SCIENCES PO / SUD OUEST

EN PARTENARIAT AVEC ET AVEC LE SOUTIEN DE

Table ronde « -et-Garonne, terre d’immigration »

© CDT47 en partenariat avec les villes de Villeneuve-sur-Lot et Sainte-Livrade-sur-Lot 1984 - 2014 • 1984 30 de rencontres ans

Naïma Charaï Manuel Dias Vaz Guy Pervillé Pôleth Martine Wadbled Conseillère régionale Président du Réseau Professeur émérite Sociologue directrice d’Aquitaine et présidente Aquitain pour l’Histoire et la d’histoire contemporaine de l’ODRIS, chargée de de l’ACSÉ Mémoire de l’Immigration à l’Université Toulouse mission à l’association Jean Jaurès Mémoires Plurielles

« Jury » présidé par Fabien PONT, Journaliste à Sud Ouest

Jeudi 2 avril 2015 1984 - 2014 15h00 – 17h00 • Théâtre Georges Leygues • Villeneuve-sur-Lot 330 ANS0

Introduction

Le Lot-et-Garonne, pour des raisons géographiques et historiques a été depuis le XIXe siècle une terre d’immigration. Il fait partie des départements de l’actuelle région Aquitaine qui ont le plus intégré de migrants. Le Lot-et-Garonne a d’abord connu l’arrivée des Italiens à la fois pour des motifs économiques mais aussi politiques, en raison du fascisme. Les Italiens sont ainsi venus travailler dans l’agriculture à un moment où les campagnes du sud de la connaissaient un déficit démographique. Ce sont ensuite les Républicains espagnols fuyant le franquisme à la fin des années trente. Le camp militaire de Bias est ouvert pour accueillir militaires français et main d’œuvre espagnole, celle-ci étant destinée à la construction de la poudrerie de Sainte-Livrade-sur-Lot, projet abandonné avec la défaite de 1940. Pendant la guerre, de nombreux réfugiés espagnols sont enrôlés dans la construction du Mur de l’Atlantique ou gagnent le maquis. La croissance économique des Trente Glorieuses suscitent la reprise de flux venant d’Espagne, du Portugal, puis d’Afrique et notamment du Maroc. Plus récemment les Britanniques sont venus s’installer, attirés par la qualité de vie de la région. Mais l’histoire de la décolonisation se lit aussi à travers celle du Lot-et-Garonne. Elle concerne les Indochinois et les supplétifs de l’armée française en Algérie, les Harkis. L’histoire de ces immigrés en Lot-et-Garonne est demeurée un sujet sensible voire tabou, notamment en raison des conditions d’accueil qui leur furent réservées dans des camps comme ceux de Bias ou du CAFI1 de Sainte-Livrade-sur-Lot. La réalité militaire de ces camps, la mise à l’écart des populations, leurs conditions de vie très rudimentaires ont de fait quelque chose de très symptomatique, en rapport avec un passé difficile à assumer pour la métropole. Un passé qui a laissé des traces sur plusieurs générations jusqu’à susciter en août 1975 une prise d’otages dans le camp de Bias visant à capter l’attention des médias et des politiques sur la situation des Harkis. En 2004, il est décidé de détruire les quartiers d’habitation et de faire du CAFI un lieu de mémoire. C’est ce camp de Sainte-Livrade-sur-Lot que nous allons visiter, jeudi 2 avril, avec les étudiants de Sciences Po Bordeaux, dans une démarche historienne et de science politique. Nous déjeunerons sur place puis partirons à Villeneuve- sur-Lot pour un débat au cours duquel les étudiants poseront leurs questions sur l’immigration en Lot-et-Garonne à Naïma Charaï, conseillère régionale d’Aquitaine et présidente de l’ACSÉ2 , Manuel Dias Vaz, président du Réseau Aquitain pour l’Histoire et la Mémoire de l’Immigration, Guy Pervillé, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université Toulouse-Jean Jaurès et Pôleth Martine Wadbled, sociologue directrice de l’ODRIS3 , chargée de mission à l’association Mémoires Plurielles.

Je remercie tout particulièrement Marc de Carrière (4ème année), Claire Chubilleau (1ère année), Alexandre Fongaro (4ème année), Lucille Labayle (1ère année), Marine Manzinello (4ème année), Quentin Michelon (5ème anée), Naomi Monnier (1ère année), Morgane Quemener (4ème année) et Théo Tournemille (1ère année) qui ont participé à la préparation de cette rencontre aidés par Jean-Patrice Lacam, professeur agrégé de sciences économiques et sociales et Fabien Pont du journal Sud Ouest.

Cette Rencontre doit beaucoup à l’aide précieuse de Joël Combres, ancien journaliste à Sud Ouest, à celle de Marthe Geoffroy, adjointe à la mairie de Sainte-Livrade-sur-Lot, ainsi qu’au soutien des municipalités de Sainte-Livrade-sur-Lot, Villeneuve-sur-Lot et du Conseil général du Lot-et-Garonne. Nous leur exprimons tous nos sincères remerciements.

Françoise Taliano-des Garets Professeure d’Histoire contemporaine Coordinatrice des Rencontres Sciences Po / Sud Ouest

1 CAFI : Centre d’accueil des Français d’Indochine 2 ACSE : Agence nationale pour la Cohésion sociale et l’égalité des chances 3 ODRIS : Observatoire, diffusion, recherche, intervention en sociologie.

- 3 - 1984 - 2014 330 ANS0

Biographies

Naïma Charaï Originaire du Maroc, Naïma Charaï a grandi à Fumel. Diplômée en psychologie sociale, elle s’investit très tôt dans le milieu associatif, notamment au sein de la Mission France de Médecins du monde pour faciliter l’acès aux soins des personnes en situation de très grande précarité. Elle est élue pour la 1ère fois conseillère régionale en Aquitaine en 2004. Elle est réélue conseillère en 2010 en étant cette fois déléguée aux solidarités, à la lutte contre les discriminations et à l’égalité homme/femme. En 2012, après avoir passé plusieurs années en tant qu’administratrice suppléante, Naïma Charaï devient présidente du conseil d’administration de l’Acsé, l’Agence nationale pour la Cohésion Sociale et l’Égalité des chances. Tout au long de son parcours, cette femme engagée a démontré son attachement à l’égalité, la lutte contre les discriminations, la parité, la laïcité, la cohésion sociale et l’aide aux personnes défavorisées.

Manuel Dias Vaz Docteur en sociologie, Manuel Dias Vaz est président du Rahmi (Réseau Aquitain pour l’Histoire et la Mémoire de l’Immigration), du Comité national français en hommage à Aristides de Sousa Mendes et membre fondateur de la CNHI (Cité nationale de l’histoire de l’immigration). Il est aussi membre du CESER (Conseil économique, social et environnemental régional), et du CODES (Conseil de développement économique et social de la ville de Bordeaux). Manuel Dias Vaz a consacré une grande partie de sa vie au combat pour la mémoire d’Aristides de Sousa Mendes (consul général du Portugal à Bordeaux durant la Seconde Guerre Mondiale qui a sauvé près de 10 000 Juifs), à l’histoire de l’immigration et à la mémoire de Bordeaux.

Guy Pervillé Guy Pervillé est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de Toulouse - Jean Jaurès, spécialiste de l’histoire de l’Algérie coloniale ainsi que de la guerre d’Algérie et des relations franco-algériennes depuis plus de quarante ans. Il a notamment publié « Pour une histoire de la guerre d’Algérie » (Éd. Picard, 2002), « La Guerre d’Algérie » (Que sais-je, 2007), « Atlas de la guerre d’Algérie » ( Éd. Autrement, 2003), « Les Accords d’Evian, succès ou échec de la réconciliation franco-algérienne, 1954-2012 » ( Éd. Armand Colin, 2012) et « La France en Algérie, 1830-1954 » (Éd. Vendémiaire, 2012).

Pôleth Martine Wadbled Pôleth Martine Wadbled est une sociologue qui a passé près de vingt ans à observer les migrations dans la Vallée du Lot (et tout particulièrement à Sainte-Livrade-sur-Lot). Elle est notamment directrice de l’ODRIS, Observatoire diffusion, recherche, intervention en sociologie (en 2007).

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Partie 1 Histoire de l’immigration en Lot-et-Garonne

Les communautés immigrées en Aquitaine au XXe siècle Au début du XXe siècle, d’importantes communautés immigrées venant d’Espagne et d’Italie sont venues s’installer en Aquitaine soit dans la zone des Pyrénées soit dans le Lot-et-Garonne et l’agglomération bordelaise. Après la Seconde guerre mondiale, de nouvelles vagues migratoires sont arrivées en provenance d’Espagne, du Portugal, d’Afrique du Nord, d’Afrique noire et d’Asie. Cette immigration de travail est à la fois urbaine et rurale. Elle concerne les grandes villes de la région (Bordeaux, Bayonne, Pau), mais aussi les villes moyennes voire les petites villes (, Villeneuve-sur-Lot, Fumel, Bergerac, Dax, , Mourenx, Terrasson, Sainte-Foy-la- Grande). Mais elle a également une dimension rurale, notamment dans le département de Lot-et-Garonne, en Libournais, dans le Médoc et les Landes. La Gironde, surtout l’agglomération bordelaise, a toujours été un lieu important de l’immigration dans la région du fait du port, des activités industrielles et commerciales, et de ses universités.

Les principales communautés, quelques période de forte crise agricole en Espagne. De plus, l’interruption de la migration des Italiens induit un appel données succinctes de main-d’œuvre dans l’agriculture, mais aussi dans la Au recensement de mars 1999, les immigrés sont construction et l’industrie avec la réalisation de grands 158 500 et représentent 5,4 % de la population totale projets. En 1999, ils sont 33 750, dont une majorité de de l’Aquitaine. Cette part est restée stable depuis femmes. Les Espagnols sont plus nombreux que les le recensement de 1968. Nés à l’étranger, ils sont de Portugais qui, depuis 1962, avaient considérablement nationalité étrangère ou bien ont acquis la nationalité renforcé leur présence en Aquitaine. française. Aux courants migratoires les plus anciens (Italie, Espagne, Portugal), a succédé celui du Maghreb, La population d’origine portugaise et plus particulièrement du Maroc. En Aquitaine, l’arrivée d’immigrés d’Afrique noire ou d’Asie est plus récente. L’émigration est un phénomène social ancien au Portugal. En 1999, les immigrés originaires d’un pays européen Le courant migratoire vers la France s’est accentué représentent 63,5 % des immigrés vivant en Aquitaine, après la seconde guerre mondiale, avec un besoin de proportion plus importante que pour l’ensemble de la main-d’œuvre pour la reconstruction et l’expansion France (44,3 %). Ils proviennent à près de 94 % d’un économique. Dans les années 1960, l’émigration pays de l’Union européenne. Ce sont principalement portugaise vers la France est très intense. Les départs des Espagnols et des Portugais, puis des Italiens, très nombreux de Portugais sont liés à la crise agricole populations issues des vagues d’immigration anciennes. et aux tensions politiques (guerres coloniales). Le Ce “bloc latin” regroupe, en 1999, 77 600 immigrés, quintuplement des effectifs portugais en Aquitaine entre soit 13 100 de moins qu’au recensement précédent. Il 1962 et 1968 en témoigne. Au cours de la période 1968- reste dominant (près d’un immigré sur deux) mais recule 1975, le mouvement s’est poursuivi, avant de connaître progressivement au sein de l’immigration régionale. un certain tassement dans les années 1980. En 1974, la Cette diminution est liée au vieillissement de cette Révolution des œillets met fin à la dictature dans ce pays. population immigrée. Le Portugal fait le pari du développement économique et rejoint la Communauté économique européenne. en À noter : En 2010, on ne note pas de changement radical 1986. en Aquitaine, mais une nette évolution de l’immigration marocaine et une légère progression de l’immigration En 1962, le déséquilibre hommes femmes des immigrants portugaise et de l’Afrique noire, et, dans l’agglomération portugais était très important, devancé seulement par bordelaise, une immigration venant des pays de l’Est celui des Algériens. En 1999, l’écart de répartition par (Roms). sexe tend à se réduire pour les Portugais, du fait du vieillissement de cette communauté. La population d’origine espagnole La population d’origine italienne La venue de ressortissants espagnols en Aquitaine a commencé au tout début du 19e siècle, mais l’arrivée Le courant migratoire italien s’est renforcé dans la période massive de réfugiés dans la région date de 1939 avec la 1919-1939, sur fond de crise économique et d’installation conjugaison de raisons d’ordre économique et politique d’un régime fasciste. Il s’est poursuivi après 1945. Les (guerre civile). Le recrutement ou l’arrivée spontanée Italiens se sont installés surtout en Lot-et-Garonne, d’Espagnols reprend vers 1955 en Gironde et dans pour exercer des activités agricoles. Au recensement les Basses-Pyrénées (Pyrénées-Atlantiques). C’est une de 1968, 15 260 immigrés italiens étaient dénombrés

