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dirigée par Jacques GOUDET Professeur d Italien Doyen de la Faculté des Langues de l'Université Jean Moulin - LYON III

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Bibliothèque

A paraître

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Documents

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LES HOMMES ET LES LETTRES

Collection dirigée par Jacques GOUDET

Jean-Pierre PETIT Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure Professeur à l'Université Jean Moulin (LYON III)

L'œuvre d'Emily Brontë LA VISION ET LES THÈMES

III

1977

Editions L'HERMÈS 31 rue Pasteur 69007 LYON Dépôt Légal - Septembre 1977 Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays AVANT-PROPOS

Les références critiques et les notes ont été réduites au minimum. Prière de se reporter à la Bibliographie, où se trouve le titre complet des ouvrages cités. Les références à (WH) comportent des chiffres romains pour les chapitres, arabes pour les pages. Par exemple: XII, 163. Il s'agit de l'édi- tion Daiches (Penguin), qui reproduit le texte d'Emily Brontë, non revu par sa sœur. Les poèmes sont désignés par un H suivi d'un nombre (p, ex: H.83). Il s'agit du numéro dans l'édition Hatfield (v. Bibliog.). Les «Birthday Fragments» sont reproduits dans F. Ratchford, Gondal's Queen, et les devoirs de français d'Emily Brontë dans la biographie de W. Gérin (v. Bibliog.). Le présent ouvrage ne concerne pas la vie d'Emily Brontë, ni les influences littéraires. V. pour cela les études de J. Hewish, et surtout J. Blondel (Emily Brontë). Pour avoir un aperçu de la critique brontëenne présente et passée, on peut se reporter aux anthologies critiques de Miriam Allott (Casebook et Critical Heritage), ainsi qu'à la mienne (Penguin).

