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11 e numéro – sept/déc. 2011 Actualité juridique, économique, fiscale et sociale des activités économiques d’Afrique

Chers Lecteurs,

≥ACTUALITES ous êtes toujours encore plus nombreux à nous lire et à nous exprimer vos vifs encouragements Les arbitres et avocats africains face à l’arbi- Vet félicitations pour l’initiative de créer une Revue trage international et surtout, pour la qualité des informations que nous Me Mamadou KONATE vous communiquons à travers notre Revue d’informa- tions juridiques internes.

Deux ou trois mots au sujet de la révision de la Vos encouragements nous permettent de nous améliorer constitution malienne de 1992 sans cesse et de poursuivre cette initiative de la Revue Me Mamadou KONATE que nous partageons désormais avec vous tous.

≥ETUDES C’est pour cette raison et pour servir d’avantage que nous avons décidé de faire peau neuve en cette fin d’année. L’action de priorité dans l’OHADA Vous remarquerez, sans doute pour vous en réjouir que, aussi bien la forme de la

SOMMAIRE Dr Bérenger MEUKE Revue, que le design et le contenu de la Revue changent. Vous remarquerez et ap- précierez le logo reformé du Cabinet. Le tout ne visant d’autre objectif que celui Observations sur la gouvernance des S.A avec d’évoluer vers plus de visibilité, de vivacité, de modernité et d’esprit d’ouverture Conseil d’administration en OHADA : Moniste vers le savoir et les expériences des autres. ou dualiste ? Dr Bérenger MEUKE & Me Mamadou KONATE Pour vous servir, l’équipe de la Revue, sous la direction de Mamadou KONATE du , continuera avec le Camerounais Bérenger MEUKE, le Sénégalais Bakary

≥CHRONIQUES DIALLO, et bien d’autres personnes encore à animer les rubriques « Actualités », « Etudes », « Chroniques » et « Informations Pratiques » de votre Revue qui paraitra Le principe compétence-compétence en ma- désormais bimestriellement, ce, à compter de janvier 2012. tière d’arbitrage OHADA (Note sous Arrêt Ass Plénière de la CCJA du 31 janv 2011 (Planor Puissent ces nouvelles initiatives traduire au mieux notre volonté et notre ambition de faire de Jurifis Info, un véritable outil d’information et de communication du Afrique c/ Atlantique TELECOM) droit et de la pratique du droit. Dr Bakary DIALLO Nous restons convaincus de ce que notre démarche est la bonne, tant la moderni- La répartition des compétences dans un litige sation du cadre juridique des activités économiques en Afrique n’est pas simple- où s’entrechoquent et se mêlent les matières ju- ment une question de réglementation législative. ridiques harmonisées et les matières juridiques Dans ce nouveau numéro, la Revue traite de différents sujets dont celui de la problé- non harmonisées (Note Arrêt C.Cass Sénégal n° matique des Arbitres et Avocats africains dans le contexte de l’arbitrage international. 36 (Jamel SALEH c/ Sté ULMAN sa) et n° 37 (Alioune BABOU c/ Mbacké DRAME) du Dans le cadre d’une communication faite à l’occasion d’un séminaire à Paris où il était invité, Maitre Mamadou Ismaila KONATE a estimé qu’« au delà de sa mission 19/01/2005 classique, l’avocat africain doit jouer sa partition dans la promotion de l’arbitrage Dr Bakary DIALLO international à travers, d’une part, l’assistance qu’il offre dans la mise en place de la convention d’arbitrage et celle de la procédure arbitrale, et d’autre part, à travers ≥INFORMATIONS PRATIQUES sa fonction même d’arbitre. ». Pour lui, « si les dispositions de la loi relative à l’ar- Le silence du Conseil d’Administration après bitrage laissent aux parties la liberté de choix quant à la désignation de leurs arbi- tres, les avocats peuvent remplir cette mission d’arbitrage. » l’augmentation par le Directeur Général d’une SA de l’espace OHADA, de sa rémunération Dans un premier temps, un commentaire d’un arrêt rendue par l’Assemblée plé- vaut-il approbation de la mesure prise? nière de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) relatif au principe « compétence-compétence » le Docteur Bakary DIALLO, par ailleurs Avocat, estime

Brèves réflexions sur la garantie des crédits ac- qu’« en plaçant sa motivation sur le terrain de la violation de l’ordre public inter- national en ce que les arbitres auraient méconnu l’arrêt de la Cour d’appel de Oua- cordés par les établissements financiers aux gadougou ayant acquis la force de chose jugée, le juge supranational donne une collectivités locales en zone OHADA mauvaise perception du rôle de l’arbitre dans l’appréciation de sa propre compé- Dr Bérenger MEUKE tence au regard du principe compétence-compétence ». Enfin, au moment même où des experts travaillent à relire l’Acte Uniforme relatif La procédure de data room en OHADA au Droit des Sociétés Commerciales, la Revue Jurifis Info s’est interrogée sur la question de savoir si dans le cadre de la gouvernance des Sociétés Anonymes en ≥LU POUR VOUS OHADA, il fallait voir dans le choix des actionnaires pour le mode moniste avec PDG l’expression d’un échec de la gouvernance, dissocié en mode dual avec PCA La répression des crimes contre l’humanité en Afrique et DG ? Pour le Docteur Bérenger MEUKE également Avocat et Maitre Mamadou Ismaïla KONATE, « autant la gouvernance duale peut permettre une dissociation Me François SERRES des pouvoirs de direction, autant elle peut aboutir de part les rapports de force qui naissent très souvent entre le Directeur Général et l’actionnariat, à une paralysie de la gestion sociale et partant à la chute de l’entreprise. » Toute l’équipe de Jurifis Info vous présente leurs vœux pour l’année 2012. Jurifis Info est une publication de la Société d’Avocats JURIFIS CONSULT • Tel:(+223) 20.23.40.24/20.23.53.96/20.22.53.97 Le Comité de Rédaction / Télécopie : (+223) 20.22.40.22 Site web: www.jurifis.com / E-mail: [email protected] ACTUALITÉ

LES ARBITRES ET AVOCATS AFRICAINS FACE À L’ARBITRAGE

Mamadou KONATE INTERNATIONAL Avocat Associé JURIFIS CONSULT

arbitrage International « n’a pas la promotion de l’arbitrage et la mise allemand dans le différend qui l’op- toujours bénéficié d’une récep- en œuvre des procédures arbitrales. posait à Guadalupe Gas Product Af- L’ tion aussi unanime : selon les faire CIRDI N° ARB/78/1 ; époques et les pays, il a été parfois I- L’Arbitre africain dans le contexte ignoré, contesté dans sa vocation, res- de l’arbitrage international : Cette liste est loin d’être exhaustive et treint dans ses effets avant d’entrer plusieurs autres pays africains comme dans une phase d’expansion crois- Si l’arbitrage n’est pas un phénomène le Cameroun, le Libéria, le Ghana, la sante…» 1; nouveau en Afrique, la place et la Guinée, la Tunisie, l’Egypte et la Tan- contribution des arbitres africains dans zanie ont également procédé de la En effet, le développement du com- l’arbitrage international méritent même manière en désignant des arbi- merce international, phénomène qui quelques réflexions. tres occidentaux et américains. découle de la croissance de l’écono- (Source Revue Camerounaise de l’Ar- mie mondiale et de l’internationalisa- I.1 Place des arbitres africains dans bitrage n°13, Avril- Mai- Juin 2001, tion progressive des économies l’arbitrage international : p.3) 2, nationales, a également contribué à accentuer l’importance de l’arbitrage Confrontés, jadis, au nombre très li- Dans sa publication connue également international aussi bien sur le plan in- mité d’africains ayant la formation re- sous le nom « Affaires du CIRDI - Sta- ternational que dans le continent afri- quise et l’expérience nécessaire pour tistiques » en son numéro 2011-1, le cain. résoudre les différends soumis à arbi- Centre nous renseigne que les arbitres, trage, les parties africaines ont le plus conciliateurs et membres de comités L’institution de la Cour Commune de souvent placé leur confiance dans l’in- ad hoc nommés dans les affaires CIRDI Justice et d’Arbitrage (CCJA) et la mise tégrité et l’impartialité des arbitres sont de l’ordre de 2% pour l’Afrique en place progressive de divers centres d’origine non africaine dans le règle- subsaharienne contre 48% pour l’Eu- nationaux dédiés à l’arbitrage dans ment des différends concernant l’arbi- rope Occidentale et 23% pour l’Amé- bon nombre d’Etats du continent afri- trage international en raison de leurs rique du Nord (Source « Affaires du cain témoigne de la place de choix grandes expériences. CIRDI-Statistiques n° 2011-1, p.16)) 1. que devrait bientôt occuper ce mode de règlement de litige. Ainsi, dans l’arbitrage CIRDI, les par- Outre le manque d’expertise, ce re- ties africaines recouraient fréquem- cours aux arbitres étrangers pourrait Or, la mis en place et le fonctionne- ment aux arbitres occidentaux en également être justifié en partie par ment d’une telle institution dans le fonction de leur compétence et indé- l’absence en Afrique en son temps de paysage africain passe avant tout par pendamment de leur nationalité pour centres d’arbitrage à vocation univer- une parfaite maîtrise du rôle de ses ac- régler leurs différends. Il en est ainsi : selle et de législations adéquates appli- teurs principaux que sont les arbitres cables. eux mêmes. Il se trouve le plus souvent – Du Maroc qui a désigné un arbitre que les avocats africains sont le plus français dans l’affaire qui l’opposait Cette tendance qui a dominé pendant souvent dédiés à cette mission, sans à Holiday Inns en 1972 (Affaire longtemps l’arbitrage international en doute en raison de formations de base CIRDI N° ARB/72/1, Rapport an- Afrique s’est déclinée peu à peu non et de l’esprit d’indépendance dont ils nuel 1980/1981.p.30 ; seulement avec l’émergence d’une font preuve dans le cadre de l’exercice nouvelle génération des juristes origi- de leurs missions. – De la Côte d’Ivoire qui a nommé un naires des pays africains, dont l’expé- arbitre suisse dans l’affaire qui l’op- rience en matière d’arbitrage n’est plus Dans un contexte de plus en plus do- posait à la société Adriano Gardella sujette à caution mais également avec miné par le commerce transfrontalier SPA (Affaire CIRDI N° ARB/74/1; l’institution de la CCJA et la mise en et le cortège de litiges qui l’accom- place progressive des centres natio- pagne et qui implique nombre d’inté- – Du qui a désigné un arbitre naux d’arbitrage. rêts situés dans le continent africain, se belge dans l’affaire qui l’opposait à pose la question de la place des arbi- la société Serete SA (Affaire CIRDI Ainsi, dans au moins sept cas, la partie tres africains dans l’arbitrage interna- N° ARB/76/1; défenderesse africaine ou le Président tional (I) et le rôle spécifique des du Conseil Administratif ont désigné avocats africains voire africanistes dans – Du Nigéria qui a désigné un arbitre un ou deux arbitres africains dans l’ar-

2 Jurifis Infos – 11 e numéro – sept/déc. 2011 1 Les révisions constitutionnelles dans le nouveau constitutionnalisme africain Par Jean-Louis ATANGANA AMOUGOU, Docteur en Droit Public Chargé de Cours à l’Université de Yaoundé II 2 Message de François Mitterrand au Parlement, 8 avril 1986 ACTUALITÉ

bitrage CIRDI dans les différends qui opposaient des Etats africains aux en- treprises occidentales.

Il est même arrivé à certains Etats afri- cains de nommer leurs propres ci- toyens comme arbitres. C’est le cas de SOABI contre Sénégal ; SPP contre Egypte ; Société d’Etudes des Travaux et de gestion SETIMEG Sa contre Gabon…(Source Revue Camerounaise de l’Arbitrage n°13, Avril- Mai- Juin 2001, p.8) 2.

Cette nouvelle tendance s’est par la suite élargie dans le cadre de l’arbi- trage commercial international avec la mise en place de la CCJA qui joue la fonction du Centre d’arbitrage à voca- tion universelle et les autres centres nationaux.

Cependant, en dépit de la ratification des différents instruments juridiques internationaux par la quasi totalité des Etats africains, de l’institution de la ou de celles relevées auprès des ins- Les défis à relever sont nombreux et CCJA et de la mise en place progres- tances connaissant les recours en tiennent entre autres à : sive des centres nationaux d’arbitrage annulation, insuffisances qui portent qui ont fait naitre tant d’espoirs auprès atteinte à la célérité et à l’efficacité – L’impératif de formation des arbi- des opérateurs économiques qui tant attendue de l’arbitrage et jettent tres ; n’avaient jusque là que la seule justice du coup un doute sur la crédibilité

étatique pour gérer leurs différends de de l’ensemble de la justice : – La sensibilisation pour la mise en nature commerciale, force est de rele- place effective des comités natio- ver que la participation des arbitres – Le préjugé des coûts élevés prati- naux (dont la plupart des pays afri- africains à l’arbitrage international qués dans le domaine de l’arbitrage. cains n’en ont pas encore) capables reste encore timide. de proposer la nomination des arbi- Ce sont là, autant de défis à relever par tres dans le cadre l’arbitrage CCI ; Dix ans après l’entrée en vigueur de les juristes africains dont l’apport et la l’Acte Uniforme de l’OHADA relatif à contribution sont essentiels pour la – L’incitation des Etats africains à four- l’arbitrage, la faible sollicitation de promotion de l’arbitrage international. nir la liste des arbitres dans le cadre ces différents centres, suscite de l’arbitrage CIRDI (certains Etats quelques interrogations sur l’effica- n’ont pas encore déposé leurs listes cité de l’arbitrage. Plusieurs raisons I.2- Apports et contributions des arbi- auprès du Centre); ont été avancées pour expliquer un tres africains : tel décalage : – La sensibilisation des entreprises pri- L’arbitre, écrit CH.JAROSSON, est vées à privilégier l’arbitrage comme 3 – La méconnaissance de ce mode de « un juge choisi » . Ce choix est une mode de résolution des différends. règlement des différends par les di- marque de confiance des parties et rigeants et les juristes qui les assis- suppose une prise en compte de la La redynamisation et la mise en place tent dans la gestion des risques qualité, de la connaissance, de l’in- effective des centres nationaux d’arbi- juridiques ; dépendance, de l’impartialité et de tres. la grande expérience qu’incarne – La non conversion des opérateurs l’arbitre. C’est seulement à ce prix que les arbi- économiques nationaux à l’esprit de tres africains pourront pleinement par- convivialité et d’apaisement qui pa- Ce choix reste primordial d’autant plus ticiper à l’arbitrage international. rait gouverner les transactions com- que le succès ou l’échec d’un arbi- merciales à travers le monde. trage dépens dans une large mesure de la qualité des arbitres désignés et de II- L’Avocat africain dans les procé-

– Le manque d’ouverture des conseils leurs familiarités aux affaires, objet du dures arbitrales : des entreprises et des services juri- litige. diques de celles-ci à la maîtrise du La profession d’avocat a subi de pro- droit de l’arbitrage. Or, les facteurs ci-dessus évoqués fondes mutations ces dernières années pourraient constituer des obstacles dans nombre de pays ressortissants du – Les insuffisances de certains juges pour les arbitres africains à jouer plei- continent. Les conséquences de ces dans le cadre de l’arbitrage ad hoc nement leur partition dans l’arbitrage mutations sont diversement ressenties international. dans.

La revue juridique du cabinet d’avocats Jurifis Consult 3 ACTUALITÉ

Longtemps confiné dans son rôle de «Au delà de sa mis- plaideur, de conseil et considéré par les entreprises comme un mal néces- sion classique, l’avo- saire qu’il faudrait se garder de consul- ter le moins possible, l’avocat apparaît cat africain doit jouer aujourd’hui comme le principal sa partition dans la « conseiller, assistant et mandataire », l’un des professionnels quasi incon- promotion de l’arbi- tournable pour assurer le bon fonction- nement des entreprises face au trage international à règlement de leurs litiges. travers, d’une part, Face aux mutations économiques, technologiques et sociales auxquelles l’assistance qu’il offre les entreprises sont confrontées ; face dans la mise en place aux exigences de la mondialisation, des mutations normatives et institu- de la convention tionnelles du droit de l’arbitrage et celles liées à l’internationalisation du d’arbitrage et celle mécanisme de règlement des diffé- rends, l’avocat devient plus que jamais de la procédure arbi- le partenaire juridique privilégié, capa- ble d’offrir aux entreprises, les garan- trale, et d’autre part, ties indispensables de confidentialité, à travers sa fonction de compétence requise, d’indépen- dance et de responsabilité. même d’arbitre.» A ce titre, au delà de sa mission clas- sique, l’avocat africain doit jouer sa – La négociation, la rédaction et la va- L’assistance dans la constitution du tri- partition dans la promotion de l’arbi- lidation des clauses compromis- bunal arbitral ; trage international à travers, d’une part, soires et des compromis d’arbitrage ; l’assistance qu’il offre dans la mise en La détermination et la mise en œuvre place de la convention d’arbitrage et – La validation du choix du règlement de la stratégie contentieuse générale celle de la procédure arbitrale, et d’au- d’arbitrage ou des règles de procé- dans les arbitrages complexes ; tre part, à travers sa fonction même dures stipulées dans les clauses ad d’arbitre. hoc ; La préparation et la rédaction des do- cuments (requêtes, mémoires et II.1 L’intervention de l’avocat dans la – La préparation de la mise en œuvre pièces). mise en place de la convention d’arbi- d’une convention d’arbitrage et la

trage : bonne articulation avec les clauses Face au défi des mutations du droit des de médiation ou conciliation affaires en général et de l’émergence L’arbitrage est une matière qui ne laisse conventionnelle ; du droit de l’arbitrage en particulier aucune place à l’improvisation . La cé- dans l’espace OHADA, l’avocat doit lérité de ce mode de règlement, outre – Le choix et la mise en œuvre de la constamment mettre à jour l’ensemble l’impartialité et l’expertise des arbitres, stratégie précontentieuse ; de ses connaissances pour être à la requiert la présence de véritables spé- hauteur des missions qui lui seront cialistes. Le contrôle de la désignation et de l’in- confiées. dépendance des arbitres ; Les attentes des dirigeants des entre- II.3 La fonction d’avocat-arbitre prises à l’égard de leurs conseils ont II.2 Rôle de l’avocat dans la mise en considérablement accrues en raison œuvre de la procédure arbitrale : Si les dispositions de la loi relative à des exigences liées aux profondes mu- l’arbitrage laissent aux parties la liberté tations des normes, à l’émergence de Outre, son intervention dans la mise de choix quant à la désignation de nouvelles disciplines et à la com- en œuvre de la clause arbitrale, l’avo- leurs arbitres, les avocats peuvent rem- plexité des dossiers à traiter. cat joue un rôle éminent dans la plir cette mission d’arbitrage. Déjà, au conduite de la procédure arbitrale. A XIX ème siècle on considérait que « les Dans un tel contexte, le rôle de l’avo- cette phase, la mission de l’avocat fonctions d’arbitre (…) élèvent en cat n’est plus à démontrer dans l’assis- consiste essentiellement à préparer : quelques sorte un avocat à la hauteur tance des entreprises à l’occasion de la magistrature et (…) lui imposent d’arbitrages internationaux qu’ils La mise en œuvre d’instance judiciaire certainement tous les devoirs. » 1 soient ad hoc ou institutionnels. préalable ou parallèle à la procédure A ce titre, il assiste les entreprises à arbitrale aux fins des mesures conser- Cependant, les activités d’arbitres ne tous les stages de l’arbitrage et princi- vatoires (saisies), de mesures d’instruc- doivent nullement avoir d’interaction

palement dans : tions ‘experts, constats) ; avec des litiges connus par l’avocat dans sa pratique.

