Référence de cet article : Okobé Noël DATRO et al. Les chasseurs-miliciens dans les guerres civiles en afrique : etude comparee des kamajors de et des dozos de cote d’ivoire (1991-2011). Rev iv hist 2018 ; 31 : 40-53.

LES CHASSEURS-MILICIENS DANS LES GUERRES CIVILES EN AFRIQUE : ETUDE COMPAREE DES KAMAJORS DE SIERRA LEONE ET DES DOZOS DE COTE D’IVOIRE (1991-2011)

Okobé Noël DATRO Enseignant-Chercheur Université Alassane OUATTARA de Bouaké (République de Côte d’Ivoire) [email protected] Adingra Magloire KRA Enseignant-Chercheur Université Jean Lorougnon GUEDE de Daloa [email protected]

RÉSUMÉ D’origine mandé et bambara-malinké, employés souvent comme supplétifs des policiers et de l’armée nationale, en Sierra Leone tout comme en Côte d’Ivoire, les Kamajors et les Dozos se sont constitués en milices armées d’auto-défense et à la solde du politique dès le déclenchement de la guerre civile dans les deux pays. Les Kamajors se sont d’abord consti- tués en milices d’auto-défense pour défendre leur région face à la rébellion du RUF de , à partir de 1991 et par la suite, se sont mis à la disposition du président Aladji Amad Tejan Kabbah de 1996 à 1998. Les Dozos quant à eux, sont connus pour leur implication armée dans l’accession au pouvoir du président Alassane Ouattara de 2002 à 2011. Ces combat- tants, renommés pour leur pouvoir mystique et leur invulnérabilité sur le terrain des hostilités, ont joué un rôle décisif dans la guerre civile en Sierra-Leone aussi bien qu’en Côte d’Ivoire. Les Kamajors et les Dozos sont ainsi passés du statut de chasseurs traditionnels à celui de milices armées à la solde du politique. Leur engagement militaire sur le terrain des combats a fait perdre à cette confrérie de chasseurs ses valeurs socio-culturelles indéniables à travers leur violation des droits de l’homme. Mots clés : Milices, chasseurs traditionnels, guerre civile, Kamajors, Dozos.

ABSTRACT The Kamajors and the Dozos, a brotherhood of traditional hunters of Mende and Bambara- Malinké origin, often employed as auxiliaries of the police and the national army, in Sierra Leone as well as in Côte d’Ivoire, Self-defense and political pay at the outbreak of the civil war in both countries. The Kamajors initially formed self-defense militias to defend their region in the face of the RUF rebellion of Foday Sankoh from 1991 onwards and later made themselves available to

40 © EDUCI 2018. Rev iv hist.2018 ; 31 : 40-53. ISSN 1817-5627 President Aladji Amad Tejan Kabbah of 1996 to 1998. The Dozos, for their part, are known for their armed involvement in the accession to power of President Alassane Ouattara of 2002 in 2011. These fighters, renowned for their mystical power and invulnerability in the field of hos- tilities, a decisive role in the civil war in Sierra Leone as well as in Côte d’Ivoire. The Kamajors and the Dozos have thus gone from the status of traditional hunters to that of armed militias in the pay of politics. Their military involvement in the field of combat has made this hunting brotherhood lose its undeniable socio-cultural values ​​through their violation of human rights. Keywords: Militia, traditional hunters, civil war, Kamajors, Dozos.

INTRODUCTION Les guerres civiles en Afrique provoquent la constitution de plusieurs catégories de groupes armés. A côté des forces gouvernementales, nous avons des civiles formés sur le tas et armés de circonstance, des mercenaires recrutés et déployés comme des « chiens de guerre »1, et enfin, des combattants se réclamant d’une identité commune qui se distinguent à travers leur appartenance à une confrérie de chasseurs2. C’est le cas des Kamajors en Sierra-Léone et des Dozos en Côte d’Ivoire. La confrérie des chasseurs traditionnels a joué un rôle social et économique très important dans la société traditionnelle Manding. Ainsi, d’après C. Youssouf, (1964, p.189.), « Défenseurs des villages contre les ennemis du dehors : guerriers, brigands, fauves, et les sorciers du dedans, les chasseurs constituaient l’élite de toute armée… Un rôle non moins important des dôso est celui de fournisseurs de viande, rôle qui prenait toute sa signification sociale lors des grandes famines qui effectuaient de temps à autre des coupes sombres dans les populations malinkés. » De ce fait, nous avons choisi d’insister sur le cas de la Sierra Léone et de la Côte d’Ivoire parce qu’à l’origine, les Kamajors du Sud-est3 de la Sierra Leone et les Dozos4 localisés au Nord de la Côte d’Ivoire sont des groupes d’origine Mandé-bambara qui se distinguent à travers leurs activités cynégétiques et sont organisés en confréries initiatiques. Par la suite, au nom de leur appartenance tribale, ils se sont constitués en des groupes armés à la solde du politique, tout en conservant leur tradition d’origine (tenues d’apparat, port d’amulettes etc.).