INTRODUCTION

Emily Brontë a conquis la célébrité à l'aide d'un seul roman publié en 1847, dont le succès, très modeste au départ, n'a jamais cessé de s'amplifier, surtout depuis le XXème siècle. Wuthering Heights ne peut pas être assimilé aux romans de son temps. On peut dire, en un sens, que c'est une survivance du romantisme à l'époque victorienne — à condition d'ajouter que le romantisme n'avait rien produit de semblable. Wuthering Heights ne peut guère se comparer qu'aux légen- des d'amour et de mort — dont il fait partie — avec pourtant ceci de particulier: le mystère qu'il suscite et le souvenir qu'il laisse ne sont pas seulement dûs à l'in- tensité et à la démesure, mais à l'évocation d'un décor nordique d'une extraordi- naire présence, dont l'austérité ou la simplicité concrète n'ont vraiment rien d'éche- velé. C'est même l'équilibre entre la dimension mythique et l'humble naturel de la servante-narratrice qui crée la perfection énigmatique de ce roman. Emily Brontë avait également publié avec ses deux sœurs un recueil de poèmes (en 1846), et elle s'y révèle comme un des poètes importants du XIXème siècle. D'autres ont été rassemblés depuis. C'est là l'autre partie de l'œuvre — plus inéga- le, mais avec des réussites de génie. Hormi cela, on ne possède que quelques frag- ments de journal et sept devoirs de français écrits à Bruxelles. La vie d'Emily Brontë est aussi une énigme, d'autant plus tenace que les faits sont rares et la romancière absente de son roman (in propria persona, cela s'en- tend). Mais le présent ouvrage n'est pas une biographie. Au reste, l'essentiel tient en peu de lignes. Patrick Brontë, pasteur de Haworth – village escarpé au bord des landes du Yorkshire —, avait eu six enfants: Maria (1814), Elizabeth (1815), Charlotte (1816), Branwell (1817), Emily-Jane (30 juillet 1818), Anne (1820). Emily perdit sa mère (remplacée alors par une tante) quand elle avait trois ans, et ses deux sœurs aînées en 1825, après leur séjour à la sinistre école de Cowan Bridge (v. sa transposition dans , le roman de Charlotte). A part cela, elle ne s'absenta guère plus de trois fois du presbytère où elle tenait le ménage de son père – la dernière en 1842 pour accompagner Charlotte à Bruxelles au pen- sionnat de Constantin Heger. Ses deux sœurs furent souvent placées comme gou- vernantes. Son frère Branwell, miné par l'échec, la pitié de soi, la drogue, l'alcool – et sans doute, comme tous les enfants Brontë, la tuberculose — leur infligea le spectacle de sa déchéance de 1845 à septembre 1848, date de sa mort. Trois mois plus tard (19 décembre 1848), Emily mourait à 30 ans, de phtisie galopante semble- t-il, après avoir refusé tous soins. Anne mourait en mai 1849, Charlotte (après s'être mariée) en 1855, et le Révérend Brontë en 1861. Les enfants Brontë rêvaient de création artistique. Très tôt, ils avaient inventé des jeux de rôles - inspirés à l'origine par douze soldats de bois - qu'ils transcri- vaient dans de minuscules carnets. Ils devaient assez vite se scinder en deux groupes: Branwell et Charlotte évoquaient dans leurs écrits le pays imaginaire d'Angria; Emily et Anne, une île fictive du Pacifique nord, Gondal. Leurs chroniques en prose sont perdues, mais les poèmes d'Emily Brontë se réfèrent en partie aux intrigues gondaliennes, dont ils illustraient des moments importants. Emily Brontë ayant pris soin de se retrancher dans un anonymat impénétrable, c'est l'opacité de ses créations, et non sa biographie, que cet ouvrage prétend interroger. L'œuvre entière exprime la hantise du masque, le mystère de l'affabu- lation et de l'intrigue, qu'il s'agisse des poèmes ou du roman. C'est par l'étude de celui-ci que l'on va commencer, les poèmes étant trop disparates pour permettre une étude génétique. Les intrigues sont perdues, les rôles souvent énigmatiques et divers. Dans ces conditions, il est plus normal d'aller du connu à l'inconnu, ou tout au moins de l'œuvre achevée à l'ébauche. La chronologie n'interdit nullement cette approche: Gondal renaissait de ses cendres pour entretenir un éternel présent de l'inspiration romanesque et la rédaction de Wuthering Heights n'a pas mis un terme définitif à l'activité poétique. Dans l'affabulation romanesque ou poétique, l'univers familier est omniprésent. Pourtant, mêlé au légendaire, il apparaît réfracté et rêvé dans une vision imaginaire qui ne perd jamais son unité - et qui doit livrer son intention. Car l'œuvre d'Emily Brontë est celle de la vision – et ceci de deux façons. Tout d'abord, en ce sens que Wuthering Heights est un roman visionnaire et plusieurs poèmes s'apparentent à la mystique; d'ailleurs, les deux parties de l'œuvre explo- rent souvent des expériences voisines. Mais aussi parce que Emily Brontë fait une part exceptionnelle à la perspective. «Entrer dans une œuvre, écrit Jean Rousset (Forme et signification), c'est changer d'univers. L'œuvre véritable se donne à la fois comme révélation d'un seuil infranchissable et comme pont jeté sur ce seuil interdit. Un monde clos se construit devant moi, mais une porte s'ouvre, qui fait partie de la construction». A cet égard, Wuthering Heights est exemplaire. Fuyant la convention omnisciente comme la confession, la romancière vient mimer le travail du lecteur, à qui elle accorde une place parmi les personnages. La nostalgie de la quête est l'essence même de ce roman, qui refoule la plus puissante de ses hantises — l'image des amours enfantines — dans les profondeurs de son histoire et, s'agissant d'une morte passionnément désirée, adopte une «stratégie» narrative telle que l'angoisse de l'irréversible est sensible lors même qu'elle est encore en vie. La quête est présente depuis la perception la plus humble jusqu'à la silhouette prestigieuse des Penistone Crags, archétype de la vision. Le monde imaginaire de Wuthering Heights est déchiffré en notre présence par une conscience dont la raison d'être est l'exploration. Pour le roman comme pour les poèmes, la présente étude concernera les struc- tures d'exploration, avant que soit abordé le monde auquel elles donnent accès. Le but de cette lecture raisonnée est de montrer l'imaginaire à l'œuvre dans une forme et une thématique. Si Wuthering Heights impose avant tout l'obsession d'un point de vue, les quatre fragments de journal qui subsistent laissaient déjà entrevoir un être fait pour voir et décrire — en principe Emily elle-même, aussi impénétrable que le seront ses narrateurs. L'analyse de quelques extraits de ces «Birthday Fragments» permettra d'orienter cette étude: Anne and I have been peeling Apples for Charlotte to make an apple pud- ding and for Aunts nuts and apples Charlotte said she made puddings per- fectly and she was of a quick but lim [ i ] ted intellect Taby said just now Come Anne pilloputate (i e pill a potato [ ) ] Aunt has come into the kitchen just now and said where are your feet Anne Anne answered On the floor Aunt papa opened the parlour door and gave Branwell a letter saying here Branwell read this and show it to your Aunt and Charlotte — The Gondals are discovering the interior of Gaaldine Sally Mosley is washing in the back- kitchin...

