 1 kinésithérapeute - 1 professeur Professions intermédiaires - 1 contremaître - 1 instituteur Employés - 1 agent de maîtrise - 1 agent des télécoms - 1 technicien des - 1 agent SNCF (?) télécoms - 1 agent SNCF ? - 1 agent DDE - 1 chef de district SNCF - 1 entrepreneur TP - 1 secrétaire de direction Ouvriers Sans profession ou inconnue - 1 inconnue - 1 retraité militaire ou retraités - 2 retraités: une ancienne directrice d'école publique et un ancien marin d'État. Tableau 29 : Composition socioprofessionnelle des listes de candidats de 1971.

La composition socioprofessionnelle des deux premières listes est assez semblable: on retrouve à peu près le même nombre d'agriculteurs, de commerçants et de cadres et professions intellectuelles et supérieures. Toutefois la liste républicaine d'action municipale et sociale comporte des professions intellectuelles plus « scientifiques » (ingénieurs, docteurs...), et beaucoup plus d'employés. Elle est donc assez hétérogène, mais comme les autres listes, elle ne comporte pas d'ouvriers.

649 Idem. 181

2) La « partie de catch » électorale.

Les élections municipales de 1965 avaient été une « guerre de tranchées »...et celles de 1971 une « partie de catch » !650 Jacques Chapalain commence très tôt à rechercher des personnes afin de constituer sa liste. Puis il organise avec les autres candidats des réunions dans tous les quartiers de la ville et, la veille du scrutin, une réunion dans tous les quartiers de la campagne. L'avant-veille, ses colistiers animent des réunions parfois tendues dans trois cafés de la ville. Sa liste républicaine d'action municipale et sociale s'oppose à la municipalité sortante pour différents points: Jacques Chapalain était contre la construction d'immeubles à l'extérieur de la ville, et donc loin des écoles. Il était également opposé à l'installation d'un plan d'eau et d'une thalassothérapie du côté de Pempoul, car cela constituait un coût jugé élevé, et aussi parce qu'à l'époque aucune structure hôtelière capable d'accueillir les touristes n'existait à cet endroit. La liste constatait aussi le manque d'infrastructures pour les jeunes: « en 1971 à Saint-Pol il n'y avait pas encore un terrain de foot, pas de piste d'athlétisme, pas de salle omnisport ! ».

C) La victoire inattendue de Louis Guilcher.

1) Le premier tour.

Au premier tour le 14 mars, on compte 5387 inscrits, 4375 votants et 4213 suffrages exprimés. Tous les candidats de la Liste républicaine d'action municipale et sociale sont élus sauf Joseph Choquer, Olivier Kerbrat, Paul le Corfec, Baptiste Le Rest, Ambroise Morizur, Marie-Jo Queguiner, et Andrée Saliou. Sur la liste de François Branellec, seulement deux candidats sont élus : Jean Meudic et René Péron. Quant à la liste d’Union démocrate et sociale, elle est éliminée dès le premier tour. Ouest-France651 commente ces résultats ainsi: « La grosse surprise de l'arrondissement de Morlaix vient de Saint-Pol où la municipalité sortante de M. Branellec n'obtient que deux sièges tandis que l'opposition en obtient seize. Quel que soit le sort des cinq sièges restant à pourvoir, les vainqueurs, aussi surpris que les Saint-Politains, n'ont plus qu'à chercher en leurs rangs...un maire ! ».

650 Ce sont les mots employés par Jacques Chapalain lors de l'entretien du 27 janvier 1971. 651 Ouest-France (Brest ou Morlaix), 15 ou 16 mars 1971. 182

Liste républicaine pour le progrès Suffrages économique et social BERNARD Jean-Pol 1913 BOURHIS Hervé 1684 BRANELLEC François 1781 COLOMB Alain 1902 COMBOT Jean 2089 CREIGNOU François 1755 GRALL Eugène 1641 GUIVARCH Pierre 1830 LE DUFF Jean-Louis 1750 LE GAL Maurice 1738 LE REST René 1783 RIGOLOT René 1793 MENS Jean 1675 MEUDIC Jean 2242, élu MEVEL Félicia 2036 MOAL Alain 1902 MOAL Robert 1658 PERON Henri 1661 PERON René 2416, élu QUIVIGER Guillaume 1798 RICHARD Gérard 1757 RIOU Yves 1618 ROBERT Louis 1739 Tableau 30 : Résultats de la liste républicaine pour le progrès économique et social au premier tour des élections municipales de 1971652.

Liste républicaine d'action Suffrages municipale et sociale AUTRET Jean-François 2393, élu BLOUET Laurent 2193, élu CASTEL Louis 2247, élu CHAPALAIN Jacques 2217, élu CHOQUER Joseph 1971 DANIELOU René 2117, élu FAVE Paul 2352, élu GAD Paul 2499, élu

652 ADF Quimper, 1171W2 : Elections municipales 1965-1971. 183

GOARANT (Mme ou Mlle) Marie- 2259, élue Renée GUILCHER Louis 2618, élu KELBERT Gérard 2232, élu KERBIRIOU Joseph 2232, élu KERBRAT Olivier 1873 KERGUILLEC François 2344, élu LE CORFEC Paul 2094 LE REST Baptiste 2100 LE SAOUT Jean 2108, élu MORIZUR Ambroise 2005 QUEGUINER Marie-Jo 1901 QUERE Jean 2267, élu ROIGNANT Michel 2184, élu SALLIOU Andrée 2028 SEVERE Louis 2465, élu Tableau 31 : Résultats de la liste républicaine d'action municipale et sociale au premier tour des élections municipales de 1971653.

Liste d’Union démocrate et sociale Suffrages GUENEGOU Jean-Michel 575 HERRY Guillaume 444 QUERE Olivier 496 LE FLOCH Roger 467 SEITE Claude 432 Tableau 32 : Résultats de la liste d'union démocrate et sociale au premier tour des élections de 1971654.

2) Le second tour

Au second tour, cinq sièges restent donc à pourvoir. Avec 5 387 inscrits, 4 199 votants et 4123 suffrages exprimés, quatre sièges sont remportés par la liste républicaine d'action municipale, et un siège par Jean Combot, de la liste de François Branellec. Le maire sortant est donc éliminé au second tour.

653 ADF Quimper, 1171W2 : Elections municipales 1965-1971. 654 Idem. 184

Liste républicaine pour le progrès Suffrages économique et social BRANELLEC François 1563 COMBOT Jean 1902, élu GRALL Eugène 1296 MOAL Alain (ou Robert ?) 1747 ROBERT Louis 1505 Tableau 33 : Résultats de la liste républicaine pour le progrès économique et social au second tour des élections municipales de 1971655.

