Origines et courants de la bande dessinée japonaise, ou

NDRL: Le terme « manga », étant référencé par l’Académie française, devra être accordé. Son pluriel donnera donc « des ». Des termes comme « » ou « gekiga » n’étant pas référencés par l’Académie française resteront invariables. De plus, cet exposé n’a pas la prétention de présenter toute l’histoire et les courants du manga, qui demanderait pour cela un ouvrage entier ; il ne sera donc ici présenté que les grandes lignes de l’histoire du manga.

• A/ Origines de la bande dessinée japonaise:

1. Au commencement : Etymologiquement, le terme de "manga" est utilisé pour la première fois par Katsushika Hokusai pendant la période d’Edo, au 18ième siècle; il signifie littéralement “image dérisoire“. Au Japon, le terme « manga » désigne tout simplement la bande dessinée au sens large, mais chez nous il a une signification et une connotation incontestablement nippones.

Hokusai faisait en fait des estampes montrant des personnages populaires de l'époque, des sortes de caricatures, que l’on appelle les « Hokusai giga ». C'est pour cela que l'estampe est considérée par beaucoup comme l'ancêtre du manga, et même, dans l'histoire de la Bande Dessinée mondiale, son point de départ originel. Les e-makimono, qui sont des larges rouleaux peints que l'on déplie et qui racontent des récits épiques, peuvent donc être considérés comme les premières "bandes" -"dessinées". A coté ou directement sur le dessin, les idéogrammes racontent l'histoire, tandis que les dessins l'illustrent.

Extrait de la Manga de Hokusaï

Mais les e-makimono et la Manga de Hokusai ne sont pas les seuls points de départ de la bande dessinée, d’un point de vue mondial: la tapisserie de Bayeux, chef d'œuvre unique au monde, est un document réalisé au XI° siècle (1070), qui est considéré aussi comme l’ancêtre de la bande dessinée européenne. C’est une broderie exécutée sur toile de lin avec des laines de couleur variées. L'exécution de cette oeuvre fût très probablement confiée à un atelier anglo-saxon. Cette "BD" de laine et de lin raconte l'invasion de l'Angleterre par Guillaume le Bâtard, duc de Normandie. Sorti victorieux de cette bataille, Guillaume, devenu le Conquérant, pu alors être couronné roi d’Angleterre en 1066. La tapisserie mesure plus de 70 mètres de long et 50 centimètres de hauteur. Le document est d'une immense richesse iconographique : les illustrations principales sont encadrées par deux frises qui fonctionnent comme des petits narratifs. Morceau de le tapiserie de Bayeux, considérée comme l’ancêtre de la bande dessinée européenne

Certains historiens font même remonter l’histoire de la bande dessinée japonaise au moyen- âge, avec le « Rouleau satirique des animaux » ou « Chôjûgiga ». Ces rouleaux ont été peints par Toba, un moine bouddhiste qui mettait en scène des animaux afin de représenter les êtres humains. Mais la bande dessinée moderne comme nous la connaissons apparut beaucoup plus tard.

2. Naissance :

Isao Shimizu, grand spécialiste de l’histoire de la bande dessinée, estime la naissance de la bande dessinée japonaise à la fin de la période d’Edo et le début de Meiji (de 1850 à 1920). En réalité, c’est à ce moment là que firent introduits au Japon les premiers dessins satiriques occidentaux (comme quoi nous avons notre petite part d’influence !!). En 1862, l'anglais Charles Wirgman qui vivait au Japon, débute la publication de « The Punch », un magazine satirique où il y dessine des caricatures en une case et des strips de bandes dessinées, avec des systèmes de bulles, à l'intention des étrangers anglophones vivant à Yokohama. Ce magazine eut un tel succès chez les japonais qu’ils le traduisirent même. À la même époque, le français George Bigot créa lui aussi un magasine, Tôbae, destiné aux étrangers français et qui contenait des strips ridiculisant la société japonaise et son gouvernement. Les sujets et procédés nouveaux de ces dessins satiriques furent une révolution dans le dessin au japon, que les illustrateurs japonais utilisèrent alors pour refléter une actualité où se développait de violents bouleversements sociaux.

