2016 20:00 30.09.Salle de Musique de Chambre Vendredi / Freitag / Friday Rising stars

Christopher Park piano

«Rising stars» – ECHO European Concert Hall Organisation Nominated by Wiener Konzerthaus & Musikverein Wien With the support of the Culture Programme of the European Union Johann Sebastian Bach (1685–1750) Französische Suite (Suite française) N° 2 BWV 813 (1722) Allemande Courante Sarabande Air Menuet Gigue 14’

Igor Stravinsky (1882–1971) Trois Mouvements de Petrouchka (1921) N° 1: «Danse russe» («Russischer Tanz») N° 2: «Chez Petrouchka» («Bei Petruschka») N° 3: «La Semaine grasse» («Die Fastnachtswoche») 16’

Olga Neuwirth (1968) Trurl-Tichy-Tinkle (commande Wiener Konzerthaus, European Concert Hall Organisation) (2016) 9’

Robert Schumann (1810–1856) Fantasie C-Dur (ut majeur) op. 17 (1836–1838) Durchaus fantastisch und leidenschaftlich vorzutragen Mäßig, durchaus energisch Langsam und getragen, durchweg leise zu halten 30’ L’art, l’homme et la société Lisa Petit

Si pour , «la musique est ce qui nous permet de nous entretenir avec l’au-delà», il semble, au contraire, que les œuvres de ce programme soient toutes solidement ancrées dans un présent qui leur est propre. Emmanuel Kant rêvait à des chefs- d’œuvre régis par le seul désintéressement d’artistes indépendants par rapport à la société. Pourtant, l’art constitue une histoire à lui seul, et les œuvres en sont de précieux et éloquents témoins. Par le programme qu’il a décidé d’interpréter, le pianiste Christopher Park pose la question du statut de l’art, de l’artiste et de l’homme au sein de la société. Avec la Suite française N° 2 de Johann Sebastian Bach, c’est la fonction même de l’art et de sa transmission qui est interrogée. Les Trois mouvements de Petrouchka d’Igor Stravinsky, tirés du ballet de 1911, présentent un rare niveau de technicité et de virtuosité, au point que l’on se demande qui de la marionnette Petrouchka ou du pianiste est le plus humain. Olga Neuwirth, qui présente sa création au curieux titre de Trurl-Tinchy-Tinkle, mène depuis les années 1980 une réflexion sur la place de l’art à une époque où les automates et autres machines régissent notre quotidien et menacent notre individualité. Enfin, la Fantaisie op. 17 de Robert Schumann permet a posteriori de continuer de croire en l’expres- sion de l’individualité au travers de l’art, dont l’histoire demeure avant tout une histoire de Soi et des Autres.

3 Couverture du Clavier-Büchlein vor Anna Magdalena Bach in Anno 1722

Johann Sebastian Bach, Suite française N° 2: une œuvre à vocation pédagogique Allemande – Courante – Sarabande – Air – Menuet – Gigue Séjournant à Köthen depuis 1717 où il est au service du jeune prince Leopold d’Anhalt-Köthen, Bach ne se limite pas à ses fonctions de Kapellmeister. Dans les années 1720, le compositeur accorde en effet une place importante aux activités pédagogiques exercées en famille. Dans la petite ville, Bach n’aurait d’ailleurs poursuivi sa mission d’éducateur que dans le cercle confidentiel et limité de sa propre famille. À cette occasion, il aurait écrit les Suites françaises pour clavecin BWV 812 à 8 17, et dont les cinq premières ont été recopiées dans les cahiers de musique de la seconde épouse de Bach, le Clavier-Büchlein vor Anna Magdalena Bach in Anno 1722.