1 Expression désignant des mercenaires formés pour tuer sans état d’âme. 2 La Société des Chasseurs a une histoire très ancienne. Certains chasseurs parlent même d’une histoire millénaire, d’autres en font remonter l’origine « moderne » au XIIème siècle, à l’époque de l’apogée de l’Empire du Mandingue, cet État organisé qui étendit son influence sur la majeure partie de l’Afrique de l’Ouest. La confrérie des Chasseurs est une société initiatique; elle a traversé les siècles et elle est toujours vivante aujourd’hui. Elle montre un certain nombre de similitudes avec la Franc-Maçonnerie. La Charte du Manden aurait été proclamée en 1222 par Soundiata Keïta, fondateur de l’Empire du Mali, et ses pairs 27. Elle reste la référence majeure des sinbo, Grands Maîtres chasseurs du Manden. Les Chasseurs sont donc, en quelque sorte, les gardiens de cette Charte. Selon les leaders Dozos, Soundiata Keita aurait été membre d’une confrérie ésotérique de chasseurs. Il fut l’un des premiers rois en Afrique qui recourut aux services des membres de sa confrérie pour sa sécurité personnelle et pour la défense de son royaume compte tenue de leurs prétendus pouvoirs magiques. (Christophe Kougniazondé Dr, 2014, p.56). 3 Le District de Bo. (BCAH ONU, 2006, p. 23). 4 Les Dozos se démarquent notamment par le port d’armes traditionnelles de chasse de petit calibre ainsi que de multiples amulettes et cordelettes présumées les rendre invincibles et invulnérables aux balles, aux blessures par des objets contondants et à toutes sortes d’attaques mystiques. (ONUCI, 2013, p.10).

Référence de cet article : Okobé Noël DATRO et al. Les chasseurs-miliciens dans les guerres civiles en afrique : etude comparee des kamajors de sierra leone et des dozos de cote d’ivoire (1991- 41 2011) L’étude s’inscrit dans un cadre chronologique circonscrit : 1991 et 2011. L’année 1991 marque le début de la guerre civile en Sierra Leone, au cours de laquelle, la rébellion du RUF5 de Foday Sankoh se signale et cherche à renverser le régime du président Joseph Saidu Momoh au pouvoir depuis 1985. Tandis que l’année 2011, indique la chute du régime du Président Laurent Gbagbo, dans un contexte de crise post-électorale, sous la pression militaire de plusieurs groupes armés au nombre desquels les Dozos, proches du candidat Alassane Ouattara. Au regard de ces faits, l’on pourrait se demander comment les Kamajors et les Dozos sont-ils passés du statut de confrérie de chasseurs traditionnels à celui de miliciens armés à la solde du politique en Sierra Leone tout comme en Côte d’Ivoire entre 1991 et 2011? Pour répondre à cette problématique notre plan s’articule autour de trois parties: la première consiste à montrer les raisons de l’implication de ces chasseurs-miliciens dans les conflits armés des États sus-indiqués. La deuxième partie est consacrée à leur mode opératoire. Enfin, la troisième partie révèle les répercussions sociétales de leurs prestations armées.

I. LES MOTIVATIONS DE L’IMPLICATION DES KAMAJORS ET DES DOZOS DANS LES GUERRES CIVILES EN SIERRA LEONE ET EN CÔTE D’IVOIRE (1991-2011). Les chasseurs-miliciens se sont engagés militairement dans les guerres civiles en Sierra Leone et en Côte d’Ivoire pour des raisons ethnico-identitaires, politico- militaires et économiques.

1. Les revendications ethnico-identitaires Dans le conflit Sierra Léonais aussi bien qu’en Côte d’Ivoire, la question de l’ethni- cité6 a fortement attisé les tensions. et Alassane Ouattara font partie d’un espace géographique, ethnique et linguistique assez vaste, en Afrique de l’Ouest : les Mandé, Malinké-bambara, et Sénoufo. Aussi, les Kamajors et les Dozos partagent des traits ethnosociologiques et linguistiques communs. Tejan Kabbah et Alassane Ouattara portent des noms à consonance manding-bambara. Une telle affinité justifie le recrutement dans les zones respectives des Kamajors et des Dozos, lors de la guerre civile survenue dans ces deux pays. La sollicitation des milices Kamajors répond systématiquement à la volonté de Tejan Kabbah de protéger son pouvoir de la pression armée des combattants et mercenaires du RUF (Revolutionary United Front)7. Les chasseurs se virent de plus

5 Sankoh Foday (1937-2003), chef historique du Front Révolutionnaire Uni (RUF) est un des acteurs principaux de la guerre civile en Sierra Leone. Il a été arrêté à , le 17 Mai 2000. Il a été inculpé par le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone et l’ONU pour juger les responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis en Sierra Leone durant la guerre. Il meurt en 2003, pendant son incarcération. 6 L’ethnicité est un aspect des relations sociales entre les acteurs sociaux qui se considèrent et qui sont considérés par les autres comme étant culturellement distincts des membres d’autres groupes avec lesquels ils ont un minimum d’interactions régulières. (Marco Martiniello, 1995, p. 14). 7 Front Révolutionnaire Uni de Foday Sankoh.

42 © EDUCI 2018. Rev iv hist.2018 ; 31 : 40-53. ISSN 1817-5627 en plus « mandéifiés », ethnicisés en fonction des intérêts du gouvernement Kabbah, et protégés par le parti SLPP au pouvoir (sous contrôle mandé). (M. Ferme et J.-P. Warner, 2001, p.132). Par contre, en Côte d’Ivoire, l’intervention des Dozos est liée à la pseudo crise identitaire dont se sentaient victimes les ressortissants du Nord, suite au problème d’éligibilité du candidat Alassane Ouattara à cause de sa « nationalité douteuse »8. Cette affaire a été exacerbée par le concept« d’ivoirité »9 initié par le président Henri Konan Bédié. Mais bien avant, en 1991, paraît une Charte nordiste anonyme10, intitulée Le Grand Nord en marche, largement diffusée sous forme de tract, puis reprise en tant qu’extraits dans différents journaux. Elle se prononce, dès la première page, pour un « Grand Nord uni, fort, crédible, partenaire à part entière et arbitre des situations futures »11. En conséquence, « cette charte tire argument du sous-développement du Nord pour présenter les populations autochtones comme des individus exclus du développement par l’autorité politique suprême et tente de faire de semblable posture un ressort de mobilisation important ». (C. Sandlar, 2005, p.297-298). Le parti d’Alassane Ouattara, le RDR ( le Rassemblement des Républicains), composé pour la plupart des ressortissants du Nord s’est senti exclu du jeu politique ivoirien puisque son leader était traité « d’étranger »12 et de non éligible à la présiden-

