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LA SALLE DE MUSIQUE

DE L'HOTEL

DU 15 BOULEVARD DE MONTMORENCY A PARIS

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NOTICE SUR LES FRAGMENTS DE MONUMENTS ANCIENS AYANT SERVI A CONSTRUIRE LA SALLE DE MUSIQUE DE L'HOTEL DU 15 BOULEVARD DE MONTMORENCY A PARIS

1930 LES ÉDITIONS ALBERT LÉVY

Dans le parc de Vhôtel du 15 boulevard de Montmorency, à Paris, s'élève une salle de musique construite avec des pierres provenant de différents monuments de . Cette notice est destinée à conserver le souvenir de ces provenances.

La salle, rectangulaire, comprend deux travées, voûtées d'ogives, de plan barlong, et une abside à cinq pans, couverte de voûtes sur six ogives rayonnant autour d'une clef centrale. Une vaste fenêtre, au-dessus de la porte principale, cinq autres dans la partie droite et deux sur les pans de l'abside — le dernier pan est occupé par l'orgue — éclairent la salle. Une galerie couverte et close conduit à l'hôtel et débouche dans la salle par une porte à laquelle fait pendant, de l'autre côté, une petite fenêtre; enfin, sur un des pans de l'abside, à droite, est percée une porte à balcon don­ nant sur des jardins toujours fleuris. Une grande cheminée occupe toute la travée centrale, du côté gauche. La salle est construite en beau grès provenant de l'église abandonnée de La Ville-l'Evêque, près de Berchères-sur-Vesgre (Eure-et-Loir). Cette église compre­ nant une nef unique et, du côté sud, un clocher carré, avait été con­ struite à la fin du xve siècle, et la dédicace en avait été célébrée en juillet 1519. Dans la tour se trouvait une cloche fondue en 1610, qui fut descendue à Berchères en octobre 1920. Les cinq fenêtres qui éclairent la nef, trois à droite et deux à gauche, proviennent de Sens; elles éclairaient le réfectoire du cou­ vent des Jacobins, 8, rue Charles-Leclerc. Du milieu du xv* siècle, elles sont divisées en trois compartiments par deux meneaux surmontés d'un réseau flamboyant. Elles ont été remontées telles quelles dans la salle du boulevard de Montmorency.

— 5 — M. Maurice Roy, qui a consacré une excellente étude au couvent des Dominicains de Sens (i), nous donne des renseigne­ ments précieux sur son histoire. C'est le 22 décembre 1216 que le pape Honorius III approuva solennellement l'Ordre des Frères prêcheurs, fondé à Toulouse par saint Dominique pour détruire l'hérésie albigeoise. Le 12 septembre 1217, les premiers disciples de saint Dominique arrivaient à Paris et fondaient la maison du faubourg Saint-Jacques. Vers 1225 ou 1226, les Dominicains vinrent à Sens et s'établirent sur la paroisse Saint-Didier, en dehors de la ville, entre les portes Saint-Didier et Saint-Antoine, sur l'emplacement appelé l'ancien Marché, et tenant du midi aux fossés de la ville et du nord à un chemin allant au faubourg Saint-Antoine que l'on appela la rue des Frères-Prêcheurs. L'église était dédiée à saint Jacques. C'était une des premières fondations de l'Ordre de Saint-Dominique dans la province de France, et le prieur de Sens avait la préséance sur les prieurs des autres maisons établies postérieurement. Le couvent fut détruit au début de la guerre de Cent ans. C'est alors que Pierre Payen, maître en la Chambre des Comptes de Paris, offrit asile aux Dominicains dans une maison appelée 1' « ostel des Segoignes», située rue du Grand-Verger, dans l'en­ ceinte de la ville, qu'il avait acquise en 1359. Une bulle du pape Innocent VI, du 5 avril 1360, autorisa le transfert du couvent, que sanctionna le régent Charles en mai suivant. Le nouveau couvent s'éleva rapidement, et, dès novembre 1366, Charles V autorisait les Dominicains de Sens à établir un cimetière devant la porte de leur église. La maison connut alors une période très brillante. Adam de Nemours et Maurice de Coulanges, religieux de l'abbaye, étaient confesseurs du roi ; Martin Porée, Jehan Marchand, Laurent Pignon, évêques et directeurs des ducs de Bourgogne... Les dons affluaient; après le saccage de l'abbaye vers 1420, les bâtiments furent en partie reconstruits vers le milieu du xv° siècle et c'est de cette époque que date le réfectoire aux grandes fenêtres flamboyantes. Le chapitre provincial de France se tint à Sens en 1475. Au cours

