Annales de Paléontologie (Vert.-lnvert.). © Masson, Paris, 1986. 1986, vol. 72, fase. 3, pp. 163-210.

REDÉFINITION DES GENRES POTAMIDES ET PIRENELLA (, PROSOBRANCHIA) À PARTIR DES ESPÈCES ACTUELLES ET FOSSILES : IMPLICATIONS PHYLÉTIQUES ET BIOGÉOGRAPHIQUES

PAR

Pierre LOZOUET *

Mots-clés: Gastropodes. Prosobranches. Potamides. Pirenella. Taxonomie. Phylogénie. Key-words : Gastropoda. Prosobranchia. Potamides. Pirenella. . Phylogeny.

Résumé. - Il est montré que Pirenella est synonyme de Potamides et que les « Pirenella » de la littérature paléontologique doivent être attribuées au genre Granulolabium. La reconstitution de la phylogénie de Potamides montre que P. conicus (= cailliaudi) peut être considéré comme une relique mésogéenne. Probablement, le genre Potamides, d'origine européenne, a pénétré tardivement dans la province Indo-Pacifique (Pliocène voire même Quaternaire). La phylogénie du genre Granulolabium est aussi reconstituée et un représentant actuel, très proche de l'espèce oligocène d'Europe G. plicatum est reconnu: « » diemenensis Quoy et Gaimard. Granulolabium diemenensis est actuellement confiné au sud-est de l'Australie et à la Tasmanie où il est commun dans les habitats vaseux du médiolittoral. Deux sous-genres sont reconnus: Granulolabium (s.s.) et Granulolabium (Tiarace­ rithium); le genre néo-zélandais Zeacumantus apparaît étroitement apparenté.

* Lab. de Biologie des Invertébrés Marins, 55, rue de Buffon, 75005 Paris et Lab. du Quaternaire de l'E.P.H.E., Inst. des Sciences de la Terre, 6, Bld Gabriel, 211oo Dijon, France.

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Abstract. - It is shown that Pirenella is synonymous with the Potamides and that the « Pirenella » of the palaeontologicalliterature should be assigned to Granulolabium. The reconstitution of the phylogeny of the Potamides proves that P. conicus (= cailliaudi) can be considered as a mesogean relict. Probably, the genus Potamides (of European origin) has entered, only very late, into the Indo-Pacific province (Pliocene and even Quatemary). The phylogeny of the Granulolabium is also reconstituted and a recent representative, quite similar to the European üligocene G, plicatum has been identified : « Zeacumantus » diemenensis (Quoy et Gaimard). Granulolabium diemenensis is now confined to the South East of Australia and Tasmania where it is easy to find in the muddy habitats of the Midlittoral. Two subgenera have been recognized : Granulolabium (s.s.) and Granulolabium (Tiaracerithium); the New-Zealander genus Zeacumantus seems very weil connected.

INTRODUCTION

Les Potamides et les Pirenella pullulent souvent dans les terrains cénozoïques européens; par exemple, des comptages précis (Gitton et al., à paraître) ont montré que «Pirenella » plicata était le mollusque le plus abondant de l'Oligocène du bassin de Paris. Il Y a déjà plusieurs années, j'ai remarqué la similitude des espèces types des genres Pirenella (P. conica, actuel) et Potamides (P. lamarcki, Stampien). Or, aucune publication jusqu'au récent article de Kadolsky (1984) ne faisait allusion à la synonymie de Pirenella et de Potamides que je souhaite démontrer ici. La mauvaise interprétation des rapports entre les formes actuelles et fossiles de ces deux genres est à l'origine d'une confusion extrême que l'on retrouve dans la classification de Bouniol (1981) où les Pirenella sont intégrés aux Tiaracerithiinae et les Potamides aux Potamidinae. Cossmann (1906) subdivisait les Cerithiidae en Cerithiinae, Potamidinae et Bittiinae, Thiele (1929) élève les Potamidinae de Cossmann au rang familial et introduit la sous-famille des Batillariinae. Les se composent alors des Potamidinae et des Batillariinae. Wenz (1938-44) reprendra cette classification qui est encore celle adoptée actuellement par les malacologues. Cependant Bouniol (1981) a proposé de scinder les Cerithiidae en quatre sous-familles (Cerithiinae, Potamidinae, Batillariinae et sa nouvelle sous-famille des Tiaracerithiinae) qui constitueraient un ensemble polyphylétique. Ce classement ne tient pas compte des caractéristiques anatomiques et notamment du fait bien connu que tous les Potamididae de Thiele possèdent un opercule corné, circulaire, de type spiral polygyré, alors que l'opercule corné des Cerithiidae est de type spiral oligogyré. D'autre part, si la dichotomie classique entre Potamides saumâtres et cérithes marins souffre, ainsi que l'a rappelé Plaziat (1984, p. 295), quelques exceptions, elle n'en reste pas moins dans la grande majorité des cas exacte, et le mode de vie des Potamides n'est pas une convergence fortuite comme le croit Bouniol (1981). Houbrick (1984) prend soin de

- 164- POTAMIDES ET PIRENELLA 3 réaffirmer la classification de Thiele sans toutefois mentionner l'hypothèse de Bouniol et la sous-famille des Tiaracerithiinae. Pour ma part, je considère que les Potamididae doivent être compris au sens de Thiele en y intégrant les Tiaracerithiinae de Bouniol qu'il sera nécessaire de redéfinir. Cette rectification de nomenclature m'a obligé à traiter le problème dans sa totalité, c'est-à-dire en retraçant l'histoire des groupes concernés. Le texte a été ainsi divisé en trois parties: une première partie est d'ordre systématique et taxinomique, une seconde retrace l'histoire du genre Potamides de l'Oligocène à l'actuel et la troisième est consacrée aux genres Granulolabium et Zeacumantus. Dans les seconde et troisième parties, figure un relevé des principales « espèces» du cénozoïque européen, témoins du lourd héritage typologique chez les Potamididae, et l'espèce Granulolabium plicatum, espèce type du genre qui doit remplacer les ex-Pirenella fossiles, est l'objet d'une étude biométrique.