8 Selon le président Henri Konan Bédié « A. D. Ouattara était burkinabé par son père et il possédait toujours la nationalité du Burkina Faso, il n’avait donc pas à se mêler de nos affaires de succession » (H. K. Bédié, 1999, p.147). Alassane Ouattara aurait des origines Burkinabés et pour cela, le conseil constitutionnel invalida sa candidature aux élections présidentielles de 2000 et aux législatives de 2001. 9 Le concept a été inventé par Bédié pour caractériser l’ivoirien dans sa vie sociale et culturelle. L’ivoirité est d’abord été conçue comme « une affirmation nationale ». En effet, le pouvoir a entrepris de se doter d’une nouvelle légitimité en proposant que la Côte d’Ivoire s’emploie de travail de réflexivité en déclinant fortement son identité dans le but apparent de s’auto promouvoir comme une nation mature capable de s’appuyer sur son histoire et sa diversité culturelle pour affronter les défis de la modernisation. Ce qui fut appelé ivoirité ou encore « l’esprit du nouveau contrat social du Président Henri Konan Bédié », conception qui sera mise en oeuvre par un cercle d’intellectuels et d’universitaires à travers la cellule universitaire de recherche et de diffusion des idées et actions politiques du Président Bédié (CUR- DIPHE). Ainsi, Le Président ivoirien HKB fait voter dès 1995, à l’Assemblée Nationale une loi obligeant tout candidat à la magistrature suprême à fournir la preuve qu’il était ivoirien de sang à savoir que ses deux parents étaient effectivement nés en Côte d’Ivoire. 10 FHB, déjà très affaibli, entra, après avoir pris connaissance de cette charte, dans une colère noire. Il ne réussit pas à en identifier formellement les auteurs. Plusieurs sources concordantes donnent Lamine Diabaté, dirigeant du RDR (Rassemblement des républicains, parti d’obédience libérale) et mari d’Henriette Diabaté, actuelle ministre de la Justice et secrétaire générale, comme l’auteur, ou du moins l’inspirateur de cette charte. Quant à Alassane Dramane Ouattara (ADO), au départ plutôt réticent, il se serait laissé convaincre de jouer le rôle de leader que d’autres, parmi lesquels son grand frère Gaoussou Ouattara, lui assignaient. 11 La problématique national-régionaliste initiée par la charte du Nord connut, en 1992, un « pic » séces- sionniste avec l’appel du chanteur Alpha Blondy en faveur de la « République des peuples du nord de la Côte d’Ivoire (Les Malinké, les Sénoufo, les Tagbana, les Djimini, les Lobi, les Mahouka, les Dioula, les Koulango etc.) ». Car : « Nous ne voulons plus faire partie de la république de Côte d’Ivoire après Houphouët-Boigny » et de manière prémonitoire : « Qui veut la paix prépare la guerre. » Le 4 décembre 2000, Le Patriote, soit la voix quasi officielle du RDR, anticipera également sur les événements en publiant une carte divisant la Côte d’Ivoire en deux moitiés, Nord et Sud ; le journal accusant le pouvoir d’avoir produit la coupure. La carte annonçait, exception faite de la partie Nord-Est, la zone d’occupation de la rébellion de septembre 2002 et incluait Bouaké, capitale du Centre, dans le Nord. 12 Alassane a toujours été considéré comme un burkinabé par la classe politique ivoirienne.

Référence de cet article : Okobé Noël DATRO et al. Les chasseurs-miliciens dans les guerres civiles en afrique : etude comparee des kamajors de sierra leone et des dozos de cote d’ivoire (1991- 43 2011) tielle. Eux-mêmes ressortissants du Nord de la Côte d’Ivoire, les Dozos ne se sont pas fait prier pour prendre les armes et soutenir le mouvement rebelle de Guillaume Soro dénommé le MPCI13 qui entend lutter contre « l’exclusion » des Nordistes.

2. Les motivations politico-militaires La Sierra Leone est fortement secouée par une guerre civile à partir de 1991, opposant la rébellion du RUF dirigée par Foday Sankoh au régime du président Joseph Saidu Momoh. Le pouvoir appelle à la résistance populaire et les chasseurs traditionnels Kamajors s’organisent en groupes d’auto-défense pour défendre leur territoire et protéger les populations civiles des incursions du RUF soutenus par la Lybie via le Burkina Faso, et par Charles Taylor du Libéria. Face à la menace, Valen- tine Strasser14 prend les rênes du pouvoir par coup d’État en 1992 et appelle à l’union pour garantir la paix et la sécurité du pays. Une transition est donc organisée de 1992 à 1996 avec en ligne de mire, l’orga- nisation d’élection démocratique et transparente en vue de mettre fin à la crise politi- co-militaire. Cependant, le RUF de Foday Sankoh s’oppose à toute forme d’élection démocratique dans le pays, se mettant du coup, en marge du scrutin présidentiel qui voit l’élection de Tejan Kabbah à la tête du pays en 1996. Dès lors, le RUF continua en vain ses pressions militaires en vue de déstabiliser le régime de Tejan Kabbah. Les forces armées loyalistes, étant incapables d’apporter une riposte à la hauteur de la menace du RUF, le gouvernement décida donc de se tourner vers les chasseurs traditionnels Kamajors devenus, pour la circonstance, des chasseurs-miliciens pour mener la résistance armée. Sous la direction de , les Kamajors ont été utilisés par le président Ahmed Tejan Kabbah en 1996 pour remplacer les mercenaires15 comme force de sécurité du gouvernement, appelée Forces de Défense Civile (CDF). A l’opposé du cas Sierra léonais, la rébellion du MPCI conduite par Guillaume Soro était fortement composée de Dozos, depuis 2002 pour évincer le régime du président Laurent Gbagbo. A la différence des Kamajors, les Dozos ont été mobilisés pour servir la cause de la rébellion armée. En effet, le général Robert Guéi accède au pouvoir par coup d’État en 1999. En 2000, un référendum est organisé pour régler la question d’éligibilité à la présidentielle.

