MONOGRAPHIE SUR LA BAROUSSE

A la mémoire de ma Mère, pieux et tendre hommage.

LA BAROUSSE

LE PAYS, SON HISTOIRE, SES MŒURS

PAR J.-L. PÊNE

PRIX DE LA SOCIÉTÉ DES ÉTUDES DU COMMINGES

Voici ma patrie t ma montagne natale 1 Riant objet de ma tendresse filiale. Anonyme.

AVANT-PROPOS

Né en Barousse, et à une époque dont mes cheveux blancs n'attestent que trop l'éloignement, les nécessités de l'existence m'en ont arraché de bonne heure. Dès que ces nécessités ne se sont plus fait sentir, j'y suis revenu avec transport, comptant bien y retrouver la forêt profonde et le charmant bocage, le torrent courroucé et le joyeux ruisseau, le chemin abrupt et le sentier fleuri. Tout cela, dont un long exil n'avait pu effacer le souvenir, m'a été rendu en effet, mais dépouillé des illusions et des ravis- sements de mon enfance-: les frimas étaient tombés sur mon âme en même temps que sur met tête. Soit. Mais pourquoi a-t-il fallu que l'âme de la patrie subisse en même temps de bien plus regret- tables vicissitudes 1 Je l'ai retrouvée bien changée Où sont les voix célestes, chants lointains de jeunes filles, si doux et mélan- coliques, qui se mêlaient au roulement des chars par lel crépus- cules d'été ? Où sont les chœurs nocturnes, si puissants que les orgues de nos rochers ne cessaient plus de les répéter ? Où sont les jeux bruyants, les rires éclatants, les contes merveilleux ? Où sont, en un mot, les mœurs traditionnelles ? Mortes 1 Il n'en reste que des regrets dans les cœurs de plus en plus rares qui les ont connues. Le mien ayant parlé haut, j'ai repris la plume pour aborder tardivement un art difficile. Je ne me flatte pas, hélas ! de faire revivre ce qui n'est plus, mon ambition serait d'en con- server pieusement le souvenir. Ce travail conservatoire s'est bientôt révélé insuffisant. Ayant évoqué maints vieux visages qui me furent jadis familiers, j'ai regretté que la finesse et la bonhomie qui s'y reflétaient n'eussent été embellies par quelques notions sur le passé du pays et de ses habitants. Et c'est du désir de combler cette lacune pour l'avenir- qu'est né l'historique qu'on va lire. C'était une entreprise qu'une certaine inexpérience et des temps peu propices rendaient pré. somptueuse. Je n'ajouterai rien qui puisse influencer les juge- ments ou modérer les critiques. Des sources de documentation je ne parlerai pas davantage ici, et même j'ai réduit à l'indispensa- ble les références données en cours d'étude : il m'a semblé que le noviciat littéraire tomberait dans l'infatuation s'il revêtait le lourd appareil des travaux de haute érudition. Je me garderai cependant de paraître ingrat en taisant les concours empressés que j'ai obtenus partout, parmi le clergé local comme chez les particuliers. Tous m'étaient nécessaires et tous m'ont pénétré d'une sincère reconnaissance, mais je dois des remerciements particuliers : à M. le Docteur Sarrarnon, qui, prenant à cœur la mission d'encouragement inhérente à son titre de Vice-Président de la Société des Etudes du Comminges, m'a ouvert sa bibliothè- que, ses albums de gravures, et même certains des dossiers où il a rassemblé une riche moisson concernant les Quatre-Vallées; à un compatriote éclairé, M. B. Abadie, auteur de la carte du pays (on y trouvera les noms et les- limites des cortaux, ainsi que les communautés disparues ou détachées depuis le Moyen Age) et à qui je dois aussi l'important document qu'est le règlement de police ayant régi anciennement la Barousse; à M. Pambrun, Ba- rons sais d'adoption, dont la bibliothèque a souvent été mise à contribution; à M. André-Pouyé, maître-imprimeur dévoué à ses clients, et qui a patiemment guidé la nacelle dans ses fluctuations sur les eaux houleuses de l'Edition. Mettre à la disposition de tous les connaissances indispensables quant au destin et aux mœurs de leurs devanciers, ce serait, m'a- t-il semblé, œuvre incomplète, si l'on ne ranimait simultanément dans les cœurs l'amour de la terre ancestrale, car c'est à ce sen- timent que sont suspendues les destinées de la petite patrie. Il n'y avait pour cela qu'un moyen à ma portée, révéler cette terre à ses enfants, la débarrasser des voiles dont l'accoutumance l'a re- couverte. J'ai donc ajouté une partie descriptive aux deux précé- dentes. La conception primitive de cette partie du travail com- portait un bref résumé du passé de chaque agglomération; force a été d'y renoncer, nos mairies étant vides de tout document de quelque importance, et les archives du département n'étant guère mieux partagées à cet égard. En somme, l'exécution a été prise à rebours; du moins, c'est dans l'ordre opposé que la présentation en est faite, comme étant à la fois plus rationnelle et plus propre à soutenir jusqu'au bout l'intérêt de la lecture. A la fin de l'ouvrage ont été groupés certains documents cu- rieux ou qui méritent mieux qu'une simple analyse. Des indica- tions adéquates permettront de se reporter opportunément à ces appendices. J.-L. P. PREMIÈRE PARTIE

LE PAYS

§ 1 DIVISIONS ET APPARTENANCES.

Nous voulons tout voir, la ville et le hameau, L'hôte des champs tout comme celui du château. (ANONYME.)

La Barousse est principalement constituée par une vallée orientée du sud au nord, laquelle est bornée au midi par la vallée d'Oueil, à l'est et au nord par les vallées de la Pique et de la , à l'ouest par le pays de et la vallée d'Aure. Elle se divise en quatre parties assez distinctes : 1" La plaine. 20 La vallée basse, qui va de à . 3° La vallée haute, qui est subdivisée en trois branches formant un Y : a) de Troubat à Mauléon, b) de Mauléon à Ferrère, c) de Mauléon à Sost. 4° Un appendice englobant des territoires situés dans la partie contiguë de la vallée de la Garonne. La superficie de la Barousse est actuellement de 17.626 hec- tares, où sont disséminées vingt-cinq communautés, savoir : , , , , , , Cré- chets, , Ferrère, , , , . Loures, Mauléon, , Sacoué, Sainte-Marie, Saléchan, , Sarp, , Sost, Thèbe et Troubat. Les quatre autres communautés ci-après ont disparu depuis le Moyen Age : Adignac, Balestat, et Peyremilla. Une cin- quième, qui est Ilheu déjà nommée, s'est transportée d'un versant à l'autre de la vallée. D'autres, qui ont fait ancienne- ment partie de la Barousse, lui ont été enlevées. Ce sont en premier lieu Générest, Jaunac, Lombrès, et Tibiran, que la Révolution a transférées au canton de Saint-Laurent; ce sont ensuite Saint-Bertrand et Valcabrère, qui, depuis le Moyen Age jusqu'à la Révolution, avaient un pied en Barousse et l'autre en Rivière ; c'est enfin Luscan, qui se partageait entre la Barousse et les, Frontignes. Quelques renseignements préalables sur ces changements et particularités sont indispensables. Non point sur les agglo- mérations disparues, car nous visiterons leurs anciens terri- tbires au cours d'un voyage que nous nous proposons de faire en Barousse, et les causes de leur disparition seront étudiées dans la partie historique, mais sur les amputations que le pays a subies. On peut accepter sans trop de mauvaise grâce la décision par laquelle le législateur de 1790 a incorporé au canton de Saint-Laurent les cinq communautés susnom- mées, quoique Tibiran, par exemple, soit singulièrement plus apparentée à :la Barousse qu'au pays de la Neste inférieure. Ce qui est inacceptable par contre, c'est que l'on ait terminé le travail de dissociation que la féodalité avait commencé en séparant définitivement de la Barousse Saint-Bertrand et Val- cabrère, lesquelles sont ses filles au même titre que Loures, IzaQurt et Sarp. Peut-être ces deux communautés, qui n'en faisaient alors qu'une, eurent-elles une administration sépa- rée dès le VIlle siècle, par suite de l'attribution aux évêques de Comminges du temporel de leur ville épiscopale. Elles furent plus tard agrégées au pays de Rivière. Celui-ci était passé successivement des comtes de Comminges aux comtes de Lomagne, puis aux comtes de Périgord qui le vendirent à Philippe le Bel. Constitué alors en jugerie, il forma au xv" siècle, avec la jugerie de Verdun, un pays d'Etats qui fut transformé en Election au XVII" siècle. Les rois de , dont le souci constant était de prendre pied dans les pays indépendants de la couronne, avaient annexé au pays de Rivière des acquisitions fort différentes, si bien que des villes de l'Astarac et de l'Armagnac y voisinaient, si l'on peut dire, avec le Larboust. Tel fut probablement le cas de Saint-Ber- trand et de Valcabrère. Rien cependant ne put rompre entiè- rement les liens qui attachaient ces localités à la Barousse, et de cela l'histoire fournit maintes preuves1. Nous nous con- tenterons d'une seule, parce que la meilleure et probablement inédite. Il s'agit d'une reconnaissance souscrite par les dépu- tés de Barousse le 10 mai 1667 par devant M. Jacques de Jasse, juge royal de Barousse, dont le siège était alors à Val- cabrère. Il est dit dans ce document que la Barousse « con- fronte d'Orient avec le terrain de Labroquère, Barbazan et

