Fables Du « Moi » Dans La Bande Dessinée Contemporaine
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Année 2009-2010 BESSIN Samuel Université de Rouen Lettres Modernes Faculté des Lettres et Sciences humaines Fables du « moi » dans la Bande Dessinée contemporaine. Semestre 2, Master 1 : rédaction d'une unité du mémoire. Mémoire dirigé par M. Serge LINARES Fables du « moi » dans la Bande Dessinée contemporaine. INTRODUCTION Tandis que René Goscinny, dans les années 50', peine à obtenir le statut de scénariste, le début des années 90' marque les débuts d'une Bande Dessinée alternative, une Bande Dessinée d'auteurs regroupés en associations éditoriales et opposée au ressassement thématique et narratif d'une « BD » sclérosée. Mouvement de la modernité, elle semble voir dans l'innovation constante un exercice ludique mais aussi théorique. Mais elle tend par là à se couper de son public. On pourrait situer autour des années 2000 ce que Jean-Christophe Menu appelle le mouvement de « récupération » de la vague alternative par les « gros éditeurs ». En une dizaine d'années, plutôt que de parler d'une récupération, on peut considérer que la Bande Dessinée a su amorcer une forme de postmodernité : la réconciliation des velléités d'innovation – et emprunts multiples – et de théorisation avec les attentes esthétiques et culinaires du public. S'il est important de distinguer ces deux prémices chronologiques pour définir le contexte de notre étude, on laissera pourtant de côté cette perspective historique pour s'attacher plutôt à cerner les tensions esthétiques et théoriques qui en découlent. En effet, sur une aussi courte période, les deux tendances coexistent, se frôlent et s'influencent mutuellement, se partageant même certains auteurs. Il est donc important d'avoir conscience de ce télescopage pour mieux cerner la spécificité de cette période. On peut noter, dans une perspective heuristique, deux catégories principales de mutation. On remarque d'abord un développement thématique permettant dans un même temps l'intégration en masse de l'écriture autobiographique1 et l'égale fréquence de publication des récits portant sur l'individu ordinaire. On remarque ensuite un développement médiatique ayant pour principales occurrences le large développement des maisons d'éditions alternatives et l'élaboration d'un appareil critique – sans doute en partie développé pour justifier le mouvement de la modernité. C'est donc au cœur de ces mutations que l'on se propose d'étudier trois œuvres parues après 2000 : Le Combat 1. L'autobiographie n'est pas absente de la Bande Dessinée avant cette période mais elle reste encore extrêmement marginale. 1 ordinaire1 de Manu Larcenet, Pourquoi j'ai tué Pierre2 d'Olivier Ka et Alfred, et Dans mes yeux3 de Bastien Vivès. Liées tout autant au récit de l'individu ordinaire qu'au récit de soi, elles font également montre d'innovations formelles notables marquées par le tournant théorique alternatif. Pour le reste, elles sont néanmoins éloignées les unes des autres : bicéphalie ou monocéphalie auctoriale, pacte autobiographique ou romanesque, de facture grotesque ou stylisée (esquisses au crayon de couleur pour Dans mes yeux)... Cet hétéroclisme est également notable et justifie le choix de ces trois œuvres comme représentatives d'une mouvance spontanée, émancipée des dogmes génériques. On ne peut que regretter la quasi-absence d'études critiques sur ce phénomène. La critique de Bande Dessinée étant essentiellement une critique de vulgarisation, les quelques critiques à valeur universitaire s'attachent plus particulièrement à l'étude du médium (Thierry Groensteen, Système de la bande dessinée ; Benoît Peeters, Case, planche, récit), à l'étude de la Bande Dessinée comme fait de société ou d'un individu par le biais de disciplines extérieures (sociologie, psychanalyse, linguistique), ou à l'étude de cas particuliers comme certains auteurs ou certaines œuvres – souvent dans le cadre d'une étude esthétique. Mais l'étude de genres ou de mouvances – hors des genres de fiction préétablis tels que le western ou la science-fiction – est considérablement négligée. Il suffit de voir le sommaire du hors-série de Beaux Arts Magazine, Qu'est-ce que la Bande Dessinée ?4, qui se propose de classer les œuvres selon les catégories « classique », « surréalistes », « impressionnistes », « intimistes », « expressionnistes », « politiques », « avant-garde », pour voir que l'étude générique de la Bande Dessinée appose, sans interroger le médium en lui-même, des calques théoriques connus du grand public, dans un total anachronisme. C'est dans cette perspective que l'on peut songer à étudier les emprunts de la Bande Dessinée à l'espace autobiographique littéraire et l'usage spécifique qu'elle en fait pour définir au mieux la tendance croissante du récit de soi dans la Bande Dessinée alternative. Les trois œuvres de notre corpus tendent à problématiser l'identité entre 1. Manu Larcenet, Le Combat ordinaire, T. 1, Paris, Éd. Dargaud, 2003 ; Le Combat ordinaire, T. 2, Les quantités négligeables, Paris, Éd. Dargaud, 2004 ; Le Combat ordinaire, T. 3, Ce qui est précieux, Paris, Éd. Dargaud, 2006 ; Le Combat ordinaire, T. 4, Planter des clous, Paris, Éd. Dargaud, 2008. 