au temps des Bausil DOSSIER Perpignan, du changement d’image à l’émergence d’un nouvel imaginaire A partir de 1904, Perpignan quitte le corset qui l’enserre depuis des siècles. Sans entrave, elle se réinvente un nouvel imaginaire et un nouveau destin culturel.

Ce printemps, deux ses vers postérieurement expositions explorent rassemblés dans son recueil la grande mutation qui « Le miel sauvage ». accompagne l’entrée Un monde culturel de Perpignan dans émerge entre catalanité et l’ère moderne. La méditerranéisme. Déodat première détaille les de Séverac en est un des Cévolutions urbanistiques, acteurs centraux. Il puise conséquence de la dans le génie populaire démolition des remparts catalan pour composer entre 1904 et 1906, alors « Cerdanya » tout en que la seconde donne à fuyant le wagnérisme Exposition de Louis Bausil à la Salle Arago de la Mairie de Perpignan. lire la mise en place d’une Collection privée. dominant par l’écriture, à renaissance culturelle et Banyuls, de son hymne à artistique. Ces deux expositions d’attachement au pays. Ces la Méditerranée, « Baigneuses au explorent le changement d’image années sont celles de la lutte pour soleil ». La clarté devient le maître de la ville ainsi que l’émergence une décentralisation culturelle et mot de toute génération et de d’un nouvel imaginaire. En effet, la revendication d’un régionalisme toute création. L’« Espagne noire » dans les dernières années du XIXe artistique. cède le pas à cette nouvelle Arcadie siècle, Perpignan présente aux catalane. Perpignan n’est pas en visiteurs l’aspect d’une « bourgade La revendication reste. La capitale du Roussillon espagnole » avec ses rues d’un régionalisme devient cette « cité » où les débats étroites et ses murailles de style artistique démocratiques sont animés et  « majorquin ». Des airs ibériques alimentés par le polémiste Albert qui séduisent les tenants d’un Bausil alors que les rugbymen de Art Romantique toujours enclin à Albert Bausil et Louis Codet mettent l’USAP, ces athlètes des temps s’émerveiller devant un passéisme en scène dans leurs romans la vie modernes, signent leurs premiers pétri de cette « Espagne noire » d’une ville de province tandis que succès sur les stades français. chère à Théophile Gauthier. des architectes comme Gustave Avec la destruction des remparts, Violet réagissent au modèle Avec la destruction de ses un nouveau destin se dessine haussmannien en préconisant remparts, Perpignan jette les bases pour Perpignan. Des boulevards l’utilisation d’une architecture de son identité moderne. Plutôt sont ouverts pour laisser place à régionale. Dans les arts plastiques, que de devenir « une ville moderne une « ville moderne française ». des artistes comme Etienne Terrus française » quelconque, elle opère Un nouvel élan porté par une ou Louis Bausil se forment dans une redéfinition urbaine, culturelle bourgeoisie prospère permet le pleinairisme pour exprimer et artistique autour de sa catalanité une redéfinition profonde de toute la force de la lumière pour affirmer son particularisme l’ensemble de la vie perpignanaise. méditerranéenne. Dans un même à travers un nouvel imaginaire Une nouvelle génération d’artistes esprit, Aristide Maillol travaille à tourné vers la Méditerranée. et d’écrivains s'organise pour son chef-d’œuvre « Méditerranée » revendiquer une nouvelle forme alors qu’Henry Muchart compose ■ Eric FORCADA ■ DOSSIER PERPIGNAN au temps des Bausil Perpignan à l’assaut de ses remparts

1904-1906. Perpignan vit sa plus grande mutation. Les remparts qui enserrent la « Nous savons tous que les vieille ville depuis le XIVe siècle sont mis à Les remparts de Perpignan étrangers appelés parmi bas. La capitale du Roussillon abandonne font partie du lot. nous pour leurs affaires L’entrepreneur Edmond s’empressent, après un alors son statut de ville de garnison pour Bartissol, ancien chef séjour aussi court que partir à l’assaut de la modernité. de secteur du Canal de «possible, de repartir avec Suez, saisit l’opportunité une impression d’horreur, je dirais la superficie totale de Perpignan. et propose à la municipalité un même de dégoût impossible à oublier Enserré dans ses remparts, le cœur montage financier capable d’amor– et dont ils vont au loin porter la triste historique se meurt. tir l’opération de destruction. En échange de l’arasement et du renommée. » Emmanuel Brousse terrassement des remparts, sa en fait le constat, Perpignan traîne 150 ans de lutte société obtient la concession de la une « sale » réputation. Le député et majorité des nouvelles friches. La pharmacien dresse aussi un premier Dès 1857, des lobbies s’organisent mairie achète les terrains à l’armée, état sanitaire de la « plus insalubre afin de mettre à bas des le 29 avril 1904. La transaction des villes françaises » lors d’une fortifications devenues obsolètes. se