4 Jurifis Infos – 11 e numéro – sept/déc. 2011 ACTUALITÉ

DEUX OU TROIS MOTS AU SUJET DE LA REVISION DE LA CONSTITUTION

Mamadou KONATE MALIENNE DE 1992 Avocat Associé JURIFIS CONSULT

e paradoxe d’une consultation ré- ce sera toujours un camp qui va ga- parlement. Tout de même, l’on ne sau- férendaire réside dans le fait que gner contre un autre. Mais dans le rait pas pendant longtemps encore, le citoyen électeur dispose, en contexte malien de l’heure, gagner ou venir confondre un texte de nature L définitive, de très peu de marge de ma- perdre importe peu finalement. Seule constitutionnelle, donc de niveau « loi nœuvre pour exprimer son opinion, la manière de gagner ou de perdre de- fondamentale » et celui applicable aux réelle et complète, face à la question vrait compter. Et, cette manière en personnes et à la famille dit « code des qui lui est soumise. Une telle situation l’occurrence sera appréciée et mesu- personnes et de la famille ». Ne com- peut, dans une certaine mesure, rée en tenant compte du niveau réel mettons aucun sacrilège ! Ce dernier constituer une tare, un manque et une de participation des citoyens électeurs texte, il est vrai, est d’une portée hau- véritable défaillance, même dans un à cette consultation référendaire ; en tement plus sociale et nettement plus contexte dit de démocratie. Par exem- second, cette consultation sera aussi sensible dans notre pays qu’un dispo- ple, en matière de révision de texte mesurée en tenant compte des scores sitif constitutionnel. Malgré tout, les constitutionnel, comme ce sera le cas qui seront réalisés par les tenants du incidences et les implications d’une bientôt dans notre pays, le citoyen « OUI » et ceux du « NON ». Ce qui révision constitutionnelle sont telle- électeur n’aura aucune autre possibi- est clair, c’est que deux camps de ma- ment nombreuses et énormes au point lité que de répondre « OUI » ou liens seront bientôt opposés dans une de pousser à une seconde lecture. « NON » ! A l’exception sans doute « conflagration politique » du « pour » des plus téméraires et irrédentistes ma- ou du « contre » dans le cadre de la Qu’à cela ne tienne ! Lorsque dans un liens, plus déterminés à aller au-delà révision « ATT-DABA » de la constitu- même pays et à propos du même texte du « OUI » et du « NON». Ceux-là tion de 1992. constitutionnel, deux centrales syndi- voudront opter pour un troisième cales de travailleurs : l’UNTM et le geste, le boycott total ! Ce faisant, ils La constitution « ATT-DABA » est CSTM, une fédération entière d’asso- voudront manifester leurs désapproba- celle-là qui a été voulue par le Prési- ciations et de groupements de société tions en refusant de prendre part et dent de la République Amadou Tou- civile réunie, une association de dé- même de répondre à la question mani TOURE. Celui-ci n’a-t-il pas fait fense des droits de l’Homme, posée, à savoir : « Etes-vous « pour » la preuve absolue de sa détermination quelques partis politiques, un syndicat ou « contre » la révision de la Consti- à faire passer le texte de « sa » consti- de magistrats, le SYLIMA, des associa- tution de 1992 telle que proposée au tution, celle de 1992, révisée par ses tions de femmes et bien d’autres cor- référendum par Monsieur le Président soins, sous les éclairages d’une com- porations se lèvent, pour s’exprimer et de la République et votée par les Dé- mission technique d’experts désignés, exprimer en chœur leur totale désap- putés » ? avec à sa tête, Daba DIAWARA, de- probation par rapport à l’initiative venu depuis Ministre. même de la révision, il y a comme un Pour ne pas répondre à cette question, malaise dans le pays. S’entêter pour ne les plus déterminés décideront de faire Voilà pour ce qui est des péripéties de pas voir et ne pas reconnaître un tel la grève des urnes. Ceux-là auront-ils cette révision constitutionnelle. Celles- malaise, aller en avant, en « enjam- suffisamment tort ou raison ? La ré- ci sont passées pas des phases tech- bant » les oppositions ne serait pas ponse à une telle interrogation est in- niques jusqu’aux étapes plus convenable. Aucune mécanique de dividuelle. Il s’agit de questions et politiques. Tout le long, de nom- vote ou de validation de scrutin ne d’attitudes qui relèvent en définitive de breuses personnes et personnalités, saurait venir donner suffisamment rai- la responsabilité de chaque citoyen spécialistes ou non du droit et de la son ou tort à un camp ou à un autre électeur, mis face à son « libre arbitre » constitution, politiques et syndicales dans un processus de révision du texte et par rapport à l’objectif que chaque se sont exprimées. Toutes ont laissé fondamental. Même pas la mise en individu citoyen se fixe vis à vis du entendre des voix dissonantes de œuvre d’une imparfaite mécanique destin national. celles officielles exprimées. Des voix de vote (51 % pour et 49 % contre). de discordance qui traduisent de Une fin de mandat d’une durée totale Dans un tel décor, le plus dur pour les réelles résistances contre la révision. de dix années devrait se préoccuper initiateurs de la consultation référen- Ces résistances ne sont pas des moin- de cela. daire malienne à venir n’est pas tant dres. Il en a fallu peu, pour que dans de la réussir et de voir ainsi un camp un autre contexte et à une autre C’est pourquoi le cri des maliens qui gagner contre un autre. Il est clair que époque, on ait songé à déclencher la se sont exprimés contre ce texte de ré- dans une consultation comme celle-ci, procédure de la seconde lecture au vision constitutionnelle devra être en-

La revue juridique du cabinet d’avocats Jurifis Consult 5 ACTUALITÉ

tendu : s’il faut pour cela, envisager port à telle ou telle autre ne doit être apparu assez difficile, au plan du d’aller jusqu’à une seconde lecture du si vif au point de disloquer et de rom- droit constitutionnel, d’accepter la texte de révision de la constitution de pre le précaire équilibre entre les ci- maladroite rédaction proposée dans 1992 ? La réponse est : Pourquoi pas ! toyens d’une même nation. « Une la disposition formant désormais Si le « consensus », nécessaire à pro- révision constitutionnelle peut parfai- l’article 106. A y lire de près, l’utili- pos d’une telle question se trouve au tement s’effectuer dans la droite ligne sation du mot « novation » n’est pas bout. Pour la circonstance, il vaut de la légalité la plus pure et se révéler sans poser de difficultés. Stricto mieux d’ailleurs ne pas avoir de révi- illégitime. La légitimité doit être prise sensu, le terme novation, bien sion de la constitution que d’avoir une ici dans le sens de la conscience du qu’étant un concept de droit, ne constitution mal révisée, dans la- moment »1. La situation que vit notre semble pas très approprié en ma- quelle, des maliens ne se reconnai- pays n’est pas unique. tière constitutionnelle. Au détour de traient pas ou très peu, voire pas du quelques lectures, nous avons re- tout. Prenons garde qu’il ne soit re- La France, « pour la première fois » de trouvé ce mot de la bouche de Fran- tenu de l’histoire politique de notre son histoire politique, a vu en 1986 la çois MITTERAND. Evoquant jeune Etat, qu’une constitution, celle majorité parlementaire basculer. De l’ampleur de la défaite de la gauche de 1992, révisée, est celle-là qui ren- nouvelles « tendances politiques diffé- aux élections législatives de 1986 ferme des dispositions erronées et rentes de celles qui s’étaient rassem- qui a entrainé la naissance de la manquant de base ou comportant des blées lors de l’élection présidentielle » première cohabitation, il a indiqué dispositions incohérentes et inconsis- venaient de voir le jour. Nombreux à ce sujet que « la novation qui tantes . étaient ces observateurs et analystes po- vient de se produire requiert de litiques qui ont laissé planer de sérieux part et d’autre une pratique nou- D’ailleurs, ce n’est pas plus le principe doutes quant à la capacité des acteurs velle »5. de la révision de la constitution de politiques à assurer le fonctionnement 1992 qui est en cause que la manière régulier des pouvoirs publics. En cherchant plus en avant, l’on se dont on s’est pris à réformer certains rend compte que le concept de «no- points cruciaux de la constitution. Ils François MITTERAND, alors Président vation» est un concept plutôt de sont finalement nombreux ces maliens de la République, affirmait que la ré- droit civil qui vise et s’applique à à dire ou à reconnaître au Président de ponse « La seule possible, la seule rai- des « obligations ». La «novation» la République son « pouvoir » de révi- sonnable, la seule conforme aux est l’effet qu’opère la substitution à sion. Peu importe le moment où il intérêts de la nation » était : « la un lien de droit qui s’éteint, la exerce ce pouvoir, pourvu qu’il Constitution, rien que la Constitution, conclusion d’une relation contrac- l’exerce durant son mandat. Point de toute la Constitution ». Il poursuivait tuelle nouvelle. Elle a lieu soit par suspicion lorsque le Président de la en rappelant sa conviction que la suite du changement de dettes République a assigné lui- même un constitution en tant que « loi fonda- entre les mêmes contractants, soit objectif précis de cette révision, à sa- mentale » était la seule et qu’ « il n’y par suite du changement de créan- voir : « Améliorer le processus démo- a pas, en la matière, d’autre source du cier ou par l’effet du changement cratique...adapter l’outil à l’objet, la droit »2. François MITTERAND deve- de débiteur 6. On applique égale- lettre à la pratique pour mieux avan- nait ainsi le premier chef de l’Etat ment ce mot pour désigner la subs- cer dans la construction d’un système français à vivre la « cohabitation » et titution de nouvelles conditions démocratique performant ». à l’affronter. Dans un tel contexte, il contractuelles à celles que les par- a invité ses adversaires politiques en ties avaient précédemment arrêtées. Nous sommes de ceux qui pensent des termes aussi clairs que précis au Allons-nous introduire en droit que vingt années de vie politique et respect de la Constitution : « Tenons- constitutionnel un concept propre institutionnelle sont suffisantes dans nous en à cette règle »3 avait-il lâché. au droit civil mais impropre en droit notre pays et constituent un réel motif constitutionnel, pour introduire plus et une occasion suffisante de s’interro- Au sujet de la révision de la constitu- qu’une confusion, une impréci- ger sur le devenir de ses institutions, tion de 1992, les réponses apportées à sion constitutionnelle ? sur sa pratique politique, sur son sys- deux ou trois questions mal posées tème démocratique et sur son devenir viennent rompre l’équilibre de la dé- • Ensuite, l’amendement N° 1 pro- en tant qu’Etat et Nation simplement. marche de révision. Par exemple : pose de modifier le préambule de la Mais en disant cela, nous pensons éga- constitution en se référant aux « lement qu’une révision constitution- • au sujet de l’amendement N°28 du principes et valeurs énoncés dans la nelle devrait également être l’occasion projet de réforme constitutionnelle, Charte adoptée en 1236 à Kuru kan de réunir le plus grand nombre de ma- il est proposé un article 106 ainsi ré- Fugua » ; la malheureuse référence liens, comme en 1992, au-delà de digé : « La présente loi constitution- aux principes seulement « compati- leurs obédiences et de leurs clivages, nelle n’emporte pas novation 4 de bles » avec la démocratie et la répu- pour leur donner le moyen d’exprimer république ». Pour soutenir cet blique vient apporter la preuve leurs engagements forts pour le Mali et amendement, il est précisé que évidente que cette Charte comporte pour la construction nationale. Pour celui-ci vise à éviter toute autre in- bien d’autres principes, probable- nous, les choix et les options des uns terprétation de la portée exacte de ment moins « démocratiques et ré- peuvent sans doute diverger des la révision constitutionnelle. Celle- publicains ». En cela, la référence à croyances et des convictions des au- ci ne devrait pas être analysée en cette Charte dite du Mandé est gê- tres. Mais jamais, jamais le débat de une « création » d’une « quatrième nante. Elle l’est également au regard révision constitutionnelle entre les te- république ». Si l’on peut bien com- des « disputes » qui ont cours quant nants de telle ou telle position par rap- prendre et même accepter une telle à son origine, son contenu et même motivation « politique », il nous est

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son époque. Ces « disputes » sont tère « officiel » pour leur assurer une tions en général. Elles n’étaient pas loin d’être closes 7. Ensuite, parlant fausse suprématie. Les langues na- faciles déjà mais avec une telle évo- de la Charte, l’évocation des tionales ne sont pas officielles. Elles lution linguistique constitutionnelle, « gens » porte sur deux textes : l’un ne peuvent d’ailleurs l’être au regard elles vont se compliquer davantage. plus long que l’autre. Cette Charte de leur nombre, de leur caractère Alors, simple question : Avions-nous fait référence à une organisation so- pour la plupart, non écrits et leurs besoin tant d’officialiser nos si belles ciale spécifique. Probablement que diversités. Une langue officielle est langues nationales pour mieux com- les KEITA étaient plus « aptes » à ac- avant tout une langue de communi- muniquer entre nous et nous appe- céder au « trône » que n’importe cation, surtout avec l’extérieur 8. ler « Mali » voire nous sentir plus quel autre COULIBALY, TOURE et Elle s’impose à tous les services of- « maliens » qu’auparavant ? Non ! ne parlons pas des SAMAKE. Les si- ficiels de l’Etat (organes de gouver- tuations de la femme et de l’esclave, nement, administrations, tribunaux, • l’incongruité de l’allusion à la natio- loin d’être des exemples à l’époque, registres publics, documents admi- nalité originellement malienne qui ne constitueront pas de nos jours de nistratifs, etc.), ainsi qu’à tous les viendrait, dans le cadre d’une can- bonnes références « républicaines et établissements privés qui s’adres- didature à la magistrature suprême démocratiques » pour nos constitu- sent au public 9. Imaginons la situa- dans notre pays, chasser toute autre. tions contemporaines. En définitive, tion cocasse d’un « touareg » en Une telle démarche d’exclusion le grand mérite de nos ancêtres ne conflit avec un « bobo », tous les n’est pas sans reproche dans un pays réside-t-il pas dans leur capacité à deux devant comparaître par-devant comme le nôtre avec ses traditions avoir su, en 1236, définir et par le juge qui lui ne parle, en plus du de tolérance et ses sept frontières « écrit » les règles essentielles de français, que « minianka ». Il lui fau- nationales 10 . Il est dit que « Tout « gouvernement » et de « dévolu- dra sans doute au juge des inter- candidat aux fonctions de Président tion » du pouvoir, en même temps prètes. Mais des interprètes dans de la République doit être de natio - qu’ils ont affirmé les « principes » chacune des langues présentes : la nalité malienne d’origine, jouir de devant régir l’organisation et le fonc- sienne, nationale devenue officielle ses droits civiques et politiques et, tionnement social ; mais aussi celles des protagonistes avoir renoncé à toute autre natio- dont il devra entendre les dires avant nalité ». Du coup, tous ceux qui • Les alinéas huit et neuf de l’article de juger des faits qui lui sont sou- sont nés autrement que maliens sont 25 de la Constitution proposée à la mis. Au total, trois langues natio- désormais exclus de la magistrature révision indiquent que « les langues nales et officielles se feront face. suprême. Même les maliens d’ori- nationales et le français sont les Dans notre pays, on a déjà assez de gine, à la différence de ceux de langues d’expression officielle » mal à trouver un seul interprète dans « circonstance » ou d’ «emprunt » dans notre pays. L’allusion et la ré- ces circonstances-là, mais s’il en ne doivent plus avoir aucune une férence sont une première. Les faut trois désormais voire plusieurs, autre nationalité, à moins d’y re- langues nationales sont aussi les difficultés « administratives » et noncer au profit de la seule ma- langues officielles, quelle nouvelle de bonne distribution de la mission lienne. Ils devront pour être source de sacrée confusion ! La dé- de « service public » ne vont qu’en candidats à la magistrature suprême, marche politique confond ici l’ob- s’accroissant. Ce qui est dit là vaut renoncer à leur nationalité de trop. jectif majeur d’affirmer l’existence également pour toutes les situations Il s’ouvre alors dans notre pays un des langues nationales et leur carac- qui naissent devant les administra- contexte de suspicion qui donne la

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possibilité à tous tiers de mettre en Ce manque et cette défaillance s’ex- tionnalité ; le statut pénal du Président cause « l’originalité » voire « l’au- pliquent par le fait que les députés de la République et des membres du thenticité » de la nationalité ma- sont très mal lotis dans ce domaine, gouvernement…Par finir, on est plutôt lienne d’un candidat à la beaucoup moins nantis que les ca- mal à l’aise lorsque l’on a été tenté, magistrature suprême de notre binets ministériels qui regorgent de aux premières heures de l’annonce par pays, y compris au moyen de la sus- « cadres » et de « techniciens » ad- le Président de la République des ré- picion et de la délation. Pas loin de ministratifs pour assurer la prépara- formes, de dire « oui » au principe de chez nous, ce sont des choses tion de la « loi ». Le doublement cette réforme, dans le seul but de ren- comme celles-ci qui ont « fâché » le dans ces conditions de la chambre forcer et de consolider la démocratie peuple et qui ont été à l’origine de au niveau du parlement va permet- et que l’on se voit contraint de dire conflits à forte connotation sociale tre simplement d’adjoindre un nom- « non » par et pour la suite, au regard et politique insupportable 11 . De bre équivalent de sénateurs aux de ce que l’on tente de faire de cette plus, lorsqu’apparaît ce type de dif- députés actuels dans un parlement réforme, quel DOMMAGE ! ficultés et dans de telles circons- bicaméral. La conséquence sera, à tances, c’est toujours à un œil n’en pas douter, le rallongement extérieur qu’il est demandé d’inter- inutile du travail parlementaire et 1 Les révisions constitutionnelles dans le nouveau venir pour trancher : Le juge ! C’est sa complication évidente avec tous constitutionnalisme africain lui qui est le plus souvent sollicité les risques que comporte le système Par Jean-Louis ATANGANA AMOUGOU quand il ne s’agit pas de « média- de la « navette »12 . Docteur en Droit Public Chargé de Cours à l’Uni- teur ». C’est le juge qui va dire si oui versité de Yaoundé II ou non le candidat est malien, d’ori- • la désignation par le seul Président 2 Message de François Mitterrand au Parlement, 8 gine, authentique ou non. Mais en de la République des trois membres avril 1986 plus, c’est lui qui indique que le du Conseil constitutionnel, y com- 3 Idem candidat, lorsqu’il est suspecté, pos- pris son Président, est une atteinte 4 Souligné par nous sède ou non une autre nationalité grave à la transparence nécessaire à 5 Idem ou une autre que la malienne. Or, toute institution démocratique 6 http://www.dictionnaire-juridique.com/defini- un œil extérieur, même celui du comme la justice constitutionnelle. tion/novation.php juge est toujours mal venu dans une Il apparaît comme si le Président de 7 http://fr.wikipedia.org/wiki/Charte_du_Manden arène politique. la République met en place son 8 http://fr.wikipedia.org/wiki/Langue_officielle «Président du Conseil constitution- 9 Idem • la seconde chambre du parlement nel» durant ces deux mandats 10 La République du Mali partage sept frontières n’incite pas plus de commentaire , si puisque le Président de cette insti- avec la Mauritanie et l’Algérie au nord, le ce n’est de relever à son sujet que tution est lui même mis en place à l’est, le et la Côte d’Ivoire au l’objectif qui le sous-tend bien que pour une durée de neuf ans. sud, la Guinée Conakry au sud-ouest et le Séné- politique, est tout de même flou et gal à l’ouest. mal agencé. Les députés qui com- Bien d’autres points me viennent à 11 posent la seule et unique chambre l’esprit que je ne pourrais pas tout évo- http://www.jeuneafrique.com/Article/LIN02023l actuelle du parlement malien ne quer dans le cadre de cette chronique. efonemrofa0/Actualite-Afrique—le-fond-et-la- participent même pas encore au La place et le rôle de la justice dans forme.html dixième du « processus législatif ». notre pays ; l’exception d’inconstitu- 12 http://www.senat.fr/role/fiche/navette.html

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L’ACTION DE PRIORITE DANS L’OHADA Bérenger MEUKE Dr en Droit des Affaires Avocat

ncore appelée action privilégiée, sion de ces actions peut permettre de S’il ressort de ce texte que l’action de l’action de priorité est celle qui donner la préférence à une catégorie priorité bénéficie de préférences di- Eprocure à son titulaire des droits d’actionnaires 6. verses, toute la problématique reste que n’accorde pas l’action ordinaire. celle des règles qui doivent alors gou- Au cours de la vie sociale, elle peut fa- verner son organisation 9. Même si on a estimé pendant long- voriser de nouveaux investissements et temps que la possibilité d’émettre des en cas de difficulté, les avantages La présentation de ces règles peut s’ef- actions privilégiées heurtait le principe consentis compenseront les risques fectuer par une description de sa créa- fondamental en droit des sociétés de pris par le nouvel investisseur. tion, par une étude des différents l’ « égalité entre actionnaires »1, des avantages qu’elle peut conférer et par distinctions ont toujours été faites à Sur un plan strictement comptable et une analyse des modalités de sa dispa- travers l’histoire, par les législations financier, lors d’une fusion entre une rition. étrangères entre les actionnaires, en société prospère et une société qui fonction de la nature ou de l’étendu de l’est moins, l’action de priorité peut I- L’EMISSION DE L’ACTION DE leur contribution dans la société 2. être un instrument de protection des PRIORITE actionnaires de la société en position Le droit anglais par exemple a toujours de force, les avantages peuvent en L’article 755 est inséré dans le titre 2 distingué nettement les actions ordi- effet conduire ces actionnaires à ac- du livre 4 de l’Acte uniforme consacré naires ( ordinary shares, equities ou cepter plus facilement l’opération. à la société anonyme, on peut imagi- equity shares ) des actions privilégiées ner que l’action de priorité ne pourra (preference shares )3. Aux Etats-Unis, D’ailleurs, il a même été démontré être mise en œuvre que dans le cadre les actions de préférence ( preferred que l’action de priorité pouvait facili- de cette forme sociale. shares ou preferred stock ) sont utili- ter la transmission d’entreprise 7. sées fréquemment dans les sociétés A- Création d’actions de priorité cotées 4. L’Allemagne, la Hollande, Les investisseurs déterminants pour au moment de la constitution de la l’Italie, la Suisse ou encore la France l’avenir d’une société peuvent ainsi société différencient depuis plusieurs années accompagner leur intervention en uti- dans leur législation les actions privi- lisant l’action de priorité comme me- En principe, la création de l’action de légiées des actions ordinaires 5. sure de sécurité. priorité au moment de la constitution de la société ne devrait pas poser de C’est donc tout naturellement que le Tout en participant à favoriser la re- difficultés majeures. En effet, de ma- législateur de l’OHADA en emboîtant lance des investissements, l’action de nière assez classique, les associés fon- le pas à ses homologues étrangers, priorité de l’OHADA s’inscrit aussi, dateurs peuvent prévoir dans le pacte consacre avec l’article 755 de l’Acte dans un mouvement de diversification social, des clauses précisant la créa- Uniforme sur les sociétés commer- des valeurs mobilières 8. Son utilité doit tion de catégories d’actions diffé- ciales, la validité de l’action de priorité contribuer à lui donner une place dé- rentes, certaines actions étant qui jouit d’avantages par rapport à terminée parmi les titres susceptibles ordinaires et d’autres privilégiées. toutes les autres actions. d’être émis par les sociétés de l’OHADA. Si la société ne fait pas appel public à En réalité, le contraire aurait été sur- l’épargne, le régime prévu pour les ac- prenant. Mieux que la sécurisation ju- Aux termes des dispositions de l’article tions de priorité ainsi que leur création ridique et judiciaire des activités 755, «…, lors de la constitution de la doivent être décrits dans le pacte so- économiques, l’objectif affiché du lé- société ou au cours de son existence, cial qui selon l’article 10, est adopté à gislateur de l’OHADA est la relance l’unanimité et signé par tous les asso- il peut être créé des actions de priorité des investissements dans le continent ciés. africain. jouissant d’avantages par rapport à toutes les autres actions. Ces avantages Si la société fait appel public à Or tout l’intérêt pratique de l’action de peuvent notamment être une part su- l’épargne, les fondateurs publient priorité est d’attirer ou au moins d’en- périeure dans les bénéfices ou le boni avant le début des opérations de sous- courager les investisseurs. de liquidation, un droit de priorité cription des actions, une notice dans dans les bénéfices, des dividendes cu- les journaux d’annonces légales. Cette A la constitution de la société, l’émis- mulatifs ». notice prévue à l’article 825 doit pré-