Liste républicaine d'action municipale Suffrages CHOQUER Joseph 1808, élu LE CORFEC Paul 1935, élu LE REST Baptiste 1915, élu MORIZUR Ambroise 1702 SALLIOU Andrée 1799, élu Tableau 24 : Résultats de la liste républicaine pour le progrès économique et social au second tour des élections municipales de 1971656.

Liste d'union démocratique et sociale Suffrages GUENEGOU Jean-Michel 575 HERRY Guillaume 444 QUERE Olivier 496 LE FLOCH Roger 467 SEITE Claude 432 Tableau 35 : Résultats de la liste d'union démocratique et sociale au second tour des élections municipales de 1971.

3) L' installation du maire et des adjoints.

Les candidats de la liste républicaine d'action sociale s'étaient mis d'accord pour que, en cas de victoire, le futur maire soit celui qui aura reçu le plus de voix aux élections. De fait lors de son installation le 26 mars 1971657, le nouveau conseil municipal désigne Louis Guilcher, chef de district SNCF de 45 ans, qui avait obtenu 2618 suffrages au premier tour. Louis Guilcher n'a pas d'étiquette politique officielle, mais en tant que militant de la CFDT,

655 ADF Quimper, 1171W2 : Elections municipales 1965-197. 656 Idem. 657 AM Saint-Pol-de-Léon, 1D68 boîte 665, registre des délibérations. 185 ses opinions sont plutôt de gauche, ce qui constitue donc une rupture importante658. Il semble que les conseillers se soient mis d'accord également sur l'élection du premier et du second adjoint: en effet Paul Favé est le seul à se présenter au premier poste et obtient les 19 suffrages exprimés659, puis Jacques Chapalain, seul aussi pour le poste de second adjoint, reçoit 18 voix. Lors de la séance du 15 avril 1971, le conseil municipal décide d'élire deux adjoints supplémentaires: Paul Gad, qui se présente seul et qui reçoit la totalité des 18 suffrages exprimés ; et Jean-François Autret, qui reçoit 17 voix contre Gérard Kelbert (une voix) au poste de quatrième adjoint. La municipalité compte donc deux adjoints centristes, un adjoint de droite (Paul Gad, CNI) et un adjoint de gauche (Jean-François Autret660).

Un changement assez important vient donc de s'opérer à Saint-Pol-de-Léon : le conseil municipal est presque entièrement renouvelé (Paul Favé est le seul conseiller sortant) et contient toutes les tendances politiques, même de gauche. Le maire lui-même peut être considéré comme étant de gauche, malgré l'absence d'étiquette.

La commune de Saint-Pol-de-Léon a donc changé de visage en l’espace d’une décennie. Elle est devenue plus attractive économiquement, notamment grâce à la réorganisation du marché et aux projets de zones industrielles pour lesquels une poignée d’âmes volontaires s’était engagée. Les structures socioprofessionnelles s’en trouvent donc modifiées dans la seconde moitié des années 1960, pour se calquer sur le modèle français. Un des changements les plus notables pour cette commune léonarde est sans nul doute le début d’une désaffection vis-à-vis des pratiques religieuses, pourtant très fortes à la fin des années 1950. Politiquement, on observe globalement une continuité puisque les Saint-Politains restent encore attachés au vote démocrate-chrétien et conservent le même maire jusqu’en 1965. Toutefois les scrutins nationaux montrent que les électeurs saint-politains trouvent aussi leur intérêt dans le gaullisme.

658 Louis Guilcher, entretien téléphonique du 9 mai 2013. 659 Sur les 23 bulletins déposés dans l'urne. 660 Louis Guilcher, entretien du 9 mai 2013. 186

CONCLUSION

***

L’objectif de ce mémoire était de savoir si durant les Trente Glorieuses la commune de Saint-Pol-de-Léon, traditionnellement ancrée au centre-droit et catholique, et dont l'économie était principalement tournée vers l'agriculture, avait connu une évolution aussi importante que la France sur les plans politique, économique, social et culturel. Les réponses à ce questionnement sont partagées. La commune a bien subi des transformations, mais pas toujours au même rythme que le reste de la Bretagne et de la France.

Ainsi, on peut distinguer durant ces Trente Glorieuses locales deux grandes phases : la première (1947-1958) est une période de crises sociales, et de permanences au niveau politique et culturel. La commune de Saint-Pol-de-Léon connaît des difficultés à résoudre des problèmes qui paralysent certains de ses groupes sociaux : l’exode des jeunes qui témoigne de la faible attractivité de la commune et qui a des répercussions sur sa démographie ; le chômage qui atteint fortement les ouvriers-emballeurs, et contre lequel la municipalité tente de lutter, parfois malgré l’inertie des pouvoirs publics. Quant à la crise du logement, c’est grâce à la volonté d’une poignée d’habitants et de militants du mouvement Castors qu’elle a été réglée.

Durant cette première décennie étudiée, on constate que l'attachement traditionnel à la droite conservatrice et démocrate-chrétienne est toujours bien présent, alimenté par un contexte social et culturel propice : l'implantation de familles nobles conservatrices, l'importance du monde agricole et l'influence non négligeable du clergé. Le glissement qui s'est opéré vers le centre-droit en 1945 se confirme en 1947 avec la réélection d’Henri Le Sann et de la plupart des conseillers sortants. Cela montre la confiance accordée par les Saint-Politains à la politique menée par des personnes appartenant aux partis issus de la Résistance, dans le contexte difficile de la Reconstruction. D'autre part, comme dans le reste de la France, la concurrence est rude entre le MRP et le RPF. Les élections cantonales de 1949 et les réunions politiques publiques plutôt tendues le montrent bien. Les résultats entre les deux partis sont d'ailleurs parfois assez serrés, notamment lors des élections législatives de 1951. Toutefois 187 lors des élections municipales de 1953 la liste d'opposition menée par des adhérents au RPF connaît un échec important en n'ayant aucun élu, ce qui confirme l’inclination des Saint- Politains pour les listes centristes ou sans véritable étiquette. On constate également que les Saint-Politains s'intéressent de près à certains sujets politiques nationaux tels que la question scolaire touchant l'enseignement privé catholique, et s'inquiètent aussi bien que les Français à propos des questions internationales (guerres coloniales, guerre froide...). Ils approuvent la plupart du temps les décisions du gouvernement de la « troisième force ». Les Saint-Politains sont ensuite de plus en plus séduits par le gaullisme, en particulier par le gaullisme référendaire et présidentiel. En revanche, lorsqu'il s'agit d'élire un député ou un conseiller général, Saint-Pol-de-Léon se tourne encore majoritairement vers les candidats centristes. Les élections cantonales semblent d'ailleurs n'être qu'une « simple formalité » pour le candidat MRP François Prigent, élu et réélu de 1949 à 1967, et toujours en tête des suffrages dans la commune de Saint-Pol-de-Léon.