2. Olivier Ka, Alfred, Pourquoi j'ai tué Pierre, Paris, Éd. Delcourt, coll. « Mirages », 2006 3. BastienVivès, Dans mes yeux, Paris, Éd. Casterman, coll. « KSTR », 2009. 4. Beaux Arts Magazine, Qu'est-ce que la Bande Dessinée ?, Hors-série, décembre 2007. 2 l'auteur, le narrateur et le protagoniste, dans le prolongement de ce que l'on observe déjà en littérature – notamment dans l'autofiction –, et cela avec une apparente simplicité esthétique et narrative, accessible au plus grand nombre. La mise en scène graphique du « moi » paraît répondre ici à un questionnement intime qui tend pourtant à s'élargir à des considérations universellement partageables. Au regard des spécificités du médium de la Bande Dessinée et de l'évolution commune du récit autobiographique et du « récit du badaud », on s'interrogera ici sur l'inscription ambigüe du « moi » entre l'expression de sa singularité, la définition de son identité, et son attachement au groupe dont il effrite la cohérence. Entre simplicité ludique et renversement théorique, on essaiera tout d'abord d'établir génériquement cette mouvance afin d'y définir la place du « moi » narré. Il s'agira ensuite d'approfondir le rapport entre l'auteur et l'écriture, rapport dans lequel le processus de recomposition du « moi » dans l'autre fictionnel se confronte aux possibles occurrences de cet autre. On finira par développer ce concept de « pont fictionnel » entre le « moi » et l'autre, notamment à travers ces trois idées de construction du « moi » en opposition au « non- moi », de transmission et de convergence dans un même groupe social des occurrences de cet « autre moi » fictionnel – auteur, lecteurs et non-lecteurs. 3 PLAN DÉTAILLÉ 4 PREMIÈRE PARTIE - LE JEU DE LA BANDE DESSINÉE : LA MARGINALITÉ FUNAMBULESQUE. Les œuvres du corpus, adroites funambules oscillant comiquement entre le réel et la fiction, appartiennent à ce mouvement récent de la Bande Dessinée, très attaché au récit de soi, qui semble s'épanouir dans le jeu et la formation d'une communauté ludique dissidente. C'est dans ce rapport entre jeu, enfance et communication – entre auteurs autant qu'avec le public – que nous étudierons le sort particulier fait au récit de l'ordinaire contemporain, en ce qu'il relève d'une tension entre le particulier et l'universel. L'étude de l'aspect ludique du mouvement sera considérée pour son intérêt heuristique, plutôt qu'historique, le mouvement en question étant initialement fondé sur une critique sévère de la tradition culinaire (Jauss) de la Bande Dessinée. CHAPITRE 1 - VERS UNE POÉTIQUE HYBRIDE DE L'ORDINAIRE : VIVRE LE VIDE DE L'ÊTRE . A. L'enfance en art du jeu. 1. La topique de l'enfance. Que certains de ces auteurs soient illustrateurs pour les littératures de jeunesse, dessinateurs ou scénaristes de films d'animations, leurs travaux se combinent et les jeux esthétiques balancent entre l'une et l'autre des disciplines. Le retour à l'enfance, le récit rétrospectif sur l'enfance ou l'adolescence sont également très présents. Le passé semble guider, expliquer, mais le plus souvent contraindre l'intimité de l'être auctorial. Il demeure présent, réactualisé sans cesse dans le dessin. Cela explique peut-être pourquoi le jeu, les concours, le goût du déguisement et de la dissimulation, très présents dans la carrière des auteurs, semblent guider le dessin. Dessiner et raconter mettent en jeu le monde, soi-même et les autres. a) Les métiers de l'enfance. b) Le retour à l'enfance : écrire et s'écrire. 5 c) Jeu et dessin : l'art ludique. 2. La communauté : de « la cour de récré » à la République des Lettres. Ce mouvement artistique, constitué progressivement par la réunion d'auteurs aux intérêts esthétiques communs, se met lui-même en scène. Ces auteurs, travaillant en étroite collaboration, se caricaturent fraternellement. Ainsi se constitue une ligne de pensée, un bloc artistique et critique, contre une Bande Dessinée jugée de mauvais goût, de mauvaise facture. Ces auteurs mènent un combat de reconnaissance esthétique sous la bannière de maisons d'édition indépendantes : L'Association (association à but non- lucratif), Ego comme X, Les Rêveurs. Dans ces organes d'édition « alternatifs »1 sont publiés les concrétisations essayistes d'une réflexion collective organisée, visant la promotion des objets artistiques produits, notamment dans leurs revues respectives : Lapin pour l'Association, Ego comme X pour la maison d'édition homonyme. Le mouvement relève ainsi autant d'un élargissement ludique de la Bande Dessinée que d'une organisation intellectuelle transcendant le marché traditionnel par le regroupement associatif. a) Jeux de groupe, caricatures et collaboration. b) Les regroupements : les maisons d'édition indépendantes. c) Vers une pensée nouvelle de la Bande Dessinée : la revue « Lapin » et la collection « éprouvette » de L'Association. B. La poétique de l'ordinaire dans le jeu de l'incongru. L'apparente légèreté de la facture esthétique et romanesque et les entreprises innovantes théoriques paraissent antagonistes.