Les Nouvelles Archives de la Flore jurassienne et du nord-est de la , 13, 2015

Le point des connaissances sur la répartition du lichen pulmonaire (Lobaria pulmonaria (L.) Hoffm.) en Franche-Comté

par Pascal Collin & Yorick Ferrez

Pascal Collin, 34 Grande Rue, F-39800 Poligny Courriel : [email protected] Yorick Ferrez, Conservatoire botanique national de Franche-Comté – Observatoire régional des Invertébrés, 7 rue Voirin, F-25000 Besançon Courriel : [email protected]

Résumé – Cet article présente les principaux caractères permettant d’identiÄer Lobaria pulmonaria et précise sa répartition connue en Franche-Comté à l’aide des données centralisées dans la base de données régionale Taxa. Son écologie est rappelée ainsi que les menaces pesant sur lui.

Mots-clés : Lobaria pulmonaria, lichen, répartition, Franche-Comté, identiÄcation.

obaria pulmonaria est l’une des Sa présence est très liée à l’existence communauté des naturalistes à y rares espèces de lichen connues de forêts âgées, peu perturbées par mener des inventaires variés. Ldu « grand public » grâce à son l’exploitation et bénéficiant d’une aspect spectaculaire et surtout à son excellente qualité de l’air. L’espèce Cette récente découverte nous a par utilisation dans la pharmacopée tra- est également un bon indicateur ailleurs amenés à nous interroger sur ditionnelle et homéopathique (sous de continuités écologiques (Rose, le statut de ce lichen en Franche- le nom de Sticta pulmonaria, contre 1993 ; Coppins & Coppins, 2002). Comté, notamment sa répartition, le rhume, la sinusite et la trachéite). Enfin, il a également été démon- son abondance et son degré éven- Elle est par ailleurs emblématique en tré que la richesse lichénique en tuel de menace. Nous nous pro- Europe, tant la contraction de son milieu forestier est parfaitement posons dans cet article de faire un aire a été spectaculaire au cours des corrélée avec la biodiversité (gas- point sur sa répartition. Celle-ci dernières décennies, conséquence de téropode, insectes, oiseaux, etc.), a été établie à partir des données la dégradation de la qualité de l’air d’où l’importance de maintenir facilement mobilisables et se veut et de l’intensification des pratiques cette diversité (Coste, 2012). Par davantage une image de l’état actuel sylvicoles en particulier. Si elle a for- exemple, sa découverte dans un de la connaissance qu’une représen- tement régressé dans la moitié nord secteur forestier situé entre Poligny tation réelle de sa répartition, qui de la France, elle se maintient bien et a entraîné l’observation est, sans doute, (très ?) sous-esti- dans sa partie sud (Roux, 2014) et d’un cortège de lichens remarqua- mée, l’espèce pouvant être discrète. il persiste encore des belles popu- bles (Lobarina scrobiculata (Scop.) Il s’agit donc d’inciter les lecteurs à lations sur la façade atlantique et Nyl., Cetrelia olivetorum (Nyl.) W. prospecter les forêts aux alentours dans les zones montagneuses les L. Culb. et C. F. Culb, Pannaria de leur domicile et de regarder de mieux préservées notamment celles conoplea (Ach.) Bory., Peltigera col- près les troncs des chênes, érables, dont l’atmosphère est peu polluée lina (Ach.) Schrad., Nephroma lae- charmes et frênes afin d’y trouver, comme les Pyrénées occidentales et vigatum Ach., Usnea florida F. H. peut-être, ce lichen remarquable et le massif de la Chartreuse. Wigg., etc.) ; ceci devrait inciter la ainsi de compléter les lacunes.

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Figure 2 : aspect général de Lobaria pulmonaria à l’état sec

Reconnaissance

Voici un lichen unique par sa forme et sa couleur ; c’est de ce fait l’un des plus facile à reconnaître (fig. 1 et 2). C’est un lichen foliacé géné- ralement de grande taille (jusqu’à 50 cm de diamètre pour les plus Pascal Collin grands, plus classiquement autour Figure 1 : de 30 cm). Le thalle en forme de aspect général « feuille » est profondément lobé. de Lobaria pulmonaria à La division des lobes est presque l’état humide dichotomique. Ceux-ci mesurent de 1 à 3 cm de larges et sont tron- Figure 3 : détail qués à l’extrémité. La face supé- des apothécies de Lobaria rieure du thalle est fortement réti- pulmonaria. culée ce réseau délimite des alvéo- Les apothécies apparaissent les (fovéoles) qui lui ont valu son