1. Voyez notamment COUGET : Revue de Comminges, 1886, 3* trim. Sauveterre, Mont et Galié...; du couchant avec les montagnes de Vize, Montagut et Lombrès; du septentrion, le terrain d', Mazères, la rivière de Garonne et Neste, ces terrains allant jusqu'au milieu des dites rivières2. » Peut-être a-t-on remarqué avec surprise que la limite pas- sait du territoire de Barbazan à celui de Sauveterre, pour revenir ensuite à Galié. C'est que les montagnes dites de Gez3 et de Luscan faisaient alors partie de notre pays. Et c'est apparemment pour cette raison que M. de Froidour, réforma- teur des forêts au XVIIe siècle, comprit Luscan dans la liste des communautés baroussaises usagères des forêts de la val- lée. Il y a là une sorte d'anomalie, car Luscan était adminis- trativement commingeoise des Frontignes, et ce fut proba- blement M. de Gémit, seigneur de Luscan, qui en fut l'auteur. Au xv8 siècle, M. de Gémit, alors sieur de Barsous et demeu- rant à Saint-Bertrand, acheta pour cinquante florins, une terre de dix arpents appartenant à une dame de Sacère et située au pied de la colline de Luscan4. Il y bâtit un manoir, et pour ses gens quelques habitations qui formèrent le noyau du village3. Puis il reçut ou prit le titre de marquis de Lus- can. Comme l'historique en apportera la preuve, les de Luscan furent souvent cupides. Ce qu'il faut dire ici c'est qu'ils usur- pèrent les deux collines de Gez et de Luscan, ainsi que la grande île alors formée par la Garonne dans la plaine atte- nante4. Tout cela avait fait partie de la baronnie de Brame- vaque, passée à la couronne au début du XVIIe siècle. Le 26 juin 1673, M. de Froidour fit rendre un jugement pour la restitution de ces biens au Domaine, mais M. de Luscan par- vint à se soustraire à cette décision4. On conçoit que ce gen- tilhomme tendît à éloigner ses ressortissants d'un peuple qui ne devait pas manquer de lui manifester sa réprobation. ' Sans anticiper sur l'histoire du pays, il conviendrait d'in- diquer quel en fut le chef-lieu à travers les âges. On a parfois attribué ce titre à Ferrère,. tout au moins pour l'âge de fer6. Nous pensons quant à nous que ce rôle a dû appartenir à Lugdunum (Saint - Bertrand) dans l'antiquité, et jusqu'à la destruction de cette ville en 585. Puis c'est une nuit de trois

2. Arch. dép. H.-P., Cartre de Barousse. 3. Tire son nom de l'ancien village de Gez, encore représenté au XVIIIe s. par une métairie (LARCHER, Dictionnaire). 4. De Noguicz, syndic de Barousse en 1777. Selon M. Couget (Rev. Comm., 3* trim. 1886), M, de Luiscan ne possédait que douze journaux de terre en 1560. 5. Luscan avait existé antérieurement, mais il était désert en 1387 (Pouillé de Comminges) et l'était probablement resté jusqu'au xve s. 6. R, Lizop : Les Convenae et les Consoranni. siècles. Une fois le comté héréditaire de Comminges constituè au IXe siècle, il est probable que la Barousse fut intégrée à l'une des subdivisions les plus proches, peut-être à la future châtellenie de Fronsac. Au XIe siècle, nouveau changement par suite du passage de notre pays à la vicomté de Labarthe. le pouvoir féodal résidant désormais à Valcabrère, et l'appa- reil administratif et judiciaire fonctionnant à Brainevaque, où était aussi l'archtprêtré, Troubat étant toutefois le siège de la cour mixte, commune aux deux barons de Bramevaque et de Mauléon7. Après l'extinction de la maison de Labarthe au XIVe siècle, Bramevaque perdit peu à peu son importance de jadis : la justice s'exerça à Valcabrère, puis à Gembrie, cependant que l'archiprêtré se transportait à Troubat; les assemblées, d'abord tenues au siège de la judicature, prirent l'habitude de se tenir à Mauléon. En fait, cette dernière ville était devenue le chef-lieu bien avant que la Révolution lui en attribuât officiellement le titre. Le choix était justifié, Mau- léon occupant une position centrale, sur un nœud de routes. Toutefois, les circonstances tendent à transférer à Loures le pôle d'attraction. Bien que Loures soit une des plus récentes localités baroussaises, un développement rapide lui est assuré par la proximité des eaux thermales de Barbazan, par sa gare de chemin de fer, la route à grande circulation qui la tra- verse, l'industrie de la chaux, etc. C'est aujourd'hui une ville coquette et pouvue de tout ce que requiert un séjour confor- table et gai.

§ 2. LA PLAINE. Salut ! champs que j'aimais, et vous douce verdure; Et vous riant exil des bois. GILBERT.