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ciser entre autre, la création d’actions lieu d’être. normalement seule compétente de priorité. Le pacte social qui doit d’après les dispositions de l’article être signé par les associés fondateurs Si les actions de priorité sont accor- 564, doit à cette occasion, procéder à devra ensuite être approuvé par l’en- dées seulement à certains action- la suppression du droit préférentiel de semble des souscripteurs réunis lors de naires, il semble qu’il faille accomplir souscription instauré par l’article 573. l’assemblée générale consultative. les formalités relatives aux avantages particuliers conformément aux dispo- Il faut ensuite que le prix d’émission Avantages particuliers et actions de sitions de l’Acte Uniforme. ou les conditions de sa fixation soient priorité – Il ressort de l’article 399 que déterminées par la même assemblée la société anonyme peut faire bénéfi- En revanche, il est possible de créer générale d’après les rapports du cier certains associés, d’avantages par- des actions de priorité réservées à un conseil d’administration ou de l’admi- ticuliers. investisseur déterminé. Or le privilège nistrateur général selon les cas, et du est attaché à l’action et non à la per- commissaire aux comptes 16 . Si le législateur ne donne aucune dé- sonne de l’investisseur. Dans ce cas, finition de « l’avantage particulier », on sauf clause contraire du pacte social, Quant aux avantages particuliers, la peut tout de même le comprendre la transmission des titres impliquera procédure de vérification visée aux ar- comme toute faveur, généralement de transfert des privilèges qui y sont atta- ticles 619 et suivants doit s’appliquer, nature pécuniaire, consentie à titre chés. même en cas d’augmentation de capi- personnel à un associé, entraînant une tal par appel public à l’épargne réali- rupture d’égalité entre actionnaires 10 . Faut-il alors considérer qu’il y a là at- sée moins de deux ans après la tribution d’avantages particuliers et par constitution de la société sans appel Le législateur a prévu dans ce cas, une conséquent, application de la procé- public à l’épargne. procédure de vérification de ces avan- dure de vérification ? tages au cours de la constitution de la En revanche, l’émission par appel pu- société. Conduite par un commissaire La majorité de la doctrine française 14 blic à l’épargne sans droit préférentiel aux apports, ce dernier apprécie sous considère qu’il y a bien attribution de souscription d’actions nouvelles ne sa responsabilité la valeur des avan- d’avantages particuliers et préconise conférant pas à leurs titulaires les tages qu’il inscrit dans un rapport dé- l’application de la procédure de véri- mêmes droits que les actions an- posé trois jours au moins avant la date fication. Pour d’autres auteurs 15 , ciennes, doit se faire dans les condi- de l’assemblée constitutive au siège compte tenu de la distinction qui peut tions fixées par l’article 838, soit dans social de la société et mis à la disposi- être faite entre l’action de priorité et un délai de deux ans à compter de tion des souscripteurs 11 . l’avantage particulier, la procédure de l’assemblée générale qui l’a autorisée. vérification ne se justifierait pas. La question qui peut dès lors se poser Conversion d’actions – La création est de savoir si l’action de priorité peut A notre avis, étant donné que le mé- d’actions de priorité peut aussi s’effec- être considérée comme un avantage canisme de l’action de priorité n’ex- tuer par conversion d’actions ordi- particulier et se voir dans l’affirmative, clut pas l’octroi d’avantages naires. Mais cet autre procédé ne appliquée la procédure de vérification particuliers, il semble qu’il faille ap- permettant pas d’accroître les fonds précédemment évoquée. précier l’application de la vérification propres, il ne sera pas surprenant qu’il en fonction des modalités de l’émis- soit plus rare dans les sociétés. Il convient de souligner la distinction sion en cause. selon laquelle, la notion « d’avantage En effet, l’opération répondra surtout à particulier » relève de l’ordre des Sauf à rappeler que, s’agissant d’ap- d’autres objectifs. Il peut arriver que droits personnels alors que le méca- prouver l’octroi d’avantages particu- les actionnaires en place souhaitent nisme de l’action de priorité implique liers, l’article 408 précise que, les profiter de l’entrée d’un tiers dans la qu’un privilège soit accordé non pas à actions du bénéficiaire ne sont pas société à des conditions privilégiées une personne, mais à une catégorie prises en compte pour le calcul du pour céder une partie de leurs titres en d’actions 12 . quorum et de la majorité, le bénéfi- empochant une plus-value consé- ciaire n’ayant voix délibérative ni pour quente. Il semblerait alors qu’on puisse dé- lui-même, ni comme mandataire. duire de cette distinction que le critère II- AVANTAGES CONFERES PAR permettant de reconnaître un avantage B- Création d’actions de priorité au L’ACTION DE PRIORITE particulier est le caractère non trans- cours de la vie sociale missible des actions détenues par la S’il est généralement attribué aux ac- personne favorisée 13 . Augmentation de capital – La création tions de priorité, des avantages finan- d’actions de priorité au cours de la vie ciers, des privilèges à caractère non Dans ces conditions, il faut distinguer sociale se fait généralement à l’occa- financiers peuvent également leur être entre plusieurs situations : sion d’une augmentation de capital. octroyés. En effet, il s’agit pour la société qui Si les actions de priorité sont réservées souhaite accroître ses fonds propres, A- Les avantages financiers à tous les actionnaires en proportion d’inciter les investisseurs à devenir ac- de leur participation au capital social, tionnaire en leur consentant des privi- Il ressort de l’Acte Uniforme en son ar- aucun avantage n’est conféré à titre lèges et des avantages substantiels. ticle 755, que ces avantages peuvent personnel, et la procédure de vérifica- notamment être une part supérieure tion imposée par l’article 400 n’a pas L’assemblée générale extraordinaire dans les bénéfices ou le boni de liqui-

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dation, un droit de priorité dans les bé- dant, les statuts peuvent prévoir un Les dividendes cumulatifs – Ces divi- néfices, des dividendes cumulatifs. mode de répartition reconnaissant une dendes sont ceux qui permettent le re- Les articles 53 et 54 prévoient que le part plus importante aux titulaires port du paiement du dividende sur les droit de chaque associé sur les béné- d’actions de priorité. exercices suivants en cas d’insuffi- fices réalisés par la société est déter- sance des résultats. Ils sont alors pré- miné à proportion de son apport dans Dans la pratique, chaque fois qu’un levés sur les bénéfices ultérieurs. le capital social, sauf clause contraire droit de priorité ou une part supé- du pacte social. Les statuts peuvent rieure dans les bénéfices est attribué L’amortissement du capital social 21 – donc envisager une répartition inégale à une action, un privilège sur le boni La société anonyme de l’OHADA peut en présence d’apports égaux. de liquidation est également prévu en procéder à un amortissement du capi- cas de dissolution ou de liquidation tal. L’opération consiste pour la société Il est possible d’attribuer à certaines amiable. à rembourser aux actionnaires tout ou actions une part supérieure ou un droit partie du montant nominal de leurs ac- de priorité dans les bénéfices. Si une Cependant, on ne peut considérer une tions, à titre d’avance sur le produit de telle décision est prise, elle devra sur- telle priorité comme un avantage réel la liquidation future. tout s’articuler avec les modalités de que dans la mesure où la liquidation distribution du bénéfice aux action- de la société interviendra dans un futur On pourrait dès lors envisager dans le naires ordinaires 17 . proche. Il en est ainsi par exemple des cadre d’une pareille opération, en ap- sociétés d’investissement ayant pour plication des articles 651 et suivants, Les associés pouvant aménager assez objectif l’acquisition et la revente des la création d’actions qui seront amor- librement la répartition des bénéfices, participations en réalisant une plus- ties en priorité avant les actions ordi- on peut même prévoir l’attribution aux value importante. Ces entreprises ont naires, ceci pouvant constituer un actionnaires ordinaires d’un premier une durée d’existence limitée avec avantage supplémentaire. dividende 18 statutaire qui leur sera pour vocation de faire des bénéfices versé obligatoirement après l’exercice plus importants à la fin de leur vie. Le En effet, l’alinéa 1 er de l’article 655 du droit de priorité. privilège sur le boni de liquidation fa- prévoit que l’amortissement est réalisé vorise ainsi les actionnaires qui en bé- au moyen de sommes prélevées sur les Le droit à une part supérieure dans les néficient. bénéfices ou sur les réserves non sta- bénéfices – Pour déterminer l’assiette tutaires. de la part supérieure de bénéfice à ac- Le droit de priorité sur les bénéfices – corder à l’action de priorité, on peut Cette possibilité donne droit à un bé- Or, il ressort de l’alinéa 1 er de l’article prendre en compte le prix de souscrip- néfice prioritaire ou préciputaire sur le 143 que « le bénéfice distribuable est tion des actions de priorité, leur valeur bénéfice distribuable 20 . Ce droit sur le le résultat de l’exercice, augmenté du nominale ou tout autre montant dès bénéfice s’exercerait avant toute autre report bénéficiaire et diminué des lors qu’il est déterminé. affectation, soit avant la constitution pertes antérieures ainsi que des de toute réserve autre que la réserve sommes portées en réserve en applica-

Cette assiette peut aussi être d’un légale, serait-elle de nature fiscale tion de la loi ou des statuts ». montant aléatoire et / ou variable. comme la réserve spéciale des plus- Dans ce cas, son calcul est fonction du values à long terme, ce qui peut poser La combinaison de ces deux textes bénéfice distribuable, du chiffre d’af- une difficulté lorsque les bénéfices et permet de penser que, les réserves fa- faires ou de tout autre élément prévu réserves disponibles sont insuffisants cultatives n’étant pas exclues, il n’est à l’avance et pouvant même dépendre pour doter celle-ci et assurer le béné- pas impossible de les verser pour de la situation ou de l’activité de l’en- fice prioritaire. amortir les actions de priorité, même treprise. si elles ont été constituées avant leur création 22 . Si le bénéfice prioritaire ne peut être Par exemple, une entreprise de tech- intégralement versé en raison de l’in- nologie qui vend des licences de bre- Un remboursement prioritaire – suffisance du bénéfice distribuable, vet peut créer des actions de priorité D’ailleurs, on pourrait aussi imaginer dont l’assiette de la part supérieure de celui-ci doit être reparti à due concur- la possibilité de faire bénéficier à ces bénéfice sera calculée au regard des rence entre les titulaires d’action de actions privilégiées, un rembourse- cessions ou concessions de licences priorité. Le droit au paiement du béné- ment prioritaire, ceci apparaissant encaissées au cours de l’exercice 19 . fice prioritaire non intégralement versé comme une technique de sortie inté- doit alors être reporté sur l’exercice ressante pour les actionnaires minori- Le droit à une part supérieure dans le suivant et, s’il y a lieu, sur les deux taires d’une société qui ne fait pas boni de liquidation – Cette prérogative exercices ultérieurs ou encore, si le appel public à l’épargne 23 . de l’actionnaire joue au moment de la pacte social le prévoit, sur les exer- liquidation de l’entreprise. Les dettes cices ultérieurs sans limitation de Réduction du capital social 24 – Il est ont été honorées, les apports ont été durée. Ce droit s’exerce en priorité par également envisageable de prévoir remboursés et la caisse de la société rapport au paiement du bénéfice prio- qu’en cas de réduction de capital mo- n’est toujours pas vide, le solde repré- ritaire dû au titre de l’exercice, autre- tivée par des pertes 25 , les actions de sente le boni de liquidation. ment dit l’arriéré doit être payé en priorité passent après les actions ordi- premier lieu, et éventuellement, le bé- naires. La conséquence étant la modi- Ce boni de liquidation est reparti entre néfice prioritaire de l’exercice ne sera fication de la répartition du capital, les actionnaires, en proportion de leur pas servi si le bénéfice distribuable ne celle-ci peut dans certains cas faire quote-part du capital social. Cepen- le permet pas. changer la majorité. L’opération pourra

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ainsi permettre d’éviter que les action- Les articles 525 et 526 prévoient un tion de demeurer actionnaires sur un naires prioritaires, qui sont très sou- droit de communication permanent au long terme. vent minoritaires soient lourdement bénéfice des actionnaires. Cependant, pénalisés en cas de perte, mais aussi il apparaît que pour suivre l’évolution Leur souhait serait alors de pouvoir se de sanctionner la gestion déficitaire et les résultats sociaux, il peut se révé- retirer facilement de la société en cé- des majoritaires. ler efficace de bénéficier de possibili- dant leurs titres au prix du marché 32 . A tés d’information accrues et supposer qu’une clause d’agrément Augmentation du capital social – De spécifiques, nonobstant les disposi- existe pour l’ensemble des actions, ces même, dans le cadre d’une augmenta- tions de l’article 159 sur la possibilité investisseurs, titulaires d’actions de tion du capital et dans la perspective de demander une expertise de ges- priorité devront en être exemptés. de mieux protéger les titulaires d’ac- tion 28 . tions de priorité, on peut prévoir que Tout comme la clause d’agrément, la la part de capital représentant les ac- Les titulaires d’actions de priorité peu- clause de préemption 33 peut aussi per- tions de priorité soit maintenue. Ce qui vent dans cette optique et dans le res- mettre aux bénéficiaires d’actions de se traduira par l’émission d’actions de pect du secret des affaires 29 , se voir priorité d’acquérir par priorité les ac- même catégorie sur lesquelles les pro- attribuer des avantages tels que la tions de la société si elles sont mises priétaires d’actions de priorité auront communication de documents comp- en vente 34 . naturellement un droit de souscription. tables et financiers plus fréquemment que ne l’a prévu le législateur 30 , à D’ailleurs, il n’est pas impossible qu’à Plusieurs possibilités sont donc envi- condition que ceux-ci soient décrits l’intérieur de la catégorie des actions sageables, une assez grande liberté avec précision dans le pacte social de priorité, lorsqu’un propriétaire d’un étant laissée aux acteurs sociaux pour pour que la société prenne en charge des titres veut les céder, qu’il les pro- aménager les droits financiers de cer- leur coût financier plus facilement. pose au préalable aux actionnaires de tains actionnaires en fonction des rap- cette catégorie en vertu de la clause de ports de force existants et des besoins. L’accès à une bonne connaissance de préemption. la vie sociale rendra plus efficace la B- Les privilèges non financiers participation à la décision des titu- Pareille clause peut de même exister laires d’actions de priorité. au bénéfice d’actionnaires d’une Même si le législateur de l’OHADA ne même catégorie mais concernant la vise dans les dispositions de l’article Le droit de participer au pouvoir de transmission de titres de catégories dif- 755 que des avantages financiers, rien décision – L’article 424 précise que si férentes. ne semble s’opposer à ce que soit ac- les modalités de l’élection des mem- cordé aux actions de priorité, des pri- bres du conseil d’administration sont Plusieurs mécanismes peuvent ainsi vilèges non financiers. fixées librement par les statuts, ceux- être mis en place pour accorder un ci peuvent prévoir une répartition des privilège aux titulaires d’actions de Très souvent, les actionnaires recher- sièges en fonction des catégories d’ac- priorité, la seule limite à ces aménage- chent pour leurs titres un bon rapport. tion. ments étant le respect de l’égalité entre S’ils sont minoritaires, leur souhait est actionnaire d’une même catégorie. très souvent de ne pas être complète- Les clauses statutaires aménageant la ment écartés du processus de déci- représentation des titulaires d’actions Une assemblée de titulaires d’actions sion. de priorité seraient donc valides, à de priorité – L’alinéa 1 er de l’article condition qu’elles ne portent pas at- 555 pose le principe selon lequel Là encore l’action de priorité pourrait teinte à la liberté de choix de l’assem- « l’assemblée spéciale réunit les titu- bien conférer à son titulaire des droits blée générale des actionnaires 31 . laires d’actions d’une catégorie déter- permettant d’avoir une meilleure infor- minée ». mation sur la vie sociale, de participer Pour ne pas être éloigné du centre de au pouvoir de décision ou d’intervenir décisions, les minoritaires souhaitant Même si le législateur de l’OHADA ne dans les opérations de cessions d’ac- faire partie du conseil d’administration précise pas ce qu’il faut entendre par tions. peuvent donc se voir accorder lors de catégorie d’actions 35 , il semblerait que la création des actions de priorité, un les actions de priorité en constituent et Le droit à l’information – Le législa- certain nombre de sièges. peuvent permettre à leurs titulaires de teur de l’OHADA a renforcé les droits se réunir en assemblées spéciales. d’informations des actionnaires qui L’intervention dans les opérations de bénéficient désormais d’une informa- cession – L’article 765-2 prévoit qu’en Ce texte précise par ailleurs que l’as- tion minimale leur permettant norma- matière de cession d’actions, les sta- semblée spéciale se réunit lorsqu’il est lement de suivre la vie sociale. Mais tuts peuvent prévoir le mécanisme de question de modifier les droits relatifs cette information reste néanmoins in- l’agrément. L’exemption statutaire à une catégorie d’actions. Cette réu- suffisante pour se faire une idée pré- d’une telle clause peut constituer un nion sera indispensable lorsqu’il cise et immédiate de la gestion avantage pour une catégorie d’actions. s’agira de réduire les droits financiers sociale 26 . La complexité sans cesse attachés aux actions de priorité ou en- croissante des techniques comptables Il peut arriver que des investisseurs en- core de créer de nouvelles actions de a entraîné la nécessité d’avoir en sa trent dans la société en restant minori- priorité possession le plus de données possi- taires, dans le seul but de soutenir le bles pour procéder à une analyse fi- développement et l’expansion de l’en- Les privilèges non financiers accordés nancière fiable 27 . treprise sans avoir forcement l’inten- aux bénéficiaires d’actions de priorité

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pourront aussi encourager ces derniers de ce même texte précise que « l’as- être déterminée au jour de la cession à investir. semblée générale extraordinaire qui a d’un commun accord entre la société décidé une réduction du capital non et l’assemblée spéciale, tout désaccord III- LA DISPARITION DES ACTIONS motivée par les pertes peut autoriser le sur le prix entraînant la désignation DE PRIORITE conseil d’administration ou l’adminis- d’un expert en application des dispo- trateur général, selon le cas, à acquérir sitions de l’article 59 39 . Hormis dans le cadre de la liquidation un nombre déterminé d’actions pour de la société, aspect que nous avons les annuler ». Protection des créanciers – il faut ce- envisagé précédemment, les actions pendant préciser qu’en cas de conver- de priorité peuvent disparaître par la Rien ne s’opposerait à ce qu’on mette sion d’actions de priorité aboutissant à suppression des avantages qui y sont en place dans le cadre d’une réduction une réduction de capital social, l’Acte attachés ou par leur rachat par la so- du capital non motivée par les pertes, Uniforme prévoit au bénéfice des ciété émettrice. une suppression des actions de priorité créanciers de la société, dont la en les faisant racheter par la société 37 . créance est antérieure au dépôt au A- La suppression des avantages Il s’agit là d’une hypothèse de retrait greffe du Tribunal du procès-verbal de forcé de l’actionnaire qui doit être pré- la délibération de l’assemblée géné- La suppression des avantages attachés vue par le pacte social au moment de rale qui a autorisé la réduction du ca- 38 aux actions de priorité revient tout l’émission des titres . pital, la possibilité de s’opposer à cette simplement à convertir ces dernières réduction si celle-ci n’est pas motivée en actions ordinaires. Dans pareil cas, les actions achetées par des pertes, dans un délai de trente doivent être annulées et le législateur jours à compter de la date de dépôt au La décision de supprimer ces avan- a prévu une procédure précise afin de greffe du procès-verbal de délibéra- 40 tages devra être prise par l’assemblée préserver l’égalité entre les action- tion . générale extraordinaire et ratifiée en- naires. Ainsi, il est prévu à l’article 643 suite par l’assemblée spéciale des titu- que la société sera tenue de faire une En définitive, il sera tout de même pré- laires d’actions de priorité offre d’achat à tous les actionnaires. A férable de déterminer au préalable conformément aux dispositions des ar- cette fin, elle doit insérer un avis dans dans le pacte social et avec précision, ticles 555 et 556. un journal habilité à recevoir les an- les mécanismes qui gouverneront l’or- nonces légales. Cet avis devra contenir ganisation de l’action de priorité car, On peut surtout prévoir que cette sup- des renseignements relatifs à l’identité c’est aussi à cette condition que cet pression soit programmée et qu’elle in- de l’entreprise, au nombre d’actions outil juridique et financier atteindra tervienne de plein droit si le pacte dont l’achat est envisagé, au prix offert l’objectif que le législateur lui a assi- social a déterminé des éléments objec- par action, au mode de paiement, au gné ; encourager, faciliter et sécuriser tifs qui auront pour conséquence au- délai pendant lequel l’offre sera main- l’investissement. tomatique, la transformation de ces tenue et au lieu où l’offre peut être ac- actions en actions ordinaires. ceptée. En attendant que le juge africain se prononce sur cet outil, dont l’émission B- Le rachat des actions par la so- Le commissaire aux comptes devra au et le fonctionnement ne pose aucune préalable, donner son avis sur l’oppor- difficulté majeure au regard des prin- ciété émettrice tunité et les modalités de l’achat d’ac- cipes fondamentaux du droit des so- tions envisagé, conformément aux ciétés OHADA, les spécialistes de L’article 639 pose le principe selon le- dispositions de l’alinéa 3 de l’article l’ingénierie juridique et les acteurs so- quel la souscription ou l’achat par la 647. ciaux ne doivent pas hésiter à en faire société de ses propres actions est in- En l’absence de précision par le légis- usage. Si le principe de sa validité a terdite. lateur quant à la fixation du prix été consacré par le législateur, c’est d’achat des actions par la société elle- qu’il présente un intérêt pratique et Dans l’optique de faciliter la gestion fi- même, la valeur des actions pourra une utilité certaine. nancière du capital social 36 , l’alinéa 2