1 - A la seule exception de l'exemple ci-dessus, tous les fragments contiennent ces brèves indications du temps qu'il fait, ce «bulletin météorologique» que l'on retrouve si souvent au début des chapitres de Wuthering Heights: «A fine rather coolish thin grey cloudy but sunny day»; «Showery, breezy, cool». La vigueur et la précision s'ajoutent à l'accumulation. 2- Chacun d'eux, en général à la fin, s'interroge sur un futur précis (marqué par une date ou un nombre d'années) qui n'est pas sans évoquer la rigueur chrono- logique du roman, et annonce à coup sûr plusieurs thèmes essentiels du livre et des poèmes. Ce réflexe semble masquer une crainte devant la fuite du temps et la fragilité des hommes. Anne and I say I wonder what we shall be like and what we shall be and where we shall be if all goes on well in the year 1874 – in which year I shall be in my 54th year Anne will be going in her 55th year [ sic ] Branwell will be going in his 58th year And Charlotte in her 59th year hoping we shall all be well at that time we close our paper...

3- C'est pourquoi on voit dans le premier passage cité, la narratrice situer avec soin autour d'elle les personnes qui lui sont chères. 4- Autant que les personnes, les objets sont distribués tout autour du locu- teur, dans un espace qu'ils figurent très nettement à l'aide d'un système de rela- tions où les prépositions jouent un rôle important. D'autre part, l'absence de ponc- tuation donne l'impression que l'on se perd dans les choses. La description évoque puissamment le schéma corporel, qu'Antoine Porot définit comme l'«image que nous nous faisons de notre propre corps... dans le rapport de ses parties constitu- tives entre elles et surtout dans ses rapports avec l'espace et les objets qui nous environnent». Dans le fragment cité, on éprouve le sentiment très archaïque de découvrir un monde à la fois peu distinct du moi et organisé par rapport à lui. 5- Le rêve éveillé (l'épopée Gondal) est intimement mêlé à l'évocation des choses réelles. 6- Le rêve comme la réalité révèlent conjointement un espace à trois dimen- sions, avec des profondeurs d'intimité à la fois protectrices et mystérieuses: «the interior of Gaaldine» exploré par les Gondaliens, tandis que Sally Mosley fait la lessive dans «the back-kitchin». 7 - Tout ceci suppose d'abord une maison. Elle est habitée par des femmes, occupées à des tâches ménagères. Le rôle de Branwell et de «papa» se définit par rapport à cette structure féminine. 8- Tout, enfin, est vu par un personnage central, un sujet qui perçoit et décrit l'espace qui l'entoure; il impose sa vision, sa présence, et son moi corporel. On est ainsi amené à lier la notion d'espace à celle d'un monde intérieur. Anne en fait partie beaucoup plus que Charlotte. Elle représente presque un alter ego de la narratrice, à qui une véritable complicité l'attache. Sur six fragments que nous possédons d'Anne ou d'Emily, les deux premiers, quoique écrits par Emily, sont signés conjointement par les deux sœurs. Le rêve en commun se fonde sur des jeux d'enfants où les barrières qui séparent le moi du monde et des autres sont incomplètes, et on comprend mieux la survivance de cet oniro-drame enfantin chez Anne et Emily. C'est en effet aux deux sœurs qu'appartient cette cuisine dans laquelle des portes s'ouvrent, laissant passer des personnages qui viennent et repartent, sortant de la conscience du lecteur.On est déjà à mi-chemin de Wuthering Heights. Ces huit remarques se vérifient dans le passage suivant:

