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Séquences La revue de cinéma

Petite histoire du cinéma d’animation V L’Angleterre et la France Piero Zanotto

Cinéma et Terre des hommes I Number 46, October 1966

URI: https://id.erudit.org/iderudit/51759ac

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Publisher(s) La revue Séquences Inc.

ISSN 0037-2412 (print) 1923-5100 (digital)

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Cite this article Zanotto, P. (1966). Petite histoire du cinéma d’animation V : l’Angleterre et la France. Séquences, (46), 43–50.

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X'/lhf/eterre et la Jrance

Piero Zanotto

1. Halas et Batchelor an avant la révolte de Stephen Bo­ sustow et Cie à Burbank, les époux On a dit que la révolution du John Halas et fon­ dessin animé, ou plutôt cette op­ dèrent, avec peu d'argent mais position artistique au graphisme beaucoup de conviction et de ta­ disneyen qui exerçait son hégé­ lent, ce qui est aujourd'hui, en monie par des principes rigides, Grande-Bretagne, la firme la plus était née en Europe, plus exacte­ célèbre de production de dessins a- ment en Grande-Bretagne, avant nimés la " Car­ que rassemble, toon Films, Ltd". sous l'égide de l'U.P.A., les dessi­ nateurs dissidents de Disney. Exa­ Joy sortait tout juste d'une pe­ minons les dates. En 1933, après tite compagnie de dessins animés les premiers "cartoons" de Anson en faillite et John venait de Buda­ Dyer, il y eut une tentative origi­ pest où il avait gravi tous les éche­ nale avec Color Box de Len Lye. lons qui conduisent à la produc­ Dans ce film, le mouvement est tion. Ils débutèrent avec un mo­ créé par l'animation de timbres- deste appareil de prises de vues postes dont les gravures et les cou­ Debrie ; aujourd'hui, ils possèdent leurs se combinent pour donner l'équipement le plus complet de des figures abstraites. En 1940, un l'hémisphère occidental et ils ont

OCTOBRE 1966 jet Six Jungle Boys destiné aux "Tommies" d'Extrême-Orient. C'est ainsi qu'ils se lancèrent dans une production de "cartoons" pour adultes, de caractère explicatif, au service du Gouvernement britanni­ que et de quelques industries, rom­ pant ainsi avec la tradition du dessin animé, jusqu'alors essentiel­ lement humoristique, et s'appa- rentant plutôt à l'école documen­ John Halas et Joy Batchelor tariste anglaise, universellement re­ connue comme la meilleure du sous leur dépendance près de soix­ monde. L'animation fut donc sou­ ante-dix dessinateurs et techniciens mise à des fins didactiques comme venus pour un bon nombre de Ca­ ce fut le cas dans une série de lifornie. Il va sans dire que leur courts métrages sur la crise du formation a été plus au moins in­ charbon, ou lorsqu'il s'agit de pas­ fluencée par Disney. La guerre ser en revue les problèmes variés fournit à John Halas et à Joy Bat­ connexes à l'industrie, au commer­ chelor leurs premières occasions ré­ ce, à l'économie anglaise. Ainsi, elles de travail. Ils suivirent l'ex­ pour citer un titre plus récent, emple de leur compatriote Len Lye dans The Colombo Plan, on s'atta­ qui réalisa, durant le conflit mon­ che à démontrer, dans un dessin dial, le fameux Lambeth Walk, clair et réduit à l'essentiel, les buts film antihitlérien qui exploite, par poursuivis par le plan Colombo un jeu habile de montage, un do­ dans l'intérêt des pays asiatiques. cumentaire sur la Wermacht et rend ridicule le pas de l'oie en fai­ La production commerciale de sant avancer les soldats d'un pas dessins animés n'existe pas en en avant alors qu'ils reculent de Grande-Bretagne, sauf les excep­ deux en arrière. Les époux Halas tions dues justement au team Ha- et Batchelot travaillèrent donc eux las-Batchelor que les Anglais pro­ aussi pour les combattants et réa­ noncent maintenant comme s'il ne lisèrent des films didactiques sur s'agissait que d'un seul nom. Il y le métier des armes ou sur la pré­ eut bien des tentatives individuel­ vention des maladies que les sol­ les et expétimentales comme celles dats pouvaient contacter dans les de Len Lye, de Peter Foldes et du pays tropicaux. Rappelons à ce su­ groupe Grasshopper fondé en 1953