— 6 — des guerres de religion, les Dominicains de Sens se signalèrent par leur ardeur contre la Réforme, et leurs prédications violentes amenèrent le massacre des protestants en 1562. La paix d'Etigny ne fit pas cesser les hostilités, et c'est de Sens que partira le dominicain Jacques Clément pour assassiner Henri III. A la fin du xvnc siècle, à la suite des dissensions qui s'étaient produites dans le sein de la communauté, et malgré les réformes introduites par Jean-Louis Floriot, ancien prieur de Provins, ex-provincial de France, le couvent des Dominicains de Sens était en décadence, et le nombre des religieux réduit à sept ou huit. A la Révolution, les quelques religieux restés à Sens se soumirent aux décrets de l'Assemblée Nationale ; ils quittèrent leur couvent à la fin de 1790, et les bâtiments furent vendus. Le couvent des Dominicains occupait tout l'emplacement compris entre la rue des Jacobins (aujourd'hui Beaurepaire), la rue Mauconseil (aujourd'hui Charles-Leclerc), la rue du Grand-Verger (aujourd'hui des Vieilles-Etuves); il était bordé au midi par les dépendances des maisons de la Grande-Rue. L'église, détruite en partie pendant la guerre de Cent ans, avait été reconstruite au xv° siècle, elle fut démolie en 1759, et le réfectoire transformé en chapelle. Le cloître, qui était compris entre l'ancienne église, les rues Beaurepaire, Charles-Leclerc et le réfectoire, disparut au XVIII' siècle. Le réfectoire est la seule construction encore debout. C'est un grand bâtiment de 35 mètres de longueur et 9 mètres 80 de largeur. Il était surmonté d'une bibliothèque couverte d'un grand berceau de bois. Lors de l'affectation du réfectoire en chapelle, en 1759, le bâtiment fut transformé et l'étage supprimé pour établir un plafond à pans coupés. Les travaux coûtèrent 13 à 14.000 livres. La porte d'entrée de la nouvelle chapelle se trouvait rue Mauconseil; au fond et à gauche de l'autel, était aménagée une sacristie; de belles verrières ornaient les six fenêtres donnant sur le jardin; le vitrail de la fenêtre la plus rapprochée de l'autel représentait la Trinité et les vertus théologales surmontées d'un chœur d'anges; au-dessous étaient Abraham, Moïse et le donateur, un frère prêcheur; en haut, saint Michel et saint Guillaume, archevêque de Bourges. Le bâti­ ment sert aujourd'hui de chantier à un entrepreneur de démoli­ tions. Les fenêtres de l'ancien réfectoire des Dominicains de Sens, amenées à Paris, ont réglé le plan, les dispositions générales et l'épaisseur des murs de la salle que l'on voulait élever boulevard de Montmorency. Cinq ont été montées dans cette salle, et la sixième disposée en décor dans le parc de l'hôtel. La grande fenêtre au beau réseau de trèfles et de quatrelobes pris dans des arcs brisés et dans des losanges curvilignes date du xive siècle. Elle provient de l'église d'Aizenay (Vendée). La fenêtre centrale de l'abside a été achetée à Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord). Son réseau seul, formé de soufflets et de mou- chettes et porté par trois meneaux aux arcs en accolade, est ancien, et date du xve siècle; l'encadrement est moderne. La porte principale, en bas de la façade, décorait l'église en rui­ nes de Reugny, près Saint-Pourçain (Allier), église à nef unique, très simple, terminée par un chœur en hémicycle et surmontée d'un clocher arcade. C'est une porte du troisième quart du xne siècle, dont le tympan découpé en lobes et enrichi de quatre fleurettes s'abrite sous une double voussure brisée moulurée d'un tore et d'un cavet. Deux colonnes appareillées avec les piédroits soutiennent le tympan; leurs chapiteaux sont ornés de feuilles plates stylisées, et leurs tailloirs d'un bandeau et d'un tore soulignés par un cavet. Les deux angles rentrants étaient garnis de statues-colonnes comme on en trouve à Vermenton (Yonne) et à Véraux (Cher) à la même époque, imitées des belles statues du portail royal de Chartres. On a conservé la partie inférieure de l'une d'elles; les pieds sont inclinés sur le socle; les vêtements, aux draperies parallèles et relevées de chaque côté, retombent en longs plis sur le devant. Deux chapiteaux à chimères et à feuillages surmontaient les deux statues. La voussure intérieure repose sur deux colonnes mono­ lithes aux chapiteaux ornés de belles feuilles. La porte a été démontée et remontée telle quelle boulevard de Montmorency. Les vantaux aux ferrures de style gothique sont modernes. A droite de cette porte, une galerie aux arcades brisées et