Le qualificatif de «françaises» ne figure pas dans les documents de l’époque, mais a été introduit dans le but de départager les suites françaises, les suites anglaises et les partitas allemandes. Les Suites BWV 812 à 817 sont considérées comme «françaises» pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elles ne comprennent pas seulement les quatre danses qui structurent ordinairement les suites (allemande, courante, sarabande et gigue). Bach s’adonne en effet à des exercices de style en y insérant d’autres mouvements de plus en plus fournis au fur et à mesure des suites. Dans le cas

4 de la Suite française N° 2, le compositeur place en pénultième et antépénultième positions un air puis un menuet, danse française par excellence et particulièrement appréciée à la cour de Louis XIV. Les Suites françaises se caractérisent enfin par une noblesse de ton et une simplicité formelle qui peuvent rappeler les pièces de Couperin de la même époque, se distinguant ainsi des suites anglaises, de difficulté d’exécution supérieure, et des partitas allemandes au contrepoint plus élaboré.

Le titre Suites françaises n’ayant pas été donné par Bach lui-même, la simplicité et la solennité qui les caractérisent ne relèvent pas tellement d’une volonté d’imiter le style français. À vocation probablement pédagogique, les œuvres comme la Suite française N° 2 figurent parmi les pièces didactiques écrites par Bach. Le Clavier-Büchlein serait donc un concentré d’exercices de clavier: la Suite française N° 2 accorde par exemple la primauté à la mélodie, servie par une écriture simple, à deux voix la plupart du temps, dans une succession de pièces de formes binaires (AABB). Par là même, Bach met son talent de compositeur et son expérience de musicien au service d’un enseignement, d’un véritable travail de transmission d’un art et d’un savoir-faire.

Igor Stravinsky, Trois mouvements de Petrouchka: une pièce maîtresse du piano virtuose moderne Danse russe – Chez Petrouchka – La Semaine grasse Après l’incroyable succès de L’Oiseau de feu présenté par les Ballets russes pour la saison 1909/10, Stravinsky projette d’écrire une sorte de Konzerstück pour piano et orchestre, dont le premier mouvement est déjà achevé.

«En composant cette musique, j’avais nettement la vision d’un pantin subitement déchaîné qui, par ses cascades d’arpèges diaboliques, exaspère la patience de l’orchestre, lequel, à son tour, lui réplique des fanfares menaçantes. Il s’ensuit une terrible bagarre qui, arrivée à son paroxysme, se termine par l’affaissement douloureux et plaintif du pauvre pantin.» (Chroniques de ma vie)

7 Il s’agit moins de décrire une histoire, ou de traduire des sentiments, que de déterminer une forme, mais Diaghilev voit dans Petrouchka un parfait sujet de ballet dont le cadre serait la foire de la Semaine grasse à Saint-Pétersbourg. Stravinsky procède à des techniques de collage et utilise des matériaux musicaux variés: chansons populaires, valses, thèmes populaires russes, parti pris pour le diatonisme, la superposition do majeur / fa dièse mineur qui représente Petrouchka… La transcription pour piano seul de 1921, commandée par Arthur Rubinstein et reprenant la «Danse russe» de la fin du premier tableau, le deuxième tableau «Chez Petrouchka» en entier, et une bonne partie du dernier, «La Semaine grasse», constituerait une sorte de retour vers la démarche initiale de Stravinsky, mettant en scène un piano indépendant des timbres de la partition pour orchestre. Tel un marionnettiste, le pianiste doit maîtriser son instrument avec virtuosité, présentant un jeu percussif et enthou- siaste pour le premier mouvement, plus résonnant, mystérieux et épuré dans la partie centrale, puis amusé, spectaculaire, presque féerique avec ces séries de fusées ascendantes et descendantes du troisième mouvement.

Olga Neuwirth, Trurl-Tinchy-Tinkle: l’artiste e(s)t la machine Avec son allitération en [t] et sa succession de mots mystérieux reliés comme autant de wagons par des tirets, le titre de la nouvelle œuvre de la compositrice autrichienne Olga Neuwirth suscite la curiosité. Ce n’est néanmoins pas la première fois que le mot «Trurl» apparaît dans ses œuvres. En effet, le 27 août 2016 a eu lieu la création de son concerto pour percussions et orchestre intitulé Trurliade-Zone Zero.

Sa fascination pour les automates a sans doute mené la comp