1 CORDONNIER « L’égalité entre actionnaires » ; Thèse Paris 1924 / P. Bissara, P. Didier et P. Misserey , « L’égalité des actionnaires : mythe ou réalité ? » ; Cah. dr. entr. n° 5, 1994. 18 s / J. Mestre « L’égalité en droit des sociétés (aspects de droit privé) » ; Rev. sociétés 1989. 400 / Or L’égalité doit se mesurer, en réalité, au sein d’une même catégorie d’actions. Etant donné qu’il n’est pas de l’essence de la société anonyme de donner des droits identiques, il devient possible d’accorder des droits différents à des actions différentes (Cass. 3e civ., 24 mars 1971 : Bull. civ. III. n° 210) / Vr aussi G. Ripert et Roblot par M. Germain, Traité de droit commercial, t. 1, LGDJ 1996. 846 2 A. Lefebvre Teillard « La société anonyme au XIXe siècle », PUF 1985. 166 et s / H. Lévy-Bruhl « Histoire juridique des sociétés de commerce en France aux XVIIe et XVIIIe siècles » Domat Montchrestien 1938, p. 209 s. Cass. req., 20 déc. 1882 ; D. 1883, 1. 301 / CA Paris, 28 mai 1884 ; D. 1886, 2. 177 3 A. TUNC « Le droit anglais des sociétés anonymes » ; D 1987. 149 4 R.H. Folsom et A.A. Levasseur « Pratique du droit des affaires aux Etats-Unis » ; Précis Dalloz 1995. 255 5 Oeniger « Les actions de priorité en droit suisse, allemand et français » ; Thèse Lausanne 1928 6 C. FERRY, R. Cannard, M. Cretté « Les actions de priorité » ; Dr. sociétés, Actes pratiques, 1993, n° 11. 2 7 V. R. Gaudet « Paiement des dividendes en actions de priorité : un outil de transmission d’entreprise progressif et efficace » ; Dr. et patrimoine, juin 1997. 35 8 Th. Bonneau « La diversification des valeurs mobilières ses implications en droit des sociétés » ; RTD com. 1988. 535 9 Vr Thierry GRANIER « L’action de priorité » ; Jurisclasseur sociétés

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10 R. PERCEROU « La notion d’avantage particulier », in Dix ans de conférences d’agrégation, Études de droit commercial offertes à J. HAMEL ; Dalloz 1961. 171 11 Articles 400 et suivants de l’Acte Uniforme 12 J.-J. DAIGRE, F. MONOD, F. BADESVANT « Les actions à privilèges financiers » ; Dr. Sociétés, Actes Pratiques, 1997, n° 32. 4 13 P. ENGEL et P. TROUSSIERE « Création de catégories d’actions et stipulations d’avantages particuliers » ; JCP E 1996, I, 585 14 P. ENGEL et P. TROUSSIERE « Création de catégories d’actions et stipulations d’avantages particuliers » ; Précité / F.-D. POITRINAL « Clauses statutaires de répartition des bénéfices » ; Dr. et patrimoine, avr. 1998. 39 / P. MERLE, Droit commercial, sociétés commerciales, Précis Dalloz 1998. 307 / Y. GUYON, Traité des contrats les sociétés, LGDJ 1997. 174 / G. RIPERT et ROBLOT par M. GRMAIN, Traité de droit commercial, t. 1, LGDJ 1996. 840 15 M. JEANTIN « La notion de catégorie d’actions » ; Précité / J.-J. DAIGRE, F. MONOD, F. BASDEVANT « Les actions à privilèges non financiers » ; Précité 16 Vr Article 588 de l’Acte Uniforme 17 F. Monod « Droits financiers attachés aux actions privilégiées » ; Dr. sociétés 1995, chron. 3 18 Article 145 de l’Acte Uniforme « les statuts peuvent prévoir l’attribution d’un premier dividende qui est versé aux titres sociaux dans la mesure où l’assemblée constate l’existence de bénéfices distribuables et à condition que ces bénéfices soient suffisants pour en permettre le paiement… » 19 Exemple cité par F. Monod « Droits financiers attachés aux actions privilégiées » ; Précité 20 Qui est selon les dispositions de l’article 143 de l’Acte Uniforme, le résultat de l’exercice, augmenté du report bénéficiaire et diminué des pertes antérieures ainsi que des sommes portées à la réserve légale ou aux réserves statutaires. 21 Vr Articles 651 et suivants de l’Acte Uniforme 22 C. Ferry « Les nouveaux rôles des actions de priorité amortissables » ; Dr. et patrimoine, mars 1994. 29 23 F. Monod « Droits financiers attachés aux actions privilégiées » ; Dr. sociétés 1995, chron. 3 24 L’article 628 prévoit que si la réduction du capital doit porter atteinte à l’égalité des actionnaires, c’est avec le consentement exprès des actionnaires défavorisés. 25 S. Dana-Demaret ; Rép. Sociétés Dalloz , V° Capital social. n° 212 26 Vr M. Germain « Transparence et information » ; Petites affiches 19 nov. 1997, p. 16 27 G. Berlioz « Comptabilité et ingénierie juridico-financière » ; RD compt. 1996, p. 103 28 Vr notre article « L’information des actionnaires minoritaires dans l’OHADA : Réflexion sur l’expertise de gestion » ; Ohadata D-05-56 (www.ohada.com) 29 G. J. Virassamy « Les limites à l’information sur les affaires d’une entreprise » ; RTD com. 1988, p. 179 30 On peut par exemple envisager l’envoi chaque trimestre d’un rapport d’activité 31 Vr F.-D. Poitrinal « Les limites des droits non financiers attachés aux actions de priorité » ; Banque 1998, n° 589, p. 50 32 Vr F. Monod « Les actions privilégiées : un levier pour l’investisseur minoritaire » ; Banque 1994, n° 549, p. 58 33 M. Jeantin « Les clauses de préemption statutaires entre actionnaires » ; JCP E 1991, I. 49 34 J.-P. Bouère « Quelques remarques sur les clauses de préemption statutaires réservées à une catégorie déterminée d’actionnaires » ; Bull. Joly 1992. 376 35 Vr M. Jeantin « La notion de catégorie d’actions » ; D. 1995. 88 36 Vr A. Couret « Le rachat par une société de ses propres actions comme technique de gestion financière » ; Banque et droit 1997, n° 53. 3 37 Vr A. Couret « Le rachat par la société de leurs propres actions » : Brèves observations sur le rapport Esambert ; Dr. Sociétés, mars 1998, chron. 3 38 Vr I. Krimmer « La clause de rachat » ; JCP E 1993, I, 223 39 Vr notre article « Expertise et prix des titres sociaux dans l’OHADA, Etude de l’article 59 de l’AUSCGIE » ; Ohadata D-05-58 (www.ohada.com) 40 Articles 633 et 634 de l’Acte Uniforme

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OBSERVATIONS SUR LA GOUVERNANCE DES SOCIETES ANONYMES AVEC CONSEIL D’ADMINISTRATION EN

Mamadou KONATE Bérenger MEUKE Avocat Associé OHADA : Moniste ou dualiste ? Dr en Droit des Affaires JURIFIS CONSULT Avocat

épartir d’une façon plus claire et contrepoids dans la personne du Pré- ciété dans ses rapports avec les tiers. équitable les pouvoirs entre les sident du Conseil d’Administration qui différents organes de gestion et représente les actionnaires : c’est « la Si à la réalité, plusieurs raisons ont R d’administration de la société ano- gouvernance dissociée ». amené certaines entreprises opérant nyme (sa) est un objectif majeur qui a dans les territoires OHADA à faire le été pris en compte par le choix d’une gouvernance législateur OHADA. du mode dual (I), force est de constater que ce choix Ce dernier a précisé dans est à l’origine de dissen- les dispositions pertinentes sions qui surviennent de de l’article 415 de l’Acte plus en plus entre les par- Uniforme de l’OHADA re- ties prenantes à la chose latif au Droit des Sociétés sociale (stakeholders), ce Commerciales que : « La qui pourrait finir par société anonyme avec aboutir à une restauration conseil d’administration de la gouvernance par est dirigée soit par un pré- mode moniste (II). sident-directeur-général, soit par un président du DES RAISONS DU conseil d’administration et CHOIX DE LA FOR- un directeur général ». MULE DUALE (PCA et DG) Une société anonyme avec Conseil d’Administration en OHADA Contrairement au premier mode de di- La formule de gouvernance avec Pré- peut donc opter entre deux modes de rection, dans le second, le Directeur sident Directeur Général est générale- gestion et d’administration : Général est le véritable chef d'entre- ment critiquée pour sa concentration prise. A ce titre, il est investi des pou- des pouvoirs dans l’entreprise entre les • la formule avec Président Directeur voirs les plus étendus pour agir en mains d’une seule et même personne Général (mode moniste), toute circonstance au nom de la so- : le directeur général. C’est lui qui gère • ou la dissociation des fonctions de ciété en même temps qu’il dispose du la société au quotidien et préside en Directeur Général et de ceux de Pré- pouvoir de décision et d'action pour le même temps le Conseil d’Administra- sident du Conseil d’administration compte de la société, dans la limite de tion chargé lui aussi de contrôler de (mode dual). son objet social. Ce dernier représente façon collégiale cette gestion. la société notamment dans ses rap- Dans le premier mode de direction, le ports avec les tiers et en est donc le re- C’est pour cette unique raison que le Président du Conseil d’Administration présentant légal. D’un point de vue législateur de l’OHADA a introduit cumule ses fonctions avec celles de pratique, la société peut même être une seconde formule de gouvernance Directeur Général : c’est « la gouver- engagée par ses actes qui ne relèvent qui dissocie les fonctions de Directeur nance réunie ». Il détient donc, à côté pas de l'objet social conformément Général et celles de Président du de ses fonctions de Président du aux dispositions de l’article 488 de Conseil d’Administration. Conseil d’administration, les pouvoirs l’Acte Uniforme de l’OHADA relatif et les responsabilités du Directeur Gé- au Droit des Sociétés Commerciales. Mais à la réalité, le législateur de néral. C’est la raison pour laquelle le l’OHADA n’a fait que suivre presque législateur aurait d’ailleurs conservé Dans le même temps, les pouvoirs du automatiquement celui français de l’appellation de «Président Directeur Président du Conseil d’Administration 1966. Général» . sont limités en ce qu’il représente le Conseil d’Administration, organise et Il est aujourd’hui avéré, ce, même en Dans le second mode de direction, la dirige les travaux de celui-ci. Il a donc France aujourd’hui que, l’adoption fré- direction générale de la société (la ges- simplement un rôle de représentation quente d’une formule duale (PCA et tion quotidienne) est confiée au Direc- et d’organisation du Conseil d’Admi- DG) n’est que très souvent conjonctu- teur Général, tout en conservant un nistration, et ne représente pas la so- relle.

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Elle ne s’explique presque exclusive- farge, Mc Donald’s, BP, Renault, Saint- S’il est constant que la gestion sociale ment que par la possibilité offerte au Gobain ou Total. est confiée au Directeur Général, on PDG de se retirer de manière progres- comprend de façon malaisée le rôle sive et en deux temps, d’abord de la D’ailleurs, dans d’autres entreprises du Président du Conseil d’Administra- seule direction générale, puis, comme BNP-Paribas, L’Oréal ou tion qui, à la réalité, pour assurer sa quelques années ensuite, de la prési- Schneider Electric, des évolutions mission de contrôle de la gestion faite dence du Conseil d’Administration. semblables sont à prévoir. par le premier organe, pourrait empié- ter sur les pouvoirs dévolus à ce der- Le choix de cette formule duale ne Il ne se trouve donc pas beaucoup nier. trouve alors de justifications que dans d’entreprises même à l’échelle interna- la possibilité qu’il offre d’assurer une tionale où, en dehors des cas particu- Mieux, dans ce mode de gouvernance, bien meilleure préparation de la suc- liers mentionnés plus haut (succession, le Directeur Général, même s’il est un cession du PDG. restructuration), le système dual se se- mandataire social, n’est, le plus sou- rait imposé durablement. vent pas un actionnaire de la société, Ce mode de gouvernance à deux têtes mais simplement un manager, un diri- qui à la réalité n’est que structurel ne Dans les sociétés anonymes avec geant qui tient ses pouvoirs non pas se compte même en France que dans conseil d’administration de l’espace des actionnaires mais de la loi, toute des cas assez limités et on peut citer OHADA, l’on rencontre de plus en chose qui n’est pas de nature à faciliter par exemple : plus des situations de mésintelligence, ses rapports avec l’actionnariat. grave, entre mandataires sociaux dans – Les entreprises particulières du CAC le cadre de la gouvernance duale, les- La doctrine actuelle est d’ailleurs 40 ou les sociétés transnationales quelles finissent par mettre en péril la confrontée à un sérieux problème qui ont fait le choix de relever du survie même de l’entreprise, de l’ex- pour classer ou déterminer le statut ju- droit néerlandais en implantant leur ploitation voire de l’activité écono- ridique du Directeur Général. Ce der- siège aux Pays-Bas où ce mode de mique. nier n’a pas la qualité de commerçant gouvernance est obligatoire, c’est même s’il est assujetti à certains effets par exemple le cas de EADS ou de Formule moniste ou duale ? qui découlent de cette qualité. Est-il ST Microelectronics. salarié de la société ? La réponse est, Telle qu’elle est prévue par l’Acte Uni- qu’il ne l’est pas dans la mesure où il – Les entreprises issues de fusions bi- forme de l’OHADA relatif au Droit des ne bénéficie d’aucune mesure de pro- nationales qui ont fait également le Sociétés Commerciales, notamment tection et peut selon les dispositions choix de cette formule duale en ce en ses articles 477 et suivants, la gou- de l’article 492 de l’Acte Uniforme qu’elle leur permet un partage des vernance en mode dual a l’avantage susvisé être révoqué à tout moment, pouvoirs (le PCA relevant d’un pays de déconcentrer la direction de la so- ad nutum par le Conseil d’Administra- et le DG de l’autre), c’est par exem- ciété en répartissant tous les pouvoirs tion. ple le cas de Dexia aujourd’hui en entre le Conseil d’Administration, le difficulté ou encore de Unibail-Ro- Président du Conseil d’Administration damco. et le Directeur Général. Cette formule présente l’inconvénient majeur décrié – Les entreprises sous contrôle familial de plus en plus, de disperser les or- ou mutualiste où la direction est ganes de prise de décisions en créant confiée à des managers sous la sur- au passage une confusion des rôles veillance des héritiers comme Peu- entre ces trois organes pourtant bien geot SA ou Publicis ou à des différents. coopérateurs dans le cas du Crédit Agricole. Même s’il est avéré que le législateur de l’OHADA a pris bon soin de déter- DE LA RESTAURATION DE LA FOR- miner les pouvoirs respectifs de cha- MULE MONISTE (PDG) cun de ces organes, force est de constater que dans la pratique, plu- Le Choix de la formule duale sus évo- sieurs difficultés surviennent générale- quée (PCA et DG) ne s’explique donc ment en raison notamment de la que par l’arrivée de plusieurs succes- frontière, en définitive, très peu tenue sions (généralement familiales) en entre les rôles et missions de chacun deux temps à leur terme à la tête des d’eux. grandes entreprises. A titre d’exemple, en précisant à son D’ailleurs, la solution de plus en plus article 480 que le Président du Conseil adoptée même en France est celle d’Administration a pour mission prin- d’une re-concentration des pouvoirs cipale de veiller à ce que le Conseil de direction au profit du Directeur Gé- d’Administration assume le contrôle néral en place qui est de plus en plus de la gestion sociale confiée au Direc- promu PDG. teur Général, l’Acte Uniforme susvisé n’établit pas avec netteté les pouvoirs Ce fût le cas chez Air liquide, AXA, La- dévolus à chacun de ces trois organes.

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Le Directeur Général est donc un or- nance réunie prévue à l’article 462 de mettre plus ou moins fin à cette liberté gane de la société, pour la simple rai- l’Acte Uniforme susvisé. contractuelle dans le choix des modes son que ses pouvoirs relèveraient de la de gouvernance, en fixant les condi- loi et non d’un mandat conféré par les En effet, le cumul des fonctions res- tions qui devraient précéder l’option actionnaires. Cette qualification est sortissant de la gouvernance en mode moniste et l’option duale ? Certes, les sans doute discutable puisque l’exis- moniste sur la tête du seul Président pratiques erratiques adoptées par les tence d’une réglementation d’ordre Directeur Général, permet à ce der- entreprises font un peu désordre... public ne suffit pas à exclure la quali- nier de disposer des pouvoirs les plus Faut-il voir dans cette restauration des fication de contrat. étendus : en sa qualité de directeur gé- PDG l’expression d’un échec de la néral pour assurer la direction opéra- gouvernance dissociée ? S’agissant en revanche des relations du tionnelle de la société en même temps Directeur Général avec les action- qu’en sa qualité de Président du À vrai dire, la supériorité formelle de naires, on continue de le qualifier de Conseil d'Administration, il supervise la gouvernance duale reste à démon- mandataire social pour justifier sa ré- l'établissement des grandes orienta- trer, tout dépend des rapports de force vocabilité et sa responsabilité à leur tions dans la direction de la société et internes. égard. conserve le pouvoir d'engager la so- ciété vis-à-vis des tiers dans l'intérêt de Autant la gouvernance duale peut per- Dès lors, l’on peut conclure qu’avec la la société et dans la limite de l'objet mettre une dissociation des pouvoirs législation issue de l’OHADA, le statut social. de direction, autant elle peut aboutir juridique du Directeur Général est de par les rapports de force qui nais- plus qu’incertain. Il est d’autant plus Cette seconde formule a donc l’avan- mitigé qu’il est en proie à des confu- tage de rassurer l’actionnariat et les sent très souvent entre le Directeur sions volontaires ou involontaires, les tiers en ce qu’elle permet d’éviter la Général et l’actionnariat, à une para- prérogatives dévolues au Président du confusion des prérogatives qui pour- lysie de la gestion sociale et partant à Conseil d’Administration et à ceux raient exister en cas de multiplications la chute de l’entreprise. toujours reconnues au Conseil d’Ad- d’organes de direction comme c’est le ministration. cas avec la gouvernance en mode Au-delà de ces « petits arrangements dual. entre amis », c’est aussi la vaste ques- L’une des solutions à ces difficultés du tion du contrôle social de la société système de gouvernance dissocié se- Le législateur OHADA devrait interve- par l’ensemble de ses parties pre- rait le choix de l’option de la gouver- nir pour, au nom de l’intérêt social, nantes (stakeholders) qui est posée.

