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ESPACE, POPULATIONS, SOCIETES, 2004-2 pp. 343-359

Frédéric PIANTONI Université de Reims EA Habiter (2076) 57, rue Pierre Taittinger 51096 Reims Cedex [email protected]

Les mobilités en Guyane française : catalyseur et fonction-miroir des discontinuités territoriales

L’organisation spatiale de la Guyane montre trées et cloisonnées, dont les fonctionne- un profond déséquilibre dans sa structure. ments socioéconomiques s’articulent avec Au plan démographique, l’espace départe- des espaces externes intégrés à des échelles mental est globalement sous-peuplé et loca- de gestion nationales et internationales. lement sur-densitaire. L’insularité, métapho- re paradoxale pour un espace continental, La notion de crise spatiale, rapportée à une semble la notion la plus adéquate pour qua- forte fragmentation, se lit autant dans l’hy- lifier l’espace guyanais. Ainsi, , per-concentration du peuplement au sein de Saint-Laurent du Maroni et l’agglomération l’espace littoral ponctuellement survalorisé de représentent les trois pôles qui que dans la faiblesse des mouvements concentrent la population, les ressources internes de population et des échanges inter- économiques et financières. Plus qu’un polaires. L’analyse des mobilités régionales ensemble continu ou une « île-corridor » et internationales permet d’approcher, par [Godard, 1998, p. 114], cet espace utile leur absence ou leur développement vers des constitue un archipel de trois îles autocen- lieux centraux, la dynamique des échanges1.

1 Au plan méthodologique, l’analyse que nous avons majorité des traitements, nous avons agrégé ces unités menée s’appuie sur l’étude des polarisations, des dis- statistiques sur la base d’une homogénéité des critères continuités et des interactions centres-périphéries. démographiques, socioéconomiques (bassins d’em- Nous avons privilégié une approche globale de l’espa- ploi) ou spatiaux : agglomération cayennaise, com- ce guyanais à partir de données des recensements de munes du Maroni2 et autres communes de Guyane. 1990 et 1999 établies à l’échelle communale. Dans la LIL87112_PIANTONI 4/11/04 11:27 Page 344

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1. UN ESPACE, DES ESPACES ? TROIS PÔLES EXTRAVERTIS VERS DES CENTRALITÉS EXTERNES

Le schéma (Figure 1) constitue une synthè- non-marchands en générant un fonctionne- se de l’organisation tripolaire de l’espace ment économique articulé avec une forte guyanais. Il en révèle les dissymétries, les dépendance à l’égard de la Métropole. Elle discontinuités, les fractures et le recours, reste l’unique point de connexion métropoli- pour chacun d’entre eux, à des espaces exo- taine en focalisant les infrastructures logis- gènes (Métropole, Surinam, Europe et tiques portuaires et aéroportuaires de monde). gamme internationale2. L’agglomération Les discontinuités au sein de la frange litto- assure la diffusion locale des produits rale sont fortement marquées. Le peuple- importés essentiellement de la Métropole ment s’y organise ponctuellement selon un (60,5% de la valeur des importations en demi-axe routier qui relie Cayenne aux moyenne sur 1994-1998 [IEDOM, 1999, p. Guyanes voisines (la piste vers le Brésil est 82]). En comparaison, le drainage intra- en construction). Au plan démographique, le régional, réalisé par les axes de communica- littoral est dominé par les pôles constitués tion routiers ou aériens, est faible : le taux par l’agglomération cayennaise et Kourou, de couverture moyen pour 1994-1998 est de respectivement 53,62 et 12,17% de la popu- 20,2% [Ibid.]. lation guyanaise [INSEE, RGP 1999]. Si En marge de Cayenne, l’isolat technolo- Saint-Laurent du Maroni s’affiche comme gique de Kourou est également intégré à un un îlot de peuplement pondérateur de ces processus de fonctionnement externe. suprématies avec 12,21% de la population L’échelle n’est plus nationale mais mondia- guyanaise [ibid.], la sous-préfecture reste, le, puisque le « port spatial de l’Europe3 » par la distance qui la sépare de Cayenne reste tributaire de la conjoncture du marché mais aussi en raison de facteurs sociocultu- international des télécommunications. Si, à rels, une zone externe à la dynamique de dif- l’origine, l’implantation du Centre Spatial fusion du centre administratif et écono- Guyanais est une volonté de l’État français, mique. Entre l’Est et l’Ouest, les communes la création de l’European Spatial Agency d’ et de sont des com- (ESA) en 1973 permet l’intégration à munes matérialisant, par le vide, une fractu- l’échelle européenne des programmes de re dans la frange littorale. La dissymétrie politique commerciale et de recherche spa- dans la frange littorale entre l’Est et l’Ouest tiale. « L’activité du Centre Spatial est aussi politique et économique. Elle est Guyanais résulte de la synergie entre l’en- identifiable, dans l’agglomération de gagement des gouvernements européens à Cayenne essentiellement, à partir de la maintenir leur propre base spatiale autono- concentration de la population active, de la me, et la performance technique et commer- centralisation des sièges d’organismes admi- ciale de l’industrie des lanceurs » [Chappe, nistratifs déconcentrés et décentralisés, mais 2000, p.14]. La localisation du centre s’insè- aussi des entreprises tertiaires. re dans une stratégie commerciale intégrant Le rapport centre-périphérie entre la la proximité de l’équateur comme un facteur Métropole et le département se décalque de rendement supplémentaire. La ville, localement par la macrocéphalie de créée pour les besoins de la base spatiale, vit Cayenne dont le fonctionnement écono- au rythme des lancements des satellites dont mique et la structure de l’emploi sont direc- les succès déterminent sa pérennisation, tement tributaires des transferts étatiques. mais aussi un système de fonctionnement Capitale administrative, Cayenne capte et économique spécifique et un marché de retient la quasi-totalité des emplois tertiaires l’emploi spécialisé (haute qualification, fort

2 Saint-Laurent ne dispose pas de port industriel, à 3 Cet aphorisme, révélateur de l’isolat que représente l’exception d’un môle strictement destiné au débar- la ville localement, est présent sur les panneaux publi- quement des hydrocarbures. Kourou dispose d’un port citaires et les brochures que diffuse le Centre Spatial destiné au Centre Spatial Guyanais. (néanmoins) Guyanais. Kourou y apparaît comme un relais, marge ultime de l’Europe. LIL87112_PIANTONI 4/11/04 11:27 Page 345