It is Friday evening — near 9 o'clock — wild rainy weather I am seated in the dining room after having just concluded tidying our desk-boxes — writing this document Papa is in the parlour. Aunt upstairs in her room. she has been reading Blackwood's Magazine to papa. Victoria and Adelaide are ensconced in the peat-house. Keeper is in the kitchen. Hero in his cage. We are all stout and hearty as I hope is the case with Charlotte, Branwell, and Anne, of whom the first is at John White Esqre Upperwood House, Rawdon The second is at Luddenden foot and the third's I believe at Scarborough — inditing perhaps a paper corresponding to this...

Ici, la famille est nettement plus dispersée, mais présente quoique absente et située avec précision — avec pour Anne une mention particulière puisque c'est à son intention que ce journal est écrit. Le temps qu'il fait est noté avec autant de soin que les relations d'étagement («upstairs») ou de profondeur («ensconced»). Les animaux renforcent l'impression d'intimité domestique, permettant aussi de multiplier la préposition in. L'image de profondeur et de protection la plus forte est «ensconced in the peat-house» (on songe déjà à la tourbe protectrice de Wuthering Heights). C'est aussi l'image la plus chargée d'imagination empathique. Enfin, tout est relié à un sujet qui s'inquiète du futur:

this day 4-years I wonder whether we shall still be dragging on in our present condition or established to our hearts'content Time will show —

Pour résumer ces remarques, notons donc la projection d'une vision contrai- gnante et féminine dans un espace à la fois perçu et rêvé; un espace à profondeurs où des relations habilement suggérées situent objets et personnages dans un degré plus ou moins grand d'éloignement, les personnages les plus proches s'intégrant au point de vue central, et les objets les plus intimes prenant une valeur symbolique.

Le Premier Livre est un effort pour décrire et comprendre l'effet global de cette présence, suivi d'une analyse technique du système narratif et de sa structure tem- porelle. Cette deuxième partie se terminera par un examen des résultats permettant de préciser les divers niveaux du roman: on insistera alors davantage sur les limites de la vision et sur l'inadéquation des narrateurs, qui laissent pressentir un monde se définissant par la distance. Ce monde, avec ses thèmes, ses symboles et ses structures, sera l'objet du Deuxième Livre, le troisième étant consacré aux poèmes. Mais il faut d'abord voir par rapport à qui s'organisent les êtres et les relations d'espace. Il faut comprendre cette conscience féminine qui découvre au lecteur un univers d'une étonnante réalité, ainsi que des profondeurs rassurantes ou inquié- tantes. Cette lecture débutera par une description du point de vue dans Wuthering Heights, sans vraiment tenir compte de la multiplicité des témoins. C'est l'expérien- ce première du lecteur qui est en jeu: il perçoit une conscience, à la fois écran et ouverture, qui présente le monde avec la réalité empirique du vécu. Elle ne diffère pas tellement de celle des «Birthday Fragments» — à ceci près, toutefois, qu'il s'agit maintenant d'un univers de roman.

