Les Cahiers d’Outre-Mer Revue de géographie de Bordeaux

248 | Octobre-Novembre 2009 Sud-Ouest de l’Océan Indien

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/com/5761 DOI : 10.4000/com.5761 ISSN : 1961-8603

Éditeur Presses universitaires de Bordeaux

Édition imprimée Date de publication : 1 octobre 2009 ISBN : 978-2-86781-657-4 ISSN : 0373-5834

Référence électronique Les Cahiers d’Outre-Mer, 248 | Octobre-Novembre 2009, « Sud-Ouest de l’Océan Indien » [En ligne], mis en ligne le 01 octobre 2012, consulté le 01 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/ com/5761 ; DOI : https://doi.org/10.4000/com.5761

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Plusieurs points de vue sur les îles du Sud-ouest de l’océan Indien sont abordés. À côté d’une caractérisation des environnements écologiques et socio-économiques de la production piscicole continentale à Madagascar (Samuel Rakotoambinina, Damien Desprez, Gilbert David, Pierre Bosc et Yannick Le Roux), Olivier Bensoussan pose la question du rôle de la mer (menace ou espoir de développement) à Mayotte. Yann Gérard étudie la transformation de la structure urbaine de Moroni et (Comores). Trois articles méthodologiques suivent alors : Alexandre Magnan fait une approche comparative des systèmes insulaires, représentations pyramidales et soutenabilité des îles de l’océan Indien et des Petites Antilles, tandis que Émilie Mirault et Gilbert David étudient les fonctions et logiques d’interface des récifs coralliens sur le littoral de la Réunion, et que Gilbert David, Martine Antona, Aurélie Botta, William’s Dare et Aurélie Thomassin présentent les résultats d’une recherche action au service de la gestion intégrée du littoral à la Réunion à partir de l’utilisation des données satellitaires.

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SOMMAIRE

Caractérisation des environnements écologiques et socio-économiques de la production piscicole continentale à Madagascar Samuel Rakotoambinima, Damien Desprez, Gilbert David, Pierre Bosc et Yannick Le Roux

La mer, menace ou espoir de développement pour Mayotte ? Olivier Bensoussan

Étalement urbain et transformation de la structure urbaine de deux capitales insulaires : Moroni et Mutsamudu, archipel des Comores (océan Indien) Yann Gérard

Systèmes insulaires, représentations pyramidales et soutenabilité : approche comparative océan Indien/Petites Antilles Alexandre Magnan

Du satellite au décideur, la recherche action au service de la gestion intégrée du littoral de la Réunion Communication présentée aux XIe Journées de Géographie tropicale, « Les interfaces. Ruptures, transitions et mutations », 7-10 novembre 2005, et actualisée en décembre 2009. Gilbert David, Martine Antona, Aurélie Botta, William’s Dare et Aurélie Thomassin

Fonctions et logiques d’interface des récifs coralliens sur le littoral de la Réunion Communication présentée aux XIe Journées de Géographie tropicale, « Les interfaces. Ruptures, transitions et mutations », 7-10 novembre 2005, et actualisée en décembre 2009. Émilie Mirault et Gilbert David

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Caractérisation des environnements écologiques et socio-économiques de la production piscicole continentale à Madagascar

Samuel Rakotoambinima, Damien Desprez, Gilbert David, Pierre Bosc et Yannick Le Roux

1 À Madagascar, la pêche continentale est une activité peu étudiée. Par les surfaces pêchées, elle semble marginale comparée à la pêche côtière, pratiquée sur l’ensemble du littoral. Pourtant, les quantités capturées (30 000 t/an) ne sont que deux fois inférieures aux pêches traditionnelle et artisanale maritimes (Direction de la Pêche et des Ressources Halieutiques, 2007). Déjà dans les années 1930, les grands lacs des hauts plateaux (Alaotra, Itasy, Kinkony), les plaines côtières de Majunga, Belo sur Tsiribihina, qui abritent de nombreux petits lacs, marais et lagunes, et le canal des Pangalanes fournissaient la majeure partie de la production halieutique du pays. Au début des années 1950, la pêche continentale assurait une production annuelle de 15 000 t pour une population totale de 5,5 millions d’habitants (Kiener, 1963), soit une quantité disponible de 2,7 kg par tête. Aujourd’hui, par l’apport protéique et les revenus qu’elle génère, la pêche continentale occupe une place non négligeable dans l’économie et la sécurité alimentaire des populations riveraines, notamment dans les lieux où il est difficile de s’approvisionner en viande. Sa contribution à l’offre de poissons frais dans la région des Hautes Terres et dans la capitale Antananarivo, dont l’approvisionnement en produits de la pêche côtière est problématique, s’avère également essentielle dans un contexte de forte croissance démographique. En 50 ans, la population malgache a triplé pour approcher les 18 millions en 2008 : 37,5 % se concentrent dans la région des Hautes Terres Centrales, qui accueille de plus en plus de migrants, à la recherche d’un emploi et d’une amélioration de leur condition de vie.

2 La satisfaction des besoins alimentaires de cette population induit actuellement une pression de plus en plus forte sur l’exploitation des ressources halieutiques dulçaquicoles des hauts plateaux dont l’offre n’arrive plus à satisfaire la demande des

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citadins. Rien que pour le marché d’Antananarivo, le déficit en poissons frais a été estimé à 2 000 t/an (CITE, 2002). Durant la période coloniale et au cours des premières années qui l’ont suivie, de nombreuses introductions d’espèces de poissons exotiques ont été effectuées pour améliorer la productivité piscicole des plans d’eau des Hautes Terres, auxquelles se sont ajouté des actions pour le développement de la pisciculture avec comme objectif global la satisfaction des besoins alimentaires de la population.

3 Le présent travail a été mené afin d’avoir un aperçu sur l’environnement et les aspects socio-économiques de l’exploitation des ressources halieutiques des plans d’eau de la région des Hautes Terres. Nous présenterons dans une première partie la ressource et son environnement écologique. La seconde partie traitera des tentatives d’amélioration de la productivité et de leurs impacts environnementaux mais aussi socio-économiques. Nous terminerons en parlant des différentes voies envisageables pouvant contribuer à l’amélioration de la disponibilité en poisson dans cette région des Hautes Terres dans un objectif de sécurisation alimentaire.

Caractérisation des ressources et de leur environnement

4 Sur le plan topographique, Madagascar présente deux grands versants opposés, dont les lignes de crête, orientés dans l’axe nord-sud, délimitent la région des Hautes Terres, au relief accidenté et au climat tropical tempéré par l’altitude (15,8 à 22,4 °C). Le versant oriental présente des pentes abruptes avec une plaine côtière étroite mais bien arrosée grâce aux alizés avec des températures élevées (21,5 à 27 °C). En revanche, le versant occidental est beaucoup plus vaste et sa pente est nettement plus faible. Il dispose de deux grands bassins sédimentaires (Boina au nord et Menabe au sud), où sont enregistrées les plus fortes températures de l’île (24,4 à 27,9 °C). La faible pluviométrie entraîne des débits irréguliers des fleuves et des rivières.

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Figure 1. – Délimitation de la région des Hautes Terres Centrales.

Des écosystèmes aquatiques diversifiés

5 C’est dans la zone montagneuse des Hautes Terres que prennent naissance les fleuves et rivières de l’île. Dans certaines vallées et dépressions, l’eau forme des lacs naturels tels que ceux d’Alaotra, d’Itasy, de Kinkony. L’exploitation du potentiel hydroélectrique de cette région a donné naissance à quelques rares retenues artificielles (Mantasoa et Tsiazompaniry).

6 En raison du relief, les rivières de l’Est ont un courant très rapide et un cours peu développé. Le canal des Pangalanes constitue un exemple, unique à Madagascar, d’un réseau de lagunes côtières qui, s’étendant sur près de 400 km de longueur, forme le plus vaste plan d’eau douce de la côte orientale de l’île.

7 Malgré une pente moins accentuée, les rivières de l’Ouest ont souvent une eau turbide, due aux produits de l’érosion des sols des Hautes Terres qu’elles charrient tout au long de l’année. Durant la saison pluvieuse, elles débordent de leurs lits et inondent les moindres dépressions formant ainsi de grands étangs ou marais permettant aux poissons d’effectuer des migrations saisonnières, d’où la richesse ichtyologique de cette bande côtière de l’Ouest.

Une faune endémique mais à faible productivité

8 La topographie de l’île et le régime hydrographique qui en découle limitent les possibilités de colonisation et de distribution des espèces de poissons dans les plans d’eau continentaux. La pauvreté de la faune ichtyologique de Madagascar est en effet le constat majeur des travaux d’inventaire des ressources piscicoles effectués dans la

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première partie du XXe siècle (Pellegrini, 1933 ; Kiener, 1963). Les familles les plus caractéristiques du continent africain sont absentes dans l’île (Polyptéridés, Lepidosirenidés, Mormyridés, Characidés et Cyprinidés). L’endémicité, si caractéristique de la biogéographie insulaire (Mc Arthur et Wilson, 1967), ne concerne aucune famille de poissons à Madagascar. En revanche, 8 des 49 genres et 39 des 121 espèces recensés dans l’île sont endémiques.

9 La majorité des poissons de Madagascar est composée d’espèces marines qui se sont plus ou moins adaptées à la vie en eau douce. De nombreuses espèces sont donc euryhalines (elles tolèrent d’importantes variations du taux de salinité), particulièrement sur la côte occidentale où la présence de vastes estuaires et la faible pente des cours d’eau favorisent cette adaptation. En revanche sur la côte orientale, le relief abrupt constitue un facteur limitant quasi rédhibitoire pour l’expansion des espèces marines vers l’intérieur des terres. Pour coloniser les plans d’eau des Hautes Terres de l’île, les poissons doivent franchir deux barrières importantes : de nature physiologique, la première est constituée par le passage de l’eau de mer à l’eau douce ; la seconde relève de la topographie (présence de falaise) et de l’altitude qui modifie les paramètres physico-chimiques de l’eau et plus particulièrement la température. Ces contraintes se traduisent par la faible diversité des espèces rencontrées dans les Hautes Terres. En 1933, seules sept espèces peuplaient les lacs Alaotra et Itasy, les deux principaux plans d’eau de la région. À l’exception de l’une d’entre elles, toutes étaient carnivores et composaient une chaîne trophique mal structurée, aucune espèce planctonophage, herbivore, limivore ou détritivore n’étant observée (tabl. 1), ce qui caractérise un écosystème insulaire marqué par un isolement extrême (Mc Arthur et Wilson, 1967). En dehors des anguilles, les poissons de ces différentes espèces présentaient des tailles réduites, atteignant au maximum 20 à 25 cm pour 200 à 300 g. Toutefois, elles étaient très appréciées des consommateurs et recherchées sur le marché d’Antananarivo, déjà le principal centre de consommation de la région.

Tableau 1. – Liste des poissons d’eau douce rencontrés dans deux lacs des Hautes Terres.

(Source : Pellegrini, 1933)

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Un marché déficitaire mais difficile d’accès

10 Sur le plan administratif, l’île de Madagascar est subdivisée en vingt-deux régions en place des six provinces qui ont perduré jusqu’à 2004. Si tous les chefs-lieux des anciennes provinces sont reliés à la capitale Antananarivo, il n’en va pas de même des nouvelles régions, dont plusieurs restent enclavées, notamment dans l’Ouest et le Sud du pays. Sur un réseau routier long de 25 000 km, seul 5 000 km sont bitumés (les routes nationales). Les liaisons entre les régions et à l’intérieur de la plupart d’entre elles sont très vétustes, voire impraticables, lorsqu’elles existent ; 30 % des communes ne sont reliées à aucune route provinciale (Razafindranovona, 2003). Ces contraintes pèsent lourdement sur le développement des différentes filières des produits de la pêche et pénalisent les productions des zones côtières de l’Est et de l’Ouest (Belo sur Tsiribihina, lac Kinkony, canal des Pangalanes...), dont l’important potentiel halieutique ne peut pas être pleinement valorisé du fait de leur éloignement d’Antananarivo. Outre les difficultés de communication, l’absence d’énergie électrique dans les zones de production prive le secteur halieutique de possibilités de fabrication des pains ou écailles de glace qui autorisent l’acheminement des produits de la pêche fraîche sur de longues distances. En effet, la demande porte surtout sur le poisson frais, que les consommateurs jugent plus nutritif que les produits transformés (Andrianaivojaona et al., 1992) et qu’ils sont d’ailleurs prêt à payer plus cher.

Figure 2. – Les zones approvisionnant le marché d’Antananarivo en poissons d’eau douce.

11 La distance géographique entre les zones de production et les centres de consommation, et les problèmes de transport qui lui sont associés sont aussi à l’origine de la motivation pour introduire de nouvelles espèces de poissons dans les plans d’eau de la région des Hautes Terres.

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Les tentatives d’amélioration de la production piscicole et leurs impacts

Des introductions à objectifs multiples

12 Les principales introductions de poissons à Madagascar ont été effectuées durant la période coloniale. La première espèce de poisson introduite fut le carassin doré (Carassius auratus) en 1861. Au total, 20 nouvelles espèces ont été acclimatées dans les différentes régions du pays (tabl. 2).

13 L’objectif principal de ces introductions était de contribuer à l’augmentation de la production piscicole des eaux intérieures, surtout dans la région des Hautes Terres, qui concentre 18 des 20 espèces introduites. Seules deux introductions ont été réalisées dans les régions côtières : Osphronemus gourami à l’Est et Heterotis niloticus à l’Ouest. Certaines espèces ont été introduites pour répondre à des attentes spécifiques qu’il s’agisse de la lutte contre les moustiques vecteurs du paludisme (gambusie) ou les mauvaises herbes envahissant les rizières du lac Alaotra (Tilapia melanopleura et Tilapiazillii) ou du contrôle par un prédateur – le black bass (Micropterus salmoïdes) – des espèces de tilapias nouvellement introduites dont la prolifération inquiétait. Toutes les introductions n’ont pas été couronnées de succès. Au total, 6 des 20 espèces introduites ne se sont pas acclimatées (tabl. 2). Pour celles qui l’ont été, la durée de l’adaptation aux conditions du milieu a été plus ou moins longue selon les espèces. Si les tilapias (Tilapia sp., Oreochromis sp.), les carpes (Cyprinus carpio), le cyprin (Carassius auratus), le black bass (Micropterus salmoïdes), le fibata (Ophiocephalus striatus) et les gambusies (Gambusia holbrooki) ont connu une telle prospérité, c’est qu’ils ont trouvé des niches peu occupées par les espèces autochtones (Kiener et Mauge, 1966).

Tableau 2. – Liste des espèces de poissons introduites à Madagascar.

(Source : Moreau et al., 1988)

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Des impacts variables sur les plans environnemental et socio- économique

D’une faune endémique à une population artificielle

14 L’introduction de nouvelles espèces dans les plans d’eau de Madagascar a permis au pays de disposer d’espèces à large spectre alimentaire et à forte résilience, celle-ci se caractérisant par une prolificité élevée, un bon taux de survie et une croissance rapide. En suivant au cours des années l’évolution de la pêche continentale dans trois des principaux plans d’eau de Madagascar, on est frappé par l’importance prise par ces poissons introduits. Ils représentent désormais presque la totalité des captures (tabl. 3) et constituent actuellement la base de la faune ichtyologique. Toutefois, il ne faudrait pas attribuer uniquement ce changement aux effets des introductions. La population environnante, par la pêche et l’intensification des activités agricoles, a probablement aussi contribué au déclin de la faune autochtone.

15 Ces introductions se sont accompagnées parfois de grands changements environnementaux, qui ont affecté en priorité les habitats et les chaînes trophiques. Ainsi, en remuant la vase, la carpe commune augmente la turbidité, créant ainsi des conditions défavorables pour les espèces autochtones qui ont besoin d’une eau claire pour se développer et se reproduire (cas du Ptychochromis betsileanus). Une compétition s’est également installée sur les zones de frai, induisant un effet sur le recrutement des espèces. Celles qui pratiquent l’incubation buccale (tilapia du genre Oreochromis) ont pris l’ascendant sur les espèces autochtones ou introduites ayant un mode de reproduction moins performant. La prédation qu’exercent les espèces carnivores introduites a également engendré une modification de la composition de la faune locale. Ainsi le peuplement de gambusies a fortement diminué à la suite de l’introduction illicite du fibata (Ophiocephalus striatus). Cette espèce carnivore constitue actuellement une menace pour l’ensemble de la faune piscicole autochtone et introduite de Madagascar.

16 Malgré la régression effective des espèces autochtones, il faut insister sur le fait que ces diverses introductions ont permis une nette augmentation de la production piscicole totale (Moreau et al., 1988), d’autant que de nouvelles méthodes de pêche ont permis d’accroître les rendements. Ainsi des plans d’eau artificiels comme les lacs Mantasoa et Tsiazompaniry destinés à des projets d’irrigation agricole et de production d’énergie électrique ont pu être mis en valeur par l’exploitation halieutique (Moreau, 1971). Au total, la production annuelle de la pêche continentale a doublé entre le début des années 1950 et les années 1980, passant de 15 000 à 30 000 t (Kiener, 1963 ; DPRH, 1989).

Tableau 3. – Évolution sur 60 ans des espèces capturées dans les lacs Alaotra, Itasy et Mantasoa.

(Sources : Kiener, 1963 ; Direction de la Pêche et des Ressources Halieutiques, 1989)

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Une évolution des techniques de pêche et des rapports sociaux

17 Dans les années 1930, les techniques de pêche mises en œuvre étaient semblables sur l’ensemble de l’intérieur de Madagascar. Il s’agissait de :

18 la pêche à la ligne, pratiquée par tous durant la saison pluvieuse en eau trouble ou profonde. Le Paratilapia polleni et le Ptychochromis betsileanus étaient les principales espèces cibles dans la région des Hautes Terres ; • la pêche au barrage fait en gazon ou en faisceaux de plantes aquatiques dans les étangs et marais peu profonds. Elle faisait surtout intervenir les femmes et les enfants ; • la pêche à l’aide de plantes vénéneuses (Euphorbes ou Légumineuses) rencontrée surtout dans la partie occidentale du pays ; • la pêche au barrage dans les lagunes pour capturer les poissons effectuant des migrations ou suivant les courants de marée ; • la pêche au filet senne (100-150 m de long) ; comme la pêche précédente elle faisait intervenir les pêcheurs de plusieurs villages.

19 Suite à l’évolution de la faune piscicole après les introductions, les matériels et techniques de pêche ont aussi évolué pour s’adapter à la capture des nouvelles espèces (photos 1 et 2). Les pêcheries sont passées d’un type communautaire (pêche au filet senne) à une pêche individuelle au filet, vulgarisée par les brigades de pêche. L’utilisation de l’épervier (1957) et du filet maillant (1970) s’est généralisée ainsi que le fil nylon, plus léger et moins visible.

Photo 1. – Une équipe de pêche utilisant le filet maillant au lac Itasy.

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Photo 2. – Le pêcheur et sa nasse.

Une intensification et une diversification des activités piscicoles

20 L’augmentation de la production halieutique des eaux continentales a permis dès les années 1960 d’accroître le volume des ventes destinées à l’approvisionnement des marchés des grandes villes, en particulier la capitale, Antananarivo. D’activité

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essentiellement tournée vers l’autosubsistance, la pêche est devenue génératrice de revenus monétaires, engendrant ainsi de nouvelles « vocations » comme au lac Alaotra où l’effectif des pêcheurs est passé de moins de 200 dans les années 1950 à 1 300 en 1964 puis à 1 920 en 1989 (Andrianaivojaona et al., 1992). L’accroissement de la production halieutique s’est également accompagné d’une croissance significative du poids moyen des captures. Si l’on ne rencontrait auparavant que des poissons de 250-300 g, actuellement les pêcheurs peuvent capturer des tilapias d’un kilogramme et des carpes d’une dizaine de kilogrammes.

21 Avec l’apparition du tilapia dans les captures, une structuration de la filière a commencé à se mettre en place, à l’initiative de mareyeurs et de collecteurs en provenance des grandes villes. Ceux-ci ont mis à la disposition des pêcheurs des matériels de pêche (filets, nasses, pirogues) afin d’assurer une régularité dans la collecte du produit. La préférence est accordée au genre « tilapia » avec une connotation particulière pour Oreochromisniloticus, très recherché sur le marché d’Antananarivo, notamment lorsqu’il provient du lac Itasy : il est alors commercialisé sous le nom de barahoa, qui équivaut à un label de qualité.

22 L’introduction de nouvelles espèces, plus productives, s’est également soldée par le développement de la pisciculture, activité plus technique que la pêche et soutenue par un encadrement de proximité. Les premiers élevages ont porté sur le Tilapiamelanopleura comme modèle biologique (Kiener, 1957 ; Kiener, 1962). Cette espèce a ensuite été supplantée par la carpe, suite à la maitrise du cycle biologique et de la production d’alevins (méthode des « kakabans » et reproduction artificielle induite). L’élevage de carpes a été privilégié et soutenu par différents programmes et projets entre 1970 et 1990 (Andrianaivojaona et Razafitseheno, 1999). Les actions sont restées concentrées sur la région des Hautes Terres et sur la rizipisciculture.

23 Malgré ces efforts et l’existence de 150 000 ha exploitables (du fait de la bonne maîtrise de l’eau), la production piscicole de Madagascar demeure aujourd’hui très faible (MAEP/FAO, 2005). Elle ne dépasse guère 2 400 t/an, en raison notamment d’une concurrence avec la riziculture sur l’utilisation des bas fonds. Si les pratiques culturales actuellement vulgarisées – le système de riziculture intensive (SRI) qui nécessite une gestion très stricte de l’eau (une mince lame d’eau avec des assèchements fréquents) – devaient se généraliser, la rizipisciculture serait amenée à disparaître.

Pour une amélioration de la production de poissons dans la région des Hautes Terres

24 Compte tenu de l’accroissement démographique, la demande en poissons frais devrait poursuivre sa croissance, augmentant d’autant la pression qui s’exerce sur la ressource halieutique des plans d’eau de la région des Hautes Terres. Or, la surexploitation est déjà constatée, notamment au lac Itasy. Il importe donc de développer de nouvelles voies permettant de répondre à cette demande sans compromettre les capacités productives des écosystèmes exploités.

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Pour la pérennisation de l’exploitation de la ressource

25 La gestion d’une ressource piscicole est toujours difficile en raison de sa particularité : une ressource non observable, renouvelable et fluctuant en fonction des conditions de l’environnement. L’état de la ressource est toujours estimé par l’abondance et la taille des individus capturés. Il est donc indispensable de disposer de données fiables et exploitables au niveau de chaque pêcherie afin d’évaluer le potentiel de productivité et d’en déduire la quantité de poissons qui peut être capturée sans nuire au renouvellement du stock. Chaque plan d’eau étant unique, les dispositions à prendre ne seront pas identiques d’un milieu à un autre. Elles concernent l’effectif des pêcheurs, leur équipement (nombre des engins et techniques mises en œuvre), la période de pêche et la capture autorisées (taille et quantité). Le renforcement de la réglementation doit être associé à des données scientifiques sur l’état des stocks.

Vers la valorisation des ressources des zones basses côtières...

26 Développer l’exploitation des zones basses côtières comme les régions de Belo sur Tsiribihina à Morondava, de Kinkony et d’Ambato-Boeni à Majunga (fig. 2) constitue une alternative, mais celle-ci risque de s’avérer coûteuse. En effet, le niveau d’exploitation de ces plans d’eau a toujours été limité par la difficulté de commercialiser les produits de la pêche, en raison des défaillances du réseau de transports et de la logistique nécessaires au conditionnement du poisson frais, dont la qualité organoleptique s’altère rapidement dès que la chaîne du froid est rompue. La structuration dans ces régions d’une filière halieutique à destination du marché d’Antananarivo requiert donc des investissements considérables visant à désenclaver ces zones pour faciliter l’écoulement de la production. À notre connaissance, de tels travaux ne sont pas programmés ni à court ni à moyen termes, cette alternative ne pourrait donc pas être opérationnelle dans la prochaine décennie.

... Ou le développement d’une pisciculture de proximité

27 Une autre alternative, bien moins coûteuse mais nécessitant une maîtrise technique beaucoup plus importante, consiste à développer la pisciculture dans les régions proches du marché où existe déjà une filière de commercialisation. Tel est le cas de la région des Hautes Terres qui dispose de nombreux lacs pouvant être exploités par une pisciculture en cage. Celle-ci a été déjà initiée au lac Itasy et les résultats obtenus montrent sa faisabilité sur les plans technique et économique. L’acceptation sociale et l’appropriation de la technique restent toutefois à prouver.

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Photo 3. – Un exemple de pisciculture en cage flottante à Madagascar.

28 L’exploitation sera centrée sur une espèce déjà présente dans le plan d’eau : le tilapia. Avec 2 millions de tonnes produites annuellement, Oreochromis niloticus occupe actuellement la deuxième place au niveau de la production piscicole mondiale, toutes espèces marines et continentales confondues. Le choix pourrait donc se porter sur cette espèce qui s’est déjà adaptée aux conditions locales et qui est reconnue comme un poisson de qualité sur le marché d’Antananarivo. Sur le plan technique, il n’y aurait pas de compétition entre les deux systèmes de production (pêche et aquaculture) dans la mesure où l’espèce utilisée est déjà présente dans le plan d’eau et qu’il n’y aura pas de prélèvement dans le milieu par les éleveurs, les alevins provenant d’écloseries. La pêcherie pourrait de surcroît bénéficier à la fois de la reproduction ou de la fuite de poissons élevés en cage, contribuant ainsi à un empoissonnement indirect du milieu, et de la diffusion dans le milieu de restes d’aliment non consommés. Il existe toutefois un risque de conflit si l’effort de pêche se concentre à proximité des cages. Cette compétition sur l’utilisation de l’espace sera un paramètre très important à étudier.