La plaine constitue au propre et au figuré la couronne de la Barousse : au propre, parce qu'elle forme une circonférence bordée de fleurons naturels et qu'elle est la partie terminale du pays; au figuré, parce qu'elle en est la portion la plus noble, par sa beauté comme par son histoire. Ce n'est qu'un petit lambeau de terre, mais la nature l'a paré de ses plus char- mants attraits, et l'histoire y fit jadis une entrée sensation- nelle dont le temps n'a pu ternir l'éclat et dont rien n'effacera le souvenir. Si séduisant que soit l'espace intérieur d'une couronne, l'homme est si chétif qu'en s'y enfermant il voit la séduction

7. Coutume de Barousse du 20 février 1398. s'évanouir comme un songe. C'est sur les hauteurs du pour- tour qu'il faut prendre place, et il en est une au sud qui offre des postes d'observation remarquables et se termine par deux pointes dont la moins élevée s'appelle le Castéra, l'autre le Montbourg. Dès que vous êtes parvenu à l'accueillant gradin situé un peu au-dessus des carrières, faites face au nord et vous aurez sous les yeux un spectacle saisissant. N'en attendez pas une grandeur sombre et tragique telle que celle de Gavarnie. Ici, tout est dû aux charmes de la nature, rien à ses déchirements; tout est noblesse et distinction plutôt que grandeur oppres- sive. La beauté est fondée sur la simplicité et l'harmonie de l'ordonnance, sur l'élégance des formes, la sérénité de la phy- sionomie et la grâce de la parure. Le regard embrasse une plaine circulaire de trois kilomètres de diamètre, entourée d'une enceinte faite de mamelons et de collines. Le tout forme un cirque régulier dont l'amphithéâtre est compartimenté par six coupures destinées au service des hommes et au passage des cours d'eau. Par la coupure placée à votre gauche, la vallée de la Barousse vient s'épanouir au sein de sa plaine; à droite, c'est la vallée de la Garonne supérieure; puis il y a successivement la route de Sauveterre, celle de Saint-Gaudens, celle de Montréj eau, et enfin celle qui parcourt en aval la rive gauche du fleuve. Pour ses œuvres préférées, la nature a des soins d'artiste : si l', rivière de Barousse, et la Garonne qui la reçoit sous vos yeux, avaient été lancées vers le centre de l'arène, l'art scénique se fût trouvé en défaut; aussi sui- vent-elles la base de l'amphithéâtre, ajoutant un galon d'ar- gent à la verdure qui le recouvre. Car les hauteurs sont entiè- rement vertes, et leurs croupes, arrondies ou sinueuses, cou- ronnent des pentes généralement praticables, où des champs et des prairies alternent avec des bois. Quant à la plaine, des cultures très variées y opposent leurs coloris et y rivalisent de richesse, rehaussées à l'entour par les arbres des vergers, ceux qui entourent les habitations ou se penchent sur les flots paisibles des rivières. Il n'est pas d'endroit où les oiseaux ne donnent leur concert, car il n'en est qui ne leur tendg quelque rameau vert pour chanter sa beauté. Quel re- gret d'être réduit à une plume rebelle tandis que les modula- tions du merle et de la linotte célèbrent avec tant de magni- ficence ces riches moissons, ces prairies si vertes, cette émi- nence sévèrement revêtue d'antiques édifices, ce tertre riant surmonté d'un belvédère, ces coteaux boisés ou cultivés entre lesquels se déploient de délicièux vallons ! Tout cela est un ravissement pour les yeux, et l'on ne saurait dire quelle part en revient au brillant décor que chaque saison renouvelle, quelle autre à la divine architecture tout immuable dans sa prodigieuse harmonie8. Ce ne fut sans doute pas fortuitement que la nature amassa tant de doux charme en un si petit espace. Croyons que celui-ci fut le berceau de quelque divi- nité transcendante avant d'être celui de notre race; car c'est là que nos premiers ancêtres vinrent se grouper et fonder leur tribu; là que, durant des millénaires, leurs successeurs vécurent des jours libres quoique obscurs. Puis Rome la con- quérante, blessée peut-être qu'un tel joyau existât hors de son diadème, survint le fer à la main et s'en empara. Cinq siècles passèrent encore durant lesquels le ravissant jardin ne fut qu'un enclos tumultueux. Enfin Rome mourut, et son œuvre ne lui survécut guère. Alors les indigènes rendirent pieusement à leur terre son vrai visage, et ils se retirèrent au pied des hauteurs. Là sont encore leurs descendants, sauf ceux de Loures qui, tard venus, se sont arrogé une place d'hon- neur. On ne voit de cette ville que le rouge des toits, car les arbres de ses promenades, de ses élégantes habitations et de ses nombreuses hôtelleries occupent les intervalles. A l'entrée de la vallée de l'Ourse, Sarp, groupée au pied de son clocher, en garde l'accès. En deçà, sur les deux rives de l'Ourse, Izaourt est blottie dans la verdure comme un fruit .de luxe dans la ouate. Luscan, dominée par son château, est tout étirée sur la rive droite de la Garonne. Plus loin, au nord-est, Barbazan s'étage sur un coteau dont le château occupe les parties élevéeslo. Cet édifice serait le berceau de la famille de Barbazan, illustrée surtout par Arnaud-Guilhem de Barbazan qu'on nomma le chevalier sans reproche, et qui fut inhumé en 1431 à la basilique de Saint-Denis aux côtés des rois de France. Au nord-ouest est Labroquère, allongée sur la pente bordant la rive droite du fleuve. A l'ouest apparaissent suc- cessivement Valcabrère et Saint-Bertrand, deux noms auréo- lés par celui qui leur fut jadis commun : Lugdunum Conve- narum. Leur sol est tout pétri des reliques d'un grand passé, leur histoire riche de toute sorte d'événements. L'histoire aura son tour qui ménagera aux principaux monuments la place qui leur est due. Deux de ces monuments font partie du paysage : la cathédrale de Saint-Bertrand, en partie ro- mane (XIe) et en partie gothique (xiv'); l'église Saint-Just de

8. En 1647, M, de Froidour écrivait à ce suje-t : « Toutes ces choses font la plus agréable vue qu'on puisse se figurer. Dans. tout mon voyage je n'ay rien vu dont j'ay esté pluS' satisfait. » 10. A noter que Barbazan et Labroquère n'ont jamais fait partie de la Barousse. Valcabrère, une des plus anciennes de France parce que re- construite vers le IXe siècle. Notre tour d'horizon ne serait pas complet si nous ne mon- tions aux sommets du Castéra et du Montbourg. Celui du Cas- téra aurait anciennement servi de poste d'observation ou d'arrêt, du moins son nom semblerait l'indiquer. Il jouit en tout cas d'un double avantage : d'une part, il procure un très beau champ visuel sur la vallée de la Garonne supérieure, jusqu'à Marignac où s'élevait jadis une tour à signaux; d'au- tre part, il domine verticalement l'ancienne voie romaine vers l'Espagne, qui est à cet endroit resserrée entre la mon- tagne et le fleuve. Aucune fouille spéciale n'a eu lieu sur ce mamelon, non plus d'ailleurs qu'au Montbourg; il est ce- pendant à noter que les déblaiements auxquels donne lieu l'exploitation des carrières ont parfois livré des fragments de poterie semblables à ceux. si fréquents à Saint-Bertrand. Quoi- que le Montbourg soit un peu plus élevé que le Castéra, ses flancs, tout recouverts de bruyère et de thym, restent très praticables; et le trajet d'un sommet à l'autre trouve toutes préparées deux chambres de repos, deux petits cols molle- ment incurvés, discrets et tapissés d'un gazon qui est par sa finesse une invite à tout ce qui dans le royaume des fées aime à danser au clair de lune. Le Montbourg est un piton qui a la forme d'un cône légèrement tronqué, la partie plane ou semi-plane du sommet ayant un diamètre suffisant pour recevoir un important ouvrage. Comme on sait, le bourg (burg), dans le monde germanique du Moyen Age était une forteresse, presque toujours placée sur une hauteur. Or, cette hauteur-ci présente des avantages défensifs et visuels remar- quables. La vue n'a pas de limite vers le nord; de l'ouest au sud, c'est la vallée de la Barousse qui est d'un bout à l'autre explorée par le regard; à l'est enfin, c'est la vallée de la Ga- ronne. Toutes les localités et voies de communication envi- ronnantes étant dominées par le Montbourg, on peut conjec- turer que cette hauteur a dû être anciennement organisée pour la défense. Quoi qu'il en soit, de cet observatoire d'où toute la Barousse se révèle; d'où l'on voit les flots de l'Ourse filer furtivement sous les ombrages, et ceux de la Garonne quitter à regret la plantureuse vallée où ils font maints dé- tours; où tout parle des ancêtres, depuis les heures que l'ai- rain égrène au clocher de Saint-Bertrand jusqu'aux, autans qui sifflent ou gémissent; de cet observatoire, disons-nous, tout Baroussais sentirait monter de son cœur à ses lèvres le saint nom de la patrie. § 3. LA VALLÉE BASSE. Nous allons parcourir les va/llons, les forêts;. Les coteaux un moment nous tiendront en arrêt. Partons ! l'aubade nous attend 'au village, Et le cortal pour nous surgit des nuages. (ANONYME.)