8 — garnies à l'intérieur de trèfles, reposant sur des bases renflées fait communiquer l'hôtel avec la salle. Cette arcature et divers fragments disposés dans le jardin décoraient le cloître du prieuré de (Meurthe-et-Moselle) (2). Le prieuré bénédictin de Froville, relevant de l'ordre de Cluny, remonte à 1091. A cette date, en effet, l'église de Froville fut donnée à l'abbaye de Cluny avec divers alleux et des ornements précieux qu'énumère la charte de l'évêque de relatant le fait : croix, évangéliaires, chasubles, calices, etc. Cette donation fut confirmée dans la cathédrale de Toul, en un, en présence de l'évêque, de Wildric, abbé de Saint-Èvre, et de divers autres religieux, contre les prétentions de Bertrice, abbé de Moyenmoutier, qui réclamait la propriété de Froville. Ce dernier ne se tint pas pour battu, et on dut réunir, en 1127, un concile presidiai dans lequel Pierre, cardinal-diacre et légat du Saint-Siège, affirma la possession de l'abbaye de Cluny. Le prieuré, très florissant au xmB siècle, tomba bientôt en décadence, et aux xive et xve siècles, on le réunit à ceux de Sainte-Marie-aux-Bois et de Relanges (Vosges). Il fut pillé pendant la guerre de Trente ans, et eut à supporter, à la fin du xvne siècle et au xvme siècle, de lourdes charges pour l'entretien des troupes du roi et pour diverses autres contributions. Le prieuré possédait divers héritages : à , Haigneville, Brémoncourt, et Saint-Germain; et le prieur avait des droits seigneuriaux assez étendus : moyenne et basse justice, droit de troupeau à part, de bergerie et vacherie, droit de four banal, de deux moulins banaux, de corvée de charrues, droits de relèvement sur les héritages, de police sur les étalons des poids et mesures, sur la vente du vin, de pâture pour chevaux et poulains d'un an, etc. Il avait encore, à l'exclusion des autres seigneurs, le droit de faire «crier» en son nom à la fête de Froville, et nommait à la cure de Bezange en vertu d'une charte donnée en 1189 par Bertram, évêque de Metz, et à l'ermitage de Flin, près d'. Lors de la dispersion des reli­ gieux à la Révolution, il ne restait plus qu'un prieur, un sacristain et deux religieux.