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Figure 1 : Un espace tripolaire extraverti vers des centralités externes a w La LIL87112_PIANTONI 4/11/04 11:27 Page 346

346 taux de rotation par campagne). Le secteur littorale. Elle s’exprime par le maintien d’un spatial génère, en emplois directs4 et induits, régime coutumier tacitement reconnu par les 26,4% des actifs occupés et distribue 29,3% États frontaliers, mais aussi par l’instrumen- du montant des revenus totaux [IEDOM, talisation locale des systèmes nationaux et 1999, pp. 34-38]. Il contribue pour 65% des par la généralisation de l’économie infor- importations de biens et services et pour melle transfrontalière. La croissance démo- 90% des exportations [Ibid.]. graphique des villes estuariennes (Saint- Si Cayenne affiche un lien unipolaire à la Laurent, , Mana), issue des mouve- Métropole, Kourou s’inscrit de plain pied ments migratoires des rives surinamaises, la dans la mondialisation des échanges. Entre reconquête de la vallée par l’exploitation les deux villes, les rapports de dépendances aurifère et le caractère spécifique de l’éco- et les gradients d’intégration des niveaux nomie transfrontalière ont provoqué l’inté- scalaires hétérogènes génèrent, néanmoins, gration globale de l’espace transfrontalier une faible interactivité. entre Guyane et Surinam. Le Maroni, terri- Le Nord-Ouest guyanais émerge en termes toire régional dual, construit par le truche- politique et démographique au début des ment des jeux transnationaux ses structures années 1990, à partir de l’effet conjoint de la de fonctionnement et une centralité propre. guerre civile du Surinam (1986-1992) et du Les trois pôles démo-économiques génèrent regain de l’activité aurifère. La centralité chacun des centralités construites sur une saint-laurentaise s’affirme comme le cœur ouverture à des espaces externes situés à des politique, démographique et économique du échelles géographiques variables (locale, bassin fluvial transfrontalier Maroni. Son nationale, internationale). Néanmoins, cela identité puise ses références dans les mou- ne signifie pas, a priori, l’absence de liens vements de marronnage5 de la Guyane hol- entre eux. L’analyse des mobilités régio- landaise au 18ème siècle, soit dans la néga- nales et internationales constitue la base de tion du fondement territorial colonial escla- la méthodologie menée à partir du traite- vagiste. Cette marginalisation bi-séculaire, ment des recensements exhaustifs de popu- ravivée par la guerre civile6, a consolidé lation de 1990 et 1999. l’identité d’un espace réfractaire à la société

2. HYPER-CONCENTRATION ET FRAGMENTATION : LA FAIBLESSE DES MOUVEMENTS INTRA-RÉGIONAUX

Au sein d’une distribution spatiale marquée paraison des migrations extra-régionales. par une forte polarisation autour de Kourou, Cette analyse montre la forte discontinuité de Saint-Laurent et de l’agglomération de ces trois ensembles, leur cloisonnement cayennaise, les mouvements internes entre interne et leur dépendance démographique ces trois pôles apparaissent faibles en com- externe, particulièrement de la Métropole.

4 Les effectifs permanents du CNES-CSG représentent Par immigration organisée durant la première période 1043 agents en décembre 1998, dont 610 sont séden- aurifère (milieu 18ème – milieu 19ème), le plus ancien taires et 433 sont détachés par les différents pays euro- groupe de Marrons du Surinam, les Saramakas, a créé péens [IEDOM, 1999, p. 31]. En incluant les effectifs des zones d’établissement dans le Nord-Ouest et l’Est permanents d’Arianespace présents à Kourou ainsi que guyanais. Ce groupe participa également à la construc- les personnes travaillant sous son contrôle étroit pour tion du Centre Spatial Guyanais. la préparation des lancements et les effectifs des 6 La guerre civile de 1986 à 1992 opposa les commu- industriels de l’activité spatiale guyanaise (Air liquide nautés de Marrons (Djukas, Saramakas, Paramakas) au Spatial Guyane, Aérospatiale, Régulus et gouvernement surinamais. Le Maroni fut le théâtre des Europropulsion), près de 1500 personnes participent affrontements et la Guyane reçut près de 15 000 réfu- directement à l’activité spatiale sur la base, nombre giés. Lire à ce propos Sophie Bourgarel (1989), auquel il convient d’ajouter environ 200 personnes Migrations sur le Maroni : les réfugiés surinamiens en supplémentaires en moyenne par campagne [Ibid.]. Guyane, Revue Européenne des Migrations 5 L’espace fluvial frontalier abrite les territoires coutu- Internationales, vol. 5, n° 2, Poitiers, pp. 145-153. miers des Bonis (Alukus), des Djukas, des Paramakas. LIL87112_PIANTONI 4/11/04 11:27 Page 347

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Carte 1-1 : Évolution de la population communale en Guyane française de 1974 à 1999

2.1. La distribution spatiale de la popula- 1982, l’île de Cayenne concentrait alors tion guyanaise : fractures et concentra- 64,91% du peuplement. La diminution tion littorale observée est directement liée à la croissance La cartographie de la distribution spatiale de de la population par l’immigration interna- la population (Carte 1-1) illustre une struc- tionale. ture centrifuge et discontinue, placée en cha- Ainsi, les communes frontalières du Maroni pelet sur les voies de communication rou- s’affirment désormais comme un ensemble tières (dorsale littorale) et fluviale (dans le démographique pondérateur de la supréma- bassin du Maroni). L’intérieur reste vide au tie démographique de l’île de Cayenne, détriment d’un surpeuplement local et d’un après avoir été périphériques en terme de sous-peuplement global, matérialisant une peuplement. Elles concentrent 23,76% de la double fracture, Est-Ouest et Nord-Sud. population départementale [INSEE, RGP Cette forme d’organisation du peuplement 1999]. Saint-Laurent se hisse au deuxième aux franges départementales montre, d’em- rang avec une population communale dans blée, un peuplement coupé de l’intérieur l’ordre de grandeur de Kourou (respective- continental dénié et non approprié. La distri- ment 19 211 et 19 140 individus). La bution spatiale de la population guyanaise se migration surinamaise est directement actri- distingue par la macrocéphalie urbaine exer- ce de l’émergence de cette nouvelle centra- cée par l’agglomération cayennaise, qui lité. La ville, apparaît comme un centre écrase démographiquement l’espace dépar- démographique majeur dans le cadre guya- temental : l’ensemble continu des com- nais. munes de Cayenne, Remire-Montjoly et Ces concentrations et ces fractures démo- regroupe 53,62% de la population graphiques soulèvent deux questions au départementale7 [INSEE, RGP 1999]. Ce regard de l’importance des migrations qu’a pourcentage est en baisse par rapport à accueillies le département. Si les concentra-