- 11 - 1984 - 2014 330 ANS0 en Aquitaine. En 1999, ils étaient 13 100, des femmes vivant dans la région, mais plus de 10 % des Africains pour plus de la moitié. Ils occupaient toujours le 4e rang hors Maghreb, respectivement 14,7 % et 12,4 %. On parmi les immigrés européens vivant dans la région. observe le maintien d’une forte représentation masculine Les années 1980 correspondent à une mutation encore des émigrants sénégalais. En effet, cette migration inachevée : recul de l’immigration méditerranéenne reste d’ordre économique avec peu de regroupements traditionnelle, espagnole et italienne, et développement familiaux, alors que chez les migrants malgaches la part de l’immigration africaine, notamment marocaine. des femmes est très élevée tant au niveau régional que national. La population d’origine africaine En 1999, près de 42 680 immigrés en Aquitaine sont La population d’origine asiatique natifs d’Afrique, dont 34 000 du Maghreb. C’est une Les immigrés originaires d’Asie sont peu nombreux immigration plus récente, ayant émergé de façon dans la région (10 400). Beaucoup sont nés en Turquie significative dans les années 1960. Les Marocains sont (28 %) ou au Vietnam (21 %). Ils résident surtout en les plus nombreux, soit 64 % des Maghrébins établis Gironde. Leur présence s’est renforcée dans la région dans la région. Les Algériens viennent ensuite (30 %), et à partir des années 1980. Le nombre d’immigrés turcs les Tunisiens ne représentent que ? %. L’héritage colonial, a plus que doublé entre les recensements de 1975 et les relations commerciales, et les liaisons universitaires 1982. Les conditions socio-économiques, associées institutionnalisées vers les pays d’Outre-mer, ont amené à une croissance démographique importante de la des ressortissants d’Afrique noire francophone à migrer Turquie, a provoqué une émigration massive de ses en Aquitaine dans les années 1930. Ces années sont ressortissants. La quasi-fermeture des frontières aussi marquées par les effets des anciennes migrations allemandes à l’immigration turque a entraîné un afflux militaires. plus important vers la France. Les immigrés turcs sont venus directement en France, ou ont quitté l’Allemagne 8 800 immigrés venus d’Afrique hors Maghreb ont pour s’installer dans l’Hexagone. été recensés en Aquitaine en 1999. La détérioration rapide de la situation économique et politique, dans de nombreux territoires du continent africain, entretient La population d’origine britannique cette émigration et diversifie les caractéristiques des L’Aquitaine est historiquement liée à l’Angleterre. De exilés. Ces immigrés africains sont surtout installés en ce fait, des milliers d’Anglais sont venus au cours des Gironde, et notamment dans l’agglomération bordelaise. siècles s’installer dans la région. Ce phénomène se La présence africaine, hors Afrique du Nord, est perpétue aujourd’hui avec un mouvement de population cependant assez faible en Aquitaine (6 %). Mais le nombre anglaise dans les départements de la Dordogne, de d’immigrés d’Afrique noire est en augmentation depuis Lot-et-Garonne et du Gers. Ils ne sont cependant pas les années 1980. Les ressortissants du Sénégal et de perçus comme des travailleurs migrants du fait de leur Madagascar représentent moins de 1 % des immigrés niveau de vie et de leur place dans la société. Réseau Aquitain pour l’Histoire et la Mémoire de l’Immigration http://www.rahmi.fr/prog/h_XXe.php?destina=XXe

- 12 - État de la population étrangère en Aquitaine en 1999

Tableaux économiques de l’Aquitaine, INSEE, 2005, p57 dans Au fil du temps n°14, Service éducatif des Archives départementales de Lot-et-Garonne, 2010 Les immigrés par sexe, âge et pays de naissance

- 13 - 1984 - 2014 330 ANS0 INSEE, http://www.insee.fr/fr/themes/tableau_local.asp?ref_id=IMG1B&millesime=2011&t ypgeo=DEP&typesearch=territoire&codgeo=47&territoire=OK#infos-connexes

- 14 - Les populations immigrées dans le Sud-Ouest

Sud Ouest, dans Ces immigrés qui ont fait le Sud Ouest par Bruno Béziat, 12 novembre 2011 En majorité d’origine européenne IMMIGRÉS. Ils représentent plus de 5 % de la population d’Aquitaine et plus de 2 % en Poitou-Charentes.Une proportion qui reste à peu près stable Ils sont nés en Espagne, au Portugal, au Maroc, au Ils représentaient un peu plus de 5 % de la population Cameroun ou au Vietnam. Ils sont venus en Aquitaine régionale, soit beaucoup moins qu’au niveau national pour chercher du travail, poursuivre des études ou (7,4 %). Ce chiffre traduit d’ailleurs, contrairement à une rejoindre leur famille en attendant parfois un improbable idée reçue, une certaine stabilité : la part des immigrés retour au pays qui ne s’est jamais concrétisé. Dans dans la population régionale a retrouvé en 1999 son la région, ils se sont surtout installés en Gironde et niveau de 1968 (5,4 %), après s’être approchée des 6 dans les Pyrénées-Atlantiques. Deux immigrés sur % dans les années 70 et 80. L’Aquitaine se situe ainsi trois vivent dans ces deux départements, mais c’est au dixième rang des régions françaises pour la part de en Lot-et-Garonne que la part des immigrés dans la la population immigrée dans la population totale. Midi- population totale est la plus élevée(8 %), plus de deux Pyrénées arrive en huitième position (plus de 6 %) et points au-dessus de la moyenne nationale. Viennent Poitou-Charentes, qui dépasse légèrement les 2 %, ensuite : Pyrénées-Atlantiques (6 %), Gironde (5,4 %), se trouve dans le peloton de queue. Entre les deux Landes, Dordogne (autour de 4 %). En collaboration derniers recensements généraux de 1990 et 1999, le avec le Fonds d’action et de soutien pour l’intégration nombre d’immigrés a d’ailleurs augmenté moins vite que et la lutte contre les discriminations (Fasild), l’Insee l’ensemble de la population régionale (+ 3 % contre + 4 Aquitaine vient de réaliser une première étude détaillée %). sur ces populations. « L’idée était de rendre lisible une Le nombre d’immigrés optant pour la nationalité problématique complexe, qui donne souvent lieu à des française est, en revanche, beaucoup plus important interprétations, et de contribuer à une meilleure définition en Aquitaine que sur l’ensemble du pays (42 % contre des politiques territoriales », souligne Manuel Dias, 36 %). « Ces nouveaux Français sont principalement directeur régional du Fasild. des ressortissants espagnols, italiens et portugais », note François Elissalt, directeur régional de l’Insee. « Une population stable Mais, depuis 1982, on observe un mouvement croissant 158 500 immigrés vivaient en Aquitaine lors du d’acquisition de la nationalité française chez les immigrés dernier recensement : 91 500 avaient gardé leur originaires du Maghreb. » En 1999, près de 100 000 nationalité d’origine, 67 000 étaient devenus français. personnes se sont déclarées « français par acquisition », immigrés et étrangers confondus.

- 15 - 1984 - 2014 330 ANS0 Un sur deux d’un pays latin Une majorité d’ouvriers En Aquitaine, les immigrés sont majoritairement Plus de la moitié des hommes appartiennent à la catégorie européens (plus de 63 % contre 44 % pour la moyenne des ouvriers. Pour l’ensemble de la population immigrée, nationale). Espagnols, Portugais et Italiens représentent cette proportion est de 42 %, alors qu’elle n’est que de à eux seuls près de la moitié de la population immigrée 26 % pour la moyenne régionale. La proportion des (77 600 personnes). Mais la situation est en train immigrés occupant des emplois à durée déterminée est d’évoluer. La population d’origine maghrébine est en elle aussi bien supérieure à la moyenne de la région (13 % forte progression et elle est désormais plus importante contre 9 %). En revanche, la part des immigrés excerçant que la population d’origine espagnole. Entre 1975 et des professions intermédiaires ou des emplois de cadre 1999, alors que la population née en Espagne a diminué se situe en deçà des chiffres aquitains : 12,3 % contre de 37 %, celle originaire du Maghreb a presque doublé, 20,8 % pour les professions intermédiaires et 7,3 % et près de deux immigrés d’Afrique du Nord sur trois contre 9,7 pour les cadres. Globalement, les populations viennent du Maroc. Les immigrés africains (hors Afrique immigrées sont confrontées à un réel problème de sous- du Nord) restent, quant à eux, peu nombreux (8 800), emploi : le taux d’activité des immigrés âgés de 15 à 64 tout comme ceux d’origine asiatique (10 400), l’Insee ans est inférieur de deux points à celui de l’ensemble ayant, pour l’occasion, raccroché la Turquie à l’Asie. des Aquitains. L’écart est encore plus important pour les femmes, mais il est à noter que les immigrées sont Alors que l’immigration fut tout d’abord essentiellement de plus en plus nombreuses à travailler. Le niveau de masculine, elle s’est féminisée à partir du milieu des formation est lui aussi en progression : alors que quatre années 70 : entre 1968 et 1999, la croissance du immigrés sur dix de plus de 15 ans ont arrêté leurs nombre d’immigrés en Aquitaine a été entièrement due études après l’école primaire, la moitié de ceux qui sont à l’augmentation du nombre de femmes. arrivés en France au cours des années 90 ont un niveau égal ou supérieur au bac. Tillinac Pierre, Sud Ouest, 13 avril 2004

- 16 - Trois questions à Manuel Dias Directeur régional du Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (Fasild)