29 La pisciculture en cage nécessite une mise de fonds importante pour l’investissement et ses coûts de fonctionnement sont élevés (achat d’aliments notamment), ce qui écarte de facto la majorité des pêcheurs individuels et laisse la place libre pour des opérateurs extérieurs mais disposant de capitaux. L’intégration de la communauté dans l’exploitation aquacole constitue un autre défi pour une meilleure acceptabilité sociale de la pisciculture en cage dans les Hautes Terres de Madagascar.

30 Le potentiel de productivité et de disponibilité en poissons est généralement conditionné par l’environnement. À Madagascar, si la zone basse côtière regorge d’une ressource abondante et sous-exploitée, en revanche, les Hautes Terres accusent un déficit net, dû essentiellement à la faible productivité de sa faune autochtone. L’introduction de nouvelles espèces pour combler ce déficit a eu des impacts considérables sur les plans environnemental et socio-économique. Si elle a contribué à

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l’amélioration de la production halieutique et à l’accroissement des revenus de ceux qui exploitent la filière, sur le plan environnemental, elle a engendré le déclin de la faune autochtone, voire probablement la disparition de certaines espèces.

31 Un renforcement des plans de gestions technique et scientifique est inévitable pour assurer la pérennisation de la ressource et des activités socio-économiques qui lui sont liées. La conjugaison de ces efforts associée à la valorisation ou à l’exploitation de nouveaux potentiels (régions côtières, pisciculture) permettrait au pays de disposer d’un approvisionnement supplémentaire en protéines animales et de contribuer ainsi à la sécurité alimentaire de la population malgache.

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Moreau J., 1971 – Biologie comparée du Tilapia rendalli au lac Itasy et au lac Mantasoa. Cahiers ORSTOM, série hydrobiologie, Paris vol. 5, n° 1, p. 3-52.

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Moreau J., Arrignon J. et Jubb R.A., 1988 – Les introductions d’espèces étrangères dans les eaux continentales africaines : Intérêts et limites. In : Biologie et écologie des poissons d’eau douce africains. Paris : Travaux et documents de l’ORSTOM, n° 216, p. 395-425.

Pellegrini J., 1933 – Les poissons des eaux douces de Madagascar et de îles voisines (Comores, Seychelles, Mascareignes). Éd. G. Pitot : Tananarive, 223 p. (Mémoires de l’Académie malgache, Tananarive, Fascicule XIV).

Razafindranovona, 2003 – Analyse du document stratégique de la réduction de la pauvreté à Madagascar. In : Rapport de la commission économique pour l’Afrique, Addis Abeba, 41 p.

RÉSUMÉS

L’environnement de la production piscicole continentale à Madagascar est caractérisé par un écosystème aquatique très diversifié, une faune piscicole endémique pauvre et à faible productivité. L’exploitation par la pêche de la ressource disponible n’arrive pas à satisfaire la demande en poissons de la région des Hautes Terres et plus particulièrement du marché d’Antananarivo, le principal centre de consommation. Une revue des différentes actions menées visant à améliorer la production des eaux intérieures ainsi que leurs impacts respectifs sont répertoriés et analysés. Des suggestions sont émises pour une meilleure valorisation et préservation de la ressource piscicole.

Ecological and socio-economic environment of inland fish production in Madagascar. The environment of inland fish production in Madagascar is characterized by a diversified ecosystem and a poor endemic piscicultural fauna with low productivity. Exploitation of available resource does not satisfy the market demand of Antananarivo, the principal centre of consumption. A review of the various carried out actions to improve the production of inland water and their impact respective are addressed and analyzed. Suggestions are emitted for a better resource valorization.

INDEX

Keywords : continental fishing, ecological environment, fish culture, Madagascar, socio- economic environment, tilapia Mots-clés : environnement écologique, environnement socio-économique, Madagascar, Pêche continentale, pisciculture, tilapias

AUTEURS

SAMUEL RAKOTOAMBINIMA FOFIFA-Madagascar ; mél : [email protected]

DAMIEN DESPREZ ARDA- la Réunion ; mél : [email protected]

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GILBERT DAVID IRD / US 140 ESPACE - la Réunion ; mél : [email protected]

PIERRE BOSC ARDA- la Réunion ; mél : [email protected]

YANNICK LE ROUX Projet FSP-FORMA / SCAC Ambassade de France à Madagascar ; mél : [email protected]

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La mer, menace ou espoir de développement pour Mayotte ?

Olivier Bensoussan

1 Mayotte, la plus australe des îles de l’archipel des Comores, au cœur du Canal du Mozambique (fig. 1), fait parler d’elle en général au sujet de l’immigration clandestine qu’elle suscite en provenance d’. Ainsi, François Baroin, alors Secrétaire d’État à l’Outre-mer, a-t-il lancé l’idée, pour y remédier, de remettre en cause partiellement le droit du sol1. En effet, la maternité de Mamoudzou, chef-lieu de l’île « hippocampe », avec parfois jusqu’à 20 naissances par jour, est une très grande maternité. La proposition fit un tollé général. Pourtant, Mayotte vit au quotidien avec cette immigration : des hommes, des femmes, des enfants, voire des nourrissons, s’entassent jusqu’à quarante dans des embarcations de fortune de dix mètres, en polyester, appelées kwassa-kwassas. Plusieurs de ces kwassas peuvent débarquer illégalement à Mayotte par jour… ou chavirer en pleine mer ou s’échouer sur la barrière récifale entourant Mayotte. Les rescapés sont en général peu nombreux (Affaires maritimes de Mayotte, 2009). La mer est alors perçue comme une menace multiforme, celle qui prélève son lot de vies humaines, mais aussi celle qui, potentiellement, ferait que Mayotte, majoritairement peuplée d’Anjouanais en situation irrégulière, ne serait plus mahoraise.

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Figure 1. – Mayotte au sein des Comores et du Sud-Ouest de l’océan Indien.

2 Cette angoisse diffuse renvoie, dans la culture mahoraise, à une vieille croyance selon laquelle la mer est peuplée de djinns, dont l’origine remonte à des croyances préislamiques. Peu de Mahorais savent d’ailleurs nager, y compris parmi ceux dont le métier est la mer. De même, il est étonnant de constater que de nombreuses cases qui bordent les plages tournent le dos à la mer.

3 Ainsi Mayotte paraît ne jamais avoir pleinement investi la totalité de son « territoire », terme d’ailleurs peu approprié lorsque cet espace inclut les approches maritimes, signe également que la France n’a jamais véritablement pris en compte la géographie du point de vue de la mer. L’économie mahoraise est largement tournée sur elle-même, dépendante des flux financiers publics, qui constituent près de 45 % du produit intérieur brut local (IEDOM, 2009).

4 Aujourd’hui la menace maritime s’est enrichi de nouvelles dimensions. La piraterie produit ses effets jusqu’à Mayotte : les thoniers industriels désertent le nord-ouest de l’océan Indien, des côtes de la Somalie jusqu’aux Seychelles pour renforcer leur effort de pêche autour de l’archipel des Comores, ponctionnant de fait une ressource située à proximité de Mayotte. De même, Mayotte est située sur une route maritime très fréquentée par des supertankers. Comment ne pas envisager la menace d’une pollution majeure ?

5 Malgré tout, le peuplement originel de Mayotte s’est fait par voie maritime et la culture mahoraise s’est constitué au gré des apports extérieurs : peuplement d’origine bantoue, culture swahilie, religion musulmane venue avec les Chiraziens, croyances malgaches (fig. 2)… Dans ce contexte, et compte tenu en outre de l’extrême richesse maritime de cette île entourée d’un lagon de 1 100 km² (fig. 3), il apparaît en seconde analyse que sa seule chance de développement autonome réside dans une ouverture à la mer et dans le développement de ses activités maritimes. Mayotte, ancienne formation volcanique, est entourée d’une importante barrière récifale de 160 km de long, où la pêche nourrit des milliers de familles. Le lagon est aussi une promesse de développement pour l’aquaculture.

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Figure 2. – Lieux d’origine des migrations arrivant aux Comores.

Figure 3. – Mayotte et son lagon.

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6 Au cœur du Canal du Mozambique, au carrefour des routes maritimes Nord - Sud (Europe - Afrique) et Est - Ouest (Afrique - Asie), Mayotte pourrait constituer une plateforme régionale du commerce maritime (hub).

7 Enfin, la richesse de l’environnement marin mahorais, site exceptionnel de reproduction des tortues, des baleines à bosse et autres mammifères marins, est un levier puissant pour développer raisonnablement un tourisme durable. À l’heure où Mayotte s’apprête à devenir le 101e département français, au moment où, après le Grenelle de la mer, un parc marin d’une superficie inédite de près de 70 000 km² 2 va y être créé, il est important de voir à quel point la mer entourant cette île peut être à la fois une menace potentielle et son seul espoir de développement. Souvent perçue comme une source de menace multiforme, la mer est d’abord une frontière physique et politique à protéger ; mais elle est aussi un espace nodal de communication, de transit et d’échanges, une mer nourricière aux richesses environnementales exceptionnelles.

La mer, frontière à protéger et espace nodal de communication

8 L’immigration clandestine est sans doute la question majeure à laquelle est confrontée l’île au quotidien. La mer est donc une frontière à protéger tout en étant aussi un espace de communication et d’échanges commerciaux indispensable.

La mer : une frontière à protéger

9 L’immigration clandestine par voie maritime peut déstabiliser l’île, comme ce fut le cas violemment lors des émeutes du 27 mars 2008. C’est là sans doute la principale menace pour Mayotte. Mais le risque de pollution maritime, la piraterie, et les tsunamis peuvent aussi mettre en danger Mayotte.

L’immigration clandestine par voie maritime

10 Elle est un phénomène massif qui recèle un fort potentiel de déstabilisation de l’île. Elle trouve son origine principalement dans l’important différentiel des niveaux de vie entre les Comores et Mayotte, qui apparaît comme un îlot de paix et de prospérité à portée de rames.

Une immigration clandestine massive qui peut déstabiliser l’île

11 Sur les 200 000 habitants recensés de l’île (INSEE, 2007), plus d’un tiers est en situation irrégulière alors que cette proportion s’établissait à 14 % en 1991. Si cette tendance devait se prolonger, la population clandestine pourrait représenter 60 % de la population totale en 2012 (Dosière et Quentin, 2006).

12 Cette immigration se fait quasi exclusivement par voie maritime à partir de l’île comorienne d’Anjouan, distante d’à peine 70 km de Mayotte. Les candidats à l’immigration s’entassent, pour 300 €, dans des embarcations de fortune, les kwassa- kwassas, du nom d’une danse d’Afrique de l’Est, indiquant par là qu’au moindre clapot, l’esquif tangue, se remplit d’eau et finit par chavirer. Il est impossible par définition de connaître le nombre de morts de ces expéditions maritimes, perdus dans le bras de mer

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qui sépare les deux îles. Une fourchette de 100 à 200 morts par an est avancée par le ministère français des Affaires étrangères. En plus des chavirements liés aux conditions météorologiques associés à la fragilité des embarcations, il convient d’ajouter les chavirements volontaires. En effet, l’une des techniques utilisées par les passeurs pour échapper à leur sort, c’est-à-dire la prison de Majicavo, consiste parfois à chavirer volontairement à l’approche des patrouilles maritimes pour que, dans la confusion, ils ne puissent pas être identifiés comme étant les pilotes. Cette démarche est souvent dérisoire car, quand l’opération conduit à noyer des femmes et des enfants, les rescapés finissent en général par désigner leur passeur.

13 Mais ni la mort, ni la prison ne paraissent enrayer l’immigration clandestine. Elle est devenue une véritable filière économique à Anjouan, où l’on trouve des usines à kwassas protégées par des enceintes et des barbelés, et où les passeurs ne sont que des pions d’un jeu tragique dans lequel les vrais bénéficiaires ne sont pas encore inquiétés. Le « voyage » d’un kwassa est souvent également amorti au retour vers Anjouan : le passeur, après avoir déposé ses passagers sur une plage, récupère des marchandises diverses (de l’électroménager, de la nourriture, de la hi-fi) volées ou non, à destination des Comores.

Une menace de déstabilisation de l’île

14 La menace de déstabilisation de l’île existe à deux niveaux. Tout d’abord, avec près de 8 000 naissances annuelles, dont 70 % sont attribuables à des femmes en situation irrégulière, la maternité de Mamoudzou est la plus grande d’Europe. Les populations clandestines, démunies, habitent dans des bangas, habitations précaires de tôle ; elles s’entassent pour l’essentiel dans des bidonvilles qui s’étendent aux alentours de Mamoudzou ou de Koungou.

15 Cette situation est potentiellement explosive, comme ce fut le cas le 27 mars 2008, lorsque des clandestins ont manifesté contre la présence du Colonel Bacar (ancien président de l’île d’Anjouan) sur le Territoire français, où il a très provisoirement trouvé refuge après sa destitution. Un véritable déchaînement de violence contre les mzungus, les Européens, s’est produit : des passants, hommes et femmes, se trouvant à Mamoudzou ce jour-là, ont été violemment molestés, et certains pris en otages.

16 Au-delà de ces moments critiques, il est établi que 70 % de la délinquance est le fait de clandestins, ce qui correspond aussi à la proportion de personnes incarcérées à la maison d’arrêt de Majicavo.

17 Ensuite, en réaction à cette forte présence d’étrangers en situation irrégulière, certains Mahorais peuvent aussi se révéler violents. Parfois, lors de la rentrée scolaire, lorsqu’il apparaît qu’il n’y a pas assez d’enseignants ou de classes pour accueillir tout le monde, certaines mères mahoraises laissent éclater leur exaspération et stigmatisent la présence immigrée. Plus violemment encore, il est arrivé que des clandestins soient véritablement pourchassés, molestés et leurs bangas détruits.

Mayotte, îlot de paix et de prospérité

18 Malgré la très grande précarité des conditions de vie des clandestins à Mayotte, les risques d’y laisser sa vie, malgré le renforcement des contrôles et les risques de représailles de la population, les candidats à l’immigration clandestine continuent à tenter leur chance tous les jours. Mayotte, avec un produit intérieur brut par habitant

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dix fois supérieur à celui des Comores, où 60 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, apparaît comme un îlot de richesse, qui dispose en outre d’infrastructures publiques (sanitaires, scolaires) modernes et accessibles et où il est aisé de trouver du travail.

19 Mayotte apparaît comme un îlot de paix également quand on sait que les Comores ont connu un coup d’État tous les 18 mois en moyenne depuis leur accession à l’Indépendance, en 1975. Longtemps, les pouvoirs publics ont hésité à donner à Mayotte les moyens de se développer pour éviter justement un accroissement des écarts de niveaux de vie entre ces îles. Mais cette position n’était pas en phase avec l’aspiration des Mahorais d’ancrer pleinement leur île dans la République. Peu à peu les infrastructures ont donc été modernisées.

20 Parallèlement, les moyens de lutte contre l’immigration clandestine sont longtemps restés dérisoires, voire « indignes de la République » pour ce qui concerne le centre de rétention administrative (CRA) selon le rapport de la commission nationale de la déontologie de la sécurité (CNDS, 2009, p. 23 et suivantes). Les forces de l’ordre en charge de la lutte contre l’immigration ont dû en effet remplir des objectifs pour lesquels elles n’étaient souvent ni formées, ni équipées. À partir de 2006, la situation a considérablement évolué : des radars ont été mis en place permettant une couverture complète des approches maritimes ; les administrations ont été dotées d’unités nautiques rapides et opérationnelles et le nombre d’agents en charge de cette mission a quasiment doublé en quatre ans. Aujourd’hui, avec 16 000 reconduites à la frontière en 2008, et sans doute plus de 17 000 en 2009, Mayotte représente 50 % des reconduites au niveau national.

21 La défense de la frontière maritime est indispensable à la préservation des équilibres locaux, mais il est important aussi de lutter en amont contre la nouvelle forme d’esclavage moderne que constitue le travail illégal. En effet, si une partie de la population exprime parfois son ras-le-bol à l’égard de la présence immigrée clandestine, il reste qu’une partie en profite largement pour faire travailler illégalement les Anjouanais dans leurs champs ou sur leurs chantiers. Selon le rapport d’information parlementaire de Didier Quentin, l’économie mahoraise emploierait ainsi illégalement 15 000 clandestins dans les secteurs de l’agriculture, du bâtiment et des travaux ancillaires, payés environ 250 € par mois, alors que le SMIC mahorais est de 800 €.

22 Enfin, la maîtrise des flux migratoires passe aussi naturellement par la coopération et l’aide aux Comores afin que cet archipel accède à un niveau d’infrastructures satisfaisant pour ses populations. Mais Mayotte n’est pas à l’abri d’autres menaces de nature bien différente : la piraterie, le risque de pollution majeure et le risque de tsunami sont autant de menaces potentielles pour Mayotte.

Les autres menaces

23 Depuis 2005, la piraterie sévit dans les eaux somaliennes ; sa cible privilégiée fut d’abord les navires de commerce. Mais les thoniers industriels qui fréquentent la zone ne sont pas épargnés : la première victime fut l’équipage du thonier espagnol Playa de Baquio en avril 2008, puis du Playa de Anzoras en septembre de la même année. Et pour cause, beaucoup de pirates étaient auparavant de petits pêcheurs qui ont vu leurs ressources diminuer à cause, disent-ils, de la pêche industrielle. C’est ce que décrit avec

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finesse l’Amiral Merer dans son ouvrage « Moi, Ousmane, pirate somalien ». Plus récemment, ce fut le tour de l’Alakrana le 2 octobre 2009, puis des thoniers français Drennec et Glénan (le 10 octobre 2009), des Via Mistral et Via Avenir (le 13 octobre). La différence est que, sur les thoniers français sont embarquées, depuis juillet 2009, des équipes de protection constituées de fusiliers marins qui ont réussi à repousser les attaques des pirates.

24 Même si les pirates sévissent jusque dans les eaux seychelloises et n’atteignent heureusement pas les approches mahoraises, il reste que les thoniers ne pêchent plus dans les eaux somaliennes ; de fait, ils reportent leur effort de pêche dans le Sud, et notamment aux abords de Mayotte. La piraterie produit donc ses effets jusqu’à Mayotte, victime collatérale de celle-ci.

25 Le risque de pollution majeure est un sujet de préoccupation également : Mayotte est sur la route des plus gros pétroliers qui passent par le cap de Bonne-Espérance pour s’approvisionner au Moyen-Orient. En 2006, des boulettes d’un hydrocarbure très compact et ancien ont pollué la plage de Saziley ; compte tenu des faibles quantités, il s’agissait sans doute d’un déballastage sauvage dont les résidus ont dérivé et se sont échoués à Mayotte. Compte tenu du caractère très échancré de la côte, une pollution majeure serait catastrophique ; il est donc important de pouvoir suivre le trafic maritime en temps réel dans cette zone.

26 Enfin, la multiplication des secousses telluriques et des tsunamis dans l’Est de l’océan Indien peut avoir un effet important, même si Mayotte est doublement protégée par Madagascar et par sa barrière récifale. Lors du séisme de 26 décembre 2004, un mouvement d’eau particulier a bien été observé. Un tsunami, même de faible ampleur ou une houle cyclonique aurait pour effet de submerger de nombreuses habitations précaires.

27 Frontière indispensable à protéger, la mer est aussi à Mayotte un espace d’échanges commerciaux.

Photo 1. – Îlot de sable blanc de Saziley.

(cliché O. Bensoussan)

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Mayotte, plate-forme logistique de l’Ouest de l’océan Indien ?

28 Même si le trafic de marchandises est assez faible, il a vocation à se développer si Mayotte réussit à capter le trafic transbordé de la région.

Un trafic assez faible mais diversifié et en forte progression

29 Mayotte connaît un trafic de marchandises relativement faible si on le compare aux autres ports ultra-marins ou métropolitains. Avec un trafic inférieur à 500 000 t par an (0,12 % du trafic national), le port de Mayotte est comparable à des ports métropolitains comme Rochefort ou Honfleur. Ce trafic est faible également si on le compare aux autres Territoires d’Outre-mer : il représente 17 % du tonnage guadeloupéen, et 13,4 % du trafic réunionnais. Il est en fait à l’image des besoins de la population (200 000 habitants à Mayotte et 800 000 à la Réunion) : faibles mais en forte croissance.

30 Actuellement, 94 % du trafic concerne des marchandises importées, pour l’essentiel des produits alimentaires, des hydrocarbures et des produits manufacturés. En même temps, Mayotte est le seul port national à connaître une moyenne de croissance de son trafic de marchandises de + 19 % en tonnage par an sur les 10 dernières années. 31 Mayotte entre en effet rapidement dans la modernité : par exemple, en 1990 on compte 2 000 véhicules immatriculés et quinze ans plus tard : 35 000.

32 Le port lui-même est très récent : avant 1992, date de la création du port de Longoni (photo 2), les marchandises étaient débarquées à Dzaoudzi : les cargos étaient au mouillage et des rotations de boutres assuraient le transfert des marchandises à quai.

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33 Cependant, depuis 2002, on assiste à un tassement du trafic, dû à la baisse du trafic transbordé, qui échappe progressivement à Mayotte, concurrencé par d’autres places portuaires (Maurice, notamment) : voilà le défi que doit relever Mayotte pour devenir la plate-forme logistique régionale de l’Ouest de l’océan Indien.

Mayotte, plate-forme logistique de l’océan Indien, ou le défi du développement

34 La rationalisation du transport maritime, l’exigence d’une desserte rapide des territoires avec des volumes croissants ont poussé les armateurs internationaux à investir dans des navires de plus en plus importants et puissants (appelés liners), ne faisant escale que dans un nombre restreint de ports. Ces navires de fort tonnage desservent des ports dans lesquels les marchandises sont momentanément entreposées puis prises en charge par des navires plus petits (feeders) qui vont acheminer la cargaison au port de destination finale (par exemple Mutsamudu à Anjouan, Tamatave à Madagascar, etc.). Les places portuaires qui accueillent les liners servent alors de plates-formes d’éclatement : c’est le principe du transbordement. En 2002, à Mayotte le trafic transbordé représentait 40 % du trafic total : il est tombé à 10 % en 2007.

35 Compte tenu de la stabilité politique de Mayotte et de son emplacement géographique unique, au cœur du canal du Mozambique, à proximité de Madagascar, des côtes de l’Afrique de l’Est, de l’Afrique du Sud, mais aussi non loin de la péninsule Arabique, le port de Mayotte a une carte à jouer pour capter ces trafics et devenir ainsi une plate- forme régionale de chargement et de déchargement. Mais Mayotte est en concurrence directe avec d’autres ports de la zone (Mutsamudu, Tamatave, Port-Louis, notamment) où les coûts portuaires sont souvent moins élevés (IEDOM, 2007), et avec une plus grande disponibilité des infrastructures, comme l’avait notamment souligné le rapport d’Arthur Andersen à la fin de l’année 2000.

Photo 2. – Port de Longoni vu du ciel.

(cliché O. Bensoussan)

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36 Pour être compétitif, le port doit se moderniser. Des travaux importants ont été effectués pour augmenter sa capacité d’accueil et permettre d’accueillir des navires à plus fort tonnage. Un quai de 223 m de long pouvant accueillir des navires de 4 500 EVP au tirant d’eau de 14 m a été livré en 2009 après 3 ans de travaux. Un terminal pétrolier et gazier a également été livré en 2008. Ces deux chantiers ont coûté près de 70 millions e.

37 Au-delà, il est important d’assurer davantage d’efficacité et de sûreté aux grandes compagnies maritimes qui font faire escale à leurs navires dans la zone. Cela consiste d’abord pour un armement à pouvoir être servi de jour comme de nuit au moindre coût ; cela implique l’ensemble de la filière. C’est la condition pour que Mayotte devienne un hub régional. Aujourd’hui, les grands ports de la zone sont en outre certifiés dans le cadre de la sûreté portuaire : à Mayotte, la démarche reste embryonnaire ; or, les grandes compagnies sont toujours réticentes à fréquenter un port qui n’est pas classés « ISPS »3.

38 Le port de Mayotte a donc des atouts considérables pour devenir la place portuaire régionale de l’Ouest de l’océan Indien. Port-Louis (Maurice), qui occupe cette place actuellement, est fragilisé car il est menacé de saturation et, en période cyclonique, reste très exposé. Pour relever ce défi, il faut toutefois que le port de Mayotte gagne en efficacité et soit doté d’outils adaptés.

39 La mer est à Mayotte un défi permanent à relever : frontière à protéger et espace d’échanges commerciaux à développer. La mer est aussi nourricière, dont il faut préserver les ressources exceptionnelles.

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Mer nourricière aux richesses environnementales exceptionnelles

40 Les Mahorais ont l’habitude de dire que le lagon est « leur garde-manger » ; la pêche nourrit en effet plusieurs milliers de familles. La pêche thonière industrielle, bien présente à Mayotte également, fournit du thon au monde entier. L’aquaculture a vocation à son tour à se développer notablement. Cette richesse halieutique s’inscrit dans un écosystème d’une richesse environnementale exceptionnelle.