SÉQUENCES 46 par John Daborn. Ce dernier se chiens féroces (symboles transpa­ proposait d'encourager les cinéas­ rents de la Guépéou) pour se dé­ tes qui manifestaient du goût pour barrasser de Boxer et de Boule-de- le dessin animé d'avant-garde ; on neige. Il instaure ainsi sa dictature y trouve des exemples remarqua­ sous l'égide d'une nouvelle loi : bles d'un cinéma qui rappelle par "Tous les animaux sont égaux, son esprit la production canadien­ mais quelques-uns sont plus égaux ne dirigée par Norman McLaren. que les autres." Cela entraînera u- Ces quelques exceptions mises à ne contre-révolution et le retour part, les oeuvres d'Halas et Bat­ de l'ancien patron. Entre deux chelor sont les seules tentatives di­ maux, les animaux préféreront le gnes de mention qui se situent moindre. Ce film s'impose vrai­ dans la ligne d'un cinéma d'ani­ ment avec son graphisme riche mation à la fois "adulte" d'inspira­ d'allusions et il offre un autre ex­ tion et fidèle à la conception du emple du dessin animé engagé so­ "spectacle" cinématographique. cialement et politiquement. Rap­ pelons encore une oeuvre due à Leur unique long métrage re­ l'intuition très fine de Halas et monte à 1955 et s'intitule Animal Farm. Il s'inspire de l'esprit satiri­ que que l'on rencontre souvent dans les dessins du journal britan­ nique Punch. L'oeuvre est tirée du roman utopique de George Or­ well qui peint, dans une allégorie amère, la dégénérescence des mou­ vements révolutionnaires et en par­ ticulier de celui des Bolcheviks. Voici l'intrigue du film : les ani­ maux de la ferme se révoltent con­ tre le fermier Jones, tyran ivrogne qui est contraint de fuir. Le royau­ me des animaux reçoit une impul­ sion de la part du cheval Boxer et du porc Boule-de-neige qui inven­ Batchelor, History of the cinema, tent un slogan : "Tous les animaux présentée en 1956 à la Royal Per­ sont égaux". Mais un autre porc, formance. C'est un aperçu plein Napoléon, qui se plaît dans le d'esprit sur le chemin parcouru grand luxe, se fait aider de deux par le septième art depuis les ten- OCTOBRE 1966 tatives des premiers pionniers. On trophique entre le Beau, le Bien et y trouve des pointes bien dirigées le Vrai construite avec un sens sur quelques scories qui ont en­ narratif riche d'humour. vahi le champ de cette histoire. 2. Perplexité en France Nous devons aussi citer Cinerama Holiday, premier dessin animé Une crise de méfiance et de pour l'écran géant, The Insolent doute semble avoir assailli la plu­ Matador, The Magic Canvas, The part des animateurs français, non Owl and the Pussycat, The World devant les problèmes du dessin a- of Little Ig, Hamilton the Musical nimé en soi, mais en face de l'ac­ Elephant, etc., : historiettes dotées cueil que lui réserverait un pu­ dans leurs structures narratives et blic doué désormais d'une menta­ graphiques d'un grain de nonsen­ lité nouvelle grâce à la télévision se du genre de celui qu'on trouve qui lui a donné le goût du court dans Alice au pays des merveilles métrage. Récemment, la revue pa­ de Lewis Carroll. Notons en pas­ risienne Cinématexte a mené une sant que l'Anglais Lou Bunin, spé­ enquête sur le cinéma d'animation cialiste en animation de marionnet­ en France. A la demande faite sur tes, a réalisé en 1948 un film de la possibilité d'un long métrage long métrage sur les aventures dans le cadre actuel de la produc­ d'Alice en se servant d'une jeune tion française, Alexandre Alexeieff, actrice pour interpréter le person­ Orner Boucquey, Michel Boschet, nage principal. Le film est plus fi­ André Martin, Albert Champeaux, dèle à l'oeuvre de Carroll que le Henri Gruel, Jean Jabely, René dessin animé de Disney réalisé à Laloux, Albert Pierru, Jacques la même époque. Vausseur et Jean Image lui-même (le seul avec Paul Grimault à avoir D'autres cinéastes ont contribué mené à terme en France des entre­ à l'essor du genre en Grande-Bre­ prises du genre) ont répondu de tagne, même si cet essor est dû différentes façons, mais tous se dé­ principalement aux deux époux claraient perplexes et certains mê­ dessinateurs et à leur équipe d'ar­ me nettement pessimistes. tistes et de techniciens. Ainsi men­ tionnons les noms de Joan et Peter "Non, a dit Jean Image, Je ne Foldes, auteurs de Animated Gene­ crois plus au long métrage d'ani­ sis et A Short Vision. Il y a aussi mation. J'en ai pourtant fait deux. Richard Williams, auteur d'un film Cela coûte trop cher et demande de quinze minutes, Little Island, qui beaucoup trop de temps." Cet ar­ est une allégorie du conflit catas­ tiste plein d'originalité est Hon-