Quels sont les principaux enseignements de n’est pas un phénomène précaire ou transitoire. Au contraire, nous sommes dans le cas de figure d’une l’étude de l’Insee ? immigration sédentarisée. C’est à ces différentes Elle met l’accent sur trois questions. La première, c’est autorités de voir comment prendre en considération le taux de vieillissement de la population immigrée. La toutes ces questions. En ce qui nous concerne, cette seconde, c’est l’importance numérique des Français étude doit aussi nous permettre d’établir des priorités en issus de l’immigration dans notre région et le taux fonction des territoires et des problématiques. significatif de l’accès à la nationalité. C’est à la fois un signe d’intégration et un élément important de Quelles seraient ces priorités ? ce que j’appellerai la problématique de la place des immigrésdans le peuplement et dans la démocratie Il nous semble qu’il y a trois dossiers importants. régionale. Le troisième élément qui ressort de cette L’accueil : car même si l’immigration s’est sédentarisée, étude, c’est la féminisation de la population. il y a toujours un processus d’arrivée. La lutte contre les discriminations et le racisme : dans certains territoires et dans certains domaines, ces populations continuent Sur quoi peut-elle déboucher ? d’être victimes du racisme. Le logement et l’accès Il appartient maintenant à l’ensemble du dispositif à l’emploi : dans certains départements, le taux de public, conduit soit par les services de l’Etat soit par les chômage des populations immigrées est parfois trois collectivités territoriales, de s’approprier cette question. fois supérieur à la moyenne. Et il y a une question plus La moitié de la population immigrée a acquis la nationalité globale : c’est de voir comment améliorer l’accueil de ces française : on n’a plus affaire à des étrangers et, en plus, publics dans les dispositifs publics et pas uniquement une bonne partie des étrangers présents dans la région pour les nouveaux arrivants. sont là depuis très longtemps. L’immigration régionale Tillinac Pierre, Sud Ouest, 13 avril 2004

- 17 - 1984 - 2014 330 ANS0 Bias carrefour de l’histoire «Que reste-t-il du camp de Bias ? », se demande Patrick misères humaines, devenu un carrefour de l’Histoire. Jammes, qui en fut le médecin pendant près de 30 ans. Pour lui, « quelques vétérans propriétaires de leurs La prise d’otage maisons, des jeunes, des ombres du passé, des jardins Et c’est le 16 août 1975 que tout bascule en Lot-et- ceints de hauts murs, les maïs et les pruniers qui montent Garonne. Mené par le représentant de la Confédération toujours une garde rapprochée. » Pour son ex-épouse, des Français musulmans Mohamed Laradji, un petit Zhora, qui a grandi dans ce camp, « les barbelés ont groupe de harkis prend en otage le responsable de peut-être disparu mais je peux encore les voir à chaque l’Amicale des Algériens Djelloul Belfadel. Pendant fois que je m’y rends. » deux jours, il est retenu au camp de Bias, menacé de mort en cas de charge des CRS. Avec 500 hommes Deuxième génération dépêchés sur place, deux blindés et un hélicoptère pour Le paysage a changé depuis la destruction de ce qui survoler le camp, la condition des harkis est plus que fut le camp de Bias, « consacré aux réfugiés algériens largement exposée… Cela se soldera par la libération difficiles à reclasser (mutilés de guerre en particulier) sans dommage de l’otage et un changement de et leurs familles », comme il est écrit dans une note du l’administration du camp, qui passe aux mains de la ville. Comité national pour les musulmans français. En lieu et Les portes s’ouvrent enfin. place des baraquements où s’entassaient les familles, « Il fallait bien que ça pète », estime Patrick Jammes. se dressent désormais les modestes pavillons de la cité C’est ce qui arrive quand on réunit tous les laissés pour Paloumet-Astor. « Mais il n’y a que des Arabes ici », lâche compte au même endroit. » Des laissés pour compte, Mohand, l’un des habitants. qui, dès lors, n’ont eu de cesse de faire entendre leur La première génération a presque entièrement cédé la voix, à coup de grèves de la faim notamment. « C’est place à la deuxième. Aujourd’hui, ce sont eux les harkis. tout de même pour cela que Bias sera toujours un lieu « Ceux qui ont grandi dans ces putains de camps », de mémoire, qu’on le veuille ou non, analyse le docteur confie avec amertume Patrick Jammes. Et ils ont beau des harkis. Et pour l’avenir, ce qui compte, c’est que l’on s’être rebellés contre ce que le médecin appelle « leur n’oublie pas et que l’on ne recommence pas. Parce que statut de denrée stockable » et avoir pris les armes en la France, cela devrait être autre chose. » 1975, « ils sont encore excentrés, isolés, cachés loin de la ville », constate-t-il. Comme si être un harki avait ACCORDS D’EVIAN quelque chose de péjoratif. » Le camp de Bias a beau Il y a 50 ans, la France signait avec le FLN (Front de avoir disparu aujourd’hui, cette génération traumatisée y libération national) un cessez-le-feu. Pour beaucoup, est toujours enracinée. il traduit la fin de la guerre d’Algérie. Pour les harkis, il évoque le début des massacres et de l’enfermement « C’est l’histoire » dans les camps de réfugiés, comme celui de Bias. Beaucoup de harkis de la première génération y sont « Ils sont encore excentrés, isolés, cachés loin de la enterrés. C’est devenu un lieu de mémoire, « une sorte ville. Comme si être un harki avait quelque chose de de passage obligé », comme le définit Adda Moualkia, péjoratif » HARKIS : personne d’origine algérienne ayant arrivée au camp avec sa famille lorsqu’elle n’était servi comme supplétif dans l’armée française en Algérie qu’une petite fille. « Je fais souvent un détour pour (de 1954 à 1962). m’arrêter devant le porte-drapeau, pour ne pas oublier le sort qu’ont subi les harkis enfermés ici et morts dans CAMP DE BIAS : le Centre d’accueil des rapatriés l’indifférence, trahis par la France ». d’Algérie ne se trouve pas à Bias par hasard. Il a été construit en 1930 pour héberger des ouvriers espagnols De la colère. Voilà ce qu’a laissé le camp en héritage. affectés à la construction d’une poudrière à Sainte- « Mais notre combat mourra probablement avec la Livrade. En 1956, il sert à « loger » des ressortissants deuxième génération », estime le président du Comité Français d’Indochine, trop nombreux pour être tous national de liaison des harkis du 47, Boaza Gasmi. « accueillis par le Cafi de Sainte-Livrade. Et en 1962, le Les enfants de harkis sont grands-pères et grands- maire de Bias, Robert Labessan, accepte cette fois mères. Nous sommes déjà vieux. Alors pour la troisième l’arrivée des harkis. Durant cette révolte, l’école du camp génération, notre histoire, c’est déjà l’Histoire ». a fait les frais de la colère de ses habitants. Cette école Un sentiment partagé par le docteur Patrick Jammes. « qui nous apprenait à ne pas apprendre », comme « Une minorité marginalisée, oubliée et enterrée qui se l’appelle Adda Moualkia. Ce symbole de l’avenir que bat pour ses droits, c’est exactement ce qui en fait tout les enfants harkis du camp n’avaient pas, selon Patrick l’intérêt historique. » Pour lui, Bias est un carrefour de Jammes.

- 18 - « C’est moi qui l’ai brûlée », confie un ancien habitant du réussi à sortir par la fenêtre mais j’avais les mains, les camp qui ne souhaite pas être nommé. « Je n’ai jamais cheveux et les genoux brûlés. Je suis vite rentré pour été un terroriste, je n’avais jamais mis le feu à quoi que me débarrasser de mes vêtements mais tout le monde ce soit de ma vie jusque-là. Mais nous détestions cette se doutait que c’était moi. Le lendemain, je gardais les école. Alors une nuit, j’ai vidé un jerrican d’essence mains dans les poches en refusant de serrer celles que dans une classe et j’ai craqué une allumette. Sauf que l’on me tendait. » j’étais encore dedans et que j’ai failli brûler avec ! J’ai Sud Ouest, Alexandra Tauziac, 17 mars 2012

- 19 - 1984 - 2014 330 ANS0 CHA_2014_06_07 26/05/14 17:06 Page11

FOCUS REPORTAGE

déracinementLe Cafi, histoire d’un

Le Centre d’accueil des Français d’Indochine (Cafi) de Sainte-Livrade-sur-Lot (47) ne sera bientôt plus qu’un souvenir. À l’heure où les bulldozers s’apprêtent à raser les derniers baraquements, retour sur l’histoire de ce camp de rapatriés à travers les récits de ses habitants

Textes et photos Emilie Dubrul (sauf mentions contraires)

D’un côté de vieux baraquements gris nous ont emmenés à Saigon, où nous poudrerie qui ne verra en fait jamais le et vétustes, des allées tristes et désertes, avons d’abord vécu dans des tentes. Il jour. Abandonnés depuis 1947, les bara- de l’autre les quartiers flambant neufs fallait partir, et nous, enfants, on n’a pas quements sont réaménagés à la hâte. Il aux maisons avec jardinet individuel. Au cherché à comprendre. À cette époque, n’y a ni eau courante ni chauffage, et les Dcentre, deux épiceries de quartier à l’ar- c’était la vie ou la mort. Ensuite, il y a eu latrines sont à l’extérieur. chitecture résolument asiatique. le bateau pour Marseille. » Les autorités de la République insistent Mireille Fanton-d’Andon vit dans le bâti- Le voyage vers l’Europe dure trois mois. sur le caractère « provisoire » des instal- ment D, l’un des derniers baraquements Arrivés en France, le gouvernement les lations. Le provisoire va durer soixante du Cafi encore debout, à deux pas de sa répartit dans des centres d’accueil, dont ans. mère, Thi Lua, âgée de 87 ans, et de sa celui de Sainte-Livrade-sur-Lot, petite Au confort rudimentaire s’ajoute une fille Christine. Leurs maisons seront commune rurale de Lot-et-Garonne. Ils discipline militaire. « Les premières détruites dans quelques semaines. De seront 1 160 en tout, dont 740 enfants. années, le camp est sous tutelle de l’ar- l’extérieur, rien ne laisse supposer que mée : couvre-feu à 22 heures, salut obli- quelqu’un puisse vivre entre ces murs, Discipline militaire gatoire du drapeau français, circulation sinon la boîte aux lettres et le numéro soumise à autorisation », rappelle Mar- du logement inscrit au pochoir. Mireille prépare son déménagement. En tine Salmon-Dallas, historienne. Mireille a 6 ans lorsqu’on vient la cher- refermant les premiers cartons, aidée de « Au début, il y avait des militaires, des cher avec ses parents et ses quatre frères sa fille Christine, les souvenirs remontent. barbelés, des grillages partout. Nous et sœurs. Nous sommes en 1956 à Hanoi, Même s’ils restent difficiles à raconter. n’avions pas le droit de sortir de la maison deux ans après la défaite de Diên Biên « Ma première image du camp, ce fut la et encore moins du camp. Mon père Phu. La guerre d’Indochine a pris fin neige. Je n’avais jamais vu la neige ! », nous l’interdisait. On vivait en vase clos. avec les accords de Genève. La France dit-elle timidement. Lorsque les rapatriés Et on respectait les règles la plupart du organise alors son retrait en catastrophe. débarquent à Sainte-Livrade, on est loin temps », se souvient Mireille. « En prin- « Nous habitions Hanoi. Des camion- de l’image d’Épinal de la douce France. cipe, recevoir les amis ou la famille au L nettes ont fait le tour des maisons. Ils Le site choisi est le camp d’une future camp n’était pas autorisé. Il fallait passer

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Malgré la vétusté des lieux, les habitants ont toujours pris soin de décorer leur maison