Partons donc. Un instant cependant. Deux itinéraires sont possibles pour un voyage dans la vallée basse : par la route nationale et moderne qui suit la rive gauche de l'Ourse. ou bien par celle de l'ancienne Barousse qui se déroule entière- ment sur la rive droite. Nous adopterons la première, parce que c'est à elle que se raccordent les agglomérations des deux rives. Rejoignant la grand'route par l'ancienne voie romaine qui ceinture la base du Montbourg et traverse l'Ourse à Izaourt, nous aurons l'avantage de voir ce dernier village qui est l'un des plus coquets de Barousse et que précèdent de spacieux et frais vergers. L'agglomération et ses vergers s'étendent, tout comme ceux de Loures, sur l'emplacement de l'antique lac garonnais que la haute moraine de Labroquère avait créé lors des extensions glaciaires de l'ère quaternaire. Mais tandis que Loures s'est tardivement établie vers le centre de la zone lacustre, c'est probablement dès l'époque de l'indépendance préromaine qu'Izaourt avait pris possession d'une ancienne et profonde crique dont la pointe s'avançait jusque vers l'ac- tuel moulin de Sarp. Cette baie dotait l'Ourse d'un imposant estuaire aux rivages élégamment découpés, tantôt resserré entre de vertes hauteurs qui se miraient dans ses eaux, tantôt déployé sur de douces plages où, peut-être, nos primitifs an- cêtres venaient prendre leurs ébats. Ce n'est donc pas sans quelque semblant de justification qu'on a déduit le nom d'Izaourt, de celui d'Izis, déesse des eaux; mais depuis la dé- couverte que Victor Cazes y fit au siècle dernier d'un autel votif à Isornaussill, on a toute raison de croire que c'est ce dieu topique qui doit assumer le parrainage. A noter d'ail- leurs que le nom a varié : on l'écrivait Ysaort en 1525 et Issaourt en 166712.Le village a ceci de particulier que le cen- tre en est largement dégagé, occupé qu'il est par un îlot formé par la rivière et un canal de dérivation. Là sont l'église et la mairie, séparées par une vaste place publique gazonnée et ombragée par de magnifiques noyers. L'église est moderne,

11. D'AGOS : Saint-Bertrand. 12. Toutes les anciennes appellations sont extraites des terriers de Barousse (Arch. dép. H.-P.). Pl. I

UN ASPECT DE LA VALLÉE BASSE mais au-dessus du porche est une stèle qui porte deux bustes et daterait du premier siècle chrétien. Les de Binos de Sarp d'Izaourt, seigneurs du lieu, avaient un des leurs au chapitre de Saint-Bertrand en 1749. Nous voici parvenus au carrefour dit de la Croix des Hugue- nots, qui doit son nom aux désordres des guerres religieuses du xvi' siècle13. Sarp est là tout près qui montre en premier lieu son château. Ce fut le berceau des de Binos de Sarp qui, de 1527 à 1712, fournirent cinq chanoines au chapitre de Comminges. Récemment encore l'on admirait l'avenue de tilleuls séculaires qui ornaient le château et le village et qu'un vandale a abattus. Sarp eut de tout temps un hameau appelé Millas, lequel a terminé ces années passées une longue exis- tence. Sarp avait une pharmacie vers le milieu du siècle der- nier; et plus anciennement une tour où l'on faisait encore le guet fin xive siècle14. Les dernières maisons dépassées, on entre dans la vallée qui est d'abord assez encaissée, à cause d'un contrefort que la colline d'ouest a poussé jusqu'au bord de la rivière. Les vues y sont limitées et quelques tournants accentués se suc- cèdent. Mais la physionomie change rapidement, l'horizon s'élargit, les pentes s'adoucissent ou s'éloignent, la route et la rivière, bientôt jumelées, n'offrent plus que de rares sinuo- sités. Enfin règne la douce et harmonieuse paix qui caracté- rise la vallée. Les surfaces planes sont à la vérité peu nom- breuses, mais les pentes inférieures sont assez douces pour que les machines agricoles y soient utilisées. Ces pentes se partagent en prairies que la fraîcheur ambiante maintient très vertes, et en des terres labourées dont les belles récoltes attestent la fertilité; il y a au-dessus de ces cultures quel- ques ondulations du sol dans les premières frondaisons, d'é- troits plateaux généralement cultivés, de petits vallons, de rares et peu profonds ravins, le tout fondu dans une verdure généralisée; enfin des futaies de hêtres recouvrent jusqu'aux sommets les pentes supérieures vivement redressées. Pas de rocher oppressif, aucune surface stérile, rien d'attristant, mais partout répandues la sérénité et la douce paix d'un chant pastoral. Aux pieds du voyageur, l'Ourse concrétise ce

