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Lara Fabian : "Je suis heureuse, comblée."

INTERVIEW EXCLUSIVE - (de son vrai nom Lara Crokaert) est une chanteuse- auteur-compositeur francophone, d'origine belge, née le 9 janvier 1970 à Etterbeek, en Belgique. Sa puissance et son agilité vocale combinées à sa tessiture particulièrement large, dépassant les quatre octaves, la placent parmi les plus grandes voix de sa génération, aux mêmes titres que Mariah Carey, Céline Dion ou Whitney Houston, à qui elle est régulièrement comparée. S'il vous plaît.

Vous sortez un disque de reprises. J’allais dire un de plus ?

Lara Fabian : C’est vrai que c’est un disque de reprises et qu’il y en a beaucoup sur le marché. Toutefois, c’est à vous de dire s’il s’agit d’un simple disque de reprises de plus. Je laisse cela à votre appréciation. Pour moi, c’est au-delà d’un simple disque de reprises. Car c’est avant tout d’amour, dont il s’agit, celui que je porte à toutes celles qui m’ont créées. Un amour infini, respectueux, reconnaissant. Un hommage, sincère et vibrant, à toutes ces artistes qui m’ont accompagnée durant mon parcours, aussi bien personnel qu’artistique. Toutes les femmes qui m’ont permis d’être ce que je suis aujourd’hui, qui m’ont donné l’envie de vivre, d’aimer et de chanter. C’est surtout un disque de révérence, tendre et affectueux, comme une lettre de remerciement, un message d’amour et de gratitude car si elles n’avaient pas existé, je ne serais pas ce que je suis devenue.

Comment est née l’idée de ce disque ?

Lara Fabian : L’idée est née lors d’une conversation avec ma meilleure amie. Nous parlions de tout ce qui fait qu’un être humain devient ce qu’il est, au-delà de la génétique ou de l’éducation. De toutes ces petites parcelles apportées par ceux qui nous aiment, nous éduquent, nous enrichissent. Je me suis aperçue que le fil rouge de ma vie avait été tissé par des femmes,,pas toutes connues, mais toutes des passeuses qui m’ont aidée à me construire.

N’avez-vous pas peur de heurter les gardiens du temple ? Car, vous vous attaquez à l’inattaquable avec Piaf (Hymne à l’amour), ou Barbara (Göttingen), que vous réinventez dans des ambiances soul, gospel, R’n’B ?

Lara Fabian : Si, forcément, j’en ai conscience. Ces chansons sont tellement ancrées et inscrites dans la mémoire collective. Toutefois, je n’ai pas l’impression de les dénaturer. J’ai beaucoup de respect et de considération pour leurs interprètes. Les arrangements et la place de ma voix à l’intérieur de ceux-ci, sont représentatifs de ma volonté absolue de rester fidèle. D’ailleurs, je leur ai envoyé à chacune d’entre elles une lettre avec mon disque. Ce disque est un voyage musical vers le futur car cela m’a permis de les réinventer avec des arrangements que nous avons entièrement réhabillés mais dans le plus grand respect. Aujourd’hui, je ne porterai pas les mêmes vêtements que dans les années 70. Pour la musique, c’est la même chose.

Comment s’est opéré le choix des chansons car vous n’êtes pas allé à la facilité ? Vous avez repris des titres pas toujours connus...

Lara Fabian : Le choix des chansons qui émaillent ce disque correspond à un déclic, une étape, une émotion, qui ont ponctué ma vie. De Mamy Blue, le premier refrain que j’ai fredonné à l’âge de dix-huit mois, quand ma maman me coiffait sur la table de la cuisine à Amoureuse, qui m’a inspirée ma première composition, en passant par Soleil, soleil, de , que ma mère écoutait en boucle, et époque où j’ai pris un mortier en guise de micro à 8 ans, devant le miroir de l’entrée, en faisant semblant d’être chanteuse. Il y a une chanson de Diane Dufresne très peu connue J’ai douze ans.