Parallèlement, les Saint-Politains continuent de respecter scrupuleusement la tradition religieuse, comme nous le montrent les résultats de l’enquête Boulard de 1957. Les taux de pratique religieuse restent élevés, comme dans tout le Léon. Cette fidélité à l’Église est en grande partie due à la présence de personnalités pieuses (clercs ou laïcs) et influentes dans la commune, et au « terreau chrétien social » propre à l’ancien évêché depuis des décennies.

La deuxième phase commence en 1959, une année marquée par l’une des crises les plus conséquentes qu’a connue Saint-Pol-de-Léon, c’est-à-dire celle qui a débouché sur la réorganisation du marché agricole. Les agriculteurs réformateurs, en prenant eux-mêmes en main leur destin, bouleversent les habitudes sociales établies depuis des années entre les paysans, les expéditeurs de légumes et les ouvriers-emballeurs. Les divers compromis obtenus après des luttes acharnées permettront de créer la Sica et, avec elle, une forte activité économique qui contribue à la modernisation de la commune dans les années 1960. Du côté du conseil municipal, l'année 1959 marque un début d' « ouverture » puisque les candidats de l'unique liste aux élections municipales choisissent d'y inclure les catégories socioprofessionnelles et les tendances politiques les plus diverses, bien que le centre et la droite dominent toujours. Cependant Henri Le Sann reste à la tête de la municipalité, et ce malgré quelques désirs de changement exprimés par certains membres du conseil. Enfin, la fin des années soixante constitue un tournant politico-culturel important pour la commune. Les élections municipales de 1965 correspondent à une transition, un « passage de témoin » entre le maire sortant et le leader de sa liste François Branellec, étiqueté « Républicain indépendant » et appartenant donc à une droite à la fois plus classique et économiquement 188 plus libérale. Lors des scrutins nationaux, on constate que non seulement le gaullisme référendaire et présidentiel séduit toujours (parfois bien plus qu'il ne séduit les Français, notamment lors du référendum de 1969), mais que le gaullisme partisan obtient lui aussi de plus en plus de voix de la part des Saint-Politains. Le glissement à droite se confirme donc, et se prolonge même après la crise de mai 1968. En revanche, les élections municipales de 1971 constituent une véritable rupture puisque l'équipe municipale qui avait été menée par Henri le Sann puis par François Branellec est quasiment éliminée, et doit laisser place à un conseil municipal ouvert à toutes tendances et surtout dirigé par des personnalités plus centristes, voire de gauche. Les Saint-Politains suivent donc dans ces années-là l’orientation politique de la Bretagne.

L’autre rupture visible du début des années soixante-dix concerne la pratique religieuse. On observe en effet, à la suite du Concile de Vatican II, le début d’une désaffection des Saint- Politains vis-à-vis de la tradition religieuse. L’assistance à la messe diminue, ainsi que le nombre de baptêmes, de mariages et d’obsèques religieux. Les établissements scolaires privés n’assurent plus l’éducation religieuse autrefois si prégnante chez les jeunes. Saint-Pol-de- Léon finit donc par s’aligner, avec un léger décalage dans le temps, sur le reste de la France. Pour autant, durant les décennies suivantes la commune ne se détache pas complètement de son caractère religieux. Comment cela serait-il d’ailleurs possible dans une ancienne cité ecclésiale encore dominée par la cathédrale et la flèche du Kreisker ?

En constituant cette monographie de Saint-Pol-de-Léon, c’est aussi l’Histoire de la Bretagne du XXème siècle que nous étudions, à une échelle plus petite. Nous avons vu ici, de manière concrète, quelles ont été les transformations politiques, sociales et culturelles qui ont caractérisé les Trente Glorieuses et comment une commune léonarde a su s’y adapter.

189

Table des annexes

- Pyramide des âges des Saint-Politains en 1962

- Evolution de la population municipale de 1962 à 1982

- Répartition de la population active en 1962 (deux tableaux)

- Carte des messalisantes du diocèse de Quimper et Léon en 1957

- Carte des messalisants

- Carte des pascalisantes du diocèse de Quimper et Léon en 1957

- Carte des pascalisants

- Taux de pratiques religieuses par âge et par profession à Saint-Pol-de-Léon et Quimperlé (1957)

- Professions de foi des deux listes candidates aux élections municipales de 1965

190

Pyramide des âges de Saint-Pol-de-Léon en 1962 AM Saint-Pol-de-Léon, Enquête monographique de Saint-Pol-de-Léon

191

Evolution de la population municipale de 1962 à 1982 (source: recensement général de la population 1968-1975-1982)

1954_1962 SN SM ST St-Pol +405 -309 +96 Ile deBatz +6 -68 -62 Mespaul +73 -104 -31 Plouenan +135 -227 -92 Plougoulm +95 -219 -124 Roscoff -17 -212 -229 Santec +45 -162 -117 Sibiril +67 -187 -120

1962-1968 1968-1975 1975-1982 SN SM ST SN SM ST SN SM ST Saint- +100 +264 +364 +77 +596 +673 -40 -622 -582 Pol Ide Batz -6 -97 -103 -17 -132 -149 -9 -54 -63 Mespaul +28 -54 -26 +3 -126 -123 -7 -28 -35 Plouéna +93 -89 +4 +56 -117 -61 -35 -26 -71 n Plougoul +59 -88 -29 -12 -180 -192 -65 +44 +21 m Roscoff -23 -167 -190 -5 +43 +38 -73 +213 +140 Santec +2 -23 -21 -27 +14 -13 -56 184 +128 Sibiril +13 -129 -116 -22 -101 -123 -38 53 +15

SN= Solde naturel (différence entre naissances et décès) SM= solde migratoire ST = solde total: différence dans le total de la population recensée entre deux recensements.

192

Répartition de la population active en 1962

Répartition de la population active par sexe et par branche d’activité en 1962

Catégorie d'activité Masculin Féminin Ensemble économique Pêche 15 1 16 Agriculture et forêts 674 294 968 Industries extractives 1 0 1 Bâtiments et TP 100 5 105 Autres industries de 298 74 372 transformation Transports 87 13 100

Commerces, banques, 591 279 870 assurances Services 164 267 431 Services publics, 208 80 288 Administration, Armée 2 138 1 013 3 151

Répartition de la population active par sexe et par catégorie socioprofessionnelle en 1962.

