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Ciné-Bulles Le cinéma d’auteur avant tout

Douleurs et passions d’ Jancimon Reid

Volume 23, Number 2, Spring 2005

URI: https://id.erudit.org/iderudit/33192ac

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Publisher(s) Association des cinémas parallèles du Québec

ISSN 0820-8921 (print) 1923-3221 (digital)

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Cite this review Reid, J. (2005). Review of [Douleurs et passions / Sideways d’Alexander Payne]. Ciné-Bulles, 23(2), 48–49.

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Douleurs et passions

JANCIMON REID

our Alexander Payne, qui porte êtres aux personnalités et aux vies diamé­ célébration de son mariage, savourer sa décidément bien son nom, la souf­ tralement opposées. dernière semaine de liberté en sautant (sur) Pfrance est un sujet de prédilection : tout ce qui bouge. la souffrance de voir sa réputation attein­ À l'instar d'About Schmidt, Payne uti­ dre des bas-fonds inexplorés dans Elec­ lise encore une fois les possibilités visuelles L'oisiveté et l'anxiété déconcertantes du tion, la souffrance de la solitude et de du road movie pour camper ses person­ personnage principal, qui sont illustrées l'ostracisme dans About Schmidt et la nages et dévoiler les faiblesses des anti­ avec une objectivité froide dès les pre­ souffrance de la dépression chronique héros qu'il s'amuse à disséquer avec une mières séquences, imposent d'entrée de dans Sideways. Visiblement, le cinéma de lucidité impitoyable. Le plat de résistance, jeu le ton du film, qui n'a rien en commun Payne s'acharne à mettre en scène des hom­ cette fois : Miles Raymond (magnifique­ avec les comédies classiques dans la plus mes abandonnés à eux-mêmes et à leurs ment interprété par Paul Giamatti), un pure tradition hollywoodienne. Il est d'ail­ propres inconduites, des personnages qui professeur d'anglais désabusé qui attend leurs légitime de s'étonner que l'on nous souffrent et qui doivent conjuguer avec avec impatience le verdict d'un éditeur à présente Sideways comme une comédie leurs chimères, leurs espoirs, leurs pulsions qui il a confié son roman. Question de alors que l'œuvre présente une structure et malheureusement... avec l'implacable noyer momentanément la déprime qui hautement dramatique à laquelle se greffe réalité. Brillamment mise en scène, la survit à son divorce, Miles accepte de parfois l'humour, et non l'inverse. Plus douleur psychologique offre un spectacle partir à la dérive sur le chemin des vigno­ près d'un Woody Allen fauché et bedon­ divertissant, s'il faut en croire les films du bles californiens. Une décision qui fait nant que d'un Jim Carrey cabotin, Miles réalisateur américain. Avec Sideways, plaisir à son copain de chambre du collège, Raymond a souvent la réplique fataliste Alexander Payne récidive en illustrant cette Jack Lopate (campé par Thomas Haden ou moralisatrice, ce qui suscite davantage fois les contrastes énormes entre deux Church), qui désire, à quelques jours de la des rires jaunes que des esclaffes spon­ tanées. Le film s'amorce dans la froideur et rend l'identification difficile pour le spectateur. C'est seulement lorsque surgit l'humanité des personnages que la dis­ tance s'amenuise. Si Jack Lopate semble davantage répondre à certains critères de superficialité, le scénario ne tarde pas à corriger cette fausse impression en lui donnant plus tard suffisamment de pro­ fondeur pour que le clown acquière une dimension plus auguste. Placé devant l'éventail des ambiguïtés, des contradic­ tions et des souffrances des deux acolytes, le spectateur de Sideways finit donc par s'intéresser à deux personnages qui lui inspiraient préalablement une antipathie.

Mais avant de trancher à froid ses person­ nages et d'exciter leurs souffrances latentes, Paul Giamatti et Thomas Haden Church dans Sideways