chiffre à plus de trois millions conférence publique organisée en Emmanuel Brousse met son journal, d’euros. Le 16 mai 1904, la Société 1892 par le Comité de démolition L’Indépendant, à disposition des Hydro-Electrique du Roussillon des remparts. « Nous sommes pétitionnaires. Les architectes (SHER) de Bartissol commence fatalement condamnés à devenir Louis Trenet et François Joffre les travaux de destruction. Les le point de concentration de toutes s’avancent pour diriger les travaux terrassiers s’attaquent à la Porte les maladies infectieuses, un vaste et la campagne populaire gagne Saint-Martin, au rempart Villeneuve, terrain de culture où les savants du terrain. Mais la viendront chercher d’inquiétants municipalité de Louis sujets d’études. A cette heure où le Colas ne dispose pas choléra est une menace pour toute la des fonds nécessaires , la question est, je crois, d’une à l’achat des terrains.  brûlante actualité ». Depuis le premier Au-delà de toute considération projet de destruction philanthropique, le Comité entend de 1880, l’Armée, faire entrer la ville de Perpignan propriétaire des 42 dans la modernité. Un seul objectif : hectares qu’occupent réunifier la ville. Depuis l’arrivée les remparts nord, du train en 1858, de nouveaux demande des quartiers émergent à un kilomètre dédommagements du centre–ville. Autour de la gare, trop importants. La Tout comme Perpignan, le Castillet se refait une beauté au début les quartiers Saint-Assiscle puis mairie négocie mais le du XXè siècle. Collection CeDACC-Ville de Perpignan. Saint-Martin profitent du vent de Ministère de la Guerre prospérité venu grâce au chemin ne plie pas. Les pourparlers à la promenade des Platanes et au de fer. En moins de cinquante ans, s’interrompent en 1896. C’est, flanc de la Caserne Saint-Jacques. l’espace urbain de Perpignan triple finalement, la Chambre des Le Castillet dégagé, les ouvriers de superficie pour atteindre les Députés qui a le dernier mot. En assaillent de leurs coups de pioche 130 hectares. Une croissance qui 1899, elle vote le déclassement des la Porte de Canet en mars 1905. Les s'étend hors murs. La vieille ville enceintes militaires non adaptées travaux s’achèvent au mois de juin ne représente plus que 40% de aux conditions de guerre moderne. 1906 aux abords de la Porte de la PERPIGNAN au temps des Bausil DOSSIER Perpignan à l’assaut de ses remparts République. Le grand chantier est u 16 mai 1904 > Les achevé en deux ans. Sur 180 000 premiers travaux de destruction m2 constructibles dégagés, le commencent à la Porte de Canet. Exposition « La destruction Perpignan moderne émerge. De des remparts : 100 ans après » larges boulevards sont ouverts. u 27 août 1904 > Les ouvriers au Couvent des Minimes du Grands magasins, banques et d’Edmond Bartissol démolissent 1er avril au 31 mai 2006. hôtels s’y installent. La prospérité le bastion Q du Castillet. Une s’affiche à tous les étages. polémique commence. En effet, la municipalité n’a pas cédé ces Colloque « La destruction terrains à la SHER. L’ensemble des remparts : 100 ans après » Destruction monumental du Castillet au couvent des Minimes les 7 des remparts : comprend : le Castillet construit et 8 avril 2006. les dates clefs sous Pere IV, la Porte Notre Dame et le bastion polygonal. Le u 1er décembre 1857 > La tout classé par les Monuments municipalité de Perpignan vote Historiques. Le afin de donner l’autorisation à son Ministère des maire d’ouvrir les négociations Beaux Arts et le avec l’armée pour le rachat de Préfet des P.O. l’enceinte médiévale. interviennent pour arrêter les travaux de u 10 septembre 1892 > démolition. Le Comité de démolition des remparts organise une réunion u 4 janvier publique afin de rappeler 1905 > Boeswilwad, l’urgence de la destruction des l’architecte des remparts. Le lobby se met en Monuments place et devient efficace. Historiques, inspecte les travaux faits u 17 juin 1895 > La Ville de autour du Castillet. Perpignan propose au Ministère de la Guerre le rachat des u 24 juin 1905 > Destruction d’une des portes de la ville. remparts pour une somme de 13 Après le constat de l’architecte Collection Musée Rigaud-Ville de Perpignan. millions d’euros. Les négociations des Monuments Historiques,  échouent. le Ministère des Beaux Arts donne l’autorisation d’achever la u 15 décembre 1903 > La Ville destruction du bastion. signe la convention qui confie Exposition les travaux de terrassement à u 3 juillet 1905 > Les écuries la Société Hydro-Electrique du adossées au Castillet sont elles- « Perpignan, au Roussillon (SHER) de Bartissol. aussi mises à terre. temps des Bausil » u 20 avril 1904 > L’Etat vend u Juin 1906 > Après deux ans finalement les remparts nord à de travaux, le terrassement des la Ville de Perpignan. La muraille remparts nord s’achève. au Couvent des à détruire s’étend de la porte