7 37 365 individus [INSEE, RGP 1999]. LIL87112_PIANTONI 4/11/04 11:27 Page 348

348 tions sont évidentes, ces lieux centraux sont- dans leurs connexions internes (Carte 1-4) ils polarisants ? Les mouvements internes sauf dans l’île de Cayenne (à l’exception de participent-ils à la croissance démogra- Cayenne) et dans les communes périphé- phique des pôles urbains ? riques10 : la population résidant dans une autre commune à Macouria, Montsinéry et 2.2. La faiblesse des mouvements in- oscille entre 34,9 et 57%, celle de ternes : le cloisonnement du peuplement Remire-Montjoly et Matoury entre 17,6 et En 1990, l’analyse des effectifs communaux 34,9%. Kourou et Saint-Laurent restent des résidant dans une autre commune et dans un villes peu attractives à l’échelle départemen- autre pays8 (Cartes 1-2 et 1-3) confirmait la tale (0,9 à 7,8% de la population communa- dissociation des lieux d’immigration à partir le est originaire d’une autre commune). des pays d’origine (Surinam, Haïti, Brésil). Globalement, par comparaison avec les Les communes frontalières apparaissaient, moyennes en pourcentages des changements au niveau interne, comme peu attirantes de résidence inter-communaux entre 1990 et dans l’espace départemental puisque la 1999 (respectivement 12,1 et 13,1%), la population recensée dans une autre commu- mobilité interne a peu évolué. L’observation ne en 1982 représentait entre 4,8 et 7,5% des des mouvements issus d’autres pays11 effectifs. Seule l’agglomération cayennaise montre le caractère attractif de Kourou et de et les communes périphériques restaient for- Remire-Montjoly (23,9 à 38,5% de la popu- tement attractives : Macouria, Matoury lation communale) (Carte 2-5). Par compa- (entre 33 et 44,5%). Kourou n’apparaissait raison, Saint-Laurent et les communes fron- pas comme un espace drainant dans l’en- talières du Maroni restent peu attractives semble régional. En revanche, la part des (moins de 23,9% de la population commu- effectifs résidant dans un autre pays était nale). Soulignons, enfin, que la valeur prégnante dans les communes du Nord- moyenne du pourcentage de population Ouest (de 31,1 à 65,5%) : Mana, Saint- communale issue d’un autre pays chute Laurent, Apatou9. Ces deux cartes apparais- considérablement entre 1990 et 1999 (de 28 sent en négatif : elles montrent l’émergence à 19,8%), montrant le déclin de l’immigra- de la centralité démographique des com- tion internationale. munes estuariennes à partir de mouvements Dès lors, poser l’hypothèse d’une faiblesse exogènes et, parallèlement, une diffusion à des mouvements internes apparaît paradoxa- partir de l’île de Cayenne vers des com- le au regard de la cartographie des mouve- munes périphériques. L’impact de la migra- ments de changements de résidence (com- tion surinamaise à la suite des mouvements munes et pays) depuis 1990. En effet, les forcés est le facteur majeur qui conduisit à cartes (1-4 et 1-5) montrent une forte attrac- cette situation. Kourou est aussi une com- tivité de l’agglomération cayennaise et de mune qui capte des mouvements à partir Kourou dont on pourrait penser qu’elle se d’autres pays au détriment d’une polarisa- réalise au profit des communes de l’en- tion intra-communale. semble frontalier Maroni. Ceci montrerait L’évolution entre 1990 et 1999 met claire- alors une forte redistribution de la popula- ment en évidence une absence de mouve- tion immigrée entre 1985 et 1995 et un drai- ments internes entre les trois ensembles et nage important de l’agglomération cayen- illustre le cloisonnement de ces trois pôles naise et de Kourou.

8 Sur le plan méthodologique, nous avons considéré flux). Les résidents en Métropole et dans les Dom sont l’agglomération cayennaise, Kourou et l’ensemble des comptabilisés dans la variable « résidant dans un communes du Maroni. Les autres communes de autre pays ». Guyane ont été agrégées. L’approche des mobilités a 9 Ibid. L’importance des résidents venant d’un autre été développée par l’analyse des changements de rési- pays dans la commune de Saül est à rapporter à la dence (commune ou pays de résidence antérieure, faible population totale (63 habitants). commune de résidence actuelle). L’analyse est déve- 10 Saül et Régina ne sont pas prises en compte dans loppée à partir de l’évolution observée durant les l’analyse en raison de populations trop faibles. périodes intercensitaires 1982-1990 (c’est-à-dire avant les vagues migratoires brésilienne, haïtienne et surina- 11 Saint-Élie n’est pas prise en compte dans l’analyse maise) et 1995-1999 (période de ralentissement des en raison d’une population trop faible. LIL87112_PIANTONI 4/11/04 11:27 Page 349