Pascal Collin comme des nom de « pulmonaire », par com- petits disques paraison avec la forme des alvéo- orangés en bordure du les des poumons. Cette ressem- thalle blance est d’ailleurs à l’origine de ses supposées propriétés médici- nales, en application de la Théorie Figure 4 : des signatures de Paracelse. Elle est aspect bosselé vert-brunâtre à vert-grisâtre à l’état de la face inférieure sec et devient vert-olive vif à l’état du thalle humide. Cette couleur verte est de Lobaria due au photobionte présent dans pulmonaria le thalle, Dictyochloropsis reticulata Pascal Collin

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(Tschermak-Woess) Tschermak- Woess, algue verte proche du genre Trebouxia. On observe générale- ment sur les saillies et au bord du thalle des soralies isidifères ou des isidies plus ou moins cylindriques et plus ou moins ramifiées. Les apo- thécies (fig. 3) sont assez rarement observées. Elles mesurent de 2 à 4 mm de diamètre et sont de cou- leur brune plus ou moins rougeâtre. La face inférieure est tomenteuse brunâtre et présente des « bosses » plus ou moins glabres, blanchâ- tres, correspondant aux faces en Pascal Collin relief des fovéoles de la face supé- Figure 5 : Lobarina scrobiculata (lichen de couleur plombée dans la partie supérieure rieure (fig. 4). de la photo), le thalle plus clair apparaissant dans la partie inférieure appartient à Cetrelia olivetorum Bien que sa morphologie permette de le reconnaître sans ambiguïté, nous Répartition en Franche- Trois pôles majeurs de présence indiquons les réactions chimiques Comté semblent se dégager en l’état des classiques concernant la médulle : connaissances actuelles : les deux P+ orange, K+ jaune-orangé, KC+ Cette espèce est peu fréquente. Elle secteurs de montagnes du jaune-orangé, C-. Des compléments est recensée après 1990 dans 35 com- (départements du Jura et du Doubs) et de nombreuses photos peuvent munes de Franche-Comté et avant et des Vosges et une partie du être consultés sur internet notam- 1990 dans deux communes (fig. 6) : premier plateau du Jura entre ment sur le site de l’Association Doubs : Chaux-lès-Passavant, Épenoy, Arbois et Poligny. On voit égale- Française de Lichénologie : http:// Pontarlier, Touillon-et-Loutelet, www.afl-lichenologie.fr/Photos_ Verrières-du-Grosbois ; Jura : Arbois, AFL/Photos_AFL_L/Lobaria_pul- Bellefontaine, , , monaria.htm La Châtelaine, Chilly-sur-Salins, , (avant Lorsqu’il est typique et bien déve- 1990), Ivory, Lajoux, loppé ce lichen ne peut donc pas être , , confondu, mais des thalles jeunes, , Poligny, chétifs ou malades pourraient être Prémanon, , Les confondus avec d’autres espèces de Rousses, Saint-Laurent- lichens foliacés. À l’état adulte, il en-Grandvaux ; Haute- existe un éventuel risque de confu- Saône : Auxon, Betaucourt, sion avec Lobarina scrobiculata (fig. 5) Beulotte-Saint-Laurent, qui présente cependant des lobes de Citers, La Creuse, Haut- forme nettement différente (arron- du-Them-Château- die) et surtout qui ne possède pas Lambert, Luxeuil-les- Figure 6 : répartition d’algue verte dans son thalle mais Bains (avant 1990), actuelle des cyanobactéries du genre Nostoc Miellin, Neuvelle-lès- de Lobaria Cromary, Plancher-les- pulmonaria en qui lui donnent une couleur gris- Franche-Comté bleuté à plombé en présence d’eau. Mines, Pont-du-Bois, communes de Saint-Loup-sur-Semouse, présence après Voir http://www.afl-lichenologie. Villeneuve-Bellenoye-et- 1990 inclus fr/Photos_AFL/Photos_AFL_L/ communes de la-Maize ; Territoire de Texte_L_3/Lobarina_scrobiculata. présence avant Belfort : Giromagny. 1990) htm pour plus de détails.