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LE PRINCIPE COMPETENCE-COMPTEENCE EN MATIERE D’ARBITRAGE OHADA (Notes sous Arrêts Assemblée Plénière de la CCJA du 31 janvier 2011 Planor Afrique c/ Atlantique TELECOM) Bakary DIALLO Docteur en Droit des Affaires Avocat

’intérêt principal de l’arrêt du 31 toires posait fatalement un certain ciaires initiales, ATLANTIQUE TELE- janvier 2011, ici rapporté, réside nombre de questions légitimes aux- COM engage une procédure d’arbi- Ldans l’imbrication d’une procé- quelles, le juge supranational n’a pas trage qui a abouti à une sentence dure d’arbitrage et d’une procédure ju- répondu, à notre sens, d’une manière arbitrale en date du 05 août 2009, la- diciaire dans la même cause entre les suffisamment satisfaisante. quelle a pu bénéficier de l’exequatur mêmes parties posant nécessairement du président de la CCJA le 19 août et naturellement la question du conflit A travers un amas de montages juri- 2009. de juridiction ou de compétence pos- diques entre de groupes de sociétés sible entre juges étatiques et arbitres. assez complexes concernant des ces- C’est cette sentence arbitrale qui a fait sions et acquisitions d’actions suivies l’objet d’un recours en contestation de Or conceptuellement, on ne peut de demandes d’exclusion pure et sim- validité et d’une requête en opposition concevoir que s’élève entre juges et ar- ple du capital social, de rachat forcé, à exequatur de la part de PLANOR bitres un tel conflit de juridiction ou de le problème juridique était véritable- AFRIQUE auprès du haut juge commu- compétence en raison du principe ment assez simple. nautaire. compétence-compétence fixé par les articles 11 et 13 de l’Acte uniforme re- En la circonstance, après avoir La demanderesse estimait que cette latif à l’arbitrage. convenu d’un pacte d’actionnaires as- sentence était contraire à l’ordre public sorti d’une clause compromissoire international en ce qu’elle heurte un Ce principe théorisé par la jurispru- avec les sociétés SOYAF COMMUNI- arrêt de la cour d’appel de Ouagadou- dence et consacré par le législateur CATION et GROUTH gou rendu antérieurement dans la OHADA fixe un ordre de priorité chro- FUND (WAGF), la société ATLAN- même cause le 19 juin 2009, ayant fait nologique en vertu duquel, il appar- TIQUE TELECOM a cédé une partie de l’objet d’un pourvoi de rejet et passé tient d’abord aux arbitres de se ses actions à la société PLANOR en cela, en force de chose jugée. prononcer leur compétence, même si AFRIQUE.L’acte de cession renfermait l’existence ou la validité de la conven- une clause attributive de compétence Par ailleurs, dans un moyen prélimi- tion d’arbitrage est contestée devant au profit du tribunal de première ins- naire, PLANOR AFRIQUE soutenait eux; mais encore de « statuer les pre- tance de Ouagadougou. une opposition a exequatur de la sen- miers » sur cette question, sans obliga- tence en développant l’idée que l’or- tion de leur part de sursoir à statuer en Les deux parties ont convenu un peu donnance d’exequatur rendue par le cas de saisine parallèle d’un juge éta- plus tard d’une convention dite « Ac- président de la CCJA la privait de son tique. De même, lorsqu’un juge éta- cord group Atlantique et Planor sur le droit légitime et fondamental d’intro- tique est saisi d’une question qui fait contenu des missions de contrôle de duire un recours en contestation de va- l’objet d’une convention d’arbitrage, il TELESEL Faso à intégrer au pacte d’ac- lidité. doit se déclarer incompétent si l’une tionnaires signé entre ATLANTIQUE des parties en fait la demande. TELECOM et WEST AFRICA GROUTH Constatant la connexité entre le re- FUND ( WAGF) le 10 février 2004 ». cours en contestation de validité et A quel point ces affirmations sont elles l’opposition à exequatur, la juridiction vérifiables ? Mais cette collaboration va vite se dé- supranationale a procédé à la jonction L’arrêt ici rapporté, rendu en Assem- tériorer puisqu’une mésentente surgit des deux procédure et y a statué par blée plénière qui fait présumer de son rapidement entre les nouveaux parte- une seule et même décision. importance, est assez édifiant à cet naires à propos de la gestion du égard. groupe. Il s’ensuit une longue procé- Après avoir favorablement accueilli le dure intentée devant les juridictions recours en contestation de validité en La CCJA siégeant en tant que juge de étatiques burkinabé aux fins, notam- déclarant la sentence contraire à l’or- l’annulation avait à se prononcer sur ment, de nomination d’un administra- dre public international, le juge supra- des griefs formulés à l’encontre d’une teur judiciaire à la société TELECEL national déclare que la requête en sentence rendue en dépit d’une procé- FASO, d’annulation d’une augmenta- opposition à exequatur était devenu dure judiciaire ayant déjà abouti à une tion du capital de la même société, de par seul sans objet. décision passée en force de chose cession forcée, au profit de PLANOR jugée. AFRIQUE, des actions détenues par Si on partagera assez volontiers la so- L’identité de la cause et des parties ATLANTIQUE TELECOM. lution donnée à l’espèce, tant elle sem- dans deux procédures différentes ble être dictée par un certain bon sens, aboutissant à des décisions contradic- Parallèlement à ces procédures judi- on ne pourra en revanche que manifes-

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ter une certaine circonspection quant LE PRINCIPE DE LA COMPETENCE- ceptions d’incompétence, de litispen- à la motivation donnée par un arrêt COMPETENCE DE L’ARBITRE dance, de connexité. aussi solennelle que celui de l’Assem- blée plénière de la CCJA. L’Article 11 alinéa 1er de l’AUDA pose En l’absence du principe compétence- le principe de la compétence-compé- compétence, il aurait été impossible En plaçant sa motivation sur le terrain tence des arbitres : le tribunal arbitral aux arbitres de se prononcer. La justifi- de la violation de l’ordre public inter- est compétent pour statuer sur sa pro- cation de l’effet positif de ce principe national en ce que les arbitres auraient pre compétence si elle est soulevée par est à ce niveau. Il est essentiellement méconnu l’arrêt de la Cour d’appel de l’une des parties. Il dispose également pragmatique. Ouagadougou ayant acquis la force de que le tribunal arbitral est aussi com- chose jugée, le juge supranational pétent pour statuer « sur toutes les Les arbitres ne pourraient en effet dans donne une mauvaise perception du questions relatives à l’existence et à la le même temps nier leur compétence rôle de l’arbitre dans l’appréciation de validité de la convention d’arbitrage ». dans le dispositif de la sentence et l’af- sa propre compétence au regard du Les arbitres sont donc les seuls juges de firmer en établissant eux-mêmes une principe compétence-compétence. leur compétence. telle sentence. L’acte se trouverait dans ce cas contredit par son propre Au cœur de la controverse bruissait L’article 13 AUDA renforce le principe contenu. On voit donc dans les cir- une foule de questions : de la compétence-compétence en lui constances de l’arrêt rapporté, la Que signifie pour l’arbitre le fait de re- adjoignant un principe de priorité en conséquence ultime du principe de tenir sa compétence ou de la décliner ? vertu duquel lorsqu’un juge étatique compétence-compétence. Celui-ci ne Quelle est la position de l’arbitre par est saisi d’une question qui a déjà fait s’analyse pas en un simple effet de la rapport à une procédure judiciaire déjà l’objet d’une convention d’arbitrage, il convention d’arbitrage ou même de entamée voire achevée ? Quels sont les doit se déclarer incompétent si l’une l’apparence de convention d’arbitrage. pouvoirs respectifs du juge étatique et des parties en fait la demande. Le prin- La convention d’arbitrage suffit à justi- l’arbitre ? Quelle est la position des tri- cipe de compétence-compétence se fier que des arbitres saisis sur le fonde- bunaux étatiques face aux pouvoirs de traduit par deux effets, l’un positif et ment d’un titre apparent puissent en l’arbitre ? l’autre négatif. vérifier la validité jusqu’à ce qu’ils soient en mesure d’affirmer celle-ci par Contrairement à ce que pourrait faire L’effet positif du principe compétence- une sentence constatant, cette fois sans penser une lecture rapide de cet arrêt, compétence contradiction aucune, son existence et le but principal de la controverse sa validité. n’était pas de discuter du principe de Le principe compétence-compétence la chose jugée, mais de déterminer des articles 11 et 13 de l’AUDA est une I1 s’agit surtout de ne pas permettre à avec clarté la séparabilité du principe règle fondamentale qui permet aux ar- la partie qui ne souhaite pas voir l’ar- compétence-compétence reconnu à bitres de poursuivre leur mission, bitrage se dérouler normalement de l’arbitre et de la compétence générale même si l’existence ou la validité de la soulever non seulement un incident sur et de droit commun du juge national convention d’arbitrage est contestée l’existence ou la validité de la conven- étatique. devant eux, mais encore de « statuer tion d’arbitrage mais encore d’en tirer prioritairement sur leur compétence », argument pour tenter de faire suspen- Expression du principe procédural sans obligation de leur part de sursoir dre l’arbitrage jusqu’à ce que les juri- selon lequel il appartient à tout juge de à statuer en cas de saisine parallèle dictions étatiques se soient prononcées statuer sur sa compétence, le principe d’un juge étatique. sur ce point. compétence-compétence qui n’exclut pas le contrôle éventuel de la compé- Dans son effet positif, le principe de Ainsi, la compétence donnée aux arbi- tence de l’arbitre par la CCJA , assure compétence-compétence s’adresse tres de trancher la question permet de pleinement l’efficacité procédurale de aux arbitres. Il permet aux arbitres dont faire échec à d’éventuelles manœuvres la clause d’arbitrage. la compétence est mise en doute de se dilatoires, sans pour autant sacrifier les prononcer sur le fondement de leur in- intérêts de la partie qui pourrait se trou- La fonction juridictionnelle n’est pas vestiture sans se voir opposer la contra- ver confrontée à une demande d’arbi- réservée aux organes du pouvoir de diction consistant, pour un organe dont trage sur le fondement d’une l’ordre judiciaire elle s’étend égale- la compétence n’est pas encore éta- convention inexistante, nulle ou ne ment aux arbitres. La répartition des blie, à entreprendre un raisonnement couvrant pas la matière litigieuse. compétences entre le tribunal arbitral quelconque, fût-il sur le sujet même de En l’occurrence, c’est ce qui a permis et les tribunaux étatiques en ce qui cette compétence. aux arbitres, en effet, de se prononcer concerne l’examen des clauses d’arbi- dans la sentence sur ces vices et de trage est parfois mal comprise. Il n’est Mieux, il permet aux arbitres qui esti- rendre leur décision malgré les vices pas certain que l’arrêt rapporté qui au- ment qu’il n’existe pas de convention soulevés par PLANOR AFRIQUE. rait dû y remédier y soit parvenu. Il d’arbitrage valable entre les parties, ou nous a donc semblé utile de prendre le à tout le moins de convention couvrant Mais le principe compétence-compé- parti d’aborder pleinement cette ques- la matière litigieuse, de rendre une sen- tence ne doit pas être réduit dans son tion. tence en ce sens. aspect positif. Il conduit aussi le juge En l’espèce, PLANOR AFRIQUE avait étatique à décliner sa compétence. soulevé devant le tribunal arbitral C’est précisément sur l'aspect négatif constitué, une fin de non recevoir tirée du principe que l'arrêt du 31 janvier de l’autorité de chose jugée et des ex- 2011 de l’Assemblé plénière de la

La revue juridique du cabinet d’avocats Jurifis Consult 19 CHRONIQUES

CCJA est important. Dès l'instant où Dans l’espèce qui nous occupe et objet c/ Kyocera corp, Les Petites Affiches, 31 l'une des parties fait état d'une clause de nos commentaires, nous sommes janvier 1997.8, note A.Levasseur ). La compromissoire et n'entend pas y re- pleinement dans le cadre fixé par l’ali- Cour de cassation française a égéle- noncer, le juge étatique doit refuser sa néa 2 de l’article 13 de l’AUDA ment jugé en ce sens, ( Cass.civ.2e , 18 compétence. L'affaire appartient à l'ar- puisque le tribunal de Ouagadougou a décembre 2003, Société La Chartreuse, bitre. Il lui appartient de se prononcer été saisi au préalable. somm.in Rev.arb., 2004.442 ), par priorité sur sa compétence. Toutefois, l’incompétence est toujours L’effet négatif du principe compé- Plusieurs décisions judiciaires ont été relative car « en tout état de cause, la tence-compétence rendues dans le sens de la priorité ac- juridiction étatique ne peut relever cordée à l’instance arbitrale quelque d’office son incompétence », l’initiative L’effet négatif du principe compétence- soit le moment de sa saisine. C’est ainsi relevant de la volonté d’une partie. En compétence veut que « les arbitres doi- que la Cour d’appel d’Abidjan a af- l’espèce, il s’agit de savoir si ATLAN- vent avoir l’occasion de se prononcer et firmé que « la clause compromissoire TIQUE TELECOM qui faisait valoir la de se prononcer les premiers sur les interdit toute compétence des juridic- clause compromissoire avait soulevé questions relatives à leur compétence, tions de l’ordre judiciaire» (Abidjan, cette exception auprès des juridictions sous le contrôle ultérieur des juridictions n° 1032, 30 juillet 2002). Dans un étatiques burkinabé. Les faits tels qui étatiques» (Fouchard,Gaillard, Goldman, arrêt important en date du 24 février sont rapportés dans l’arrêt ne permet- Traité de l’arbitrage commercial interna- 2005, la CCJA a désavoué la Cour tent toutefois pas de répondre directe- tional, Litec, 1996, page 415). d’appel d’Abidjan qui, dans deux arrêts ment à cette question. du 30 juillet 1999 et du 18 février 2000 L’arbitre a donc une priorité chronolo- avait infirmé un jugement du tribunal Si tel était le cas les juges judiciaires gique pour statuer sur sa propre com- de première instance d’Abidjan qui auraient dû décliner leur compétence pétence. L’article 13 alinéa 1 de s’était déclaré incompétent du fait de en attendant que le tribunal arbitral soit saisi et se prononce sur sa compé- l’AUDA est la traduction légale de ce l’existence d’une clause arbitrale tence. principe quand il retient que (CCJA, n° 012/2005, février 2005 ). «lorsqu’un litige, dont un tribunal arbi- LE CONTROLE A POSTERIORI DE tral est saisi en vertu d’une convention Dans le même sens, il a été décidé LA COMPETENCE DE L’ARBITRE arbitrale, est porté devant une juridic- qu’en présence d’une clause dans la PAR LA CCJA tion étatique, celle-ci doit, si l’une des convention des parties prévoyant que parties en fait la demande, se déclarer la juridiction compétente pour connaî- Sans doute parce qu’il défie la logique incompétente»; et que l’alinéa 2 du tre de tout litige ou contestation pou- formelle, le principe compétence-com- même article ajoute «si le tribunal arbi- vant provenir de l’application ou de pétence à quelque peine à être com- tral n’est pas encore saisi, la juridiction l’interprétation du Protocole d’accord pris et s’imposer. Si on pousse le étatique doit également se déclarer in- et de son annexe ne peut être qu’une raisonnement jusqu’au bout on peut se compétente à moins que la convention juridiction arbitrale constituée sous demander pourquoi la CCJA voit en la d’arbitrage ne soit manifestement l’égide de la Chambre de Commerce sentence une violation de l’ordre pu- nulle ». Internationale et devant fonctionner blic international. selon le Règlement d’arbitrage de cette Il convient de souligner que l’effet né- dernière, et en application de l’article Sur la violation de l’ordre public gatif du principe de compétence-com- 13 alinéa 1 et 2 de l’AUA, toute juri- international pétence d’une clause d’arbitrage, diction étatique saisie d’un tel litige même ambiguë, interdit en général à doit se déclarer incompétente. En S’il est possible de faire confiance aux tout tribunal étatique de se déclarer conséquence, c’est en violation des arbitres à travers le principe légal com- compétent, à moins que la clause ne pétence-compétence fixé par les article soit frappée d’une pathologie qui ex- dispositions énoncées ci-dessus qu’une cour d’appel s’est déclarée compétente 11 et 13 de l’AUDA dans son double clut tout recours à l’arbitrage. aspect positif et négatif, principe qui pour se prononcer sur le fond du litige leur donne ordre de priorité dans la nonobstant l’existence de la clause Selon l’interprétation de l’article 13 de connaissance du litige, il y a une cer- l’Acte uniforme, il revient aux arbitres d’arbitrage et ses décisions encourent taine incohérence pour la CCJA de désignés en l’espèce, par les parties : la cassation ( CCJA, 1ère ch., n° 12, 24- faire le lien entre l’autorité de chose et ATLANTIQUE TELECOM et PLANOR 2-2005 : Sté MACACI c/ M. Jean- violation d’un ordre public internatio-

AFRIQUE, la tâche d’instruire le litige Pierre, Juris Ohada, n° 2/2005, p. 9. - nal. et d’établir l’existence, la validité ou la Recueil de jurisprudence de la CCJA, portée de la clause d’arbitrage. En règle n° 5, janvier-juin 2005, volume 2, p. En effet, on peut s’étonner de la moti- générale, les arbitres usent en pratique 27, ohada.com, Ohadata J-05-357 ). vation de la CCJA qui relève que « At- de cette faculté avec prudence avant C’est encore dans le même sens qu’un tendu qu’en tout état de cause, même de refuser de mettre en œuvre une pro- tribunal des Etats-Unis, confronté à un si cet arrêt a effectivement fait l’objet cédure. contrat contenant deux clauses d’attri- d’un pourvoi en cassation comme l’a Dans le cas spécifique du droit uni- bution de compétence, l’une donnant fait remarquer à juste raison la défen- forme de l’OHADA, une convention compétence à l’arbitre et l’autre au deresse à la présente, il n’en demeurait d’arbitrage qui viserait par exemple juge, est allé jusqu’à faire prévaloir la pas moins au moment du prononcé de une matière manifestement inarbitrable première sur la seconde ( United States la sentence une décision définitive bé- au regard de la loi qui la régit, serait District Court N.D.California, 11 dé- néficiant de l’autorité et de la force de manifestement nulle. cembre 1995, Lapine Technology corp chose jugée aussi longtemps qu’il n’est

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pas annulé (……) qu’en conséquence, en statuant à nouveau sur la demande «S’il est possible de faire confiance aux arbitres à de cession forcée des mêmes actions, la sentence du tribunal arbitral, qui travers le principe légal compétence-compétence porte ainsi atteinte à l’ordre public in- ternational, doit être annulée (…) » fixé par les article 11 et 13 de l’AUDA dans son Au regard des articles 11 et 13 de double aspect positif et négatif, principe qui leur l’AUDA, cette motivation pose pro- blème. A partir du moment, où le tri- donne ordre de priorité dans la connaissance du li- bunal s’est constitué avant que la décision ne devienne définitive, bien tige, il y a une certaine incohérence pour la CCJA plus à partir du moment où l’une des parties fait état de l’existence d’une de faire le lien entre l’autorité de chose et violation convention d’arbitrage devant une ins- tance judiciaire avant toute décision au d’un ordre public international.» fond, il revenait aux juges étatiques de sursoir à statuer jusqu’à ce que les ar- bitres se prononcent sur leur compé- L’opportunité de consacrer le principe nette l’effet négatif de la compétence- tence ou la validité de ladite de compétence-compétence tourne compétence. Même si les arbitres re- convention. autour de trois considérations de na- çoivent également le pouvoir de se ture très différente: la réalisation d’éco- prononcer sur ces questions en vertu La motivation de la CCJA sur ce point nomie de moyens, le souci de déjouer de l’effet positif du principe de compé- nous paraît assez discutable. Les effets les manœuvres dilatoires et celui de ne tence-compétence, l’existence d’un positif et négatif combinés du principe pas perturber les règles d’organisation contentieux parallèle devant les juri- compétence-compétence sont radica- des compétences judiciaires mises en dictions étatiques sur la validité ou la lement antinomique avec une éven- place, dans un nombre croissant de portée de la convention d’arbitrage ne tuelle violation de l’ordre public systèmes juridiques, en matière d’arbi- peut que perturber le déroulement de international fondée sur le moyen trage. l’arbitrage. d’une décision judiciaire ayant acquis force de chose jugée. Il y a là une cer- D’abord, le fait de soumettre la ques- Cette dualité de compétence jointe à taine incohérence qui défie cette lo- tion préalablement à des juridictions l’idée que la décision des juridictions gique. étatiques, dont les décisions peuvent étatiques l’emportera en toute hypo- souvent faire l’objet d’un appel, puis thèse-comme le laisse malheureuse- Qu’en serait-il d’un éventuel pourvoi parfois d’un recours devant la juridic- ment entendre la motivation de la introduit par ATLANTIQUE TELECOM tion supranationale, n’est pas de nature CCJA dans l’arrêt du 31 janvier 2011, sur le moyen fondé sur la violation des à accélérer le processus si les juridic- ici rapporté,- n’est pas de nature à don- articles 11et 13 de l’AUDA ? tions étatiques finissent par admettre ner aux arbitres le sentiment que leur l’existence et la validité de la conven- décision aura une utilité quelconque. En cas de décision de compétence, la tion d’arbitrage. Les parties elles-mêmes, connaissant sentence arbitrale est naturellement at- l’importance de la décision des juridic- taquable devant la CCJA par voie d’an- Le choix entre toutes les considérations tions étatiques, y consacreront l’essen- nulation en contestation de validité. contradictoires dépend donc large- tiel de leurs efforts. En d’autres termes, Le rôle de la CCJA dans l’examen de ment, en définitive, du degré de s’il ne s’applique qu’aux arbitres et non l’existence ou de la validité de conven- confiance accordé par le législateur aux juridictions étatiques, le principe tion d’arbitrage n’est pas seulement li- OHADA à l’arbitrage comme procédé de compétence-compétence n’est pas mité au simple constat de l’existence de règlement des différends. de nature à faire véritablement obsta- ou de l’absence d’une clause liant les cle aux manœuvres dilatoires qu’il parties. Au stade du recours en annu- Si les arbitres reçoivent en toute hypo- était censé déjouer. lation ce rôle passe à la détermination thèse le pouvoir de statuer sur le même de la mise en œuvre de la procédure. sujet en vertu de l’effet positif du prin- Enfin, plus fondamentalement, l’effet cipe de compétence-compétence, la négatif de la compétence-compétence Mais le motif d’annulation fondé sur la seule question demeurant ouverte est repose sur l’idée qu’il est possible de violation d’un ordre public internatio- de savoir si comme dans le cas en es- faire confiance aux arbitres, au moins nal en raison d’une contrariété d’une pèce, l’ouverture de deux fronts paral- dans un premier temps, pour se pro- décision judiciaire passée en force de lèles portant sur le même contentieux noncer prioritairement sur les ques- chose jugée nous semble mal fondé. réalise une véritable économie. I1 est tions parfois délicates de validité et de Apprécier l’efficacité de la convention permis de penser que tel n’est pas le portée de la convention d’arbitrage. d’arbitrage, à l’égard des tribunaux éta- cas et que cette dualité de compétence Cette philosophie est très exactement tiques, pour le juge de l’annulation est plus perturbatrice qu’utile. celle qui sous-tend la conception large qu’est la CCJA, c’est vérifier que cette de l’arbitrabilité du litige. convention réunit les éléments et Ensuite, l’argument tiré du souci de dé- conditions nécessaires pour que la jouer les manœuvres dilatoires se situe En définitive, de par l’importance des compétence des tribunaux soit consi- dans le prolongement du précédent. I1 économies qu’il est susceptible de faire dérée comme écartée. justifie cependant de manière plus réaliser dans les Etats, l’effet négatif du