349 Poursuivre l’analyse implique d’approfondir autres Dom-Tom, le pourcentage atteint par l’analyse des changements de résidence en la population originaire d’espaces français considérant les relations entre les espaces et est de 25,02%. Elle est responsable du quart les mouvements intercommunaux. Ainsi, de la croissance démographique par migra- ces cartes ne donnent qu’une vision incom- tions extra-continentales. Les autres pays de plète. Le traitement du recensement exhaus- provenance (CEE + Suisse essentiellement) tif de 1999 montre une situation plus com- qui comptent pour 4,33% (soit plus que les plexe (Tableau 1). migrations d’Haïti) renforcent le caractère En considérant les changements de résiden- international de la population. ce vers l’île de Cayenne12, les effectifs ori- Kourou apparaît, plus encore que Cayenne, ginaires des communes du Maroni ne repré- dépendant d’un apport de population métro- sentent que 1,25%, ceux de Kourou 0,7%, politaine au détriment d’une capacité de ceux des autres communes de Guyane drainage dans l’espace départemental, y 1,05%. La redistribution interne de la popu- compris au sein de l’agglomération cayen- lation vers le centre actif reste extrêmement naise. Dans les deux cas, cette migration faible. L’agglomération reste, malgré les constitue un facteur majeur d’accroissement apparences, peu attractive. Elle forme, à démographique. Ces affirmations devraient l’échelle départementale, un espace cloison- contredire nombre de poncifs politiques sur né. Le facteur de croissance démographique la croissance des autres mouvements migra- de cet ensemble, résulte d’un apport migra- toires13 vers l’île de Cayenne et Kourou en toire extra-continental qui représente relativisant leur poids. 22,31% de la population : Métropole (11,37%), autres Dom-Tom (3,14%) et Haïti Saint-Laurent et l’ensemble des communes (3,14%). Les migrations originaires du frontalières obéissent – malgré des mouve- Surinam ne représentent que 0,64%. L’île de ments formellement différents – à la même Cayenne apparaît donc largement tournée logique de cloisonnement à l’intérieur de vers la Métropole et l’outre-mer français l’espace départemental. Le fort pourcentage dont les ressortissants (14,51% au total) ali- de population n’ayant pas changé de rési- mentent principalement la croissance démo- dence (82,75%) montre la pérennisation du graphique par migrations. peuplement issu des migrations surina- maises de 1986 à 1982, mais aussi l’ancrage À Kourou, l’activité économique techno- territorial des groupes marrons au bassin flu- spatiale se caractérise par un fort roulement vial transfrontalier (nonobstant une forte de population. Le faible pourcentage des mobilité interne). effectifs résidant dans la commune durant La croissance démographique par migration une période intercensitaire révèle clairement est peu redevable des mouvements inter- ce phénomène (54,79%). Dans un schéma communaux durant la période intercensitai- analogue à l’île de Cayenne, la ville montre re 1990-1999, et, à l’instar des autres pôles une faible croissance démographique par les démographiques, les communes du fleuve migrations intra-départementales. La ville restent peu attractives. Les effectifs issus de reste un espace peu attractif pour l’île de l’île de Cayenne ne représentent que 1,75%, Cayenne (4,49%), les communes du Maroni ceux de Kourou et des autres communes (2,45%) et les autres communes de Guyane sont extrêmement faibles (0,46 et 0,35%). (1,52%). À l’inverse, la croissance démo- L’espace frontalier apparaît, lui aussi, forte- graphique par immigration provient d’une ment cloisonné. C’est donc de l’extérieur contribution d’autres pays (36,75%). La que provient sa croissance démographique provenance métropolitaine des effectifs est par migration (14,69%), essentiellement du largement majoritaire (22,59%). Si on lui Surinam (6,24%) mais aussi de la Métropole associe l’ensemble des ressortissants des (4,39%).

12 Dont 74,69 % de la population n’ont pas changé de 13 Brésil, Haïti, Guyana, Surinam. résidence en dehors de l’agglomération. LIL87112_PIANTONI 4/11/04 11:27 Page 350

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Carte 1-2 : Part des effectifs communaux résidant dans une autre commune au 01/01/1982

Carte 1-3 : Part des effectifs communaux résidant dans un autre pays au 01/01/1982 LIL87112_PIANTONI 4/11/04 11:27 Page 351

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Carte 1-4 : Part des effectifs communaux résidant dans une autre commune au 01/01/1990

Carte 1-5 : Part des effectifs communaux résidant dans un autre pays 01/01/1990

Roura

Régina LIL87112_PIANTONI 4/11/04 11:27 Page 352

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Tableau 1 : Résidence au 01/01/1990 (communes agrégées et pays) et en 1999 Résidence en 1999 (communes agrégées) Résidence antérieure (communes agrégées Île de Communes du Kourou Autres et pays) Cayenne14 Maroni15 communes16 Valeur % Valeur % Valeur % Valeur % Île de Cayenne 62 714 74,69% 653 1,75% 857 4,49% 3308 20,10% Communes du Maroni 1049 1,25% 30 858 82,75% 468 2,45% 286 1,74% Kourou 591 0,70% 170 0,46% 10 451 54,79% 281 1,71% Autres communes 879 1,05% 132 0,35% 289 1,52% 9854 59,88% Métropole 9545 11,37% 1638 4,39% 4308 22,59% 1170 7,11% Antilles 2299 2,74% 264 0,71% 356 1,87% 301 1,83% Autres Dom-Tom 340 0,40% 104 0,28% 106 0,56% 44 0,27% Brésil 1185 1,41% 325 0,87% 402 2,11% 691 4,20% Guyana 430 0,51% 86 0,23% 51 0,27% 42 0,26% Haïti 2638 3,14% 494 1,32% 655 3,43% 153 0,93% Surinam 539 0,64% 2325 6,24% 306 1,60% 172 1,05% Autres 1761 2,10% 240 0,64% 825 4,33% 155 0,94% Sous-total pays 18 737 22,31% 5476 14,69% 7009 36,75% 2728 16,58% Total 83 970 100 % 37 289 100 % 19 074 100 % 16 457 100 % Source : INSEE, RGP 1999 corrigé, exploitation spécifique.

Cette analyse à partir des changements de phiques, d’autres formes de cloisonnements résidence permet de démontrer de faibles davantage sociaux et culturels. mobilités intra-régionales et la faible diffu- La corrélation entre le cloisonnement spatial sion, à l’intérieur du département, des et le cloisonnement social trouve son vagues migratoires des années 1985-1995. expression la plus forte dans le développe- Elle renforce l’hypothèse d’une extrême ment des communautarismes. L’analyse de ségrégation des pôles démographiques la concentration des marchés de l’emploi et guyanais. Aussi apparaissent, en plus des de leurs spécificités achève la démonstration déséquilibres et des fractures démogra- de la fragmentation de l’espace guyanais.