Les ressources inestimables de la mer : pêche et aquaculture

41 La pêche est un secteur économique essentiel de l’île, même si une partie de cette activité, à savoir la pêche industrielle, ne profite pas encore pleinement à Mayotte. L’aquaculture, quant à elle, est promise à un bel avenir.

La pêche

42 Pour donner une image de la pêche mahoraise, il pourrait être tentant de faire des rapprochements avec des ports de pêche métropolitains. Ainsi, en termes de puissance motrice, la flottille de pêche de Mayotte se situe au niveau de celle de Concarneau, qui reste l’un des grands ports de pêche français. En même temps, le nombre de pêcheurs (plus de 2 000) ne peut être rapproché d’aucune réalité métropolitaine. De même, la production totale des navires de pêche immatriculés à Mayotte situe l’île parmi les cinq premiers ports de pêche métropolitains en tonnage.

43 Mais on ne trouve à Mayotte aucune infrastructure moderne pour accueillir cette production. Il est donc difficile de se faire une idée commune de la pêche à Mayotte, par essence bien spécifique. L’un des traits saillants de cette spécificité tient dans la coexistence de deux pêcheries que, a priori, tout oppose : une pêcherie parmi les plus modernes au monde, la pêche industrielle des thonidés d’une part, et une pêche artisanale en grande partie vivrière et traditionnelle.

Une pêche ultramoderne : la pêche industrielle des thonidés

44 La zone économique exclusive (ZEE) de Mayotte est fréquentée tous les ans par une importante flottille de 50 thoniers senneurs industriels détenus par des capitaux français ou espagnols et battant pavillons français (photo 3), seychellois, italiens ou espagnols. Les trois thoniers français les plus récents, les Drennec, Trévignon et Franche- Terre sont immatriculés à Mayotte. Ils font environ 80 m de long, filent près de 20 nœuds (38 km/h), et coûtent plus de 20 millions e à l’unité. Ils sont dotés de la plus haute technologie pour traquer les bancs de thonidés : radars à oiseaux, sonars, etc…

Photo 3. – Thonier senneur français en rade de Dzaoudzi.

(cliché O. Bensoussan)

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45 Cette flottille pêche dans tout le nord-ouest de l’océan Indien : de mars à juin, la pêche se fait aux alentours de Mayotte ; de septembre à novembre, le poisson est pêché dans les eaux somaliennes, puis, de décembre à février, dans les eaux seychelloises. Les armements sollicitent des licences de pêche payantes auprès de l’ensemble des pays ou territoires limitrophes : Comores, Mozambique, Madagascar, Seychelles, et Mayotte, pour ce qui concerne les navires espagnols, les navires français ayant naturellement un accès libre, s’agissant d’une zone sous juridiction française.

46 La ZEE de Mayotte est particulièrement attractive puisque c’est dans le canal du Mozambique que les pêcheurs font souvent leurs meilleures prises. Ainsi, en 2009, le total des captures des navires à capitaux espagnols s’est-il élevé à 6 000 t alors qu’en général leurs captures s’établissent entre 3 000 et 4 000 tonnes. Mais de nombreux élus, et Mansour Kamardine en tête4, ont toujours dénoncé le fait que cette pêcherie très rémunératrice ne profitait à aucun moment à Mayotte, pourtant concernée au premier chef. Les recettes de cette activité économique échappent totalement à Mayotte.

47 Tout d’abord, les techniques de pêche du poisson laissent peu de chance à la ressource. Les scientifiques de l’Institut français pour la recherche et l’exploitation de la mer (Ifremer) et de l’Institut de recherche et de développement (IRD) réunis dans le programme européen FADIO5 ont notamment démontré que l’utilisation de dispositifs de concentration des poissons (DCP) dérivants, principalement utilisés par les navires à capitaux espagnols, avait pour effet d’obtenir un taux de captures accessoires (non ciblées) bien supérieur à celui récolté lors d’une pêche sur banc libre.

48 Ensuite, aucun marin mahorais ne travaille sur ces navires qui fréquentent pourtant de manière assidue les eaux mahoraises. Les états-majors de ces navires sont espagnols ou français et les matelots en général d’origine africaine (Sénégalais, Béninois, Ghanéens, Ivoiriens).

49 En outre, la pêcherie reste peu encadrée : il existe bien une organisation régionale de pêche (ORP) dédiée à la gestion des stocks de thonidés de l’océan Indien, à savoir la Commission thonière de l’océan Indien6 (CTOI), émanation de la Food and Agriculture Organization (FAO). On ne peut que saluer l’excellence de ses travaux et notamment ceux de son comité scientifique, brillamment présidé par Francis Marsac, de l’IRD. Cette organisation est indispensable car elle part du principe qu’il convient de gérer au mieux cette ressource fragile. Elle compte aujourd’hui près d’une trentaine de membres, de l’Afrique du Sud à l’Australie, en passant par la Chine, l’Inde, le Japon, la France, Madagascar, notamment. En sont ainsi membres à la fois les États côtiers (coastal states) et les États qui n’ont pas forcément de frontière maritime dans l’océan Indien mais qui ont une activité de pêche dans la zone. Au sein de cette instance, l’Australie pousse d’ailleurs les États côtiers, qui sont pour la plupart des pays en voie

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de développement dont les ressources sont exploitées par des navires appartenant à des pays industrialisés, à constituer au sein de la CTOI, un groupe de pression.

50 Les travaux de la CTOI sont donc essentiels et de nombreuses résolutions, durement discutées pour certaines, permettent une meilleure gestion de la ressource7. Il reste que la force de ces résolutions ne repose que sur la bonne volonté des États de les appliquer, ou non.

51 Enfin, les thoniers senneurs débarquent leurs prises à Port-Louis (Maurice) ou à Port Victoria (Seychelles), où ils trouvent des plates-formes logistiques dédiées aux produits de la mer (sea food hubs). Le poisson est débarqué congelé, puis transformé sur place, mis en boîte puis exporté avec des coûts salariaux défiants toute concurrence et une efficacité éprouvée. Mayotte ne dispose aujourd’hui d’aucune structure d’accueil pour ces navires.

52 Signe toutefois que les choses évoluent favorablement et progressivement pour Mayotte, une convention signée le 29 avril 2009 entre le préfet de Mayotte et le préfet des Terres australes en Antarctique françaises (TAAF) restitue désormais le produit des licences de pêche au bénéfice de l’économie mahoraise. En effet, depuis 5 ans, les recettes liées à l’attribution des licences de pêche par le préfet de Mayotte aux armements espagnols étaient perçues par l’administration des TAAF. Chaque année, Mayotte était ainsi privée d’une recette d’environ 300 K e annuels. Un important travail a été effectué pour modifier cette situation vécue comme inéquitable par les pêcheurs de Mayotte ; en même temps, ce fut l’occasion d’entamer un travail de collaboration étroit pour que l’ensemble des îles françaises du canal du Mozambique gère au mieux la ressource (Penchard, 2009).

53 On le voit, Mayotte tient une place importante et longtemps négligée dans la pêche thonière française : port d’attache de plusieurs unités parmi les plus modernes, Mayotte est aussi régulièrement la principale zone de pêche des flottilles européennes. Le défi des prochaines années devrait consister à œuvrer pour que Mayotte bénéficie encore davantage de cette activité, par exemple en incitant les armements à embaucher des marins de Mayotte. Les tensions qui peuvent exister parfois avec la pêche artisanale s’en trouveraient amoindries.

La pêche artisanale

54 Un gouffre sépare la pêche industrielle ultramoderne, véritable filière économique intégrée, mondialisée, tournée vers l’export et la transformation et la pêche artisanale mahoraise.

55 La technique de pêche la plus répandue est la palangrotte, simple ligne en nylon gréée d’un hameçon droit et immergée, lestée d’un caillou fixé par un nœud largable et appâté par de petits poissons (maquereaux, calamars…). Cette pêche est pratiquée de jour et de nuit ; une lampe à pétrole (appelée Petromax) est utilisée pour attirer les poissons. Les poissons ainsi pêchés sont des poissons de fond ou des bonites.

56 Les embarcations sont très rudimentaires : simples pirogues en bois à balancier taillées d’un bloc (monoxyles) (photo 4) dans le tronc d’un manguier ou barques en polyester non pontée d’une dizaine de mètres équipées d’un ou de deux moteurs hors-bord (type barque « Yamaha ») pour une puissance dépassant rarement 120 CV.

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Photo 4. – Pêcheurs artisanaux à la palangrotte.

(cliché O. Bensoussan)

57 La population augmentant fortement, les besoins alimentaires progressent au même rythme et la ressource, notamment en poissons de fond, pêchés à l’intérieur du lagon, autour de la barrière ou sur les zones de barrière effondrée comme le banc de l’Iris, au nord de Mayotte, s’épuise.

58 Les pêcheurs sont donc contraints d’aller de plus en plus loin : d’abord sur les bancs du Geyser et de la Zélée, situés à 70 milles (126 km) de Mayotte, puis jusque dans les eaux malgaches, sur les bancs éloignés du Castor ou du Leven à 130 milles (230 km), puis de la Grenouille (180 milles) (fig. 1) et aujourd’hui dans les eaux du Mozambique sur le Banc du Lazarus, situé à 230 milles (400 km) de Mayotte. Pour ces expéditions maritimes, les pêcheurs embarquent parfois jusqu’à 1 000 litres d’essence et tiennent ainsi pendant quatre jours en mer avec un peu d’eau et un peu de riz. De nombreuses opérations de sauvetage, déclenchées à partir du centre secondaire de secours et de sauvetage basé à Mayotte, sont d’ailleurs liées à la pêche.

59 La pêche artisanale ne dispose en outre d’aucune infrastructure d’accueil pour le débarquement du poisson ; il est débarqué souvent à même le sol dans des conditions sanitaires douteuses et le marché est par définition très segmenté ; il n’y a ainsi pas de véritable marché du poisson, même si une coopérative de pêche, la Copemay, commercialise une part importante de cette ressource.

60 La situation de la pêche artisanale est donc particulièrement fragile. Pourtant, elle n’est pas sans avenir. Pour accélérer la reprise démographique halieutique, un important parc de dispositifs de concentration des poissons (DCP), financés dans le cadre du contrat de projet, va être prochainement installé à l’extérieur immédiat de la barrière récifale. Les pêcheurs pourront trouver là, à proximité, une ressource qu’on espère rapidement abondante, et travailler dans de meilleures conditions de sécurité.

61 Ensuite, la ressource en poissons pélagiques reste importante ; à ce jour, seuls deux petits palangriers8 de 12 m pratiquent cette pêcherie (le Mtwaro et le Menakeli). Les rendements de ces navires sont excellents, signe que la ressource est là. D’autres

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navires ont vocation à voir le jour ; il conviendra toutefois de prévoir leur accueil dans le port de Longoni par exemple, comme cela avait été évoqué par la Ministre de l’Intérieur et de l’Outre-mer lors de l’allocution du Gouvernement sur la départementalisation de Mayotte. Des marins mahorais, formés par la dynamique école maritime de Dzaoudzi, travaillent déjà à bord de ces navires. Ce « segment » de pêche est porteur d’un grand avenir pour la pêche mahoraise ; le marlin, l’espadon ainsi pêchés pourraient ensuite être fumés et exportés vers l’Europe.

62 Il n’y a donc pas lieu d’opposer ici le développement de la pêche et celui de l’aquaculture ; compte tenu de la très faible part que représentent encore ces productions locales dans l’ensemble de ce qui est importé et consommé, la marge de développement est grande.

L’aquaculture

63 L’aquaculture9 mahoraise est exclusivement de la pisciculture marine. Avec une production relativement modeste, l’aquaculture mahoraise est l’une des premières productions piscicoles ultra-marines. Le développement de cette filière, pourtant souhaitable dans un contexte de raréfaction des ressources halieutiques, se heurte à des obstacles importants.

La production aquacole mahoraise se situe en tête des territoires d’outre-mer

64 La pisciculture mahoraise a commencé en 2001 ; elle est caractérisée par une quasi- monoproduction d’ombrine ocellée (Scianops ocellatus), poisson à la chair tendre et à croissance rapide, atteignant 3,5 kg en 1 an et demi ; ce poisson représente 90 % de la production.

65 Un début de diversification est en cours avec le cobia (Rachycentron canadum, ou mafou, selon la nomenclature de la FAO) le vivaneau de mangrove (Lutjanus argentimaculatus) et la daurade tropicale (Rhabdosargus sarba). Le cobia par exemple atteint 6 à 10 kg en 1 an seulement après sa sortie de l’écloserie. Il atteint une taille commerciale (4 kg) au bout de 6 mois.

66 Le secteur est dominé par une entreprise, « Mayotte Aquaculture », filiale de « Cannes Aquaculture », qui produit 80 % des espèces élevées. Sa production est exportée en Europe par voie aérienne et destinée à la restauration haut de gamme. Une excellente collaboration est à souligner entre cette structure et l’association Aquamay, chargée de promouvoir l’aquaculture mahoraise et d’assurer, grâce à son écloserie, l’amont de la filière. Toujours en pointe, Aquamay pilote, pour l’océan Indien, le programme Genodom (GENétique de l’Ombrine dans les DOM), dont le but est de diversifier la génétique des géniteurs et ainsi d’optimiser la production.

67 Avec 180 t de poisson produit par an, Mayotte est en fait le 1er territoire ultra-marin producteur de poisson. En valeur, la production mahoraise vient en 2e position avec un chiffre d’affaires dépassant les 700 000 € annuels. Cette production reste modeste et son impact environnemental est faible car la nourriture utilisée est dépourvue d’organismes génétiquement modifiés (OGM). Toutefois, la production, après une forte croissance de 2001 à 2003 (77 % de croissance en moyenne annuelle sur cette période), s’est stabilisée et connaît même une légère décrue (- 8 % par an en moyenne annuelle sur la période 2003-2005).

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68 La dépendance à l’export est en effet forte puisque près de 80 % de la production part en métropole ou à l’étranger. Le développement de la pisciculture marine mahoraise dépend donc fortement d’un facteur exogène : le coût du transport aérien.

69 C’est pourquoi, les efforts doivent aussi se concentrer sur la conquête du marché local ; la production aquacole ne représente que 2 % de la consommation des produits de la mer à Mayotte ; cela passe par la création d’un atelier de filetage, la mise en place d’un réseau de distribution, et de la communication pour que les Mahorais prennent l’habitude de manger le poisson d’élevage local. Toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour que ce défi soit relevé : la configuration géographique est idéale : le lagon permet une protection de la houle et assure donc le calme nécessaire à une bonne productivité des cheptels, la température assure une croissance rapide et la circulation de la mer dans le lagon garantit le renouvellement de l’eau. L’Ifremer va bientôt également être présent pour accompagner cette filière.

70 Hélène Tanguy10 dans le rapport sur l’aquaculture en France remis au ministre de l’Agriculture et de la Pêche en novembre 2008, avait en effet affirmé : « La mission a noté l’importance du potentiel offert par Mayotte en matière d’aquaculture marine. »

71 Pour déterminer la disponibilité actuelle des espaces propices à ce développement, un schéma régional de développement de l’aquaculture est en cours d’élaboration.

72 La mer entourant Mayotte nourrit des dizaines de milliers de personnes partout dans le monde. Cette richesse est souvent méconnue et négligée, car une bonne partie de cette production est exportée. La grande richesse halieutique de Mayotte – plus 700 espèces de poissons ont été recensées – doit à tout prix être préservée car elle constitue une partie d’un écosystème plus global d’une richesse environnementale exceptionnelle.

Un patrimoine environnemental d’une richesse exceptionnelle

73 Il n’est pas question ici de faire un inventaire exhaustif des richesses de l’environnement marin et de ses particularités, mais simplement d’en citer quelques- unes afin de mettre en exergue à la fois leur grande rareté, leur fragilité mais également l’énorme potentiel de tourisme durable qu’elles peuvent générer.

Une richesse exceptionnelle à préserver

74 Le corail, la mangrove, les herbiers de Mayotte sont des milieux d’une grande richesse, essentiels à la vie marine en général, et d’une grande fragilité. La mer abrite en outre à Mayotte des espèces marines remarquables comme des tortues, la baleine à bosse et d’autres mammifères marins.

Coraux, mangroves, herbiers : des écosystèmes remarquables mais fragiles

75 À Mayotte, la barrière récifale fait plus de 150 km de long ; elle est entrecoupée de nombreuses passes, dont la fameuse « Passe en S », qui est un site de plongée exceptionnel.

76 On y trouve des coraux en forte densité et d’une grande diversité : plus de 200 espèces ont été déjà recensées. Mais, le corail est fragile ; il est notamment très sensible au réchauffement climatique et lors du dernier épisode El Niño qui a touché Mayotte en

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1998, certaines zones coralliennes ont blanchi. Depuis, les coraux ont bien repris le dessus. Pour suivre leur vitalité et mesurer la diversité corallienne, la France a lancé l’Initiative Française pour les Récifs Coralliens (Ifrecor), qui est une action nationale en faveur des récifs coralliens des collectivités de l’Outre-mer, engagée en 1999 sur décision du Premier Ministre. Elle est portée par le ministère de l’Écologie et du Développement durable et par celui en charge de l’Outre-mer. Son objet est d’œuvrer pour le suivi et la protection des coraux. Ainsi, tous les ans, une campagne de suivi de la vitalité corallienne (reef check) est organisée à Mayotte.

77 La mangrove, quant à elle, est un écosystème original constitué d’une végétation bien particulière, en l’occurrence en général des palétuviers vivant exclusivement en zone intertidale (estran). Le rôle de la mangrove, souvent mal connu, est essentiel ; zone d’échanges d’une grande richesse biologique, elle est souvent un lieu de nourrissage, de reproduction. Elle filtre également les effluents et retient une partie des sédiments, ce qui permet d’éviter l’envasement du lagon. Les 700 ha de mangrove de Mayotte constituent donc un écosystème essentiel qu’il convient de protéger et de prendre en compte notamment dans les projets d’aménagement du littoral.

78 Les herbiers à phanérogames marines sont d’une importance écologique considérable : ils jouent un rôle essentiel dans la fixation du carbone ; ils participent également à la stabilisation des sédiments au fond. Enfin, ils constituent l’alimentation essentielle d’espèces menacées comme la tortue verte (Chelonia mydas) et le dugong (Dugong dugon). Mayotte est la seule collectivité d’Outre-mer, avec la Nouvelle-Calédonie, où le dugong est présent. Or la préservation des habitats est un facteur déterminant dans la conservation des espèces. Onze espèces de phanérogames marines ont été recensées à Mayotte. On ne trouve une telle diversité en France qu’en Nouvelle-Calédonie.

Tortues, baleines, dauphins, dugongs, raies et requins

79 Les principales tortues observées à Mayotte sont les tortues vertes et les tortues imbriquées ; les tortues vertes sont nombreuses à venir brouter les herbiers des nombreuses plages de Mayotte. C’est l’un des rares endroits où l’on peut ainsi nager avec parfois une douzaine de tortues de plusieurs centaines de kilogrammes autour de soi.

80 Nombreuses sont celles aussi qui viennent pondre sur les plages mahoraises : chaque nuit, plusieurs tortues peuvent venir pondre après avoir creusé le nid qui permettra aux œufs de couver pendant un mois environ : ainsi on peut être surpris, sur une plage, en fin d’après-midi, par des bébés tortues qui sortent de leur trou par centaines (émergences) pour rejoindre la mer et parcourir parfois de grandes distances pour rejoindre le lieu de vie de leurs géniteurs, par exemple sur les côtes africaines (Afrique du Sud, Madagascar, Mozambique, etc) (photo 5).

81 La diversité des mammifères marins est exceptionnelle à Mayotte et ce site mérite une attention toute particulière pour la recherche scientifique. Le dugong est présent, mais est devenu très rare : on n’en compte plus à Mayotte que quelques individus (entre 4 et 6). C’est une sorte de lamantin de la famille des siréniens qui se nourrit sur les herbiers de phanérogames marines.

Photo 5. – Émergence de bébés tortues.

(cliché O. Bensoussan)

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82 On trouve aussi et surtout une vingtaine d’espèces de cétacés, dont de nombreux dauphins (long bec, Fraser, péponocéphale, grand dauphin) et dont l’espèce emblématique reste la baleine à bosse. Chaque année, une vingtaine de baleines, qui vivent l’été dans l’Antarctique, remontent pour passer l’hiver austral (juin à octobre) dans les eaux clémentes du canal du Mozambique. Elles y viennent à la fois pour s’y reproduire et mettre bas. Les scènes d’accouplement sont spectaculaires car les mâles, en compétition pour féconder la femelle, sautent hors de l’eau pour montrer leur supériorité. La photo-identification des nageoires caudales permet de suivre certains individus. C’est ainsi que certaines femelles fécondées à Mayotte ont été repérées 11 mois plus tard pour mettre bas dans les eaux malgaches. Lorsqu’elles viennent à Mayotte, les baleines ne s’alimentent quasiment pas, compte tenu de la faiblesse des ressources planctoniques. Elles maigrissent donc considérablement pendant leur hivernage, notamment quand elles doivent en plus allaiter leur baleineau.

83 Enfin, parmi la faune exceptionnelle de Mayotte, on peut citer les nombreux requins : pointe noire, pointe blanche, bouledogue, requin marteau, mais aussi exceptionnellement requin-baleine. Vers mai-juin, on peut aussi voir des raies manta. Une association s’est même constituée pour les recenser (www.mayshark.org).

Un énorme potentiel pour un tourisme durable

84 Actuellement, ce qu’on peut appeler le « tourisme bleu » reste très peu développé à Mayotte malgré l’extrême richesse de son environnement marin.

85 On ne compte qu’un millier d’embarcations de plaisance, ce qui est très modeste si l’on compare ce chiffre aux autres ports métropolitains ou d’Outre-mer. La flotte de plaisance mahoraise représente 0,12 % de la flotte de plaisance métropolitaine, 31 % de la flotte de plaisance réunionnaise et 10 % de la flotte guadeloupéenne. Il s’agit d’embarcations de très petite dimension.

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86 En ce qui concerne la plaisance professionnelle, à Mayotte la plupart des activités nautiques habituelles existent : ski nautique, jet ski, pêche au gros, clubs de voile, croisières inter-îles, « safari baleines » (whale watching), et naturellement la plongée. Mais l’ensemble ne compte qu’une trentaine de structures qui emploient à peine cinquante personnes pour un chiffre d’affaires estimé à près de 4 millions e.

87 Cette faible fréquentation garantit aujourd’hui d’ailleurs une bonne protection du patrimoine naturel. Le tourisme est en effet encore bridé par des tarifs aériens importants.

88 Toutefois, compte tenu d’une part de la faiblesse des ressources propres de l’économie mahoraise, le tourisme bleu gagnerait à être développé. Mais il est important de le faire correctement. Par exemple, récemment près d’une centaine de croisiéristes, qui faisaient escale pendant quelques heures à Mayotte, ont été dirigés sur l’une des plus belles plages de Mayotte (N’Gouja) : une telle affluence, si soudaine, pouvait déranger les tortues (piétinement des herbiers, stress) qui y sont souvent présentes.

89 Le tourisme de masse n’est pas non plus la solution ; le tourisme bleu devrait donc cibler une clientèle haut de gamme. C’est le choix qui a été fait par la Tanzanie par rapport au Kenya pour l’observation des fauves. Cela implique de connaître finement la fréquentation maximale soutenable pour l’environnement, très difficile à définir. Dans ce contexte, la création d’un parc naturel marin, début 2010, décidée lors du Grenelle de la mer va permettre une meilleure protection de l’environnement, qui est la condition première d’un tourisme durable. Cela est d’autant plus important qu’il est établi que la principale menace pesant sur le lagon vient de la terre. Par exemple, il n’existe aucun système performant d’assainissement des eaux usées.

90 Au-delà, pourquoi ne pas envisager, comme en Nouvelle-Calédonie, de proposer un classement du lagon de Mayotte au patrimoine de l’Unesco ?

91 L’actualité de Mayotte est souvent dominée par la question de l’immigration clandestine : si un fort consensus existe pour lutter contre ce phénomène qui peut être une source de déstabilisation de l’île, le phénomène reste complexe à résorber. Il dépend en partie des moyens qui sont affectés à cette lutte, de la volonté réelle de la population d’y mettre un terme et de la situation aux Comores.

92 La mer est donc une frontière politique à protéger. Mais c’est aussi un espace d’échanges commerciaux qui a vocation à se développer grâce à la modernisation des infrastructures portuaires de Mayotte, qui pourrait ainsi devenir la plate-forme logistique de l’Ouest de l’océan Indien. La mer est également source de vie : elle nourrit des dizaines de milliers de personnes partout dans le monde. Ses richesses sont réelles mais fragiles : il convient de les protéger tout en essayant de les développer en parallèle d’un tourisme raisonné et durable, qui n’existe pas encore à Mayotte.

93 Après des décennies de combat, Mayotte accède prochainement au statut de Département et Région d’Outre-mer ; le prochain combat consistera pour ce joyau de l’océan Indien à se donner les moyens d’un développement économique endogène et durable qui ne pourra s’appuyer que sur son atout principal : la mer.

94 Busson Olivier, 2008 – Rapport sur l’économie maritime de Mayotte. Pamandzi : Direct

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BIBLIOGRAPHIE

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Penchard Marie-Luce, 2009 – Allocution de Marie-Luce Penchard, secrétaire d’État à l’Outre- mer. In : Colloque « Îles Éparses, Terres d’avenir ». Paris : Sénat, Palais du Luxembourg, 5 octobre 2009 : http://www.outre-mer.gouv.fr/?colloque-iles-eparses-terres-d-avenir.html

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Tanguy Hélène, 2008 – Rapport final de la mission sur le développement de l’aquaculture. Paris : ministère de l’Agriculture et de la Pêche, 62 p.