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principe de compétence-compétence convention d’arbitrage est un contrat. actions intervenues entre les parties, a constitue sans doute aujourd’hui l’un Elle ne produit donc effet obligatoire , souverainement relevé, par une déci- des indicateurs essentiels de la qu’à l’égard de celui qui l’a signé. En sion motivée, que la clause d’arbitrage confiance réelle que les différents or- conséquence, un tiers qui n’y a pas contenue dans le pacte d’actionnaires dres juridiques font à l’arbitrage. consenti ne peut être contraint à inter- du 10 février 2004 n’est pas opposable venir dans l’instance : toute extension à PLANOR AFRIQUE parce qu’il ne Sur la validité de la clause à son égard aurait pour conséquence ressort nulle part du dossier qu’elle ait compromissoire par cela seul d’élargir la mission de eu connaissance de ladite clause et l’arbitre. qu’elle ait manifesté la volonté d’être Comme toute convention en générale, liée par la convention d’arbitrage ». la validité d’une convention d’arbitrage En l’espèce, PLANOR AFRIQUE qui est susceptible d’être mise en cause, s’opposait dès le départ à l’arbitrage, Selon l’interprétation que fait la CCJA notamment à raison des vices de soutenait qu’elle n’était pas partie au de l’espèce , l’acceptation de la consentement. Cependant, si dans un pacte d’actionnaires qui contenait la convention d’arbitrage est exigée pour premier temps il revient aux arbitres en clause compromissoire ayant servi de qu’elle lui soit opposable. En exigeant application de l’article 13 d’en appré- base à l’ouverture de la procédure d’ar- une acceptation expresse pour l’oppo- cier l’applicabilité, il appartient au bitrage. Or, c’est dans cette même sabilité de la convention, la CCJA ap- stade ultime à la CCJA d’en d’apprécier clause compromissoire que se trouvait plique strictement la règle de droit la validité, dès lors qu’elle est saisie à la renonciation à la contestation de va- contractuel. cet effet. lidité qu’invoquait ATLANTIQUE TELE- COM au soutien de sa prétention Le juge de l’annulation considère que C’est la logique du principe compé- d’irrecevabilité du recours en contes- PLANOR AFRIQUE n’est pas directe- tence-compétence décrit plus haut. La tation de validité de la sentence arbi- ment désignée dans la convention et trale. n’en est pas signataire. Elle est donc un tiers étranger à cette clause compro- La juge de l’annulation avait à trancher missoire. Dans cette logique l’interven- deux questions : tion d’un tiers ne peut donc se concevoir que s’il adhère librement à «Il faut dire que – il y a-t-il eu renonciation à la contes- la convention à laquelle il devient par tation de validité ? cela partie.

l’effet relatif de la – la convention d’arbitrage était-elle Le caractère consensuel de l’arbitrage opposable à PLANOR AFRIQUE ? met ainsi un obstacle à l’extension de clause compromis- la convention d’arbitrage à des tiers. En réalité, les deux questions étaient Selon le juge supranational pour être soire interdit à étroitement liées répondre à la seconde opposable à PLANOR AFRIQUE, la c’est résoudre la première. clause compromissoire insérée dans le pacte d’actionnaires devait être portée priori d’en étendre La CCJA relève simplement à cet effet à sa connaissance et avoir été acceptée qu’ «un examen sommaire dudit pacte expressément par elle. La juridiction le champ d’appli- d’actionnaires révèle que la société supranationale exige donc une accep- PLANOR AFRIQUE n’en est pas for- tation spéciale de la part de PLANOR cation rationa per- mellement signataire pour que cette ré- AFRIQUE. férence puisse justifier à elle seule sonae à une l’irrecevabilité du recours en contesta- Il faut dire que l’effet relatif de la clause tion de validité ». compromissoire interdit à priori d’en étendre le champ d’application rationa personne qui n’y a Cette décision est à rapprochée d’un personae à une personne qui n’y a pas autre arrêt de la CCJA en date du 10 consenti. L’arbitrage repose, en prin- pas consenti. L’ar- juin 2010 rendu sur la même question cipe, sur la volonté des litigants de sou- entre les mêmes parties, le juge supra- mettre leur litige à un arbitre. bitrage repose, en national avait retenu : « (…)attendu qu’il est de principe qu’en matière d’ar- Cependant, si cette solution paraît bitrage international, la clause compro- claire et logique, elle ne manque pas principe, sur la vo- missoire par référence écrite à un de soulever quelques remarques au re- document qui la contient est valable, à gard de la spécificité des solutions clas- lonté des litigants défaut de mention dans la convention siquement données en matière principale , lorsque la partie à laquelle d’arbitrage tant l’opposabilité des de soumettre leur la clause est opposée a eu connais- clauses de compétence engendre des sance de la teneur de ce document au interprétations différentes. L’incertitude litige à un arbitre.» moment de la conclusion du contrat et de la règle de droit dans ce domaine qu’elle a accepté l’incorporation du est incontestablement fonction des cir- document au contrat ; qu’en l’espèce, constances de chaque espèce et des ar- la Cour d’appel de Ouagadougou, gumentations soulevées par les parties. après avoir examiné les diverses trans-

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Par cet arrêt, la CCJA semble prendre La première chambre civile de la cour dence qui, au nom de l’effet négatif du son parti dans la querelle qui a long- de cassation procède par un tout autre principe compétence-compétence im- temps opposé la chambre commer- raisonnement. Tandis que la chambre pose au juge saisi d’un litige en pré- ciale à la chambre civile de la cour de commerciale, tout comme la CCJA sence d’une clause d’arbitrage de se cassation française sur l’extension de dans l’arrêt ici rapporté, raisonnait sur déclarer incompétent et de renvoyer la clause compromissoire. Sur cette le terrain de la théorie générale du les parties à l’arbitrage quel que soit le question, la chambre commerciale et contrat ; le destinataire ne pouvait être moment de sa saisine, même lorsque la première chambre civile avaient des engagé par la clause compromissoire la compétence de l’arbitre est contes- jurisprudences divergentes et la doc- que s’il l’avait accepté « spéciale- tée comme c’est le cas dans l’espèce. trine avait souhaité une harmonisation. ment », la chambre commerciale tout Cette divergence est désormais aplanie comme la CCJA exigeant en quelque En aval, cet arrêt de l’Assemblée plé- dans le sens de la position de la cham- sorte que cela soit vérifié in concreto, nière de la CCJA risque d’avoir un im- bre civile de la cour de cassation fran- la première chambre civile, elle, rai- pact négatif sur l’étendue du contrôle çaise. Par un arrêt de principe du 21 sonne dans le cadre de l’arbitrage opéré par le juge de l’annulation sur février 2006 ( Cass.com., 21 février stricto sensu. une sentence arbitrale rendue sur la 2006, n°04-11.030, Navire Pella, Sté base d’une convention d’arbitrage Belmaire et a.c/ Sté Trident Marine Elle fait une application rigide du prin- contestée. Il appelle en tous les cas, à Agency Inc. Et a. : Juris-Data n°2006- cipe compétence-compétence, en le un nécessaire rééquilibrage entre le 032300.Rev.arb.2006,p.379, qualifiant ce principe de règle « maté- principe compétence-compétence, la rapp.A.Potocki, note Ph.Delebecque ), rielle du droit du droit de l’arbitrage » bonne administration de justice et l’or- la chambre commerciale de la cour de et considère que la recherche d’une dre public international tel que dé- cassation a fini d’aligner sa jurispru- acceptation spéciale, comme l’exigeait fendu en l’espèce. dence sur celle de la première cham- la chambre commerciale et comme bre civile. l’exige la CCJA dans le présent arrêt, du On s’interrogera peut être sur la perti- destinataire n’est pas nécessaire « dès nence de la motivation de cet arrêt Dans sa jurisprudence antérieure, la lors qu’il est habituel qu’une clause mais on l’approuvera in fine dans le chambre commerciale s’était exprimait d’arbitrage international soit insérée fond. Car si on souscrit à la solution de par l’arrêt de principe du 29 novembre dans un contrat de transport internatio- l’espèce, en ce que l’on peut considé-

1994, Stolt Osprey ( Cass. Com ., 29 nal ». Par l’arrêt Pella ci-dessus cité, la rer avec la CCJA que la clause d’arbi- nov .1994, n° 92-14.920,CDF Chimie chambre commerciale de la cour de trage ne pouvait engager PLANOR North America et a. c/Tolt Nielsen et cassation française s’est finalement ali- AFRIQUE, le motif tiré de la violation a. : Juris-Data n° 1994-002296 ; DMF gnée sur cette position. Une impor- de l’ordre public international fondé 1995,p.218,obs Y.Tassel ). tante partie de la doctrine a approuvé cet alignement. Mais une autre partie sur la contrariété de la sentence arbi- Il déclarait dans cet arrêt : « Pour être l’a déploré et a expliqué qu’il aurait été trale avec une décision judiciaire pas- opposable au destinataire, une clause souhaitable que cet alignement se fît sée en force de chose jugée dans un compromissoire insérée dans un au profit de la chambre commerciale. litige où deux procédures parallèles contrat [de transport] doit avoir été por- sont engagées entre les mêmes parties tée à sa connaissance et avoir été ac- Il leur paraît en effet, excessif de per- pour la même cause, est discutable et ceptée par lui », la chambre mettre, par application « mécanique » pour le moins, à notre sens, excessif. commerciale exigeait donc - comme la du principe de compétence-compé- Il faut prendre conscience de ce que CCJA dans l’arrêt du 31 janvier 2011, tence, d’imposer l’arbitrage à un desti- l’arrêt atteste sur ce point précis : une ici rapporté,- une acceptation spéciale nataire qui ne l’a pas accepté. La CCJA vision étroite du principe de compé- de la part du destinataire ( V.encore par l’arrêt rapporté semble se ranger tence-compétence et un droit étriqué à Cass.com., 8 oct.2003,navire M/V sur cette position. Et nous approuvons l’égard de l’arbitrage. Or les textes de Jehum, Borsha Shipping Ltd et. c/ Axa sans réserve ce positionnement. Car l’OHADA à travers l’Acte uniforme Corporate Solutions et a. : Juris –Data tirer l’argument d’une interprétation portant sur l’arbitrage (article 13) et du n°2003-020465 ; DMF 2004, p.339, « extensive » du principe compétence- Règlement d’arbitrage de la CCJA (ar- rappo.G.de Monteynard ) compétence pour contraindre une par- ticle 10) disent exactement le tie qui ne l’a pas souhaité à un Puis, la première chambre civile de la arbitrage est un argument pour le contraire. Selon ces textes c’est l’arbi- cour de cassation française est venue moins malhabile et retors. L’arbitrage trage qui doit primer. C’est le législa- adopter une jurisprudence opposée. repose sur un accord de volonté et cet teur qui le dit. D’abord par un arrêt en date du 16 accord doit-selon nous- être prouvé mars 2004, Avlis ( Cass. 1er civ.,22 qu’il soit au demeurant expresse ou ta- Le juge de l’annulation aurait dû se li- nov.2005, n°03-10.087, Sté Axa Corp. cite. miter, à notre sens, au simple constat Et a. :Juris-Data n°2005-030841; DMF de l’inapplicabilité ou de l’inopposabi- 2006, II, 10046, note C.Humann). En- Cette brève analyse comparative fait lité de la convention d’arbitrage pour suite, elle a fermement confirmé sa po- clairement ressortir l’enjeu de cet arrêt accueillir favorablement le recours en sition par un arrêt de principe du 22 qui est bien plus important que ne le contestation de validité de la sentence novembre 2005, Lindos ( Cass. 1er laisse transparaitre une première lec- arbitrale introduite par PLANOR civ.,22 nov.2005, n° 03-10.087, Sté ture. AFRIQUE. Cela aurait suffit. Axa Corp Colutions et a. : Juris-Data n° 2005-030841 ; DMF 2006, p.16,note En amont, l’arrêt du 31 janvier 2011 P.Bonassies ). conduit à s’interroger sur la jurispru-

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LA REPARTITION DES COMPETENCES DANS UN LITIGE OU S’ENTRECHOQUENT ET SE MELENT LES MATIERES JURIDIQUES HARMONISEES ET LES MATIERES JURIDIQUES NON HARMONISEES (Notes sous Arrêts C. Cass Sénégal du 19/01/2005, n° 36 Jamel SALEH c/ Sté ULMAN Sa et n° 37 Alioune BABOU c/ Mbacké DRAME) Bakary DIALLO Docteur en Droit des Affaires Avocat

es deux arrêts rapportés du 19 condamnant au paiement de sommes entre les juridictions nationales de cas- janvier 2005 (arrêts d’incompé- d’argent à la société ULMAN. A cette sation et la CCJA. Vide juridique qui Ltence partielle rendus par la fin, le commerçant présentait deux fait le lit d’une insécurité juridique et deuxième chambre civile et commer- moyens de cassation tirés d’une part judiciaire dont les premières victimes ciale qui sont l’un et l’autre inédits), de la violation des articles 30 et 264 sont les plaideurs. sont de ceux susceptibles de faire du COCC sénégalais et de l’article 202 avancer la réflexion et d’apporter de l’Acte Uniforme portant sur le droit Il est vrai qu’en matière de recours en quelques éléments de solution à des commercial général. cassation dirigés contre les Actes uni- questions jusque là timidement débat- formes, le juge de cassation sénégalais tues en droit OHADA. Les deux espèces rendues à la même réaffirme sans réelle surprise la com- date ne manquent pas de proximités. pétence exclusive, voire d’ordre public La cour de cassation sénégalaise ap- Dans les deux cas le litige porte à la de la CCJA. Mais les juridictions natio- porte effectivement, une contribution fois sur le droit national et le droit har- nales restent souveraines pour connaî- dans le débat qui se noue autour de la monisé. Il s’agit donc d’affaires mixtes. tre tous les pourvois visant la censure question de la répartition des compé- du droit interne non harmonisé. tences dans un litige où s’entrecho- Sollicitée par la voie d’un recours en quent et se mêlent les matières cassation la haute juridiction nationale Il consacre donc le partage de compé- juridiques harmonisées et les matières sénégalaise s’est contentée de souli- tences avec la CCJA dans les litiges juridiques non harmonisées. gner son incompétence pour les présents élevés à sa connaissance ( I). moyens soulevant des questions rela- Mais, si la solution adoptée est simple Révélons rapidement les circons- tives à l’application d’un Acte uni- sa portée juridique est plus difficile à tances des deux controverses. forme et a décidé de surseoir à statuer saisir ( II ) Dans la première espèce, un commer- pour les autres moyens ayant trait au çant (Alioune BABOU) preneur d’un droit interne non harmonisé et à ren- LE PARTAGE DE COMPETENCE bail commercial donné par un autre voyer l’affaire devant la Cour Com- ENTRE LA CCJA ET LA COUR DE commerçant (Mbacké DRAME) avait mune de Justice et d’Arbitrage sous le CASSATION NATIONALE. été assigné en expulsion, par ce der- visa des articles 14, 15 et 16 du Traité nier, devant le tribunal régional de de l’OHADA. Cette décision procède Dakar. Le juge des référés du Tribunal donc d’une démarche volontaire en Tout litige dans lequel l’invocabilité du régional puis la cour d’appel avaient direction de l’ordre juridique OHADA droit OHADA est effective doit être di- facilement accédé à cette demande en tel qu’il a été voulu par le législateur rectement tranché en cas de cassation ordonnant l’expulsion. communautaire. par la CCJA. C’est une compétence ex- clusive (A ). Mais la CCJA n’est pas Ayant succombé devant les juges du Mais, que doit- on penser de cette so- compétente pour intervenir dans les fond, le commerçant sollicite de la lution ? La saisine sur renvoi de la matières hors OHADA (B ). cour de cassation sénégalaise la cen- CCJA dans un litige portant à la fois sur sure de l’arrêt en invoquant au soutien le droit interne et le droit uniforme A- L’exclusivité de compétence de la de sa demande, trois moyens de cas- constitue t-elle une obligation ou une CCJA dans le contentieux des Actes sation basés respectivement sur la vio- faculté pour une juridiction suprême uniformes . lation des articles 101 de l’Acte nationale ? Uniforme portant sur le droit commer- En première lecture, les arrêts com- Le contentieux relatif aux Actes uni- cial général et de l’article 32 du Code mentés reposent donc sur une impla- formes issus du Traité OHADA est gou- de procédure civile sénégalais, et enfin cable logique et semble imperméable verné par deux principes essentiels. de l’insuffisance de motifs et de la vio- à toute critique. lation des droits de la défense. D’ abord, le contentieux est réglé en Pourtant, à y regarder d’un peu plus première instance et en appel par les Dans la deuxième espèce, l’auteur du près, la solution retenue par la juridictions des Etats parties (art. 13 du pourvoi Mr Jamal SALEH cherchait deuxième chambre civile et commer- Traité OHADA). Ainsi, dans les cas également à échapper à un jugement ciale ne s’impose pas avec la force de particuliers rapportés les litiges ont pu défavorable du même Tribunal régio- l’évidence. Elle révèle surtout un vide être portés devant le Tribunal régional nal de Dakar, confirmé en appel, le juridique inquiétant dans les rapports de Dakar puis devant la cour d’appel

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les litiges avant de s’adresser à la Cour du traité de de 1993. La moyens destinés à deux juridictions de cassation sénégalaise. CCJA est incompétente dans les ma- différentes ? tières non encore harmonisées. Pour Ensuite, la CCJA assure dans les Etats toutes les matières hors OHADA les Doit - on faire bénéficier à la CCJA parties l’interprétation et l’application juridictions de cassation nationales une sorte de priorité chronologique communes du Traité, des règlements recouvrent leur pleine souveraineté. dans l’examen du pourvoi ? Ou doit – pris pour son application et des Actes on, au contraire réserver cette priorité uniformes 1 . La substitution de la CCJA aux juridic- à la juridiction de cassation nationale ? tions nationales dans le contentieux Dès sa conception, la CCJA a été ainsi des Actes Uniformes. Cette foule de questions révèle de dotée de la fonction de juger, sans le façon manifeste qu’entre les juridic- moindre partage. Elle a été chargée Les juridictions suprêmes nationales se tions nationales de cassation et la d’unifier et de régulariser l’interpréta- voient évincées de leurs compétences CCJA les rapports sont loin d’être clairs tion de la règle de droit dans tout l’es- traditionnelles dans toute matière et apaisés. En la matière chaque juri- pace géographique OHADA et à ayant été l’objet d’un Acte uniforme. diction nationale de cassation se fait l’égard de tous les justiciables, quel sa propre doctrine. que soit le pays où se situe le tribunal, Et lorsque le litige renferme, comme la profession des parties, lorsque le li- c’est le cas dans les espèces que nous Si de prime abord la solution du ren- tige porte sur le droit harmonisé. rapportons, des matières juridiques voi partiel adoptée par la juridiction de harmonisées et des matières juridiques cassation sénégalaise, semble la plus Telle demeure fondamentalement sa non harmonisées, un partage des com- simple et la plus logique sa portée raison d’être. Sa création a été en pétences s’impose entre la CCJA qui exacte est plus difficile à mesurer. quelque sorte imposée comme le co- n’est compétente que pour l’applica- rollaire du principe de l’unité de la tion des Actes uniformes et la juridic- II - LA PORTEE DE LA DECISION DE Communauté juridique, pour coiffer tion suprême nationale qui reste RENVOI AUPRES DE LA CCJA. un corps de juridictions préexistantes. souveraine dans le contentieux du droit commun. La réunion de moyens fondés sur des Le législateur communautaire a voulu normes juridiques différentes dans les ainsi éviter l’éparpillement de l’inter- Dans les arrêts présents arrêts du 19 espèces qui nous occupent n’est pas prétation du droit harmonisé, par janvier 2005 les matières juridiques véritablement un cas exceptionnelle, l’émergence de jurisprudences qui non harmonisées invoquées dans les au contraire la cour suprême du Niger peuvent être selon les juridictions ter- pourvois concernent le code de Procé- a déjà eu à statuer sur la question (A) . ritoriales saisies : nationales, franco- dure civile à travers son article 32 et En vérité si la position de la cour su- phones, lusophones, hispanophones les articles 30 et 264 du code des obli- prême du Niger a essuyé les critiques ou bientôt anglophones. La CCJA est gations civiles et commerciales du Sé- des commentateurs celle de la cour de chargée de préserver la sécurité juri- négal. L’invocation de ces articles cassation sénégalaise a le mérite de dique dans ce qu’elle a de plus de plus justifie pleinement la compétence de souligner le vide juridique qui règne exigeant et de plus immédiat : la pré- la cour de cassation du Sénégal. Aussi, en la matière (B) . visibilité du droit et son évolution. cette dernière semble tenir pour lo- gique le morcellement du litige en Le critère de la prépondérance prô- Tant il est vrai, que la loi ne peut avoir deux parties nettement distinctes. née par la cour suprême du Niger. qu’un sens à l’intention du législateur ; Cette position peut être approuvée. « … les autres sens qu’on veut lui at- Car, la cour de cassation ne doit De nombreux arrêts témoignent de ce tribuer sont nécessairement faux. S’il y connaître même de façon indirecte le que les juridictions suprêmes natio- a plusieurs autorités chargées de contentieux des Actes uniformes. In- nales cherchent désespérément à connaître de la violation des lois, elles versement, en bonne logique lorsque, s’émanciper des règles maximalistes pourraient être interprétées en divers la CCJA est saisie dans les mêmes fixées par le traité OHADA en ce qui sens … » 2 conditions, elle devra décliner sa com- concerne la procédure du pourvoi en La promotion de l’unité et de la sécu - pétence sur les matières non harmoni- cassation. Un cap marquant de ce rité ne tolère pas la diversité de l’ex - sées. mouvement avait été franchi par la pression. Lorsque l’on est en présence Cour suprême du Niger le 16 août de concepts mal maîtrisés, de notions Cependant, la coexistence de diverses 2001 3. mal définies ou de solutions confuses, compétences dans un même litige est Cet arrêt a été aussi le premier à met- la CCJA doit se révéler un guide pré - susceptible d’engendrer une insécurité tre l’accent sur la difficile répartition cieux pour le juge ordinaire. judiciaire handicapante surtout pour de compétences dans un litige renfer- les plaideurs. mant des moyens fondés à la fois sur En un mot, le souci majeur et exclusif le droit uniforme et le droit commun est de sauvegarder l’unité jurispruden- Doit- on former deux pourvois en cas- non concerné par l’harmonisation du tielle. sation pour une même décision entre droit des affaires. les mêmes parties, l’un porté devant la Toutefois, la compétence de la CCJA juridiction nationale et l’autre devant L’espèce était relative à l’ouverture du est une compétence spéciale. C’est-à- la CCJA ? capital de la Société nigérienne d’as- dire que celle-ci est exclusive mais cir- surance et de réassurance (SNAR conscrite à l’application et Doit – on toujours obliger les parties LEYMA) au groupe HIMA SOULEY l’interprétation des Actes uniformes à former un seul pourvoi avec des lors d’une opération de recapitalisa-