Magazine The Japan punch

Rakuten Kitawa (1876-1955) dessina, dés 1902, la première série de bande dessinée japonaise: « Tagosaku to Mokube no Tokyo Kembotsu » publié dans le magazine Jiji Manga, un supplément couleur du journal du dimanche modelé sur les journaux américains. Cependant, cette série n'utilisait pas encore les bulles de dialogue. En 1914, l'éditeur Kôdansha publie alors le magazine Shônen Jump, un mensuel illustré pour jeunes garçons qui propose, entres autres, des bandes dessinées. On verra alors suivre, en 1923, une version pour jeunes filles, le magazine Shôjo Club, et en 1926 le Yônen Club, pour les plus jeunes.

Magazine Shôjo club Le Nihon Mangaka Kyokai, fondé en 1932, association de mangaka qui existe encore aujourd'hui, avait pour but d'analyser la bande dessinée étrangère, pour mieux en saisir ses préceptes et ainsi développer leur art en se servant de diverses influences.

Mais c’est en 1947 que le premier magazine pour les jeunes, consacré uniquement à la bande dessinée, fut édité : le Manga Shônen, publié par les éditions Gakudo-Sha. Et c’est avec la montée inexorable du journalisme que la bande dessinée japonaise moderne naquit.

• B/ Catégories et supports de diffusion :

1. Chiffres et catégories :

Les supports de diffusion des mangas sont multiples et diversifiés.

On peut en distinguer trois grandes catégories :

1. les revues spécialisées, uniquement consacrées à la BD : les manga zasshi (par exemple, le « Shonen Jump » qui a publié « DragonBall » et « City Hunter ».)

2. les livres en format de poche : les manga tankôbon 3. la presse, revues et quotidiens (par exemple, « Nono Chan » de Hisaichi Ishii dans l’ « Asahi shinbun »)

Pour les revues spécialisées, on peut distinguer 6 grands groupes, selon l’âge ou le sexe présupposé du lecteur :

1. revues pour touts petits : yônen manga

2. revues pour garçons : shônen manga

3. revues pour filles : shôjo manga

4. revues pour adolescents : seinen manga

5. revues pour adolescentes et jeunes femmes : seijin josei manga

6. revues pour adultes : seijin manga

L’ensemble des revues dites « grand public » (regroupant les seinen et seijin manga) a atteint en 1998 le chiffre de 660 millions d’exemplaires tirés au japon. En additionnant les publications pour enfants, on peut dire que les japonais consomment 1 300 000 000 magazines de BD par an.

La plupart des bandes dessinées sont publiées par épisodes et sont ensuite publiées en livre de poche. En 2002, les Japonais dépensèrent environ 500 milliards de yens en bandes dessinées. Pas loin de 2 milliards de livres et de magazines de bandes dessinées furent édités, ce qui faisait un peu moins de 40% du marché de l’édition. Quiconque regarde un peu autour de soi au Japon, remarque immédiatement que les mangas saturent le pays.

2. Les gekiga manga:

Dans les premières bd de ce genre parues, les gekiga caractérisent les BD de l’excès, de la violence ou de l’extravagance. Le terme gekiga 劇画 exprime une nuance de mépris et d’indignité. Pendant la 2ième guerre mondiale, on appelait gekiga ou kami-shibaï les « théâtre en papier » : ce théâtre de papier était constitué en plusieurs dizaines de feuilles volantes, chacune support d’un dessin que l’acteur-narrateur . A chaque image correspond un texte. Pendant et avant la guerre, les animateurs de ce théâtre allaient de quartiers en quartiers en vélo. Mais avec l’inflation de la télévision personnelle, les artistes de ce théâtre de papier dit gekiga perdirent leurs moyens de vivre. Certains d’entre eux se convertirent alors dans la bd de magazine, comme qui publia « Terebi-kun» dans Shonen Magazine et créa beaucoup d’histoires de fantômes, comme celles avec les Yokaï, qu’on peut voir d’ailleurs dans le film Pompoko de Takahata. Un fantôme de Shigeru Mizuki