LIVRE I

WUTHERING HEIGHTS - LA VISION ET LES TECHNIQUES

Première partie

La présence et les voix

CHAPITRE I

L'EXPLORATION ET LE FANTASTIQUE

1 - Présence et exploration

Dès le début de Wuthering Heights, le lecteur se sent pris en charge. Des narra- teurs vont se succéder pour le faire avancer de plus en plus profondément vers une vision empirique des choses. Le premier d'entre eux, Lockwood, observe, s'attarde, franchit des seuils...Pas à pas, il découvre un monde dans lequel il nous entraîne progressivement:

Before passing the threshold, I paused to admire a quantity of grotesque carving lavished over the front, and especially about the principal door, above which, among a wilderness of crumbling griffins, and shameless little boys, I detected the date '1500', and the name 'Hareton Earnshaw'. I would have made a few comments, and requested a short history of the place, from the surly owner, but his attitude at the door appeared to demand my speedy entrance, or complete departure, and I had no desire to aggravate his impatience, previous to inspecting the penetralium (I, 46).

La structure de ce passage est fondée sur les mouvements de Lockwood: «Be- fore passing the threshold, I paused... One step brought us...» Sa progression entraîne le lecteur à la découverte d'un espace dont l'un et l'autre prennent posses- sion, comme l'enfant fait, mouvement par mouvement, la connaissance du monde qui l'entoure. Les images de passage mettent en valeur le symbole du seuil devant lequel Lockwood s'attarde pour commencer son exploration. L'arrêt («I paused to admire») amène une découverte («I detected»), qui déjà stimule la curiosité, mais le gardien s'impatiente et l'inspection va devoir se poursuivre . Tout s'organise donc par rapport à un sujet percevant — un sujet en mouvement qui avance, s'arrê- te, regarde, repart... Il est en effet attiré vers les profondeurs du sanctuaire («penetralium») et contraint de franchir le seuil. Le caractère abrupt du passage est souligné («one step», «without any introductory lobby or passage»), comme pour renforcer les implications symboliques de la description réaliste: franchir un seuil, c'est aborder un monde inconnu et secret, c'est changer d'état. La description de la grande salle («the house») est désormais nécessaire. Le mouvement de l'œil prend alors le relais de celui de la marche. Il est circu- laire,attiré vers les hauteurs: on part de l'énorme cheminée, seule source de lumière, pour voir aussitôt la lueur se refléter dans les étagères du dressoir: «... ranks of immense pewter dishes, interspersed with silver jugs and tankards, towering row after row, in a vast oak dresser, to the very roof» (I, 47). Le passage évoque une puissante verticalité et le regard se perd jusqu'au faîte du toit (il s'agit d'une pièce sans plafond). Il redescend ensuite vers le plancher, en notant les zones d'ombre.