NOTES

1. . Entretien de François Baroin, Ministre français de l’Outre-mer, accordé le samedi 17 septembre 2005 au Figaro Magazine. 2. . En comparaison, le seul parc marin existant actuellement, le parc marin d’Iroise, fait 3 500 km². 3. . Le Code ISPS (international ship and port security) constitue l’ensemble des mesures que doivent prendre les responsables d’infrastructures portuaires pour parer d’éventuelles atteintes (attaques terroristes par exemple). La démarche consiste dans un premier temps à évaluer les menaces potentielles pour ensuite prendre les mesures adéquates pour y répondre. 4. . Ancien député de Mayotte, et actuel conseiller général, il est intervenu sur cette question fortement lors de la conférence sur la coopération régionale tenue à St Denis de la Réunion en mars 2006 : http://www.reunion.pref.gouv.fr/intsgar/conf/crfinal230306.pdf 5. . Le programme FADIO (fish aggregating devices as instrumented observatories) est un programme européen d’observation des phénomènes agrégatifs sous DCP. Pour une information complète :

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www.ird.fadio.fr 6. . L’accord international créant la CTOI / IOTC est entré en vigueur le 27 mars 1996. Un arrêté du 15 juin 2007 publie l’accord créant la CTOI. 7. . Voir par exemple les résolutions adoptées à Bali lors de la 13e session annuelle : www.iotc.org 8. . La pêche à la palangre est particulière : une ligne-mère de 10 à 20 km est mise à l’eau : c’est la long-line; elle porte des avançons (petites lignes) terminés par des hameçons boëttés (appâtés) avec du calamar. Des flotteurs positionnés à intervalles réguliers assurent la sustentation de l’ensemble. 9. . L’aquaculture est le terme générique qui signifie « élevage dans l’eau » (qu’elle soit douce ou salée ; qu’il s’agisse de poissons ou de coquillages). La pisciculture marine est l’élevage de poissons de mer. 10. . Hélène Tanguy, ancienne députée du Guilvinec, a été missionnée pour réfléchir aux voies et moyens de développer l’aquaculture à Mayotte.

AUTEUR

OLIVIER BENSOUSSAN Administrateur des Affaires maritimes à Mayotte ; mél : [email protected]

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Étalement urbain et transformation de la structure urbaine de deux capitales insulaires : Moroni et Mutsamudu, archipel des Comores (océan Indien)

Yann Gérard

1 La plupart des villes d’Afrique sont caractérisées depuis la seconde moitié du XXe siècle par une extension horizontale exponentielle. Cet étalement urbain, rapide et fort consommateur d’espace (dans le sens où les nouveaux secteurs urbanisés sont peu densifiés), est directement lié à l’ampleur de la croissance urbaine et à ses modalités. Ce phénomène est à l’origine de nombreuses difficultés en matière de planification, les installations spontanées s’étant multipliées alors même que la croissance de la population urbaine nécessiterait d’anticiper la réalisation des réseaux (voirie, adductions d’eau et d’électricité, assainissement) ou des équipements (services publics, commerces, etc.). L’étalement urbain peut avoir pour conséquence des phénomènes de divisions socio-spatiales (avec constitution de quartiers plus ou moins aisés), ou bien, à l’inverse (et concomitamment) favoriser le développement d’une sorte de patchwork urbain à l’aspect déstructuré et réduisant l’opposition autrefois bien marquée entre ville et campagne.

2 Les analyses qui sont faites de ce phénomène sont généralement centrées sur les exemples spectaculaires des grandes villes, de plusieurs centaines de milliers à plusieurs millions d’habitants. Les capitales africaines ont ainsi régulièrement été citées en exemple de ces espaces urbains qui « explosent » (Pourtier, 1999). Aux Comores, archipel de l’océan Indien (fig. 1), aucune ville n’atteint 100 000 habitants. Toutefois, les deux principales villes – Moroni et Mutsamudu – ont connu, au cours des quarante dernières années, une évolution spectaculaire. En fait, leur taille relativement modeste (respectivement 60 000 et 35 000 citadins) doit être considérée au regard du contexte insulaire qui fait de l’espace une denrée limitée. Ainsi, la capitale de l’Union,

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Moroni, qui concentre plus de 20 % de la population de la Grande-Comore, fait figure de macrocéphalie urbaine. De 15 ha en 1958, sa superficie est passée à 185 ha en 1982 et plus de 1 000 ha en 2007.

Figure 1. – L’archipel des Comores.

3 Ainsi, l’insularité, de part l’effet loupe qu’elle implique (Péron, 1996), renforce les problématiques et fait notamment de celle de l’étalement urbain une question centrale dans l’archipel. Comment cet étalement se manifeste-t-il dans ce contexte spécifique, où la densification apparaît d’autant plus nécessaire ? Quels changements impliquent- ils dans l’organisation urbaine ?

4 Afin de donner des clefs de lecture concernant les modalités de ce phénomène, c’est une analyse diachronique de la morphologie urbaine qui est proposée ici. Il s’agira d’abord de montrer comment, en une quarantaine d’années, les villes autrefois nettement identifiées et séparées, laissent progressivement la place à des agglomérations urbaines aux contours flous. Ensuite, en mettant en avant l’évolution des formes architecturales, c’est l’évolution de l’organisation interne des espaces urbains qui sera soulignée. Enfin, la question de l’impact des plans d’aménagement et d’urbanisme sera développée.

De la ville « emmurée » à l’agglomération urbaine

5 Les murs d’enceinte (ngome) érigés au début du XIXe siècle pour protéger les villes des razzias malgaches ont, jusqu’aux années 1950, contenu l’essentiel des habitations de Moroni et Mutsamudu (fig. 2 et 3). C’est à partir des années 1960 que les migrations en provenance des autres localités des îles se sont intensifiées, entraînant une croissance démographique rapide.

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6 À part quelques quartiers serviles composés de cases en matériaux précaires, les premiers bâtiments implantés en périphérie des centres historiques sont liés, au début du XXe siècle, à la présence coloniale : entrepôts des sociétés de plantation, services administratifs (poste, banque, etc.) ou autres infrastructures : aéroport ou marché (celui d’Itsandzoni, à Moroni, date de 1921).

7 À partir du milieu du XXe siècle, l’extension extra-muros s’accélère et de nouveaux quartiers résidentiels (liés notamment à l’arrivée de main-d’œuvre travaillant pour les sociétés de plantation) voient le jour. L’extension urbaine s’est poursuivie depuis en continu à partir des centres anciens, intégrant petit à petit des localités voisines pour finir par constituer de véritables agglomérations. Le développement des deux villes capitales (Moroni pour la Grande-Comore et l’Union comorienne, et Mutsamudu pour Anjouan) s’est toutefois réalisé de façon très différente.

Figure 2. – Croissance de l’agglomération de Moroni (Grande-Comore), 1959-1996.

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Figure 3. – Croissance de l’agglomération de Mutsamudu (Anjouan), 1959-1996.

8 Moroni n’a pas rencontré d’obstacles physiques majeurs dans une plaine (qui dépasse fréquemment les 500 m de large) bordée de coteaux peu abrupts, tandis que le site de Mutsamudu apparaît beaucoup plus contraignant. Ainsi, les pentes abruptes du N’Tingi confinent la capitale anjouanaise et les localités proches (Mirontsy et Paje) dans une plaine littorale étriquée (quelques centaines de mètres de large au mieux)1.

9 En fait, les localités voisines des deux capitales ont pu constituer des freins bien plus importants. Au nord de Mutsamudu, Mirontsy occupe une bonne partie de la plaine et reporte l’urbanisation d’autant plus loin, tandis qu’au sud, Paje a rapidement été intégrée à l’agglomération. Le développement de Moroni n’a pas connu de limite majeure vers le nord (en direction d’Itsandra), alors qu’au sud des facteurs historiques et sociaux expliquent une extension plus difficile. En effet, le quartier d’Hamramba- Maluzini, situé au sud de l’ancien aéroport, connaît une situation foncière particulière. Une partie des terres a été immatriculée par un colon qui a en finalement cédé une partie, à l’État et à des privés, alors que des habitants de la localité d’Ikoni (toute proche) revendiquent la propriété de ces terres au nom d’un droit ancestral. La rivalité historique entre Moroni et Ikoni (toutes deux anciennes capitales du sultanat de Bambao) s’est ainsi trouvée ravivée sur fond de conflit foncier et a limité l’extension dans ce secteur.

10 En définitive, des agglomérations sont constituées dès les années 1980. Le Schéma d’Aménagement d’Agglomération de Mutsamudu (1983) englobe déjà sous la dénomination « Mutsamudu » cinq localités : Mutsamudu, Sangani, Chioue, Paje et Mirontsy (Direction Générale de l’Urbanisme, .. 1983, p. 16).

11 Depuis les années 1990, l’extension de Mutsamudu est moins spectaculaire ; le comblement des zones situées entre les extensions récentes (notamment sur les coteaux) couplé à une densification, caractérise la période actuelle, donnant à l’agglomération un aspect plus compact. Moroni continue quant à elle de croître rapidement, constituant un continuum urbain avec des localités de plus en plus

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éloignées : les localités de Ntsudjini et de sont atteintes au nord et Mde au sud. Les coteaux sont peu colonisés et l’habitat y reste diffus au-delà de 80 m d’altitude même si quelques localités sont à présent très proches : Mvouni ou Tsidje par exemple.

12 L’extension des deux capitales a été contrariée par des contraintes de nature différente qui ont entraîné des ruptures au sein des zones urbanisées : pentes abruptes du N’Tingi à Mutsamudu, conflit avec Ikoni pour Moroni. La dynamique globale qui a toutefois caractérisé les deux villes a entraîné deux conséquences majeures. D’abord, les centres intra-muros qui se confondaient pratiquement avec la ville jusqu’aux années 1960, ne constituent plus, au début des années 2000, qu’une partie minoritaire de l’espace urbanisé. Ensuite, plusieurs localités, autrefois bien séparées physiquement, se retrouvent intégrées au sein d’une même agglomération urbaine.

13 En définitive, la notion de limite de la ville a radicalement changé, substituant à une distinction espace bâti / espace des champs (matérialisée par le ngome) l’urbain diffus, dont les limites sont d’autant plus floues qu’il intègre plusieurs localités. La nature même des constructions caractérisant ces nouveaux espaces urbanisés apporte une difficulté supplémentaire à cette délimitation.

Étalement urbain et mutation de l’architecture résidentielle

14 L’ampleur de l’extension urbaine, au-delà de la croissance démographique, est liée à des formes d’urbanisation très différentes de celles qui existaient autrefois. La nature des matériaux utilisés a beaucoup changé depuis 40 ans, influençant directement l’emprise au sol des bâtiments nouvellement construits et facilitant l’ajout d’étages aux constructions.

15 Les principaux matériaux caractérisant les constructions jusqu’aux années 1950 étaient liés à leur disponibilité locale. Si de nombreuses constructions intra-muros avaient des murs de pierres volcaniques, les cases étaient parfois réalisées en m’tseve (feuilles de cocotier) ou en trotro (terre), notamment pour les populations les moins aisées. Ainsi, les quartiers serviles localisés en-dehors des murs d’enceinte (Irungudjani à Moroni) sont principalement constitués de ces constructions en matériaux précaires. Ce sera également le cas pour les quartiers abritant la main-d’œuvre travaillant pour les sociétés de plantation (surtout à partir du début du XXe siècle).

16 La tôle et le parpaing se sont rapidement diffusés à partir des années 1960, en raison des nombreux avantages que leur attribuent les Comoriens : facilité de mise en œuvre, rapidité de construction et durabilité. Le développement des cases en parpaings est allé de paire avec une demande de confort accrue. Constituée à l’origine d’une case de deux pièces et d’une cour, la résidence comorienne s’est transformée et des éléments autrefois répartis dans la cour : sanitaires, cuisine, etc., sont à présent régulièrement intégrés au sein de la partie bâtie. Cette évolution remarquable prend la forme d’un certain mimétisme de normes occidentales, mondialisées à travers les médias.

17 Dans les secteurs les plus densément bâtis, les maisons peuvent être tout simplement abandonnées, car devenues trop petites à force de division entre les héritiers par exemple. Dans certains cas, le bâtiment initial en pierre est rasé et reconstruit avec des parpaings, ce qui a pour effet de réduire la largeur des murs, sans compter le rognage, au moment de l’édification des murs, sur la ruelle ou la parcelle du voisin.

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18 La tôle entre pour sa part en concurrence avec la terre et le végétal, notamment pour les résidences des populations installées à titre précaire sur une terre dont ils ne sont pas propriétaires (ce qui leur interdit de construire en dur). De nombreuses petites échoppes sont également réalisées avec ce matériau.

19 L’emploi de tôle ondulée et surtout de parpaings a permis une extension importante de la superficie des bâtiments. Dans certains secteurs urbanisés depuis 1960, la case « type » atteint 90 à 100 m2 d’emprise au sol (quartiers de Hombo ou de Chitsangani à Mutsamudu, et quartier de la Coulée à Moroni, par exemple). À titre de comparaison, l’emprise au sol moyenne des cases à Mtsangani et Badjanani (centre de Moroni) se situe entre 51 et 53 m² (Gérard, 2006). Cette évolution architecturale n’est pas seulement liée à la « couverture » d’une partie de la cour, mais également à une demande accrue d’espace intérieur, aisément satisfaite par le parpaing. Elle implique une consommation d’espace plus importante alors que les centres anciens sont saturés.

20 À l’extension horizontale des espaces urbains s’ajoute également un développement vertical des constructions. De nombreuses personnes désirant continuer à résider dans le centre ancien saturé ont dû rehausser les anciennes cases en pierre. Ce type de transformation est parfois périlleux, sans compter que les travaux sont longs et qu’ils coûtent chers, surtout si le nouvel étage est également réalisé en pierre. Les centres anciens ont ainsi changé de physionomie en une quarantaine d’années, prenant des allures de « médina » moyen-orientale (fig. 4 et photo 1). 35 % des constructions du centre de Moroni comportaient au moins un étage en 2003 2. Cette « verticalisation » des constructions est également observable dans les secteurs urbanisés récemment. Les bâtiments à étage se sont développés de façon préférentielle le long des principaux axes de circulation où les rez-de-chaussée sont souvent réservés à des activités commerciales.

21 Des types de constructions très différents alternent ainsi, de la petite case en m’tseve à la résidence de deux étages en parpaings. De plus, l’architecture résidentielle est partagée entre l’ensemble « case deux pièces + cour » de plain-pied, encore dominante il y a 40 ans, et les vastes parallélépipèdes rectangles (avec ou sans cour en fonction de l’espace disponible) en parpaings. Au sein de ces ensembles urbains, les centres anciens (en partie en ruine dans les années 1960) constituent à présent des repères morphologiques chargés symboliquement. Ils représentent le cœur de la ville et de ses traditions ; l’appartenance à un quartier du centre est un repère identitaire fort et les mosquées sont concentrées dans les centres anciens. Toutefois, la densification de l’ensemble de l’espace urbain et les transformations architecturales parfois radicales des anciennes cases pourraient bien, à terme, estomper cette spécificité morphologique du centre.

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Figure 4. – Bâtiments comportant un étage dans le centre de Moroni (Grande-Comore).

Photo 1. – Le centre de Mutsamudu depuis la citadelle de Sinéjou.

22 Cette évolution renforcera l’aspect patchwork de l’espace urbain, au sein duquel quelques secteurs relativement homogènes émergent toutefois (quartier de cases en tôle ou, inversement, dominées par le parpaing). Car cet ensemble est malgré tout rythmé par certains éléments structurels qui ne sont pas dus à un développement uniquement spontané.

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Des plans d’urbanisme qui renforcent l’étalement urbain ?

23 Les premières missions d’urbanisme ont coïncidé avec la période de démarrage de l’extension urbaine. Leur objectif principal était de planifier le développement urbain et de diffuser de nouvelles normes d’aménagement, censées mieux organiser la ville.

24 Un événement particulier, le transfert de capitale de Dzaoudzi à Moroni (échelonné entre 1958 et 1966), a initié la démarche de planification urbaine aux Comores. Ainsi, au-delà des infrastructures spécifiques à la nouvelle capitale (bâtiments ministériels, Chambre des Députés ou Palais de Justice, par exemple), les missions d’urbanisme de l’époque s’intéressent à l’ensemble de l’espace urbain, que ce soit à Moroni ou à Mutsamudu. Il s’agit notamment de réorganiser ou de planifier l’extension résidentielle : contrôler l’installation des personnes arrivant en ville est alors un objectif central.

25 D’autres Plans d’aménagement suivront, dont une série dans les années 1980 (réalisés y compris pour d’autres villes que les deux capitales). L’objectif est toujours le même : « La définition de l’affectation de chaque zone, le développement d’un réseau routier adapté, l’établissement des infrastructures urbaines techniques et des équipements sociaux, l’organisation des zones d’habitat en unités, permettant de lier directement logements, travail et services de différents niveaux » (Direction générale de l’Urbanisme, 1983, p. 24).

26 Le dernier plan d’aménagement réalisé est celui de Moroni (Plan de Développement Urbain) à la fin des années 1990.

27 Les différents documents de planification n’ont certainement pas atteint leurs objectifs de contrôle de la croissance urbaine, ce qui n’empêche pas qu’ils l’aient considérablement orientée. Ainsi, c’est le long des grands axes du réseau viaire – déjà présents dans les plans des années 1960 – que l’extension urbaine s’est concentrée à Moroni, accélérant la liaison avec Itsandra au nord. À Mutsamudu, l’extension vers l’Est, sur le plateau de Hombo, a été directement impulsée par les aménageurs. Le rôle des dessertes routières est ici essentiel : celles-ci s’inscrivent durablement dans la structure urbaine.

28 Le principe du zonage, qui prévaut en France à partir de l’après Seconde Guerre mondiale, a été largement importé aux Comores via les plans d’urbanisme. L’espace urbain est dès lors découpé en secteurs destinés à des utilisations différentes : administration, habitat social ou zone industrielle (avec désignation de réserves foncières). Les zones administratives et industrielles sont toutefois ponctuelles (quartier des Ministères à Moroni, quartier administratif de Hombo à Mutsamudu, ou zone industrielle de Mavouna à Moroni) et représentent une faible part de l’espace urbain. Ce sont les logements qui ont focalisé l’attention des aménageurs en raison des prévisions de forte croissance démographique et de l’importance du nombre de cases jugées insalubres (notamment celles en matériaux précaires).

29 À côté des quelques « cités résidentielles administratives » (la Coulée à Moroni) destinées aux fonctionnaires, des lotissements devaient constituer la trame de futurs quartiers. Les projets comportaient notamment une part d’habitat social ainsi que des équipements communautaires (école, dispensaire, poste, commerces, marché, mosquée,

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etc.). L’échec du projet de société immobilière d’économie mixte (destinée à produire les logements des lotissements prévus) explique en grande partie que les parcelles n’aient pas été bâties avant d’être cédées 3. En définitive, les terrains des lotissements (par exemple Chitsangani ou Hombo à Mutsamudu, Hadudja à Moroni) ont pu servir des stratégies clientélistes, l’attribution ou la délimitation des lots ayant donné lieu à de nombreuses tractations. Si les plans initiaux de ces lotissements n’ont pas été respectés à lettre (les équipements prévus n’ont jamais été réalisés), ces derniers sont encore repérables au sein de la structure urbaine. Ils ont ouverts à leur époque de nouveaux secteurs à l’urbanisation et ont contribué à diffuser un modèle résidentiel fondé sur de vastes villas installées sur des terrains de plus de 1 000 m². Ce sont en effet les parcelles destinées à ce type de construction qui sont actuellement les mieux « préservées ». La référence à ces quartiers aérés et à leurs grandes parcelles est d’ailleurs omniprésente dans les discours des habitants concernant l’organisation de leur ville.

30 Les Plans d’aménagement et d’urbanisme n’ont donc pas, en définitive, permis un contrôle étroit de l’extension urbaine. Les plans les plus récents (et notamment celui de 1997 concernant Moroni) appliquent toujours les mêmes recettes associant projets de réglementation et d’équipements, servitudes d’utilisation des sols, zonage (zone dite de « Moroni 2000 » au sud de la capitale) sans vraiment prendre en compte le contexte dans lequel ils s’inscrivent. C’est toute une conception de la ville et de son aménagement, empruntée à l’ex-colonisateur qui est ici perpétuée. Ce constat fait d’ailleurs écho à la démonstration de S. Dulucq (1997, p. 15) concernant les villes de l’ex-AOF :

31 « Les structures mises en place aux indépendances ont succédé en douceur aux circuits établis après 1945. […] La vision de la ville que les acteurs métropolitains véhiculaient ne fut guère « décolonisée » en 1960. »

32 S’ils n’ont pas eu les effets attendus, les plans d’aménagement urbain ont toutefois eu des impacts sur le développement urbain. Ainsi, ils ont largement influencé la direction que celle-ci prenait (à travers la trame viaire) et ont même contribué à un certain étalement en mettant en avant des modèles résidentiels fort consommateurs d’espace. La réalisation de lotissements est effectuée à présent même par des particuliers (de vastes parcelles sises à Patsy – Anjouan – sont ainsi découpées par leur propriétaire pour fournir de nouveaux terrains constructibles à des ressortissants de Mutsamudu en raison de la saturation de la capitale). L’étalement urbain sera, dans ces conditions, difficile à limiter.

33 L’extension rapide des deux principales villes comoriennes (des établissements qui occupaient des superficies de quelques hectares s’étendent à présent sur plusieurs kilomètres le long du littoral) a entraîné l’apparition d’une nouvelle échelle de l’urbain dans l’archipel, illustré par la constitution d’agglomérations urbaines. Ce développement est principalement le fruit d’une croissance résidentielle à la fois forte et consommatrice d’espace. À la demande quantitative de logements s’est effectivement ajoutée une évolution des modèles résidentiels (changement des matériaux de construction, maisons plus spacieuses) largement favorisée par les plans d’aménagement (lotissements) qui étaient censés contrôler l’extension urbaine. Le changement d’échelle des villes comoriennes s’accompagne ainsi d’une transformation profonde de leur structure. Celle-ci devient plus complexe et difficile à décrypter, à la fois parce que leur organisation interne est constituée par un patchwork de

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constructions de natures diverses et aussi en raison de limites plus floues, qui mettent à mal la distinction entre espace résidentiel et espace de travail.

34 Le caractère insulaire des deux villes comoriennes souligne également que l’étalement urbain peut s’accompagner d’une croissance verticale. La construction d’étages est effectivement un bon palliatif au manque de place. Mais cette verticalisation, concentrée dans certains secteurs (centre ancien et rues commerçantes) souligne également l’importance des effets liés à la centralité, même dans des espaces urbains de dimensions relativement modestes (du moins par rapport à d’autres capitales africaines). La concentration des activités et l’accessibilité immédiate restent des éléments structuraux des espaces urbains, même lorsqu’ils ont tendance à s’étendre de plus en plus loin. C’est d’ailleurs probablement une des raisons de la faible densification, encore aujourd’hui, du plateau de Hombo à Mutsamudu, trop éloigné et non desservi par les taxis car exclu des principaux axes de circulation.

35 Ces effets de concentration induits par l’extension rapide des espaces urbains sont bien illustrés dans les centres anciens. Ces quartiers, en grande partie en ruine il y a quarante ans, ont été densifiés, certaines maisons réhabilitées et de nombreuses rehaussées d’un étage (en particulier à Mutsamudu). Ce mouvement peut traduire des motivations diverses : une volonté de rester au cœur de la ville et des activités ou de maintenir des réseaux de relations forts et/ou de prestige attaché au centre historique. Ainsi, l’évolution morphologique des centres anciens (ruelles sinueuses et cases en pierre de plus en plus intriquées), témoignent d’une importance renouvelée de ces quartiers au sein d’espaces urbains de plus en plus vastes (alors qu’ils « étaient » la ville il y a quarante ans), polycentriques (plusieurs localités sont agglomérées) et aux contours flous. Ils émergent ainsi en tant que symbole constitutif de l’identité urbaine, bien souvent en tant que témoignage du passé et garant d’une certaine tradition alors même que c’est de leurs mutations contemporaines qu’émerge cette dynamique. Parallèlement, certaines rues commerçantes, qui concentrent l’activité, symbolisent, elles, l’inscription dans le présent de la ville.

36 En définitive, la thématique de l’étalement urbain permet de mettre en exergue les restructurations dont les villes sont le siège. C’est l’analyse de ces évolutions, qui s’expriment notamment à travers l’émergence de nouveaux repères identitaires au sein de l’espace urbain, qui mériterait à présent d’être approfondie. La lecture proposée ici fait la part belle aux éléments structurants en raison de son point de vue morphologique et de son échelle d’analyse. Elle pourrait être ainsi confrontée à une approche qui partirait cette fois-ci du point de vue des citadins, en plaçant le concept « d’espace vécu » (Frémont, 1999) au centre de l’analyse. Alors, à côté des références de chacun, il serait probablement possible de confirmer l’émergence de nouveaux repères identitaires partagés par l’ensemble des citadins.

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BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

1. . Le plateau de Hombo, qui surplombe Mutsamudu, a toutefois été urbanisé depuis les années 1960, même s’il reste déconnecté de la ville. 2. . Annexes de type chambre ou abris en matériaux précaires compris. 3. . Les projets qui ont vu le jour dans les années 1980 notamment, sous l’égide du Centre des Nations Unies pour les Établissements Humains (Projet « Assistance au Programme d’Habitat et d’Aménagement des Établissements Humains » (COI/84/001) financé par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), n’ont pas véritablement réussi non plus à passer à une phase opérationnelle.