— 9 — Les bâtiments transformés en ferme sont encore en partie conservés. La chapelle du prieuré sert d'église paroissiale; sa nef peut remonter à la fin du xie siècle, et Arcisse de Caumont a même noté que certains chapiteaux datent d'une époque antérieure et ont dû être réemployés. Le cloître, de dimensions restreintes, était situé au nord de l'église. Il comprenait, sur chaque face, trois travées voûtées sur croisées d'ogives et bordées chacune par trois arcades brisées et tri­ lobées retombant, sans chapiteaux sur des bases renflées. Commencé au début du xve siècle, comme l'indique le style de l'arcature, il ne fut terminé que dans les premières années du xvie siècle. Le prieuré se trouvait, à la fin du xve siècle, dans un état lamentable, et, par une bulle datée du 30 mai 1500, le pape Alexandre VI accordait cent jours d'indulgence aux fidèles qui visiteraient l'église de Froville aux principales fêtes de l'année et y feraient quelque aumône pour sa décoration. En 1791, les religieux furent dispersés et le prieuré de Froville fut vendu comme bien national.

La galerie communique avec l'hôtel par une_porte dont le linteau est orné d'un arc en accolade abritant un écusson dont les armes sont bûchées. Cette porte se trouvait autrefois dans une mai­ son du xve siècle de la rue Sadi-Carnot, à Aixe-sur-Vienne, près de Limoges (3), dont la façade était percée de deux étages de grandes baies encadrées comme la porte. Le petit bourg d'Aixe, au confluent de la Vienne et de l'Aixette, aux abords de Limoges, était une véritable ville forte enceinte de murailles, dont les maisons se groupaient autour de l'église aux murailles épaisses couronnées de mâchicoulis. Plusieurs vieilles maisons du xve et du xvie siècle attestent sa prospérité. A l'autre extrémité de la galerie, la porte est à double face : le décor flamboyant qui donne sur la galerie a été acheté à Fontai­ nebleau, mais sans indication de provenance. Au revers, la porte rectangulaire aux angles arrondis à son sommet et encadrée d'un tore retombant sur des bases renflées, est surmontée d'un puissant

10 cordon dessinant une accolade terminée par un magnifique fleuron chargé de choux frisés. Elle vient d'une maison de Poitiers, au 7 de la rue de la Regratterie (4). Au revers de l'entrée principale, une porte de décor flam­ boyant, de la fin du xve siècle, est surmontée d'un arc en accolade et de deux clochetons d'un style un peu sec.

La grande cheminée qui s'adosse au mur de gauche de la 3^ travée centrale était entre les mains de marchands parisiens, qui lui avaient fait subir diverses réparations, notamment à la balus­ trade. Elle date du xve siècle et n'a pas de provenance connue. Sur le manteau, l'écusson sommé d'un haut cimier porté par deux w anges provient de la vente Manzi. Les armes « au chevron accom­ pagné de trois tours » sont celles d'un grand nombre de familles, comme les d'Armonville et les Bauzitat de Selines en Nivernais, les Brion de la Tour en Lorraine, les Cellard du Sordet en Dauphiné, les Grossin de Bauvelle en Normandie, etc. Les côtés de la cheminée sont pavés de carreaux émaillés d'un bel effet décoratif. La provenance de ces carreaux, dont chacun mesure o m. 240 suro m. 236, a été identifiée par M. Chabeuf (5). Au centre, un écu circulaire et traversé de la crosse abbatiale, volute en dedans, porte les armes des Fontette, telles qu'on les voit sur les tombes et les peintures murales de l'église de Saint-Seine : «Ecartelé, aux 1 et 4 fasce d' (or) et d' (azur) de six pièces qui est de Fontette, et aux 2 et 3 d'(or), à l'aigle de (gueules), qui est d'Aligny ». Autour de l'écu, un cercle où se lit par deux fois le mot : Moderate, en caractères gothiques. D'après Palliot qui dit l'avoir vue en plusieurs lieux à l'abbaye et au château de Lamargelle, cette devise était celle de Pierre II de Fontette, le 32e abbé connu de Saint-Seine, 2e fils de Philippe de Fontette et d'Odette d'Aligny, laquelle appartenait à une famille ancienne du Nivernais ; Pierre était moine à Saint- Bénigne de Dijon et prieur de Larrey, lorsqu'en 1439, étant alors simple étudiant en théologie à Paris, il fut élu abbé de Saint-Seine, à vingt-trois ans, en remplacement de Jean II de Blaisy. En 1441, à la recommandation de Philippe le Bon, il reçut, pour lui et ses