SYSTÉMATIQUE DES POTAMIDIDAE

APERÇU NOMENCLATURAL ET ÉCOLOGIQUE

Les différents genres de Potamididae évoqués au cours de ce travail sont présentés dans leur sous-famille respective, en privilégiant les taxons fossiles.

Tiaracerithinae Bouniol, 19891. - Bouniol (1981) a créé cette sous-famille pour les genres Pirenella, Terebralia, Tiaracerithium et son sous-genre Gravesice­ rithium. Dans un premier temps, nous y adjoindrons les genres considérés jusqu'à présent comme synonymes de Pirenella : Tiarapirenella et Granulolabium. Pirenella Gray, 1847 (espèce-type: P. conica Blainville, actuel, Méditer­ ranée). Outre Pirenella conica (= mamillata PhiL), on relève en Méditerranée des variants considérés par certains auteurs comme des espèces distinctes : P. decorata, peloritana et cinerascens. Dans la Mer Rouge et l'Océan Indien il existe une autre forme généralement considérée comme une espèce distincte : P. cailliaudi (Poitiez et Michaud). Pirenella conica est une espèce abondante dans les lagunes de Méditerranée orientale. L'écologie et la répartition des Pirenella sont traitées en détail dans la deuxième partie. Terebralia Swainson, 1840 (espèce-type: T. palustris Bruguière; Indo­ Pacifique). Ce genre paraît actuellement inféodé aux mangroves du domaine indo-pacifique.

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Tiaracerithium Sacco, 1895 (espèce-type: T. pseudotiarella d'Orbigny, Burdigalien d'Aquitaine). Ce genre fossile est particulièrement abondant dans les milieux calmes, évoluant vers une dessalure, de l'Auversien du bassin de Paris.

Gravesicerithium Charpiat, 1923 (espèce-type: G. tiara Lamarck, Lutétien du bassin de Paris). Gravesicerithium Bouniol (1981) est rigoureusement synonyme.

Granulolabium Cossmann, 1889 (espèce-type: G. plicata Bruguière, Aquita­ nien de la Caunette près de Montpellier). L'espèce G. plicata, qui existe de l'Oligocène inférieur au Miocène inférieur, a reçu un grand nombre de noms en rapport avec une variabilité étendue. Elle est considérée comme à l'origine des Pirenella actuelles.

Tiarapirenella Sacco, 1895 (espèce-type: T. bicincta Brocchi, Miocène supérieur d'Italie). Pour Sacco (1895 : 61) «Cerithium» pictum (Basterot) et « Cerithium » mitrale (Eichwald) respectivement du Miocène inférieur du Bordelais et du Miocène moyen de la Paratéthys appartiennent à ce sous-genre. Les genres fossiles Tiaracerithium, Granulolabium et Tiarapirenella sont présents dans le même type de dépôts laguno-marins. Avec les Tiaracerithium de l'Auversien du Guépelle (bassin de Paris) comme avec les Granulolabium de l'Oligocène belge et du bassin de Paris, on trouve le même type de faunule accompagnatrice: Hydrobies, Stenothyrioides, Nystia. Quant à Tiarapirenella, il ne fait que se substituer à Granulolabium au Miocène inférieur. L'aggravation des conditions saumâtres ne semble pas favoriser le groupe des Granulolabium et Tiaracerithium alors concurrencé par les Potamides à plus large valence euryhaline. Dans l'ultime formation marine parisienne (Sables d'Ormoy), avec le retrait de la mer stampienne, on suit la régression de Granulolabium parallèlement au développement de Potamides lamarcki.

Potamidinae H. et A. Adams, 1854. - Potamides Brongniart, 1810 (espèce­ type: P. lamarcki Brongniart, Oligocène du bassin de Paris). P. lamarcki caractérise les dépôts saumâtres de l'Oligocène. Les figures d'Alimen (1936, pl. 6) donnent une bonne idée de la variabilité de cette espèce. Dans le bassin parisien, P. lamarcki connaît une explosion démographique à la partie sommitale du Stampien, avec la généralisation des biotopes lagunaires. De nombreux points autour d'Etampes livrent, au sein de lits de calcaires marneux, une communauté composée exclusivement de P. lamarc·ki et d'Hydrobia. Dans le bassin du Rhône, on recueille dans des dépôts de marnes pliocènes, une faune à dominance de Potamides basteroti; le milieu est tout à fait comparable à celui des marnes à Potamides de l'Oligocène. Précisons que le genre Potamides était jusqu'à présent considéré comme éteint à la fin du Pliocène.