RÉSUMÉS

La plupart des villes d’Afrique sont caractérisées depuis la seconde moitié du XXe siècle par un fort étalement urbain. Si les grandes capitales africaines ont régulièrement bénéficié d’études mettant en exergue ce phénomène, cet article s’attache à l’étudier dans le cas des petites capitales insulaires de l’archipel des Comores (canal de Mozambique). L’objectif est d’analyser les

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formes et les modalités spécifiques de l’étalement urbain dans un contexte où les dynamiques sont exacerbées (effet loupe), à travers une lecture de la morphogenèse des villes. En plus d’une extension urbaine très importante depuis quarante ans, les deux principales villes comoriennes (Moroni et Mutsamudu) ont vu évoluer leur structure urbaine de façon radicale (densification, nouvelles architectures et lotissements). Les plans d’aménagement urbain ont dans ce cadre pu jouer un rôle incitatif qui n’était pas toujours prévu dans leurs objectifs initiaux. Mais au-delà de la transformation physique, l’analyse diachronique de la morphologie urbaine permet d’ouvrir la réflexion sur l’émergence de repères nouveaux – tels que les centres historiques – pour définir un espace urbain dont les contours ont été rendus flous à mesure que l’étalement urbain prenait de l’ampleur.

Urban sprawl and morphogenesis dynamics of Moroni and Mutsamudu, main towns of Archipelago (Indian Ocean) During the second half of the XXth century, most African cities have experienced a high level of urban sprawl. In order to shift from a classical point of view that usually considers the phenomenon in the context of Africa’s main cities, this paper deals with urban sprawl in the case of the small insular capitals of the Comoros archipelago (Mozambique Channel). The aim is to analyze the patterns and specific terms of urban sprawl in a context of exacerbated dynamics (“magnifying glass” effect), questioning the morphogenesis of the cities to do so. In addition to an important extension of their urban areas during the last forty years, the two main Comorian cities (Moroni and Mutsamudu) have experienced a drastic change in their internal structure (densification, new architecture and housing estates). Within this framework, city plans have played an incentive role that had not always been predicted at the beginning. Finaly, beyond the physical mutation, the diachronic analysis of the urban morphology permits to extend the questioning to the topic of new urban identity marks –as historic centers– to define urban areas which delineation has got fuzzier as urban sprawl was occurring at a larger scale.

INDEX

Mots-clés : archipel, Comores, étalement urbain, morphologie urbaine Keywords : archipelago, Comoros, urban morphology, urban sprawl

AUTEUR

YANN GÉRARD Post-doctorant en géographie, UMR LIENSs 6250 CNRS / Université de La Rochelle ; mél : [email protected]

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Systèmes insulaires, représentations pyramidales et soutenabilité : approche comparative océan Indien/Petites Antilles

Alexandre Magnan

1 Ce travail conceptuel s’inscrit dans la continuité d’une réflexion amorcée depuis plusieurs années sur les fondements conceptuels du développement soutenable en contexte insulaire. Si d’autres publications (voir principalement : Cazes-Duvat et Magnan, 2004 a, 2004 b ; Magnan, 2007 ; Magnan et Duvat, 2008) se sont concentrées sur les principes d’intégration, d’adaptation et de résilience, celle-ci explore une modélisation du système île sous la forme d’une pyramide plus ou moins écrasée selon que le système insulaire est “simple” ou “complexe”. La démonstration s’appuie sur notre propre expérience de diverses études de cas empruntées au sud-ouest de l’océan Indien (Seychelles, Maurice, Maldives, Rodrigues, la Réunion) et au nord du bassin Caribéen (Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Anguille). Il s’agit notamment de répondre à la question du lien pouvant exister entre, d’une part, la dimension et la configuration du système insulaire et, d’autre part, la soutenabilité de son mode de développement. La finalité de cette démarche est d’apporter de nouveaux éléments de réflexion susceptibles de contribuer à définir une typologie des espaces insulaires qui ne dépende pas d’un seul angle de lecture (environnemental, économique, socioculturel), mais qui au contraire les embrasse tous.

L’île est un système

2 Cette affirmation s’est vue banalisée au point qu’on en oublie souvent les fondements. Sur quelles caractéristiques intrinsèques à l’île (et plus généralement à l’insularité) repose cette idée qu’il s’agit par nature d’un système ? N’est-ce dû qu’à la

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circonscription par l’océan, à l’heure où l’avion pose la question même de « l’insularité insulaire » ?

3 Cette étape vise un double objectif. Le premier consiste à brièvement rappeler ce que « système » et « insularité » signifient. Le second, au-delà de démontrer en quoi l’île est un système, introduira le modèle pyramidal comme représentation de l’insularité, posant alors les bases de réflexion de cet article.

Du système et de l’insularité …

Système

4 Le système peut se définir comme une entité (plus ou moins matérialisée) reposant sur la convergence d’un ensemble d’éléments de natures diverses, qui ne répondent pas aux mêmes logiques de fonctionnement et dont les intérêts peuvent être différents, autour d’enjeux communs, soit que ces éléments partagent un même espace, soit qu’ils relèvent d’un même contexte (naturel, politique…) (Péguy, 1996). Schématiquement, on peut dire que l’équilibre du système et son évolution – ensemble, ces deux aspects fondent la soutenabilité – reposent sur trois grands principes. Le premier est celui « d’intégration » qui exprime le mécanisme de convergence des différents éléments composant le système autour de problématiques partagées. Ainsi la formule d’intégration du système repose-t-elle nécessairement sur les modalités de coordination des diverses composantes. Nous proposons d’appeler cela le « compromis du développement », lequel définit l’équilibre global du système. Or, cet équilibre est nécessairement en perpétuelle évolution, de même que chaque composante évolue elle- même au fur et à mesure de son inscription dans le système. Dès lors, la coordination d’ensemble se doit elle-même d’être dynamique et elle ne peut pas de fait s’affranchir d’une adaptation de chaque élément à la dynamique d’ensemble, comme d’ailleurs du système général aux évolutions des environnements proches et indirects. « L’adaptation » est donc un second principe de soutenabilité. Enfin, le concept de « résilience » clôt cette trilogie en caractérisant l’ensemble des processus « naturels » de retour à l’équilibre, qu’ils concernent des composantes naturelles ou humaines (Dauphiné et Provitolo, 2007), faisant ainsi le lien entre adaptation et intégration. Ces trois principes interdépendants constituent un cadre de lecture et de suivi de l’évolution du système (Cazes-Duvat et Magnan, 2004 b ; Magnan et Duvat, 2008).

L’insularité

5 Notre parcours nous a amené à nous intéresser aux îles et plus largement à l’insularité. Ce vieux débat géographique 1 a fait couler beaucoup d’encre sans pour autant être clos aujourd’hui. La notion d’insularité repose intrinsèquement sur celle d’isolement, laquelle n’est cependant pas plus clairement définie. L’isolement est-il physique (cas des îles ou des oasis dans le désert), socioculturel (les minorités ethniques, par exemple) ou économique (groupes marginaux…) ? Il est probablement les trois à la fois, ce qui complexifie à l’envi l’objet d’étude. Mais une chose est sûre, l’insularité n’est pas spécifique aux îles, de même que toutes les îles ne répondent pas avec la même intensité à la notion d’insularité. Il n’y a pour s’en convaincre qu’à tenter de comparer, par exemple, l’île de Ré, territoire français relié par un pont au continent, à l’île

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Rodrigues, entité marginale d’un archipel politique en voie de développement. Les îles sont plurielles, tout comme le sont les formes de leur(s) insularité(s).

6 Loin de chercher à pousser la recherche des limites épistémologiques de l’insularité – nous n’en avons ni la prétention, ni la carrure scientifique – il nous semble intéressant de faire référence à l’insularité en ce sens que les espaces qui en relèvent présentent des limites spatiales plus ou moins marquées (cas des îles, des oasis, ou encore des plates-formes pétrolières) qui permettent de circonscrire, au moins de manière théorique, un ensemble d’éléments d’origines variées mais participant d’une même dynamique territoriale. Ainsi, l’insularité est propice à l’étude du fonctionnement et des logiques de viabilité des systèmes, et les îles en sont des exemples intéressants.

… Au système insulaire

7 Dans l’île, tout évolue conjointement, ne serait-ce que parce que la circonscription de l’espace génère des effets de retour qui, dans des contextes continentaux, peuvent se diluer au-delà de frontières immatérielles sans se répercuter sur le milieu et/ou la société d’origine. C’est ce qui explique que l’endémisme soit caractéristique, en milieu insulaire, de nombre de composantes faunistiques et floristiques, ce raisonnement pouvant parfois s’appliquer aux communautés humaines (Benoist, 1987 et 1989 ; Bonniol, 1987 ; Fleischmann, 1987 ; Jardel, 1987). Bien que l’époque contemporaine ait chamboulé ce schéma aujourd’hui jugé simpliste (Bernardie-Tahir, 2005), il n’en reste pas moins que les îles se prêtent aux travaux de modélisation. Ainsi avons-nous choisi ici de représenter l’île par une pyramide (fig. 1) dont la base symbolise le territoire en lui-même (la nature d’île et son type de peuplement), et chacun des côtés une interface précise du système insulaire : environnementale, socioculturelle, économique et (géo) politique. Bien entendu, ces interfaces ne peuvent pas être, si clairement, distinguées dans la réalité, mais c’est le jeu de la modélisation que de dissocier pour mieux comprendre.

8 Figure 1. – La représentation de l’île sous la forme d’une pyramide.

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9 L’intérêt de la représentation pyramidale est de faire de l’intérieur de ce polyèdre l’espace de représentation de toutes ces interactions, entre nature et société, et éventuellement entre les différentes communautés. Dans un tel schéma, la formule de développement choisie est visualisée par un point représentant la zone de recoupement des intérêts environnementaux, socioculturels, économiques et (géo) politiques. Ce point se localise précisément au centre de gravitéde la pyramide lorsque le schéma de développement est dit « soutenable », autrement dit lorsqu’un « compromis de développement » viable a été trouvé entre les différentes composantes du système. Dans cet esprit, un système privilégiant ses vocations économiques au détriment de ses aspirations socioculturelles ou des équilibres environnementaux tendra à voir son centre de gravité migrer vers la face « économique » de la pyramide, faisant basculer celle-ci (fig. 1) et donnant l’image d’un système mal équilibré.

10 Mais affranchissons-nous maintenant du point d’équilibre du système « île » pour se concentrer sur la représentation pyramidale en elle-même (le contenant). Car dès lors qu’on compare des îles entre elles, il apparaît que toutes ne peuvent pas être représentées par la même pyramide et qu’interviennent des variations à la fois de hauteur et de dimensions de la base. Ce sont ces différences entre les îles qu’interrogent les deux points suivants.

Les représentations pyramidales des îles du Sud- Ouest de l’océan Indien et du Nord des Petites Antilles

11 Nous entendons par « représentation pyramidale » la représentation en trois dimensions du fonctionnement d’un système, à la fois cause et fruit de ses caractéristiques naturelles (configuration territoriale, superficie, richesse en ressources…) et anthropiques (fondements culturels, modes de gestion, choix économiques …).

Les trois dimensions de la pyramide : éléments de caractérisation

12 Si nous venons de préciser pourquoi la forme pyramidale est pertinente pour représenter le système « île », il s’agit maintenant de ne plus focaliser l’attention sur les surfaces de la pyramide (une base, quatre faces) mais sur ses lignes, à savoir la largeur et la longueur de sa base, puis sa hauteur. Nous renvoyons ainsi à une triple hypothèse conférant au modèle pyramidal une « empreinte spatiale », une « épaisseur humaine » et un « étirement hiérarchique » (fig. 2). Ces trois familles font référence aux structures spatiale, identitaire et démographique, puis économique de l’île.

13 La nature du lieu, en tant qu’espace – support et espace – ressource déterminant des contraintes et des potentialités en matière de développement, confère à la pyramide une largeur de base particulière. On parlera « d’empreinte spatiale » [Es] (fig. 2). On l’appréhendera notamment par la superficie de l’île, même s’il conviendra plus loin d’intégrer des notions relatives aux biodiversités terrestre et sous-marine, par exemple, ou encore à la configuration du territoire en distinguant les entités insulaires des archipels.

14 Une deuxième variable fait référence à « l’épaisseur humaine » [Eh], soit les caractéristiques générales de la population occupant l’île. Celles-ci sont principalement

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d’ordres identitaire (valeurs culturelles, enracinements historiques, homogénéité ethno-religieuse…) et démographique (nombre d’habitants, distribution spatiale, rapport urbain/rural, répartition socioprofessionnelle…). Ensemble, ces traits définissent ce qu’on a appelé ici l’épaisseur du système insulaire, en référence aux épaisseurs historique et culturelle d’un territoire qui expliquent en partie ses traits actuels (Diamond, 2000). Cette épaisseur est représentée par la longueur de la base pyramidale. Ainsi, [Es] et [Eh] caractérisent le contexte de base du système insulaire (dimensions spatiales, traits identitaires et démographiques).

15 La troisième dimension, celle de la hauteur de la pyramide, représente la structure économique sur laquelle repose la stratégie de développement du territoire insulaire. Elle se caractérise par le statut de l’île (île privée, louée, publique) et son système de gestion, ou encore par le degré de diversification économique (plusieurs piliers ou un seul). Ces aspects expliquant en partie l’organisation de la société, on parlera ici de « l’étirement hiérarchique » [H] du système insulaire.

16 L’agrégation de [H] à [Es] et [Eh] amène à parler de « complexité » [C] du système pyramidal, introduisant ainsi des différences de représentation d’une île à l’autre. Au sein des bassins indo-océanique et caraïbe, les régions sud-ouest et nord fournissent une variété de situations insulaires intéressante pour tenter une application de ce modèle théorique. Deux grandes catégories ont été retenues dans le cadre de cette publication, qui distingue les systèmes « simples » (entités de taille variable mais à monoactivité économique) des systèmes « complexes », et dont les pyramides hiérarchiques sont plus ou moins écrasées. Les contextes archipélagiques amèneront à nuancer cette classification.

Figure 2. – Dimensions et variabilité du modèle pyramide.

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Les systèmes « simples »

17 Les systèmes « simples » sont nommés ainsi en référence à la faible diversification de leur structure économique, ce qui tend à limiter la hauteur [H] de la pyramide. Cette situation correspond généralement à des entités de taille modeste à très petite, comme c’est particulièrement le cas de la grande majorité des îles-hôtels, ou encore d’îles secondaires au sein de leur bassin régional.

18 Les îles-hôtels sont quasiment des figures emblématiques de représentations pyramidales écrasées, bien que la hauteur de la pyramide puisse varier d’un cas à un autre. Les propriétaires de l’île de Bird (1 km2) ont développé, au début des années 1970, un produit touristique haut de gamme, seule véritable activité économique. Seychellois eux-mêmes, ils n’emploient que des Seychellois, dont certains depuis dix à vingt ans, qui vivent la plupart de l’année sur l’île. Un rapport direct et intime s’est développé dans cette « île du bon sens » (Cazes-Duvat et Magnan, 2004 b) entre les propriétaires, les employés et le gérant de l’hôtel, encore une fois un Seychellois, ami de longue date. La gestion du quotidien en est d’autant plus souple, et on peut parler de pyramide très écrasée (par exemple le type (a) de la fig. 2). Le modèle est plus étiré (fig. 2 type (b)) dans les cas d’autres îles-hôtels, comme celles de l’archipel des Maldives (87 entités dont la surface moyenne est inférieure à 1 km2). Dans la plupart des cas, les travailleurs sont pour moitié étrangers, de même que le sont le gérant et les promoteurs touristiques (groupes internationaux). Bref, toutes les conditions sont réunies pour qu’une hiérarchie marquée s’instaure. La pyramide prend alors de la hauteur, mais sa verticalité reste relativement modeste du fait de l’exclusivité de l’activité touristique et de la configuration physique relativement étriquée de l’île.

19 Plus vastes sont les îles comme Rodrigues, Anguille ou Saint-Barthélemy. Elles ont en commun d’être relativement secondaires dans leur contexte régional et de disposer d’une structure économique peu diversifiée. Si Rodrigues (110 km2, 36 000 habitants), dans le sud-ouest de l’océan Indien, est la deuxième terre émergée de la République de Maurice, elle est excentrée par rapport au duo dominant constitué des îles Maurice et de la Réunion. Mais surtout, elle est considérée depuis près de deux siècles par l’île principale, Maurice (90 % de la surface émergée de l’archipel comme de sa population), comme un parent pauvre. Sans compter qu’elle possède une population d’origine africaine alors que les Mauriciens sont à plus de 70 % de souche indienne. Ces éléments expliquent que Rodrigues soit restée en marge du développement, qu’elle n’ait bénéficiée que de maigres aménagements, que l’économie agricole n’y ait jamais décollé et que le tourisme n’en soit qu’à ses balbutiements. Sa pyramide est, par conséquent, écrasée (fig. 2 type (d)) bien qu’elle soit, comme sa base, plus développée que dans le cas des îles-hôtels. Un effet de taille évident joue ici, pondéré par le fait que la hiérarchie au sein de la société rodriguaise est moins marquée qu’à Maurice où les ambitions de développement poussent aux concurrences économiques, éducatives et sociales (Nababsing, 1999).

20 Ainsi Rodrigues ressemble-t-elle par ces aspects à l’île caribéenne d’Anguille. De superficie relativement équivalente (91 km2), celle-ci constitue cependant un État indépendant depuis les années 1980. Mais une histoire mouvementée et là encore marquée par la domination d’une autre île, celle plus méridionale de Saint-Christophe (Brisk, 1969), a eu pour effet d’y inscrire des retards de développement considérables (notamment en matière de routes, de réseaux d’électricité et d’eau, et d’infrastructures

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aéroportuaires et portuaires). Par ailleurs, des conditions naturelles peu favorables y ont très tôt limité les perspectives agricoles, obligeant les jeunes à émigrer (Sandiford, 1992). Ces deux éléments ont eu un double effet sur la situation anguillaise actuelle. D’une part, l’économie de l’île repose essentiellement sur le tourisme, bien que l’île reste une destination marginale en termes quantitatifs au sein des Petites Antilles du Nord. D’autre part, la société anguillaise (12 000 habitants) est peu hiérarchisée, avant tout parce que la terre est répartie équitablement entre tous les habitants depuis plusieurs siècles, ensuite parce que l’île a connu une modeste émancipation économique. Le système anguillais peut donc être représenté par une pyramide à base plus large que celle des îles-hôtels, mais avec guère plus de hauteur (fig. 2 type (d) ou (e)).

21 Enfin, le cas de Saint-Barthélemy (24 km2, environ 7 000 habitants) se pose à la lisière des systèmes « simples ». Certes la communauté Saint-Bart est relativement peu hiérarchisée en raison d’un passé fait d’agriculture et d’isolement (Lasserre, 1961), et la diversification économique est encore embryonnaire (domination du tourisme), mais son appartenance à la France y a imposé, même tardivement (Seners, 1999 ; Hyest et al., 2005), une administration de pays développé. De même que le fort taux de résidences secondaires (entre 15 et 20 % selon l’INSEE), par ailleurs luxueuses, déstabilise inévitablement l’homogénéité culturelle et socioéconomique caractéristique d’avant la seconde moitié du XXe siècle. En conséquence de quoi on peut conférer à la représentation pyramidale de Saint-Barthélemy une hauteur proportionnellement plus importante qu’à celle d’Anguille ou de Rodrigues (fig. 2 type (f) par ex.).

Les systèmes plus complexes

22 Les systèmes « complexes » sont souvent l’apanage de contextes insulaires plus grands et plus peuplés, notamment parce que cela leur confère des potentialités naturelles, des réserves d’espace et une masse de population plus importantes, rendant davantage possibles que dans le cadre de la micro-insularité la diversification économique et les économies d’échelle.

23 L’île de Saint-Martin se positionne, à l’image de Saint-Barthélemy dans la catégorie des systèmes « simples », à la limite des systèmes « complexes ». Si sa superficie n’est guère plus importante que celle d’îles présentées précédemment (près de 90 km2), la complexité de sa structure économique, même dominée par le tourisme, et l’hétérogénéité de sa population lui confèrent une double distorsion pyramidale par rapport à un modèle de référence à base carrée et à faces équilatérales (« l’île idéale » ?). Une histoire économique récente, fondée sur un opportunisme fiscal s’étant exprimé tant dans le secteur touristique que dans des domaines plus illicites (trafic de drogue, blanchiment d’argent…), a conduit à une relative anarchie territoriale (Redon, 2006). Cela se traduit dans la modélisation par un étirement de la hauteur de la pyramide représentative de Saint-Martin (fig. 2 type (c)) bien plus conséquent que dans le cas anguillais, par exemple, dont la superficie insulaire est comparable. Une seconde distorsion concerne l’épaisseur humaine [Eh]. L’ouverture économique initiée par la loi Pons de défiscalisation de 1986 a généré une croissance hôtelière considérable, entraînant dans sa course le secteur de la construction. Or, l’île manquant de main- d’œuvre, des émigrés clandestins sont arrivés en masse d’îles proches très pauvres comme Haïti et la République Dominicaine. L’explosion économique s’est traduite en

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une explosion démographique qui s’est réalisée dans l’hétérogénéité la plus complète. Et aujourd’hui, les contrastes sont extrêmement forts tant sur les plans économique que socioculturel entre les différentes composantes de la population « saint- martinoise ». Cette situation explique un étirement horizontal de la représentation pyramidale de Saint-Martin. On est loin du modèle « de référence » aux mensurations proportionnelles.

24 Des îles aux bases pyramidales plus épatées comme la Réunion (2 500 km2, 780 000 habitants) et surtout Maurice (1 860 km2, 1 200 000 habitants) présentent des configurations plus équilibrées, en tout cas moins déséquilibrées. Le statut de département français dont relève la Réunion lui confère à l’évidence une stabilité comparable à celle qu’on pourrait rencontrer sur le sol métropolitain. Si la pluralité ethnoculturelle est connue à la Réunion, elle n’est que peu facteur d’instabilité dans la mesure où les communautés ne se mélangent guère entre elles et où la vie collective est régulée par un mode de vie européanisé. Une administration à la française ainsi qu’une certaine diversification économique (tourisme, agriculture, industrie et … transferts sociaux) contribuent également à réguler les inégalités et les tensions sociales. Il s’agit au total d’un système relativement homogène, même si cette situation est artificielle compte tenu qu’il s’agit d’une île non indépendante bénéficiant des multiples appuis d’une grande nation (Gay, 2008). La pyramide réunionnaise pourrait donc se rapprocher de la configuration (g) de la figure 2, en rappelant cependant une fois de plus l’artificialité du rapport de proportion entre empreinte spatiale, épaisseur humaine et étirement hiérarchique.

25 Le cas de l’île Maurice est en ce sens peut-être plus clair, puisqu’il s’agit quasiment d’une entité étatique qui a dû apprendre à se débrouiller seule. Sa pyramide ressemble également à la configuration (g), notamment grâce une économie à trois piliers (tourisme, industrie, agriculture).

Les archipels entre deux eaux : des systèmes semi-complexes ?

26 Si les îles-hôtels ont été considérées indépendamment alors qu’elles appartiennent à des archipels, c’est parce que ce mode de mise en valeur fonctionne sur un schéma différent du contexte dans lequel il s’inscrit (Magnan, 2005). Aux Seychelles, les îles- hôtels sont plus ou moins privatisées et aux Maldives, si les îles restent la propriété de l’État, elles sont développées et gérées par des promoteurs étrangers qui ne se sentent que peu contraints par les recommandations nationales, en matière d’aménagement par exemple, tant leur poids économique les met à l’abri d’éventuels contrôles. Pourtant, pris dans leur ensemble, les archipels posent un problème. Celui des Maldives, par exemple, se caractérise par une population très homogène culturellement (100 % musulmane), par une non-diversification économique problématique (là encore le tourisme domine) et par une surface émergée très modeste (moins de 300 km2 dont près de 115 habités). On serait donc tenté de représenter les Maldives par une pyramide écrasée. Pourtant, sa configuration territoriale éclatée (1 200 îles, en moyenne 0,5 km2 pour les 200 îles habitées) et étirée (800 km du Nord au Sud, 300 d’Est en Ouest) limite l’effet de « cohérence » caractéristique d’une pyramide à petite base et à hauteur modeste. Le modèle à base très étirée semblerait donc mieux convenir à l’archipel maldivien (configuration (d) de la fig. 2).

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27 Il en va de la même logique pour l’archipel seychellois, bien que sa population soit culturellement très homogène, qu’elle se concentre sur trois îles principales elles- mêmes proches les unes des autres (Mahé, Praslin, la Digue), et que le tourisme y soit depuis les années 1970 la principale activité économique (Doumenge, 1989 ; Gay, 2004). Sans compter que le gouvernement a exercé dès l’Indépendance (1968) une autorité ayant inhibé les émancipations intellectuelle et entrepreneuriale, conduisant aujourd’hui à une société étonnamment égalitaire d’un point de vue socioculturel. Là encore, la tentation est forte de dessiner une pyramide écrasée qualifiant un système « simple ». Et pourtant, le relatif éclatement territorial conduit à une pluralité de situations insulaires, avec trois grands types : les îles granitiques centrales, les îles coralliennes privées, les îles coralliennes périphériques inhabitées. Cela pose tout simplement la question de savoir si les Seychelles ne seraient pas mieux représentées par trois modèles pyramidaux différents : à base bien plus restreinte pour les îles coralliennes que pour les granitiques, et aux hauteurs pyramidales variables de quasi nulle pour les îles éloignées (Aldabra, Assomption, Cosmoledo, Farquhar, Providence, Poivre…) à plus élevées pour les îles centrales.