Au mouvement explorateur répond l'animation des objets. Une des caracté- ristiques du style de Wuthering Heights est précisément ce transfert du sujet perce- vant au monde perçu, déjà noté en 1936 par Irene Cooper Willis. Dès le début, écrit-elle, «active watching is set up in our minds, and we get an extra sense of movement by significant features of Heathcliff being singled out and given an independent activity apart from the rest of his body. 'His black eyes withdraw so suspiciously under their brow' - 'his fingers shelter themselves with a jealous resolution in his waistcoat'. The black eyes and the fingers are, as it were, perso- nified, and this attribution of separate personality to parts of the body which are not separate, supplies a sense of activity corresponding to the activity of the real scene, and makes up to the reader for not actually being there to see what is going on with this own eyes» (pp. 176-177). De la même façon, on voit s'ani- mer chaque détail de la grande pièce de Wuthering Heights, et de manière géné- rale les éléments de toutes les grandes descriptions du livre: «black [ chairs ] lurking in the shade», «ranks of immense pewter dishes... towering»... et, plus haut, «a range of gaunt thorns ail stretching their limbs one way» (I, 46). Irene Cooper Willis remarque également le caractère immédiat des impressions visuelles et au- ditives de Lockwood: «a chatter of tongues», «a clatter of culinary utensils» (46), «light and heat» (47). Tout ceci nous prépare à l'assaut de violence subite qui va précipiter la meute sur Lockwood: «I felt my heels and coat-laps peculiar subjects of assault» (I, 49), «I was constrained to demand, aloud, assistance»; les constructions passives et les verbes de perception inerte montrent ici l'impuis- sance du visiteur — citadin pusillanime — qui ne peut plus avoir maintenant que des impressions car le monde extérieur a pris l'initiative de toute action. Ce monde qui le submerge se caractérise par sa violence animale et primitive, ainsi que par la surabondance: «half-a-dozen four-footed fiends, of various sizes and âges», «the whole hive» (49). La structure du début est maintenant inversée: ce n'est plus Lockwood qui part à la découverte mais le monde qui vient à lui, malgré qu'il en ait: «Half-a-dozen four-footed fiends... issued from hidden dens to the common centre». Cette dialectique de l'exploration et de l'animation possède une valeur archaïque et naïve. Elle prépare l'éclosion du rêve éveillé et la destruc- turation du réel. Elle évoque enfin avec beaucoup de force la profondeur de l'es- pace: «the kitchen is forced to retreat altogether into another quarter» (I, 46). Le mouvement attribué ici à la cuisine évoque une fuite vers l'intérieur; le bruit des instruments culinaires est perçu «deep within» (p. 46), faisant songer à la «back kitchin» du Birthday Fragment. A cette profondeur de champ s'ajou- tent les obscures cavités du sous-sol, où l'on entend Joseph se démener tel un monstre souterrain tandis que son maître plonge à sa recherche: «Joseph mumbled indistinctly in the depths of the cellar», «his master dived down» (48). Le fan- tastique est latent dès le début de Wuthering Heights, les recoins de la grande pièce venant redoubler les images de profondeur verticale ou horizontale: «In an arch, under the dresser, reposed a huge liver-coloured bitch pointer surrounded by a swarm of squealing puppies; and other dogs haunted other recesses» (47). C'est dans ce recoin — véritable antre où se tapissent les monstres (cf. «four-footed fiends», «hidden dens», «the herd of possessed swine», p. 49) — que Catherine et Heathcliff enfants viendront s'abriter au récit du chapitre III (63). La maison est ainsi révélée en profondeur, et le mouvement descriptif de Lockwood apparaît comme une pénétration. C'est selon le principe de la découverte qu'est abordé le roman d'Emily Brontë. Cette découverte est soulignée par le décalage ironique que suscitent, au chapitre II, les erreurs et les gaffes de Lockwood. La création romanesque s'accomplit ainsi par la projection d'une conscience exploratrice imaginaire — un double qui va sonder les profondeurs d'un monde qui ne se livre pas et qui ne sera jamais donné. La curiosité est le mobile naturel de cette démarche: dès la fin du premier chapitre, Lockwood est décidé à renouveler sa visite. On retrouve les mêmes caractéristiques toutes les fois qu'un personnage du roman découvre un monde nouveau pour lui. Le lecteur est amené à participer à la découverte ainsi faite par le personnage dont il va, momentanément, adopter le point de vue. On verra bientôt comment les personnages de Wuthering Heights peuvent venir au premier plan partager avec nous leur vision du monde. Au chapitre VI la découverte de Thrushcross Grange par les deux enfants se présente comme une révélation:

We crept through a broken hedge, groped our way up the path, and planted ourselves on a flower-pot under the drawing-room window. The light came from thence; they had not put up the shutters, and the curtains were only half closed. Both of us were able to look in by standing on the basement, and clinging to the ledge, and we saw — ah! it was beautiful — a splendid place carpeted with crimson, and crimson covered chairs and tables, and a pure white ceiling bordered by gold, a shower of glass-drops hanging in silver chains from the centre, and shimmering with little soft tapers... (89).