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Tympanotonos Schumacher, 1817 (espèce-type: T. fuscatus Linné, actuel, Afrique de l'Ouest). Selon l'opinion générale, Tympanotonos serait le représentant actuel le plus proche de Potamides. Ce genre si florissant au Paléogène n'est actuellement représenté que par l'espèce fuscatus des côtes d'Afrique occidentale. C'est donc un genre relique et la restitution de quelques biotopes dans lesquels ont vécu les Tympanotonos fossiles (Gitton et al., à paraître, pour l'Oligocène) montre que son inféodation à la mangrove ouest-africaine constitue un refuge. Tympanotonos fuscatus est un mollusque râpeur, détritivore qui recherche le plus souvent sa nourriture sur le fond. On le rencontre en abondance sur la vase des estuaires et des chenaux de marée qui sillonnent la mangrove (Niklès, 1950; Plaziat, 1984). Plaziat (1977) a obervé T. fuscatus au Cameroun dans des eaux dont la salinité variait de 0,02 %0 (saison des pluies) à plus de 45 %0 à certaines périodes de l'année (étiage). II existe deux sous-genres de Tympanotonos (ou de Potamides) : Eotympano­ tonus (Chavan, 1952) qui englobe les principales espèces du Paléocène bien que l'espèce-type, P. conarius Bayan, soit de l'Eocène supérieur; Ptychopotamides (Sacco, 1985) qui groupe les espèces à trois rangées de granulations et à fort pli columellaire (type tricinctus Brocchi du Pliocène italien). L'interprétation que donne GIibert (1962) de ce sous-genre est à rejeter entièrement: il classe en effet dans ce sous-groupe des Tympanotonos typiques tel T. conjonctus, T. margari­ taceus. Potamidopsis Munier-Chalmas, 1900 a été créé pour l'espèce tricarinatus du Lutétien-Bartonien et on y classe un certain nombre d'espèces affines (voir GIibert, 1962); pour Bouniol (1982 : 317) il s'agirait d'ailleurs d'un Cerithiinae! Alocaxis Cossmann, 1889 qui a valeur de genre pour Bouniol (1981) renferme l'espèce-type du Thanétien supérieur (cylindracea Deshayes) et une autre espèce que Bouniol (1981) lui a adjoint. Enfin, Wittibschlager (1983) a créé un genre Mesohalina pour la lignée de Tympanotonos margaritaceus connue de l'Oligocène inférieur au Miocène, en Europe. Selon toute vraisemblance T. margaritaceus est à l'origine de T. fuscatus, (Lozouet, 1985), il n'est donc pas douteux que Mesohalina soit strictement synonyme de Tympanotonos.

Telescopium Montfort, 1810 (espèce-type : T. telescopium Linné, actuel, Indo-Pacifique). L'unique espèce actuelle vit dans les vasières littorales. Le sous-genre Campanilopsis Chavan, 1949 désigne seulement la lignée ancestrale avec l'espèce leminiscatum (Brongniart) de l'Eocène moyen-supérieur d'Italie et son transient ceres (Chavan) de l'Oligocène inférieur. Cerithidea Swainson, 1840 (espèce-type: C. decollata Linné, actuel, de l'Indo-Pacifique) est une autre espèce de vasières littorales. Houbrick (1984) admet

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trois sous-genres récents: Cerithidea (s.s.), Ceritheopsis (Thiele, 1929) de la province Caraïbe, Cerithideopsilla (Thiele, 1929) de l'Indo-Pacifique.

Batillariinae Thiele, 1929. - Batillaria Benson, 1842 (espèce-type: B. zonalis Bruguière, actuel, de l'Indo-Pacifique). Ce genre est répandu dans les milieux médio-littoraux vaseux de la province indo-pacifique. Plusieurs sous-genres ont été reconnus dont Vicinocerithium Wood, 1910 (espèce-type: V. bouei Deshayes) particulièrement abondant dans les dépôts saumâtres de l'Eocène européen. Zeacumantus Finlay, 1927 (espèce-type: Z. subcarinatus Sowerby). Les relations de ce genre essentiellement néo-zélandais avec Granulolabium sont discutées en détail dans la troisième partie.

PRINCIPAUX CRITÈRES DE CLASSIFICATION

Il est unanimement reconnu que la seule prise en compte des caractères de l'ornementation et du galbe, aboutit à une phylogénie et donc à une classification des cérithes (et des autres groupes) incohérente, surtout si elle repose sur des séries peu importantes. Tympanotonos fuscatus (forme épineuse) et T. radula (forme granuleuse) de l'ouest-africain, longtemps considérés comme deux espèces distinctes (deux espèces selon Linnée; deux lignées pour Charpiat en 1923), comportent des individus sur lesquels alternent ces deux types d'ornementation (Plaziat, 1977). Elles sont d'ailleurs obtenues, à volonté, par transport dans un site favorable à l'une ou l'autre forme (Monteillet, 1979). Ce qui prouve qu'il s'agit d'écomorphes de la seule espèce T. fuscatus, dont on n'a toutefois pas encore élucidé clairement le déterminisme (Plaziat, 1984 : 296). Ce dimorphisme est encore interprété de façon erronée par Menegatti (1978) qui a proposé un tableau phylétique des Tympano­ tonos où les écotypes de Tympanotonos fuscatus deviennent chefs de file de lignées connues depuis l'Eocène. En se fiant scrupuleusement à l'ornementation, l'auteur a d'ailleurs rapproché Tympanotonos fuscatus f. radula d'un Campanile. Trois caractères indépendants de l'ornementation peuvent être pris en considération : a) la section columellaire, b) le cou (partie abapicale de la columelle), c) la protoconque.