28 L’archipel fait donc par nature figure(s) de monde complexe.

Hiérarchie pyramidale et soutenabilité : éléments de discussion

29Cette tentative de typologie des îles à partir de leur représentation pyramidale invite à ce stade à deux questionnements principaux. Le premier en réfère au type de relation qui lie degré de complexité du système et stabilité de celui-ci. L’analyse établit ici que la soutenabilité d’un système est avant tout liée à la proportionnalité des dimensions de sa pyramide hiérarchique, autrement dit à la cohérence d’ensemble de son schéma de développement. Le second point traite des facteurs qui influent sur la représentation pyramidale, le but étant de poser des bases de réflexion quant à la mise en place, dans des travaux ultérieurs, d’une méthodologie d’évaluation de la soutenabilité des petits systèmes insulaires.

Les systèmes « simples » sont-ils les plus stables dans le temps ?

30 La question de fond est la suivante : la relation entre la complexité du système et la soutenabilité de son développement est-elle inversement proportionnelle ? Autrement dit, les systèmes « simples » sont-ils les plus « durables » ? On pourrait a priori être amené à répondre par l’affirmative, mais ce serait faire preuve de naïveté. En réalité, plus le système est « simple », c’est-à-dire plus les relations entre ses diverses composantes sont directes, plus il est réactif aux perturbations. Cela est vrai tant en termes de déséquilibre du système qu’en matière de rééquilibrage, ce que montrent très bien les contrastes entre les îles-hôtels (Magnan et Duvat, 2008).

31 Dans le cas d’un système complexe dans lequel chaque composante n’est pas reliée de manière relativement directe à toutes les autres, le temps de latence en matière de

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réponse à une perturbation est plus grand, tout simplement parce que la chaîne de réactions tend à être d’autant plus conséquente que le système est complexe. Cela se traduit par des processus dont la plupart des effets ont tendance à ne pas se faire sentir sur le court terme. Il y a derrière cela le principe du jeu des dominos, qui dure plus ou moins longtemps selon la longueur de la ligne de dominos levés. C’est par exemple ce qui explique que les conséquences de la submersion générée aux Maldives par le tsunami de décembre 2004 ont tout autant été d’ordre économique que strictement environnemental, allongeant d’autant plus la « durée de vie » de cet événement. L’exemple de la crise financière mondiale qu’on connaît actuellement est encore plus frappant.

32 Ainsi, pour résumer, on peut schématiquement dire que les évolutions des systèmes complexes tendent à être plus lentes que celles des systèmes plus simples. Il semble donc y avoir une relation de proportionnalité entre degré de simplicité du système et rapidité des évolutions. Mais cela ne signifie aucunement que les systèmes simples sont plus « solides » et « durables » que d’autres, dans le sens où s’ils possèdent une résilience plus active – au moins sur le plan théorique – que des systèmes plus « lourds », ils peuvent également plus aisément être déstabilisés. Il n’y a donc pas de proportionnalité entre le caractère plus ou moins étiré de la pyramide (et sa taille en général) et la soutenabilité du schéma de développement du système considéré.

33 Les cas d’Anguille et de Rodrigues, d’une part, et de Saint-Barthélemy, d’autre part, présentent deux configurations territoriales relativement comparables, et pourtant leurs pyramides diffèrent, la seconde ayant une base plus petite et proportionnellement plus étirée. Cela est dû au fait que les populations anguillaises et rodriguaises sont plus homogènes que celle de Saint-Barthélemy dans la mesure où, marquées par une réputation moins prestigieuse (cela est particulièrement vrai pour Rodrigues qui est quasiment méconnue), leur attractivité touristico-résidentielle est moindre 2, ceci bénéficiant indirectement à une certaine homogénéité culturelle et socioéconomique. Cette remarque introduit l’idée que l’étirement de la hauteur pyramidale n’est pas systématiquement favorable à la stabilité du système. Elle peut même parfois y être défavorable comme le montrent les situations de la très grande majorité des îles-hôtels maldiviennes, dans lesquelles une forte volonté de hiérarchisation exacerbe les rapports de force entre micro-communautés. Cela conduit à des taux de rotation du personnel quasi vertigineux et a pour conséquence indirecte de nuire à la stabilité d’un produit touristique se voulant pourtant de haute qualité (ce qui suppose de la constance). Au total, une hauteur pyramidale trop développée par rapport aux dimensions de la base du modèle conduit à un déséquilibre, le risque étant ici le déclin de la réputation de l’île-hôtel auprès des tours opérateurs et, à terme, la fermeture de l’établissement. À une autre extrémité, le cas mauricien, qui fait ici figure de géant, propose un schéma de développement relativement stable, puisqu’il mêle à la diversification économique une certaine homogénéité de la population – pluriethnique mais réunie autour des « enjeux du développement » (Magnan, 2005). Et ce malgré une superficie dont la modestie faisait dire aux économistes européens des années 1960 que l’Indépendance nationale serait vouée à l’échec.

34 Une telle diversité de configurations mène à conclure sur l’hypothèse suivant laquelle un système stable – la stabilité, à condition d’être dynamique, est garante de soutenabilité – repose sur des proportions pyramidales cohérentes, soit globalement sur une base de forme carrée et des faces équilatérales. Faire référence à la

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proportionnalité des dimensions pyramidales présente pour principal intérêt dans les travaux de comparaison sur la soutenabilité des systèmes insulaires, de permettre de s’affranchir des effets de taille. Peut-être faudrait-il imaginer des formules permettant de quantifier le déploiement des interfaces économique, environnementale, socioculturelle et (géo)politique afin de calculer un « degré de cohérence pyramidale ». L’hypothèse défendue à travers ce texte est qu’il est préférable (car a priori plus aisé) de mesurer [Es], [Eh] et [H], la multidimension [C] ne faisant plus alors référence à la « complexité » mais à la « cohérence », en l’occurrence ici territoriale.

Les facteurs qui influencent l’évolution du modèle pyramidal

35 La réflexion précédente débouche sur un double questionnement. D’une part, existe-t-il des seuils de disproportion (par exemple : [H] >> [Es] et [Eh], ou [Eh] << [Es] et [H]) à partir desquels l’équilibre d’ensemble est rompu ? D’autre part, quels facteurs influencent la variation dans le temps des différentes dimensions de la pyramide du système ? Ce point mettra de côté le premier questionnement pour se concentrer sur le second.

36 En référence aux trois dimensions de la représentation pyramidale des îles, trois grandes familles de facteurs peuvent être distinguées qui peuvent elles-mêmes être subdivisées en trois facteurs généraux. Cela nous conduit à proposer une modélisation du fonctionnement pyramidal, en épousant cette fois-ci l’image d’un rubick’cube (fig. 3).

Figure 3. – De la pyramide au rubick’cube, de la Complexité à la Cohérence territoriale.

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L’espace en tant que tel

37 La première famille de facteurs est donc celle de l’empreinte spatiale [Es] du territoire, et plus précisément de la nature intrinsèque de l’espace sur lequel s’est développée une société donnée. Cette famille regroupe trois éléments de caractérisation de « l’espace géographique » qui, ensemble, permettent de comprendre quelles contraintes la nature impose au développement humain.

38 Le premier élément fait bien entendu référence à la « superficie insulaire », car une île de moins de 1 km2 ne présente à l’évidence pas les mêmes potentialités qu’une île de plusieurs centaines ou milliers de km2. Si un effet initial de taille joue incontestablement, ce déterminisme est à nuancer : les exemples des Seychelles granitiques ou de Saint-Martin, comme d’autres, rappellent que des contraintes orographiques notamment s’imposent. Ainsi vaudrait-il mieux faire référence, non pas à la superficie insulaire dans son intégralité, mais à la « surface utile », c’est-à-dire schématiquement à la part d’espace qui représente un potentiel d’exploitation et donc d’aménagement. Il s’agira, par exemple, des zones planes à moyennement pentues. Mais cette notion « d’utilité » est à manier avec précaution car ses fondements sont variables d’une société à une autre. On pensera, par exemple, aux étonnantes cultures en terrasse de la communauté Una de l’Irian Jaya central (Indonésie), groupe contraint par l’omniprésence de pentes quasi verticales.

39 Un deuxième facteur constitue une extension du précédent, affinant ainsi la notion de « surfaces utiles ». Il s’agit de la « configuration du territoire ». L’éclatement territorial des archipels est, sans aucun doute, nettement plus contraignant, à superficie d’ensemble comparable, que l’unité des entités insulaires dans le sens où il tend à démultiplier les coûts d’équipement des zones habitées, d’autant plus lorsque celles-ci se disséminent. Le cas maldivien est, sur ce point, exemplaire (Cazes-Duvat, 2001 ; Magnan, 2005).

40 Enfin, un troisième élément paraît important, qui fait référence à la notion de ressources, elle-même impliquant des potentialités d’exploitation plus ou moins développées. Là encore, il s’agit d’une donnée délicate à manipuler, car sa définition varie fortement d’un système de valeurs à un autre, et avec elle les éléments de nature qu’on y inclue. Dans cette première approche, nous en resterons à une vision très généraliste de ce facteur en rapprochant ce « potentiel ressources » du niveau de biodiversité du territoire.

La nature et l’organisation de la société

41 L’autre grande famille est celle des facteurs d’épaisseur humaine, dimension [Eh] de la représentation pyramidale. Et là encore, trois éléments de caractérisation ont été identifiés.

42 La masse globale de population, tout d’abord, qui définit (en lien avec les éléments ci-dessus) la pression anthropique d’une société sur le territoire qu’elle occupe. Mais comme pour le facteur « superficie insulaire », cette vision est trop globale pour ne pas attirer les critiques. En réalité, deux groupes de taille équivalente évoluant sur deux espaces aux dimensions semblables ne construisent pas les mêmes modèles de développement et ne sont pas confrontés aux mêmes types de problèmes (Diamond, 2006). Cela est dû bien sûr à la nature intrinsèque des lieux (facteurs

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précédents), mais également à celle de la société en elle-même. Cette réserve amène donc à inclure dans la réflexion deux autres facteurs.

43 Celui de la répartition spatiale du peuplement, tout d’abord, autrement dit du mode d’occupation de l’espace : il détermine en effet les jeux de pression sur l’espace, lequel est alors découpé suivant les vocations (le plus souvent économique et/ou culturelles) que le groupe lui reconnaît. Schématiquement, si s’intéresser au niveau général de pression d’une île est utile, comprendre la spatialisation de cette pression l’est encore plus. La densité moyenne de population aux Maldives est officiellement de 900 hab./km2. Mais ce chiffre ne présente cependant aucun intérêt dans la mesure où, d’une part, il englobe l’ensemble des îles de l’archipel sans tenir compte seulement de celles qui sont habitées (la densité s’élève alors à 2 350 hab./km2) et où d’autre part, il ne fait aucune distinction entre les îles peu habitées et celles qui sont largement surpeuplées (de 400 hab./km2 à 39 600 hab./km2 dans la capitale Malé et 75 000 hab./ km2 sur la micro-île de Kadholhudhu). Définir des indicateurs – échelle du sous- facteur – suppose donc de manipuler les chiffres avec grande précaution.

44 Enfin, le dernier facteur caractérise les niveaux d’homogénéité culturelle et socioéconomique de la population, soit schématiquement les bases d’une identité collective. Ce ne sont pas à notre sens les différences en elles-mêmes qui peuvent exister entre plusieurs individus d’un même groupe (croyances, revenus, position sociale…) qui sont un facteur d’instabilité collective, mais davantage les formes d’expression de ces écarts. Ce sont donc elles qui caractérisent la structure du groupe et son fonctionnement. Autrement dit, l’analyse doit prendre en compte la cohérence sociétale d’ensemble et non spécifiquement celles des micro-communautés (à moins de resserrer l’échelle de lecture).

La stratégie de développement

45 La troisième et dernière famille renvoie donc à l’étirement hiérarchique [H] de la représentation pyramidale, dimension qui s’articule schématiquement autour de trois facteurs.

46 En premier lieu, le niveau de développement, qui pose un cadre tout aussi général que la superficie insulaire ou la taille de population, mais également tout aussi insuffisant. S’il confère globalement au territoire des capacités financières et (géo)politiques, ces moyens ne déterminent pas en eux-mêmes le devenir d’une société. En revanche, ils influencent – mais ils en sont également le fruit – la stratégie de développement adoptée, et notamment ses choix économiques et son organisation interne.

47 Les choix économiques, à l’image de l’homogénéité culturelle et socioéconomique, sont surtout importants pris dans leur globalité. Ce n’est pas tant l’orientation vers un secteur d’activité précis qui est à privilégier (même si certains domaines sont évidemment plus porteurs que d’autres), mais la mise en œuvre d’une réelle diversification économique. Car à la diversité des modes de création de richesse correspondent à la fois une diversification des marchés (qui réduit les phénomènes de dépendance) et à une plus grande capacité d’adaptation des sociétés aux évolutions contemporaines (à la fois rapides et mondialisées). C’est en raison d’une mono-fonction agricole construite au fil de l’histoire de la conquête européenne outre-mer que des îles se sont effondrées après la chute des cours du sucre de canne (Sainte-Lucie,

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Dominique…). La question est ainsi régulièrement posée de savoir quel aurait été le devenir d’îles comme la Réunion, la Martinique ou la Guadeloupe, elles aussi témoins de l’épopée cannière, sans la départementalisation (une forme de diversification économique ?). Peut-être auraient-elles suivi les traces de Maurice qui, ayant opté pour l’Indépendance, s’est lancée dès les années 1970 à la fois dans l’industrie (création d’une zone franche) et dans le tourisme, sans pour autant abandonner sa fonction agricole. Si bien qu’il est devenu classique de citer l’exemple du « miracle mauricien », même si celui-ci est aujourd’hui fragilisé et en mutation (Grégoire, 2006). La diversification économique, en réduisant la vulnérabilité du système face aux évolutions contextuelles, constitue donc un facteur essentiel de soutenabilité du développement.

48 Le dernier facteur à relever est celui des bases d’organisation sur lesquelles repose la mécanique nationale, en tout cas communautaire. On s’interrogera donc sur le mode d’organisation hiérarchique, qui prend notamment appui sur un statut précis de l’île (indépendante, île secondaire d’un archipel en développement, ou outre-mer rattaché à une grande puissance continentale). D’autres facteurs d’organisation interviennent également, comme les fondements culturels et idéologiques de la communauté, par exemple, qui se traduisent en termes de rôle des valeurs et croyances religieuses, de place accordée aux éléments immatériels, de rapport à la modernité (on pense par exemple à la confrontation entre médecines traditionnelles et modernes), et plus globalement de relations humaines (rapports de genres, de pouvoir…). Le mode d’organisation d’une société est donc à la fois cause et conséquence des hiérarchies et des rapports sociaux qui s’y expriment.

49 Le modèle pyramide et la représentation sous la forme d’un rubick’cube ont pour principal intérêt d’imager le fait que l’approche de la soutenabilité des systèmes insulaires est nécessairement complexe. Ils rappellent également que cette complexité est évolutive, autrement dit que la formule de stabilité du système à un moment donné est vouée à changer au fil des modifications permanentes tant au niveau des caractéristiques propres du système que du contexte qui l’environne. Le modèle pyramide, notamment, peut constituer une manière didactique pour représenter les évolutions territoriales (sorte d’indicateur de suivi). La condition à cela est que cette représentation en trois dimensions repose précisément sur une appréhension quantitative de chacune de ces dimensions (hauteur, largeur et longueur de la base), ce qui suppose de mettre en évidence des indicateurs pragmatiques pour caractériser ce qu’on a appelé ici l’étirement hiérarchique, l’empreinte spatiale et l’épaisseur humaine. Si cela a fait l’objet ici de premiers développements (matérialisés ensuite sous la forme du rubick’cube), un tel objectif constitue clairement la base de nos travaux à venir.

50 L’enjeu de construire une telle base méthodologique est double. Dans un premier temps, cela permettra d’améliorer à l’échelle de chaque territoire insulaire notre capacité à comprendre les évolutions en cours, à identifier les freins et les leviers du développement, pour ensuite imaginer des scénarios et des stratégies futures. La finalité consiste ici à définir des orientations de développement qui répondent à la fois aux impératifs du présent (améliorer les niveaux de vie, réduire les inégalités, réduire la vulnérabilité aux risques naturels…) et aux incertitudes quant à l’avenir (tendances climatiques et risques associés, tendances touristiques et sociodémographiques…). Ensuite, une telle approche offre la possibilité, à termes, de comparer les systèmes insulaires et leurs évolutions respectives. Ce point est important dès lors qu’on s’intéresse par exemple à la distribution des fonds d’adaptation au changement

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climatique parmi les Petits États Insulaires en Développement (PIED), groupe qui tient un rôle de plus en plus marqué autour de la table des négociations.

51 Les débouchés de cette démarche méthodologique sont donc multiples et constituent en eux-mêmes de véritables enjeux au carrefour des préoccupations des scientifiques, des praticiens du développement durable et des acteurs des négociations internationales dans de multiples domaines.

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NOTES

1. . Mais aussi philosophique si l’on s’en réfère aux écrits de G. Bachelard. 2. . Ce phénomène est pour cela dit actif à Anguille.

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RÉSUMÉS

Ce texte, considérant l’île comme un système, compare différentes configurations insulaires au regard de la notion de soutenabilité. Si l’île peut être représentée par une pyramide, on peut faire l’hypothèse que sa base et sa hauteur varient selon la nature du territoire (dimensions, configuration….) et ses caractéristiques de développement (mode de gestion, niveau de diversification économique, degré d’homogénéité culturelle...). À travers cette représentation pyramidale, cet article tente d’établir un lien entre les caractéristiques intrinsèques des systèmes insulaires et la soutenabilité de leurs schémas de développement. Il en vient ainsi à poser la question des facteurs qui influent sur la viabilité insulaire.

Insularity, pyramidal models and sustainability: comparative approach (Indian Ocean/ Lesser Antilles) An island is a system and it can be represented by a pyramidal model which base and high varying according to the configuration of the territory and its development scheme. This paper compares different situations from the Indian Ocean and the Caribbean to try to identify influencing factors of insular sustainability.

INDEX

Mots-clés : développement soutenable, facteurs de viabilité, Île/insularité, island/insularity, modélisation, pyramidal model, sustainable development, variability’s factors

AUTEUR

ALEXANDRE MAGNAN Institut du développement durable et des relations internationales, Sciences Po, 27, rue Saint- Guillaume, 75 337 Paris cedex 07 (FRANCE) ; (+ 33)1 45 49 76 70 ; mél : [email protected]

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Du satellite au décideur, la recherche action au service de la gestion intégrée du littoral de la Réunion Communication présentée aux XIe Journées de Géographie tropicale, « Les interfaces. Ruptures, transitions et mutations », 7-10 novembre 2005, et actualisée en décembre 2009.

Gilbert David, Martine Antona, Aurélie Botta, William’s Dare et Aurélie Thomassin

1 Depuis la fin des années 1970, les récifs coralliens de la Réunion font l’objet d’une anthropisation croissante (Amanieu et al., 1993 ; Mirault, 2007), qu’une mobilisation des scientifiques et d’une petite partie des pouvoirs publics essaie de contrebalancer via des projets de gestion intégrée des zones côtières (David, 2005a ; David et al. 2009). Créée en février 2007 (David et Mirault, 2004), la réserve naturelle marine de la Réunion occupe une surface de 3 500 ha et englobe les trois-quarts des formations récifales de la Réunion, du cap La Houssaye à Étang salé (fig. 1). Elle se compose d’espaces sanctuaires, devant assurer le repeuplement des eaux avoisinantes et de zones où les usages sont réglementés, de manière à arrêter les dégradations du milieu (fig. 2). Ce dispositif classique, commun à toutes les aires marines protégées, est généralement présenté comme une condition nécessaire et suffisante à la protection efficace du milieu récifal (Salm et al., 1984). Mais il risque de s’avérer insuffisant dans le contexte géographique de la Réunion, marqué par une plaine littorale très réduite et des versants raides où l’urbanisation progresse rapidement (Jauze et al., 2003). Il serait donc souhaitable de le compléter par une démarche de gestion intégrée littoral/bassin versant, à condition que les pouvoirs publics, notamment les élus communaux, en voient la nécessité.

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Figure 1. – La partie occidentale de la Réunion, territoire d’expérimentation de la gestion intégrée des zones côtières et des bassins versants amont.

2 Or, jusqu’en 2005, ceux-ci se sont montrés peu réceptifs au concept de gestion intégrée des zones côtières (GIZC). Ainsi la démarche initiée par le milieu scientifique en 1999, à l’occasion du premier colloque international tenu à la Réunion sur ce thème (CLOE, 1999), n’a débouché sur aucune action concrète, faute d’appropriation par les élus de ce concept. Le constat est identique en ce qui concerne les actions du comité local de l’IFRECOR (Initiative Française pour les REcifs CORalliens) qui a reçu mandat en 2000 au niveau national de développer des approches innovantes en matière de GIZC. Après qu’un solide diagnostic des problèmes affectant le littoral réunionnais et sa gestion ait été entrepris sous la houlette de la Direction Régionale de l’Environnement (DIREN) Réunion, la dynamique initiée a vite trouvé ses limites quand il a fallu élaborer et mettre en œuvre des actions de démonstration (ARVAM, 2006).

3 Le faible intérêt des décideurs réunionnais pour la gestion intégrée tient en partie à la pratique administrative locale qui établit une segmentation de l’espace entre la mer, les hauts et les bas. Cette segmentation est entérinée, voire exacerbée, par le SAR (Schéma d’Aménagement Régional) qui depuis 19951 prône l’urbanisation des « hauts » de l’île pour éviter l’engorgement des « bas », le milieu marin faisant quant à lui l’objet d’un document spécifique : le Schéma de Mise en Valeur de la Mer (SMVM). Cette perception de l’espace réunionnais, structuré en zones d’altitude croissante et clairement délimitées, ne laisse aucune place à la notion d’interface (David et al., 2006). Or, au contraire, celle-ci nous semble très structurante pour appréhender la complexité de cet espace et envisager sa gestion harmonieuse. En effet, le contact entre les bas et les hauts correspond moins souvent à une limite précise qu’à une zone floue, dans laquelle pour une même altitude certains lieux sont considérés comme appartenant au monde des « bas » et d’autres au monde des « hauts ». Concevoir ce contact comme une interface conduit les décideurs à modifier leur représentation du territoire. Il leur est

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alors plus facile d’établir (comme les géographes le font) un lien « fonctionnel » entre les « hauts », les « bas » et le littoral puis de mobiliser cette représentation de l’espace dans leur gestion du territoire.

4 Pour gagner en efficacité, cette gestion doit être la plus intégrée possible, la notion d’intégration étant elle-même une notion d’interface. Celle-ci se structure selon trois niveaux : • l’intégration sectorielle qui vise à une mise en cohérence des différents usages ou secteurs d’activité de la zone d’ét ude afin d’éviter ou de minimiser les conflits ; • l’intégration institutionnelle, de manière à ce que les services de l’État et des collectivités territoriales interviennent de manière coordonnée à l’échelon local et que les différents documents d’urbanisme et de gestion du territoire que les uns et les autres élaborent soient en concordance ; • l’intégration spatiale entre les « hauts », les « bas » et le littoral. Cette dernière se fonde sur les représentations que se font les acteurs de leur territoire ; elle est essentielle pour que se mettent en place l’intégration sectorielle et l’intégration institutionnelle.

Figure 2. – La réserve naturelle marine de la Réunion, condition nécessaire mais non suffisante à la pérennité de la biodiversité corallienne.

5 Tout processus GIZC repose sur une vision commune des acteurs, tant publics que privés, concernant les problèmes qui se posent au littoral et les stratégies et moyens à mettre en œuvre pour les résoudre (Denis et al., 2001). Or, généralement, ces acteurs présentent une grande diversité quant à leur lieu de résidence (d’autant plus grande que le territoire concerné par le projet de GIZC est étendu), à leurs statuts social et professionnel, aux représentations qu’ils se font du territoire à gérer, des populations qui l’habitent et des usages qui en sont faits. Plus cette diversité est grande, plus il est difficile d’organiser la concertation pour structurer l’action. Rapprocher les acteurs afin de réduire cette diversité constitue donc une étape essentielle dans tout processus

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de GIZC, car c’est l’unité de lieu (et de temps) qui permet le dialogue entre eux et la prise de conscience que, au delà des différences professionnelles, pécuniaires et sociales, tous sont confrontés aux mêmes problèmes et que les solutions doivent être trouvées ensemble. Il convient donc de construire ce qu’on pourrait alors appeler la « communauté des acteurs » de la GIZC (David, 2005b), ce qui est avant tout affaire de communication. Les scientifiques, et plus particulièrement les géographes, ont un rôle important à jouer dans cette construction, à condition qu’ils puissent faire partager aux décideurs et gestionnaires du territoire une partie de leur connaissance afin que celle-ci puisse irriguer l’action publique ou privée. Or, le mode d’expression habituel des scientifiques, qu’il s’agisse des publications ou des colloques et séminaires, est peu efficace pour diffuser les résultats de leurs travaux auprès des décideurs. Un nouveau mode de dialogue est donc à inventer ; une nouvelle interface entre ces derniers et les scientifiques est à explorer. Il s’agit d’aller au-delà de la simple vulgarisation destinée à un public cible, pour aboutir à une co-construction d’une demande sociale portant sur la GIZC (Antona et al., 2007) en associant plusieurs logiques d’interface : de la représentation du territoire à l’action (fig. 3).