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tion de la société d’assurance. Le uniformes, la cour suprême nationale Etats parties. Mais, il ne revient pas groupe HIMA SOULEY se prévalait n’a pas à renvoyer le pourvoi devant la aux autorités de l’OHADA notamment d’une ordonnance rendue sur requête CCJA si cette voie de recours est la CCJA de traiter ou d’interpréter par le 20 avril 2001 par le Président du tri- fondé, de façon prépondérante, non exemple une norme juridique bunal de Niamey, qui autorisait la no- sur la violation d’un Acte uniforme, UEMOA ou CEDEAO dans un litige mination d’un administrateur mais, sur celles du droit interne non donné. judiciaire chargé de convoquer une harmonisé. assemblée générale des actionnaires En dernière analyse, le vide juridique de la SNAR LEYMA qui serait chargée Il est vrai que la solution, ramenée à qui persiste dans les rapports entre les de constater la libération des actions l’espèce considérée pouvait paraître juridictions nationales de cassation et souscrites par le groupe HIMA SOU- séduisante et satisfaisante. Car le litige la CCJA est préoccupant. L’incertitude LEY et sa qualité d’actionnaire. Solli- portait pour l’essentiel sur la violation nourrit l’insécurité juridique et judi- citée, la cour d’appel avait confirmé des règles du code civil et du code ciaire. l’ordonnance le 23 mai 2001. CIMA. Mais, elle était fragile sur le plan des principes du droit OHADA. C’est sans nul doute, instruite par l’abondance des critiques que la Mécontente, de cet arrêt, la société ni- Car à supposer que ce critère de pré- construction théorique de l’arrêt de la gérienne d’assurance s’était pourvue pondérance puisse triompher, qui sera cour suprême du Niger a suscité 5 que en cassation en invoquant la violation compétent pour son appréciation ? La la juridiction de cassation sénégalaise des dispositions du code de procédure cour suprême nationale elle-même ou a voulu s’inscrire dans une autre lo- civile, du code civil et du code CIMA. la CCJA ? gique qui est celle du renvoi partiel.

La défenderesse -le groupe HIMA Et en cas de divergences d’interpréta- La solution du renvoi partiel consa- SOULEY- opposa une exception d’in- tion sur une question considérée crée par la cour de cassation sénéga- compétence et une fin de non rece- comme mineure par la juridiction na- laise. voir. L’exception d’incompétence tionale de cassation, mais prépondé- mettait en exergue la compétence ex- rante pour la CCJA, quelle opinion Dans les cas particuliers qui nous oc- clusive de la CCJA pour statuer sur devrait prévaloir sur le litige ? cupent, le juge de cassation sénégalais l’application des Actes uniformes de a contrairement au juge suprême ni- l’OHADA. Dans le cas particulier On est loin du principe de sécurité gérien opté pour une solution de ren- l’Acte uniforme en cause était celui re- qui ne tolère pas l’expression plurielle voi partiel. Concrètement, il a décidé latif au droit des sociétés commer- au stade suprême. de surseoir à statuer sur les moyens ciales et du groupement d’intérêt soulevant des questions relatives au économique. En réalité, dans bien de controverses, droit interne non harmonisé et de ren- il est difficile de privilégier un ordre ju- voyer l’affaire sur les moyens ayant Au final les moyens du pourvoi por- ridique au détriment d’un autre. D’au- trait au droit OHADA. taient à la fois sur la violation du code tant plus que les occasions d’un de procédure civile nigérien, les dis- enchevêtrement de compétences ou Or si la solution adoptée peut paraître positions du code CIMA (à noter que de normes multiples dans un même li- plus satisfaisante relativement au prin- ces dispositions n’ont pas étaient pré- tige ne manquent pas. La coexistence cipe de supranationalité du traité cisées dans le pourvoi) le code civil et de règles substantielles différentes OHADA que celle prônée par la cour le droit OHADA. pour régir une situation juridique pré- suprême nigérienne, son fondement cise, se rencontre souvent dans les re- théorique encore incertain est diffi- Pour résoudre la controverse la cour lations commerciales transnationales. cile à défendre. suprême nigérienne procède à un rai- De ce fait, le conflit entre l’OHADA et sonnement assez surprenant. les autres ordres juridiques internatio- En effet, c’est sous le visa des articles naux qu’il s’agisse d’organisations in- 14,15 et 16 combinés que la cour de D’ une part, elle procède à une relec- ternationales à compétence matérielle cassation sénégalaise a rendu les pré- ture de l’article 18 du traité invoqué sectorielle ou générale, qu’elles soient sentes décisions. Or, si l’interprétation par le groupe HIMA SOULEY aux régionales ou sous- régionales (CEA, de ces articles conduit bien au renvoi termes duquel « une partie qui, après CEDEAO, OAPI, CIMA, OHADA, CI- devant la Cour Commune des moyens avoir soulevé l’incompétence d’une ju- PRES) 4 est inéluctable. fondés sur la violation du droit uni- ridiction nationale de cassation estime forme. Elle ne justifie en rien selon que cette juridiction a, dans un litige, Or, aucun système juridique, qu’il soit nous la décision de surseoir à statuer méconnu la compétence de la CCJA, interne, ou communautaire ne détient sur les autres moyens tirés de la viola- peut saisir cette dernière, dans un délai la clé de la répartition des compé- tion du droit interne ordinaire. de deux mois à compter de la notifica- tences entre normes en concurrence. tion de la décision attaquée .. » qui si- En effet, aucun ordre juridique ne peut Formellement, les articles 14, 15 et 16 gnifie selon elle que la compétence de s’arroger le pouvoir de cette réparti- ici invoqués par la cour de cassation la CCJA n’est pas exclusive de celle tion. sénégalaise visent l’application des des juridictions nationales. Actes uniformes. On peut donc douter Certes, il appartient à l’ordre juridique que la décision du juge suprême na- Et d’autre part, elle estime que la CCJA OHADA de fixer sa sphère d’applica- tional de surseoir à statuer sur les n’étant compétente que pour l’inter- bilité matérielle et spatiale qui s’im- moyens tirés de la violation du droit prétation et l’application des Actes pose aux ordres juridiques internes des interne non harmonisé entre dans ce

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cadre. C’est dire que la décision de uniformes, cette juridiction est immé- l’immersion du juge dans la réalité surseoir à statuer ne revêt pas un ca- diatement dessaisie ». concrète et complète de chaque af- ractère d’impératif absolu. faire. C’est enlever à la décision judi- Il apparaît donc in fine que le dessai- ciaire sa vertu pédagogique vis-à-vis La procédure empruntée par la haute sissement soit l’unique voie de re- des plaideurs. juridiction sénégalaise se veut un vé- cours que prévoie le traité pour les ritable décalque de la procédure de juridictions nationales de cassation. Au final, la seule solution satisfaisante recours préjudiciel en interprétation. passe immanquablement selon- nous Or, une telle procédure n’a pas été or- Autrement dit, il y a en la matière une par une réforme du traité de ganisée par le législateur OHADA. Le imperméabilité qui ne permet pas l’OHADA. Celle -ci consisterait en recours consultatif qui pourrait s’y ap- d’envisager une navette entre la juri- une coopération loyale entre juridic- parenter n’est possible qu’au profit diction nationale de cassation et la tions nationales de cassation et la des juridictions du fond. C’est le sens CCJA. Et cette imperméabilité se fait CCJA. Elle conduit à la mise en place qu’il faut donner aux articles 13 et malheureusement au détriment des de la technique du renvoi préjudiciel 14.alinéa 2 du traité OHADA. L’article plaideurs puisque cela peut aboutir à utilisée au sein de l’Union euro- 13 vise uniquement l’application du une sorte de déni de justice pour les péenne 7 ou de l’UEMOA 8 . Contraire- droit uniforme par les juridictions du justiciables 6 (dans les deux cas d’es- ment à la situation actuelle qui est fond en première instance et en appel pèces il s’agit de commerçants locaux) potentiellement conflictuelle pour les tandis que l’article 14 alinéa 2 vise la qui n’ont pas forcément les moyens fi- juridictions nationales de cassation et saisine de la CCJA pour avis consultatif nanciers de supporter la lourdeur de la CCJA, la procédure du recours à la « par les juridictions nationales saisies cette procédure. question préjudicielle instaurerait un en vertu de l’article 13 » ce qui exclut climat de confiance de complémenta- expressément les juridictions natio- Par ailleurs, tenir pour principe le rité et de collaboration entre ces juri- nales de cassation. morcellement du litige selon les com- dictions. La procédure se déroulerait La seule voie que semble aménager le pétences judiciaires en jeu, n’est pas en trois temps : législateur communautaire pour les de bonne méthode. C’est, en effet, juridictions suprêmes nationales est le consacrer une interprétation tronquée – Le juge national décide de surseoir dessaisissement total. des termes du litige puisque le juge su- à statuer et de renvoyer la question En effet, l’article 51 du Règlement de prême (national ou communautaire) d’interprétation à la CCJA ; procédure de la CCJA dispose que se prononce finalement sur une partie – Saisie de la question la CCJA, qui « Lorsque la cour est saisie conformé- du litige décontextualisée. garde sa compétence exclusive dit ment aux articles 14 et 15 du traité par le droit ; une juridiction nationale statuant en C’est admettre la diversité des sens et – Le juge national en fait application cassation qui lui renvoie le soin de des méthodes dans un raisonnement au litige et rend une décision qui juger une affaire soulevant des ques- judiciaire qui perd de sa cohérence et éteint le contentieux. tions relatives à l’application des actes de son homogénéité. C’est empêcher

1 Article 14. alinéa 1 du Traité de l’OHADA. 2 Rapport présenté au Congrès National le 20 janvier 1831 par RAIKEM, publié in V. HUYTTENS, Discussions du Congrès National de Belgique 1830-1831, Bruxelles , 1844, t. IV, pp. 92-102, n° 59, spéc. 3 In www.ohada com., OHADA D-02-29 4 J. ISSA- SAYEGH, La fonction juridictionnelle de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA, in ohada.com D-02- 16. Voir également P. MEYER, Les conflits de juridictions dans les espaces OHADA, UEMOA et CEDEAO, (Communication au colloque organisé par l’Agence intergouvernementale de la francophonie (A. I .F) en collaboration avec l’UEMOA sur « La sensibilisation au droit communautaire de l’ UEMOA », Ouagadougou, 6- 10 octobre 2003).

5 Cour Suprême du Niger, 16 août 2001, R .B . D. 2002, p. 121 et s. et obs. D. ABARCHI. A .KANTE, La détermination de la juridiction compétente pour statuer sur un pourvoi contre une décision rendue en dernier ressort en application des Actes uniformes (observations sur l’arrêt de la Cour suprême du Niger du 16 août 2001). 6 Nos travaux de recherche à la cour de cassation de Dakar nous ont conduit à constater que ces deux arrêts n’étaient pas les seuls arrêts d’incompétence et de renvoi rendus par la cour. De 2002 à 2005 la cour de cassation sénégalaise a rendu au total 7 arrêts d’incompétence suivis de renvoi. Or aucun de ces arrêts n’est parvenu au greffe de la CCJA. Les autorités judiciaires de la cour de cassation soutiennent pour leur part qu’aucun budget ne leur a été alloué pour couvrir les frais de transfert des dossiers. De sorte, que tous ces dossiers « dorment » dans les tiroirs du greffe de la cour de cassation. On aboutit finalement pour les parties à une sorte de déni de justice.

7 Le recours à la procédure préjudicielle est fondé sur l’article 177 du traité CE, aux termes duquel « la Cour de justice est compétente pour statuer, à titre préjudiciel : sur l’interprétation du présent traité ; sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions de la Communauté ; sur l’interprétation des statuts des organismes créés par un acte du Conseil, lorsque ces statuts le prévoient. »

8 La Cour de Justice dispose d’une compétence lui permettant de statuer à titre « préjudiciel » sur l’interprétation du traité, des actes des organes de l’Union et sur les statuts des organismes créés par le Conseil, de même que sur la légalité des actes des organes. Mais, c’est improprement que le traité emploie le terme « préjudicionnel » qui en droit n’a pas de sens (Protocole n° 1 au traité de l’UEMOA, article 12). Les juridictions et les autorités nationales dotées d’une fonction juridictionnelle peuvent donc poser une telle question à la Cour en vue de les éclairer dans l’approche d’un litige dont elles ont à connaître. Si elles statuent en dernier ressort, elles sont tenues de poser cette question.

La revue juridique du cabinet d’avocats Jurifis Consult 27 INFOS PRATIQUES

LE SILENCE DU CONSEIL D’ADMINISTRATION APRES L’AUGMENTATION PAR LE DIRECTEUR GENERAL D’UNE S.A DE L’ESPACE OHADA, DE SA REMUNERATION VAUT-IL APPROBATION DE LA MESURE PRISE

Bérenger MEUKE Dr en Droit des Affaires Avocat

n l’espèce, Monsieur X s’est vu Conseil d’Administration est exclusive confié en date du 2 janvier 2008, Le rapport de gestion, présenté lors des et préalable de sorte qu’aucune ratifi - Ele poste de Directeur Général de assemblées générales annuelles tout cation expresse ou tacite n’est possible la Société Anonyme de Lomé, respon- comme les procédures de contrôle in- à posteriori . sabilité qu’il a assumé jusqu’en février terne, rendent généralement compte 2010. de la gestion de la société et surtout Cass. Com 15 déc 1987, Bull Joly des rémunérations totales et des avan- 1988 P. 80 Entre 2008 et 2009, Monsieur X a pro- tages de toute nature versés durant cédé à la constitution de provision de l’exercice social à chaque mandataire D’ailleurs, le juge fiscal français dans charges de personnel pour ce qui de la société et aux dirigeants sociaux. des circonstances de faits similaires au concerne le poste de Directeur Géné- cas de notre espèce, avait pris en ral le tout répertorié dans les comptes Le Conseil d’Administration de la So- compte le fait que la rémunération du de la société. ciété Anonyme de Lomé aurait donc Président n’ait pas été régulièrement normalement eu connaissance de la approuvée par le Conseil d’Adminis- Le Conseil d’Administration de la So- décision prise par le Directeur Général tration pour en refuser la déductibilité ciété Anonyme de Lomé envisage quant à la rémunération en cause, de à la société versante. d’annuler lesdites charges, se fondant sorte que son silence pendant deux en cela sur le fait que Monsieur X a années vaudrait approbation. C. Appel Bordeaux 10 avr 2001, RJF agit sans se référer à lui et sans aucune 8-9/2001 n° 1046 autorisation ni en amont ni en aval de Le silence du Conseil d’Administra- la décision prise. tion ne peut-il pas s’analyser comme A la lumière de la jurisprudence fran- une réunion d’approbation tacite et à çaise, le silence observé par le Conseil Il est de principe de reconnaitre qu’il postériori de la décision d’ « auto-ré- d’Administration de la Société Ano- est du ressort du Conseil d’Administra- munération » du Directeur Général ? nyme de Lomé ne pourrait donc s’ana- tion de déterminer les modalités et le lyser que très difficilement comme une montant de la rémunération du Direc- L’Acte Uniforme sur les sociétés com- ratification tacite et à postériori de la teur Général dans le cadre des sociétés merciales se contente de préciser que décision prise par Monsieur X, qui anonymes. c’est au Conseil d’Administration de pour être valide, devrait nécessaire- déterminer la rémunération du Direc- ment être approuvée au préalable et L’Acte Uniforme relatif aux sociétés teur Général et la jurisprudence de de façon exclusive par le Conseil. commerciales et du GIE précise et af- l’espace OHADA n’apporte pas plus firme ce principe sans aucune ambi- de précision sur la question. güité en son article 490. En revanche, en se référant à une ju- C’est donc à raison que le Conseil risprudence française constante et d’Administration de la Société Ano- bien établie, le Conseil d’Administra- nyme de Lomé pourra solliciter l’an- tion d’une société anonyme a une nulation de la constitution de compétence exclusive pour détermi- provisions de charges du Directeur ner la rémunération du Directeur Gé- Général sans son autorisation préala- néral et ne peut ratifier la décision du ble. dirigeant social qui, sans obtenir préa- lablement une décision du conseil, Cependant, la solution n’est en réalité s’est alloué une rémunération. pas si évidente qu’elle le parait. Cass. Com 30 nov 2004, N° Pourvoi Le Conseil d’Administration d’une SA 01-13216 de l’espace OHADA peut-il solliciter Cass. Com 4 juil 1995, N° Pourvoi 93- en 2010, l’annulation de décisions 17969 prises par le Directeur Général entre C. E 6 avril 2001, N° 198233 2008 et 2009 et dont il est censé avoir eu connaissance ? Il en ressort que, la compétence du

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BREVES REFLEXIONS SUR LA GARANTIE DES CREDITS ACCORDES PAR LES ETABLISSEMENTS FINANCIERS AUX COLLECTIVITES LOCALES EN ZONE OHADA

Bérenger MEUKE Dr en Droit des Affaires Avocat

es collectivités locales et territo- riales sont assimilables à des gou- Lvernements locaux. A ce titre, elles détiennent des pou- voirs qui leur ont été concédés par le pouvoir exécutif central.

L’exercice par les collectivités territo- riales des compétences à elles transfé- rées se réalise néanmoins sous le contrôle de l’État, dont le seul souci est non pas de tenir ces collectivités en bride, mais de s’assurer que celles-ci gèrent lesdites compétences, dans le strict respect des lois, règlements, normes et procédures en vigueur et au mieux des intérêts de leurs popula- tions 1. ront consenties ou présentées par le que l’Etat peut garantir les emprunts Généralement, l’octroi de crédit par débiteur. d’investissement faits aux collectivités les organismes prêteur ne peut se faire locales, pareille précision n’est aucu- qu’à la condition que l’emprunteur sa- Or, le financement des collectivités lo- nement faite dans les législations du tisfasse à certaines exigences parmi cales implique ce qui est qualifié au- Niger, du Mali, du Sénégal, du Bénin lesquels on peut citer ; la viabilité et la jourd’hui de «risque quasi-souverain», ou encore du , qui précisent tout pertinence du projet ou de l’investis- par distinction avec le «risque souve- simplement que les collectivités lo- sement objet de la demande de finan- rain» qui est celui des emprunts cales peuvent avoir recours aux em- cement, la capacité de contractés par les Etats. prunts sans prévoir la possibilité pour remboursement de l’emprunteur et l’Etat d’en être garant. surtout les garanties qui peuvent être Le risque souverain ou quasi-sou- accordées à l’organisme de finance- verain correspond au risque attaché à En revanche, à notre sens et en l’état ment. l’emprunt de l’Etat, des Administra- actuel de notre réflexion, il semble tions Publiques et des Collectivités Lo- que rien ne s’opposerait à ce que les De ces trois exigences, seule la troi- cales d’un pays donné et à leur Etats de l’espace OHADA garantissent sième mérite que l’on s’y attarde dans capacité à rembourser leurs crédits et les prêts accordés à leurs Collectivités le cadre de cette brève analyse. à pouvoir faire face à leurs engage- Locales et ce, nonobstant l’absence de En effet, chaque fois qu’il est question ments. précision en ce sens dans leurs diffé- de financer les collectivités locales, la rentes législations nationales. difficulté trouve son origine dans les La difficulté est donc celle des possi- garanties de remboursement que peu- bilités et potentialités réelles des Col- Cependant, en l’absence de garantie vent accorder ces emprunteurs assez lectivités Locales bénéficiaires des offerte par l’Etat, les systèmes de ga- particuliers. emprunts, à faire face à leurs engage- ranties classiques étant quant à eux ments dans le cadre de financement inappropriés, le prêteur devra sans C’est toute la problématique de la ges- en « sous-souverain », donc sans ga- doute avec la Collectivité Locale finan- tion des risques significatifs inhérents rantie aucune de l’Etat. cée, trouver des mécanismes multicri- au financement des collectivités lo- tères appropriés pour couvrir le risque cales. Si à l’analyse de la législation du Bur- du défaut de remboursement. On La sécurité pour le créancier est en kina-Faso par exemple, il ressort de pourrait par exemple penser au finan- effet éventuellement renforcée par les 2 l’article 119 de la loi n° 055-2004 por- cement sans recours , au financement garanties qu’il aura obtenues et qui se- tant Code des collectivités territoriales, de projet, au financement d’actifs 3, au

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«Le financement des collectivités locales implique ce qui est qualifié aujourd’hui de «risque quasi- souverain», par dis- tinction avec le «risque souverain» qui est celui des em- prunts contractés par les Etats.»