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La section columellaire

L'examen des sections columellaires (ou sections spirales) a surtout été utilisé par Charpiat qui considérait que leur forme «constitue le moins imparfait des critériums connus » (1923 : 288). Les sections de Gravesicerithium gravesi, Tiarapirenella picta. Pirenella conica, Terebralia subcorrugata. Tiaracerithium tiarella et Potamides lamarcki permettent de dégager trois groupes :

- sections rondes: Potamides et Pirenella actuelles (fig. 1 C, F); - sections ovales assez allongées: Tiaracerithium et Tiarapirenella (fig. 1 B, E). En particulier, la section columellaire de Granulolabium plicatum (<< Pirenella » fossile) est identique à celle de Tiarapirenella; - sections quadrangulaires: Gravesicerithium et Terebralia (fig. 1, A, D).

FIG. 1. - Sections columellaires de : A, Gravesi­ cerithium gravesi (Deshayes), Auversien; B, Granulolabium (s.s.) plicatum bicinctum (Bas­ terot), Burdigalien; C, Potamides conicus Blain­ ville, Méditerranée; D, Terebralia subcorrugata (d'Orbigny), Burdigalien; E, Granulolabium (Tiaracerithium) tiarella (Deshayes), Bartonien; F, Potamides lamarcki (Brongniart), Stampien. Echelle: 0,5 cm.

FIG. 1. - Columellar sections of: 1. Gravesiceritliium gravesi (Deshayes), Auversian; 2, Granulolabium (s.s.) plicatum bicinctum (Basterot), Burdigalian; 3, Potamides conicus Blainville, Mediterranean; 4, Terebralia subcorrugata (d'Orbigny), Burdigalian; 5, Granulolabium (Tiarace­ rithium) tiarella (Deshayes), Bartonian; 6, Potamides lamarcki (Brongniart), Stampian. Scale : 0,5 cm.

On soulignera avec Charpiat que les sections de Tiaracerithium et de Gravesicerithium sont très dissemblables et s'opposent au classement de Gravesicerithium en tant que sous-genre de Tiaracerithium. Par contre, Boussac (1912: 38) estime qu'il y a passage

- 169- 8 PIERRE LOZOUET continu de Gravesicerithium gravesi à Terebralia bonelli (première Terebralia admise) et je considère avec lui que Gravesicerithium gravesi est à l'origine des Terebralia. Il existe des individus spectaculaires qui changent de décoration à la suite d'un accident de croissance, passant du type gravesi à celui de blainvillei-bonelli (voir à ce sujet les observations de Dolin et Le Renard, 1980: 33).

Le cou

La terminaison de la columelle, à la base de la coquille, est un caractère essentiel du point de vue de la distinction des genres de gastéropodes (Cossmann, 1895 : 20). Chez les Cerithiidae, le développement parfois important du labre, masquant la columelle, a souvent trompé sur les affinités réelles de la coquille. On se rendra compte à l'examen des figures 2 et 3 de Granulolabium, Tiarapirenella, Pirenella et Potamides de la stabilité du cou, comparée aux fluctuations du système ornemental et, dans une moindre mesure, du labre. On sépare sans difficulté deux groupes: l'un se compose des espèces à cou long, subdroit (Granulolabium. Tiaracerithium et Tiarapirenella); dans l'autre, prennent place les espèces avec un cou court dont la columelle présente une torsion Potamides, Pirenella). Certains individus de Pirenella pliocènes ont développé un fort callus qui enrobe en partie la columelle et se prolonge en pointe, donnant l'impression d'un cou subdroit (voir fig. 3 E). De tels individus rappellent les Tiarace­ rithium ou les Granulolabium, mais en y regardant de plus près la torsion est nette. Dans le détail, l'ouverture de Tiarapirenella et Granulolabium est absolument identique et fort proche de celle de Tiaracerithium. Il en résulte que la séparation de Tiaracerithium et de Granulolabium, sur la base de la columelle (Bouniol, 1981 : 27) ne se justifie pas.

La protoconque

Les protoconques des Cerithiidae du Cénozoïque français, voire européen n'ont jamais été étudiées et je n'en connais pas de figurations. Pourtant leur étude ne devrait pas être négligée, non seulement parce qu'elles peuvent renseigner valablement sur les rapports entre espèces mais aussi, parce qu'elles sont la clef de nombreux problèmes paléobiogéographi­ ques. Je me suis limité pour ce travail à quelques protoconques. On constate que, d'après la taille, deux ensembles sont séparables (trois avec la protoconque de Batillaria dessinée à titre de comparaison) : les espèces à grosse protoconque (P. lamarcki. 1 tour 112; Pirenella cailliaudi, 1 tour 112; Potamides perditus, plus de 2 tours) et celles à petite protoconque (Tiaracerithium tiarella, 1 tour 112; Granulolabium plicatum. 1 tour 112, remarquons la protoconque minuscule de cette dernière espèce). La scission Tiaracerithium tiarella, Granulolabium plicatum/ groupe de Pirenella conica est donc corroborée par l'étude des protoconques. De plus, la protoconque de Pirenella cailliaudi est remarquablement semblable à celle de Potamides lamarcki.

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j

H

FIG. 2. - Dernier tour de: A-O. Grallillolabilllll (s.s.) pliCallIlIl (Bruguière), (A, Stampien; B, Aquitanien; C, Aquitano-Burdigalien; D, Burdigalien); E, Grallillolabilllll (Tiaracerithilllll) tiarella (Deshayes), Bartonien; F, Grallillolabilllll (Tiaracerithilllll) pselldotiarella (d'Orbigny). Aquitanien; G, Potalllides lalllarcki (Brongniart), Stampien; H, Potalllides perditlls (Bayan). Bartonien. Echelle: 0,5 cm.