3. DES BASSINS D’EMPLOI CLOISONNÉS

L’analyse des mobilités à partir des change- spécificité des marchés – permet de déga- ments de résidence durant deux périodes ger des contrastes identiques au sein d’une intercensitaires a mis en évidence la faibles- population active peu mobile et renforce la se des mouvements intra-régionaux au profit faible capacité de drainage des pôles. La des mouvements internationaux. L’île de spécificité du marché du travail dans les bas- Cayenne, Kourou et Saint-Laurent sont, au sins principaux est en étroite liaison avec un plan des mobilités internes touchant au fonctionnement socioéconomique articulé changement de résidence, des espaces peu avec les formes de dépendance à des espaces polarisants. L’analyse de l’emploi – de dépendances externes. concentration, navettes domicile-travail et

14 Île de Cayenne : Cayenne, Matoury, Remire-Montjoly. 16 , Iracoubo, Macouria, Montsinéry, , 15 Apatou, Awala-Yalimapo, Grand-Santi, Mana, Régina, Roura, St-Elie, St-Georges, Saül, Sinnamary. , Papaïchton, Saint-Laurent. LIL87112_PIANTONI 4/11/04 11:27 Page 353

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Carte 2-1 : Actifs communaux ayant un emploi et travaillant dans la commune en 1999

3.1. Concentration et faible attractivité Les pôles urbains se caractérisent également des bassins d’emplois à l’échelle régionale par une forte rétention des actifs domiciliés La distribution spatiale par communes de dans la commune où ils travaillent (Carte 2-1). cette catégorie de la population active, éta- Les situations sont différentes dans l’inté- blie à partir du recensement général de rieur et sur le littoral où sont situés les bas- population de 1999 (Carte 2-1), montre la sins d’emplois. Cette carte appelle un com- suprématie de Cayenne qui concentre seule mentaire qui conduit d’emblée à associer 35% des emplois du département. En agré- l’absence d’infrastructures de communica- geant Cayenne, Remire-Montjoly et tions dans les communes situées en arrière Matoury, l’agglomération centralise 61,1% du littoral et dans l’intérieur et la faible des emplois régionaux (26 537 individus). mobilité des actifs occupés. La distance Kourou et l’ensemble des communes du entre ces communes et les bassins d’emploi Maroni rassemblent respectivement 14, 6 et de l’agglomération cayennaise, de Kourou 14,2%17 des emplois départementaux, alors et de Saint-Laurent reste un frein à la mobi- que la totalité des autres communes de lité. La rupture entre le littoral et l’intérieur Guyane ne regroupent que 10,1% des actifs. est fortement marquée. Soulignons égale- L’île de Cayenne constitue le principal bas- ment que le faible nombre d’actifs occupés sin d’emploi de la Guyane et exerce une de ces communes contribue à fausser l’ana- domination économique à l’échelle globale. lyse par répartition en pourcentages18. Cette observation renvoie au déséquilibre Dans le cas du bassin frontalier du Maroni, démographique de la distribution spatiale de la distance et les difficultés de déplacements la population totale. rapides constituent un paramètre majeur de

17 Les communes estuariennes (Saint-Laurent, Mana, 18 Ainsi, Saül ne compte que 44 actifs occupés qui tous Apatou, Awala-Yalimapo) concentrent près de 88% des travaillent dans la commune. On ne peut introduire de emplois des communes du Maroni. Ces pourcentages comparaison avec Cayenne qui en regroupe 15 027. sont issus de la ventilation détaillée des actifs ayant un Ces deux cas extrêmes montrent néanmoins le caractè- emploi par communes [INSEE, RGP 1999, exploitation re disparate de la répartition de la population guyanaise spécifique]. et les profonds déséquilibres de sa répartition spatiale. LIL87112_PIANTONI 4/11/04 11:27 Page 354

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Carte 2-2 : Navettes domicile-travail vers les pôles urbains (Cayenne, Kourou, St-Laurent)

rétention de la population dans la vallée, Kourou et Saint-Laurent apparaissent indépendamment des facteurs sociocultu- comme des communes où les actifs occupés rels. Les déplacements sur le fleuve nécessi- sont, dans leur presque totalité, domiciliés tent plusieurs heures de pirogue entre les sur place (respectivement 94,8 et 97,8%). communes (au fil de l’axe fluvial) alors que Ces chiffres expriment la faiblesse des les déplacements vers le Surinam ne sont mobilités intercommunales liée à l’emploi. pas pris en compte dans les variables statis- Au-delà, ils révèlent la faiblesse des tiques. Par ailleurs, la notion de travail telle échanges et le cloisonnement entre les pôles qu’elle est conçue par l’INSEE, adaptée à un d’activités. mode de vie métropolitain, ne peut être À Cayenne, le pourcentage d’actifs ayant un appliquée dans cet espace fortement marqué emploi et domiciliés dans la commune est de par une mobilité entre des résidences mul- 83,1%. Pourtant, le centre économique de la tiples et des « lieux de travail » très diver- Guyane ne peut être analysé sans tenir sifiés. En outre, les actifs occupés au sein compte des deux autres communes limi- des communes de la vallée du fleuve sont trophes qui forment l’agglomération peu nombreux et faussent l’approche. (Remire-Montjoly, Matoury), et d’une cou- Soulignons enfin qu’au-delà d’Apatou et du ronne périphérique (Roura, Montsinéry et premier saut du Maroni – Hermina – à Macouria). Cet ensemble dépend à l’éviden- environ une heure de pirogue de Saint- ce de la préfecture vers laquelle ces com- Laurent, il est difficile d’envisager un dépla- munes sont polarisées. Ainsi, le taux de cement quotidien vers la ville. rétention des actifs ayant un emploi de Globalement, seule l’analyse dans l’espace Remire-Montjoly n’est que de 26,7%, celui littoral permettant une mobilité de type de Matoury de 37,7% [INSEE, RGP 1999, domicile-travail par la dorsale routière exploitation propre]. À l’intérieur de l’île de reliant les trois pôles démo-économiques Cayenne, les échanges sont importants au peut faire l’objet d’une analyse par les sein d’un espace global néanmoins très variables dont nous disposons. Dans ce concentré à l’échelle départementale. cadre, la rétention de la population active Toutefois, cette conclusion doit être démon- signifie réellement une forte concentration trée par l’analyse des navettes domicile-tra- de la population active occupée et la faible vail illustrant l’origine des actifs ne résidant polarisation des bassins d’emploi. Ainsi, pas dans la commune de travail. LIL87112_PIANTONI 4/11/04 11:27 Page 355