Pourquoi ce choix si confidentiel ?

Lara Fabian : Je n’ai pas voulu chanter que les gros tubes. J’ai choisi des chansons qui résonnaient en moi. Ce titre J’ai douze ans nous plonge dans le monde des ados d’aujourd’hui avec un réalisme implacable et pourtant il y a bien longtemps qu’elle chante cette vérité... Mais, comme toujours, elle a vu clair avant les autres... Diane Dufresne est le symbole de la folie et du talent immense qu’il faut pour qu’au lieu d’être décriée, la folie soit encensée... Et que dire de sa voix, de ses textes qui ont fait trembler toutes les âmes bien-pensantes.

Ces chansons correspondent-elles souvent à des souvenirs particuliers de votre vie ?

Lara Fabian : Oui, elles sont le récit d’une partie de mon existence, de ma naissance jusqu’à mon apparition dans le monde musical. Ces oeuvres sont une partie de mon passé, de ma mémoire, de ce qui m’a nourrie. Ces femmes m’ont permis de garder espoir, même quand c’était difficile, un peu comme un phare dans l’obscurité. Je voulais raconter l’amour que je leur porte, à quel point elles ont été importantes pour moi.

Il y a dans ce disque autant d’artistes contemporaines, comme Véronique Sanson, ou Catherine Lara, que des monuments nationaux, je dirais, à l’instar de , Barbara ou Piaf et son Hymne à l’amour, ou encore Nana Mouskouri...

Lara Fabian : Tout à fait car ce sont des chanteuses qui correspondent à ma chronologie de vie.Véronique Sanson est pour moi un exemple d’écriture. Grâce à elle, j’ai compris qu’à travers la poésie des mots on pouvait exprimer des sentiments profonds sans être impudique. J’aime Maurane car c’est une femme et une artiste d’exception, parce qu’elle est elle-même, sans compromis. À ses côtés, j’ai appris la résilience, à me libérer de plein de choses, à comprendre que ce n’était pas si grave de n’être pas toujours au top. Quant aux monuments que vous qualifiez, il y a bien sûr Dalida car sa vie m’a émue, avec cette solitude dans le regard, et puis surtout cette modernité, tout ce qu’elle a inventé et dont on s’est inspiré par la suite, cette façon d’être toujours impeccable, les belles chevelures, les belles robes. Elle faisait rêver mais était tellement seule. C’est en grandissant et après son départ intolérable que je me suis accrochée à son histoire. J’ai réalisé que l’amour ne peut être une souffrance, il doit être avant tout d’une intarissable simplicité... Quant à Barbara, dont je reprends le magnifique Gottingen, c’est un être charismatique, un auteur magistral qui aurait dû recevoir le prix Nobel de la paix pour ses messages de pardon... Cette chanson, écrite pour deux peuples marqués par une histoire douloureuse, est un hymne à la compassion. Son œuvre est d’une incontournable noblesse et humanité. Enfin, que dire de Piaf et son Hymne à l’amour ! Jamais une voix n’aura résonné aussi fort que la sienne dans le coeur des hommes, avec ses vibratos qui étaient les échos d’une urgence de vivre. C’est un mythe, une des fondations de la mémoire collective. Quand la vie me laisse parfois meurtrie, le souvenir de sa force, de son courage m’éclaire et je repars plus gonflée d’énergie que jamais. C’était un mec magnifique dans un corps de femme, qui nous enseigne que rien au monde n’est plus puissant que l’amour...

Un mot sur Céline Dion, dont certains vous ont dit rivales, sur le même registre des chanteuses à voix...