— 11 successeurs, du pape Eugène IV, le droit de porter les ornements épiscopaux, c'est-à-dire la mitre et l'anneau, les gants et les san­ dales. En janvier 1474, il assiste à l'entrée de Charles le Téméraire à Dijon, à la prestation du serment du duc en l'église Saint-Bénigne et aux funérailles de Philippe le Bon et d'Isabelle de Portugal, inhumés dans l'église de la Chartreuse de Dijon. En 1477, avec l'abbé de Citeaux, Jean de Cirey, le doyen d'Avallon, il est un des commissaires chargés de régler les conditions de la réunion du duché à la France; en 1482, il prend pour coadjuteur avec future succession son neveu, Pierre, fils de son frère Jean II de Fontette et de N. de Courcelles, et meurt à 67 ans, le 7 août 1484, après 45 ans de gouvernement. Ces très beaux carreaux émaillés aux armes de Pierre II de Fontette qui fut abbé de Saint-Seine de 1439 à 1484, proviennent donc de l'abbaye de Saint-Seine, ou plutôt du château abbatial de Lamargelle, près de Saint-Seine. Le pan du chevet situé à droite de la fenêtre centrale est percé d'une porte donnant sur un balcon d'où l'on jouit d'une vue sur les jardins. Cette porte est à double face. La face intérieure est amortie par un tympan percé d'un trèfle à jour et décoré de deux fleurs au naturel largement épanouies, qu'abrite la fine dentelle de l'archi­ volte découpée d'arcs trilobés. Elle est surmontée d'un arc en anse de panier terminé par un large fleuron et enrichi de feuilles de choux frisés ; deux hauts et larges clochetons couronnent les pié­ droits. Dans l'écoinçon de l'arc est sculptée en relief une sorte d'étoile à sept branches. Cette très belle porte, classée parmi les Monuments historiques, provient de l'hôtel Coeffier d'Effiat, à Gannat (Allier). Les Coeffier portaient: écartelé, aux 1 et 4 d'azur à trois coquilles d'or, qui est Coiffier, et aux 2 et 3 de gueules sur chevron fasce onde d'argent et d'azur de six pièces, accompagné de trois lionceaux d'or, qui est Ruzé. Le décor extérieur de la porte avec son grand fenestrage flamboyant, et le bel arc en accolade surmonté d'un haut fleuron qui encadre le tympan où deux anges sculptés tiennent un écus- son, vient de l'abbaye de Gimont, dans le Gers (6). C'était une abbaye