u Saint-Martin (actuel quartier 14 juillet 1930 > La Ville de Minimes du 1er avril Saint-Martin) à la porte de Canet Perpignan achète à l’armée les (actuel boulevard Jean Bourrat). remparts sud afin d’y construire au 31 mai 2006. des logements sociaux. u 1er mai 1904 > Le maire radical socialiste Louis Colas est battu par ■ Fanny COURTY ■ le conservateur Eugène Sauvy. HIDOSSIERs t o IRE PERPIGNAN au temps des Bausil En écriture et peinture, le salon de la demeure perpignanaise des Bausil. Collection privée. L'empreinte des frères Bausil Albert, Charles et Louis Bausil. Le destin de ces trois frères épouse la vie culturelle perpignanaise de la première partie du XXe siècle. Entre littérature, peinture, journalisme, sport et tourisme, l’empreinte de la famille Bausil marque de manière emblématique l’émergence du Perpignan moderne.

Entre Catalogne et . Le voulu par une bourgeoisie, qui, d’ironiser sur l’actualité de la ville. monde culturel roussillonnais de par son action de mécène, facilite Ses articles comme ses revues la fin du XIXe siècle tout comme l’apparition d’une scène culturelle sont engagées et libres, ce qui lui la famille Bausil naissent de cette perpignanaise. Avec la destruction vaudra à plusieurs reprises d’être rencontre. Audois par leur père des remparts, les manifestations censuré. Après la première Guerre et Catalans par leur mère, les culturelles désertent la Promenade Mondiale, il fonde son propre trois frères Bausil s’installent des Platanes pour investir la vieille hebdomadaire, Le coq catalan. définitivement à Perpignan à partir ville enfin débarrassée de son Un titre qui résume son action de 1887. A cette date, le monde statut militaire. Les artistes de et son attachement au territoire des lettres perpignanais tente de l’Ecole Roussillonnaise organisent catalan, « Nous sommes aussi fiers constituer un espace littéraire leurs premiers salons de peinture. d’être catalans d’origine que nous autonome en se nourrissant de Les Perpignanais peuvent ainsi sommes heureux d’être français », l’exemple barcelonais de la aller à la rencontre des œuvres se justifie-t-il en 1935. Renaixença et du mouvement de Monfreid ou de Fons-Godail. provençal mené par le Félibre Louis Bausil participe à ces Durant près de quarante ans, Frédéric Mistral. Peu à peu, manifestations en exposant ses Albert Bausil tente de mettre en la renaissance des lettres nord- peintures des « Jardins de Saint- place un « régionalisme culturel ». catalanes s’articule autour de la Jacques », ses paysages du Conflent Son action ne se limitant pas à création de la revue La Clavellina. ou de la Costa Brava et ses fameux l’écriture, il s’implique par exemple Charles Bausil en prend la « Pêchers en fleurs » qui lui valent le dans la politique touristique de la direction en 1897 pour lui donner surnom de « poète de la couleur ». Catalogne du Nord ou dans la  un nouvel élan et en faire l’organe Une démarche complémentaire de vie sportive en accompagnant les d’expression d’une nouvelle celle de son frère, Albert Bausil, qui succès de l’USAP. Son emprise génération d’écrivains. La Clavellina désire mettre toute la couleur de avec le territoire est absolue. permet à Louis Codet, Pierre Camo son pays en vers. Un engagement qui fait date ou Frédéric Saisset de faire leurs puisque toute la première moitié premières armes littéraires. Suivant Albert Bausil sur du XXe siècle reste profondément les modèles de la revue parisienne tous les fronts marquée par l’action des trois frères Gil Blas et de la barcelonaise Pel Bausil. Chacun dans son domaine & Ploma, La Clavellina devient le Après avoir fait ses premiers pas participe au développement reflet de l’ensemble de la création de journaliste pour L’Excelsior à et au rayonnement culturel de artistique. Les artistes Gustave , il revient à Perpignan pour Perpignan et permet l’affirmation Violet, Louis Bausil, Etienne diriger de 1909 à 1915, le journal d’une identité collective Terrus, Aristide Maillol ou Emile Le Cri Catalan. Son engagement fermement enracinée dans un Gaudissard participent de cet auprès de Jean Payra et de Victor territoire pour s’ouvrir sur la effort en illustrant la revue de Dalbiez est total. Une activité modernité et sur le monde. riches lithographies. qui canalise ses désirs et limite la Tirée sur papier spécial, dotée réalisation de ses projets littéraires ■ Fanny COURTY ■ de critiques d’art de qualité, La Côté théâtre, il écrit de nombreuses Clavellina accompagne l’élan revues, format qui lui permet PERPIGNAN au temps des Bausil DOSSIER Albert Bausil et Charles Trenet Une nouvelle génération d’écrivains fait ses premières armes au côté d’Albert Bausil. La rédaction du « Coq Catalan » ouvre ses portes à Cyprien Lloansi, Louis Amade mais aussi à Charles Trenet qui deviendra vite un des plus fidèles disciples d’Albert Bausil.