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Tableau 2-1 : Communes (agrégées) de domicile et de travail des actifs ayant un emploi

Lieux de travail (communes agrégées + autres Dom + agrégation des zones regroupant moins de 10 mouvements) Communes Autres Autres Communes île de Kourou Somme des de domicile communes zones Dom du Maroni Cayenne zones (agglomérées) inférieures à 10 Valeur % Valeur % Valeur % Valeur % Valeur % Valeur % Île de Cayenne 400 11,7% 7 100,0% 119 2,0% 25 439 94,0% 460 6,9% 77 38,5% Kourou 87 2,5% 0 0,0% 18 0,3% 208 0,8% 6024 90,3% 17 8,5% Communes du Maroni 0 0,0% 0 0,0% 5852 97,7% 32 0,1% 6 0,1% 27 13,5% Autres communes 2925 85,7% 0 0,0% 0 0,0% 1379 5,1% 184 2,8% 79 39,5% Total 3412 100,0% 7 100,0% 5989 100,0% 27 058 100,0% 6674 100,0% 200 100,0% Source : INSEE, RGP 1999, exploitation spécifique.

Au regard de la disparité démographique des sein de l’agglomération. Remire-Montjoly communes guyanaises (population, popula- et Matoury en fournissant les effectifs les tion active), nous avons d’abord agrégé les plus importants (Carte 2-2) puisque respec- communes des ensembles géographiques tivement 82,6 et 86,21% des actifs tra- afin de chercher les tendances majeures des vaillant à l’extérieur de ces communes le échanges (Tableau 2-1). Cette synthèse a été font sur Cayenne. Les échanges d’actifs établie d’après les analyses qui ressortent de vont également de Cayenne vers ces deux la carte précédente {Carte 2-1). Les grands communes20 qui, de fait, ne sont pas des ensembles géographiques internes étant communes périphériques de Cayenne. L’île identifiés, nous avons représenté le nombre de Cayenne, à l’instar de Kourou, est un iso- et les flux d’actifs vers Cayenne, Kourou et lat mû par une dynamique économique Saint-Laurent, villes-centres au sein des bas- interne et faiblement attractive en dehors des sins d’emploi (Carte 2-2). L’ensemble des communes limitrophes qui représentent un données est issu du traitement du « glacis » polarisé par l’agglomération. Les Recensement Général de Population de échanges entre cet ensemble et le reste de la 1999 (base exhaustive) [INSEE, 1999]. Guyane sont, au plan de l’emploi, pratique- L’apport du traitement des navettes (quoti- ment nuls. diennes ou hebdomadaires) réside dans Les communes du Maroni sont également l’éclairage des zones de provenance des peu attractives pour les autres bassins de actifs travaillant dans une commune-centre. population active : seuls 2,3% proviennent Il permet de mesurer les champs d’attraction de l’extérieur, essentiellement de l’île de et de drainage des bassins d’emploi ou au Cayenne. Kourou est légèrement plus attrac- contraire de confirmer l’hypothèse d’un fort tif mais le pourcentage des actifs y ayant un cloisonnement. emploi et ne résidant pas dans la commune L’analyse globale de communes agrégées reste faible (9,8%). Le champ d’attraction de montre la faiblesse des mouvements. En la ville se résume aux communes limi- effet, l’île de Cayenne ne reçoit que 6% des trophes (Sinnamary, Macouria) et à l’île de actifs extérieurs (dont 5,1% des autres com- Cayenne (Carte 2-2) munes19 et 0,9% des communes du Maroni Un dernier regard sur la carte navettes per- et de Kourou). À l’échelle locale, la quasi- met, enfin, de reprendre les conclusions sur totalité des échanges d’actifs se réalise au le caractère profondément déséquilibré et

19 Sachant que les actifs des communes périphériques 20 998 et 925 actifs sortent de Cayenne pour travailler à de l’agglomération (Macouria, Montsinéry et Roura) Matoury et Remire-Montjoly. sont largement majoritaires dans cet ensemble agrégé. LIL87112_PIANTONI 4/11/04 11:27 Page 356