6 Tel est l’objet du présent article qui se revendique comme relevant de la recherche- action. « … recherche ayant un double objectif : transformer la réalité et produire des connaissances concernant ces transformations » (Hugon et Seibel, 1988, p. 13).

7 L’accent est mis sur l’observation de la terre, révélateur de l’interface entre le littoral et les bassins versants, et sur la place des scientifiques dans la mise en place de la communauté des acteurs de la GIZC à la Réunion. Le propos se structure en quatre parties. La première traite du contexte de l’étude. La seconde porte sur la méthodologie suivie pour sensibiliser les acteurs à l’interface « bassins versant/littoral ». La troisième présente les résultats de cette approche en ce qui concerne les perceptions et pratiques de la gestion intégrée. La quatrième partie évoque les suites qui ont été données en matière de GIZC à cette démarche de sensibilisation des acteurs à l’interface bassin versant/littoral achevée en 2005.

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Figure 3. – De l’observation de la terre à la gestion intégrée : schéma conceptuel des logiques d’interface conduisant de la représentation des territoires à l’action.

Le contexte de l’étude

8 Les réseaux de recherche et d’innovation technologiques ont été instaurés par le ministère de la Recherche pour favoriser le couplage entre la recherche publique et les entreprises, sur des domaines jugés prioritaires par le gouvernement. L’observation de la terre, versus télédétection satellitaire, est l’un d’entre eux et un réseau spécifique, le Réseau Terre et Espace (RTE), lui a été spécifiquement dédié de 2001 à 2005 afin de développer de nouvelles applications opérationnelles permettant de participer à la spécification de nouveaux capteurs, via un appel d’offre à projets. Faisant le triple constat que la gestion intégrée des zones côtières constitue une préoccupation grandissante chez les principaux organisations et bailleurs de fonds internationaux2, que les chercheurs et bureaux d’étude français sont peu présents dans ce domaine à l’international et que, d’une manière générale, l’observation de la terre y est peu employée, quatre organismes publics : le BRGM (Bureau de Recherche Géologique et Minière), le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), l’IFREMER (Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer), l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement) et deux bureaux d’études d’envergure internationale : BRL-Ingénierie et SCOT (Services et Conception de systèmes en Observation de la Terre) se sont associés pour créer un consortium, baptisé AGIL (Aide à la Gestion Intégrée des Littoraux) en réponse à l’appel d’offre du RTE.

9 Le programme de travail était ambitieux. En seulement deux années, de la mi 2003 à la mi 2005, il s’agissait d’une part de préciser les contributions de l’observation terrestre aux différentes phases du processus de gestion côtière et de développer des approches

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novatrices en la matière ; d’autre part de structurer et de promouvoir une offre française de services en observation de la terre venant en appui à la GIZC ; enfin de démontrer, sur des cas précis et représentatifs de la diversité des situations, le caractère opérationnel de l’utilisation du satellite. L’expérience du programme régional environnement de la Commission de l’Océan Indien (COI), qui de 1995 à 1999 a déjà fait l’objet d’un consortium entre le CIRAD, l’IFREMER et l’ORSTOM, devenu aujourd’hui l’IRD, a en effet largement souligné l’intérêt de telles actions pilotes de démonstration pour ancrer tout gros projet dans la réalité de terrain et éviter ainsi les dérives technocratiques (David et al., 1999).

10 La première année a été consacrée à dresser un « état de l’art » en ce qui concerne la GIZC, l’observation de la terre et l’utilisation de cette dernière dans la GIZC, la seconde année étant réservée à la mise en place d’actions pilotes. En un temps aussi court, il n’était pas possible de multiplier les sites de chantier pilote. En définitive, seuls deux d’entre eux ont été sélectionnés : l’étang de l’Or et la lagune de Thau en Languedoc- Roussillon pour la zone tempérée et le littoral occidental de l’île de la Réunion pour la zone intertropicale. Chacun d’eux réunissaient les cinq conditions suivantes : • les organismes du consortium AGIL y étaient suffisamment représentés ; • des projets de territoire, sur lesquels des démarches de planification et des processus de gestion étaient engagés, étaient en cours ; • les problèmes du milieu marin étaient réellement pris en compte, la frange marine de la zone côtière étant intégrée au territoire des mesures de gestion ; • des bases de connaissances permettant de comprendre le fonctionnement de l’éco-socio- système en place (pour reprendre l’expression de J.P. Corlay, 1998) et ses éventuels dysfonctionnements étaient accessibles ; • des images satellitales étaient disponibles en nombre suffisant pour étudier les dynamiques temporelles de l’espace et à un coût réduit.

11 Sur cette base, le choix de la Réunion comme zone pilote de démonstration s’est vite imposé : d’une part, l’île est l’objet d’enjeux institutionnels forts, qu’il s’agisse de la protection de son littoral corallien et de la création d’une réserve marine sur les zones récifales des communes de Saint-Paul, Trois Bassins, Saint-Leu et Étang Salé (fig. 1 et 2) comme de la mise en œuvre de l’intercommunalité, dans un contexte marqué par des communes étendues depuis la ligne de rivage jusqu’au sommet des bassins versants ; d’autre part, le pourtour de l’île fait l’objet d’une pression anthropique élevée, génératrice de tensions sociales et de dégradations écologiques. Enfin, depuis 2000, dans le cadre de l’opération « Base de données Kalidéos Isle-Réunion », le CNES (Centre nationale d’Études Spatiales) s’est engagé à acquérir le plus grand nombre possible d’images du satellite Spot sur la Réunion et à les mettre gratuitement à disposition de la communauté scientifique.

12 Comme il n’était pas possible de couvrir l’ensemble du littoral réunionnais en une seule année, il a été décidé de mettre l’accent sur le littoral récifal, notamment sur le récif de La Saline – L’Hermitage et sur les bassins versants associés, zone qui avait déjà été sélectionnée comme site de démonstration de la GIZC lors du colloque international de 1999, sans qu’aucune suite effective ne soit donnée à cette recommandation. La démarche AGIL s’est organisée en six temps : • un diagnostic portant sur les causes de la dégradation du milieu récifal ; • l’analyse à dire d’experts des processus provenant des bassins versants responsables de cette dégradation ;

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• des rencontres avec les institutions pratiquant la GIZC ou pouvant la pratiquer ; • l’élaboration de produits d’observation de la terre à très haute et haute résolutions portant sur quatre thématiques : le suivi des modes d’occupation du sol ; l’analyse de la vulnérabilité des versants à l’érosion pluviale et au ruissellement ; la dynamique du trait de côte et la bathymétrie des petits fonds dans le lagon de la Réunion ; la cartographie des formations récifales. À ces quatre thématiques ont été ajoutés deux produits issus de la basse résolution (1 km de résolution au sol) : les suivis de la température et de la couleur de l’eau via les satellites NOAA 15, 16 et 17 ; • la présentation de ces produits aux utilisateurs potentiels des outils satellitaires œuvrant dans l’aménagement et la gestion du littoral ou des bassins versants, suivie de l’étude de leurs perceptions vis-à-vis de la gestion intégrée et de l’intérêt de l’imagerie satellitaire en ce domaine.

13 C’est de cette démarche de sensibilisation des acteurs dont il va maintenant être question car elle a permis de créer une interface entre les scientifiques et les gestionnaires du territoire afin que ces derniers prennent conscience de l’interface entre les bassins versants et le littoral.

Méthode pour une démarche de sensibilisation des acteurs à l’interface bassin versant / littoral

14Cette démarche se structure en deux grandes phases : l’étude des relations bassin-versant / littoral à l’aide de l’observation de la terre ; la co-construction d’une demande sociale portant sur la GIZC et sur les produits satellitaires devant faciliter cette dernière, structurée autour d’une approche acteurs.

L’étude des relations bassin versant / littoral

15 En considérant le lagon comme un milieu fragile situé à l’exutoire des bassins versants amont, nous nous sommes focalisés sur la question de la vitalité récifale. En effet, celle- ci est extrêmement vulnérable à toute pollution, turbidité et dessalure prononcées des eaux côtières. Pour l’essentiel, ces phénomènes sont d’origine terrestre. Lorsqu’ils se prolongent ou se produisent fréquemment, ils sont susceptibles d’affecter la composition spécifique des macro-algues, le ratio entre la couverture corallienne et la couverture algale ainsi que la composition spécifique de la macrofaune récifale (fig. 4). À ce titre, la vitalité récifale conditionne la viabilité de la réserve marine et peut être jugée comme un bon indicateur de l’effectivité de la GIZC et de toute gestion intégrée des bassins versants visant à réduire la fréquence et l’intensité des flux hydriques affectant le milieu côtier.

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Figure 4. – Facteurs naturels et anthropiques influençant la vitalité corallienne.

16L’accent a été mis sur l’identification : • des facteurs biotiques et abiotiques déterminant la vitalité corallienne ; • des processus naturels et anthropiques modifiant ces facteurs ; • des espaces d’émission, de réception et de modification de la direction et de l’intensité des flux hydriques d’origine anthropique ou naturelle issus du bassin versant et ayant des impacts sur le récif.

17 Cette démarche s’est poursuivie par la construction à « dire d’experts » de schémas conceptuels qui rendent compte des interactions entre les objets géographiques structurant la relation littoral-bassin versant : le lagon/récif, le réseau hydrologique, l’espace agricole productif, les espaces naturels terrestres et agricoles non productifs, les espaces bâtis (fig. 5).

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Figure 5. – Exemple de schéma présentant les interrelations bassin versant / littoral.

18 Cette construction à « dire d’experts » des relations bassin versant / littoral nous a conduit à proposer douze produits satellitaires illustrant les problématiques identifiées lors de cette première étape (tabl. 1). Ces produits devaient faciliter la prise de conscience par les acteurs de ces relations et de l’intérêt de conduire une gestion intégrée des bassins versants dans le but de réduire les flux hydriques chargés en terre ou en polluants susceptibles d’impacter le milieu récifal.

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Tableau 1. – Les produits de l’offre AGIL.

L’approche Acteurs et la co-construction d’une demande sociale portant sur la GIZC

19 Cette phase se compose de quatre étapes (fig. 6). Trois d’entre elles relèvent de l’approche Acteurs, démarche qui vise à identifier, au travers de leur statut et de leur mandat (juridique, territorial, social, etc.), les acteurs concernés par une question donnée et à analyser les représentations de celle-ci qui fondent leur action. Dans le cas présent, l’approche suivie visait à recueillir et à analyser les perceptions des acteurs de l’Ouest réunionnais concernant les liens bassins versants/littoral et les processus en jeu ; la GIZC ; les potentialités de l’outil satellitaire pour répondre à leurs besoins de gestion. De manière plus spécifique, il s’agissait également d’évaluer la pertinence des produits issus d’AGIL face à ces besoins afin de formuler des recommandations au Réseau Terre et Espace pour une meilleure adaptation de l’offre française de produits satellitaires à la demande potentielle de gestion d’un territoire insulaire comme la Réunion.

20 Créer une arène de concertation où les différents acteurs du littoral peuvent se rencontrer, échanger et prendre conscience des problèmes auxquels ils sont confrontés, pour ensuite élaborer ensemble des solutions et faire fonctionner cette concertation constitue probablement la phase la plus déterminante d’un processus de GIZC (Denis et al., 2001). Nous avions donc envisagé de structurer notre démarche de co- construction d’une demande sociale en organisant des groupes de discussion composés des acteurs institutionnels du littoral et des bassins versants, réunions à l’occasion desquelles nous devions réaliser nos enquêtes. Il est vite apparu que cette méthode n’était guère appropriée à la Réunion, où les responsables des services publics et des

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institutions consulaires sont sollicités plusieurs fois par semaine pour participer à de multiples réunions. Il est alors courant que l’assistance se réduise de 10 à 20 % des invités ; elle n’est donc pas représentative des acteurs qui devaient être mobilisés. L’insertion dans un forum préexistant, partageant de nombreuses analogies en termes d’objectifs et d’acteurs représentés, a également été explorée mais cette piste s’est avérée peu fructueuse. Aussi, avons-nous opté finalement pour la mise en place d’enquêtes individuelles auprès d’un échantillon le plus divers possible des acteurs institutionnels du littoral et des bassins versants. Ceux-ci ont été identifiés en deux étapes : selon notre connaissance de leur activité ; en interrogant ce premier panel d’acteurs quant à leurs collègues ayant des activités analogues. Au final, nous pouvons considérer qu’une large part des acteurs du littoral et des bassins versants a été interrogée. Si la représentativité des institutions enquêtées semble satisfaisante, en revanche, le statut des représentants de chaque institution contactée pose problème. Sauf pour les petites structures, les informations collectées correspondent aux points de vue des individus, qui ne peuvent pas être assimilés à l’opinion générale de l’organisme auquel ils appartiennent.

21 Au total, 46 personnes ont été enquêtées au cours du premier semestre 2005. Elles appartiennent à 22 organismes relevant de quatre statuts différents : l’administration (9 institutions pour 17 personnes enquêtées), les organisations professionnelles (5 institutions pour 9 personnes), le secteur associatif (4 institutions pour 8 personnes), les collectivités territoriales (4 institutions pour 12 personnes). Ces dernières représentent la seule entité décisionnaire. Les organisations professionnelles et les administrations sont chargées de faire le relais entre le terrain et les instances de décision, tandis que les associations ont un rôle de conseil et d’alerte. Sur les 46 personnes rencontrées, 22 personnes occupaient des postes de direction et de décision, les 24 autres des postes que nous avons qualifiés « d’opérationnels » se composaient de chargés d’étude et de gestionnaires. Au total, 8 des 22 organismes enquêtés ont été représentés à la fois par des postes de direction et des postes opérationnels, 8 l’ont été uniquement par le premier type de poste et 6 par le second.

22 Chaque rencontre s’est déroulée selon deux étapes principales. La première était consacrée à un diaporama exposant d’abord la problématique générale et les objectifs du projet AGIL, puis les différents produits élaborés à « dire d’experts » par l’équipe AGIL en tant qu’interface entre les acteurs du littoral et ceux des bassins versants. Cette présentation était suivie d’un recueil des avis et commentaires des personnes enquêtées, celles-ci s’exprimant librement sur les produits présentés au regard de leurs besoins en matière de gestion de l’espace ou des ressources. Dans la seconde étape, des entretiens individuels semi-directifs ont permis de préciser, d’une part, les représentations que les acteurs interrogés se faisaient des liens bassin versant-littoral et des enjeux qui leur sont associés et, d’autre part, les potentialités et limites de l’outil satellitaire en ce domaine (tabl. 2). Plusieurs de ces entretiens se sont soldés par la co- formulation de propositions de nouveaux traitements d’images satellitaires pouvant améliorer la gestion du milieu récifal et des espaces amont 3.

23 Au final, il était espéré que le diaporama et les entretiens contribuent à modifier la vision négative que certains acteurs avaient du concept de gestion intégrée, qu’ils jugeaient issus et promus par le monde scientifique, sans réelle emprise avec les réalités des élus et décideurs locaux. Un net gain dans les opinions positives devait montrer que l’observation de la terre avait joué pleinement son rôle d’interface entre le

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scientifique et les acteurs de terrain pour la compréhension des interfaces entre le littoral et les bassins versants. Dans le cas contraire, la méthode suivie par l’équipe AGIL s’étant révélée inefficace, les opinions négatives devaient rester majoritaires. Le recueil des perceptions des acteurs concernant la gestion intégrée s’est donc affirmé comme l’étape finale de notre démarche, dont elle devait valider les éléments précédents.

Tableau 2. – Plan de l’entretien semi-directif réalisé auprès des acteurs du littoral et des bassins versants.

Résultats : Perceptions et pratiques de la gestion intégrée

24 Parmi les 22 institutions interrogées sur leurs perceptions et pratiques en matière de gestion intégrée, 32 réponses ont été exprimées. Hormis un point de vue d’ordre chronologique qui ne rentre dans aucune autre catégorie (la gestion intégrée est présentée comme un processus récent à la Réunion), 31 réponses se rapportent à 17 points de vue différents. Neuf d’entre eux n’ont été cités qu’une fois, trois l’ont été deux fois, un trois fois, deux quatre fois, un cinq fois. Il existe donc presque autant de points de vue que d’institutions interrogées. La diversité des réponses concernant la nature de la gestion intégrée révèle que le concept est perçu comme flou par les acteurs. Mais une autre lecture peut être faite, soulignant l’intérêt de ce manque de clarté qui permet à chacun de s’approprier la gestion intégrée à sa manière.

25 Ces 17 points de vue se structurent en trois grandes catégories (tabl. 3 et 4) : • les avis négatifs pour lesquels la gestion intégrée est une nébuleuse qui ne sert à rien, voire qui est contreproductive : 4 des 31 réponses exprimées rentrent dans cette catégorie ;

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• les avis globalisants pour lesquels la gestion intégrée est assimilée au développement durable ou à une approche globale : 7 réponses ont été faites dans ce sens ; • les avis mettant l’accent sur l’utilité concrète de la gestion intégrée (20 réponses). Dans cette catégorie, les remarques ont été classées en trois domaines d’utilité : la gestion intégrée permet de créer du lien entre les acteurs, de créer des liens territoriaux ou de participer à l’aménagement et à la gestion du territoire.

Tableau 3. – Classification globale des points de vue se rapportant à la Gestion intégrée (GI).

26 Le nombre limité de réponses négatives constitue l’élément marquant du tableau 3. D’une manière générale, les 20 points de vue faisant référence à une utilité concrète de la GIZC reflètent soit la pratique qu’ont les personnes et institutions interrogées de ce qu’ils pensent être la gestion intégrée, soit les thèmes sur lesquels ils travaillent quotidiennement et leurs principales préoccupations en la matière. Ainsi dans ce dernier registre, il est remarquable que 16 réponses considèrent que la gestion intégrée a pour objectif d’œuvrer pour l’aménagement du territoire et pour une meilleure prise en compte des relations entre le littoral et les bassins versants dans les politiques publiques et les projets qui en découlent.

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Tableau 4. – Classification de détail des points de vue se rapportant à la GIZC.

27 Parmi les objectifs assignés à la GIZC en matière d’aménagement du territoire, on ne s’étonnera pas de voir citer la « lutte contre l’urbanisation sauvage ». Le mitage des surfaces agricoles par une urbanisation qui serait non contrôlée constitue en effet un élément marquant des rapports « ville/campagne » à la Réunion, perçus par les partisans de l’agriculture comme une compétition pour un espace limité. En revanche, l’intérêt porté à une gestion intégrée bassins versants/littoral pour mettre en place une éco-certification des produits agricoles dans le cadre de pratiques culturales répondant à un cahier des charges s’inscrivant dans cette démarche GIZC est plus surprenant, mais en même temps très encourageant. Ce point de vue témoigne en effet d’un souci évident de valoriser l’agriculture en mettant en avant son image de respect de l’environnement.

28 Dans les îles hautes comme la Réunion, où les bassins versants présentent un profil très pentu, aucune gestion intégrée du territoire ne peut se limiter exclusivement au littoral. La prise en compte des relations fonctionnelles entre les bassins versants et les écosystèmes côtiers doit être au cœur des réflexions visant à assurer la pérennité de ces derniers. Le projet AGIL a montré que l’observation de la terre pouvait être un bon vecteur d’interface entre les géographes et les décideurs, gestionnaires, élus et ONG œuvrant les uns sur les bassins versants, les autres sur le littoral pour leur faire prendre conscience de l’existence de ces relations fonctionnelles et de l’interdépendance de ces deux milieux. Cette nouvelle représentation de leur territoire les conduit ensuite à mieux appréhender l’urgence qu’il y a à envisager une gestion globale bassins versants/littoral récifal afin d’asseoir le développement durable de ce littoral, soumis à de fortes pressions anthropiques.

29 Aussi positif soit-il, ce rôle d’interface, que l’observation de la terre peut être conduit à jouer vis-à-vis des acteurs pour modifier leurs représentations, ne constitue que la

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première étape d’un long processus devant conduire à la gestion intégrée des bassins versants et du littoral. Or, ce processus est très vulnérable aux aléas institutionnels et économiques (fig. 6). Lorsqu’en 2005, la DIACT (Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires) et le Secrétariat Général de la Mer ont lancé leur appel à projets pour un développement équilibré des territoires littoraux par une GIZC (Meur-Ferec, 2009), l’effet AGIL a joué « à plein » et les acteurs institutionnels réunionnais, notamment la Région, l’État et le Conseil Économique et Social, se sont mobilisés. Une proposition ambitieuse émanant du Conseil Régional et plaçant la GIZC dans la perspective du Développement durable a été élaborée. Devenu un axe central de l’agenda 21 Régional, la GIZC est rentrée dans les préoccupations de nombreux décideurs réunionnais 4, réunis dans un large comité de pilotage, créé en appui à cette proposition et animé par une chargée de mission GIZC rattachée au Conseil Régional. Par ailleurs, une ligne budgétaire GIZC a été inscrite au contrat de plan État-Région 2009-2013. Mais au final, les résultats n’ont pas été à la hauteur des espérances. L’étude GIZC, diligentée par le Conseil Régional et confiée à une association de trois bureaux d’étude métropolitains, s’est soldé par un diagnostic de territoire (un de plus !), sans qu’aucune action concrète de démonstration sur le terrain ne soit initiée, bien que des réalisations prioritaires aient été listées par les nombreux participants aux réunions de restitution du diagnostic de territoire.

30 Les perceptions des élus et décideurs vis-à-vis de la GIZC, positives à l’issue d’AGIL, sont redevenues négatives. Les partisans de la GIZC n’ont pas su démontrer l’opérationnalité du concept. Face à ce discrédit de la GIZC, la chargée de mission du Conseil Régional a préféré changer d’employeur et son poste est resté vacant durant plusieurs mois. Ce n’est que récemment que, sous l’impulsion de la dynamique du Grenelle de la Mer, une nouvelle chargée de mission a été recrutée. Mais l’intitulé du poste a été modifié : la chargée de mission « GIZC » a été remplacée par une chargée de mission « Mer ».

31 Face à ce désintérêt inquiétant des politiques et des décideurs économiques, les scientifiques ont décidé de reprendre l’initiative. Dans le cadre du réseau B2C3I qui regroupe 5 instituts de recherche : le BRGM, le CEMAGREF 5, le CIRAD, l’INRA, l’IFREMER et l’IRD, un projet d’analyse des dynamiques des bassins versants pouvant impacter le milieu récifal a été proposé pour financement dans le cadre du contrat de développement État-Région. L’étude de la gouvernance et de ses dynamiques en est un des axes prioritaires. Il devrait être ainsi possible de relancer une recherche action permettant d’avancer dans le processus de mise en place d’une GIZC à la Réunion (fig. 6). Nul doute, qu’il faudra encore de longues années pour aboutir à cette gestion intégrée mais, aujourd’hui, il existe une réelle volonté de l’État, de la Région et du Département pour faire de la Réunion un laboratoire du développement durable, ce qui implique obligatoirement une gestion intégrée du littoral et des espaces en amont. Le cadre institutionnel est là, reste à étendre cette dynamique aux élus communaux et aux acteurs du littoral comme à ceux des bassins versants.

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Figure 6. – Du satellite à l’acteur (2003-2009), la recherche-action au service de la gestion intégrée du littoral récifal de La Réunion.

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RÉSUMÉS

Définir une arène de concertation entre les acteurs et les y conduire pour qu’ils acceptent de s’impliquer dans le projet constitue une des principales pierres d’achoppement de tout processus de GIZC. Dans une île haute comme la Réunion, l’observation de la terre permet de révéler l’interface bassins versants / littoral et de créer ainsi une interface entre les décideurs du littoral récifal de l’île et ceux des bassins versants en amont, étape essentielle pour le succès pour la réserve naturelle marine qui vient d’être crée.

From the satellite to the decision makers, applied research devoted to ICZM in Reunion Island To build an arena for concertation and a community of interest between stakeholders is a major issue for any ICZM process. From 2003 to 2005, studies were carried out in the western part of Reunion island to promote remote sensing technology as an interface between coastal and inland stakeholders. The results show that remote sensing improves the representations of these stakeholders towards an integrated catchment basins and coastal zone management.

INDEX

Keywords : Catchment basins, decision makers, high island, integrated land-sea territory management, marine protected area, reef coast, remote sensing, Reunion island, stakeholders Mots-clés : aire marine protégée, bassins versants, décideurs, gestion intégrée du territoire, île haute, interface, littoral récifal, observation de la terre, Réunion

AUTEURS

GILBERT DAVID IRD, Unité Espace, Centre de la Réunion, BP 172, 97492, Sainte-Clotilde Cedex, courriel : [email protected]

MARTINE ANTONA CIRAD, Unité GREEN, Campus international de Baillarguet, 34398 Montpellier Cedex 5 France, courriel : [email protected]

AURÉLIE BOTTA CIRAD, Unité GREEN, Campus international de Baillarguet, 34398 Montpellier Cedex 5 France courriel : [email protected]

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WILLIAM’S DARE CIRAD, Unité GREEN, Station de La Bretagne BP 20 97408 Saint-Denis Messagerie Cedex 9 Réunion, courriel : william’[email protected]

AURÉLIE THOMASSIN IRD, Unité Espace, Centre de la Réunion, BP 172, 97492, Sainte-Clotilde Cedex, courriel : [email protected]

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Fonctions et logiques d’interface des récifs coralliens sur le littoral de la Réunion Communication présentée aux XIe Journées de Géographie tropicale, « Les interfaces. Ruptures, transitions et mutations », 7-10 novembre 2005, et actualisée en décembre 2009.