prêt direct 4 ou encore au crédit bail 5 pacité d’emprunt de la collectivité – les garanties indispensables au fi- pour ne citer que ceux là. locale, nancement,

La recherche de solutions envisagea- – le remboursement de chaque finan- – la durée du prêt, le taux d’intérêt, les bles dans un tel contexte pourrait éga- cement pourrait être également ef- modes et montants de rembourse- lement passer par la distinction qu’il y fectué au moyen d’annuité et ment. a lieu d’opérer entre : constitué pour la collectivité locale emprunteuse, une dépense obliga- Plusieurs exemples pourraient permet- – les projets de financement d’équi- toire qu’elle doit inscrire dans son budget. tre d’illustrer les mécanismes déjà uti- pements dits marchands (marché, lisés dans certain Etats de l’espace gare routière, auberge municipale, – le prêteur pourrait tout aussi et ce, OHADA : abattoir, sale de fête, unité de trans- en fonction de l’équipement fi- formation, stade communal, lotisse- nancé, exigé toute autre garantie. – Après l’incendie d’un marché au ment, infrastructures sportives et de Burkina-Faso, la municipalité de loisirs et autres infrastructures géné- Les échéances de remboursement de- Ouagadougou avait obtenu de ratrices de revenus) et, vraient dépendre de la nature des l’Agence Française de Développe- équipements à financer et de la capa- ment (AFD), un financement en – les projets de financement d’équi- cité des emprunteurs, avec cependant « sous-souverain » d’un montant de pements non marchands (travaux une durée maximale à ne point dépas- 1.3 milliards de F CFA sur 20 ans à hydrauliques et énergétiques, tra- ser et un différé d’amortissement pré- un taux concessionnel avec un dif- vaux de voirie, aménagements ur- fixé. féré de 5 ans, la redevance versée bains, écoles, centre de santé, chaque année par l’exploitant du électrification rurale, travaux d’as- Il serait donc judicieux de déterminer : marché étant équivalente aux sainissement et accès à l’eau pota- – les secteurs et projets pouvant béné- ficier de financement (le projet doit échéances annuelles de rembourse- ble, éclairage public, aménagement des espaces verts, propreté et pro- par exemple répondre à un besoin ment du prêt ; tection de l’environnement, équipe- prioritaire pour la collectivité), ment ruraux. – Avec l’appui de l’Agence de Finan- – les critères d’éligibilité des collecti- cement des Collectivités Locales au – L’hypothèse du financement d’équi- vités locales emprunteuses (le seul Bénin (AFICOL), la municipalité de pements dits marchands constitue critère de la taille de la collectivité Parakou a monté un dossier d’em- en termes de nombre d’habitants une base réelle de réflexion si le prêt prunt obligataire sur le marché de étant certainement nécessaire mais l’UEMOA ; à la Collectivité Locale est effective- insuffisant), avec les questions en ment envisageable avec une contre- rapport avec le taux d’endettement partie suffisamment solide de sorte – Au Cameroun, le Fonds spécial de l’emprunteur, son épargne et que ; même sa participation au finance- d’Equipement et d’Intervention In- ment du projet, tercommunale (FEICOM) qui est une – le montant des annuités de rem- institution financière spécialisée a boursement pourrait être couvert par – les critères d’éligibilité des projets déjà permis à 331 communes came- le biais des recettes générées par (bancabilité du projet, justification rounaises d’emprunter pour financer l’exploitation de l’équipement pour économique et sociale, viabilité fi- plus de 592 projets pour un montant préserver quasi intégralement, la ca- nancière et gestion), total de 35 milliards de F CFA.

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LA PROCEDURE DE DATA ROOM EN OHADA

Société d’Avocat JURIFIS CONSULT

a mise en place d’une procédure respect des principes fondamentaux diction d’emporter ou de reproduire de data room par une société cé- que sont l'égalité d’accès à l’informa- les informations, même si la recopie Ldante d’actifs intervient dans l’es- tion des investisseurs et l’interdiction ou la saisie sur un ordinateur portable pace OHADA dans de nombreux cas d’exploiter des informations privilé- est acceptée. de figure tels que des cessions d’actifs giées. ou des fusions. A notre avis, la data room doit être or- En effet, à notre connaissance, pour ganisée avec professionnalisme, Cette procédure qui intervient très gé- l’ouverture d’un data room, nombre loyauté et respect de l'intérêt des dif- néralement à la quatrième étape de la de législation des Etats membre de férents candidats. phase dite d’ « auction bid » ou en- l’OHADA n’ont prévu aucun forma- chères privées ouvrent à un ou plu- lisme juridique. Par ailleurs, le respect des principes sieurs acquéreurs potentiels l’accès à fondamentaux qui régissent le droit une somme assez considérable de do- Dès lors, c’est l’entreprise cible qui, des sociétés en OHADA veut que l’In- cuments contenant des informations sur les recommandations générale- formation au sein de la data room soit de toute nature sur la société ou les ac- ment de ses conseils et parfois même soumis à un engagement de confiden- tions à céder. à la demandes des candidats poten- tialité avec une égalité de traitement tiels cessionnaires, décide des élé- des candidats. Or, certaines informations sont proté- ments qu’elle tiendra à disposition. gées par des secrets notamment le se- La mise en place d'engagements de cret industriel (brevets) et commercial Très souvent, ceux-ci s’articulent au- confidentialité destinés à prévenir la (clients), d’autres sont sensibles, c’est- tour de 5 axes (les informations finan- divulgation et l'exploitation d'informa- à-dire susceptibles d’avoir une in- cières et fiscales, les informations tions privilégiées est nécessaire et fluence sur la valeur de l’actif sociales, les informations commer- même indispensable. (comptes non encore publiés, états ciales, les informations juridiques, les prévisionnels, plan de développement, informations réglementaires et envi- Il faut également proscrire tous les cas négociations en cours…). ronnementales). d'utilisation ou de transmission de ces informations à d'autres fins que pour En raison du caractère confidentiel des Une fois ces éléments listés, un index les besoins de l'opération projetée, et, informations ainsi communiquées, précisant notamment la date des do- d'autre part, que les candidats s'enga- pour les besoins exclusifs d'une trans- cuments est élaboré et communiqué gent à ne pas utiliser ultérieurement action entre tiers, et de l’accès privilé- aux acquéreurs potentiels, accompa- ces informations dans l'hypothèse où gié qui y est réservé, la procédure de gné du règlement de la data room. l'opération n'aurait pas lieu et ce, tant data room doit être sécurisée pour pré- que lesdites informations ne sont pas server les intérêts des actionnaires et le La principale règle réside dans l’inter- rendues publiques.

1 Image issue de www. kwanzaamillenium.wordpress.com des navires, des trains, des équipements de télécommunications, un équipement d’infrastructure à péage… Ils peuvent être financés par des crédits à moyen ou à 2 Le financement sans recours est un financement qui est fait sur la seule base d’un long terme, par des crédits fournisseurs ou par des crédits acheteurs. Les finance- projet ou d’un actif. Le remboursement de la dette contractée est assuré par les ments peuvent prendre la forme de location financière, si la durée de la location seuls revenus générés par le projet ou l’actif (pour un bien tel qu’un avion, un na- est inférieure à la durée d’amortissement de l’actif, de leasing ou crédit bail. vire ou un satellite). 4 Le prêt direct est consenti à une collectivité afin de financer un investissement 3 Lorsqu’un actif a une valeur unitaire importante, il peut faire l’objet d’un crédit précis ou dans le cadre d’un financement global de son budget d’investissement. spécifique qualifié de «financement d’actif» (« asset based financing «). Le crédit est fondé sur les garanties pouvant être prises sur le bien. Les sûretés doivent en 5 Le crédit-bail ne peut pas financer n’importe quel investissement. C’est une tech- effet porter sur un bien, notion juridique alors que l’actif est une notion écono- nique de financement d’une immobilisation par laquelle une banque ou une so- mique. Dans un financement d’actif les prêts sont un financement sans recours , ciété financière acquiert un bien meuble ou immeuble pour le louer à une les prêteurs renonçant à tout recours sur le patrimoine du promoteur de l’opération. entreprise, cette dernière ayant la possibilité de racheter le bien loué pour une va- leur résiduelle généralement faible en fin de contrat. Ce type de financement est Le financement d’actif peut être utilisé par les entreprises, mais aussi par les col- réservé aux biens standards. lectivités locales. Les actifs pouvant être financés sont par exemple des avions,

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LA REPRESSION DES CRIMES CONTRE L’HUMANITE

François SERRES Avocat à la Cour d’appel de Paris Avocat près la Cour Pénale Internationale

a question posée est tellement théorie de la « soft vengeance » où le droit international des droits de difficile. Je vois tant de visages, et regard des victimes se pose sur celui l’homme contre le droit pénal interna- Lentends tant de voix discor- des accusés qui ont redécouvert le tional. dantes. Comment tenter une conver- droit de plaider non coupable. gence ? Car la question des crimes Voilà un ancien chef d’état poursuivi contre l’humanité interroge directe- Et enfin, une dernière image, celle du pour un crime contre l’humanité dont ment notre humanité. Comment les président Kagame, droit dans ses le dossier, par la grâce du président penser, comment les dire, comment bottes, et celle d’une petite fille dont Wade se retrouvera sur la table des les défendre et comment vivre avec ? l’image dans cette chambre au bas de Chefs d’Etat de l’Union Africaine qui Et puis, la question de la répression la colline dans le mémorial des vic- instruira le Sénégal d’ouvrir un nou- des crimes contre l’humanité ne peut times raconte le sourire de l’enfance, veau dossier à son encontre. ne pas interpeller directement chacun celle pour qui la nourriture aimée se d’entre nous dans ce qui constitue le confond avec les œufs et les frites, En s’appuyant sur la Charte africaine cœur de notre mission d’avocat. La ré- celle pour qui le jeu favori s’appelle des droits de l’homme dans le cadre pression des crimes contre l’humanité, marelle, celle pour qui la plus grande des poursuites pour crime contre l’hu- quels enjeux? des amitiés se retrouve dans la main manité, la défense d’Hissein Habré serrée d’une grande sœur et ces frappa au cœur la procédure poursui- Le périmètre est si large. Cette ques- images contrastées se croisent avec la vie en saisissant la Cour de la CE- tion se décline dès l’antiquité jusqu’à lecture de « Carnages » de Pierre Péan DEAO pour violation du principe de la Benghazi aujourd’hui, car les crimes où l’on me parle d’un ou de deux gé- non rétroactivité du droit pénal, viola- contre l’humanité ont un passé, le nocides, où l’on me plonge dans une tion de l’autorité de la chose jugée et passé des esclaves dont les échos re- comptabilité macabre dite « révision- violation du principe d’égalité des tentissent encore aujourd’hui depuis niste », où l’on me parle de l’est du armes. les chambres de la mort désertées de Congo où de prétendus rebelles pom- Zanzibar à Gorée. C’est bien évidem- pent le cœur d’un pays pour qu’un se- On entrevoit ici tour à tour le position- ment aussi le passé de la colonisation cond brille comme un diamant. nement du Tchad : que dire d’un tel et des guerres d’indépendance qui ont procès, où le numéro deux du régime suivies. Mais j’entends simplement ici Dans le flou de ces images, nous ten- Habré, le président Déby, créera une ferrailler avec le présent, marquer en- tons de percevoir quelques lignes de commission aux ordres pour dresser core la difficulté de parler de ces fractures car la question de la répres- un rapport à charge contre le président crimes. Alors comment ne pas se lais- sion des crimes contre l’humanité ne Habré, fera voter une loi d’immunité ser tenter par quelques images fortes ? saurait nous faire oublier, à nous avo- qui empêchera toute poursuite à l’en- cats, celle de la nécessaire indépen- contre des anciens du régime, sauf en- Et, tout d’abord la figure tutélaire de dance de la justice et de l’égalité des vers Hissein Habré. Idriss Deby, Desmond Tutu, les mains cachant son armes dans le procès, comme sur le financier du procès Habré et qui vou- visage déversant sur les victimes terrain d’ailleurs. drait jusqu’à se constituer partie civile comme sur les crimes eux-mêmes une au nom de l’Etat tchadien pour proté- source de douleur et de larmes dans Des armes, car l’emploi d’une force lé- ger le prétendu intérêt de son peuple. un geste d’une immense humanité. gitime s’inscrit nécessairement dans l’expression du droit à la résistance. Comment ne pas rappeler également Et puis celle d’Albie Sachs, croisé dans Comment oublier Franz Fanon, com- le positionnement du Sénégal, égale- les couloirs de l’International Bar As- ment oublier que l’arme d’un combat- ment financier du procès, délimitant le sociations qui, dans son étrange alchi- tant, c’est aussi son humanité. Ceux champ des poursuites en dehors de mie de la vie et du droit, raconte le qui hier ont pris le chemin de Londres, toute garantie judiciaire par un comité parcours d’un jeune avocat blanc du D’Alger, de Ramallah sont aujourd’hui de fonctionnaires aux ordres désignant Cap, compagnon de route de l’ANC, bien sûr à Benghazi et non à Tripoli et des juges d’instruction avant même torturé, exilé, enseignant le droit en puis j’entrevois une deuxième ligne de qu’ils ne soient saisis d’un réquisitoire Angleterre, frappé dans sa chair au fracture : comment les défendre ? et pour instruire un procès ad homi- Mozambique par les mercenaires de nem où la seule et unique personne l’Apartheid et qui depuis son siège de L’homme que je défends et qui s’ap- d’Hissein Habré sera visée. Comment la première Cour constitutionnelle pelle Hissein Habré m’apporte une ré- ne pas dénoncer la nature politique de d’Afrique du Sud libre développera sa ponse claire : c’est la thématique du ces procès et se faire l’écho des propos

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du procureur du tribunal pour la Sierra être saisie sans que ne soient épuisées loppement à la prévention des crimes Leone qui à la faveur des évènements les voies de recours nationales, avant contre l’humanité. Un sou qui sort en cours en Libye a déclaré qu’il même une mise en examen, et qu’elle d’un marché public, un gramme de n’avait pas demandé l’inculpation du pourra examiner un préjudice poten- cuivre qui sort d’une mine vous colonel Kadhafi parce que les puis- tiel résultant d’une simple modifica- conduiront directement à la Cour Pé- sances qui financent le tribunal au- tion constitutionnelle ou législative nale Internationale…….La source des raient refusé. affectant les droits d’une personne… crimes contre l’humanité se nourrit ..la cour fera le choix des droits de des conflits de pouvoirs et des conflits Au terme d’une procédure particuliè- l’homme et affirmera sa priorité sur un sur la possession des richesses natio- rement remarquable, la Cour de la CE- texte constitutionnel….. nales. DEAO a condamné le Sénégal en soutenant que l’Union Africaine - A travers cette décision s’affirme une Un mot de ces conflits des pouvoirs en puisque l’on parlait du dossier de ligne de partage entre les juridictions Côte d’Ivoire où la question de la l’Union Africaine - n’était pas une cour nationales et les juridictions internatio- transparence des élections, des fraudes et encore moins une cour internatio- nales permettant d’affirmer pour les constatées interroge directement le nale, que la décision sénégalaise ren- premières nommées des droits particu- principe de gouvernance et du trans- due en faveur du président Habré avait lièrement significatifs en faveur des ac- fert constitutionnel du pouvoir. Qui autorité de la chose jugée. Plus encore cusés. Quel sera le sort de ceux qui peut dire le droit électoral ? Il est sans voilà que cette cour ordonne au Séné- comparaitront devant des tribunaux doute trop tard, mais le protocole de gal de respecter le principe de non ré- hybrides, de ces tribunaux qui s’inscri- bonne gouvernance de la CEDEAO troactivité ! vent dans un système judicaire natio- comme la Charte Africaine sur la dé- nal et devant lesquels, en mocratie ont permis à la Cour de la Voilà donc des principes fondamen- conséquence, les principes de non ré- CEDEAO le 18 mars dernier d’enjoin- taux qui seront développés par la juri- troactivité pourraient être défendus. dre à l’ensemble des institutions de la diction communautaire et qui sont CEDEAO, par respect de ces principes, donc d’une grande utilité dans la dé- Je vois enfin une troisième ligne de de s’abstenir de tout action susceptible fense de ceux qui sont accusés devant fracture dans cette question de la ré- d’aggraver la situation en Côte les juridictions internationales. pression des crimes contre l’humanité; d’Ivoire. A coté de la gouvernance po- celles qui permettent en amont de ré- litique, évoquons maintenant le déve- Puisque aussi bien, cette cour peut fléchir pour adosser le droit du déve- loppement économique.

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quis, de ses ressources dispersées ; de tout le monde, ils étaient un cauche- La question est celle de l’affectation du la perte de ses richesses, mais aussi de mar véridique. budget de l’Etat ou des ressources d’un son eau…jusqu’à sa terre. L’idée est pays au développement des biens du simple : le droit au développement Oui, on peut raconter des morts, on peuple. Ces questions nous renvoient pour la prévention des crimes contre peut être témoins de leur situation, on aux droits des marchés publics, des l’humanité et non pas la responsabilité peut donner des détails sur les chasses partenariats publics privés, des sociétale ou la gouvernance mais bien et les fuites et les cris et les peurs. Mais concessions et à la gouvernance et à la réintroduction des droits écono- on ne peut pas raconter la mort la régulation des secteurs. Les crimes miques et sociaux dans la thématique puisqu’on lui a échappé. Le rescapé il contre l’humanité ne sont ils pas la du contrat public, du service public à lui manque quelque chose pour ra- conséquence de l’explosion d’une la française. L’eau non plus comme un conter le génocide, tout ce qu’on a pu bulle humanitaire ? Et ces crimes en produit mais comme un droit… La voir et entendre, on peut le raconter : Sierra Leone, au Rwanda, limités dans Cour de la CEDEAO a largement em- les coups, les chutes, les chuchote- le temps, immense dans leur degré de prunté ce chemin dans les affaires ments des derniers instants, les cada- d’éducation et bientôt de pétrole, celui vres gisants. déjà défriché par les Cours constitu- tionnelles d’Inde et d’Afrique du Sud, Toutefois, la mort, on ne peut en té- dépassant le cadre strict du caractère moigner que de biais. Je peux dire : j’ai progressif des droits jusqu’à leur mise vu une telle personne toute nue pour- en œuvre effective par la surveillance rissant dans la boue, j’ai entendu les des gouvernements dans la définition rires des tueurs, les cris de la malchan- de leur politique budgétaire. ceuse, j’ai même entendu le bruit du fer sur ses muscles. Mais les senti- Quelles solutions alors pour ces tribu- ments de la malchanceuse devant la naux ? Beaucoup de cadres ont été machette, son regard dans les yeux du imaginés au niveau institutionnel. Ils tueur, ses paroles muettes quand elle ne sont pas exempts de critiques tant tombe coupée, ses pensées intimes, si sur le rôle du Conseil de sécurité, celui elle est déshabillée ou forcée ; de ça, du procureur que sur le respect du moi, je ne dois rien dire. Les morts principe de l’égalité des armes. s’en sont allés avec leurs secrets que les cadavres ne laissent que deviner… Des progrès doivent être faits en ma- ….». tière de définition des crimes jusqu’à incorporer dans les crimes internatio- Et aussi Eugénie Kayierere : «..Mais naux ceux commis contre l’environne- notre maltraitance s’arrête aux portes ment, les faits de grande corruption, et de la mort. Ce qui est derrière ces introduire la possibilité d’incriminer la portes appartient aux morts. Témoi- responsabilité des personnes morales. gner de la façon dont les morts ont été déchus, ont été coupés de vilaines ma- L’Union Africaine doit prendre ses res- nières, c’est déshonorant pour eux ; ponsabilités et ne pas jeter aux fauves Donner des détails sur comment ils le président Habré, alors qu’on pro- ont été déshabillés nus ou raccourcis, tège ceux du Soudan, du Kenya, du comment ils se sont trainés, comment Zimbabwe ou de certains pays arabes. ils ont demandé pardon, comment ils Enfin, il convient de développer la no- ont crié ou gémi ou vomi ou saigné, tion de « corporate war crimes » du cela peut être humiliant pour eux. Il professeur James Stewart qui déve- faut être poli envers les morts, respec- loppe la notion de pillage défini ter leur intimité. Raconter tout ce comme crime de guerre selon le statut qu’on a vécu soi même, ça va. Mais ne de Rome permettant de mettre en pas raconter tout ce qu’ont vécu les cause la responsabilité des entreprises autres, surtout les morts ». impliquées dans des activités commer- ciales dans des zones de conflits. Voilà la parole que ne saurait oublier chaque avocat qui se dressera devant Et pour terminer, comment oublier les un accusé de crimes contre l’huma- propos de Berthe Mwanankabandi nité ; Il faut faire ce chemin là, qui violence ne sont-il pas la face immer- « vivre dans les marais, sans rien pen- conduit aux portes de la mort, d’abord gée d’un crime permanent……E l’on ser de convenable sur la vie et la mort, pour soi même, ensuite avec son client imagine une scène où dans un théâtre à enjamber tous les matins les anciens et même s’il s’appelle Khieu Samphan. parisien un grand avocat interrogerait cadavres et tous les soirs les nouveaux à titre posthume Omar Bongo en lui de la journée, ça peuple des souvenirs demandant : qu’avez-vous fait pen- qui s’allongent sans issue. Ces corps dant tout ce temps? nus à l’abandon du temps, ceux des vieilles mamans qui avaient été décou- 1 Extrait du livre de Jean Hatzfeld, la stratégie des an- L’Afrique se meurt de ses biens mal ac- pés, ceux des jeunes filles, ceux de tilopes

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