13 Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire. 14 Le 29 avril 1992, le général Momoh est renversé par des officiers rebelles qui installent un Conseil national provisoire de gouvernement (NPRC) dont le capitaine prend la tête, deve- nant à l’âge de 26 ans le plus jeune chef d’Etat du monde. L’état d’urgence est déclaré et certaines dispositions de la Constitution suspendues. 15 « Executive Outcomes » qui est devenu « Sandline International », ayant contribué à former le noyau des forces armées légalistes jusque-là.

44 © EDUCI 2018. Rev iv hist.2018 ; 31 : 40-53. ISSN 1817-5627 Le problème du « et » et du « ou » était au centre du débat par rapport à l’article 35 de la constitution ivoirienne16. Finalement, le « et »17 fut adopté, et du coup, la candida- ture du candidat Alassane Ouattara du RDR fut rejetée par le conseil constitutionnel à l’élection d’Octobre 2000. Ses partisans majoritairement originaires du Nord, comme nous l’avons souligné plus haut, ont crié à l’injustice et à l’exclusion de leur mentor. Par la suite, Le candidat Laurent Gbagbo est élu président de la république dans des conditions difficiles, car le président sortant, leénéral G Robert Guéi, voulut se maintenir au pouvoir malgré sa défaite, lors du scrutin présidentiel. Deux ans plus tard, un coup d’État militaire manqué se mua en rébellion, à partir du 19 Septembre 2002. 1. Ainsi, la question de l’éligibilité de tous les candidats faisait partie des reven- dications18 de la rébellion dirigée par Soro Guillaume, proche d’Alassane Ouattara. La mobilisation des Dozos originaires du Nord au compte de ce mouvement rebelle répondait à la volonté du RDR de mettre fin à l’exclusion de leur chef.

3. Les motivations économiques Le Sud-est de la Sierra Leone, zone d’installation des Kamajors, est riche en ressources minières, surtout en diamant19. Une guerre civile déchire le Libéria voisin depuis 1989 et se signale aux frontières de la Sierra Leone. Elle est menée par Charles Taylor contre le pouvoir de Samuel Doe20. L’intensité et le besoin de financement de la guerre pour Charles Taylor le poussent à se rallier au RUF de Foday Sankoh de la Sierra Leone. Ainsi, à la demande de Charles Taylor, des mercenaires libériens, burkinabé et sierra léonais, regroupés au sein de Revolution United Front (RUF), attaquent, sous la conduite de Foday Sankoh, deux localités des Kamajors, à savoir Koindu et Koidu, dans le District de BO, pour s’emparer des gisements diamantifères, afin de financer sa rébellion. (Le Parisien, 2012, p. 12)21. Face à cette agression extérieure, les Kamajors s’invitent dans le conflit car, pour

16 L’article 35 de la Constitution ivoirienne stipule que : « Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Il n›est rééligible qu›une fois. Le candidat à l›élection présidentielle doit être âgé de quarante ans au moins et de soixante-quinze ans au plus. Il doit être ivoirien d›origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d›origine. Il doit n›avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne. Il ne doit s›être jamais prévalu d›une autre nationalité ». 17 Le choix du « et » stipule que le candidat aux élections présidentielles doit être de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine. 18 Le MPCI demande le bannissement de l’ivoirité, de l’exclusion et de la xénophobie», sous toutes leurs formes, et le « règlement définitif du contentieux sur la citoyenneté et la nationalité ivoirienne.« Version tropicale de la préférence nationale. Pour les promoteurs de cette pensée nauséeuse nauséabonde, il s’agissait de faire des immigrés le bouc émissaire de leurs malheurs. Et comme les Burkinabè et les Maliens ne suffisaient pas à assouvir leur soif de haine, c’est jusqu’à leurs concitoyens du Nord que s’est étendue leur vindicte ». (G. Soro, 2005, p.13). 19 Turbouska AGATA, Les diamants furent la cause de la guerre civile en Sierra Leone, http : // www. un.org/french/ peace/ africa, diamant.htm, site visité le 30 Octobre 2008 et le 21 Septembre 2016. 20 Coller et Hoeffel, cités par William RENO, « La salle petite guerre du Libéria » in Politique africaine, n°88, Décembre 2002, p67-68. 21 Le Parisien, Dix ans d’une guerre atroce, http / www. Le parisien, site visité le 30 Mai 2012 et le 18 Janvier 2016.