CSP Masculin Féminin Ensemble Agriculteurs 492 278 770 exploitants Salariés agricoles 170 15 185 Patrons de l'industrie 276 207 483 et du commerce Professions libérales 69 6 75 et cadres supérieurs

Cadres moyens 106 70 176 Employés 104 162 266 Ouvriers 812 92 904 Personnels de service 17 119 136

Autres catégories 130 79 209 Personnes actives 2 176 1 028 3 204 Personnes non actives 1 795 3 351 5 146 3 971 4 379 8 350

193

Carte des messalisantes du diocèse de Quimper et Léon Enquête Boulard de 1957, La Semaine religieuse

194

Carte des messalisants du diocèse de Quimper et Léon Enquête Boulard de 1957, La Semaine religieuse

195

Carte des pascalisantes du diocèse de Quimper et Léon Enquête Boulard de 1957, La Semaine religieuse

196

Carte des pascalisants du diocèse de Quimper et de Léon Enquête Boulard de 1957, La Semaine religieuse

197

Résultats de l’enquête Boulard de 1957 pour Saint-Pol-de-Léon et Quimperlé Enquête Boulard de 1957, La Semaine religieuse

198

Profession de foi de la Liste républicaine pour le progrès économique et social pour le second tour des élections municipales de 1965 (recto).

199

(Verso)

200

Profession de foi de la Liste de défense des intérêts communaux pour le premier tour des élections municipales de 1965.

201

Sources et bibliographie

I/ Les sources

A) Sources écrites

1) Les archives municipales de Saint-Pol-de-Léon

1K12 -14 boîte 359: Elections municipales (1904-1977)

- Elections municipales du 25 avril 1953 : professions de foi, bulletins et procès- verbaux des résultats et de l'installation du conseil municipal. - Elections municipales du 8 mars 1959: liste des candidats, procès-verbaux des élections, résultats. - Elections municipales des 14 et 21 mars 1965: listes, procès-verbaux, résultats. - Elections municipales des 14 et 21 mars 1971: listes, procès-verbaux, résultats.

2 W15 boîte 402: Elections municipales (1965-1995) _Correspondances, procès-verbaux, circulaires.

Dans les archives municipales concernant les élections municipales, il manque parfois des documents importants tels que le procès-verbal d'installation du conseil municipal de 1959 (pour lequel je dû me référer aux registres des délibérations du conseil municipal), voire même certaines listes de candidats et les résultats des élections de 1965 ou 1971, pour lesquels je du me référer aux journaux Le Télégramme et Ouest-France des archives municipales de Brest.

1K6 358: Elections législatives (1910-1958), pour les élections de 1946, 1951 et 1956 - Procès-verbaux, circulaires et émargement.

1K7 357: Elections législatives (1962-1981) - Procès-verbaux, circulaires et émargement.

1D 32 boîte 019 à 1D49 boîte 036: registres des délibérations du Conseil Municipal (1946-1979) - 1D32 boîte 019: registre des délibérations de 1946 à 1951. - 1D33 et 1D34 boîte 020: 1952-1955 et 1957-1960. - 1D35 et 1D36 boîte 021: 1960-1965 et 1965-1969.

1D68 boîte 665, registre des délibérations (1970-1979)

202

5M5, boîte 539, Enquête monographique de Saint-Pol-de-Léon, Ministère de la construction, direction départementale du Finistère, conclusion en novembre 1965, Brest.

Recensement de 1975, Feuille récapitulative de la population de la commune, imprimé n°8.

3F4 boîte 314 : Recensement général de la population de 1968, 1975 et 1982.

2F5 boîte 654, Comité d'expansion économique du canton de Saint-Pol-de-Léon.

Boîte 654, Questionnaire de l'enquête « constructions publiques ».

3Z2 boîte 195, Union locale de la CFTC (1938-1982)

3F2 boîte 325 Agriculture, création de la SICA, organisation

2) Les archives départementales du Finistère

Série W: Archives publiques postérieures à 1940.

1236W 20: Elections présidentielles (Cabinet du Préfet) - Elections présidentielles de 1965

1171W2: Elections municipales 1965-1971

145 W 118-119: Elections cantonales des 20 et 27 mars 1949 (Cabinet du préfet)

145W 120-122: Elections cantonales des 7 et 14 octobre 1951 (Cabinet du préfet)

31W 289: Tournées cantonales (Cabinet du préfet)

145 W 12 : Tournées cantonales de 1963

31 W 432: Personnalités du département (1948-1954) (Cabinet du préfet)

72W4: La Vie politique dans le Finistère (sous forme de livret)

Q 4BB 4-1, Ministère de l’Intérieur, Ministère des Finances, des Affaires économiques et du Plan, Recensement de 1954. Population du département du Finistère. Arrondissement, cantons et communes, PUF, 1954.

Q 4BB 6-2, Recensement général de la population de mai 1954. Résultats du sondage au 203

1/20ème. Population-ménages-logements. INSEE, PUR, 1955, p.41.

Recensements de 1962, 1968 et 1975, Population du département du Finistère.

3) Archives municipales de Brest:

- Les journaux Le Télégramme, Ouest-France (éditions de Brest) pour les résultats et commentaires d'élections,

4) Archives diocésaines :

La Semaine religieuse de Quimper et Léon (2/3) : 1925-1967. Tables générales- Enquête Boulard (synthèse de 1958), éditée sur CD-ROM par les Archives diocésaines de Quimper et Léon en 2008.

5) Les archives de fonds privés

Jacques Chapalain: Bulletins de vote et professions de foi des élections municipales de 1965.

Mme Christine Adrien-Le Sann: articles de journaux relatifs à Henri Le Sann (pour ses 80 ans et sa nécrologie en 1976).

6) Autres :

BOULARD Fernand, CHOLVY Gérard, GADILLE Jacques, HILAIRE Yves-Marie (codir.), Matériaux pour l’Histoire religieuse du peuple français, XIXème-XXème siècle, tome 2, (Bretagne, Basse-Normandie, Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Champagne, Lorraine, Alsace), recueil fondé par Fernand Boulard, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, éditions de l’EHESS et du CNRS, 1987, 684p.

POULIQUEN Louis, Le Temps des soutanes, (Brest, Editions du Liogan, 1993, 273p.