Hélène Vandjour, âgée de 78 ans, ne compte plus les allers et retours pour emménager dans sa nouvelle maison

Les autorités de la République insistent sur le caractère “provisoire” des installations. Le provisoire va durer soixante ans L par le bureau pour obtenir des autorisa- leur vie, les hommes se font embaucher Les murs faisaient à peine 10 centimètres tions spéciales. » dans les usines de la région. Les femmes d’épaisseur. Il y avait des couches de Pour Christine, les autorités « n’ont pas partent aux champs ramasser fruits, glace sur les carreaux cassés, et ce n’est essayé d’intégrer les rapatriés » : « Au légumes et tabac. Consciencieuse et bon pas avec les 20 kilos de charbon par contraire, on a tout fait pour les cacher, marché, c’est une main-d’œuvre appré- semaine que l’État nous donnait qu’on car ils incarnaient la défaite de la France. ciée. pouvait tout chauffer. » Malgré l’envi- Moi, j’ai grandi avec de nombreux tabous Robert Leroy, 67 ans, l’un des premiers ronnement hostile, la vie dans le camp à propos de mes origines, et il m’a fallu à avoir été relogés dans un pavillon, aime s’organise. Les petites graines rapportées du temps pour connaître l’histoire de se raconter autour d’un café : « Je suis du pays sont plantées et s’acclimatent ma famille. » arrivé au Cafi à l’âge de 8 ans. Je suis au sol lot et garonnais ; les pratiques reli- venu par avion, car mon père était colo- gieuses héritées du catholicisme et du Main-d’œuvre appréciée nel de l’armée française. Mais, colonel bouddhisme sont accueillies dans une ou pas, ils nous ont stockés ici comme église et une pagode aménagées dans Le peu d’économies et les maigres aides du bétail. » l’enceinte du camp. Les enfants sont accordées par l’État ne suffisent bientôt « Je me souviens que ma mère pleurait envoyés au catéchisme pendant que leurs L plus pour vivre décemment. Pour gagner du matin au soir. L’hiver était dur, ici. parents honorent les ancêtres.

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Patrick Fernand, président de l’Association des Résidents et Amis du CAFI (l’ARAC) devant la pagode aujourd’hui en réhabilitation

DATES CLÉS 1954€: Signature des accords de Genève, qui marque la fin de la guerre d’Indochine. Avril 1956€: Premiers rapatriements de ressortissants français fuyant la menace du Viêt-minh. Dans quelques 1959€: Application de l’arrêté Morlot, qui fixe semaines, Mireille les règles de vie dans les centres de rapatriés, Fanton-D’andon dont le Cafi de Sainte-Livrade. Ce texte sera appliqué jusqu’en 1981, date de la et sa fille Christine, municipalisation du Cafi. auront chacune un 1961€: Le premier texte de loi sur les rapatriés nouveau logement. est voté, donnant une définition légale du Un déménagement rapatrié, définissant ses droits fondamentaux. «€difficile€» qui 1967€: Le nombre d’enfants scolarisés a remue beaucoup baissé. L’école du camp est fermée. Le docteur de souvenirs Doulas propose de transformer ce bâtiment en lieu de travail. Une usine de chaussures est installée, symbole de cohésion sociale entre les habitants du Cafi et ceux de Sainte-Livrade. 1981€: L’État cède la tutelle du Cafi à la commune de Sainte-Livrade-sur-Lot, pour 300€000€francs. Le Centre d’accueil des rapatriés d’Indochine s’appelle désormais le Centre d’accueil des Français d’Indochine. Un glissement Un intérieur de maison L’autel de la Pagode sémantique vécu par les habitants comme une où se sont entassés «€volonté d’ôter à ces Français la possibilité et les souvenirs d’une vie le droit de se revendiquer comme des Français rapatriés dans les termes de la loi de 1961€». 2004€: À la suite de rumeurs d’un projet de L rénovation de la mairie de Sainte-Livrade Autarcie et discrétion l’indifférence générale, donnent nais- laissant présager la démolition des logements sance à une véritable communauté qui du Cafi et la reconstruction de logements à Patrick Fernand est le président de l’As- vit en autarcie et à l’heure indochinoise. caractère social, des manifestations ont lieu, à l’issue desquelles un dossier est déposé à sociation des résidents et amis du Cafi Au point qu’aujourd’hui encore la plupart l’Agence nationale pour la rénovation urbaine. (Arac). Il organise les fêtes du Cafi, des anciennes ne parlent pas le français. 2008€: Début des travaux de réhabilitation. notamment celle du Têt, le Nouvel An Une communauté qui fait de sa discré- 2012€: Les familles commencent à vietnamien. Lui aussi se souvient : « Moi, tion une forme de survie. emménager dans les nouveaux logements. 15€août 2014€: Date annoncée de j’ai des bons souvenirs de la vie ici. Oui, En 1981, la mairie de Sainte-Livrade l’inauguration du nouveau Cafi, lors de la c’est vrai on était fliqués ! Mais il ne faut devient propriétaire des bâtiments. Les traditionnelle fête qui rassemble la pas oublier que c’était l’après-guerre en frais de fonctionnement sont lourds pour communauté indochinoise de France. France. Rester là-bas aurait été pire. » la commune, et les baraquements subis- L Au fil des années, l’environnement clos, sent l’usure du temps. Les seuls aména-

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La fête du Têt, le nouvel an vietnamien, perdure depuis de nombreuses années au CAFI. L’occasion pour tous de découvrir la cérémonie du culte aux génies

Il restera le souvenir de ces soixante années passées sur ce petit bout de terre lot-et-garonnaise aux couleurs et aux saveurs de l’ancienne Indochine L gements apportés sont l’introduction de relève fièrement Christine. De dehors, peu vidé de ses habitants, un vaste plan chauffage au bois puis au fioul. Car, com- ça fait bidonville, mais dedans, c’est mon de rénovation urbaine est lancé avec le ble de l’absurdité administrative, les habi- petit château. » soutien financier de l’Agence nationale tants du Cafi n’ont pas le droit d’améliorer de rénovation urbaine (Anru). Le projet, leur habitat, classé insalubre. Travaux d’urgence qui prévoit la destruction des bâtiments « Lorsque j’ai commencé les travaux de insalubres, reçoit un accueil mitigé. Les rénovation, je l’ai fait avec mes propres Au début des années 2000, l’État et la derniers résidents, essentiellement des moyens, sans rien demander à personne. municipalité acceptent enfin de lancer femmes très âgées, craignent de se faire Et je l’ai fait au risque de me faire ren- des travaux dits d’urgence afin d’offrir « expulser » ou de voir leur histoire dis- voyer. Je voulais que mes enfants ne aux habitants un minimum de confort. paraître dans les décombres des engins manquent de rien et vivent une vie Les logements sont alors équipés de WC, de chantier. décente, contrairement à moi », confie de douches, de portes et de fenêtres « Nous aurions aimé rénover tous les Mireille. « Ma mère a tout cassé pour dignes de ce nom. logements comme le souhaitaient les agrandir et faire de ce taudis un palais, En 2004, alors que le camp s’est peu à habitants, mais il faut se rendre à l’évi-

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L’ÉPINEUSE QUESTION D’UN LIEU DE MÉMOIRE Cet été, la quatrième et ultime phase Mme Merlet de relogement va démarrer avec la a emménagé dans démolition du dernier quartier un confortable d’habitations. Il ne restera alors plus 3-pièces dans lequel rien de l’ancien Cafi, hormis les elle peut recevoir ses enfants bâtiments administratifs, la chapelle et la pagode, conservés comme futur lieu de mémoire. L’idée d’un lieu de mémoire remonte à 2004, au moment où l’on décide de la destruction définitive du camp. A gauche, plusieurs Mais les avis sur son contenu n’ont générations ont cessé de diverger depuis. grandi entre ces En 2012, le préfet de Lot-et-Garonne murs, malgré les constitue un comité scientifique conditions de vie chargé de réfléchir au cadre à donner difficiles à ce futur lieu, en collaboration avec les associations impliquées dans l’histoire du camp. Sur les 1 700€mètres carrés de bâtiments et d’espaces verts, une des Ci-contre, à gauche, idées proposées est de créer un la télévision parcours historique qui refléterait la vietnamienne reste la principale source mémoire indochinoise, avec un d’information pour dispositif permettant interactivité et les «€anciennes€» du multimédia. Mais, pour l’historienne CAFI qui ne parlent Martine Salmon-Dallas, qui préside le pas le français comité scientifique, le futur lieu de Au terme du plan de réhabilitation, mémoire ne devrait pas se limiter aux 92 logements seront reconstruits. murs des anciens bâtiments. Les noms des rues et des nouveaux «€Les archives du camp sont en cours quartiers rappelleront l’origine des gens de numérisation. Ensuite, il faudra qui vivent au Cafi : rue des tamaris, dresser un inventaire raisonné dans du dragon, de la soie, résidence Laos, le but de créer une bibliothèque Cochinchine ou Cambodge… numérique à la portée de tous. À notre époque, il n’est pas question de faire un musée.€» De son côté, la mairie s’est engagée dence, nous n’aurions jamais trouvé les petit bout de terre lot-et-garonnaise aux à terminer les travaux de rénovation financements nécessaires. C’était moins couleurs et aux saveurs de l’ancienne de l’église et de la pagode pour le cher de reconstruire », souligne Marthe Indochine. 15€août prochain, date de Geoffroy, première adjointe à la mairie Pour Christine Henri, issue de la troisième l’inauguration du nouveau Cafi. «€Si de Sainte-Livrade, en charge du dossier. génération, voir le camp disparaître ainsi les avis sont partagés sur la manière reste douloureux : « Ici, c’était la maison d’aborder ce lieu de mémoire, ce qui Fous rires, pleurs de mon enfance, j’y ai tous mes fous rires, unit les habitants du Cafi, c’est un mes pleurs, et je vais perdre tout ça… besoin de reconnaissance de ce qu’ils Dans quelques semaines, les dernières Heureusement que j’en ai fait des photos ! ont vécu, de leur histoire, qui est « barres » d’habitation vont être démolies. Je ne pourrai pas montrer ce que fut aussi la nôtre€», estime Nina Douart- Des rapatriés de 1956, seulement une notre chez nous à mes enfants ! Il va Sinnouretty, présidente de la CEP centaine de personnes habiteront le être rasé, et ce jour-là nous serons (Coordination des Eurasiens de « nouveau » Cafi. Restera alors le souvenir devant pour nous souvenir une dernière Paris). de ces soixante années passées sur ce fois. »

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- 24 - Partie 2 L’intégration en Lot-et-Garonne

La révolte des fils

Sud Ouest, texte de Fabien Pont dans « Algérie les déchirures », hors série mars 2012