48 • VOLUME 23 NUMÉRO 2 CINË3L/LLES Alexander Payne insiste d'abord sur les bienfaits qu'offre leur escapade; un pré­ texte idéal pour éveiller chez eux les pas­ sions les plus vibrantes. C'est pourquoi Sideways s'installe rapidement comme un film sur les femmes et surtout... sur le vin. En ce sens, la caméra vive et sensuelle de Payne s'attarde à photographier des grappes de raisins dodus, des vignobles luisant d'opulence et, surtout, le sanctifié breuvage qui endort chez Miles toute la douleur qu'il porte. En ce sens, la passion de ce dernier pour le bon vin distille fort heureusement une partie de sa propension au défaitisme. L'insistance de Payne sur l'univers vinicole permet de comprendre Sideways d'Alexander Payne l'importance de l'exaltation que le vin procure à Miles. L'utilisation rafraîchis­ plus émotives en faisant appel à des effets inconduite et de ses cabrioles des derniers sante d'une séquence de polyvision (plu­ photographiques subtils et très réussis jours. Afin de tenir l'audience en laisse au sieurs plans séparés dans le même écran) (par exemple, une mise au point volontai­ milieu de ces montagnes russes, le cinéaste évoque habilement le sentiment de légè­ rement défaillante afin d'illustrer l'ivresse fait appel à une musique qui se déploie reté que suppose une telle escapade. La de Miles lors d'une conversation au télé­ souvent en appuyant à souhait les émo­ musique aux accents jazzy participe phone). Cette approche de mise en scène tions des personnages, comme le veut une également à cette démarche artistique fort hypersensible contribue à rendre tangible convention implicite à Hollywood qui se réussie. Parallèlement aux scènes de la souffrance du personnage et à susciter dédie entièrement à la manipulation du dégustations vient se greffer le spectacle l'empathie chez le spectateur. Constant spectateur. Un enrobage qui a de quoi de Jack dont l'appétit vorace pour les dans son approche visuelle tout en délica­ agacer de temps à autre... Malgré tout, on femmes met définitivement un frein à tesse, Payne pousse l'exercice jusqu'au arrive assez bien à comprendre l'utilité de l'expérience gustative de Miles. Tandis bout en imposant une pudeur à sa caméra cet outil narratif qui intervient de façon que Jack cède nonchalamment à l'amour lors d'une scène remarquable. Lorsque providentielle lorsque s'impose le défi pour une sommelière sous les yeux Miles évite enfin la tentation de la couar­ complexe d'effectuer une transition entre incrédules de son copain, Miles sombre dise et accepte les avances de Maya, les le léger et le grave. Ainsi, jusqu'à la fin, quant à lui dans l'aigre apathie d'un deux avancent en direction de l'apparte­ Payne présente en alternance la douleur divorcé traînant presque avec complai­ ment de la belle étudiante. Alors qu'ils dépressive de Miles et les quelques ins­ sance le boulet du condamné. Le film, qui s'apprêtent à traverser la porte, la caméra tants de ferveur, de plus en plus éteints, qu'il s'annonçait au départ comme une glissade abandonne ses sujets en effectuant un ose s'accorder. Ferveur éteinte jusqu'à ce dans l'univers de la légèreté, ne tarde pas virage de 180 degrés. Une façon pour Payne qu'il cède enfin à l'une des ardeurs les à s'imposer comme une ascension dans le de murmurer à l'oreille des spectateurs : plus dévorantes d'entre toutes... une pas­ monde de la douleur. Tantôt objet de pas­ « Après toute la souffrance que Miles a sion nommée Maya. • sion, le précieux breuvage ne tarde pas à endurée, jetons un voile pudique sur une devenir un refuge pour Miles, au moment expérience intime qu'il a bien méritée. » où ses démons refont surface. On com­ prend rapidement à quel point son intérêt Sideways Un peu à la manière d'un métronome, pour le vin est proportionnel à la profon­ Sideways oscille sans arrêt entre le déchaî­ 35 mm / coul. /126 min / 2004 / fict. / États-Unis deur de sa dépression. Le sort qu'il réserve nement des passions et la douleur retenue dans un casse-croûte à une rarissime Réal. : Alexander Payne bouteille de Château Cheval Blanc 1961 ou explosive de ses protagonistes. Le Scén. : Alexander Payne et Image : Phedon Papamichael en dit long sur le rapport qu'il entretient personnage de Jack n'échappe pas non plus au bistouri de Payne. Sous l'œil Mus. : Rolfe Kent avec l'alcool et la vie. Mont. : impitoyable de la lentille, Jack révèle sa Prod. : Michael London souffrance d'homme qui anticipe avec Dist. : Vivafilm Attentif à la vulnérabilité de son personnage, angoisse les chaînes du mariage, mais qui Int. : Paul Giamatti, Thomas Haden Church, Virginia Madsen, Sandra Oh, Marylouise Burke, Payne filme quelques-unes des scènes les redoute encore plus les effets de son Jessica Hecht

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