356 fragmenté de l’espace guyanais. À l’excep- merciales. À titre indicatif, le secteur tertiai- tion du littoral, sur-concentré ponctuelle- re regroupait 76% des actifs occupés en ment aux plans démographique et écono- 1990 [INSEE, RGP, 1990] dans l’île de mique et paradoxalement peu polarisant à Cayenne. L’agglomération apparaît comme l’échelle intra-régionale, l’ensemble de l’es- une capitale administrative et commerciale, pace intérieur (y compris fluvial) est peu dont la population est majoritairement fonc- peuplé et enclavé. Les mobilités, en plus de tionnaire (catégories B, C, D) ou employée. l’extrême faiblesse des mouvements, sont Au total, cette catégorie d’actifs représente strictement établies sur le littoral. 35,5%, ce que confirment Benjamin et Ponctuellement surpeuplé et survalorisé, Godard [1999, p. 130] pour qui 33,3 % sont l’espace régional est une mosaïque d’isolats, des actifs employés dans la fonction bases de dynamiques démo-économiques publique à Cayenne. Rappelons qu’avoir la internes construites sur une dépendance nationalité française reste une condition extérieure hétérogène et spécifique. obligatoire pour ce type d’emploi. Dans le Cette situation fragmentée force l’interroga- cas de la Guyane où la proportion d’étran- tion et conduit, pour clore cette analyse sur gers atteint 30% [INSEE, RGP, 1999], cette les bassins économiques et l’emploi, à ana- condition s’apparente à une forme de discri- lyser les spécificités du marché de l’emploi mination légale et constitue un frein à l’inté- qui génère ce cloisonnement. gration de la population étrangère. L’importance des emplois rattachés à la 3.2. Les spécificités du marché du travail fonction publique est une spécificité de l’île Ne disposant pas des Classifications Socio- de Cayenne et marque lourdement le carac- Professionnelles (CSP), nous évoquons la tère fermé du marché du travail. spécificité du marché de l’emploi par les La primauté des emplois inscrits dans l’éco- positions professionnelles déclarées des nomie des services est aussi perceptible dans actifs21 (Tableau 2-2). la troisième catégorie d’emplois la plus Dans l’île de Cayenne, à Kourou et dans les importante, celle des agents de service et des communes du glacis, la position profession- employés de maison (9,9% des actifs ayant nelle dominante est celle des employés de un emploi). La population de cadres et de bureau ou des cadres de catégorie C et D22 techniciens est faible. L’économie repose de la fonction publique. Ils représentent sur les transferts d’État et leur redistribution selon les espaces de 23,7 à 17,4% des actifs. dans l’économie commerciale de l’agglomé- Les professions ayant trait au secteur tertiai- ration. re marchand et non-marchand sont donc pré- Le marché de l’emploi à Kourou relève d’un dominantes. Pourtant, ces valeurs ne recou- autre schéma. La catégorie des employés vrent pas les mêmes réalités du marché reste la plus importante (23,7%), mais ne local. s’inscrit pas majoritairement dans la fonc- Cayenne concentre l’ensemble des orga- tion publique mais dans le secteur privé. Le nismes socio-administratifs décentralisés et Centre Spatial Guyanais, le CNES et les déconcentrés, deux hôpitaux et les sièges autres entreprises tributaires du secteur spa- d’entreprises commerciales. À Remire- tial sont les principaux employeurs de la Montjoly et Matoury sont concentrés la plu- ville. La ville se distingue par l’importance part des hypermarchés (alimentaires ou de la catégorie des cadres d’entreprises et autres) du département et des zones com- des ingénieurs, qui représentent 9,8% des

21 Les biais méthodologiques résident dans le caractère cularités au sein de la zone littorale (île de Cayenne, erroné que peuvent contenir les déclarations des actifs estuaire du Maroni, Kourou, glacis Kourou-Cayenne), interrogés et dans la classification des positions profes- celles de la vallée du fleuve Maroni et celles des autres sionnelles établie par l’INSEE peu adaptée à l’appré- communes. Cette approche par la différenciation d’en- ciation de l’activité en dehors d’une économie urbaine. sembles géographiques, permet une étude plus perti- Toutefois la prédominance de variables – « indépen- nente des divergences internes. Enfin, les deux posi- dants », « position professionnelle non déclarée » – tions professionnelles dominantes par zones ont été font ressortir les divergences de structures économiques analysées. selon les espaces considérés. Nous avons dissocié les 22 Niveau de formation correspondant au Baccalauréat. ensembles agglomérés en mettant en évidence les parti- LIL87112_PIANTONI 4/11/04 11:27 Page 357

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Tableau 2-2 : Position professionnelle déclarée des actifs ayant un emploi par communes agrégées

Position professionnelle Île de Kourou Estuaire Vallée du Glacis Autres déclarée Cayenne23 du Maroni24 Maroni25 Kourou- communes27 Cayenne26 Valeur % Valeur % Valeur % Valeur % Valeur % Valeur % Position professionnelle non déclarée 1938 7,3% 327 5,1% 195 3,6% 124 21,6% 165 5,0% 41 3,28% Manœuvres ou ouvriers spécialisés 2114 8,0% 333 5,2% 650 12,0% 86 15,0% 350 10,5% 427 34,19% Ouvriers qualifiés ou très qualifiés 2252 8,5% 570 9,0% 299 5,5% 33 5,7% 277 8,3% 97 7,77% Agent service, aide soignant, employé maison 2630 9,9% 579 9,1% 632 11,7% 79 13,8% 457 13,7% 189 15,13% Employé commerce bureau, cat. C-D Fonction Publique 6099 23,0% 1509 23,7% 645 11,9% 29 5,1% 580 17,4% 104 8,33% Agent de maîtrise dirigeant des ouvriers 668 2,5% 190 3,0% 73 1,4% 2 0,3% 84 2,5% 10 0,80% Agent de maîtrise dirigeant des techniciens 262 1,0% 112 1,8% 18 0,3% 3 0,5% 27 0,8% 6 0,48% Techniciens, dessinateurs, VRP 788 3,0% 552 8,7% 48 0,9% 19 3,3% 89 2,7% 3 0,24% Inst, inf, trav soc, tech méd, cat. B Fonction Publique 3313 12,5% 484 7,6% 569 10,5% 95 16,6% 330 9,9% 103 8,25% Ingénieurs, cadres d’entreprise 822 3,1% 624 9,8% 40 0,7% 1 0,2% 33 1,0% 7 0,56% Cat. A Fonction Publique, assimilés 2002 7,5% 492 7,7% 368 6,8% 32 5,6% 126 3,8% 53 4,24% Indépendants 2118 8,0% 349 5,5% 1313 24,3% 48 8,4% 509 15,3% 125 10,01% Employeurs 1198 4,5% 208 3,3% 167 3,1% 13 2,3% 130 3,9% 47 3,76% Aides familiaux 333 1,3% 25 0,4% 383 7,1% 10 1,7% 172 5,2% 37 2,96% Total communes 26 537 100,0% 6354 100,0% 5400 100,0% 574 100,0% 3329 100,0% 1249 100,00% Pourcentage des actifs ayant un emploi/ Guyane 61,1% 14,6% 12,4% 1,3% 7,7% 2,9% Source : INSEE, RGP 1999, exploitation spécifique.

actifs occupés. À l’échelle départementale, l’estuaire prédomine la catégorie des indé- Kourou concentre 41% de cette catégorie pendants et, dans la vallée, la position pro- d’actifs à laquelle il faut rajouter 8,7% de fessionnelle est majoritairement non décla- techniciens. C’est donc par une plus grande rée. La profession majoritaire dans l’estuai- exigence de formation supérieure que se re regroupe à la fois des agriculteurs indé- caractérise le marché de l’emploi kourou- pendants, exploitant un abattis ou un autre cien dans ses composantes principales. type d’exploitation familiale. Les activités Le bassin frontalier se détache nettement des incluses dans le secteur primaire représen- structures de l’emploi précédentes. Dans taient, en 1990, 47,3%28, la branche agrico-