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ment se dessiner un petit secteur ble sycomore, le merisier, le trem- Conclusion situé sur le second plateau du ble, l’érable champêtre et le hêtre Doubs autour du Valdahon, où l’es- comme essences secondaires. La La connaissance du lichen pulmo- pèce a déjà été observée à plusieurs strate herbacée est composée de naire doit encore certainement pou- reprises. On constate aussi que le Carex pilosa Scop., Viola reichen- voir progresser. C’est une espèce Lobaria pulmonaria est bien présent bachiana Boreau, Adoxa moscha- qui ne pose pas de problème pour en plaine dans les bois de Haute- tellina L., Ranunculus auricomus sa reconnaissance, en particulier Saône. Cette amorce de répartition L., Ficaria verna Huds., Lathyrus lorsqu’il est hydraté. reste bien sûr à compléter. vernus (L.) Bernh., Anemone nemorosa L., Allium ursinum L., Deschampsia Les forêts du premier plateau du Jura, cespitosa subsp. parviflora (Thuill.) entre Arbois et Poligny, apparais- Habitats Dumort., Luzula pilosa (L.) Willd., sent comme un secteur important Lathraea squamaria L., Paris quadri- dans le cadre de la préservation de Il s’agit d’une espèce essentielle- folia L., Pulmonaria montana Lej., cette espèce surtout à basse altitude. ment corticole, c’est-à-dire vivant Glechoma hederacea L., Mercurialis Ces massifs forestiers constituent accrochée sur les écorces des arbres, perennis L., Orchis mascula (L.) très probablement un fort réservoir et plus particulièrement celle des L., etc. de biodiversité et ils jouent un rôle chênes et des érables, plus occasion- Le lichen pulmonaire est aussi évident dans la fonctionnalité de nellement sur celles du charme et du observé dans des formations plus nos écosystèmes (comme l’air que frêne, et rarement sur celle du hêtre sèches, mais dans ce cas le nombre nous respirons ou l’eau que nous et du sapin. Elle est essentiellement de thalles colonisant les arbres est buvons). Il serait donc urgent de installée sur les troncs, à hauteur réduit. d’homme ou plus haut, jusqu’aux lancer des inventaires concernant premières branches. Les vieux lier- d’autres groupes tant les connais- res grimpants sur les troncs d’ar- sances sont lacunaires dans ce sec- bres constituent aussi un support Menaces et protection teur forestier qui semblait a priori dépourvu d’intérêt naturaliste que le Lobaria pulmonaria appré- La première cause de sa disparition cie particulièrement. Il est égale- est la pollution atmosphérique et d’autant plus que diverses mena- ment saxicole dans les Vosges et en particulier la teneur en dioxyde ces apparaissent. Leur préservation souvent muscicole sur les mous- doit être prise en compte par les de soufre (SO2). Cependant, il ses corticoles et saxicoles. existe d’autres facteurs, au moins pouvoirs publics. Il a besoin d’une humidité atmos- aussi importants, liés à une syl- L’inventaire du lichen pulmonaire phérique élevée et d’une excellente viculture intensive : coupes rases, se poursuit ; merci de faire parve- qualité de l’air (il est en particulier éclaircies trop importantes, enré- nir vos observations à Yorick Ferrez sinement, élimination des vieux sensible au dioxyde de soufre et dis- ([email protected]) et Pascal paraît complètement dès que le seuil arbres. Le maintien des vieux arbres Collin ([email protected]). de 30 μg/m3 est atteint). est un élément essentiel à la sta- bilité des populations. La diffi- Sur le premier plateau, entre Arbois culté de la gestion de ces popula- et Poligny il croît dans les chênaies- tions consiste à trouver un équili- charmaies calcicoles mésophiles à bre entre lumière et hygrométrie,  Remerciements : les auteurs légèrement hygroclinophiles (fig. deux facteurs importants pour le remercient les naturalistes ayant 7). La roche affleure un peu partout maintien de ce lichen (Daviau & transmis leurs données permet- avec de nombreuses zones lapiazées, Jegat, 2011). tant d’établir la carte de répartition mais une certaine fraîcheur reste conservée en permanence grâce à À noter que ce taxon est soumis de l’espèce : M. André, E. Brugel, l’accumulation des argiles résiduel- à réglementation en Aquitaine, R. Collaud, B. Droux, S. Gardien, les de décalcification. Le peuple- Finistère et protégé en Basse et F. Gérard, W. Guillet, M. Mazuy, ment optimal qui lui convient est Haute-Normandie. M. Philippe, A. Piguet, A. Schmitt un taillis sous futaie avec un cou- et F. Thiery. vert arboré varié avec les chênes, le frêne et le charme dominants, l’éra-

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Figure 7 : chênaie-charmaie calcicole mésophile du premier plateau, l’un des types de forêt qu’affectionne Lobaria pulmonaria dans la région

Bibliographie lichénicoles de la forêt domaniale Rose F., 1993. Ancient British de Grésigne (Tarn, France). Bull. Soc. woodlands and their epiphytes. Brit. Hist. Nat. Toulouse, 148 : 3-12. Wildlife, 5 : 83-93. Coppins A. S. M. & Coppins B. J., 2002. Indices of Ecological Continuity for Daviau H. & Jegat R., 2011. Inventaire Roux C., 2014. Catalogue des lichens et Woodland Epiphytic Habitats in the et suivi du lichen pulmonaire (Lobaria champignons lichénicoles de France British Isles. British Lichen Society, pulmonaria) - Forêt domaniale de métropolitaine. Des Abbayes édit., London, 37 p. Gouffern. Rapport, Lycée agricole Fougères (Ille-et-Vilaine), 1525 p. de Sées et l’Agence régionale ONF Coste C., 2012. Inventaire raisonné de Basse-Normandie, 48 p. des lichens et des champignons

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