Le caractère outrancier omniprésent des premières périodes de cette bd dite gekiga s’est cependant peu à peu estompé pour laisser place à un manga plus élaboré et moins violent. C’est dans les années 1950 que le dessinateur , l’auteur du fameux « », avec d’autres dessinateurs, abandonnèrent la bd enfantine de leur maître Osamu Tezuka pour se destiner à un public plus adulte. Au début des années 60, ces dessinateurs poursuivirent leurs projets en les diffusant dans des magazines pour adolescents. Le succès monta et le terme gekiga devint de plus en plus populaire. Le mot gekiga ne concerne désormais qu’un style particulier de bd narrative.

« Golgo 13 » de Takao Saito

• C/ Techniques :

NDRL: Ce chapitre ne présente que les bases et quelques conseils de la réalisation d’un manga en noir et blanc. Je n’interviendrais pas sur des aspects techniques comme la colorisation ou la retouche numérique, car ce chapitre n’a pour but que de proposer une petite initiation technique à cet art.

« L’apprenti mangaka », Akira Toriyama

Après avoir fait des planches de charater design, où l’on étudie les attitudes, expressions, proportions, du personnage, un scénario ainsi qu’un story board, on peut commencer à débuter vraiment la bd. D’abord, on fait des repères sur les planches. On crayonne la mise en page des cases, les personnages, les décors, l’insertion des bulles de dialogue. Si l’on veut que les bulles et les onomatopées soient homogènes au reste de la planche et qu’elles soient bien intégrées, il est primordial de les intégrer dés les crayonnages. « L’apprenti mangaka », Akira Toriyama

Une fois les traits définis, on peut encrer, en commençant par les cadres, puis en les remplissant. Pour cela, on utilisera une table lumineuse, on l’on pourra encrer son dessin par transparence, en superposant le crayonné et une feuille de papier glacé vierge rigide, que l’on encre. Une fois l’encre bien sèche, on gommera les crayonnés.

Pour l’encrage, on préférera une plume et une encre de chine. Il existe dans le commerce des plumes rechargeables à l’encre de chine très pratique, et qui évitent les bavures.

On peut aussi utiliser des stylos à pointes tubulaires rechargeables comme les « Rotrings », ainsi que des marqueurs à la gouache comme les « Posca » et des pinceaux pour encrer des zones plus épaisses.

Pour les ombrages, on va utiliser des trames, qui sont des feuilles de plastique transparent avec des motifs noirs, que l’on peut gratter pour enlever certaines zones imprimées, que l’on découpe et l’on colle sur les dessins. C’est une technique relativement difficile, surtout que les feuilles sont coûteuses. Il existe une multitude de trames différentes, allant des motifs pointillés classiques aux motifs à fleurs.

exemple de trames Mais on utilise de plus en plus le tramage numérique, en scannant directement les planches. On peut aussi faire soit même ses trames, de moins bonne qualité mais plus économique, sous des logiciels comme « Adobe Photoshop » par exemple, et que l’on imprime ensuite sur rodoïde. Une fois toutes ces étapes finies, on pourra insérer le texte. Pour une bd traditionnelle, sans utilisation numérique, on préférera une typographie faire à la main et à la plume, afin que les textes soient bien intégrés aux images.