Référence de cet article : Okobé Noël DATRO et al. Les chasseurs-miliciens dans les guerres civiles en afrique : etude comparee des kamajors de sierra leone et des dozos de cote d’ivoire (1991- 45 2011) eux, ces gisements miniers constituent leur patrimoine qu’il faut protéger des attaques du RUF. La conséquence immédiate d’une telle situation est la naissance d’un climat de tension sans précédent entre les deux parties. Dès le déclenchement de la guerre, l’exploitation du diamant avait un caractère sporadique et individuel. Mais en 1995, le RUF et ses rebelles ont manifestement commencé à s’y intéresser et la réplique des Kamajors, par la suite, a escaladé le risque de violence. (A. L. Bagnon, 2009, p.74)22. A la différence de la Sierra Léone, aucun alibi économique vertical n’a servi de prétexte à la transformation d’une confrérie de chasseurs traditionnels en une milice armée rebelle à la solde du politique en Côte d’Ivoire. Cela, parce que le Nord ivoi- rien n’a jamais été délaissé économiquement par les différents régimes qui se sont succédé depuis le règne du président Houphouët Boigny jusqu’à celui du président Laurent Gbagbo. Mais au contraire, le père de la nation, le Président Félix Houphouët Boigny du PDCI-RDA (Parti Démocratique de Côte d’Ivoire, section du Rassemblement Démo- cratique Africain), avait autour de lui, d’éminents cadres originaires du Nord du pays et beaucoup d’investissements23 ont été faits dans cette zone pour résoudre les pro- blèmes de disparités régionales. Comparativement aux régions du Sud forestier, les conditions climatiques du Nord de la Côte d’Ivoire étaient défavorables aux cultures agricoles qui ont constitué le moteur de l’économie de la Côte d’Ivoire: en occurrence le café, le cacao et le palmier à huile24.

II. LE MODE OPÉRATOIRE (1996-2011) Le mode opératoire se décline en trois phases : le recrutement, le redéploiement et le convoi des chasseurs traditionnels-milices kamajors et dozos sur le terrain des hostilités.

1. Le recrutement et la formation des chasseurs-miliciens kamajors et Dozo Dans la plupart des cas, pour la mobilisation des combattants, les ‘’dozoba’’25 sont sollicités qui, à leur tour, convoquent des ‘’tons’’26, selon les principes du ‘’dozoya’’27. Au cours des rencontres, le besoin militaire est exprimé, comme le confirment, les propos de Dembélé Cissé: « Kassoum Touré, dozoba de Povogo, Coulibaly Gberna, celui de Dagbakpli et moi- même chef des Dozo installés à Bouaké avons été choisis pour recruter les plus jeunes de la confrérie pour aller combattre à Abidjan contre le

22 Abel Lobly BAGNON, op.cit. p74. 23 Au Nord du pays, l’Etat crée dès 1963 des structures d’encadrement dont la Compagnie française pour le Développement du textile (CFDT) devenue en 1974, la Compagnie Ivoirienne pour le Développement des textiles (CIDT), afin d’accroître la production du coton. Par ailleurs, d’autres cultures de rentes sont introduites, telles que : l’anacarde, la canne à sucre etc. (L. E. Settié, 2014, p.477). 24 Le régime de palme passe de 298.121 tonnes en 1960 à 1.083.259 tonnes en 1980. 25 ‘’Dozoba’’ : Les confréries des Kamajors et des Dozo sont hiérarchisées mais homogènes au niveau seulement de chaque pays. Et à la tête de chaque confrérie, se trouve le vieux dozo, l’ancien âgé au moins de 50 ans. Il est le garant de la confrérie et s’occupe de l’initiation des plus jeunes au ‘’dozoya’’. 26 ‘’Tons’’: Ce sont des rencontres annuelles organisées entre tous les Dozo d’un même pays. Ces ren- contres ont lieu pour évaluer le fonctionnement de la confrérie, pour des rituels mystiques et pour des actions de solidarité et de bienfaisance. 27 ‘’Dozoya’’ : c’est le fait de pratiquer le phénomène du dozo ; c’est-à-dire, le fait d’appartenir à la confrérie des Dozo et vivre selon les principes et règles fondamentaux qui régissent son fonctionnement.

