Une Émergence Du Design. France, 20E Siècle, Paris, Site De L’Hicsa, Mis En Ligne En Octobre 2019
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UNIVERSITÉ PARIS 1 PANTHÉON-SORBONNE CENTRE DE RECHERCHE HiCSA (Histoire culturelle et sociale de l’art - EA 4100) HiCSA Éditions en ligne UNE ÉMERGENCE DU DESIGN FRANCE, 20e SIÈCLE Sous la direction de Stéphane Laurent Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Pour citer cet ouvrage Stéphane Laurent (dir.), Une émergence du design. France, 20e siècle, Paris, site de l’HiCSA, mis en ligne en octobre 2019. ISBN : 978-2-491040-03-1 SOMMAIRE Avant-propos DESIGN ET POLITIQUE Stéphane Laurent, Décoration, design et politique : l’école nationale supérieure des Arts décoratifs de 1940 à 1968 7 DES ARTS DÉCORATIFS AU DESIGN Hee-Jeong Moon, L’école « Martine » de Paul Poiret 69 Delphine Girard, La création au sein d’une industrie d’art : l’exemple de Baccarat du 18e siècle à 1939 86 Lucie Bariset, Pierre-Émile Legrain, un créateur singulier de la période Art déco 109 LE DESIGN GRAPHIQUE Manuel Sesma Prieto, The Graphie Latine Movement and the French Typography 126 Léonore Conte, Les États généraux de la culture de 1987, un appel tardif à la modernité pour le graphisme français 144 UN NOUVEAU TERRITOIRE D’EXPRESSION Elena Dellapiana, Les Cousins. Les échanges entre la France et l’Italie : pour une définition du design français 165 Delphine Jacob, Pierre Guariche. Un décorateur, artisan du style 1950 187 /2 AVANT-PROPOS Le point de départ de cet ouvrage est un colloque organisé en 2017 à l’Institut national d’histoire de l’art sur le design en France, dont le résultat a finalement pris une tournure différente. On y trouvera, à côté de certaines des interventions ayant eu lieu, d’autres contributions issues de travaux actuels de chercheurs sur la question. L’évolution du propos pourrait se résumer à la question suivante : comment en vint-on au design en France ? Ou bien encore : comment s’y est effectué le passage des arts décoratifs vers le design ? Ce sont là des probléma- tiques qui n’ont jamais été vraiment abordées jusqu’à présent, sauf peut-être d’un point de vue de l’histoire des objets et des formes. La lecture des textes nous fournit un certain nombre de réponses. Il y a d’abord le conservatisme esthétique face au modernisme international. Des graphistes comme Maximilien Vox, visiblement très marqués par les souffrances endurées sous l’Occupation et les discours antigermaniques du début du vingtième siècle, combattent l’influence abstraite du Bauhaus allemand et de ses héritiers suisses dans la communication visuelle en France, alors en pleine mutation dans les années cinquante ; trente ans plus tard, le groupe de graphistes Grapus montre que le milieu est finalement gagné à la cause du modernisme du Bauhaus mais qu’il récuse encore le design, qui s’est pourtant imposé partout dans le monde, sous prétexte de sa prétendue compromission avec le système marchand. Ainsi que l’explique Léonore Conte, cette lutte, qui paraît perdue d’avance mais à laquelle une partie du collectif est toujours rivée, a fait perdre beaucoup de temps à l’acceptation du terme design pour caractériser les pratiques des arts appliqués, expression qui remonte au dix-neuvième siècle et qui ne parle plus à personne. Au final, la France reste très attachée à la tradition des arts décoratifs (orne- ment, références au passé, artisanat) jusqu’aux années cinquante, avant que s’impose difficilement le modernisme international, parfois au prix de violentes empoignades esthétiques et idéologiques, comme on le voit dans notre long article consacré à dénouer l’histoire complexe de l’École nationale supérieure des arts décoratifs durant l’après-guerre. Au travers de la contribution de Manuel Sesma, on comprend combien la position d’un Vox prolonge celle des décora- teurs des années vingt qui cherchaient un compromis entre tradition et modernité en élaborant le style Art Déco. Vox propose ainsi de simplifier les familles de caractères Didot et Garamond qui définissent une identité de la typographie /3 AVANT-PROPOS française. Et c’est seulement au lendemain de la Première Guerre mondiale que les cristalleries Baccarat, nous explique Delphine Girard, acceptent – non sans réticence – d’orienter leur production vers ce dernier style, alors qu’elle avait fait l’impasse sur l’Art nouveau au début du siècle, sa clientèle restant très attachée aux ornements de style. La société accepte en effet mal le changement esthétique. Delphine Jacob explique la grande difficulté qu’éprouve un architecte d’intérieur et créateur de modèles d’ameublement comme Pierre Guariche, à imposer un « style Reconstruction » dans la France de l’après-guerre, avec de nouveaux matériaux, des formes dépouillées et des procédés industriels. Face à ces innovations, le public reste profondément amoureux du rustique et des bibelots, qui sont autant d’attaches mémorielles et de références qui rassurent dans les grands ensembles impersonnels qui sortent de terre en masse et dans lesquels on loge les classes moyennes et populaires. En fait, l’affaire du modernisme