23 Île de Cayenne : Cayenne, Matoury, Remire- 26 Glacis Kourou-Cayenne : Macouria, Montsinéry, Montjoly. Roura, Sinnamary. 24 Estuaire Maroni : Apatou, Awala-Yalimapo, Mana, 27 Autres communes : Camopi, Iracoubo, Ouanary, Saint-Laurent. Régina, Saint-Élie, Saint-Georges, Saül. 25 Vallée du Maroni : Grand-Santi, Maripasoula, 28 Moyenne calculée sur l’ensemble des communes Papaïchton. frontalières (estuaire et vallée) [INSEE, RGP 1990]. LIL87112_PIANTONI 4/11/04 11:27 Page 358

358 le étant largement majoritaire. Toutefois, on l’exploitation aurifère) sont rares. Là enco- peut également intégrer dans les indépen- re, la pluri-activité domine et le mode de dants nombre d’acteurs de l’économie infor- fonctionnement économique s’écarte des melle (activité fluviale et commerciale) dont modèles métropolitains existant sur le litto- le caractère principal réside dans une forte ral. La spécificité de l’économie dans l’es- rotation des activités. Le critère utilisé par pace frontalier s’inscrit aussi dans une l’INSEE s’avère particulièrement inadapté dimension socioculturelle. pour saisir la réalité économique locale qui détermine la situation de l’emploi. Les Les bassins d’emploi que constituent l’île de emplois administratifs restent peu impor- Cayenne, de Kourou et des villes estua- tants en comparaison des autres positions riennes sont chargés de fortes disparités qui professionnelles. Par ailleurs, la proportion les rendent peu perméables. Dans le premier d’emplois rattachés à la fonction publique cas, la forte proportion d’actifs rattachés à la est très inférieure à celle de l’île de Cayenne fonction publique rend le marché du travail et de Kourou. relativement fermé par la nécessité d’avoir L’importance des positions professionnelles la nationalité française pour l’intégrer. À non déclarées dans la vallée résulte aussi de Kourou, le degré de qualification est un fac- l’inadéquation classificatoire. Dans les com- teur de frein aux échanges. Enfin, dans l’en- munes du Maroni, exceptés les emplois semble frontalier, l’économie informelle créés par les services administratifs, tech- s’est substituée au marché travail légal lacu- niques sanitaires et scolaires des communes, neux et reste liée à des facteurs sociocultu- les emplois salariés (même dans le cadre de rels spécifiques au bassin fluvial.

CONCLUSION

La notion de crise spatiale prévaut dans la détruits ou visés désignent l’État, mais aussi qualification de l’espace guyanais. Elle les collectivités territoriales et les symboles apparaît dans l’architecture spatiale de l’es- mercantiles du progrès social (supermar- pace guyanais tricéphale, centrifuge et cloi- chés, boutiques de luxe...). Ces événements sonnée, illustrant l’extraversion de chacun montrent une crise structurelle ancrée dans des pôles vers des centralités externes et le rapport à l’État et à l’idéologie dévelop- hétérogènes. L’ensemble départemental est pée depuis l’abolition de l’esclavage. C’est polarisé sur trois espaces qui s’inscrivent de dans la remise en cause du principe d’assi- façon différentielle dans une problématique milation, visant à l’alignement avec la liant espace, pouvoir et mobilités. Métropole (économique, social, identitaire L’agglomération cayennaise, point d’arri- et institutionnel), qu’il faut en chercher les mage du pouvoir national, centralise l’orga- déterminants et, en même temps, les signes nisation administrative sous dépendance d’une transition. L’analyse territoriale, révè- directe des transferts métropolitains. le les fractures et les cloisonnements d’une Kourou, lieu du pouvoir « techno-spatial », société guyanaise en mutation, établissant vit au rythme des lancements tributaires du une corrélation étroite entre crise spatiale et marché mondial des télécommunications. crise sociale. En marge, la zone frontalière du Maroni – La question migratoire est au centre de ces aux périphéries régionales guyanaise et suri- deux processus en agissant simultanément namaise – se polarise sur la centralité comme une fonction miroir et un catalyseur. transnationale de l’estuaire du fleuve-fron- L’importance des vagues migratoires durant tière. la décennie 1985-1995, associée à une crois- Aux déséquilibres de l’organisation de l’es- sance démographique interne, bouleverse pace répond une actualité sociale chargée, l’ordre d’une société ségrégée articulée sur marquée par des crises paroxystiques depuis le gradient d’une assimilation aux valeurs le milieu des années 1990. Les symboles métropolitaines dans le contexte de marchés LIL87112_PIANTONI 4/11/04 11:27 Page 359

359 de l’emploi restreints et restrictifs centrali- gatives politico-économiques contestées, sés dans les agglomérations urbaines. Miroir alors que la décentralisation, lui donnant les déstabilisant de la société guyanaise, l’im- rênes du pouvoir, est un échec économique migration renvoie ici à la confrontation et social. Ainsi, l’immigration devient-t-elle paradoxale du progrès et du non-développe- un catalyseur de la remise en cause, par la ment généré par les effets déviants de la population et l’État29, du principe d’aligne- départementalisation (1946), puis de la ment économique et social qui débouche sur régionalisation (1983). Au cœur du débat la révision institutionnelle des modes d’ad- communautaire, l’immigration conditionne ministration locale à partir de la loi d’orien- aussi l’émergence sur la scène politique tation en 2000. Alors qu’elle est intégrée à régionale de communautés ayant récusé le l’ensemble des régions ultrapériphériques modèle assimilationniste (Marrons, Amérin- de l’Union européenne (1999), la Guyane, diens) ou s’étant structurées par des canaux en se dégageant du rapport tutélaire métro- associatifs ou relationnels (Haïtiens, politain, s’affirme désormais comme une Brésiliens). Aussi, la communauté créole, entité institutionnelle qui doit s’envisager médiatrice hégémonique de la relation au dans ses rapports transnationaux pluriels. pouvoir national, voit, désormais, ses préro-

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29 Pour ce débat, voir Ripert, 1990 ; Merle, 1998; Lise &Tamaya, 1999 ; Fragonard et al.,1999.