« Un beau jour j’ai vu la Poésie, Un nouveau métier d’acteur et de la Poésie en chair et en os, la chanteur qui mène Charles Trenet Poésie faite homme ; oui, tout en vers le chemin de la réussite. Bausil était poésie : sa démarche gazeulleuse, son chapeau oiselin, le L’apport de Bausil Courrier de Charles Trenet à Louis Bausil où le pli de son pantalon et le zigzag de à l’œuvre de Trenet fou chantant se représente avec son maître en «son œil, son je ne sais quoi, son rien, caricature. Collection particulière. est considérable son lui, sa demeure, sa sœur que j’adorais. L’avez-vous vu grimper à André Breton à Vernet-les-Bains, Font-Romeu, ou rire, ou vous sauter Charles Trenet monte en 1931 à au cou. Ah ! le délicieux spécimen Paris pour travailler dans un studio d’humanité ; ah ! le poète ! Dire de cinéma. Sa carrière prend alors qu’il y a des types qui ont vu Jésus, un tournant décisif. Malgré tout, Barberousse, Citroën, moi, moi j’ai les deux hommes continuent à vu, de mes yeux vu, vous dis-je, la être liés. Le succès sourit au « fou Poésie ». Vibrant hommage que chantant » en 1940. celui rendu par Joseph Delteil à Dans la riche correspondance la mémoire d’Albert Bausil en qu’ont échangée Bausil et Trenet, 1947. De 1900 à 1940, tous les et qui reste à ce jour inédite, Jean- artistes ou écrivains de passage Bernard Cahours d’Aspry a fait à Perpignan ne manquaient pas quelques découvertes qui seront d’aller à la rencontre du véritable Portrait d’Albert Bausil. Collection privée. prochainement publiées dans le animateur des lettres et de la vie catalogue de l’exposition. « Une de culturelle catalanes. Jean Cocteau Les deux hommes devenus ces 150 lettres est particulièrement ou Max Jacob nous ont laissé leurs amants travaillent ensemble à touchante. Après avoir enregistré  affectueux souvenirs. la composition et à la réalisation ses premiers succès, Charles Trenet Une autre génération de créateurs de nouvelles revues. « L’apport assure à Albert Bausil que les dures nous a aussi transmis ses d’Albert Bausil à l’œuvre de Charles années sont finies. En effet, pour témoignages. En effet, au « Coq Trenet est considérable, explique le maintien de ses publications et Catalan », s’est formée, durant les Jean-Bernard Cahours d’Aspry, de ses revues, Albert Bausil s’était années 1925-1935, une kyrielle de commissaire de l’exposition considérablement endetté. Le jeunes écrivains comme Cyprien « Perpignan au temps des Bausil ». secours de Trenet était donc le Lloansi ou Louis Amade. Mais le Je ne dirai pas comme certains bienvenu. Malheureusement, la « véritable enfant terrible du Coq l’affirment que « La mer » soit un mort vient surprendre Bausil en Catalan » reste Charles Trenet. texte d’Albert Bausil. Mais, il est 1943, et il n’aura pas la chance En septembre 1924, le jeune vrai que cette chanson s’inspire de bénéficier de l’aide de son narbonnais arrive à Perpignan profondément du poème bausilien protégé ». Même si Charles Trenet pour poursuivre sa scolarité au « La danse de Bathylle ». « Fleur a suivi le conseil de son maître : collège Saint-Louis de Gonzague. bleue » est une des expressions « Ne deviens pas un Bausil. Monte Très vite, le jeune adolescent se favorites du maître catalan, tout à Paris ! », il lui restera toute sa vie lie à Albert Bausil. Trenet participe comme, « Y a de la joie » qui fidèle tout comme à Perpignan. comme figurant à la revue de résume sa vision de la vie et ses music-hall « Allo, Pere Pigne ! ». espérances ». Après avoir rencontré ■ Eric FORCADA ■