- 27 - 1984 - 2014 330 ANS0 Les nouvelles voix de Génération harki Une association entend se faire porte-parole de la communauté; et pour une fois, ce sont des femmes qui sont aux commandes. «Dans la communauté, il y a une phrase qui circule : grands, il ne subsiste rien, pas même un petit cabanon le harki, c’est l’homme. J’ai même connu une veuve à qui servirait de musée », s’indigne Adda Moualkia. qui un fonctionnaire avait répondu cela, alors qu’elle avait subi les mêmes préjudices que son mari », lance Légitimité Adda Moualkia, la présidente de Génération harki, L’association est née en mars dernier, à . Mais toute nouvelle association qui se veut la voix d’une elle veut se déployer au-delà, tant la communauté harki communauté très implantée en Villeneuvois. s’est aussi disséminée. Au départ, il y a eu un congrès à Et si le ton se fait entendre, c’est aussi à travers la Paris à l’automne 2008. Des femmes, qui sont montées à composition du bureau de Génération harki que l’on la tribune, et qui ont constaté l’éclatement des structures sent un changement, puisqu’il est essentiellement représentatives. formé de femmes, comme Nadia Ben Mohamed, « On compte en France plus de 500 associations. Mais Fatima Gazouzi, Jeannette Boufhal ou Naïma Aliani. aucune qui ne soit représentative et qui ne regroupe tout Longtemps, racontent Adda la Casseneuilloise et Nadia le monde », estime la présidente. la Biassaise, les femmes n’ont pu monter à la tribune des nombreuses associations qui sont nées dans la Avec autant d’interlocuteurs on pourrait justement communauté. D’ailleurs, personne n’a jamais pensé à croire les harkis bien représentés. Ce n’est pas ce accorder « harki » au féminin ? que pensent les membres de Génération harki. « Pour faire une association, il suffit d’être trois membres. La Mémoires première question que l’on doit se poser, c’est celle de leur légitimité à nous représenter. C’est ensuite des Pourtant, harkis elles le sont. Descendantes d’une questions sur le travail effectué par ces associations communauté qui s’est trouvée du côté de la France, existantes », estime M’hand Meziane, un homme parmi mais de l’autre côté de la Méditerranée. Parfois par ces femmes, qui a décidé de rejoindre le mouvement, choix, mais parfois non. Une population qui a combattu puisque l’association ne donne pas dans l’exclusive. « aux côtés de l’armée française, et dont une partie, à Parmi nous, il y a d’anciens membres du Comité national l’indépendance, a été transbordée dans ce pays qu’elle de liaison des harkis que l’on a quitté. Nous participions, croyait le sien. Pays qui les a alors regroupés dans des mais on n’avait jamais d’informations, et rien n’a jamais camps. Les camps, épouses et filles les ont connus, y vraiment avancé », précise Adda Moualkia. ont vécu. « A Bias, il n’y a rien pour la mémoire, pas le moindre Liens cabanon qui raconte l’histoire du camp » Les membres fondateurs assurent qu’il ne s’agit pas Celui de Bias, dont elles racontent la discipline militaire, de querelles de personnes. « Simplement, on n’a pas jusqu’aux premières révoltes des années 1970. C’est pour forcément envie que d’autres s’expriment à notre place rappeler cela, et exhumer sans cesse l’histoire de leurs », lancent la présidente et la trésorière. parents qu’elles (ils) ont monté l’association. Raconter Elles souhaitent fédérer les bonnes volontés, créer des avant que tout ne retombe dans l’oubli, raconter avant événements culturels. Mais aussi défendre les intérêts que la première génération ne disparaisse définitivement. d’une communauté qui s’estime toujours victime « Pourquoi une nouvelle association ? Parce qu’on en d’une injustice de l’histoire. Et qui ne voudrait pas finir a besoin. Regardez par exemple, à Bias, il n’y a pas le désormais aux oubliettes de cette même histoire. moindre lieu de mémoire. De ce camp, qui fut un des plus Sud Ouest, Nicolas Rebière, 23 juillet 2009

- 28 - Poulet aux pruneaux Ce fils d’immigrés italiens se souvient des années à Agen. Du lycée de Baudre, jusqu’à son poste de second au commissariat. «Agen même... Je me souviens encore de cette voix qui aujourd’hui. Sa première mission était alors la recherche disait : ‘’Agen même, deux minutes d’arrêt’’, à chaque fois de renseignements. Pour ça, c’est mieux d’aller voir que la micheline entrait en gare. Voyez-vous, à l’époque, les gens chez eux, dans leur environnement, on les c’était pour faire la différence avec Valence d’Agen. La comprend mieux. Avec tous ces bars, les rues étaient première fois que je suis venu à Agen, c’était en 1960. Et très animées. Il y avait des guitaristes sur les trottoirs et, encore, j’exagère, c’était plutôt au Passage. Nous étions jusqu’à tard dans la nuit, les restos où l’on cassait bien la venus à quelques-uns d’Aiguillon, où je vivais avec mes croque étaient ouverts. De la gare à la tour Victor-Hugo, parents agriculteurs italiens, pour passer une soirée au en passant par les rues Lafayette et Camille-Desmoulins, dancing le Copacabana. Puis j’y suis revenu en 1962 il y avait beaucoup de très bonnes tables. pour ma scolarité. J’étais interne au lycée de Baudre où Bref, la vie était paisible, le gros de notre activité c’était j’ai obtenu un bac moderne et philosophie. le trafic de shit. Quand une banque était attaquée, C’est à cette époque que j’ai découvert notre père c’était rarement l’œuvre de gars du coin, mais plutôt spirituel à tous, le père Jacques, qui tenait la brasserie de pointures débarquées du milieu marseillais ou de de la Poste. On s’y rendait souvent sur nos heures de la Corse. Mais attention, Agen n’était pas Chicago. sortie l’après-midi pour aller taper le carton. Toute la On n’avait pas besoin de toutes ces statistiques sur la société agenaise s’y retrouvait. Puis après, je suis parti délinquance... D’ailleurs les statistiques c’est comme les pour l’école de police à Paris, car je me suis aperçu bikinis, ce qui est révélé est suggestif, ce qui est caché qu’enquêter était plus intéressant. Après des expériences est vital. en région parisienne et sur Sarlat, je suis revenu à Agen en 1979 comme inspecteur principal. Troisième mi-temps. Puis j’ai vu la ville commencer à évoluer, à basculer du 116 débits de boisson. Pin vers le Gravier. Les bars ont commencé à fermer, les Agen avait alors une réputation de ville ouverte, qui commerces aussi, la ZAC s’est montée, l’Agropole s’est bougeait suffisamment, et où se retrouvaient truands et installé, le Sifel a démarré. Agen a changé mais elle est autres beaux garçons, interdits de séjour à Bordeaux et restée humaine. Elle est pour moi une vieille ville qui est à Toulouse, pour rester au calme. Il y avait encore des toujours marquée par sa souche radicale. À ce propos, établissements où les gars allaient bouchonner avec les j’aimais bien le père Esquirol. Un gars consensuel qui, filles, et plus si affinités. Mais on nous a obligés à les dans une ville aussi radicale qu’Agen, avait réussi à fermer. régler la gauche et la droite. Je me souviens qu’à mon arrivée, il y avait exactement Mais c’est normal me direz-vous, les gens sont si festifs 116 débits de boissons à Agen. La ville en était irriguée. et attachants ici. J’ai d’ailleurs de nombreux souvenirs de La gare était le secteur phare avec des établissements fêtes autour du SUA. Je me souviens par exemple d’une comme le Conti ou l’Imprévu. Dans tous ces bars, il y troisième mi-temps en 1982. À l’époque, on avait au avait du monde. Je me mettais dans un coin, au bout du commissariat une petite R5 bleu et blanc, aux couleurs comptoir, et j’écoutais les gens raconter leurs histoires. du club. Je me suis engouffré avec, dans la foule, Et si la délinquance est, d’une manière générale, volatile, gyrophare allumé et sirène hurlante, en plein boulevard on savait qu’à telle heure, dans tel bistrot, on pouvait y Carnot, devant la brasserie de la Poste. Des joueurs, croiser telle ou telle personne. en voyant ça, ont soulevé la voiture. Ma hiérarchie avait moyennement apprécié, mais je leur ai dit que, quand Milieu corse et bikinis. une ville communie, il faut savoir communier aussi. D’ailleurs j’ai toujours communié avec cette ville, c’est La police n’avait pas les moyens techniques qu’elle a peut-être pour cette raison qu’Agen m’aime. » Sud Ouest, Serge Gabassi, 16 février 2008

- 29 - 1984 - 2014 330 ANS0 La Région s’invite dans la rénovation du Cafi SAINTE-LIVRADE Les travaux de réhabilitation du Camp d’accueil des Français d’Indochine ont enfin débuté; le Conseil régional a décidé d’appuyer l’opération. Une unanimité, plutôt rare à Bordeaux pour des dossiers dans des appartements neufs, aux loyers conventionnés. de rénovation urbaine. C’est ainsi que les conseillers Enfin, on détruira ces baraquements de l’armée qui ont régionaux ont accueilli le dossier de rénovation du Cafi duré bien plus longtemps que leurs constructeurs ne (Camp d’accueil des Français d’Indochine) livradais, l’auraient cru, souvent grâce aux investissements et à début juillet, lorsqu’on leur a demandé de voter en faveur l’ingéniosité de leurs occupants. Ainsi disparaîtra le Cafi. d’une convention entre la Région et la ville de Sainte- « La Région ne pouvait se tenir éloignée d’un tel projet Livrade. », explique la conseillère régionale landaise Catherine Selon Catherine Veyssi, vice-présidente chargée de la Veyssi, venue vendredi, à Sainte-Livrade, afin d’annoncer politique de la ville, de nombreux élus régionaux ont ainsi la nouvelle. découvert les contours d’un dossier « atypique », où la Pour l’instant, l’aide promise en provenance de rénovation urbaine ne concerne pour une fois pas des Bordeaux s’élève à 580 000 euros. Ils iront aux futures tours trentenaires et déjà grabataires. Il s’agit en effet infrastructures dont la maîtrise d’ouvrage est confiée d’un camp d’avant-guerre, où furent logés des rapatriés à la mairie, quant celle des logements appartient aux d’Indochine en 1956, puis en 1962, alors que le camp bailleurs sociaux. de Bias allait être occupé par les Harkis fraîchement débarqués. Lieu de mémoire On sait depuis 2007 et la signature d’une convention L’argent de la Région servira aussi aux « lieux de avec l’Anru (Agence nationale de rénovation urbaine) mémoire » que le projet de réhabilitation entend intégrer, que le Cafi, resté dans son jus plus de cinquante ans, afin de garder la spécificité d’un site qui passera de a bientôt vécu. L’État, par mesure dérogatoire, a en camp à quartier. On sait déjà que la pagode et l’église effet décidé d’injecter une enveloppe de plus de 20 seront conservées. Reste à savoir sous quelle manière millions d’euros au titre de la rénovation urbaine dans cet cette mémoire d’Indochine posée en bord de Lot sera alignement d’anciens baraquements, toujours occupés transmise. pour la plupart. « Nous allons pouvoir consulter les habitants, qui étaient De longues années très demandeurs. Certes, la réhabilitation a pris du temps. Mais quand nous sommes arrivés à la mairie, à Mais après de longues années d’attente, de part la convention avec l’Anru, rien n’avait été fait, ajoute tergiversations, de nouvelles études en 2008 à l’orée du le maire PS de Sainte-Livrade, Claire Pasut. Il a fallu premier coup de pioche, les travaux ont enfin débuté ! contacter des partenaires, comme la Région, mais aussi Depuis quelques jours, deux bâtiments trônent au sein le Conseil général, et relancer ce dossier qui traînait en du camp, qui ne sont pas sans rappeler les contours longueur ». épurés d’une pagode version XXIe siècle. Ils devront Le maire, qui prend d’ailleurs soin de ne pas annoncer accueillir les deux épiceries asiatiques du Cafi, qui de date précise quant à l’achèvement de ce chantier doivent démé- nager dans les prochaines semaines. d’envergure. « Trois à quatre ans », dit-elle, au gré des Puis on construira les logements sociaux à proprement tranches réalisées par les bailleurs sociaux, et des aléas parler, via trois tranches de travaux. de ce genre d’opération. Bientôt, les occupants du Cafi, dont ces historiques « « Nous allons bientôt pouvoir consulter les habitants sur mamies », rapatriées de la première heure, déménageront la réalisation d’un lieu de mémoire » Sud Ouest, Nicolas Rebière, 20 juillet 2009