FEUNTREN Jean (abbé), Chroniques d’Histoire du Bulletin paroissial de Roscoff n°178, décembre 1963. Visibles sur un fichier pdf à cette adresse : www.roscoff-quotidien.eu/hstoire-bulletin-paroissiaux-roscoff.pdf

INSEE, Bulletin trimestriel de statistiques, 3e trimestre 1969.

Journaux Le Télégramme, Ouest-France, La Croix et Le Figaro (mettre dates précises ???), articles relatifs à l’économie et aux révoltes paysannes (1958, 1959, 1960, 1962).

204

B) Sources orales

- Jacques Chapalain, cultivateur à la retraite, ancien conseiller municipal élu en 1971. Entretien du 27 janvier 2013, Saint-Pol-de-Léon.

- Gérard Richard, coiffeur à la retraite, ancien conseiller municipal (1959, 1965, 1977). Entretien du 1er mars 2013, Saint-Pol-de-Léon.

- Émile Stéphan, commerçant à la retraite, ancien président de l’Union des Industriels et commerçants de Saint-Pol-de-Léon, et de la commission d’expansion économique du canton de Saint-Pol-de-Léon. Conseiller municipal en 1959. Entretien du 30 mars 2013, Saint-Pol-de-Léon.

- Jean-Bernard Kéramoal, fils d’agriculteur, et son épouse Marie-Jeanne Kéramoal, Saint-politains, Entretien du 10 février 2013, Saint-Pol-de-Léon.

- Louis Guilcher, ancien maire de Saint-Pol-de-Léon élu en 1971. Entretien téléphonique du 9 mai 2013.

- Christine Adrien-Le Sann, petite-fille d’Henri Le Sann. Entretien téléphonique, janvier 2013.

- Philippe Abjean, professeur de philosophie au Lycée Notre-Dame du Kreisker. Entretien du 20 décembre 2013, Saint-Pol-de-Léon.

- Louis Germain Prigent, militaire à la retraite, originaire de Saint-Pol-de-Léon, et Clotilde Prigent, son épouse, originaire de Santec, entretien du 1er décembre 2012, Santec.

- Henri Jacob, cultivateur à la retraite, ancien administrateur de la Sica. Entretien du 24 novembre 2013, Saint-Pol-de-Léon.

C) Sources iconographiques

- Fonds photographique de Jean Piriou, photographe à Saint-Pol-de-Léon.

D) Sources audio-visuelles

- vidéo réalisée par Pierre Caoussin lors du Bleun Brug de Saint-Pol-de-Léon en 1948, visible sur le site de la Cinémathèque de Bretagne : http://www.cinematheque- bretagne.fr/Geolocalisation-970-7422-0-0.html

205

II/ La bibliographie

A) Dictionnaires et manuels

LAGREE Michel, (dir.), Dictionnaire du monde religieux de la France contemporaine, tome 3, La Bretagne, Paris, éd. Beauchesne, et Rennes, Institut culturel de Bretagne, 1990, 425p.

B) Ouvrages généraux

1) Histoire de la France :

BORNE Dominique, Histoire de la société française depuis 1945, Paris, Armand Colin, 2002, 187p.

CHOLVY Gérard, La religion en France de la fin du XVIIIème siècle à nos jours, Paris, Hachette, 1998 (deuxième édition), 254p.

LEVEQUE Pierre, Histoire des forces politiques en France, t.3 de 1940 à nos jours, Paris, Armand Colin, 1997, 511p.

RIOUX Jean-Pierre, La France de la Quatrième République, t.1, L'ardeur et la nécessité 1944-1952, Paris, Seuil, 1980, 309p.

SIRINELLI Jean-François (dir.), La France contemporaine. La IVè République: La France de la Libération à 1958 (GOETSCHEL Pascale et TOUCHEBOEUF Bénédicte), Paris, éd. Librairie Générale Française, 2004, 574p.

2) Histoire de la Bretagne :

CORNETTE Joël, Histoire de la Bretagne et des Bretons. t.2 Des Lumières au XXIè siècle, Paris, Seuil, 2005, 751p.

GESLIN Claude, GOURLAY Patrick, MONNIER Jean-Jacques, Histoire d’un siècle. Bretagne 1901-2000. L’émancipation d’un monde, 2010, Skol Vreizh, Morlaix, (chapitre cinq, Jean-Jacques Monnier, « Un immense mouvement de rattrapage (1950-1972) »).

MONNIER Jean-Jacques, Le comportement politique des Bretons, Rennes, PUR, 1994, 435p.

NOUAILHAT Yves-Henri, POSTIC Fanch, SIMON, Jean-François, LE DU Jean (codir.) Bretagne : Côtes-d’Armor, Ile-et-Vilaine, Finistère, Loire-Atlantique et Morbihan, Paris, éd. Christine Bonneton, 2006, 320 p. (chapitre « Population bretonne » de Nicolas Bernard).

PHLIPPONNEAU Michel, Debout Bretagne !, Saint-Brieuc, Presses universitaires de 206

Bretagne, 1970, 530 p., p. 9-10.

SAINCLIVIER Jacqueline, La Bretagne de 1939 à nos jours, Rennes, éd. Ouest-France, 1989, 499p.

C) Ouvrages spécialisés

ABJEAN Philippe et GUIVARCH Pierre, Saint-Pol-de-Léon, Rennes éd. Alan Sutton,1995, 127p. (coll. Mémoire en Images).

BOUGEARD Christian, Tanguy-Prigent, paysan ministre, Rennes, PUR, 2002, 363p. (coll. Histoire).

BOUGEARD Christian, PORHEL Vincent, RICHARD Gilles, SAINCLIVIER Jacqueline (codir.), L’Ouest dans les années 68, Rennes, PUR coll. Histoire, 2012, 268p.(chapitre d’Yvon Tranvouez, « La configuration bretonne de la crise catholique (1965- 1975) »).

CELTON Yann, L’Église et les Bretons, Plomelin, éditions Palantines, 2008, 191p.

ELEGOET Fanch, Révoltes paysannes en Bretagne. A l'origine de l'organisation des marchés, Plabennec, éd. Du Léon, 1984, 504p.

ELEGOET Louis, Le Léon, Histoire et géographie contemporaine, Plomelin, éditions Palantines, 2007, 293p.

GALLOUÉDEC Philippe, Les producteurs du bout du monde, éd. Copilote, 2011, 165 p.

GÉLI Hélène, Brittany Ferries. L’épopée d’un armement paysan 1973-2003, Brest, éditions Le Télégramme, 2003.

GRALL Gilles, Saint-Pol, été 1944. De la rafle des résistants au massacre des civils, éd. Gilles Grall, Plougastel-Daoulas, 2010, 286p.