SEQUENCES 46 grois d'origine puisqu'il est né à Il avait déjà touché à ces thèmes le 26 janvier 1911 et se dans le premier après-guerre. Mais nomme en réalité Emeric Hadju. il se réservait alors à de plus gran­ Depuis quelques années, il s'est li­ des ambitions. Venu au cinéma mité à des courts métrages desti­ d'animation dès 1937, il s'était pro­ nés à la télévision. Pour le petit mis de combattre sur le terrain écran, il a produit et continue à même qui avait vu la victoire de produire, oarfois en collaboration Walt Disney. En 1950, il pouvait avec Denis Boutin, des films qui présenter au public français, en ne sont pas dépourvus de fantai­ concurrence avec La Bergère et le sie enjouée et d'intuition poétique. Ramoneur de Paul Grimault, son Rappelons les différentes séries mettant en vedette Joe, un petit V garçon coiffé d'un chapeau, vêtu d'un blue jeans, apparenté par le style graphique au protagoniste du premier long métrage de Jean I- mage, Jeannot l'intrépide, paru en 1949- Joe est le héros de treize films où il vit parmi les fourmis, les abeilles, les mouches et connaît chez ces insectes d'authentiques a- ventures non dénuées d'intérêt di­ dactique. Une série plus récente de treize premier long métrage, Jeannot l'in­ films met en scène un autre per­ trépide. A la suite de Disney, Ima­ sonnage minuscule, Picolo, u n ge empruntait à Perrault son mon­ peintre engagé dans les plus ex­ de fabuleux, comme dix ans au­ travagantes aventures dans le mon­ paravant il avait puisé chez La de surréaliste d'un Paris contem­ Fontaine pour le court métrage Le porain. Mais déjà, Jean Image an­ Loup et l'agneau. A partir de ces nonce un retour à Joe pour une emprunts, il construisit une fan­ nouvelle série de films liés cette taisie sensible et agréable de ton, fois à la science-fiction dans les­ d'une valeur éducative certaine et quels il examinera les appréhen­ d'un graphisme qu'il cherchait obs­ sions de l'humanité devant l'avenir tinément à tenir éloigné des films technologique lié à la découverte analogues dessinés par l'équipe de l'espace. disneyenne.

OCTOBRE 1966 Le long métrage que Jean Ima­ à la voix de François Périer. Cette ge réalisa immédiatement après, façon de se faire confiance (ou de Bonjour Paris, fut plus ambitieux se compromettre dans un risque et mieux réussi sur le plan de la commun de nature poétique et ar­ poésie. Son film se greffe sans é- tistique) qu'ont les artistes les plus quivoque sur le monde de la cul­ représentatifs du monde culturel ture et du spectacle français ; doté français est une caractéristique qui d'un goût certain pour la couleur se retrouve souvent dans les diffé­ et d'une indiscutable élégance dans rentes branches du spectacle. La le graphisme, il est en même Bergère et le ramoneur, long mé­ temps teinté de mélancolie ou plu­ trage dessiné de Paul Grimault, en tôt rempli de cette nostalgie qu'é­ est un exemple éclatant. L'artiste voquent, dans leur vision réalis­ sexagénaire de Neuilly qui, en te de Paris, les films de Clair 1936, fonda avec André Sarrut la et de Carné. Deux pigeons a- première société française de des­ moureux vivent des jours heu­ sins animés appelée "Les Gé­ reux sur une gouttière comme meaux", resté inactif pourtant de­ tant d'autres de leurs amis à plu­ puis 1957, occupe une place par­ mes de diverses races. Et ils re­ ticulière dans ce secteur spécifi­ gardent Paris de leur perchoir : ici» que du cinéma français. De son Montmartre, là, la tour Eiffel, No­ école sont sortis des "cartoonists", tre-Dame, la Seine, etc., sous des comme Jean Jabely, Jacques Vaus- angles inusités, contemplatifs. Une seur, Jacques Leroux, Manuel Ote­ danse "apache" par une nuit étoi- ro (ces deux derniers travaillent lée, une grande partie de pêche, la ensemble à une parodie dessinée vie des Parisiens, tout cela, adou­ du western : Ouest-terne Story). Le ci par quelques chansons populai­ style graphique de Grimault, mis res dont les échos raréfiés montent en lumière à la fin de 1937 avec jusqu'aux petits observateurs ailés Phénomènes électriques, n'a rien à se présente comme dans ces vieux voir avec celui de Disney qui in­ films qui firent découvrir au mon­ fluença pourtant les dessinateurs de entier l'atmosphère unique du de tous les continents. Pour résu­ Paris le plus authentique. mer ce qui a été écrit de lui et de Jean Image, citons encore Walter Alberti : "Leur idéal est de tradui­ 3. Paul Grimault re par le dessin la poésie de Jac­ ques Prévert, les chansons mélan­ Jean Cocteau écrivit la préface coliques de Juliette Gréco." de Bonjour Paris qui fut confiée