13. Nous ne saurions dire si la croix existait ou non lors des inci- dents rapportés, p. 193. Un document (Arch, H.-G. FF2y n° 2) indique qu'en 1448 le chemin de Saint-Bertrandi là Izaourt était celui qui, par tant du quartier de Corneillan, coupe la route actuelle de Barousse 1t proximité du Pujoulet et se dirige ensuite sur le pont d'Izaourt à l'autre bout duquel est la vieille route de la vallée. 14. Arch. dép. H.-P., Cart. de Barousse. Coutume du 20 février 1398. chant par le murmure de ses ondes limpides que la truite raye d'un trait sombre et fugace, et aussi par le frémissement sous le souffle de la brise des hauts peupliers qui ornent ses rives et prodiguent à l'automne les plus éclatantes dorures. Quelques maisons se sont peu à peu détachées de chaque village pour venir s'implanter au bord de la rivière. D'autres bâtiments, qui sont là depuis toujours, témoignent à l'envi du bouleversement des mœurs. Dans tel d'entre eux, nos mères venaient faire filer leur laine quand elles n'y pouvaient suffire; dans tel autre, elles donnaient leurs noix à presser pour l'approvisionnement en huile, ou des pommes pour la boisson des jours de fatigue; ailleurs c'était un moulin, ou une batteuse, ou une scierie, le tout mû par les eaux de l'Ourse. Cette industrie est morte ou peu s'en faut. Les villa- ges qui l'avaient engendrée et la faisaient vivre subsistent quoiqu'ils soient bien affaiblis, mais ils sont peu apparents. Assis sur de petits plateaux au milieu de leurs terres, sou- vent dissimulés par les arbres des vergers et des châtaigne- Taies, leur présence n'est révélée que par des fumées légères, ou la pointe d'un clocher émergeant des frondaisons. Pourquoi cet abandon du fond si frais et si commode de )a vallée pour gagner des hauteurs où il faut tout hisser à grand effort ? La première raison qui vient à l'esprit est le risque d'inondation, qui est des plus sérieux en montagne. Il ne manque pas de Baroussais qui se souviennent avec émo- tion de la funeste journée du 3 juillet 1897 : en quelques heures ils virent des phénomènes avant-coureurs se changer en inondation, et l'inondation, passant à son tour avec la vio- lence et la rapidité de l'ouragan, laisser derrière elle la ruine et des paysages quasi-lunaires. Pourtant tout montagnard de vieille race, par cela seul qu'il n'est point à l'aise dans les bas-fonds, sent bien que la véritable raison est d'ordre phy- siologique; que l'atavisme, quoique déclinant, garde assez d'influence pour lui faire préférer les hauteurs. Au reste, s'il a eu dans l'enfance le goût d'interroger les anciens sur le passé des familles et des maisons de son village; si, plus tard, il s'est plu à regarder ledit village croître dans ses par- ties basses, vieillir et mourir dans ses parties les plus hautes. il a conjecturé que les agglomérations primitives étaient pro- ches des sommets, et qu'à moins d'obstacle naturel elles ne cessent pas d'être soumises à un glissement lent et continuel. Peut-être l'historique permettra-t-il d'explorer plus avant ce repli obscur de l'âme baroussaise. Faisons maintenant une rapide incursion dans les villages qui nous entourént. Il en est peu où l'on ne puisse découvrir quelque trace d'un passé révolu, quelque témoignage que les anciens habitants, malgré leur ignorance, furent moins dé- pourvus que leurs successeurs de préoccupations artistiques. Voici d'abord Anla qui montre la pointe de son clocher au sommet du petit coteau dominant la rive droite. Selon la tra- dition, cette communauté ne serait autre que l'ancien village d'Adignac, jadis son voisin et qui a disparu vers la fin du Moyen Age. Nous ne partageons pas cette opinion, et nous en ferons connaître les raisons au cours de l'historique. Adignac. dont quelques vestiges subsistent, était plus éloigné, au pied méridional du Montbourg et au lieudit Ardoun. Entre Anla et Adignac existait une chapelle dédiée à Notre-Dame-de- Lers, chapelle dont il reste quelques traces et qui, selon une inscription locale, aurait été élevée au XIIIe siècle. Une Vierge en bois doré, dite Piétà et provenant de ce sanctuaire, est maintenant exposée à l'église paroissiale. Celle-ci, qui con- tient aussi un autel et un rétable du XVII" siècle, semble avoir été précédée d'une autre qui était romane et lui a légué un de ces chrismes caractérisés par diverses lettres, dont l'alpha et l'oméga. A l'intérieur et au rez-de-chaussée du clocher est une pierre présentant une effigie grossièrement sculptée, et bien, que nous ayons aujourd'hui à regretter de n'être poin' disciple de Champollion, nous pensons pouvoir l'ajouter à la. liste déjà longue des objets gallo-romains découverts à Anla. Une bonne partie de ces objets proviennent de Notre-Dame- de-Lers, chapelle qui serait due à la famille de Aula, origi- naire du lieu. De la maison de Aula était issu Jean le Bon. évêque de Couserans en 1480; elle donna aussi, au XVI" siè- cles, quatre chanoines au chapitre de Comminges15. Une autre famille d'Anla, appelée Vaqué, prit au siècle dernier une place prépondérante en Barousse, moins à cause de ses services que de sa fortune qui était relativement importante, et peut- être aussi en raison de sa parenté avec la famille Dutrey, de Troubat, qui, on le verra plus loin, avait de meilleurs titres, à la reconnaissance des Baroussais. A quelques centaines de mètres au sud d'Anla, dans une position identique quoique un peu plus élevée, est Antichan. Selon R. Lizop16, le nom de cette localité (Antistianum) et celui d'Antichan de Frontignes viennent de la famille gallo-romaine des Antistii qui possédait dans la région de Saint-Gaudens; un grand domaine dont les dépendances s'étendaient jusqu'en Barousse et Frontignes. Au Moyen Age, le nom fut porté par-

15. D'AGOS : Saint-Bertrand. � 16. Les Convenae. et les Consoranni. une famille qui donna deux chanoines au chapitre de Saint- Bertrand en 1234 et 1257. Antichan est une commune aisée. dont les terres couvrent le coteau en forme de mamelon qu'un caprice de la nature a isolé au milieu de la vallée. L'église sè dresse au sommet de la pente rapide qui domine le pont d'An- tichan, et elle est intéressante. De style roman, ses murs épais soutiennent une lourde voûte en maçonnerie. Sous le badigeon qui recouvre lesdits murs seraient de vieilles pein- tures à fresque. L'autel et son beau rétable sont d'époque Louis XIII, ainsi qu'un ciborium à colonnes torses. Le pont d'Antichan, mentionné tout à l'heure, était le seul que les communautés entretinssent à frais communs sous l'Ancien Régime. C'est au dix-neuvième siècle que' fut construite la belle route de la rive gauche, qui n'existait auparavant que par endroits et sous la forme de chemins communaux. La voie d'intérêt commun était celle de la rive droite, à peu près telle qu'elle existe encore quant au tracé : partant du pont d'Izaourt, elle passait un peu à l'ouest d'Adi- gnac, traversait Anla, descendait sur la rive à l'entrée du pont d'Antichan, se dirigeait droit vers Gembrie à flanc de coteau, puis vers Troubat; c'était un peu au sud de cette communauté qu'elle se confondait avec la route actuelle, mais sur un petit parcours, car au bas de la côte de Hourmenta elle obliquait à gauche et rejoignait le tracé actuel sur le palier faisant suite (voyez la carte). Comme de cé temps il n'exis- tait pas de pont entre Mauléon et les communes en amont, il s'ensuit que celui d'Antichan était le seul situé en dehors de toute agglomération, et les autres étaient à la charge de leurs communautés respectives. Ilheu et Samuran font pendant à Anla et Antichan, mais plus haut sur la colline, et aux abords immédiats de vacants qui leur fournissent d'excellents pâturages. Lorsqu'on a fran- chi le pont d'Antichan pour se diriger vers ces localités, le coteau apparaît tout partagé par un ravin qui semble dé- pourvu d'intérêt. Mais dès qu'on parvient au-dessus d'Anla, ce fossé vulgaire s'est changé en un profond et charmant vallon qui, décrivant aux deux tiers un arc de cercle autour du riche coteau d'Antichan, le sépare des territoires voisins. On chercherait vainement pour les promenades d'été un lieu plus solitaire, plus capable de communiquer à l'âme les dou- ces émotions, d'accorder au corps la reposante fraîcheur. Au bas de pentes rapides et en partie boisées s'étendent noncha- lamment des prairies unies, où miroitent les faibles ondes d'un ruisselet pur et silencieux. Ilheu, qu'on écrivait Ylheu en 1525, tire probablement son nom de la propension que ses fils durent avoir jadis de faire retentir l' (hennissement), le fameux cri qui semble avoir été commun à toutes les époques et à tous les montagnards du vaste monde. C'était déjà sous ce nom que le village était connu quand il -se trouvait sur l'autre versant de la vallée, en un point où il resta jusqu'à la fin du Moyen Age et où nous retrouverons tout à l'heure son ancienne église qui est l'une des plus intéressantes de Barousse. Il est d'autre part à pré- sumer qu'il a remplacé dans son territoire actuel une agglo- mération de l'époque gallo-romaine dont le nom et le souvenir se seraient perdus. Cela paraît résulter des quatre monu- ments découverts audit lieu, sans compter un Antoninus en argent et très bien conservé trouvé récemment. La modeste et moderne église paroissiale renferme un autel et un retable du XVII" siècle. Samuran compte aujourd'hui moins de trente habitants. Ce fut toujours une des communes les plus faibles depuis 1789, et le Pouillé de Comminges laisse deviner une situation semblable pour le xive siècle. On pourrait donc croire qu'il n'en a jamais été autrement, mais cela va à l'encontre de l'opinion locale qui impute à la peste de 1348 la décadence de la communauté. On va jusqu'à porter à 1400 le chiffre de la population d'avant cette épidémie, ce qui est inacceptable. Une visite à l'église paroissiale, si intéressante à différents égards, nous fournira une base d'appréciation. Il s'agit d'un de ces sanctuaires romans bâtis vraisemblablement fin XI" ou XII" siècle, fruit par conséquent de la vive foi semée par saint Bertrand; elle est en tout cas bien antérieure à l'épidémie en question. Or, elle est petite et construite manifestement pour les besoins d'une faible paroisse. Les habitants eux-mêmes la donnent comme ayant servi autrefois de chapelle à un châ- teau quasiment attenant, dont il ne reste que des gravats et qui appartint à une famille de Sens. La porte d'entrée, qui était primitivement à la façade sud, fut plus tard transférée au levant. De l'ancien encadrement en marbre blanc et à mou- lures sculptées, on retira le cintre et on lui substitua une ogive en granit, avec tympan portant un chrisme gravé en creux. Dans l'un des angles de l'épaisse muraille est encas- trée une pierre dont l'un des côtés visibles porte une rosace et diverses figures géométriques. A l'intérieur, le bénitier et les fonts baptismaux sont remarquables par leur nature et leur ancienneté. Le premier de ces objets a la forme d'un ciboire et a été sculpté sur un bloc de granit; le bord de la coupe s'ornait de quatre effigies que l'usure ne permet plus de définir. Quand au second, il est en marbre griotte, de forme antique et lourde, et consolidé par un cercle en fer grossièrement forgé; le couvercle est en bois traversé de gros clous dont la tête est à l'intérieur et la pointe à l'extérieur. Sur la rive gauche, établi à mi-pente, voici Aveux. La tradi- tion locale veut qu'il ait été fondé à une époque indéterminée par un groupe de colons venus de Gaud, sur la Pique. Il n'est pas impossible qu'il ait porté à l'origine le nom de Gaud, car au xve siècle on l'appelait . A remarquer d'ailleurs que la prononciation patoise de cette localité est encore assez proche de l'ancien nom. Le passé en tout cas n'a laissé au- cune trace matérielle, sauf cependant une pièce de monnaie à l'empreinte de la louve qui a été trouvée récemment dans un ruisseau. Au sud d'Aveux il y a Créchets, qu'on appelait Crécetz en 1525. On voit peu ce village, sauf une partie qui, en vertu d'une loi précédemment évoquée, a glissé jusqu'au bord de la route, à moins que ce ne soit pour honorer le Mail de la Mule qui lui a fourni le sujet d'une des légendes jadis si abondantes. Ce mail, aujourd'hui mutilé, est placé au bord de la route. Un jour que saint Bertrand revenait sur sa mule de visiter les paroisses de Barousse, il trouva le chemin obs- trué par ce bloc de pierre. Ce fut la mule qui remédia à 1), difficulté par des ruades qui firent reculer l'importun et lui imprimèrent l'empreinte de ses fers. Ce sont ces empreintes qui ont permis d'établir le caractère erratique du 'bloc, ainsi que son lieu d'origine qui est le Monné. Créchets fut le ber- ceau de la famille de Palatz, dont l'ancienne résidence dresse encore au milieu du village sa modeste tour du xvie siècle. La généalogie des de Palatz comprend un évêque de , deux archidiacres de Barousse et cinq chanoines de Commin- ges aux xve et XVIe siècles. Un autre de ses membres se char- gea, avec une troupe probablement composée de Baroussais, de défendre Saint-Bertrand durant les troubles religieux du XVIe siècle. Au siècle suivant, « François de Palatz, écuyer. seigneur de Créchets »17 eut avec Philibert-Antoine de SI-au- léon une vive contestation au sujet d'un moulin banier qu'il possédait sur l'Ourse. En 1525, Arnaud-Guilhem de Palat? résidait à Izaourt18. La noblesse des de Palatz semble avoir fait dans le passé l'objet de controverses dont on trouve des échos dans les travaùx de Larcher19. Créchets comptait un officier de santé il y a un siècle, et il était alors, comme Aveux.