- 30 - Un camp au statut hors normes RÉHABILITATION Pendant des années, de nombreux occupants du Cafi ont vécu sans bail ni titres de propriété; le retour à la réalité fait grincer. En début d’année, certains résidents du Cafi ont âgée dans l’incendie de son logement a sans doute découvert la taxe d’habitation. Résultat par ricochet du accéléré le mouvement de réhabilitation envisagé depuis processus de réhabilitation, les services fiscaux ont lancé des années, mais longtemps freiné par une étrange le recensement des habitants du lieu et ont commencé force d’inertie. à calculer ce que devait chacun. En fait, étant donné les Car si à Bias, le camp des rapatriés d’Algérie a fini niveaux de revenus, peu d’occupants des baraquements par disparaître, celui de Sainte-Livrade est toujours là. d’avant-guerre n’ont eu à payer grand-chose. Mais la Certes, les occupants ne sont plus aussi nombreux chose a surpris, voire scandalisé les associations du qu’au début. camp, qui ont dénoncé l’opération. Argument : « on les a laissés vivre ainsi dans des baraquements pendant Ils sont une centaine à habiter dans ces alignements de cinquante ans, et on les taxe alors que la réhabilitation logements. Les plus emblématiques sont ces « mamies n’a pas débuté ». », arrivées en 1956 et qui n’ont jamais quitté le Cafi. « Mamies », une appellation affectueuse des habitants, à Révélateur laquelle l’administration préfère la terminologie « d’ayant droit ». Ils ne seraient plus qu’une poignée aujourd’hui. L’épisode est révélateur de cet endroit hors normes Les autres habitants sont, pour la plupart, des enfants qu’est devenu le Cafi en cinquante ans. Plus vraiment du Cafi partis, puis revenus au gré de la vie. un camp d’accueil, pas vraiment un quartier normal non plus. Pendant des années, associations et élus se sont Des loyers émus de l’état de vétusté de ces bâtiments au départ provisoires. Une fois les nouveaux logements construits, les mamies comme les autres occupants, vont donc découvrir le Certains sont partis à vau l’eau, d’autres ont été restaurés, principe du paiement d’un loyer mensuel, même si ces agrandis, étendus parfois par les occupants, souvent loyers resteront modérés en raison du caractère social les enfants partis qui ont tenu à aménager un peu de de la réhabilitation. Car le Cafi qui fut longtemps oublié confort à leurs parents débarqués là en 1956. Confort de l’administration a cette particularité de n’appartenir cependant parfois sommaire, notamment en matière de à personne, sinon à la mairie de Sainte-Livrade depuis chauffage et d’isolation. 1981. Pas de baux, pas de titres de propriété… Voici Si les baraquements sont toujours là et n’ont connu que toute l’ambiguïté du statut du Cafi, un lieu un peu hors peu de réhabilitation, certains ont été détruits au fil du du temps, mais aussi hors du droit commun. temps. Comme les toilettes publiques qui ne servaient Si certains habitants se sont un temps opposés à plus à rien. D’autres ont dû être rasés parce que des la réhabilitation, la plupart ont fini par l’accepter. Mais incendies avaient endommagé ces habitations aux beaucoup estiment surtout qu’elle arrive « quarante ans normes inexistantes. En 2006, la mort d’une personne trop tard ». Sud Ouest, 25 juillet 2009

- 31 - 1984 - 2014 330 ANS0 Cafi : photos souvenirs SAINTE-LIVRADE Un site internet rassemble des dizaines de photos de la vie dans le Camp d’accueil des Français d’Indochine; Des dizaines de photos, alignées. Et des centaines Parmi eux, beaucoup d’enfants métisses, fils de d’autres qui attendent d’être numérisées. On y voit légionnaires ou de fonctionnaires, et de mères des visages d’habitants, à toutes les époques. Photos indochinoises. « Certains avaient un père russe, couleur, noir et blanc ou sépia. Photos de familles, allemand ou africain. Il n’y a qu’à regarder certaines surtout, regroupées sur un site internet qui est devenu photos de classes pour se rendre compte du métissage une sorte de lieu de mémoire virtuel du Cafi, le « Camp », relève encore Nina, dont le père était Indien, originaire d’accueil des Français d’Indochine ». du comptoir de Pondichéry. A l’heure où les travaux de réhabilitation ont débuté dans « Pendant des années, le camp a fonctionné en quasi cet endroit à part, situé au bord du Lot à Sainte-Livrade, vase clos, comme un petit Vietnam » Ainsi vivait le Cafi, ces photos prennent d’autant plus de poids et de valeur. avec ses règles propres, ses coutumes importées, son curé, d’ailleurs lui aussi rapatrié du Vietnam. Comme Un site en 2005 le témoignage miniature d’un empire colonial à jamais disparu. Pendant des années, le camp a fonctionné Nina Sinnouretty-Douart aidée de quelques autres fait en quasi-vase clos, « comme un petit Vietnam. Même ce travail de fourmi, sur le site internet qu’elle a lancé en ceux qui sont nés ici vivaient comme là-bas », explique 2005 (1). « C’était après la manifestation de novembre encore la coprésidente du CEP, qui n’est vraiment sortie 2004, alors que la communauté du Cafi s’était mobilisée du camp qu’en « classe de septième », au moment où autour sa réhabilitation. J’étais revenue très émue à l’école du camp a fermé. Paris, en me disant que les anciens du camp, qui étaient partis depuis longtemps, n’étaient pas au courant de Pour elle, comme pour beaucoup, ce fut alors la tout cela », explique celle qui copréside la « Coordination découverte de la France, ce pays d’où elle était, sans des Eurasiens de Paris » (CEP), avec Daniel Frèche. l’être vraiment. « Avant, on ne sortait que grâce à la Cimade, qui nous organisait des séjours chez des Depuis le site s’est monté, des appels à photos ont familles de correspondants pour les vacances. » été lancés, et la mémoire d’un lieu bientôt voué à disparaître s’est ainsi construite peu à peu. Aujourd’hui, Nina dispose de nouvelles photos, mais de trop peu de Les barbelés sont tombés temps. Pourtant elle continue, avec la Coordination, à Au fil des ans, le Cafi s’est cependant ouvert. Les forger des liens entre tous les anciens du Cafi de Sainte- barbelés sont tombés, l’école a fermé, les habitants sont Livrade, et des autres camps qui ont accueilli ces « peu à peu devenus des Livradais. Et puis, beaucoup de Français d’Indochine », rapatriés en 1956. familles sont parties, invitées à quitter le camp dès que leur niveau de vie le permettait, ou simplement par choix. Des sourires Aujourd’hui, ils se retrouvent dans certaines Sur les photos qui défilent, on voit beaucoup de manifestations qu’organise la CEP, ou encore pour les sourires, qui peuvent détonner avec les descriptions de vacances, à Sainte-Livrade, où une grande fête est la discipline militaire qui régnait à l’arrivée des premiers organisée chaque année autour du 15 août. Le reste rapatriés. « A l’époque, les camps étaient dirigés par du temps, ils se croisent parfois autour du site internet, d’anciens de la Coloniale. On m’a raconté les barbelés qui diffuse les photos, mais aussi les messages, et les des débuts, et les expulsions aux premiers signes de avis de recherches à la manière de « Copains d’avant ». richesse, comme l’achat d’une télé », rappelle Nina Au détour des forums, on trouve parfois d’émouvants Sinnouretty-Douart, qui est arrivée à Sainte-Livrade en messages venus du Vietnam. 1956, à l’âge de un an. Mais le travail de mémoire ne s’arrête pas là. Alors que la réhabilitation vient de débuter, les appels se font Métissage pressants auprès de la mairie de Sainte-Livrade, afin de Dans ces camps de rapatriés, on trouvait de nombreuses savoir comment sera perpétuée l’histoire du Cafi, une épouses ou concubines de militaires français, souvent fois le camp disparu. veuves. A Sainte-Livrade où 1 700 rapatriés ont été Car si les baraquements construits avant-guerre seront installés, on comptait une majorité de femmes et 700 détruits, les habitants, comme ceux qui en sont partis, enfants. attendent un lieu de mémoire.

- 32 - En quête de mémoire « Un endroit vivant » Récemment, la CEP a d’ailleurs écrit au maire, Claire Dans le projet de réhabilitation, pour lequel sont liés Pasut, une lettre assez verte, où elle s’agace de voir ses l’État et les collectivités locales, on a prévu de garder les demandes de rendez-vous reportées. « Il y a très peu de deux épiceries asiatiques, mais aussi les lieux de culte, la communication avec la nouvelle municipalité », déplore pagode et la chapelle. « On ne veut pas d’un lieu à petite Nina Sinnouretty-Douart. visibilité, dont il faudrait aller chercher la clé à la mairie. Nous souhaitons un endroit vivant, qui puisse accueillir La semaine dernière, Claire Pasut confirmait qu’elle avait des expositions », prévient la co-présidente de la reçu beaucoup de sollicitations à propos de ce futur Coordination des Euroasiens de Paris . Une association lieu de mémoire qui devra s’intégrer dans les logements dont le fonds de photos sert déjà à diverses expositions sociaux construits là. « Il fallait d’abord boucler ce et rétrospectives sur le Cafi. Le musée d’Aquitaine en a dossier complexe. Maintenant, on va pouvoir consulter accueilli une il y a peu. les habitants sur le sujet », assure l’élue. Bientôt, c’est le Musée de l’histoire vivante, à Rivesaltes, qui retracera le destin singulier de ces Indochinois qui ont un jour traversé les mers. Sud Ouest, Nicolas Rebière, 25 juillet 2009

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Partie 3 L’immigration en Lot-et-Garonne, une question politique