SÉQUENCES 46 C'est en effet la collaboration de même fil de poésie métaphysique Jacques Prévert pour le scénario pour exalter les valeurs de la liber­ et les dialogues qui décida Paul té, sans laquelle il n'y a qu'embû­ Grimault à franchir le pas et à ches où se souillent les sentiments faire de La Bergère et le ramoneur et leur pureté. Un dessin riche un film de longueur standard. Il d'intelligence et d'inventions plas­ est clair qu'il ne considérait pas le tiques, capable de créer des illu­ dessin animé comme un divertis­ sions de perspectives qui donnent sement uniquement destiné aux en­ une impression de solidité pleine fants et aux adolescents. Ses films et d'une construction architectura­ sont toujours remplis d'allégories le très raffinée, sert de support à philosophiques sur le sens de la ces intentions. vie, bien faites pour transmettre Après les épouvantails qui pro­ des leçons utiles au triomphe de tègent une famille d'oiseaux, après la liberté individuelle et de la jus­ l'allégorie sur la liberté construite tice. Rappelons surtout L'Epouvan- avec les actions apparemment pri­ tail (1942), Le Voleur de paraton­ vées de sens d'un minuscule voleur nerres (1944), Le petit Soldat de paratonnerres, après le petit (1947) dont les trames différen­ chef-d'oeuvre (lui aussi tiré d'un tes sont toujours tissées avec le scénario écrit par Jacques Prévert

OCTOBRE 1966 ville souterraine où nombre d'êtres sont privés de la lumière du soleil, le narcissisme du potentat, Gri­ mault et Prévert font vivre leurs personnages parmi lesquels un oi­ seau sauvé de la cruauté inutile des chasseurs du roi. Et le poète trouve même moyen de se situer lui-même dans l'histoire, sous les traits d'un chanteur des rues, un et mis en musique comme tous les aveugle qui pousse les humiliés à autres films de Grimault par Jo­ la révolte. seph Kosma) symbolisant — dans Grimault semble ne jamais avoir le monde des jouets — les aspira­ connu le monde dessiné de Dis­ tions de l'humanité à la paix, à la ney. Quelque chose en lui rappel­ bonté, à l'amitié fraternelle, après le plutôt les exemples les plus ceux-là et d'autres joyaux que l'his­ purs du cinéma d'animation tchè­ toire du cinéma d'animation con­ que. Mais ce ne sont que des é- sidère déjà comme des classiques, clairs involontaires, parce que son Grimault nous donne une allégo­ monde est solidement lié à 1a cul­ rie violente, remplie des échos sar- ture française, à un goût unique en castiques de la tyrannie engendrée son genre et introuvable hors des par des lois iniques et par l'abus frontières de France. Pierre Bras­ du pouvoir. Le tout est masqué seur prête sa voix à l'oiseau avec sous les allusions de la fable avec un accent gouailleur ; Anouk Ai­ des trouées continuelles sur une mée double la Bergère et Serge réalité psychologique et morale Reggiani fait parler le Ramoneur. dont nous reconnaissons l'évidence. Le film de Grimault fut le plus La Bergère et le ramoneur, c'est bel hommage qu'un Français pou­ l'histoire de deux jeunes gens à vait rendre indirectement à la mé­ qui un roi tyrannique interdit de moire d'Emile Cohl qui, le pre­ s'aimer. Ils sont persécutés par le mier, sut donner au dessin animé monarque qui lance contre eux — au début du siècle — une com­ un robot fanatique, quand ils dé­ plète autonomie.(1) cident de fuir des cadres qui en­ tourent leurs portraits. Dans une ( 1 ) Pour Emile Cohl, voir Séquences, scénographie hallucinante qui reflè­ no 44, p. 55. te, avec des marbres diaphanes, a- (Tous droits réservés Rivista del cinematografo vec une Venise surréaliste, avec une et Séquences)

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