FIG. 2. - Body whorl of: A-D, Grallillolabilllll (s.s.) plicatlllll (Bruguière), (A, Stampian; B, Aquitanian; C, Aquitano-Burdigalian; D, Burdigalian); E, Grallillolabilllll (Tiaracerithilllll) tiarella (Deshayes), Bartonian; F, Grallillolabilllll (Tiaracerithilllll) pselldotiarella (d'Orbigny). Aquitanian; G, Potalllides lalllardi (Brongniart), Stampian; H, Potalllides perditlls (Bayan), Bartonian. Scale : 0,5 cm.

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B

c

E

FIG. 3. - Aspects de la variabilité de l'ouverture et du dernier tour chez Potamides : A-B, P. conicus (Blainville) forme cai/liaudi des Lacs Amers; C, P. conicus de Méditerranée (Messine); D-E, P. graecus (Deshayes) du Pliocène supérieur de Karoubi (Algérie); F, P. conicus Blainville du golfe Persique (Qatar). Echelle: 0,5 cm. FIG. 3. - Variability of aperture and body whorl on Potamides: A-B, P. conicus (Blainville) caillialldi fonn of Bitter Lakes; C, P. COlliCII.I' of Mediterranean (Messina); D-E, P. graecII.I' (Deshayes) from late Pliocene of Karoubi (Algeria); F. P. COlliCII.I' (Blainville). Persian-Arabian Gulf (Qatar) Scale : 0.5 cm.

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FIG. 4. - Protoconque de quelques Pota­ midae : A, POlal1lides perditus (Bayan), Auversien; B, POlal1lides larl1larcki (Brongniart), Stampien; C, Potamides conicus (Blainville), Isthme de Suez; D, Batillaria bicarinata (Lamarck), Auversien; E, Granulolabiul1l (Tiarace­ rithiul1l) tiarella (Deshayes), Bartonien; F, Granulolabiul1l (s.s.) plicatul1l (Bru­ guière), Stampien. Echelle: 0,5 mm.

FIG. 4. - Protoconchs of some Potamids : A, Potal1lides perditus (Bayan), Auversian; B, Potal1lides larl1larcki (Brongniart), Stampian; C, Potal1lides conicus (Blainville), Suez Isthmus; D, Batillaria bicarinata (Lamarck), Auversian; E, Granulolabiul1l (Tiaracerithium) tiarella (Deshayes), Bartonian; F, Granulolabium (s.s.) plicatul1l (Bruguière), Stampian. Scale : 0,5 mm.

En résumé, les trois caractères étudiés: section columellaire, cou et protoconque convergent et permettent d'affirmer que Pirenella est un synonyme tardif de Potamides (s.s.); les Pirenella fossiles de la littérature paléontologique n'ont donc aucun rapport avec la Pirenella conica actuelle. C'est pourquoi, je propose de reprendre pour les fossiles et en particulier « Pirenella » plicata le terme Granulolabium créé par Cossmann (1889) et qu'il a lui-même rejeté pour adopter Pirenella. Les Pirenella actuelles deviennent donc des Potamides (s.s.). D'autre part, Gravesicerithium appartient incontestablement au groupe des Terebralia et ne peut, par conséquent, être classé en sous-groupe de Tiaracerithium, ce dernier étant inclus dans les Granulolabium dont il possède l'ouverture et les sections spirales. La présence constante de varices axiales chez Terebralia et Gravesicerithium (inconnues chez Granulolabium et Tiaracerithium) est également significative. Les interprétations phylétiques exposées dans les paragraphes suivants vont préciser ces propositions.

PHYLOGÉNIE DU GROUPE POTAMIDES-PIRENELLA

ÉCOLOGIE ET RÉPARTITION DE POTAMIDES

Po/amides conicus

En Méditerranée occidentale, Potamides conicus est fréquent au sud du 40° parallèle (Plaziat, 1982; Pérès et Picard, 1964), le point le plus septentrional étant les côtes sud-sud-ouest de Sardaigne, si l'on exclut les citations anciennes concernant la Provence et le NE de l'Adriatique. En Afrique du Nord, il ne dépasse

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pas vers l'ouest, le golfe de Tunis. Nous ne l'avons pas rencontré dans la grande lagune de Bizerte, un peu à l'ouest du golfe de Tunis et il n'a jamais été signalé sur les côtes algériennes et, a fortiori, marocaines. Plaziat (1982) signale sa présence à Chypre et en mer ionienne. D'après S. Glanzig (comm. orale) P. conicus est très fréquent sur les côtes grecques de la mer Egée dans le fond des lagunes entre Ermioni et Plepi (Argolide). Autrement dit, l'espèce habite les portions les plus chaudes de la Méditerranée. Nous ne disposons pas de travaux sur la tolérance thermique du genre Potamides. Une telle étude permettrait peut-être de mieux comprendre l'aire de répartition de ce mollusque. Remarquons que la répartition des gastéropodes pélagiques méditerranéens (thécosomes) à tendance thermophile, permet de situer au niveau du 40° parallèle nord une barrière thermique (Rampal, 1981). P. conicus caractérise pour Pérès et Picard (1964) un «faciès» de la biocoenose des sables vaseux mode calme de l'infralittoral supérieur. En réalité, il pullule dans la frange médiolittorale inférieure de mode très calme où le substrat est le siège d'un important développement bactérien (Zaouali, 1974). Dans les régions à marée, en particulier dans le golfe de Gabès, la zone à Potamides découvre à chaque marée; pour lutter contre l'assèchement, le mollusque peut s'enfoncer dans le sédiment et l'on observe alors une multitude de petits trous en surface. A l'extrémité nord du golfe de Tunis (Ghar el Melh) dans des petites lagunes adjacentes à une grande lagune principale, on rencontre de nombreux Potamides. En ces lieux l'influence de la marée est nulle et les Potamides prospèrent sous une faible tranche d'eau. Ils ont même tendance à s'aventurer hors de l'eau. Ces lagunes sont peu profondes (une cinquantaine de centimètres) et surchauffées en été; leur fond est couvert de phanérogames. Comme espèces accompagnatrices, on ne relève guére que des hydrobies et des polychètes. Sur le littoral marin, Potamides est souvent seul à sillonner, en surface, inlassablement la vase. Dans toutes les stations visitées le long des côtes de Tunisie et autour de l'île de Djerba, Potamides occupe une position supérieure, au-dessus des premières touffes de cymodocées, sous moins de 20 cm d'eau.