Pour ce qui est du « style », c’est au dessinateur de créer et d’imposer ses propres choix graphiques. L’idéal serait de se procurer un ouvrage d’anatomie humaine pour les personnages, et de travailler la perspective en faisant des croquis in situ. « L’apprenti Mangaka » d’Akira Toriyama est aussi un bon ouvrage plein de petits conseils pour débuter. Il existe des ouvrages proposant d’enseigner le « dessin du manga », démontrant un dessin stéréotypé, mais il faut savoir qu’il n’existe pas de « dessin manga ». Le manga possède des styles graphiques variés, originaux et personnels, qui ne peuvent pas être catégorisés en un seul style. Nous tenterons donc, par la suite de cet exposé, de définir certains aspects, les plus courants, de l’iconographie manga.

• D / Thématiques :

Les thématiques des mangas sont d’une extraordinaire diversité. Il est donc difficile de parler de « thématique manga » dans le sens où il n’existe pas de restriction de genre. Nous allons cependant tenter de répertorier les thèmes majeurs et les plus récurrents de cet art. Le « yonkoma » est certainement le plus ancien thème présent dans la bande dessinée japonaise. C’est en réalité un court satyre de l’actualité, diffusé dans un journal. Le meilleur exemple contemporain sont les yonkoma d’Hisaishi Ishii. Le « sarîman » est une parodie mettant en scène la vie des employés de bureau. Le « shôjo », très répandu, sont des histoires romantiques : « Love Hina » de Ken Akamatsu, « Video Girl Aï » de Masakazu Katsura. Le sport est aussi relativement répandu dans les mangas : « Slam Dunk » de Inoue Takehiko. La science fiction, qui met en scène des robots dans une ère futuriste : « Macross 7 trash » de Haruhiko Mikimoto. Le Cyber punk, qui dérive de la SF, met généralement en scène des cyborgs humains : « Gunnm » de Yukiko Kishiro. L’héroïc-fantasy, reprenant un univers dans le style de Tolkien : « Bastard », de Kazushi Hagiwara. L’humour, comme les séries « Docteur Slump » d’Akira Toriyama ou « Gon » de Masashi Tanaka. Le policier, souvent influencé par les romans de Conan Doyle : « Cowboy bebop » de Yutaka Nanten ou « City hunter » de Tsukasa Hojo. L’ultra-violence : « Golgo 13 » de Takao Saito ou « » de Kentaro Miura. Les histoires de rônin et bushi : « L’habitant de l’infini » de Hiroaki Samura. L’érotique, dit “hentaï”: « Step Up Love Story » de Aki Katsu. Les histoires courtes, comme « La tragédie de P » de Rumiko Takahashi ou « Le Cratère » d’Osamu Tezuka. Le combat de rue : « GTO » de Toru Fujisawa ou « Tough » de Tetsuya Saruwatari. Les arts martiaux : « Nori Taka » de Hamori Murata ou « Ranma ½ » de Rumiko Takahashi.

• E / Auteurs et Iconographie :

1. premier pas vers l’iconographie manga :

En France, on utilise fréquemment le terme « manga » pour définir toutes les productions « dessinées » japonaises, cela venant principalement, à mon sens, d’une erreur de traduction. Mais le manga n’est pas à associer aux films d’animation : cela caractérise uniquement la bande dessinée. La « déferlante manga » en France a commencé dans les années 80, devenant rapidement un produit de grande consommation. Mais très vite, ces bandes dessinées japonaises, tout comme les séries animées, soulèvent multiples débats de censure : l’on associe rapidement ces productions avec le schéma «sexe et violence ». Ces anathèmes viennent principalement du fait que la diffusion du manga en France est restée longtemps limitée à une iconographie très restreinte issue des productions commerciales. L’iconographie manga ne se limite aux « grands yeux pétillants », aux filles en uniforme d’écolière et aux robots ultra-puissants.

Les mangas et l’animation japonaise se sont affranchi des modèles occidentaux pour proposer une toute autre iconographie, proposant des nouvelles esthétiques et de nouvelles mythologies propres à leurs univers, parfois incompris.