Émilie Mirault et Gilbert David

1 Dans la littérature scientifique, le littoral est moins défini comme une unité territoriale spécifique aux limites précises, que celles-ci soient naturelles ou administratives, que comme un espace d’interface aux limites souvent floues, résultat d’une discontinuité naturelle séparant l’ensemble continental de l’ensemble marin. Le littoral correspond alors « à la partie des fonds marins sujette à l’action directe de la terre et à l’espace terrestre sujet à l’action directe de la mer » (B. Coutts, 1989).

2 Pour notre part nous l’envisageons comme un système où s’échangent en permanence des flux d’énergie, de matière organique ou de matière minérale provenant des écosystèmes terrestres et marins qui le bordent (David, 2004, 2005 ; Mirault, 2004, 2007).

3 Les écosystèmes coralliens sont à la fois le résultat de cette zone de contact et d’échanges et une zone d’interface supplémentaire entre le milieu marin et le milieu terrestre. Au cours de cet article, nous verrons que cette interface est plurifonctionnelle et se compose de multiples espaces, les uns relevant de la géomorphologie ou du fonctionnement de l’écosystème marin, les autres relevant des fonctions qu’ils assurent vis-à-vis des populations riveraines et des autres usagers. Ces fonctions peuvent être assimilées aux usages qui sont fait du milieu récifal ou aux services écologiques que ceux-ci génèrent pour reprendre un vocabulaire économique (Moberg et Folke, 1999 ; Moberg et Rönnbäck, 2003 ; David et Mirault, 2003).

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La place des écosystèmes coralliens dans le système littoral réunionnais

4 En raison du caractère volcanique de l’île, qui occupe une position de « point chaud », les complexes récifaux de la Réunion sont faiblement développés. Limités aux côtes occidentales et méridionales, du Cap La Houssaye au nord jusqu’à Grande Anse au sud, ils se structurent en quatre entités principales (Conand et Chabanet, 1997) : • le récif frangeant1 de Saint-Gilles-La Saline et les plates formes récifales adjacentes ; • le récif frangeant de Saint-Leu et les plates formes récifales associées ; • le récif frangeant de l’Étang-Salé ; • les récifs frangeants de Saint-Pierre / Petite Île et les plates formes récifales de Grand-Bois et de Grande Anse au sud, (fig. 1).

5 Au total, ces récifs couvrent moins de 10 % du linéaire côtier (25 km contre 210 km). Leur superficie n’est que de 12 km², soit un indice récifal de 0,005 2 contre respectivement des indices de 0,15 et 2,1 pour l’île Maurice et la Nouvelle-Calédonie. Si l’on compare avec les complexes récifaux de Mayotte, dont l’indice est de 4, le contraste est encore plus saisissant.

Figure 1. – Localisation de l’île de la Réunion.

Structuration et limites de l’interface récifale

6 L’origine récente des structures récifales de la Réunion (moins de 8 500 ans) explique qu’il n’en existe que deux types : les récifs frangeants dits embryonnaires et les récifs frangeants proprement dits (fig. 2 et 3). Les édifices coralliens spécifiques aux atolls (couronne et lagon) ou aux îles hautes « anciennes » (récif-barrière et lagon associé) sont ici absents. Les récifs frangeants embryonnaires comprennent les bancs récifaux et plates-formes récifales dont le développement ultérieur peut conduire à un récif frangeant qui est la structure récifale la plus présente à la Réunion puis à un récif

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barrière ou à un atoll, stades de développement qui n’existent pas encore à la Réunion. Les formes les plus anciennes du complexe sont localisées de Saint-Gilles à La Saline les Bains, à Saint-Leu et enfin à Saint-Pierre (Montaggioni, 1978).

Figure 2. – Les deux types de structures récifales.

D’après Battistini et al., 1975.

Figure 3. – Les espaces de l’interface récifale.

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7 Du large vers la côte, cinq compartiments constitutifs de l’écosystème coralliens sont observés ; chacun correspond à des conditions morphologiques, hydrodynamiques, sédimentologiques et bionomiques homogènes3 : • L’ensemble prélittoral : composé de plateforme et rebord précontinentaux non récifaux ; • L’ensemble frontorécifal : pente externe récifale, toujours immergée et d’inclinaison variable vers le large ; • L’ensemble épirécifal : platier récifal (partie sommitale et horizontale du récif) qui émerge durant les basses mers ; • L’ensemble postrécifal : dépression d’arrière récif (appelée également chenal d’embarcation) correspond à une étendue d’eau de faible profondeur (de 1 m à 1,5 m en moyenne à basse mer) et large de quelques mètres à 200 ou 300 m au maximum à La Saline qui sépare le platier récifal de la plage ; • L’ensemble frontolittoral : pente du littoral correspondant notamment aux plages sableuses qui marquent le point de transfert des éléments en provenance des aires productrices épirécifales et post-récifales. Dans certaines zones, en cas d’absence de dépression postrécifale, cette unité est en continuité directe avec la zone épirécifale (Montaggioni et Faure, 1980).

8 Au sein même de ce compartiment, quatre secteurs peuvent être identifiés (Troadec et al., 2002, p. 5) : • l’avant plage qui est une zone toujours submergée, subissant en permanence les actions hydrodynamiques responsables des mouvements sédimentaires ; • la plage à proprement parler ou estran qui est sous l’emprise régulière des régimes généraux en période de beau temps ; • la haute plage atteinte par les régimes de tempêtes et les très grandes marées. Elle ouvre sur les cordons ou systèmes dunaires conduisant à • l’arrière-plage.

9 Ces secteurs entretiennent des liens connexes entre eux et avec l’écosystème corallien. Dans cette mosaïque de composantes spatiales, les passes et les ravines ont un statut un peu particulier dans la mesure où elles peuvent être considérées comme des espaces dits « corridors », facilitant ainsi certains flux entre l’océan et le milieu terrestre (David, 2005).

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10 Résultat et lieu de nombreux échanges, le milieu récifal constitue une zone de contact particulièrement riche et dynamique. À ce titre, il peut être considéré comme une zone d’interface supplémentaire entre le milieu marin et le milieu terrestre par rapport aux autres espaces littoraux de l’île.

Une interface dynamique

11 Le littoral récifal peut être considéré comme un système bioénergétique ouvert, échangeant en permanence des flux d’énergie, de matière organique ou minérale provenant des milieux terrestre et marins qui le bordent (fig. 4). D’une manière générale, les flux qui animent les dynamiques sont maximaux à l’interface et décroissent ensuite au fur et à mesure qu’on s’éloigne de cette zone de contact, dans le domaine de la biodiversité comme dans celui des usages et pratiques qui sont faits du milieu.

12 Parmi les principaux flux d’énergie atteignant l’espace littoral, deux sont d’origine atmosphérique (les radiations solaires et le vent), un d’origine terrestre (les cours d’eau), trois d’origine océanique (la marée, la houle et les vagues). En été austral les tempêtes tropicales et les cyclones peuvent générer des vagues de plusieurs mètres de hauteur dont l’énergie est suffisante pour occasionner des crises érosives sur les littoraux à galets de la côte Est et dans une moindre mesure sur les plages coralliennes de la côte Ouest. L’hiver, les houles australes générées par les tempêtes du Grand Sud peuvent également modifier le profil des plages de la partie méridionale de l’île (Troadec et al., 2002).

13 Les flux de matière qui s’échangent entre le milieu terrestre et le milieu marin sont principalement de nature minérale. Il s’agit des particules terrigènes issues de l’érosion des sols véhiculées par les eaux de ruissellement et le réseau hydrographique. En l’absence de fleuves et de mangroves, les exportations de matière organique morte, notamment de débris végétaux sont peu abondantes. Seule la matière organique

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vivante sous la forme de poissons adultes, de juvéniles ou de larves fait l’objet de flux circulant dans le sens mer /terre (réseau hydrographique) ou inversement 4.

Les récifs coralliens en tant qu’interface plurifonctionnelle

L’interface mer/terre dans sa dimension naturelle : fonctions de filtre et d’enrichissement

14 En opposition aux autres formes littorales, les récifs coralliens constituent une catégorie à part, étant donné que leur existence tient à la présence d’êtres vivants5. Cette distinction nécessite d’aborder les récifs coralliens non plus comme une simple forme géomorphologique littorale mais comme un ensemble vivant constitué d’éléments multiples et complexes dont la combinaison édifie les structures. Dans sa dimension naturelle, l’interface terre/mer joue deux principaux rôles : un rôle de filtre ou de protection (fig. 3 et 5) et un rôle d’enrichissement (fig. 3 et 6).

Figure 5. – Les fonctions de filtre/protection de l’interface récifale.

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Figure 6. – Les fonctions d’enrichissement de l’interface récifale.

15 Le front récifal joue un rôle primordial de tampon entre l’océan et le milieu terrestre dans la dissipation de l’énergie des vagues. Il protège de ce fait la ligne de rivage de l’érosion et peut être qualifié « d’espace barrière ». Le platier freine la propagation des ondes nées du déferlement des vagues contre le front récifal et dissipe aussi leur énergie. À ce titre, il peut être qualifié « d’espace filtre ». Ces espaces barrière et filtre sont aussi des espaces refuges où les poissons herbivores et les juvéniles viennent s’abriter des prédateurs. Jusqu’à un certain seuil de tolérance, les récifs coralliens peuvent également jouer un rôle de recyclage pour les nutriments d’origines endogène et exogène.

16 L’écosystème corallien assure des fonctions d’enrichissement à partir des flux de matière vivante et de matière morte qui sont échangés entre le milieu terrestre et le milieu marin. La diversité des récifs coralliens offre des possibilités d’existence à des millions d’êtres vivants, végétaux, et animaux, qui trouvent là de quoi se nourrir, se reproduire et se cacher. Les coraux sont les principaux producteurs benthiques de cet écosystème qui conditionnent la majeure partie de la vie qui s’y développe. Ils sont à la base d’un réseau alimentaire complexe et jouent le rôle de nurseries (Letourneur, 1992 ; Chabanet, 1994). La diversité des poissons est un bon indicateur de la richesse de ce milieu d’interface 6. Il existe deux manières d’aborder cette richesse : soit effectuer une radiale qui va de la pente externe jusqu’à la dépression d’arrière récif, on s’intéressera alors aux espèces inféodées au fond (dites benthiques) ou vivant à proximité (dites démersales), soit réaliser une verticale en un point fixe afin d’évaluer la diversité de chaque tranche d’eau. Trois grandes catégories écologiques peuvent alors être distinguées (Chabanet et Harmelin-Vivien, s.d.) : les espèces vivant en rapport avec le sédiment, les espèces vivant en relation avec les formations coralliennes et les espèces nageant en pleine eau. Les poissons se répartissent aussi selon une distribution horizontale en fonction des différents biotopes ou zones géomorphologiques

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rencontrés sur les récifs coralliens. Ainsi, à l’intérieur d’un récif frangeant, les peuplements ichtyologiques vont se différencier en un peuplement d’arrière-récif, un peuplement de platier et un peuplement de dépression d’arrière récif.

L’interface nature-société : fonctions de polarisation anthropique

17 Envisager les récifs coralliens selon une stricte perspective naturaliste est très restrictif. Ils doivent également être envisagés en tant qu’une interface nature/société. En tant que système spatial d’interface, le littoral récifal se compose d’un espace naturel – l’écosystème – et d’un espace anthropique – le socio-système. La combinaison de l’écosystème et du socio-système via le système d’interface forme l’éco-socio- système, lequel s’inscrit dans l’espace et le temps sous la forme d’un géo-éco-socio- système7 (fig. 7).

Figure 7. – Représentation schématique de l’éco-socio-système corallien.

18 Entre les potentialités offertes par les nombreux actifs naturels 8 de l’écosystème et les besoins que l’homme cherche à satisfaire se crée un jeu d’interrelations, dans le système d’interface qui s’exprime à travers deux fonctions principales :

19- les fonctions de ressources

20- et les fonctions de support spatial,

21 qui sont associées dans la notion d’espaces-ressources.

22Les espaces ressources coralliens cristallisent de forts enjeux socio-économiques et le caractère d’interface nature/sociétés du récif corallien s’exprime par le fait que les usages y sont plus

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nombreux et plus diversifiés que sur les autres parties du littoral réunionnais. Au total, une vingtaine d’usages et activités ont été recensés. Toutefois il est essentiel de distinguer les niveaux de dépendance qui unissent les usages à l’écosystème corallien (Mirault, 2007). Trois principales catégories d’usages peuvent être distinguées en fonction de ce lien de dépendance (fig. 8) : • les usages directs : il s’agit des pratiques qui dépendent exclusivement de la présence de l’écosystème corallien. Au sein de cette catégorie, on fait la distinction entre d’une part les usages qui extraient une partie des ressources et d’autre part les usages non extractifs. À la différence des ressources halieutiques, la majorité des ressources touristiques des récifs coralliens ne font pas l’objet de prélèvements ; • les usages semi directs : cette catégorie regroupe les usages qui dépendent des caractéristiques physiques générées par la présence des récifs coralliens mais non inhérentes à l’écosystème (vagues, zone de baignade…) ; • les activités indirectes, assimilables à l’ensemble des activités dont l’existence ne dépend pas directement de la présence de l’écosystème corallien, mais plutôt de l’existence des usages directs et/ou semi directs qui sont faits de cet écosystème.

Figure 8. – Usages et activités liés à l’écosystème récifal.

23 À chacune de ces trois catégories d’usage correspondent des entités récifales spécifiques. Les caractéristiques biophysiques, les potentialités et les contraintes de chaque entité récifale déterminent les usages et activités qui y sont pratiqués.

24 Les plages et arrière plagesreprésentent le principal pôle attractif à partir duquel se structure l’espace balnéaire (Mirault et David, 2008). Elles forment une sorte de passerelle entre le milieu marin et le milieu continental (fig. 9).

Figure 9. – Les fonctions de polarisation anthropique de l’interface récifale.

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25 La plage et son arrière plage sont un lieu de convivialités familiale et sociale. Par exemple, il existe à la Réunion une grande tradition du « pique-nique créole » qui permet aux cellules familiales et amicales de se réunir autour d’un repas dans un espace public. Les arrière plages ombragées sont un des lieux privilégiés de cette pratique réunionnaise. La dépression d’arrière récif est, quant à lui, l’espace le plus intensément fréquenté pour la baignade et toutes les pratiques nautiques tel que la voile, la planche à voile, etc. Grâce à la présence des récifs qui assurent la protection des baigneurs contre les courants et les requins, ce sont les uniques espaces du littoral réunionnais où ces usages peuvent être pratiqués en toute sécurité. Les platiers récifaux sont les principaux espaces ressources pour les pratiques halieutiques à l’instar des passes et desfronts récifaux(particulièrement riches). Enfin, lespentes externes sont les lieux de prédilection pour la découverte des fonds sous-marins (plongée subaquatique, bateaux à fond de verre...), la photographie sous-marine, ou encore la chasse sous-marine (fig. 10).

Figure 10. – Les fonctions de polarisation anthropique de l’interface récifale.

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26 À partir des usages et activités liées à la présence des récifs coralliens et des services rendus à l’homme, sept principales fonctions socio-économiques peuvent être rattachées à cette interface :

27 - des fonctions récréatives,

28 - des fonctions touristiques,

29 - des fonctions alimentaires,

30 - des fonctions cadre de vie et esthétique,

31 - des fonctions économiques,

32 - des fonctions sociales,

33 - des fonctions culturelles.

34 Ces différentes fonctions sont interdépendantes. L’existence des fonctions d’enrichissement est en partie le résultat de l’existence des fonctions de filtre et de protection. L’association des deux assure les fonctions de polarisation anthropique. En retour, la polarisation anthropique influe sur les récifs coralliens et par conséquent sur leurs fonctions de filtre et d’enrichissement (fig. 11).

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Figure 11. – Une interface plurifonctionnelle en interaction.

Toutefois, cette interdépendance repose sur un équilibre très précaire, qui l’est d’autant plus que, à la Réunion, l’écosystème corallien est extrêmement vulnérables aux agressions naturelles et humaines, en raison de sa taille réduite, de sa jeunesse et de l’étroitesse de la dépression d’arrière récif qui place partout les formations récifales à proximité du trait de côte. Or, la fréquence et l’intensité de ces agressions vont croissant, du fait notamment de l’urbanisation du littoral récifal et des bassins versants amont 9. La pression anthropique est particulièrement élevée à Saint-Gilles, principale station balnéaire de l’île qui accueille à la fois les réunionnais et les touristes en villégiature.

35 Au total, le fonctionnement de l’écosystème corallien est structuré par des phénomènes antagonistes de construction et de destruction. Outre les phénomènes de destruction intrinsèques à l’écosystème corallien regroupés sous l’appellation de bio-érosion, les agressions que subissent les récifs coralliens ont deux origines distinctes : naturelle et anthropique. Parmi les menaces naturelles majeures qui pèsent sur les récifs coralliens figurent les cyclones10, le blanchissement11, la prolifération d’Acanthaster plancii12,l’érosion et la sédimentation13. Ces dégradations d’origine naturelle peuvent être fortement renforcée par les dégradations d’origine anthropique telles que la pollution des eaux14, l’exploitation des ressources halieutiques du récif ou encore le piétinement des coraux.

36 De cet équilibre précaire, lié à la fragilité des écosystèmes coralliens, dépend la plurifonctionnalité de cette zone d’interface. Pour qu’elle continue à remplir tous ses rôles, il est indispensable de parvenir à un équilibre acceptable entre la conservation et l’utilisation des récifs coralliens. Tel est l’objet de la Réserve Naturelle Marine de la Réunion créée par décision du Premier Ministre en février 2007.

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NOTES

1. .Un récif frangeant est un « récif formé contre une terre émergée, non récifale, ou contre un récif émergé, directement accolé à la côte ou juste séparé d’elle par un chenal étroit » (Battistini et al., 1975, p. 11). 2. .km² de structures récifales /km² de terres émergées. 3. .Établies par Picard, 1967 ; Pichon, 1973 ; Battistini et al., 1975, cette classification a été reprise par les différents auteurs ayant travaillé sur les complexes récifaux réunionnais (Robert, 1974 ; Montaggioni, 1978 ; Faure, 1982).

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4. .Ainsi la remontée des bichiques, nom local des larves de deux espèces de gobies (Sicyopterus lagocephalusqius et Cotylopus acutipinni) fait-elle l’objet à la Réunion d’une intense activité halieutique saisonnière. 5. .Les récifs sont une construction de carbonate de calcium générée par un animal : le polype, à l’intérieur duquel se développent des algues unicellulaires appelées zooxanthelles. Les coraux ne pourraient subsister sans la présence de ces algues qui utilisent la lumière solaire, le gaz carbonique dissous dans l’eau de mer, l’azote et le phosphore minéral pour fabriquer une large part de la matière organique dont se nourrit le polype. En retour, les excrétas de ces derniers fournissent de l’azote et du phosphore aux algues. La construction des édifices de coraux durs ou madréporaires repose donc sur une symbiose. 6. .1 000 espèces estimées au total, dont 250 à 300 espèces inféodées aux récifs. L’horizon de la pente externe, en particulier entre - 6 et - 20 m, se caractérise par la plus grande richesse et diversité en espèces (Letourneur et Chabanet, 1994). 7. .En référence au géo-système de Georges Bertrand (Bertrand, 1978 ; 1989). 8. .Nous utilisons le terme général d’actifs naturels qui rassemblent l’ensemble des composantes de l’écosystème. Ce terme est notamment utilisé par les économistes de l’environnement (Faucheux et Noël, 1995, par exemple). Pour ces derniers, les actifs naturels désignent l’ensemble des éléments qui ne sont pas productibles par l’homme. Les actifs naturels de l’écosystème corallien acquièrent le statut de ressources par les usages qui permettent d’assurer via des transferts d’énergie, de matière et d’information, des besoins physiologiques, socio-économiques et culturels aussi bien aux niveaux individuel que collectif. 9. .Au 1 er janvier 2004, la population de la Réunion était estimée à 766 200 habitants, soit 303 hab./km2, et il est prévu qu’elle approche des 827 000 habitants à l’horizon 2010 pour atteindre le million d’habitants en 2030. Actuellement, la population se concentre à 82 % sur la frange littorale où la densité à l’hectare est de 3 à 4 fois supérieure à la densité moyenne de la Réunion. 10. .Outre l’impact direct de destruction provoquée par la force des houles cycloniques, les cyclones ont un effet indirect en raison de l’importance des transports solides par les rivières. Ceux-ci induisent une forte sédimentation de matériel terrigène en zone récifo-lagonaire, au débouché des rivières, qui provoque l’asphyxie des coraux. 11. .Phénomène naturel de plus en plus fréquent, intense et étendu qui contribue au déclin des écosystèmes coralliens (Glynn, 1991 ; Wilkinson et Buddemeier, 1994 ; Wilkinson et al., 1999), le blanchissement des coraux se traduit par une perte des algues symbiotiques et/ou réduction de concentrations en pigments chlorophylliens dans les zooxanthelles qui résident dans les tissus de l’hôte et qui leur donnent leur couleur. Si, dans la plupart des cas, les coraux peuvent régénérer leurs zooxanthelles, un stress trop important et persistant peut toutefois entraîner la mort des colonies. Les événements de blanchissement à petite échelle sont pour la plupart intervenus lors d’anomalies du système El Niño (ENSO). Il peut également y avoir des événements de blanchissement à grande échelle dont les causes sont généralement plus ponctuelles. 12. .Il s’agit d’une étoile de mer qui se nourritde tissus coralliens qu’elle digère in situ. Cette Acanthaster provoque de fortes modifications des communautés coralliennes, avec d’importantes mortalités. 13. .La quantité de matériaux perdue dans la mer est estimée à 3 000 tonnes/km²/an, ce qui représente une érosion moyenne d’environ 1 mm/an, ce qui situerait la Réunion parmi les régions du globe où l’érosion est la plus active (SECA, 1995). 14. .Les pollutions domestiques, industrielles et agricoles provoquent un enrichissement artificiel des eaux côtières en nitrates et phosphates et se traduisent par des phénomènes d’eutrophisation qui induisent une diminution de la calcification des coraux et favorisent la multiplication des algues et d’autres organismes non constructeurs, au détriment des coraux qu’ils étouffent.

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RÉSUMÉS

Les récifs coralliens forment une interface entre la terre et la mer. À la Réunion, les récifs coralliens n’occupent que 12 % du linéaire côtier total, mais leur importance pour l’activité économique de l’île et pour le bien-être de ses habitants est sans commune mesure avec leur taille. Ce littoral récifal concentre en effet la quasi-totalité de l’activité balnéaire de l’île (la totalité des plages où la baignade est possible et autorisée, 70 % de la capacité d’accueil hôtelière). Comparée aux autres littoraux de l’île, la diversité des usages pratiqués par kilomètre de linéaire côtier est nettement supérieure. À l’évidence, les récifs sont une interface qui attire et polarise les activités humaines. Cette fonction de polarisation vaut également pour les espèces marines qui utilisent le récif comme une nourricerie et comme un garde-manger. Hormis cette fonction de polarisation, les récifs coralliens exercent également une fonction de filtre et une fonction d’enrichissement. La première est de nature purement physique. Les récifs brisent l’énergie des vagues et de la houle évitant ainsi une érosion trop importante du littoral sédimentaire et autorisant des activités économiques dans la plaine littorale adjacente à la ligne de rivage. Comme la polarisation, la fonction d’enrichissement présente une dimension écologique et anthropique. Les récifs enrichissent, en effet, le milieu océanique en flux larvaires et le milieu terrestre en produits de la pêche, et en flux d’images. Autrefois, ils approvisionnaient également l’agriculture en chaux. Ces trois fonctions de polarisation, de filtre et d’enrichissement relèvent d’une interface globale terre – mer, mais elles conduisent à diviser le récif en espaces plurifonctionnels.

Functions and logics of interface within the Reunion island’s coral reefs Coral reefs are an interface between land and sea. They attract and polarize human activities. In Reunion island, coral reefs occupy only 12% of the total coastline, but their importance to the economy and the well-being of its population is much higher. They focus 70% of the island accommodation capacity and the variety of uses charged per kilometre of coastline is higher than in the other parts of the coast. Coral reefs also play a role of nursery and pantry within the coastal ecosystem. Besides this function of polarization, coral reefs also have a filter function and a function of enrichment. The first is purely physical. The reefs break the wave energy and avoid excessive erosion of the beach sediment, allowing economic activities in the coastal plain. Coral reefs enrich the ocean environment in larval flows and the human consumers in fishery products, and images. Previously, they also supplied agricultural lime. These three functions (polarization, filter and enrichment) lead to divide the reef into multifunctional spaces.

INDEX

Mots-clés : île haute, interface, littoral, récifs coralliens, Réunion, système, usages Keywords : coastline, coral reefs, high island, interface, Reunion island, system, uses

AUTEURS

ÉMILIE MIRAULT IRD – US 140 ESPACE/ UMS 3108 Université Blaise Pascal – CNRS, Clermond-Ferrand ; mél : [email protected]

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GILBERT DAVID IRD Réunion US 140 ESPACE, mél : [email protected]

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