esthétique a été très mal engagée en France dès le début. On le voit avec les figures de Paul Poiret et de Pierre Legrain, qu’ana- lysent respectivement les textes de Hee-Jeong Moon et de Lucie Bariset-Marc. De retour d’Allemagne et d’Autriche avant qu’éclate la Première Guerre mondiale, le premier est un fameux couturier qui se lance dans la conception d’objets. Il entend « humaniser » des pratiques d’arts décoratifs jugées trop sévères outre-Rhin en créant un modèle original mi-philanthropique, mi-commercial, qui ne lui survivra pas : l’École Martine, où un directeur artistique développe des projets réalisés par des jeunes filles pauvres. Quant à Legrain, à qui l’on doit le fameux logo de l’Union des artistes modernes (UAM) lors de la naissance du mouvement en 1929, dont il est un des membres fondateurs, son engagement dans la modernité naît surtout du hasard, c’est-à-dire de rencontres, avec Jacques Doucet surtout, son mécène, et d’expérimentations dans le domaine des reliures, une production où il se montre un autodidacte de génie. Et s’il se rallie à l’UAM, ce n’est pas avec la vision dogmatique d’un Le Corbusier et d’une Charlotte Perriand, mais surtout parce qu’il cherche, comme beaucoup de ses confrères, une meilleure opportunité pour faire connaître son travail. Au final, avec la mise en avant des carrières et des talents individuels, on est bien loin de l’efficace machine qui lie la diffusion commerciale à l’industriel et au créateur, trinôme à succès des exportations allemandes, que seules semblent comprendre et adopter les entreprises d’art comme Baccarat en fonction d’une logique économique. Grâce à d’habiles directeurs, les cristalleries savent faire preuve d’un étonnant sens de l’adaptation en faisant évoluer la création, fondée au départ surtout sur le savoir-faire des verriers, vers le dessin de modèles en interne puis la consultation de décorateurs extérieurs, toujours combinée à un grand sens commercial, humain et industriel. /4 STÉPHANE LAURENT Plus grave, si les initiatives, la grande compétence des artisans, le talent, les prises de conscience et la valeur des créations ne manquent pas pour illustrer l’activité du design en France au vingtième siècle, cet apport riche et varié n’aura jamais su se rendre suffisamment visible à l’international. Il révèle ses contradictions et ses hésitations, tout au contraire du design scandinave et italien, qui affiche une réelle unité. Dans ces pays l’évolution s’est certes faite sans réelle anicroche, mais il a aussi manqué en France un vrai leadership. Elena Dellapiana dresse ainsi une édifiante étude parallèle, sur une cinquantaine d’années, de la représentation à l’étranger du design français et du design italien. La patrie de Dante bénéficie d’une personnalité comme Gio Ponti, qui forge l’identité du design de la péninsule au moyen d’une doctrine cohérente, en s’appuyant uniquement sur un réseau privé, et tout particulièrement sur la revue Domus et le salon de la Triennale de Milan. De son côté, engoncée dans sa vision d’État colbertienne, la France préfère utiliser son puissant réseau d’ambassades et créer des institutions ad hoc comme de Centre de création industrielle (CCI, fondé en 1969), qui finira pourtant par disparaître au milieu des années quatre-vingt dix. Au design, que l’on connaît mal dans les milieux officiels et qui véhicule des relents trop techniques, les ministères préfèrent la culture et l’art, dans lesquels on le noie systématiquement, quitte à employer des critiques d’art pour tenter de justifier l’amalgame. De fait, l’image du design français, lorsqu’elle est montrée à l’étranger, apparaît aussi singulière que déconcertante, d’autant qu’elle change d’une manifestation à l’autre. La mainmise de la politique étatique caractérise tout autant l’histoire de l’ENSAD, dont le premier directeur, Léon Moussinac, communiste et ancien résistant, est nommé par le gouvernement après la Libération, comme le seront tous les directeurs suivants de ce prestigieux établissement, la première école de design de l’hexagone. Ainsi, au fil de la lecture des textes, nous espérons que se dégage une com- préhension des questionnements et des mécanismes liés au design dans notre pays au cours du vingtième siècle, qui continuent d’alimenter la réflexion sur cette pratique aujourd’hui. Stéphane Laurent /5 DESIGN ET POLITIQUE DÉCORATION, DESIGN ET POLITIQUE : L’ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE DES ARTS DÉCORATIFS DE 1940 À 1968 STÉPHANE LAURENT Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Étudier l’École nationale supérieure des arts décoratifs (ENSAD) 1, c’est com- prendre, par le biais de l’enseignement, toute une facette de l’histoire du design en France. Fondée en 1756 par Jean-Jacques Bachelier, un peintre animalier du roi dans un contexte de multiplication des écoles de dessin en France et en Europe 2, cet établissement est à la fois la plus ancienne école d’arts appliqués de France et une des plus vieilles du monde, mais aussi un fil directeur excep- tionnel pour qui veut suivre trois cents ans de mutation du goût et des idées dans les arts décoratifs.