GUIAVARCH Yoann, Constuire sa maison en commun. L'aventure des Castors, Skol Vreizh, Morlaix 2012, 84p.

HASCOET Didier, De la J.A.C. à la politique. Cinq itinéraires finistériens, Quimper, 207

éditions Calligrammes, 1992, 270p.

LAMBERT Yves, Dieu change en Bretagne. La religion à Limerzel de 1900 à nos jours, Paris, éditions du Cerf, 1985, 451p.

MAUNY (de) Michel, Le pays de Léon. Bro Leon. Son histoire, ses monuments, Mayenne, éditions régionales de l’Ouest, 1993 (deuxième édition), 399p.

PITOU Frédérique (dir.), Elites et Notables de l’Ouest. XVIe-XXe siècle. Entre conservatisme et modernité, Rennes, PUR, 2003, 320p. Recueil des communications de quatres journées d’études (2002 et 2003) tenues à Rennes au CRHISCO et au Mans au LHAMANS. (chapitre de David Bensoussan, « Le syndicalisme agricole entre conservatisme et progressisme : le projet syndical du Comte de Guébriant dans la première moitié du XXè siècle » ).

PONDAVEN Gabriel (l'abbé), Saint-Pol-de-Léon, notes, Paris, éd. Le Livre d' Histoire- Lorisse, 2003 (rééd.), 252p. (coll. Monographies des villes et villages de France).

POUPARD Paul, Le Concile de Vatican II, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 1982, 127p.

REMOND René et LE GOFF Jacques (codir.), Histoire de la France religieuse, tome 4, Société sécularisée et renouveaux religieux (XXème siècle), Paris, éd. Du Seuil, 1992, 479p. ????, (René Rémond, « Un chapitre inachevé (1958-1990) »).

TRANVOUEZ Yvon, Catholiques en Bretagne au XXème siècle, Rennes, PUR coll. Histoire, 2006, 247p.

TRANVOUEZ Yvon (dir.), La décomposition des chrétientés occidentales (1950-2010), Brest,CRBC, 2013 (actes du colloque international, Brest, du 31 mai au 1er juin 2012), 388p. (chapitre de HORN Gern-Rainer, « Les chrétientés catholiques à l’épreuve des sixties et des seventies »).

D) Mémoires et thèses

DONNART Sophie, Les chansonniers populaires du XXème siècle à Saint-Pol-de-Léon, mémoire de master dir. par Ronan Calvez, parcours celtique, Brest, UBO, 2011.

GOAOC Yoann: Une Histoire thématique de Saint-Pol-de-Léon (1935-1947), mémoire de maîtrise d' Histoire dir. Par Christian Bougeard, UBO, Brest, 2003

208

HENRY Germaine, Saint-Pol-de-Léon dans les livres, mémoire de maîtrise de Lettres dir. par le professeur Balcou, UBO, Faculté des lettres et sciences sociales, 1987

HOSTIOU Franck, le RPF dans le Finistère mémoire de Master d' Histoire dir. par Christian Bougeard, UBO, 1997

KERMOAL Emmanuelle, Le Collège Notre-Dame du Kreisker de Saint-Pol-de-Léon 1945- 1983, mémoire de maîtrise d' Histoire dir. Par Yvon Tranvouez, UBO, 1997-1998.

LAURENT-CROGUENNEC Annie, Les traditions religieuses dans le diocèse de Quimper et Léon à la fin du XXème siècle, maîtrise de celtique dir. par Daniel Giraudon, Brest, UBO, 2003-2004.

NOSLIER Amaury, Vatican II dans le diocèse de Quimper et de Léon (1962-1968), d’après La Semaine religieuse, TER d’Histoire, dir. par Yvon Tranvouez, Brest, UBO, 2004.

PRIGENT Maria, La Sica de Saint-Pol-de-Léon: son rôle dans l'économie régionale de la zone légumière du Nord-Finistère, mémoire de maîtrise, UBO, Ed. SEMENF, 1972.

ROPARS Hélène, L’enquête Boulard dans le diocèse de Quimper et de Léon (1957-1958), mémoire d’Histoire dirigé par Yvon Tranvouez, professeur d’Histoire contemporaine, Brest, UBO, 1997/1998.

VERRIER Bernard, Le rôle du Collège de St-Pol-de-Léon de 1876 à 1973, mémoire de maîtrise dir. par René Rémond et Monsieur Fouilloux, Université de Paris X-Nanterre, U.E.R. D'Histoire, sans date.

E) Articles de revues

DITTGEN Alfred, « Evolution des rites religieux dans l’Europe contemporaine. Statistiques et contextes », in Annales de démographie historique, 2003/2, n°106, p. 111-129.

GOGUEL François, « Les élections législatives des 23 et 30 juin 1968 », in Revue française de science politique, Paris,1968, vol.18, n°5.

LAGREE Michel et DENIEL Jacques, « Le cinéma en Bretagne rurale : esquisse pour une histoire », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 1985, vol. 92, n°92-3, pp. 257-288.

MENDRAS Henry, TAVERNIER Yves, « Les manifestations de juin 1961 », Revue 209

française de science politique, 1962, vol. 12, n°3, p. 647-671.

F) Sites internet

- Le site de l'Assemblée Nationale et sa base de données pour les informations sur les députés (biographie, résultats d'élections)

www.assemblee-nationale.fr/sycomore/

- Encyclopaedia universalis, www.universalis.fr (page consultée le 7 mai 2014).

- Site du Vatican, page concernant les constitutions du Concile de Vatican II : www.vatican.va/archives/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat- ii_const_19631204_sacrosanctum-concilium_fr.html

G) Autres

COOL Michel, « Vatican II, tournant pour l’Église », Manière de voir (publication du Monde diplomatique) 1er août 2009.