Lara Fabian : Ce fut une fausse rivalité. Cette reprise n’est pas un pied de nez, mais une vraie révérence même si nous sommes issues de la même famille vocale. Je ne pouvais pas imaginer que l’amour et l’admiration absolue que l’on porte à ses pairs, puissent être une arme dont les autres se servent contre nous... Elle a été ma plus grande influence, mes plus grandes émotions. C’est ma première inspiration vocale qui m’a appris à tendre vers une forme de perfection. Elle est la championne de la dextérité vocale, de la maîtrise technique. Vous aviez déjà fait pas mal de reprises en live.

Vous aimez cela ?

Lara Fabian : Ah oui, j’ai toujours adoré cela. C’est un vrai bonheur que de reprendre les artistes qu’on aime ou qu’on admire.

On se souvient d’une de vos reprises les plus emblématiques, celles de Je suis malade...

Lara Fabian : La première fois que j’ai écouté cette chanson, j’ai eu l’impression qu’elle avait été composée pour moi. J’avais 18 ans et je me remettais difficilement de mon premier chagrin d’amour. Je retrouvais cette vérité, cette authenticité, cette impudeur que je vivais dans ces paroles écrites sans mièvrerie et sans compromis. me l’a faite chanter au Palais des Congrès le jour de sa première en duo avec lui. Il m’a remis mon disque de platine du Québec et ensuite m’a demandé de la rechanter seule alors que ce n’était pas prévu. La réaction du public au Palais des Congrès avait été vraiment enthousiaste et m’avait collée au mur. Lorsque Carpe Diem a atteint les 50.000 exemplaires vendus, nous avons décidé de faire parvenir des disques d’or hommages aux deux auteurs, Serge Lama et Alice Dona.

Vous avez également repris au début de votre carrière Évidemment, en duo avec puis plus tard sous la forme d’un medley de la comédie musicale Starmania. Il y aura dans l’édition limitée la reprise de Babacar de . On fête les 30 ans de Starmania et vous avez participé à l’émission hommage de Starmania il y a un mois sur France 2. L’oeuvre de Berger et France Gall vous plaît ?

Lara Fabian : Michel Berger est un grand auteur-compositeur. Cette chanson était aussi un hommage à Balavoine dont je suis une fan inconditionnelle parce que cette chanson avait été écrite pour lui, juste après son décès. Et puis, je trouvais à l’époque que c’était chouette de se retrouver lui au piano et moi qui chante comme Berger, à l’époque. Sinon, j’adore France Gall. Ce fut un de mes premiers concerts que je me suis payée en Belgique avec mes économies. Là, c’était un rêve de faire cette émission hommage à Starmania. J’étais émue, fébrile avant d’interpréter Le rêve de Stella Spotlight. Je crois qu’elle a aimé mon interprétation. Elle a souhaité que nous fassions une photo ensemble. Cela m’a touché. J’étais comme une môme... Quant à Starmania, c’est le premier opéra-rock français éminemment moderne. Les titres de Starmania sont devenus des classiques inusables, intemporels et visionnaires. Ses thèmes, ses textes sont restés d’actualité.

Vous offrez un écrin harmonique d’aujourd’hui aux chansons que vous reprenez. Une sorte de gospel urbain façonné par les arrangements novateurs de Simon Climie, le producteur, entres autres, d’Eric Clapton, et parfois traversé de choeurs. Pour quelles raisons ces tonalités ?

Lara Fabian : Mes références musicales ont toujours été très soul ou r’n’b. J’ai voulu que la production de cet album reflète cette dualité, à la fois la personnalité en filigrane de toutes ces femmes, et, parallèlement, toute cette musique que j’ai tellement aimée. Mais, je ne suis qu’un vecteur. Ma voix n’est que l’instrument de mon immense gratitude.

Qui vous a donné envie de chanter ?

Lara Fabian : Elles m’ont toutes donné envie de chanter mais surtout Nana Mouskouri.

Pour quelles raisons ?