Potamides cailliaudi

L'espèce est signalée de longue date dans la mer Rouge, elle existe également dans le golfe Persique et jusqu'au-delà du fleuve Indus dans la mer d'Oman. D'après les collections du Muséum national d'Histoire naturelle, l'espèce est présente sur les côtes est-africaines à Zanzibar mais aussi à Ceylan. La forme de cette dernière région a été dénommée layardi Adams (voir Tryon, 1887: 165, pl. 34, fig. 86, 87, 84) ou bombayana Sowerby; l'espèce layardi est indifféren­ ciable de cailliaudi et le bombayana correspond à une forme lisse. Dautzenberg

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(1929 : 284) a trouvé P. cailliaudi à Madagascar (Tuléar) et dans l'île Europa. La citation de Tryon (1887) en Australie (Cap York) demande à être confirmée et me semble pour l'instant douteuse. Potamides cailliaudi colonise le littoral marin, les lagunes, les fleuves salés et les estuaires, ce qui implique une grande tolérance vis-à-vis de la salinité. Bigg (1973 : 358) a observé P. cailliaudi (qu'il dénomme conicus, considérant cailliaudi comme un synonyme) dans le golfe Persique sur un substrat vaseux sous une vingtaine de centimètres d'une eau à 42 %0. C. Cavelier (comm. orale) m'a confirmé que P. cailliaudi occupe dans le golfe Persique exactement la même localisation écologique que P. conicus en Méditerranée. Guerlorget et Perthuisot (1982 : 85) ont étudié des flaques de saumures dans une sebkha du golfe de Suez que fréquente Potamides cailliaudi. La concentration du milieu est voisine de la saturation en sel (350 g/l) soit une salinité d'environ 280 %0. Ces observations élargissent considérablement la fourchette de tolérance de salinité de P. cailliaudi et témoignent d'une résistance aux pressions du milieu, notamment osmotique, étonnante. Le genre euryhalin et thermophile Potamides est donc un indicateur paléoécologique de choix, étant soumis à des contraintes strictes de bathymétrie, d'hydrodynamisme et dans une moindre mesure de température. On verra, une fois la phylogénie de ce groupe reconstituée, l'importance de cet indicateur pour la compréhension de nombreux milieux du Cénozoïque.

PRINCIPAUX TAXONS

Un grand nombre « d'espèces », de « sous-espèces », de variétés, ont été créées, souvent dans le même gisement, dans le groupe Potamides-Pirenella. Le relevé qui suit, n'est pas exhaustif; il comprend néanmoins la majorité des espèces du Néogène européen et devrait permettre d'éclaircir la nomenclature. Les ex-Pirenella fossiles attribuées maintenant au genre Granulolabium sont évidem­ ment exclues de cette liste; elles font l'objet d'une récapitulation similaire, exposée plus loin. Pour chaque espèce, un renvoi est donné à au moins une bonne figuration. La discussion des synonymies est placée à la fin de cette liste.

Oligocène (Stampien) Potamides lamarcki (Brongniart, 1810); pl. II, fig. 7 et pl. III, fig. 13. Alimen, 1936, pl. VI. Miocène inf. (Aquitanien et Burdigalien du bassin d'Aquitaine) Potamides girondiensis (Mayer, 1878) Cossmann et Peyrot, 1922, pl. VI, fig. 28-31.

- 175- 14 PIERRE LOZOUET

Potamides tournoueri (Mayer, 1878) Cossmann et Peyrot, 1922, pl. 6, fig. 32-36 et 65-66. Potamides derelictus (Cossmann et Peyrot, 1922) Cossmann et Peyrot, 1922, pl. VI, fig. 12-15. Potamides benoisti (Cossmann et Peyrot, 1922) Cossmann et Peyrot, 1922, pl. VI, fig. 24. Potamides persuturatus (Cossmann et Peyrot, 1922) Cossmann et Peyrot, 1922, pl. VI, fig. 25.

Miocène moyen du bassin de la Loire (Langhien)

Potamides dujardini (Glibert, 1949) Glibert, 1949, pl. IX, fig. 2 ab.