17. Arch. dép. H.-P., Cartul'aire de Barousse 18. Ibid., Terriers de Barousse. 19. Glanages, t. 1, nos 12 et s. peu accessible aux voitures. Au-dessus de la porte de l'église est encastrée une pierre, probablement funéraire, qui porte une effigie. Maintenant la vallée basse va déployer sous nos pas ses plus irrésistibles séductions. La pente cesse d'être percepti- ble, et si la route décrit par instants une courbe légère, il semble que ce soit surtout pour prévenir toute monotonie. Le fond de la vallée s'élargit notablement et s'étend en ter- rains plats que de vastes prairies recouvrent et parmi les- quels l'Ourse, telle une reine visitant ses domaines entre deux haies de courtisans, s'avance lentement entre ses deux rangées d'arbres. Quant aux versants, c'est par un plaisant contraste qu'ils contribuent à la beauté du tableau. Au levant c'est le coteau d'Antichan déjà aperçu sous différents aspects; maintenant il descend vers la rivière et s'étend vers Gembrie en lignes molles, tout recouvert de vergers aux approches de cette dernière localité, de cultures sarclées ailleurs. Au cou- chant, le Montsacon, en partie dégagé des hauteurs intermé- diaires qui le masquaient jusqu'ici, dresse haut (1.538 lU.) sa belle forêt de hêtres, cependant que des mamelonnements et des plissements en sens divers et différemment recouverts de chênes ou de châtaigniers, donnent à l'ensemble une phy- sionomie aux traits accusés et assymétriques. Bien qu'à chaque détour du chemin se renouvellent des vues dont la vertu commune est de mettre de la douceur dans les yeux et dans les pensées, nous aimerions conduire le visi- teur étranger sur ce coteau d'Antichan si souvent mentionné. C'est moins un coteau qu'un balcon. La nature l'a élevé dans l'axe de la vallée pour que son œuvre soit favorablement ex- posée aux regards, pour que ses ineffables beautés soient goûtées dans leur réjouissante diversité, avec l'éclairage et le recul convenables. Et quand, après avoir parcouru l'horizon. les yeux se sont posés tour à tour sur les collines, les vallons, les villages et les lieux que la rivière arrose, on peut leur rendre la faculté de s'extasier en se dirigeant vers, Troubat par le sentier agreste qui y conduit. Parvenu dans le quartier au nom sonore de Ridor, on découvre inopinément le royaume des sylphes et la cour d'Obéron. Ridor est une beauté quasi- secrète, car l'homme n'y séjourne point et y passe peu, inti- midé peut-être par l'écrasant Mail Blanc qui domine ces parages. Ridor est un plateau incurvé et de configuration approximativement circulaire; de riants boqueteaux coupés çà et là de légères éminences occupent la périphérie et bor- dent des prairies doucement inclinées vers le centre, qui est marqué par une prairie plate, unie et verte; cette prairie cen- traie a ëlle-même pour noyau une estrade arrondie d'environ trente mètres de diamètre et deux mètres de hauteur, ceinte d'un mur et ombragée par quelques arbres. Quand la blonde Phébé se lève sur le Mail Blanc et pare ce délicieux théâtre de ses reflets veloutés, les blanches et sveltes sylphides vien- nent se poser sur les tertres comme des libellules d'argent sur des boutons de nénuphar; puis, leurs ailes à demi dé- ployées et leurs pieds nus effleurant à peine le gazon, elles accourent à la praire centrale, où, par groupes gracieux et légers, elles dansent autour de l'estrade qui sert de trône au dieu magnanime. Moins fertile en réminiscences mythologiques, la grand' route l'est davantage en souvenirs historiques. Ainsi, ce fond de vallée tout à l'heure décrit et maintenant parcouru, ces prairies en contre-bas de la route et que les eaux de l'Ourse ne cessent de fertiliser, ces champs en contre-haut et dont la terre généreuse s'étend sur la pente jusqu'au quartier de Gaudent appelé Estiveaux, tout cela a constitué plusieurs siècles durant un domaine appartenant à Notre-Dame-du- Plan-d'Ilheu. Ce domaine conférait au vieux sanctuaire un certain caractère historique, car la donatrice n'était autre que Marguerite d'Angoulême, sœur de François Ier et reine de Navarre, dame temporelle de la Barousse qu'elle avait reçue en apanage. Le 16 novembre 1528, tandis que la souveraine, en couches de Jeanne d'Albret, souffrait en vain, et-le se re- commanda à la Vierge d'Ilheu et fit vœu de lui offrir une terre20. Ce fut sans doute un précédent dont sa fille, à son tour seigneuresse de Barousse, se souvint dans la nuit du 13-14 décembre 1553, quand, en mal du futur Henri IV, elle appela à son aide la Vierge vénérée dont la statue ornait alors le pont de Pau : Nouste dauna déu cap déu poun, Adjuda-mé à d'aquest' hore. Prégats au diu dou cèu Qu'em bouille bien déliura lèu.