— 12 — cistercienne fondée le 5 avril 1142 par l'abbaye de Berdones, issue elle-même, en 1137, de Morimond. Les donations affluaient et Gimont connut une période de prospérité qui dura jusqu'au xvie siècle. La décadence commence alors, pour aboutir en 1789 à la ruine. L'entrée de l'abbaye existe encore avec ses écussons armoriés, sa porte charretière, sa poterne et ses voûtes sur croisées d'ogives. Au fond de la grande cour, les écuries et étables éclairées par des fenêtres en plein cintre, et surmontées d'un grenier aux étroites meurtrières, remontent à la construction primitive, comme le bâtiment des communs près du moulin, divisé en deux nefs de cinq travées par une épine de quatre colonnes, portant les retombées des croisées d'ogives, aux nervures toriques, de la voûte. Il semble qu'il y ait eu deux cloîtres : un cloître gothique, dont les restes sont aujourd'hui bien conservés dans le château voisin de Larroque, et l'autre, en pierres et briques, du xvne siècle. Le mur d'enceinte était percé à son angle nord-ouest d'une porte donnant sur une chapelle aujourd'hui détruite, probablement la chapelle Notre-Dame des Neiges, et qui avait été construite en 1500 par les soins de l'abbé Pey Debidos. C'est sans doute de cette époque que date la porte qui orne aujourd'hui la salle du boulevard de Montmorency. Une grille de fer, exécutée sous la direction de M. Ruhlmann, clôt la porte. Au-dessus de la porte a été encastrée dans le mur intérieur une pierre chargée d'un écu «à deux lions léopardés enclos dans ¥ un trécheur fleur et contre-fleur». Cette pierre vient du couvent des Carmes fondé à Poitiers par Jean Chandos, conseiller et compagnon d'armes du Prince Noir, connétable d'Aquitaine et sénéchal de Poitou, qui portait, d'après Froissart, « d'argent aux deux pals fichés de gueules », et, d'après les héraldistes modernes, « d'or à une pile de gueules ». Cet écusson n'est donc pas celui de Chandos, mais il peut appartenir à une famille d'Angleterre, où le trécheur était fort employé. j ,<, Les voûtes et nervures en stuc reposent sur des modulons pro- v venant de l'abbaye de La Sauve (Gironde). Ils datent de la deuxième moitié du xnesiècle, et représentent de gauche à droite: une feuille

*3 d'acanthe; un avant-corps de lion, gueule ouverte, crinière frisée; une tête de loup encadrée de feuillages et de rinceaux qui s'échap­ pent de sa gueule; deux hommes, dont l'un est barbu, terrassant chacun un monstre dont ils maintiennent la bouche ouverte; une tête d'homme aux yeux creux et avec un collier de barbe ; une femme accroupie, les mains jointes, la tête encadrée de longs cheveux; deux hommes jeunes, imberbes, — chacun met ses doigts dans la bouche du voisin—; un groupe de deux hommes barbus, bizarre­ ment enlacés, et se tenant mutuellement la barbe ; un masque d'homme à longue barbe et à fortes moustaches émergeant d'un amas de têtes d'animaux; une feuille d'acanthe. Certains des sujets sculptés sur ces modulons paraissent avoir été grattés, et leur relief accentué au xixe siècle. Les tailloirs qui reçoivent la retombée des nervures des voûtes sont modernes. La Sauve fut une des abbayes bénédictines les plus importantes du Sud-ouest de la France (7). Fondé par saint Gérard, vers 1079, sur l'emplacement d'un oratoire élevé par un moine de Maillezais, le monastère s'agrandit rapidement, et l'église de la fin du xie et du début du xiie siècle se trouva trop petite. Le huitième abbé, Pierre (1155-1183), réunit les sommes nécessaires à la construction de la nouvelle église. Les travaux avancèrent d'abord lentement, puis furent poussés activement de 1219 jusqu'à la consécration, qui fut célébrée en grande pompe, le 24 août 1231. Un des maîtres-maçons s'appelait R. d'Agonag, et devait être originaire de Saintonge ou de Périgord. Les ruines accumulées par la guerre de Cent ans ne se relevèrent que peu à peu, et des travaux importants furent exécutés pendant le dernier quart du xve siècle et les premières années du xvie siècle, notamment par le maçon Martial Girault, qui était venu du Limousin s'installer dans la région. Au xvii" siècle, on dut à nouveau consolider l'église. Néanmoins, lorsque, en 1660, les moines de Saint-Maur prirent possession du monastère, les bâti­ ments étaient dans un état lamentable. Dom Martène nous raconte dans son Voyage littéraire (t. II, p. 10) qu' « à peine osoit-on entrer dans l'église pour y faire le service divin. Aussi disoit-on commu­ nément que l'on alloit dans les autres églises pour y recevoir les