Des e-makimono, le manga conservera deux techniques majeures : la technique du « toit arraché » et la technique du « Hikime-Kagihana »:

Le toit-arraché est un dessin aux lignes fluides qui adopte une perspective de haut, sans toit, d’où son mon. Les personnages et les objets sont donc placés les uns au-dessus des autres, donnant ainsi une illusion de profondeur.

Le Hikime-Kagihana est un style caractéristique utilisé par les artistes nippons dans la représentation physique des personnages : les visages sont simplifiés à l'extrême, mais sans perdre pour autant la finesse d’un trait juste et précis. Généralement, cette technique présente des personnages avec deux points pour les yeux, un trait crochu pour le nez et un point rouge pour la bouche, dotés de détails physiques afin de les différencier. Dans les mangas modernes, on retrouve encore actuellement cette tendance à la simplicité, surtout lorsque l’action devient comique, moins poussé à l’extrême, certes, mais qui s’attache tout de même à cette tendance stylistique, comme le fait par exemple Hisaichi Ishii, auteur de « Mes voisins les Yamada ».

extrait de « Ninja mugei cho » d’Hisaishi Ishii

Le dessin créé l’apparence et le mouvement, et situe les personnages par rapport au décor. L’expressivité des visages est primordiale afin de faire fonctionner une communication entre lecteur et narrateur. Selon l’expression graphique, le caractère du personnage et la compréhension de l’intrigue peuvent varier. Le texte et les onomatopées viennent ensuite appuyer le dessin et ainsi le compléter.

Les onomatopées font partie intégrante du dessin. Avec son système idéographique, le japonais possède un avantage graphique et stylistique par rapport à notre alphabet occidental plus rigide. Certaines maisons d’édition traduisent les onomatopées, mais cette pratique est souvent désapprouvée par les lecteurs avertis ainsi que par les illustrateurs ; le mot, dans sa forme cognitive, n’a finalement pas une grande importance dans une onomatopée qui doit, grâce à sa forme, traduire un bruit. De ce fait, une onomatopée efficace devrait pouvoir se passer de traduction.

De nos jours, la production devant être accélérée afin de répondre à la demande, l’auteur engage plusieurs assistants, afin de réaliser la colorisation, les décors et les détails. Des spécialistes du scénario collaborent avec de grands mangaka, comme le scénariste Kazuo Koike qui collabora avec Goseki Kojima pour « Lone Wolf and club » et avec Ryôichi Ikegami pour « Crying Freeman » ou encore le scénariste Ikki Kajiwara (« Kyojin no Hoshi » = L’Etoile des Giants).

2. le manga no kamisama :

Le grand novateur du manga restera cependant Osamu Tezuka, le « Manga no kamisama » comme l’appellent les japonais, le dieu des mangas.

Ses travaux ont bercé toute une génération d’auteurs de talents, tant dans le domaine de la bande dessinée que de l’animation.

"J’ai toujours eu la plus grande admiration pour les mangas d’Osamu Tezuka. Sa rigueur et sa force créatrice m’ont beaucoup diverti et impressionné aussi. Ses travaux demeurèrent longtemps ma référence absolue". Hayao Miyazaki.

Tezuka se met même parfois en scène dans ses histoires, comme on peut le voir dans le manga « Astro le petit Robot », avec son fameux béret et ses grosses lunettes, intervenant pour donner des explications complémentaires concernant l’histoire, le design des personnages, etc.

Tezuka dans AstroBoy tome1

Tezuka fera de la technologie et de l’humanité un thème récurrent dans ses œuvres dans lequel il posera les questions de l'utilisation que l'homme fait et fera de la technologie. Humaniste, il dénoncera tous les totalitarismes dans l’ « Histoire des trois Adolf », condamnant dans une formidable épopée les préjugés, la xénophobie, le sectarisme et les engagements idéologiques et militaires des hommes pendant la seconde guerre mondiale. Le manga prend alors une connotation plus sérieuse, plus intellectuelle, devenant un moyen d’expression populaire pour dénoncer certaines ignominies.