Notre-Dame-du-Plan-d'Ilheu, qui était dès ce temps déser- tée par ses paroissiens, n'a pourtant pas cessé jusqu'à la Révolution de jouir de son domaine, un habitant de Gaudent étant chargé de percevoir les arrérages20. C'est sans doute grâce à cette circonstance qu'elle a pu parvenir jusqu'à nous. Voici enfin qu'elle apparaît, par delà une charmante prairie et tout isolée dans une légère dépression de terrain qui fait

20. D'AGOS : .votre-Dame-du-Plan-d'llheu. deux parts de la plate-forme plate et un peu surélevée sur laquelle s'étendait l'ancien Ilheu. Bien qu'on y vienne encore en assez grand nombre quand une cérémonie y a lieu, Notre- Dame-du-Plan-d'Ilheu n'est plus l'objet des fervents et inces- sants hommages d'autrefois. Baroussais qui n'as point dai- gné remarquer au bord de la route ce banc de pierre désor- mais inutile, sache bien que tes ancêtres ne passaient jamais devant sans s'y agenouiller pour rendre leurs devoirs à la Dame spirituelle de Barousse ! Dès sa conversion au chris- tianisme, et probablement sous l'influence de saint Bertrand qui avait pour Marie une prédilection marquée, notre pays se voua à la Vierge, à laquelle, selon le baron d'Agos, il éleva six sanctuaires. Trois d'entre ceux-ci ont disparu sans laisser de souvenir; les trois autres étaient : Notre-Dame d'En-Haut à Esbareich, Notre-Dame-du-Milieu à Mauléon et Notre-Dame d'En-Bas à Ilheu21. Seul ce dernier subsiste. Par suite de res- taurations, il n'y a qu'une partie qui soit romane. Au dire de l'auteur susnommé, la construction du XIe siècle aurait été précédée d'une autre que les Sarrasins auraient détruite, probablement en 732, mais cela appelle des réserves. Notre- Dame-du-Plan-d'llheu n'a qu'une seule et assez petite nef, avec abside en cul-de-four, séparées par un arc retombant sur des tailloirs armés de têtes et de dessins d'un travail grossier. A droite, un arc ogival donne entrée à une petite chapelle où est exposée la statue miraculeuse, une Piétà en pierre21. Outre de nombreuses guérisons, on a attribué à celle- -ci des manifestations spectaculaires, principalement des pro- cessions nocturnes à grand luminaire qui se déroulaient dans le vallon et retournaient s'éteindre au sein du sanctuaire21. C'est à Gaudent qu'appartient maintenant l'ancien terri- toire d'Ilheu. C'est un petit village typiquement pyrénéen, assis sur un léger ressaut de terrain à mi-hauteur d'une vaste soulane dont la partie supérieure est déboisée et sert de pâ- turage. Peut-être Gaudent, imitant la capitale du Nébouzan, a-t-il tiré son nom du martyre de saint Gaudens sous la domi- nation wisigothique. Son ancienneté ne semble pas douteuse. Autrefois peuplé surtout de bergers, il n'en réalisa pas moins des sculptures remarquables qui ont été mises à l'encan dans les temps modernes. Sur un linteau de porte on voit encore un Nativité d'un dessin naïf mais fermement tracé; ailleurs un serpent rappelle les tribulations de nos premiers parents. Sacoué, un peu au sud, était une communauté florissante 1:1 y a un siècle, avec ses cinq cents habitants dont il reste à

21. D'AGOS : Notre-Dame-du-Plan-d'Ilheu. peine le quart. Sa position est bien particulière, et son passé exempt de banalité. Le chemin de raccordement s'engage tout ■de suite dans un vallon qui, prenant d'abord le caractère d'une gorge pittoresque égayée par un bruyant quoique faible ruisseau, s'avance ensuite parmi les cultures qui font au vil- lage une ceinture large et continue. Une pente, assez vive et un parcours assez long témoignent que Sacoué est assez élevé au flanc du Montsacon, et cependant il occupe le centre d'un plateau nettement incurvé. De sorte qu'en le contemplant sous un angle approprié, en le voyant si immédiatement do- miné par la montagne qui s'élève perpendiculairement, on dirait la nichée d'un oiseau gigantesque qui, debout au bord du nid et les ailes légèrement entr'ouvertes, s'apprêterait à la défendre. Il n'y a pas là qu'imagination, car le Sacon a tou- jours été pour le village une puissance protectrice et nourri- cière; de plus, il a dû y avoir identité de nom, car celui de l'agglomération s'appelait Saquo en 1525. Les fils de la, mon- tagne furent des hommes industrieux et vaillants. Ils se firent une renommée locale comme cémaliers22, et une autre plus étendue comme maîtres verriers. A ce dernier titre une fa- mille encore existante aurait été anoblie jadis, tandis que d'autres se distinguaient sans pourtant s'enrichir. Les diffi- cultés à surmonter étaient sévères, attendu que l'exploitation avait lieu dans l'Arize, hameau autrefois important et qui compte encore une quarantaine d'habitants. Du village au hameau, il y a deux heures et demie de marche, par des che- mins ardus et le Col des Morts qui doit son nom à une vieille coutume. L'Arize n'ayant ni cimetière ni service religieux, les morts sont transportés au col et exposés au pied d'une croix où le curé de Sacoué vient en cortège les prendre pour les conduire à leur dernière demeure. Verriers et cémaliers ont fait tour à tour l'ultime voyage, et leurs outils aujourd'hui sont dévorés par la rouille. II était naturel que le domaine artistique obtint moins de faveur que le domaine artisa- nal, mais il ne resta pas entièrement fermé. Bien des objets légués par le passé auraient disparu, cependant il en reste quelques-uns à l'église paroissiale. Elevée en 1884 sur l'em- placement de l'église romane devenue trop petite, elle a con- servé de celle-ci une corniche extérieure avec ses consoles décorées, ainsi que le chrisme rencontré plusieurs fois déjà. A l'intérieur sont trois* pièces de la même époque que l'an- cienne église et probablement de fabrication locale. C'est d'abord une statue en bois non décoré représentant saint