46 © EDUCI 2018. Rev iv hist.2018 ; 31 : 40-53. ISSN 1817-5627 pouvoir de Laurent Gbagbo, dans la nuit du 18 au 19 Septembre 2002 »28. Quant à leur formation, elle se déroule en deux phases: une formation militaire clas- sique et une formation mystique. La première phase est confiée à des organisations internationales privées et à des militaires d’origine mandé ou bambara-malinké enga- gés dans les armées nationales ou en disgrâce avec les autorités gouvernementales. La seconde revient à des dozoba et à des garants des pouvoirs mystiques au sein de ces confréries; ce qui donne une dimension mystique aux crises politico-militaires qui ont secoué la Sierra Leone et la Côte d’Ivoire entre 1991 et 2011. Pour la formation militaire classique des Kamajors en Sierra Leone, Tejan Kabbah a eu recours à deux groupes étrangers, notamment des Britanniques et des Sud- Africains. C’est ce que rapportent Bavuga et les travaux d’enquêtes du groupe des émissaires du Président Henri Konan Bédié29, médiateur de la crise. D’ordinaire, l’Angleterre a toujours favorisé le développement des compagnies privées de sécurité pour l’entrainement des mercenaires et pour leur déploiement au gré des intérêts du Foreign Office. Les compagnies anglaises de sécurité privées sont le plus souvent, placées sous la direction des officiers supérieurs de l’armée nationale à la retraite. En procédant ainsi, les gouvernements successifs anglais se mettent à l’abri des poursuites judiciaires. C’est dans ce cadre que des mercenaires de Gurkhas et Sandline International30 sont envoyés en mission de formation et d’encadrement des Kamajors. A l’image de la société britannique et pour la même mission, l’entreprise de sécurité privée sud- africaine EO31 a été sollicitée par le Président Kabbah. Son fondateur, Eeben Barlow est un ancien des escadrons de la mort de la SADF, soutient Bavuga32 . En Côte d’Ivoire par contre, depuis le début des troubles, des centaines de combat- tants dozos, auxquels on prête des pouvoirs magiques, seraient venus du Burkina et du Mali pour soutenir leurs « frères » ivoiriens. (R. Banégas, B. Losch, 2002, p.145). La formation militaire a été l’affaire des militaires originaires du Nord du pays en état de disgrâce avec les autorités gouvernementales. Des militaires burkinabés ont aussi participé à la formation des Dozos, dont le pays a servi de base arrière à la rébellion. Au Burkina Faso, par exemple, la ville de Niangoloko, dans le Sud du Pays, a servi de base à la formation des chasseurs-miliciens33. Le volet de la formation mystique et spirituelle des mercenaires a été confié aux ‘’dozoba’’. Cette seconde phase de formation a reposé sur des rituels mystiques dans des endroits sacrés, interdits aux plus jeunes et aux non-initiés. Elle a été aussi 28 Entretien avec Dembélé Cissé, Bouaké 21 Septembre 2016. 29 Léandre BAVUGA, Op.cit, site visité le 27 Août 2O10/ Fraternité Matin du 23 Septembre 1995, n° 1242, p 4-5. 30 Sikhs et Gurkhas sont des alliés des Britanniques qui constituèrent au service de la Grande Bretagne des corps de troupes de grande valeur. Ils participent à la victoire des Britanniques lors des révoltes des Cipayes et dans les autres colonnes britanniques. Ils servaient des régiments exclusivement gurkhas. Sandline International est une société fondée par Timothy Spicer, un ancien officier supérieur de la Grande royale, héros de la guerre des Malouines et ancien porte-parole des forces de l’Onu, à Bosnie. 31 EO, est une société née, suite à la dissolution du 32e Bataillon, dès l’arrivée au pouvoir de Nelson Mandela, en Afrique du Sud, vers la fin de l’Apartheid. 32 Léandre BAVUGA, idem, site visité le 27 Août 2010. 33 Dembélé Cissé, Bouaké 21 Septembre 2016.

Référence de cet article : Okobé Noël DATRO et al. Les chasseurs-miliciens dans les guerres civiles en afrique : etude comparee des kamajors de sierra leone et des dozos de cote d’ivoire (1991- 47 2011) minutieusement préparée et s’est déroulée dans la discrétion la plus absolue pour des questions de stratégies militaires.

2. Le redéploiement des mercenaires kamajors et dozos Plusieurs méthodes ont été utilisées pour le redéploiement des mercenaires Kamajors et Dozos. Les voies maritimes, terrestres, ferroviaires et la voie aérienne ont servi à leur redéploiement. En Sierra Leone, le transport de ces combattants a été assuré par la CEDEAO34 et par des compagnies privées de sécurité britanniques et sud-africaines précédemment désignées. En Côte d’Ivoire, les Dozos ont été convoyés sur l’ensemble du territoire national par des groupes de transporteurs terrestres. Les engins motorisés à deux roues ont aussi servi de déplacement aux mercenaires. En outre, l’ONU s’est invitée dans la crise par l’appui logistique militaire aux milices pro-ouattara dont les Dozos. M. Miran-Gueyon (2015, p.211) signale explicitement que les Dozos ont été effectivement appuyés par des forces militaires extérieures pour des tâches ou missions spécifiques à accomplir.

3. Les missions spécifiques des Kamajors et des Dozos dans la guerre civile En Sierra Leone et en Côte d’Ivoire, l’évolution de la situation politique n’était guère la même. Les Kamajors ont lutté au côté de leur leader pour la restauration de son pouvoir perdu par un coup d’État militaire en 1997, alors que les Dozos ont soutenu Alassane Ouattara pour qu’il accède au pouvoir d’État. Dans le premier cas, le soutien des Kamajors à Tejan Kabbah passait nécessairement par la protection des gisements diamantifères du District de BO convoités par les RUF. Il a été aussi question d’apporter un appui militaire à l’ECOMOG et à l’armée nationale en pleine déconstruction, dans un climat sociopolitique de tension. Ainsi, « de Daru, les Kamajors et l’ECOMOG continuent leurs marches victo- rieuses vers Waterloo, à 30 Km au Sud-est de Freetown, Massiaka à 60 km, à l’Est et vers Bo, à 170 km, à l’Est de la capitale, reprise déjà par un détachement spécial composé essentiellement de Kamajors» (S. Hormer, 2001, p. 65). Dans le second cas, les Dozos ont eu une mission bien définie: occuper simul- tanément hameaux, villages et villes sur l’ensemble du territoire national, aux côtés des différents groupes rebelles constitués, tels que leMPIGO (Mouvement Patriotique Ivoirien pour le Grand Ouest), MPCI (Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire), FLGO (Front de Libération du Grand Ouest) et MJP (Mouvement de la Jeunesse Patriotique). Il leur fallait créer un climat de panique, de traumatisme et de peur aussi bien chez les populations civiles que chez les militaires, afin de s’emparer du pouvoir de Laurent Gbagbo déjà affaibli politiquement, économiquement, militairement et diplomatiquement.