Quelle immigration voulons-nous ? Avec Sarkozy aux commandes, cette question est devenue un enjeu majeur de la période préélectorale. Au mépris des personnes ? Quand Naïma Charaï, au nom du Parti socialiste, indispensable que la réflexion avance et qu’il en est de évoque l’idée d’une « immigration partagée », prenant la responsabilité des partis politiques, surtout en période ainsi le contre-pied de la notion « d’immigration choisie » électorale, car il n’existe pas de réponse toute faite. préconisée par le gouvernement actuel, elle rappelle que « Il faut un modèle de société alternatif », assure Graziella les principes qui doivent diriger l’immigration sont ceux Mascia, qui estime qu’en matière d’immigration les de l’équité et de la solidarité. « Nous n’avons pas besoin politiques refusent de voir les personnes et ne voient de principes de quotas ; nous voulons une immigration que des chiffres, en Italie comme en Espagne. La qui se fasse dans le cadre d’un partenariat, en agissant députée européenne pense que l’économie a pris la en amont. Nous refusons l’idée d’une sélection des place de la politique, ce qui entraîne des problèmes immigrés. » Naïma Charaï affirme en outre que le recours d’injustice sociale. « Parler d’immigration conduit à parler aux quotas ne dissuaderait pas les immigrés clandestins de précarité, tandis que les capitaux circulent librement à la recherche d’une vie meilleure. « Ce n’est donc pas », rappelle-t-elle. Puis soulève un problème de taille : que une solution. » Critique de la droite qui s’est durcie fait-on des immigrés qui n’ont pas été régularisés ? Est-il lorsque la jeune femme lance : « Le sujet de l’immigration normal qu’un citoyen qui n’a commis aucun délit reste sert de paratonnerre pour la droite. » soixante jours en détention ? Pour Mouloud Aounit, il importe de distinguer la liberté « Nous vivons actuellement dans un monde où les de circulation de la liberté d’installation. « La liberté de marchandises de même que les hommes et les femmes circulation est une utopie légitime du présent, affirme- circulent. Il est par conséquent impossible d’être attaché t-il. Puisque les capitaux circulent dans le cadre de la à une nation mythique », affirme Fernanda Marrucchelli, mondialisation, pourquoi les personnes ne pourraient pour qui il n’y a pas de contradiction entre la souveraineté pas en faire autant », s’interroge-t-il. Il estime que la des États et la liberté de circulation. Elle redit des chiffres question de l’immigration doit faire l’objet d’une prise éloquents : le nombre d’immigrés serait de 4,5 millions en de position politique. « La question de l’immigration est, France selon l’INSEE ; 2,5 millions seraient naturalisés ; 2 et demeurera peut-être, l’un des défis du siècle. Nous millions de Français vivraient et travailleraient à l’étranger sommes au début d’un certain nombre de catastrophes ; le nombre de personnes en situation irrégulière en humaines. » Il rappelle qu’il était important de ne pas France serait stable. « Il n’y a pas d’invasion », s’insurge- criminaliser l’immigration et que la politique menée t-elle. actuellement en la matière était aussi catastrophique que démagogique. Les déclarations des intervenants ne laissent pas indifférent le public de l’agora. « Il y a une hypocrisie dans Dominique Noguères a elle aussi évoqué l’impossibilité le fait que les Français peuvent s’installer dans le monde de confondre liberté de circulation et d’installation. et que le gouvernement facilite ces déplacements. À propos de la liberté de circulation, elle a parlé de la Parallèlement, les immigrés clandestins qui travaillent au nécessité de mettre en place une autre politique sur développement du pays et qui payent des impôts ne sont les visas qui permettrait de limiter trafics et dérives. La pas les bienvenus. » Enfin, Mouloud Aounit se déclare question est complexe mais la vice-présidente de la LDH inquiet à la perspective des prochaines élections qu’il estime que la liberté de circulation devrait être naturelle. estime devoir être violentes. « Que vaut une démocratie « En revanche, il est illusoire de penser qu’une liberté si 30 % des citoyens d’une ville n’ont pas accès au vote d’installation sans contrôle est possible : l’installation ? », interroge-t-il. Et de conclure : « Le vrai combat à doit pouvoir se faire dans des conditions dignes et mener n’est pas un combat contre l’immigration mais conformes aux droits de l’homme. » Elle ajoute qu’il est contre la pauvreté. » L’Humanité, Claude Ravant, 23 septembre 2006

- 37 - 1984 - 2014 330 ANS0 « L’engagement associatif est nécessaire mais pas suffisant » SUR LE BUREAU de Naïma Charaï, au troisième étage du pour faire du social ». Elle n’avait jamais appris à faire de conseil régional d’Aquitaine, le rapport de l’Observatoire dissertation. « Les profs m’ont beaucoup soutenue. » Elle national des zones urbaines sensibles figure en première quitte la fac avec un DESS de psycho-socio en poche ! place. La jeune élue a participé à son élaboration dans A la suite d’un stage à Médecins du monde, elle intègre le cadre de l’Association des régions de France. Elle l’association humanitaire. Bénévole, à la recherche d’un connaît particulièrement bien ce dossier, et pour cause, emploi, elle vit dans la précarité, au RMI, hébergée chez c’est celui de sa vie. Quand elle est arrivée en France de des amis. Elle voit de plus en plus de jeunes femmes son Maroc natal, à l’âge de 4 ans, elle ne parlait pas un africaines ou d’Europe de l’Est arriver à Bordeaux pour mot de français. Elle venait rejoindre son père, ancien se prostituer. Elle crée une association pour les aider combattant en Indochine, ouvrier sidérurgiste à l’usine à « retrouver leurs droits fondamentaux », et devient Pont-à-Mousson de Fumel (Lot-et-Garonne). « Nous coordinatrice d’un réseau de soins pour toxicomanes. vivions avec mes neuf frères et soeurs dans une cité Le deuxième déclic se produit le 21 avril 2002. « J’ai HLM, un petit ghetto rural. J’ai eu une scolarité normale compris que l’engagement associatif est nécessaire pour une enfant issue de l’immigration... j’étais en échec mais pas suffisant, alors je suis entrée au PS », résume scolaire », résume-t-elle. Naïma. Un jour, elle rencontre dans un TGV le futur directeur de campagne du président du conseil régional « Acquérir le savoir » aquitain, Alain Rousset, qui lui propose d’être sur la liste des régionales. Depuis, elle se consacre exclusivement Il lui a fallu une brusque prise de conscience pour à son travail d’élue. Elle prépare un « programme de lutte renverser le destin. « Je me suis réveillée le jour où des contre les discriminations », et y propose notamment amies, qui étaient en lycée général, parlaient de philo. la formation des fonctionnaires sur ce sujet et le CV Une d’elles m’a dit de me taire parce que j’étais en LEP. anonyme pour leur recrutement au conseil régional. J’ai compris que j’étais dominée et que je le resterais Mais elle prévient : « Je ne veux pas qu’on m’exhibe pour toute ma vie si je n’acquérais pas le savoir. » Ce jour- dire que le modèle républicain fonctionne bien. Je suis là, Naïma décide de se réorienter. Après un BEP-CAP, un accident sociologique. » elle passe un bac pro, puis entre en fac de psycho « Aujourd’hui en France, Pierre Sauvey, 31 janvier 2006

- 38 - Guy Pervillé, historien : «on ne peut blâmer les harkis de porter plainte» L’historien Guy Pervillé, qui s’apprête à publier «Pour une histoire de la guerre d’Algérie» (Ed. Picard), estime qu’on «ne peut blâmer les harkis de porter plainte», dans un entretien à l’AFP.

Q - Que pensez-vous du dépôt de plainte contre favorable : ces crimes ont été commis après la guerre, en violation des accords d’Evian qui stipulaient que le X de harkis pour crimes contre l’humanité? gouvernement français et le FLN s’interdisaient toutes R - «Sur le principe, cette plainte n’est ni plus ni moins représailles. Je m’étonne que les auteurs des plaintes justifiée que les autres plaintes pour crimes contre fassent le silence sur ce point, ils se privent du meilleur l’humanité déposées récemment. C’est une mode argument juridique, car l’amnistie ne peut couvrir un très critiquable qui dévalue la notion de crimes contre crime qui viole les accords d’Evian. l’humanité, trop souvent utilisée à la place de «crimes de guerre», simplement parce que les crimes de guerre Q - Que pensez-vous du sort subi par les sont, eux, prescriptibles. harkis? Mais on ne peut blâmer les harkis. D’une part, on leur R - Les torts sont partagés, mais ceux qui ont voulu donne l’exemple, d’autre part, s’ils ne réagissent pas, ce massacre, ce sont tout de même les Algériens, c’est cela voudra dire que les seuls crimes contre l’humanité une contre-vérité que de dire que les Algériens sont les sont du fait de la France et contre les seuls Algériens liés exécutants des ordres français, cela n’est prouvé nulle au FLN. part. Il faut laisser à l’histoire le soin d’établir la vérité mais Mais je suis défavorable à une vague de plaintes pour c’est aux autorités politiques d’aider à la manifestation crimes contre l’humanité qui pourrait aboutir à une de cette vérité, dans tous les cas et pas seulement pour guérilla juridique et ne fera que rouvrir les plaies. le 17 octobre 1961 (manifestation pacifiste d’Algériens violemment réprimée à Paris, NDLR). D’une façon Q - Quelles chances ont ces plaintes d’aboutir? générale, il est aberrant qu’en France, la tendance prépondérante soit de considérer les harkis comme des R - Elles ne tiennent pas la route car elles comportent traîtres. Ils doivent être défendus en tant que Français des faiblesses historiques. Elles omettent un argument puisqu’on leur a dit à cette époque qu’ils étaient Français. AFP Infos Françaises, 30 août 2001

- 39 - 1984 - 2014 330 ANS0 Le dilemme harki POLITIQUE DE L’EMPLOI. Un projet de loi instaure des places réservées aux harkis dans l’administration. SOS Racisme critique, le Villeneuvois Boussad Azni justifie L’attaque est venue de là où on l’attendait peut-être le C’est dans les années 70, et notamment à Villeneuve, moins. La semaine dernière, SOS Racisme a vivement que la communauté a décidé de faire entendre sa voix. critiqué le plan emploi pour les harkis, annoncé voici trois Par des manifestations, d’abord, puis en se regroupant semaines depuis Agen. Le plan prévoit que 10 000 postes au point de former un puissant « lobby » électoral. « de l’administration seront réservés à la communauté D’abord on a demandé à pouvoir bénéficier des mesures harki, soit 3 000 emplois de catégorie B et C par an de travailleurs handicapés. Refusé. Ensuite, on a réclamé offerts aux enfants de harkis. Des emplois « réservés » d’être considérés comme des victimes de guerre. Mais qui n’étaient jusqu’alors attribués qu’aux militaires. Or, on nous a répondus que nous n’avions pas fait la guerre. pour Samuel Thomas, vice-président de SOS Racisme, Pourtant, nous en avons subi des conséquences. Les cette mesure relance « le scandale de la discrimination rescapés du 19 mars 1962 ont été mis dans des camps positive par catégorie ethnique et ethno-politique ». Des et leurs enfants n’ont pas eu droit à l’éducation qu’ont mots forts, prononcés mardi dernier, alors que le Sénat eue les autres jeunes Français », justifie Boussad Azni. venait d’adopter le principe en première lecture. C’est peut-être cette vision communautaire qui gêne SOS Racisme, association fondée dans les années 80, « Méthodes coloniales ». proche du PS, et qui a toujours pris ses distances vis- Pour l’association antiraciste, « l’enfant d’Algérien à-vis du « communautarisme ». « Il ne faut pas accepter victime de discrimination sera employé si son père était les discriminations et chercher à les compenser, au politiquement et militairement du côté de la France contraire, il faut combattre les discriminations dont sont », écrit Samuel Thomas dans un communiqué, qui victimes les enfants de harkis, comme on doit combattre ajoute : « La division au sein des populations victimes les discriminations dont sont victimes tous les enfants de discrimination raciale va ainsi être mise en place à la d’immigrés », ajoute le communiqué de Samuel Thomas. demande du président de la République. Nous assistons au rétablissement de méthodes de l’époque coloniale. » « Triple racisme ». Les mots sont forts. La réplique ne l’est pas moins : « « Nous, les harkis, avons été victimes d’un triple racisme, A cause exceptionnelle, mesures exceptionnelles. La réplique Boussad Azni. D’un racisme politique de la part France a su donner un fusil à nos parents, mais a été de certains qui estimaient que les harkis avaient trahi. incapable de donner un balai à leurs enfants », rétorque Du racisme classique, mais aussi d’un certain racisme Boussad Azni, un des leaders « historiques » de la de la part des populations immigrées. Je revendique le communauté harki de l’ancien camp de Bias. Depuis titre de communauté. » Le 14 mai prochain, ce sera à la présidentielle, le Villeneuvois Azni a été nommé « l’Assemblée nationale d’examiner le « plan emploi harkis conseiller chargé du monde combattant des harkis et », qui pourrait concerner 300 enfants de harkis en Lot- de la citoyenneté », auprès du secrétaire d’état Jean- et-Garonne, où la communauté est estimée à 3 765 Marie Bockel. personnes, principalement installées en Villeneuvois. Mais il demeure aussi président de l’association de Reste à savoir d’où viendront cette fois les attaques, si défense des rapatriés d’origine algérienne. Et c’est à ce attaques il y a dans l’hémicycle. « Pendant des années, titre qu’il s’exprime face à la position de SOS Racisme. nous ne nous sommes pas situés politiquement. Certes, « Cela fait 30 ans qu’on se bat pour décrocher une telle localement, il pouvait y avoir des préférences. C’est au mesure, rappelle Boussad Azni. Au début, il y avait 80 moment de la création du comité de liaison des harkis % de chômage dans la communauté harki en Lot-et- que nous avons décidé d’appeler à voter pour ceux qui Garonne. Aujourd’hui, le chiffre se situe entre 30 et 40 approuveraient notre charte. Aujourd’hui, on voit des % en France », explique l’ancien gamin du camp de Bias avancées, une visibilité de notre communauté dans les qui fréquente aujourd’hui les ministères. ministères. Ce plan est une avancée », conclut Boussad Azni, qui ne cache plus vraiment ses préférences Communautés. politiques. Sud Ouest, Nicolas Rebière, 6 mai 2008