Miocène moyen et supérieur de la Paratéthys

Potamides disjunctus (Sowerby, 1831); pl. II, fig. 8. Homes, 1856, pl. 42, fig. 10-11. Potamides gamlitzensis (Hilber, 1879) Hilber, 1879, pl. 4, fig. 2-3; Strausz, pl. 7, fig. 43-46, 1966. Potamides hartbergensis (Hilber, 1891), Strausz, 1966, pl. 7, fig. 4-7. Potamides fraterculus (Mayer, 1878), Mayer, 1878, pl. 4, fig. 1. Potamides rolld (Hilber, 1879), Hi/ber, 1879, pl. 4, fig. 4. Potamides theodiscus (Rolle in Hilber, 1879), Hilber, 1879, pl. 4, fig. 5; Strausz, 1966, pl. 7, fig. 14-15. Potamides gamlitzensis pseudotheodiscus (Strausz, 1966), Strausz, 1966, pl. 7, fig. 41-42. Potamides gamalitzensis transdanubicus (Strausz, 1959), Strausz, 1966, pl. 7, fig. 41-42. Potamides nodosoplicatus (Homes, 1856), Homes, 1856, pl. 44, fig. 20 ab. Potamides nefaris (Kolesnikov, 1935), Simionescu et Barbu, 1940, pl. 1, fig. 15-20. Potamides dobrogense (Simionescu et Barbu, 1940), Simionescu et Barbu, 1940, pl. 1, fig. 30. Potamides biseriatus (Friedberg, 1914), Friedberg, 1914, pl. 18, fig. 2-3. Potamides zboroviensis (Friedberg, 1914), Friedberg, 1914, pl. 18, fig. 4. Potamides gracile (Simionescu et Barbu, 1940), Simionescu et Barbu, 1940, pl. 1, fig. 53. Potamides turritiliformis (Simionescu et Barbu, 1940), Simionescu et Barbu, 1940, pl. II, fig. 24.

- 176- POTAMIDES ET PIRENELLA 15

Potamides lineolatus (Sowerby, 1831), Sowerby, 1831, pl. 39, fig. 11. Ce nom qui n'aurait pas été employé depuis Sowerby, s'applique au groupe du theodiscus, il doit être considéré comme un nomen oblitum. Potamides orheiense (Simionescu et Barbu, 1940), Simionescu et Barbu, 1940, pl. 1, fig. 29.

Miocène sup. d'Italie

Potamides tuberculiferus (Cocconi, 1873) Cocconi, 1873, pl. 4, fig. 14-15; Robba, 1968, pl. 39, fig. 15 ab. Potamides bisdisjuncus (Sacco, 1895) Sacco, 1895, pl. 3, fig. 48-51.

Pliocène (France)

Potamides basteroti (Serres, 1829) Toumouer, 1874, pl. 9, fig. 6.

Pliocène (Italie)

Potamides giuli (De Stefani, 1889) De Stefani, 1889, pl. Il, fig. 33-35. Potamides granosus (Borson, 1821) Pavia, 1976, pl. 1, fig. 5. Potamides etruscus (Mayer, 1864); pl. III, fig. 7. De Stefani, 1889, pl. 11, fig. 29-31; Pavia, 1975, pl. 4, fig. 45.

Pliocène? (Grèce, Morée)

Potamides graecus (Deshayes, 1832); pl. .III, fig. 6 et 10, Il et 12. Deshayes, 1832, pl. 14, fig. 15-16. Deshayes n'indique pas la provenance exacte des échantillons fossiles, mais la plupart des mollusques qu'il décrit indiquent un âge Pliocène très probable.

Pliocène (Algérie)

Potamides subconicus (Pallary, 1901); pl. III, fig. 6 et 10. Pallary, 1901, pl. 3, fig. 6, 12, 14. Potamides africanus (Toumouer in Joly, 1878), Pallary, 1901, pl. 3, fig. 2-3-5.

- 177- 16 PIERRE LOZOUET

Pour effectuer les comparaisons outre les matériaux que nous avons récoltés dans les bassins de Paris, de la Loire, d'Aquitaine et dans le Pliocène tunisien, j'ai utilisé la collection Cossmann et les autres collections de l'Université Pierre et Marie Curie (Paris VI), les collections du Muséum et la collection Toumouer à l'Institut Albert de Lapparent. Ceci représente un matériel important bien qu'insuffisant, les collections ne renfermant que peu d'éléments du Néogène de la Paratéthys. Toutefois, les espèces se répartissent en 4 groupes et il est possible de simplifier la nomenclature.

a) Groupe de P. hartbergensis. - Le premier groupe est constitué par le minuscule Potamides (s.l.) dujardini (Glibert) des faluns de la Touraine, espèce qui apparaît rigoureusement synonyme de Potamides hartbergensis (Hilber) de la Paratéthys. Les sous-espèces que l'on collecte dans les mêmes gisements (ruedti, schildbachensis...) sont aussi de stricts synonymes. Les 8 exemplaires examinés de Touraine présentent une variabilité étonnante, comparable aux populations de la Paratéthys, et me confortent dans cette opinion. Le Potamides fraterculus (Mayer) est apparemment fondé sur la même espèce; malheureusement l'espèce de Mayer n'est connue que par un mauvais dessin. Strausz dans un premier travail (1954) ne reconnaît qu'une espèce qu'il classe malheureusement dans le genre Bittium. Juste après ce travail, correct au niveau spécifique, il change totalement d'opinion (1955) et multiplie les espèces. Le micro-Potamides du Miocène supérieur de la Paratéthys hartbergensis (Hilber) (= dujardini, ruedti, schildbachensis, fraterculus) est donc connu depuis la base du Miocène moyen (Langhien de Touraine). L'origine de cette lignée est obscure, elle semble sortir du cadre des Potamides traditionnels aussi ne sera-t-elle plus évoquée.