34 La CEDEAO (Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest) a joué un rôle prépondérant dans le transport des Kamajors, en Sierra Leone, pendant la crise. L’ECOMOG, la branche armée de la CEDEAO a eu une mission bien spécifique, celle de restaurer le pouvoir du Président Tejan Kabbah déchu par un coup d’État militaire. Pour ce faire, il s’est établi une collaboration militaire entre elle et les mercenaires kamajors.

48 © EDUCI 2018. Rev iv hist.2018 ; 31 : 40-53. ISSN 1817-5627 Le rôle capital des Dozos au côté d’Alassane Ouattara est reconnu et évoqué par l’ex-cadre de la mission de l’ONU en Côte d’Ivoire, la suisse Aurélie Furchsle, le 16e témoin de la Procureure Ben Souda, dans le procès Laurent Gbagbo et Blé Goudé, à la Cour Pénale Internationale: « J’ai entendu parler et vu des hommes du Nord armés avec Kalach et des machettes, des couteaux, des fusils à deux coups, vers fin février début mars, j’ai vu desDozo aussi, j’ai vu ces Dozo quand je suis allée en mission à Anokoua-kouté et ils ont dit qu’ils venaient du Nord »35. M. Miran-Guyon (2015, p.91) revient sur ces faits, lorsqu’elle rapporte dans ses écrits les propos de Chérif Ousmane : « Les chasseurs traditionnels constituent la principale force des soldats de la rébellion depuis le 19 Septembre ». Elle rappelle aussi ceux du chef Bamba, commandant dozo de la CGL (Compagnie des Guerriers de la Lumière) à Bouaké : « Ce sont les Dozos qui ont commencé la rébellion ». (M. Miran-Guyon, p.92).

III. LES CONSEQUENCES DE L’INTERVENTION DES KAMAJORS ET DES DOZOS DANS LES GUERRES CIVILES EN SIERRA LEONE ET EN CÔTE D’IVOIRE. L’intervention des Kamajors et des Dozos a eu un impact considérable aussi bien en Sierra Leone qu’en Côte d’Ivoire. Elle a d’abord entrainé la perte des valeurs socio-culturelles reconnues à ces confréries et la question de ces chasseurs-miliciens devient un problème de sécurité publique et de cohésion sociale.

1. La perte des valeurs socio-culturelles Les confréries des Kamajors et des Dozos regorgent des valeurs culturelles, sociales et religieuses inestimables36. Mais avec la fin officielle de la guerre en -jan vier 2002, les Kamajors ont perdu en reconnaissance sociale en Sierra Leone (M. Ferme et D. Hoffman, 2002, p.33). Rappelons qu’au sein de la confrérie, le profane n’a pas sa place. Toute la vie est rythmée et régulée par des rituels, des totems et des interdits, facteurs de cohésion sociale. Guyon insiste sur ces faits : « Au-delà de la brousse, la dozoya exige aussi du Dozo qu’il se mette au service de la sécurité et de l’harmonie sociale de sa communauté villageoise étatique »37. Elle va plus loin dans son analyse en citant l’écrivain Ahmadou Kourouma : « Toutes les luttes pour la liberté dans le monde bambara, malinké, sénoufo, des peuples de la savane ont été initiés par les chasseurs »38.

35 Ferdinand BAILLY, Coalition ONUCI-Commando invisible, in Le Temps, n° 3886 du mercredi 21 Septembre 2016, p5. 36 On apprend que les chasseurs furent les premiers à s’élever contre l’esclavagisme. Ils furent de tout temps et sont encore aujourd’hui protecteurs et guérisseurs; ils veillent à la sécurité de la communauté. Défenseurs des valeurs traditionnelles, ils revendiquent l’équité et s’insurgent contre la corruption et la perte des principes moraux. Les chasseurs de l’Afrique de l’Ouest constituent une force profondément ancrée dans le tissu social rural et jouant un rôle non négligeable dans la préservation des équilibres, le soin et la protection des populations. Ils mettent au service de leurs semblables un savoir acquis par initiation. (Christophe Kougniazonde Dir, 2014, p.55). 37 Marie Myran-GUYON, ibidem 38 Marie Myran-GUYON, supra

Référence de cet article : Okobé Noël DATRO et al. Les chasseurs-miliciens dans les guerres civiles en afrique : etude comparee des kamajors de sierra leone et des dozos de cote d’ivoire (1991- 49 2011) Cependant, il ne fait aucun doute que les Kamajors ont commis de nombreuses violations des droits de l’homme pendant la guerre (M. Ferme et D. Hoffman, 2002, p.34). Après la guerre, le processus de désarmement des Kamajors s’est fait partiel- lement. Nombreux sont retournés dans leurs familles respectives avec des armes comme butin de guerre, provoquant ainsi l’affaiblissement de l’autorité du dozoba, au sein de la confrérie. Les Kamajors non démobilisés, une fois de retour après la guerre, pensent toujours étendre leur commandement aux chefs traditionnels locaux de leurs communautés. Les combattants Kamajors et Dozos ont considérablement participé à la violation des droits de l’homme à travers le massacre des populations civiles, provocant des traumatismes importants. En Sierra Leone par exemple, I. Beach (2007, p.54) 39 signale que « les expéditions menées par les Kamajors, sur l’ensemble du territoire national, ont coûté la vie à environ 6.000 civiles, en 1999. Les Kamajors se sont livrés à toutes sortes d’atrocités contre les civiles ». D’après Human right watch (1999, p.18)40, « la pratique de la mutilation et particulièrement de l’amputation des mains, bras et jambes était répandue. Les Kamajors ont utilisé des haches, machettes et couteaux ». En Côte d’Ivoire, selon le Rapport de l’ONUCI et de l’OHCHR (2013, p.19), « A la lumière des informations et témoignages concordants recueillis auprès de multiples sources, l’équipe confirme qu’au moins 228 personnes, à savoir 218 hommes, cinq femmes et cinq mineurs âgés de 7 à 17 ans, ont été tuées par des Dozos entre mars 2009 et mai 2013, principalement par balle de type calibre 12 et à coups de machette ».