210

Tables des figures et des tableaux

Tableaux

Tableau 1: Répartition de la population à partir du recensement de 1954...... 16 Tableau 2: Résultats des élections municipales de 1947 ...... 46

Tableau 3: Liste d'Entente républicaine et d'intérêt communal...... 62 Tableau 4: Liste d'Union paysanne, commerçante et ouvrière des intérêts communaux...... 64 Tableau 5: Résultats des élections municipales de 1953...... 67 Tableau 6 : Évolution (en %) du taux de pascalisants dans le canton de Saint-Pol-de-Léon de 1909 à 1957...... 81 Tableau 7: La liste d'entente et d'intérêt communal en 1959...... 132 Tableau 8: Tableau des résultats des élections municipales de 1959...... 133 Tableau 9: Les résultats des élections cantonales de 1961 dans le canton de Saint-Pol-de- Léon...... 136 Tableau 10: Récapitulatif des suffrages exprimés (en %) par les Saint-Politains lors des élections législatives et cantonales (1955-1962)...... 140 Tableau 11: Récapitulatif des suffrages exprimés par les Saint-Politains lors des référendums de 1958, 1961 et 1962...... 140 Tableau 12: Liste républicaine de progrès économique (1965)...... 142 Tableau 13: Liste de Défense des intérêts communaux (1965)...... 143 Tableau 14 : Liste d’Union démocratique (1965)...... 144 Tableau 15: Composition socioprofessionnelle des trois listes de candidats (1965)...... 145 Tableau 16: Résultats de la liste républicaine de progrès économique au premier tour des élections municipales de 1965...... 149 Tableau 17: Résultats de la liste d'Union pour la défense des intérêts communaux. au premier tour des élections municipales de 1965...... 150 Tableau 18: Résultats de la liste d' Union démocratique au premier tour des élections municipales de 1965...... 151 Tableau 19: Résultats du second tour des élections municipales de 1965...... 152 Tableau 20 : Répartition de la population municipale en 1962, 1968 et 1975...... 160 Tableau 21 : Naissances, mariages et décès domiciliés survenus entre 1960 et 1964...... 161 Tableau 22 : Evolution de la répartition de la population par tranche d'âge de 1962 à 1975. 162 Tableau 23 : Répartition par âge des populations de Saint-Pol-de-Léon, Roscoff et du canton en 1975...... 163 Tableau 24 : Moyenne annuelle des ordinations du diocèse de Quimper et de Léon...... 173 Tableau 25 : Évolution du pourcentage de baptêmes, de mariages et d'obsèques religieux par rapport au nombre de naissances, de mariages et de décès dans le diocèse de Quimper...... 173 Tableau 26 : Liste républicaine pour le progrès économique et social (1971)...... 179 Tableau 27 : Liste républicaine d'action municipale et sociale (1971)...... 180 Tableau 28 : Liste d’Union démocrate et sociale (1971)...... 180 Tableau 29 : Composition socioprofessionnelle des listes de candidats de 1971...... 181 Tableau 30 : Résultats de la liste républicaine pour le progrès économique et social au premier tour des élections municipales de 1971...... 183 Tableau 31 : Résultats de la liste républicaine d'action municipale et sociale au premier tour des élections municipales de 1971...... 184 Tableau 32 : Résultats de la liste d'union démocrate et sociale au premier tour des élections de 1971...... 184 Tableau 33 : Résultats de la liste républicaine pour le progrès économique et social au second

211 tour des élections municipales de 1971...... 185 Tableau 24 : Résultats de la liste républicaine pour le progrès économique et social au second tour des élections municipales de 1971...... 185 Tableau 35 : Résultats de la liste d'union démocratique et sociale au second tour des élections municipales de 1971...... 185

Figures

Figure 1: Localisation de Saint-Pol-de-Léon ...... 12 Figure 2: Plan de Saint-Pol-de-Léon (1944) ...... 12 Figure 3: Répartition des scrutins saint-politains aux élections législatives de juin 1951……60 Figure 4: Résultats des élections législatives de 1956...... 72 Figure 5: Répartition des scrutins saint-politains au premier tour des élections législatives de 1958...... 75 Figure 6: Répartition des scrutins saint-politains au premier tour des législatives de 1967. . 156 Figure 7: Répartition des scrutins saint-politains au premier tour des législatives de 1968. . 158

212

Table des matières

Remerciements ______2 Table des sigles et abréviations ______3 Introduction ______5 Partie I : 1947-1958 : crises et permanences ______13 Chapitre I/ La situation générale de la ville dans les années 1950 ______14 I/ Qui sont les Saint-Politains ? ______14 A) La démographie générale de Saint-Pol-de-Léon de 1946 à 1962 ______15 1) L’évolution globale de la population de 1946 à 1962 ______15 a) De 1946 à 1954 : des divergences par rapport au Finistère ______15 b) La monographie de 1962______16 2) L’évolution des flux migratoires dans le canton jusqu’en 1962 ______18 B) Le problème de l’exode des jeunes ______19 C) Les catégories socioprofessionnelles entre 1954 et 1962 ______21 1) L’agriculture en tête des activités économiques______22 2) Une faible part de population active ______22 II/ Les problèmes sociaux rencontrés par la commune ______24 A) Le ravitaillement et les travaux de reconstruction ______24 B) La question du logement et la solution « Castors » ______25 1) La difficulté de se loger après-guerre ______25 a) La situation générale en France, en Bretagne et dans le Finistère. ______25 b) Le cas de Saint-Pol-de-Léon ______25 2) L’inertie de la population et des pouvoirs publics ______26 3) La solution « Castor » ______28 4) L’état du logement à Saint-Pol-de-Léon en 1962. ______31 C) Le chômage des ouvriers-emballeurs ______32 1) Un problème récurrent ______32 2) La municipalité face à l’inertie des pouvoirs publics. ______35 3) Les solutions apportées par la commune ______37 Chapitre II/ La situation politique de 1947 à 1958 ______39 I/ Une commune démocrate-chrétienne (1947-1953) ______40 A) État des lieux en 1947: le MRP à la tête de la commune ______40 1) Entre tradition conservatrice et démocrate-chrétienne: les origines ______40 a) Des origines politico-sociales. ______41 b) Des origines culturelles ______43 2) Les élections municipales de 1947 ______44 B) La vie politique locale de la fin des années 1940 au début des années 1950 ______47 1) Les élections cantonales des 20 et 27 mars 1949: rivalité entre le MRP et le RPF ______47 a) Le MRP concurrencé par le RPF ______47 b) La campagne électorale et les résultats du premier tour. ______48 c) L’entre-deux-tours : le retrait d'Henri Le Sann ______51 d) Les résultats du second tour : une victoire pour le MRP dans le canton. ______52 2) Les réunions politiques à Saint-Pol-de-Léon: le « combat des aigles ». ______52 3) L'opinion saint-politaine à propos du contexte national et international (1950-1951) _____ 57 a) Le regard des Saint-Politains sur la politique nationale et internationale ______57 b) Les élections législatives de juin 1951. ______59 II/ 1953-1958 : du centrisme au gaullisme référendaire ______61 A) Les élections municipales de 1953 ______61 1) Deux listes s'affrontent ______61 a) La liste d' Henri Le Sann ______61 b) La liste de Jean L'Hourre: une liste RPF ? ______63 2) Les résultats : un échec pour la liste d'opposition ______66 3) Installation du maire ______67 213