— 14 — sacremens, mais qu'il falloit les avoir reçu avant que d'entrer dans celle de la Sauve. » En 1665, le vent et la foudre, en 1759, un tremblement de terre, occasionnèrent des chutes de pierres. L'église, complètement abandonnée et sans entretien, s'écroula dans les premières années du xixe siècle, et les débris furent dis­ persés par tout le pays ; une partie des pierres servirent à paver la route qui conduit à Langoiran par Haux. Seuls restent encore debout des pans des murs extérieurs de la nef et quelques arcades du chœur.

La silhouette extérieure de la salle du côté des jardins est des plus pittoresques avec sa belle porte à balcon, encadrée de verdure, sa haute fenêtre flamboyante et sa tour couverte d'une toiture conique. Cette dernière, ainsi que les tuiles de la toiture, ont été prises au manoir du Vernet (8), près de Saint-Amand-Montrond (Cher), qui appartenait, au début du xvie siècle, à la famille de La Châtre; il passa ensuite dans les mains des Le Borgne. Aban­ donné à la Révolution, il ne formait plus au milieu du xixe siècle qu'une ruine. Ses grandes fenêtres rectangulaires, sa lucarne à décor flamboyant et à meneaux, ses hauts toits, sa large tourelle d'escalier, le profil des bases et des moulures, prouvent qu'il fut construit à la fin du xve siècle, en dehors de toute influence de la première Renaissance. On sait qu'au xvie et au xvne siècle, le seigneur du Vernay du Chesne jouissait de différents droits sur le territoire de Saint-Amand, et notamment prélevait une rétribution sur tous ceux qui vendaient des pots sur la place publique de Saint-Amand, les jours de marché et de foire. La tour renferme un escalier, et, dans sa partie haute, le méca­ nisme de l'orgue. Au bas est percée une porte surmontée d'un fragment d'un Couronnement de la Vierge du xnf siècle. NOTES