L'image du paradis (ou plutôt du ciel), très apparente dans la description («a pure white ceiling bordered by gold, a shower of glass-drops hanging in silver chains from the centre, and shimmering with little soft tapers»), est vite rendue explicite par Heathcliff, mais l'essentiel, pour l'instant, est de voir comment l'on parvient à cette vision céleste. Or l'exploration repose ici sur des verbes de mou- vement suggérant l'effort: «We crept... groped... and planted ourselves»; «standing on the basement, and clinging to the ledge». Cette approche pénible et obscure conduisant soudain à une source de lumière («the light came from thence») a tous les traits d'une initiation, et on peut y retrouver des images évoquant la naissance («crept through... groped our way up the path»). La découverte a donc ici toute la puissance affective d'une expérience archaïque. Les exemples cités concernent la présentation de chacune des demeures, mais on pourrait ajouter toutes les «redécouvertes», tous les compléments d'information que le roman fournit, et chaque nouvelle description de la grande salle de Wuthering Heights (VII, 95, avec Nelly; XIII, 175, avec Isabella; XVIII, avec Nelly également). Le retour de Heathcliff, au chapitre X, s'accompagne de notations fantastiques et, sensible à l'atmosphère, Ellen Dean perçoit Thrushcross Grange comme un monde étranger: «It had got dusk, and the moon looked over the high wall of the court, causing undefined shadows to lurk in the corners of the numerous projecting por- tions of the building» (X, p.132). Le roman tout entier pourrait se prêter à cette analyse de la découverte. Mais elle n'a pas encore été conduite à son terme. Il faut revenir au début du livre pour voir comment s'achève ce qui lui sert de prologue. C'est le chapitre III qui nous entraîne, avec Lockwood, au point le plus profond de la découverte. Il commence dans une atmosphère de mystère et d'attente que seuls les paragra- phes haletants d'Emily elle-même (dans l'édition originale) peuvent vraiment transmettre, et que Charlotte a affaiblie dans le texte compact de 1850:

I asked the reason (61).

Cette phrase détachée, la langueur de Lockwood, à demi malade — tout nous pré- pare à l'invasion de la conscience curieuse, mais affaiblie, par un monde qui ne demande qu'à s'actualiser. La chambre où il doit dormir est par excellence celle de la découverte: le passé s'y est attardé, gravé sur le rebord de la fenêtre, inscrit sur les pages d'une vieille bible. Elle fait appel aux plus vieux instincts de la psyché rêvante et recèle un passé que l'on peut toucher: le livre est vieux, il évoque les choses mortes («musty», «faded», 62). On rejoint en partie l'archétype du grenier, décrit par Bachelard. Mais c'est un bien curieux grenier — double enclos avec vue sur la lande, le lit-alcôve englobant la fenêtre:

Having approached this structure, I looked inside, and perceived it to be a singular sort of old-fashioned couch, very conveniently designed to obviate the necessity for every member of the family having a room to himself. In fact, it formed a little closet, and the ledge of a window, which it enclosed, served as a table...» (p. 61).

L'exploration de Lockwood, prélude au rêve, a d'abord pour cadre des images claustrophiles et se fonde sur une rêverie d'intimité sécurisante: «I slid back the panelled sides, got in with my light, pulled them together again, and felt secure against the vigilance of Heathcliff, and every one else» (61). Les gestes, le contact physique des panneaux, la lenteur précise de la description — tout contribue à dessiner l'espace clos deux fois, où Lockwood va fureter puis rêver. Le journal de Catherine, aussitôt découvert a le charme authentique d'un docu- ment, et la fraîcheur d'un passé d'enfance sur le point de renaître. Mais son pre- mier effet est d'affaiblir la conscience du narrateur et de préparer le lecteur à l'invasion dévastatrice, tandis que s'anime la chambre et que le passé surgit:

... a glare of white letters started from the dark, as vivid as spectres — the air swarmed with Catherines... (61)

L'hallucination est en noir et blanc et les lettres de feu, suggèrant la nécromancie (cf. aussi l'odeur de roussi, la flamme de la chandelle brûlant une Bible), nous préparent à ce qui va suivre. Les images de vitalité (started, vivid) voisinent avec celles de la mort (spectres) en un curieux paradoxe («as vivid as spectres»), et la pluralité (letters, spectres, Catherines, le verbe swarmed) révèle un fourmille- ment inquiétant. La chambre est littéralement hantée. L'enclos, l'exploration, le document ont donné forme à une présence qui va s'imposer à la conscience affaiblie; mais contrairement à toute attente le spectre n'est pas dans la maison: il viendra vainement demander asile, à la fenêtre. A la suite du narrateur, nous avons pénétré dans un monde fantastique qui, désormais, le possède. Lockwood se dépersonnalise, oublie ses maniérismes et assume pleinement sa fonction d'ini- tiateur, tandis que le passé de la demeure le submerge. Ce sont alors les deux rêves, la crise, puis l'entrée nécessaire du deuxième narrateur.