22. Fabriquants. de baquets (cémaus). Jean, patron de la paroisse. C'est ensuite une porte de sacris- tie façonnée à la hache et munie de ferrures23. C'est enfin un bénitier fort curieux, à savoir une dalle rectangu- laire dont le milieu est creusé en vasque ronde au bord orné d'une tresse, et les extrémités sculptées de manière à faire jaillir de chacune trois têtes d'expression différente quoique barbare. Le sculpteur voulait donner la vasque à tenir aux six sujets, mais il fut trahi par son ciseau. Sacoué a été le berceau et probablement le fief de la famille de Méritens, qui habitait une maison portant encore la date de 1476. Cette famillle émigra à Izaourt au siècle dernier, et mal lui en prit car le nom s'y éteignit bientôt. C'est à Gembrie que la judicature de Barousse siégeait sous l'Ancien Régime. Le siège antérieur de Valcabrère était trop éloigné pour la haute Barousse, et Mauléon parut trop loin pour le Cieutadès. Rien à Gembrie ne rappelle ces honneurs passés. L'agglomération est peu importante désormais, et rien n'y attirerait le regard sans une montjoie ornant l'un de ses carrefours. C'est une pierre taillée en forme de médaillon et creusée de manière à obtenir une niche profonde dont l'enca- drement est orné de dessins sculptés. Passé Gembrie, le beau paysage de la vallée basse se pour- suit jusqu'au tournant semi-circulaire qui marque l'entrée sous les murs de Bramevaque et annonce l'approche de la haute vallée. Quel que soit Le point vers lequel on se tourne en abordant ce tournant, on a devant soi des sites bien dis- tincts quoique également beaux. Ils défient la description parce que leur physionomie change avec 'les saisons, mais il n'est pas de moment où le passant ne puisse s'arrêter là à son intime satisfaction. Troubat et Bramevaque se font vis-à-vis de part et d'autre de la rivière, sur des positions do-minantes qui commandent le passage. Au temps où le souci de la sécurité primait tous les autres, c'était vers Bramevaque que bon nombre de Ba- roussais devaient se jeter en cas d'alarme. La position de cette localité était en effet très forte au Moyen Age, car elle était munie d'un système de fortification indépendant du château-fort24 qui fut pendant quelque trois siècles le siège de la seigneurie majeure de Barousse. Bramevaque, où sié- geait aussi à la même époque l'archiprêtré de la vallée, reste,

23. Selon la tradition locale, cette porte aurait été taillée à la hache par dérision, affectée qu'elle était à une seconde entrée de l'église ro- mane, la seule par laquelle les cagots fussent admis à passer. 24. Cela résulte de la coutume du 20 janvier 1398 (LARCHER, Diction- naire). malgré sa décadence actuelle, ce qu'il y a chez nous, hormis Saint-Bertrand, de pilus évocatif, de plus riche d'histoire et de légende. Pendant que nous monterons la rampe conduisant au vil- lage, demandons-nous quelle peut-être l'origine du nom si pittoresque'de Bramevaque. C'est aux légendes qu'on a jus- qu'ici recouru pour répondre à cette question, car il y en a plusieurs. Toutefois, il n'y en a qu'une de véritable, c'est-à- dire qui soit de formation locale, et elle porte l'empreinte de l'événement historique que fut la détention au chàteau de la localité de la comtesse Marguerite de Comminges. La « reine > Marguerite, dit cette légende, se nourrissait d'enfants. Un jour que, faute d'enfant, on avait abattu un veau à son intention, la captive, frappée par les meuglements persistants d'une vache, demanda la cause de ce bruit insolite. On lui répon- dit : « Si cette vache pleure à ce point le veau qu'on lui a pris, pensez à ce que pleurent les mères à qui vous arrachez leurs enfants ! » L'ogresse ne mangea plus d'enfants désor- mais, et pour célébrer cet heureux événement, on donna au village le nom de Braimevaque. Le malheur est qu'il portait ce nom bien longtemps avant le fait historique précité. Cette. antériorité interdit par ailleurs de tabler sur la prononcia- tion patoise — Béraoubaque — qui conduirait à une associa- tion d'idées très différente, Béraou apparaissant comme une variation légère de Braou qui signifie taureau. La légende pourrait bien n'avoir eu d'autre objet que de faire disparaî- tre un sens déplaisant quoique exact du nom. Bramevaque, dont le territoire est à la fois restreint et aride, semble avoir vécu anciennement dans la hantise de l'indue dépaissance à son préjudice, ce qui a nui à ses rapports avec ses voisins Troubat et Sacoué notamment. La coutume du 20 janvier 1398 dispose que les « vaches appartenant au Consulat*de Troubat, en aucun temps de l'année, ne doivent traverser le lieu de Bramevaque ni y séjourner ». La prohibition prend le caractère d'une phobie lorsqu'elle ajoute : « Les habitants (de Troubat) ne peuvent même pas y venir (sous-entendu avec les vaches) pour charrier leur bois à travers la ville ... ils doi- vent le porter sur leurs épaules. » Ce témoignage — et il n'est pas le seul — laisse entrevoir dans le lointain un pour- chas courroucé et tonitruant, une corrida permanente dont les Baroussais, déjà friands de métaphores, dirent que les vaches en bramaient. Et cette dérision ne pouvait manquer de tourner à l'un de ces sobriquets auxquels tant de noms de chez nous doivent leur naissance. Les voies de Bramevaque sont désertes et silencieuses, car il n'y a plus qu'une trentaine d'habitants, contre cent cin- quante à la fin de l'Ancien Régime. Mais la place du village. sur laquelle débouche le chemin de raccordement, est moins déserte que le reste, encore qu'il n'y paraisse point. Ombra- gée par un tilleul géant auquel la tradition prête le mêm'e âge que le château roman, quelques habitants viennent le soir prendre place sur le banc circulaire entourant son tronc; il y a aussi des présences immatérielles en grand nombre qu'on voit avec les yeux de l'esprit. Quand le seigneur majeur, vicomte de Labarthe, arborait sa bannière de guerre, les hom- mes de la vallée, à raison d'un par maison25, accouraient sous ses plis, ayant des vivres pour neuf jours de campagne25 l'arc, les flèches et la hache d'armes; quand, au pilori seigneu- rial (qui était près du tilleul, là où est maintenant la fon- taine), était exposé quelque habitant dissolu, on accourait de toutes parts l'abreuver de railleries; et l'on s'empressait davantage encore lorsque, par sentence des consuls de Bra- mevaque26, quelque mauvais garçon était pendu aux branches du tilleul ; à Toussaint on venait aussi de partout, mais de moins bonne grâce, pour payer au seigneur les redevances accoutumées. Le tilleul en raconterait bien d'autres s'il sa- vait parler; de même la pierre qui gît à son pied et sur la- quelle est sculpté un animal dont la tête de salamandre est reliée par un cou de cigogne à un corps canin. Un certain i'ntérêt s'attache à quelques maisons du village, à une notam- ment qui présente dfes ouvertures romanes à socles sculptés Quant à l'église, elle appartient aussi à l'architecture ro- mane. C'est un petit et modeste sanctuaire, avec une abside en cul-de-four. La porte serait de même époque, mais la clé, dont on dit qu'elle était une merveille de vieille ferronnerie, a été soustraite; au linteau est un cartouche avec chrisme. A quelques pas de la place publique est la porte du châ- teau. Elle a gardé son nom de « porte de ville », ce qui fait supposer qu'il en existait d'autres. Elle montre un restant de voussure à plein cintre qui, à en juger par les murs attenants, aurait été surmontée d'un ouvrage de défense faisant corps avec l'enceinte. Cette dernière séparait le village en deux parties, la moins importante étant intra muros.. Quelques maisons, mortes pour la plupart, existent encore dans cette dernière partie; elles étaient jadis franches de taxes et de redevances27. Une fois ces maisons dépassées, le visiteur doit.

25. Arch. dép. H.-P. Cartulaire de Barousse. Coutume du 7 juin 1300. 26. Arch. dép. H.-P., Cartulaire de Barousse. Coutume du 20 janvier 1398. 27. Ibid.