4) Bilan de la période : une confiance confirmée envers le centre-droit. ______68 B) Vers la Vème République ______69 1) Les élections cantonales de 1955 : une victoire sans surprise de François Prigent. ______70 2) Les élections législatives partielles de 1955 et les élections législatives de 1956. ______70 a) Les élections législatives partielles de 1955. ______70 b) Les élections législatives du 2 janvier 1956. ______71 3) Les Saint-Politains favorables au « gaullisme référendaire ». ______73 a) Le référendum de septembre 1958 sur la nouvelle Constitution. ______74 b) Les élections législatives de novembre 1958 : le MRP en tête à Saint-Pol-de-Léon. _____ 74 Chapitre III/ L’influence de l’Église ______77 I/ Un taux de pratique religieuse élevé ______79 A) Les résultats de l’enquête Boulard en 1957 ______79 1) Des taux forts dans le Léon comme à Saint-Pol-de-Léon ______80 B) Les causes de cette pratique élevée ______82 1) Un passé clérical ______82 2) Des structures qui encouragent la pratique religieuse ______83 II/ La religion omniprésente dans le quotidien ______83 A) Une éducation religieuse ______84 1) Une présence obligatoire aux offices religieux ______84 2) « Forger des âmes » ______84 3) Privé, public : la question scolaire ______85 B) La religion dans la vie associative et culturelle ______87 1) Le cinéma comme vecteur d’éducation religieuse et morale ______87 a) L’encadrement des jeunes ______88 b) Les grands rendez-vous religieux ______88 III/ Un « terreau » pour le christianisme social ______89 A) Des personnalités influentes ______90 1) Vincent Favé ______90 a) Un curé proche de ses fidèles ______90 b) Un rôle socioculturel important dans la commune ______91 2) Hervé Budes de Guébriant ______93 a) Une charité chrétienne ______93 b) Hervé Budes de Guébriant : un « catholique social » ______93 B) La JAC, la JOC et les militants catholiques du mouvement Castor ______95 1) Les mouvements d’Action catholique à Saint-Pol-de-Léon ______95 2) Les Castors, un mouvement catholique ______96 Partie II/ 1959-1975 : ruptures et modernité ______98 Chapitre I / Le tournant de 1959 ______99 I/ Les conséquences sociales de la réorganisation du marché agricole (1959-1967 ) ______99 A) Les relations entre les agriculteurs, les expéditeurs et les emballeurs ______100 1) Qui sont-ils ? ______101 a) Les agriculteurs « pro-Sica » face aux agriculteurs « indépendants ». ______101 b) Les expéditeurs de légumes ______103 c) Les ouvriers-emballeurs ______104 2) L’évolution de ces relations ______104 a) De la création du Comité de l’artichaut à la fondation de la Sica ______104 b) De la fondation de la Sica à la reddition des négociants.______111 c) Le conflit entre la Sica et la Socoprim. ______114 3) Y-a-t-il eu une politisation du conflit ? ______117 B) Action et réactions de la municipalité face aux revendications paysannes ______119 1) Des réticences envers la réorganisation du marché. ______119 2) La soumission de la municipalité aux revendications de la Sica ______123 3) L’impact sur le commerce et les relations entre la ville et la campagne. ______125 C) La mémoire, ou les mémoires liée(s) à ces événements : l’exemple des manifestations de juin 1962. ______127 II/ Le tournant politique de 1959 ______130 A) Les élections municipales du 8 mars 1959 : le rassemblement. ______130 1) Le retour à la liste unique. ______130 214

2) Les résultats des élections. ______132 3) L'installation difficile du maire et des adjoints. ______134 B) Un décalage entre les scrutins nationaux et les scrutins locaux. ______135 1) Le référendum du 8 janvier 1961 pour l'autodétermination de l'Algérie. ______135 2) Les cantonales des 4 et 11 juin 1961: François Prigent se maintient. ______136 3) Le référendum du 28 octobre1962 sur l'élection du Président au suffrage universel direct. 137 4) Les élections législatives des 18 et 25 novembre 1962 : la poussée de l'UNR. ______137 C) Un premier bilan du comportement politique des Saint-politains ______138 Chapitre II/ Un pas vers la modernisation ______141 I/ 1965-1968 : entre gaullisme partisan et centrisme local ______141 A) Les élections municipales des 14 et 21 mars 1965: « la guerre des tranchées » ______141 1) La composition socioprofessionnelle des listes de 1965 ______145 2) Les professions de foi : entre modernité et cohésion ______146 3) Les résultats ______148 B) Les Saint-Politains et le gaullisme partisan ______154 1) L'attachement au gaullisme se confirme. ______154 a) Les élections présidentielles des 5 et 19 décembre 1965. ______154 b) Les élections législatives des 5 et 12 mars 1967. ______155 2) L'après mai 68 ______157 a) Les élections législatives des 23 et 30 juin 1968 ______157 C) Un vote centriste aux élections cantonales ______159 II/ Modernisation des structures sociales et économiques______160 A) Décrochage démographique et évolution des catégories socioprofessionnelles à Saint-Pol-de- Léon 160 1) Une population qui diminue malgré l’évolution des flux migratoires ______160 a) La diminution de la natalité ______161 b) La répartition de la population par âge ______162 c) L’évolution des flux migratoires entre 1962 et 1975 ______163 2) Le fléchissement du secteur primaire ______165 a) La répartition de la population active en 1968… ______165 b) …et en 1975 ______166 B) Industrialiser pour résorber le chômage ______166 Chapitre III/ Une rupture politico-culturelle vers 1970 ______169 I/ Saint-Pol-de-Léon dans le contexte de déchristianisation ______169 A) L'accueil du Concile ______169 1) Ce que le Concile a impliqué comme changements dans le monde catholique ______170 2) L'accueil du Concile par les Saint-Politains ______171 B) Un décrochage vers 1970 ______172 1) En France et en Bretagne ______172 2) À Saint-Pol-de-Léon ______173 3) Les causes profondes ______174 II/ Une « rupture » politique en 1971 ? ______177 A) Le mandat de François Branellec : des projets trop ambitieux ? ______177 B) Les élections municipales des 14 et 21 mars 1971: la victoire de l'opposition. ______178 1) Les trois listes candidates______178 2) La « partie de catch » électorale. ______182 C) La victoire inattendue de Louis Guilcher. ______182 1) Le premier tour. ______182 2) Le second tour ______184 3) L' installation du maire et des adjoints. ______185 CONCLUSION ______187 Table des annexes ______190 Sources et bibliographie ______202 Tables des figures et des tableaux ______211 Table des matières ______213 215

216