- 40 - Ces immigrés qui ont fait le Sud-Ouest REPORTAGE La région est une terre d’immigration tempérée, plutôt accueillante, même si le sort de certains n’a pas toujours été enviable; IMMIGRÉ OU ÉTRANGER ? Les Vietnamiens du camp Exemple en Lot-et-Garonne La municipalité suit également la rénovation d’un autre camp, le Centre d’accueil des Français d’Indochine Le café s’appelle Le France. Un nom peut-être prédestiné (Cafi), ouvert en 1956 après la guerre d’Indochine. On y dans une commune pour le moins cosmopolite. Une a entassé à l’époque des Vietnamiens, tous asiatiques quinzaine de nationalités se sont succédé ou côtoyées d’origine mais français de nationalité, dans des conditions à Sainte-Livrade depuis la Première Guerre mondiale, pour le moins précaires. Une opération de relogement créant aujourd’hui un étonnant melting-pot dans cette a enfin débuté, dans de petites maisons neuves. Mais bourgade de 6 000 habitants du Lot-et-Garonne. Un les baraquements en dur d’origine sont toujours habités, modèle réduit de l’immigration de la région, en somme, presque comme dans les années 1950. sur 31 kilomètres carrés. André Forget a grandi dans ce centre d’accueil, entre Le France, donc, bistrot tranquille de la rue principale ses murs, où sa mère Anne est arrivée avec ses six de Sainte-Livrade. On est loin des Champs-Élysées, enfants en 1964. « On se douchait avec un tuyau, dit-il mais quelques commerces ont résisté aux difficultés en montrant un coin derrière des tôles ondulées. Mais j’ai économiques et à l’exode rural. Attablé devant un café, plutôt de bons souvenirs d’enfance. La vie était agréable. Laurent Boukhari sourit : « S’il n’y avait pas d’immigrés, Je n’ai véritablement été en contact avec l’extérieur qu’à ces commerces n’existeraient plus. Tout le monde le partir du moment où je suis allé au collège. » sait bien ici. » Ce fils de harki a fait sa place dans la Moment où son statut d’immigré lui a été renvoyé à la société. Il travaille au Conseil général et vante le modèle figure. On le traitait de « Chinois vert ». La plupart des d’intégration de sa commune. enfants du centre d’accueil ont quitté Sainte-Livrade. « Je ne vais pas vous dire qu’il n’y a aucun problème. André Forget est resté. Il est cadre dans une entreprise, Mais les gens ici se côtoient quelles que soient leurs élu d’opposition. « Je me sens tout à fait français, chez origines. Nous avons créé un festival de cinéma appelé moi. » Sa mère sort souvent, fait partie d’associations D’ici et d’ailleurs, et il y a eu longtemps une fête de de la commune. Elle s’est aussi intégrée. Une de ses l’amitié, où chacun amenait des plats traditionnels de voisines, une dame âgée, n’a en revanche presque son pays d’origine. » jamais quitté le Cafi et parle à peine français. Désormais, les habitants de Sainte-Livrade font leurs courses dans Fils de harkis les épiceries asiatiques du centre, assistent aux fêtes, participent au tournoi de football. Le Cafi ne fait plus La concorde semble effectivement régner à Sainte- peur. Livrade. Entre un bistrot, une pizzeria et une boucherie halal, le métissage se lit sur les visages. Il ne choque Une vie métissée également vantée par Marianca plus depuis longtemps. Mais cette forte proportion Vlemmings, agricultrice originaire de Hollande. Elle a d’immigrés n’a pas toujours été simple à gérer. Il y a créé une association (Les Gens accueillent les gens) quelques années, une insécurité galopante avait même pour aider les nouveaux arrivants dans leurs démarches. conduit la municipalité à instaurer un couvre-feu. « Tout le monde se mélange facilement. Mais le premier contact n’est jamais facile, surtout s’il y a la barrière de la « Pour les gens d’origine maghrébine, il y a quand même langue », explique-t-elle. un problème de difficulté à trouver un logement et du travail », explique Ahmed Loualiche, adjoint au maire, fils de harki venu du proche camp de Bias, de triste mémoire La langue oubliée et désormais fermé. « C’est effectivement une ville Il y a fort longtemps que les descendants d’immigrés cosmopolite, mais petite, et tout le monde se connaît. » Il italiens, très nombreux dans le département, ne a été le premier Maghrébin à siéger au Conseil. « C’était connaissent plus ce barrage linguistique. Ils se sont important pour tous les autres de se sentir représentés. totalement intégrés - l’un d’eux a même été maire -, » Des employés qui parlent arabe ont par exemple été oubliant pour la plupart leur langue d’origine. Mais il existe recrutés afin de faciliter les démarches des Algériens ou tout de même un jumelage avec l’Italie. En attendant Marocains de naissance. peut-être de futurs liens avec une ville polonaise ou roumaine. Ce sont les derniers immigrés en date, et

- 41 - 1984 - 2014 330 ANS0 les nouveaux ouvriers agricoles. Ceux qui ramassent nationalité étrangère à sa naissance, et qui vit en France. désormais les fraises, comme les Italiens, Espagnols, et Un étranger est une personne vivant en France de Marocains autrefois. nationalité étrangère. Les étrangers forment donc une Un immigré n’est pas nécessairement un étranger. C’est part des immigrés. simplement une personne qui est née à l’étranger, de Sud Ouest, Bruno Béziat, 12 novembre 2011 Vingt tableaux autour de l’immigration Visible jusqu’au 5 février, l’exposition intitulée « Toute la dramatiques événements de début janvier, cette France, histoire de l’immigration au XXe siècle « permet, exposition prend encore plus de sens : ainsi, avec sous la forme de 20 tableaux, de faire le point de façon l’aide de leurs professeurs, toutes les classes pourront chronologique sur toutes les populations qui ont rejoint appréhender et comprendre les différents mouvements le territoire national de 1880 à nos jours. migratoires qui ont façonné notre pays et ont abouti la diversité culturelle d’aujourd’hui. Cette exposition, conçue par la Ligue de l’enseignement et mise à disposition par l’association Alifs, est présente De la même manière, le collège Édouard-Vaillant a dans l’établissement scolaire dans le cadre d’un projet convié les élèves de CM2 et de seconde du secteur, pluridisciplinaire centré sur l’immigration à Bordeaux. soit les futurs et les anciens élèves, accompagnés de leurs enseignants, à venir visiter cette exposition dans Le jour du vernissage, Manuel Dias, le président du les jours prochains. « Parce qu’apprendre, c’est bien sûr Rahmi (Réseau Aquitain pour l’histoire et la mémoire comprendre «, souligne Séverine Huot, professeur de de l’immigration) était présent. Dans le contexte des français du collège. Sud Ouest, Alain Mangini, 29 janvier 2015

- 42 - Sommaire

Introduction...... 3

Biographies...... 5

Histoire de l’immigration en Lot-et-Garonne...... 9 Les communautés immigrées en Aquitaine au XXe siècle...... 11 Réseau Aquitain pour l’Histoire et la Mémoire de l’Immigration http://www.rahmi.fr/prog/h_XXe.php?destina=XXe

État de la population étrangère en Aquitaine en 1999...... 13 Tableaux économiques de l’Aquitaine, INSEE, 2005, p57 dans Au fil du temps n°14, Service éducatif des Archives départementales de Lot-et-Garonne, 2010

Les immigrés par sexe, âge et pays de naissance...... 13 INSEE, http://www.insee.fr/fr/themes/tableau_local.asp?ref_id=IMG1B&millesime=2011&typgeo=DEP&typesearch=territoire& codgeo=47&territoire=OK#infos-connexes

Les populations immigrées dans le Sud-Ouest...... 15 Sud Ouest, dans Ces immigrés qui ont fait le Sud Ouest par Bruno Béziat, 12 novembre 2011

En majorité d’origine européenne ...... 15 Tillinac Pierre, Sud Ouest, 13 avril 2004

Trois questions à Manuel Dias ...... 17 Tillinac Pierre, Sud Ouest, 13 avril 2004

Bias carrefour de l’histoire...... 18 Sud Ouest, Alexandra Tauziac, 17 mars 2012

L’intégration en Lot-et-Garonne...... 25 La révolte des fils...... 27 Sud Ouest, texte de Fabien Pont dans « Algérie les déchirures », hors série mars 2012

Les nouvelles voix de Génération harki...... 28 Sud Ouest, Nicolas Rebière, 23 juillet 2009

Poulet aux pruneaux...... 29 Sud Ouest, Serge Gabassi, 16 février 2008

La Région s’invite dans la rénovation du Cafi...... 30 Sud Ouest, Nicolas Rebière, 20 juillet 2009

Un camp au statut hors normes...... 31 Sud Ouest, 25 juillet 2009

Cafi : photos souvenirs...... 32 Sud Ouest, Nicolas Rebière, 25 juillet 2009

- 43 - 1984 - 2014 330 ANS0 L’immigration en Lot-et-Garonne, une question politique...... 35 Quelle immigration voulons-nous ?...... 37 L’Humanité, Claude Ravant, 23 septembre 2006

« L’engagement associatif est nécessaire mais pas suffisant »...... 38 Aujourd’hui en France, Pierre Sauvey, 31 janvier 2006

Guy Pervillé, historien : «on ne peut blâmer les harkis de porter plainte»...... 39 AFP Infos Françaises, 30 août 2001

Le dilemme harki...... 40 Sud Ouest, Nicolas Rebière, 6 mai 2008

Ces immigrés qui ont fait le Sud-Ouest...... 41 Sud Ouest, Bruno Béziat, 12 novembre 2011

Vingt tableaux autour de l’immigration...... 42 Sud Ouest, Alain Mangini, 29 janvier 2015

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