2. L’insertion sociopolitique des Kamajors et des Dozos : Un problème de sécurité publique et de cohésion sociale post-conflit. L’action des Kamajors et des Dozos dans la guerre civile en Sierra Leone aussi bien qu’en Côte d’Ivoire a jeté le discrédit sur la question de l’existence d’un groupe paramilitaire rattaché à une confrérie initiatique dans un État de droit. Par exemple, la promotion des cadres Kamajors au sein de la grande muette a été mal perçue par la hiérarchie militaire sierra léonaise entre 1996 et 1997. Raison pour laquelle, l’armée organisa la destitution du Président Tejan Kabbah suivie de l’arrivée au pouvoir de Johnny Paul Koroma41. En Côte d’Ivoire aussi, la promotion des chefs dozos dans le tissu social reste un problème fondamental de droit public, en ce sens que leur statut de chasseurs traditionnels a été terni par leur implication armée aux côtés d’un leader politique. Pis, une catégorie spontanée de Dozos a vu le jour dès la fin de la crise post-électorale de 2011, lorsque des allogènes non Dozos à l’origine ont adhéré massivement à la confrérie, par opportunisme et pour se protéger contre l’agresseur autochtone. Aussi, d’après les enquêtes menées par l’équipe de C. Kougniazondé (2014, p.185), « Il n’est pas exagéré de penser que les Dozos aient sans doute eu leur part 39 Ismael BEACH, A long way gone: memoirs of children soldier, London, Sarah Crichton Books, 2007, 133p. 40 Huma Rights Watch, ‘’ La guerre en Sierra Leone, les réfugiés de guerre’’, rapport d’enquêtes, n°5 du 12 décembre 1999. 41 Le 25 mai 1997, un coup d’Etat renverse le gouvernement. Le pays est sous le contrôle du Conseil révolutionnaire des forces armées (AFRC) dirigé par .

50 © EDUCI 2018. Rev iv hist.2018 ; 31 : 40-53. ISSN 1817-5627 du gâteau qu’ils ont aidé à conquérir. Ils sont visibles, partout, avec leurs « gris-gris » et leurs fusils de chasse de type traditionnel… » Le rôle joué par les Dozos pendant la crise et la reconnaissance dont ils jouissent auprès des pouvoirs publics et des forces de l’ordre ont contribué à changer le rap- port de force avec les autochtones. Selon les propos d’un chef de village dans la région du Lôh-Djiboua42, les Dozos « ont pris la grosse tête. Ils disent que le pouvoir a changé de camp et qu’ils sont maintenant en position de force (...) ; Ils s’estiment au-dessus de la loi et affirment à qui veut l’entendre qu’ils n’ont de compte à rendre qu’au Président Alassane Ouattara (..) ; Ils ne respectent pas le chef de village… ». (ONUCI et OHCHR, 2013, p.14). Par ailleurs certains délinquants se déguisant en tenue dozo commettent souvent des actes criminels comme le signale J. Hellweg (2006, p.9) : « il faut aussi souligner que certains auteurs d’actes criminels portent des tenues des forces de l’ordre ou des chasseurs traditionnels Dozos afin de tromper leurs victimes et de brouiller les pistes ». L’existence de chasseurs-miliciens armés pose désormais un problème de sécurité publique et de cohésion sociale.

CONCLUSION La Sierra Leone et la Côte d’Ivoire ont connu de 1991 à 2011, des crises poli- tico-militaires profondes. Les confréries de chasseurs des Kamajors et Dozos ont pris une part active dans le jeu politique de ces États. Les Kamajors ont défendu le régime du Président Ahmad Tejan Kabbah contre la rébellion du RUF dirigée par Foday Sankoh. De même, En Côte d’Ivoire, les Dozos ont combattu pour le candidat Alassane Ouattara à travers la rébellion du MPCI dirigée par Guillaume Soro depuis 2002, jusqu’à la prise du pouvoir du Président Alassane Ouattara en 2011, face au Président sortant Laurent Gbagbo. L’entrée en scène de ces chasseurs-miliciens sur la scène politique a considéra- blement provoqué l’escalade de la violence et la fracture sociale, mettant ainsi en mal les principes fondamentaux de l’État de droit. Du statut de chasseurs traditionnels, garants de la paix sociale au sein de leurs sociétés respectives, ces combattants se sont transformés en groupes armés à la solde du politique, entrainant de ce fait, la perte des valeurs culturelles ancestrales de la confrérie. Cette étude comparée de la question des chasseurs traditionnels devenus milices armées à la solde du politique nous a permis de comprendre qu’en réalité, l’engagement de ces chasseurs traditionnels déguisés en milices armés sur fond identitaire, est tout simplement le prolongement de l’épineuse question d’ethnicité dans les conflits armés en Afrique.

42 Le Lôh-Djiboua désigne la région de Divo située au Sud-Ouest de la Côte d’Ivoire, dont les autochtones sont en majorité les Dida, ethnie favorable au président Laurent Gbagbo.

Référence de cet article : Okobé Noël DATRO et al. Les chasseurs-miliciens dans les guerres civiles en afrique : etude comparee des kamajors de sierra leone et des dozos de cote d’ivoire (1991- 51 2011) REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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