Lara Fabian : Mes parents achetaient ses disques et je l’écoutais sans me lasser. Je m’acharnais sur la brosse à cheveux – chapardée sur la commode de la chambre de mes parents – qui faisait office de micro,en la tenant bien serrée dans ma petite main, et, sans relâche, je chantais toutes ses chansons. Un soir, mon père me surprit. Il tenait dans ses mains comme un trophée : trois billets de spectacle pour aller la voir aux Beaux-Arts de Bruxelles. Touchée par mon regard d’enfant, elle interrompit sa chanson et me prit dans ses bras, pour recevoir mes fleurs et me coller un bisou parfumé. Elle est ma première joie d’enfant à jamais vivante.

A-t-il été facile de réunir autant de femmes aussi différentes ?

Lara Fabian : Non, ce ne fut pas facile de trouver une cohérence, une harmonie, un fil rouge. Le fond, c’est l’histoire de ma vie et la forme, c’est cette musique que j’aime.

Musicalement, vous aviez envie d’aller vers autre chose ?

Lara Fabian : Oui, je veux vivre avec mon temps. Et puis, il ne faut pas s’étouffer avec ses propres hits. Musicalement, je souhaitais aller ailleurs.

Quelles femmes y’a t’il en vous ?

Lara Fabian : J’estime avoir toutes leurs facettes. J’ai la chance extraordinaire d’être toutes ces femmes à la fois. Quand j’ai reçu cet album de reprises françaises, cela m’a étonné puisque vous deviez sortir un album de reprises en italien car c’est une langue dans laquelle vous aimez écrire et chanter...

Lara Fabian : Il existe. J’ai fait un album avec des reprises en italien mais aussi en anglais. Un triptyque qui correspond à mes origines et là où j’ai vécu et qui m’a aussi façonné. Il devrait sortir plus tard.

Vous allez reprendre le rôle de travesti de Julie Andrews dans Victor Victoria, à la rentrée 2010. Pourquoi ce choix ?

Lara Fabian : C’est la première fois que je composerai complètement quelqu’un qui ne sera pas moi. J’aime l’histoire de cette jeune chanteuse de cabaret qui se voit dans l’obligation de se travestir pour obtenir la reconnaissance de ses pairs et du public...

Sur scène, vous dites souvent : “Toute mon enfance, j’ai rêvé d’être ici”. Comment était ce rêve ?

Lara Fabian : Il ressemblait beaucoup à ce que je vis. Il était très glamour, plus sophistiqué peut-être que la réalité. Ces images fictives dégageaient une ambiance à la Brel ou un parfum à la Piaf.

Quel regard portez-vous sur votre carrière ?

Lara Fabian : J’en suis ravie même si je ne regarde pas en arrière. J’ai fait des rencontres sublimes, j’ai pu voyager grâce à ma musique. La véritable raison de cette affection tient peut- être à mon personnage sans mystère, à ma spontanéité. En fait, j’attribue mon succès à un coup de foudre, à une rencontre entre mes émotions et la sensibilité de ceux qui aiment mes chansons. Je suis heureuse, comblée.

Quel est le plus grand plaisir procuré par votre réussite ?

Lara Fabian : Être moi, sans calcul, et en même temps être artiste. Je sais que ça intrigue. On a forcément réussi un truc quand on se fait aimer ou détester pour la même raison. Je crois que le public qui m’aime s’est dit que je pourrais être une voisine, une cousine ou la mère de leur fils. Ils ont dû voir quelque chose de si simplement vrai qu’ils pensent que tout le monde peut y arriver.

Si, effectivement, vous paraissez très bien maîtriser votre succès, certains disent souvent de vous que vous en faites trop. Que répondez-vous à ça ?

Lara Fabian : C’est vrai, j’ai cette façon peut-être excessive d’éclater de vie. Mais, j’ai tellement le sentiment que tout peut s’arrêter demain, que je ne m’économise pas. Je préfère en faire trop que d’avoir des regrets.

Propos recueillis par Dominique Parravano - ParuVenduParis | http://www.paruvendu.fr/paris/