Osamu Tezuka fut le premier à utiliser les codes graphiques du cinéma, principalement américain, allemand et français. Ainsi, pour retranscrire sur papier le rythme et la vie du cinéma, il dessine chaque action sous plusieurs angles, à des distances et des cadrages différents, en incluant des changements de plans et des mouvements de caméra. Cela explique aussi que le manga a parfois des rapprochements avec le story-board. Chaque action est décomposée. C’est principalement grâce à cette nouvelle méthode de transposition et de découpage de l’action que Tezuka deviendra ce Manga no kamisama. Ses prédécesseurs dessinaient dans une perspective bidimensionnelle, comme si l’action se déroulait dans une pièce de théâtre : le niveau et les mêmes dimensions restaient donc figées, les personnages arrivant de droite ou gauche. Pour Tezuka, cette retranscription ne permettait pas de produire des effets dramatiques ou psychologiques, alors qu’en manipulant différents plans et angles de vues, en utilisant des cadrages variés et la répétition de détails, la synthétisation et le découpage lent de l’action, la scène prenait une dynamique inégalable.

Pour renforcer la vitesse, la puissance, on utilise alors des traits soit placés à l’arrière plan, multipliés de manière à accentuer l'impression de vitesse, soit placés vers un personnage, de manière à mettre en valeur ses sentiments ou son action.

A gauche: “Ghost In The Shell” de Masamune Shirow.

A droite: « Akira » de Katsuhiro Otomo.

Pour donner une impression de zoom, on utilise des traits convergeant vers un point central : ainsi, le lecteur semble rentrer dans l’image.

« Gunnm » de Yukito Kishiro

Certains mangas utilisent la technique des « grands yeux », qui est souvent, et à tord, définie comme la caractéristique par excellence du manga. Tezuka utilisa ce style, une influence des grands yeux à la Disney et, avant, de ceux de Betty Boop (1930), qui rendaient si émouvants Dumbo et Blanche Neige. L’utilisation des grands yeux permet d’avoir un personnage facilement expressif et de faire passer l'émotion plus efficacement.

Candy Candy et ses « grands yeux plein d’espoir »,

Yumiko Igarashi et Kyoko Mizuki

3. autres aspects caractéristiques :

Du point de vue du design des personnages, la France, vue comme le symbole de la mode au japon, a son influence chez les mangaka. C'est ainsi que l'on retrouve des modes vestimentaires inspirées de près ou de loin de la mode française.

Le manga utilise aussi les cases brisées et des dessins traversant plusieurs cases, afin d’accentuer une action.

Certains mangas comportent aussi une rupture de style : les personnages peuvent changer totalement de style graphique de visage d’une case à une autre, selon ses émotions.

Lorsque les scènes deviennent humoristiques, le trait devient plus grossier, sans perdre pour autant sa finesse, et le dessinateur utilise souvent la technique du « Hikime-Kagihana », que nous avons étudié précédemment. Le personnage peut être affublé d’un élément comique, telle la fameuse « goutte d’eau » ou « bulle de morve ». Le décor est souvent effacé pour laisser place à des codes typiques du manga, comme les oiseaux, libellules, bulles de savon, étoiles,… Certains mangaka utilisent une déformation physique du personnage poussé à l’extrême, que l’on appelle le « super deformed » (SD).

« Nori Taka » de Hamori Murata

Le manga est aussi réputé pour posséder une iconographie humoristique, dans laquelle les personnages prennent des formes et des attitudes étranges : leurs corps sont rapetissés, les traits du visage caricaturés et simplifiés à outrance : plus le dessin est simplifié et naïf, plus le personnage est déformé et grotesque, et plus le dessin devient comique.