b) Groupe de P. theodiscus-P. graecus. - Il comprend le Potamides theodiscus et toutes les espèces du groupe gamlitzensis, en me référant principale­ ment aux figures de Strausz (1966 : pl. 7, fig. 14-18 et 38-46, pl. 8, fig. 1-4) car celles d'Hilber (1879) sont très mauvaises, le dessinateur n'ayant pas saisi l'importance des caractéristiques de l'ouverture. Les mêmes remarques que pour l'espèce hartbergensis doivent être faites. Strausz, en 1954, ne distingue qu'une espèce (gamlitzensis Hilber) et il précise: « on ne peut à peine distinguer les deux variétés gamlitzensis et roUd, la différence est très superficielle et les deux formes sont liées par des transitions »; l'année suivante (1955), il reconnaît cinq « sous-espèces ». Les espèces du Miocène supérieur de Pologne décrites par Friedberg (1914, P. biseriatus et zboroviensis) et retrouvées en Roumanie par Simionescu et Barbu (1940) font partie de ce groupe. Ces deux auteurs ont créé une autre espèce indifférenciable : P. gracile. Enfin, le « Cerithium » nodosoplicatum (Homes) du bassin de Vienne semble être une espèce composite; la figure 19 a, b

- 178- POTAMIDES ET PIRENELLA 17 d'Homes (1856 : pl. 44) représente un Granulolabium (c'est l'interprétation de Strausz, 1966) alors que sa figure 20 a, b montre un Potamides proche de gamlitzensis. Pour le domaine de la Paratéthys, la prise en compte de la variabilité implique la synonymie suivante: Potamides theodiscus (Rolle) (= gamlitzensis, roliei, pseudotheodiscus, transdanubicus, nodosoplicatum Homes, fig. 20 non 19, zboro­ viensis, biseriatus, gracile). Dans le Pliocène de Tunisie, nous avons récolté un Potamides (dénommé tuberculiferus Cocconi, par Fekih, 1975: pl. 33 fig. 4) qui semble proche du theodiscus (voir pl. III fig. 11-12). C'est probablement cette espèce que Deshayes a figurée sous le nom de graecus, terme peu employé depuis. Le Potamides subconicus (Pallary) désigne la même espèce. A son propos, on relève la phrase de Pallary (1901 : 174) : P. subconicus « est une forme presque insaisissable entre P. conicus, P. mamillatus de la Sicile, P. cailliaudi de Suez... P. graecus de Morée et P. etruscum». En ce qui concerne le « Cerithium » etruscum, il évoque de manière saisissante le groupe indo-pacifique de Cerithideopsilla cingulata. Je n'ai vu que quelques individus mal conservés de cette espèce (coll. Cossmann; coll. Vignal), provenant du Pliocène de Sienne (Italie). Or, un individu est presque inséparable d'un C. cingulata actuel de taille égale (comparaison d'après une population de cingulata actuelle provenant d'Irak, communiquée par J.e. Plaziat). La présence de Cerithidea (Cerithideopsilia) actuellement cantonnée à la province indo-pacifique, dans le pliocène méditerranéen, doit donc être envisagée.

c) Groupe des P. lamarcki-P. disjunctus-P. granosus. - Le Potamides benoisti Cossmann et Peyrot du Miocène inférieur aquitain, rentre de toute évidence dans le cadre de la variabilité de l'espèce lamarcki. La connaissance que nous avons de la variabilité de cette espèce, dans le bassin de Paris, jointe à l'examen de P. disjunctus de Roumanie et du bassin de Vienne, incite à considérer les tuberculiferus Cocconi, bisdisjunctus (Sacco), turritiliformis et dobrogense (Simio­ nescu et Barbu), nefaris (Kolesnikov), orheinse S. et B. comme des expressions phénotypiques locales de P. disjunctus. Le Potamides basteroti (Serres) marqueur très caractéristique du Pliocène méditerranéen est de manière certaine un synonyme de P. granosus (Borson). La figuration du type de Borson (Pavia, 1976, pl. l, fig. 5) lève tous les doutes à ce sujet. Enfin, le Potamides africanus s'applique aussi à l'espèce granosus ainsi peut-être que le Potamides giuli Stefani.

d) Groupe de P. girondiensis-P. tournoueri. - Le «Potamides» girondiensis jusqu'à présent rangé dans la lignée de P. lamarcki, s'avère être une espèce beaucoup plus problématique qu'il n'y paraît. Tout d'abord, on doit noter

- 179- Annales de Paléontologie (Vert.-Invert.), 1986, vol. 72, fascicule 3. 14 18 PIERRE LOZOUET l'analogie entre P. girondiensis et le P. tournoueri également du Miocène inférieur d'Aquitaine et qui évoque en petit le P. granosus du Pliocène. Le P. tournoueri est fréquent dans l'Aquitano-Burdigalien de Villandraut (Gironde); dans cette région il présente constamment, en section, un pli columellaire et comparable à celui des Tympanotonos. Les sections de P. lamarcki, P. granosus (= basteroti) et la columelle de P. disjunctus ne montrent pas trace de ce dispositif. On aurait donc un simple parallélisme ornemental. J'ai récolté dans le gisement landais de Saint-Avit, de nombreux exemplaires de P. tournoueri très proches de la population de Villandraut; ils sont simplement d'une taille un peu supérieure. Or, pas un seul des P. tournoueri sectionnés provenant de Saint-Avit n'est doté d'un pli columellaire. Pour Drooger (1958 : 158), les gisements de Villandraut et de Saint-Avit sur la base des Miogypsines sont synchrones et appartiennent au Burdigalien le plus basal. Cependant, l'histoire de l'espèce tournoueri semble liée à celle de Potamides girondiensis. J'ai pu examiner quelques individus de P. girondiensis provenant du gisement aquitanien du Thil (Léognan, Gironde). Ils présentent un pli columellaire (Labarthe, 1959: 70, l'avait auss