(i) MAURICE ROY, Le Couvent des Dominicains de Sens, dans le Bull, de la Soc. archéol. de Sens, t. xx, 1903, p. 99-211. (2) E. OBRY, Répertoire archéol. du dép. de la Meurthe, dans Mémoires de la Soc. d'archéol. lorraine, 2e série, t. vu, 1865, p. 55-108. — LÉON GERMAIN, Excursions épigraphiques, Froville, dans Journal de la Soc. d'archéol. lorraine et du Musée hist, lorrain, t. xxxvin, Nancy, 1899, p. 127 et t. XLiii, p. 27. — LEOPOLD QUINTARD, Le prieuré de Froville (ioçi-iyçi), dans Mém. de la Soc. d'archéol. lorraine et du Musée hist, lorrain, t. LIV, 1904, p. 81-108. (3) C. N.ALLOU, Description des monuments des différents âges observés dans le département de la Haute-Vienne, dans Bull, de la Soc. royale d'Agriculture, des Sciences et des Arts de Limoges, t. i, 1822, p. 142. — L'abbé ROUGERIE, Monographie du canton d'Aixe-sur-Vienne, dans Bull, de la Soc. archéol. et hist, du Limousin, t. xiv, 1864, p. 65. — L'abbé A. LECLER, Monographie du canton d'Aixe, dans Bull, de la Soc. archéol. et hist, du Limousin, t. xn, 2" série, 1887, p. 85-137; reproduit en partie la notice précédente. (4) Sur les vieilles maisons de Poitiers, on peut lire les Guides historiques de Ch. de CHERGÉ, 1851, et de A. LE TOUZÉ DE LONGUEMAR, 1862, et l'article de M. l'abbé BLEAU, dans le Bull, de la Soc. des Antiquaires de l'Ouest, 1892, t. v, 2e série, p. 444. (5) H. CHABEUF, Carreau émaillé aux armes de Pierre H de Fontette, abbé de Saint-Pierre (xv siècle), dans Mém. de la Commission des Aniiq. de la Côte-d'Or, t. xiv, 1901-1905, p. cxx.— H. CHABEUF a donné une Monographie historique et descriptive de l'église bénédictine de Saint-Seine-VAbbaye (Côte-d'Or) dans les Mém. de la Commission des Antiq. de la Côte-d'Or, t. xi, 1885-1888, p. 31-223, 7 pi. (6) R. DUBORD, Essai historique sur l'abbaye de Gimont et sur les villes qu'elle a fondées dans Revue de Gascogne, t. xi-xv. — Abbé CLERGEAC, Cariulaire de l'abbaye de Gimont, Auch, 1905, in-8° (Archives historiques de la Gascogne, 2" série, 9e fase.) — Abbé CLERGEAC, Les abbayes de Gascogne, du xne siècle au grand schisme d'Occident, dans Revue de Gascogne, nouvelle série, t. vi, 1906, p.316-329 et 529-544 et t.vu, 1907, p. 15-29. — ADRIEN LAVERGNE, Excursions en Astarac et Comminges, dans Bull, de la Soc. archéol. du Gers, t. vm, 1907, p. 279- 287, et t. ix, 1908, p. 13-21. (7) CiROT DE LA VILLE, Histoire de l'abbaye et congrégation de Notre-Dame de la Grande- Sauve, ordre de Saint Benoit, en Guienne, Paris, 1844-45, 2 v°l- m-8°. — DE LAMOTHE, Ruines de l'abbaye de la Sauve, dans Travaux de la Commission des Mon. hist, de la Gironde, 1849-1851, p. 6. — EBIILIEN PIGANEAU, Essai de répertoire archéologique du département de la Gironde, Bordeaux, 1897, in-8°. — BRUTAILS, Les vieilles églises de la Gironde, Bordeaux, 1912, in-40 p. 60 à 66. (8) VICTOR BERRY, Rapport sur les forteresses et les maisons anciennes du département, dans Bull, de la Commission hist, du dép. du Cher, 1852-1856, p. 6. — Baron DE GIRARDOT, Description curieuse et intéressante de l'ancien château de Mont-Rond, suivie de notes historiques sur Saint-Amand, par Jean-Thomas Hérault, dans Mémoires de la Soc. hist., litter., artist, et scient, du Cher, 2e série, t. 1, 1868, p. 283. — F. DUMONTEIL, Une ville seigneuriale en 178c, Saint-Amand-Moutrond, dans Mémoires de la Soc. hist., litt., artist, et scient, du Cher, 4e série, t. m, 1887, p. 1-286. — C. N. VICTOR MALLARD, Histoire des deux villes de Saint-Amand et du château de Monlrond, 1895, in-8°. FAÇADE DE LA SALLE

PORTE PROVENANT DE REUGNY (ALLIER), FENÊTRE D'AIZENAY (VENDÉE), GALERIE DE FROVILLE (iH.-ET-M.)

ABSIDE DE LA SALLE

FENÊTRE PROVENANT DE SAINT-BRIEUC (CÔTES-DU-NORD), PORTE DE GIMONT (GERS),

TOUR ET TOITURE DU VERNET (CHER)

PORTE PROVENANT DE L EGLISE DE REUGNY (ALLIER) s; | i T i

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CHEMINEE DU XVe SIECLE

SUR LES CÔTÉS, CARREAUX AUX ARMES DE PIERRE II DE FONTETTE, PROVENANT DE I.AMARGELLE (CÔTE-D'OR)

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ARMOIRIES DECORANT LE MANTEAU DE LA CHEMINEE

ARMOIRIES D UNE FAMILLE ANGLAISE

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GRILLE DE RUIILMANN

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