Les dessins mettant en scène des robots, font partie de ce que l’on appelle le « mecha ». Ce terme désigne les robots, véhicules, artefacts et vaisseaux spatiaux d'un manga. C'est la contraction du mot d'origine anglaise mechanical. De manière plus générale, cela désigne les objets de grandes tailles mécaniques. L’on trouve généralement deux types principaux de robots : par exemple, ceux à taille et à l'apparence humaine, comme le cyborg de « Ghost in the Shell », et le robot de grande taille, comme les robots de « Patlabor » (longs métrages réalisés par Mamoru Oshii).

Les yônen manga, destinés aux tout petits, vont aussi faire naitre un autre mouvement iconographique qui se détache dans le manga : on l’appelle généralement le « style kawaii ». Le mot kawaii 可愛い provient de kawayui. Le qualificatif kawayui apparait au XIIème siècle et est employé dans les sens de "timide", "embarassé », dans un sens qui inspire la pitié. Littéralement, kawaii veut dire "mignon" ou "adorable". C'est un terme très utilisé par les jeunes japonaises pour désigner par exemple une peluche ou des vêtements. Il existe un mouvement kawaii depuis quelques années au Japon et qui a eu énormément de succès dans de nombreux domaines dérivés.

Un manga de style kawaii, souvent des shôjo et yônen manga, possède un graphisme rond et doux avec des personnages attendrissants ; il est normalement destiné à des enfants en bas âge, mais est de plus en plus adoré du public adolescent et jeunes adultes, au japon comme en France, comme « Card Captor Sakura » de Clamp.

« Card Captor Sakura » de Clamp

Il existe ensuite des mangas possédant un dessin, un trait plus réaliste, comme Ryoichi Ikegami, auteur entre autres de « Crying Freeman » et de « Nouvelles de littérature japonaise ». Toujours dans un dessin réaliste, mais avec un trait plus simplifié, nous pouvons citer Jirô Taniguchi, très en vogue actuellement avec « Quartier lointain ».

« Nouvelles de littérature japonaise » de Ryoichi Ikegami

La description de tous ces styles n’est qu’un bref aperçu des courants esthétiques prédominants dans l’art du manga, mais ne peut en aucuns cas être une liste exhaustive.

Il n’y a donc pas qu’une seule « iconographie manga », mais plusieurs styles graphiques, plusieurs mouvements, qui en font sa diversité. Cependant, les codes graphiques restent majoritairement identiques entre deux productions : l’utilisation du cerne noir, des couleurs en aplat pures et nettes, tout comme les ukiyo-e. Sources, adresses et ouvrages:

Akira TORIYAMA, L’Apprenti mangaka, éditions Glénat. Akira TAMBA, L’Esthétique contemporaine du Japon, éditions CNRS. Scott Mc CLOUD, L’Art Invisible, editions Vertige Graphic. Scott Mc CLOUD, Réinventer la bande dessinée, éditions Vertige Graphic. Will EISNER, La BD art séquentiel, éditions Vertige Graphic. Jérôme SCHMIDT, Génération manga, éditions Librio. (un mauvais livre plein d’erreurs à lire pour estimer tous les anathèmes qui peuvent exister dans la vision occidentale du manga !) Benoît PEETERS, Lire la bande dessinée, éditions Flammarion. Patrick GAUMER, Claude MOLITERNI, Dictionnaire mondial de la bande dessinée, éditions Larousse. Philippe MELOT, Claude MOLITERNI, L’ABCdaire de la bande dessinée, éditions Flammarion. Jean Benoît DURAND, BD mode d’emploi, éditions Flammarion. Thierry GROENSTEEN, Système de la bande dessinée, éditions PUF. Thierry GROENSTEEN, L’Univers des Mangas, éditions PUF. Pierre MASSON, Lire la bande dessinée, éditions Presses Universitaires Lyon.

Pour voir la tapisserie de bayeux : http://www.bayeux-tourism.com/decouvrir/decouvrir.html Pour acheter des rodoïdes : http://www.akadotretail.com/shop/shop_showtones.php

Oni, Juin 2004, pour www.buta-connection.net©