2 - Le fantastique et le relais des narrateurs

La découverte du journal ayant fait surgir à demi les présences qui hantent la chambre aux boiseries, Lockwood s'endort, et fait un premier rêve de violence qui sera examiné au chapitre III. Il se réveille ensuite, repère la cause immédiate de son rêve (une branche qui cogne contre la fenêtre), puis se rendort sans avoir eu le temps d'agir. C'est alors que se produit le grand rêve qui est à l'origine du récit principal :

This time, I remenbered I was lying in the oak closet, and I heard distinctly the gusty wind, and the driving of the snow; I heard, also, the fir-bough repeat its teasing sound, and ascribed it to the right cause; but it annoyed me so much, that I resolved to silence it, if possible; and, I thought, I rose and endeavoured to unhasp the casement. The hook was soldered into the staple, a circumstance observed by me when awake, but forgetten. 'I must stop it, nevertheless!' I muttered, knocking my knuckles through the glass, and stretching an arm out, to seize the importunate branch: instead of which, my fingers closed on the fingers of a little, ice-cold hand! (III, 66-7).

La première impression est une terreur insoutenable («The intense horror of nightmare came over me»). Le visiteur a rompu l'abri dont il vantait la sécurité (« [ I ] felt secure against the vigilance of Heathcliff, and every one else», III,61) et rencontre aussitôt l'horreur de l'insolite sous la forme de la petite main glacée. La terreur repose d'abord sur l'opposition de l'intérieur et de l'extérieur, et sur la conception du dehors comme origine de toutes les possibilités effrayantes et source de tout ce qui est étranger. C'est donc une nouvelle découverte du monde qui est ici montrée, et ce rêve ne fait que poursuivre la démarche décrite plus haut. Mais il s'agit maintenant d'un monde étranger, hostile, qui relève du fantastique. L'autre composante de la terreur est un élément essentiel du cauchemar: le sentiment d'impuissance. Malgré tous ses efforts, Lockwood est lié, paralysé: «I tried to draw back my arm, but the hand clung to it», «struggling... to disen- gage myself», «finding it useless to attempt shaking the creature off», «maintained its tenacious gripe»... L'aboutissement ultime de ce mouvement musculaire con- trarié sera la violence insensée de «I pulled its wrist-on to the broken pane, and rubbed it to and fro till the blood ran down and soaked the bedclothes». Le mou- vement libre qui entraînait narrateur et lecteur vers les profondeurs d'un monde nouveau fait soudain place à la paralysie, qui laisse Lockwood aux prises avec un monde insolite et hostile (l'insolite et l'hostile sont la version-limite du nou- veau). En revanche, l'animation et le fourmillement des objets précédemment notés annonçaient directement l'expérience fantastique. Les deux aspects de la terreur réapparaissent à la fin du rêve. La fenêtre étant forcée, Lockwood se hâte de reconstituer un «dedans»: il empile les livres, se bou- che les oreilles et crée une nouvelle image du refuge étanche et précaire (comme un dormeur qui met la tête sous les draps). Mais l'horreur atteint son paroxysme quand, entendant de nouveau la voix, il voit céder le rempart et avancer la pile de livres, tandis qu'il reste cloué sur le lit. Les deux thèmes (paralysie et refuge brisé) se rejoignent et l'insoutenable est consommé. La crise se produit pour la deuxième fois (l'accès de cruauté marquait une première étape): le dormeur hurle et ameute la maison. Avec une grande économie de moyens, Emily Brontë retrouve ici les meilleurs effets du roman de terreur. On peut comparer l'approche irrésistible du spectre derrière le rempart des livres au troisième rêve (le faux rêve) de Jane Eyre, où la tête de la folle s'approche lentement de Jane immobile jusqu'au moment où s'éteint la chandelle et Jane s'évanouit (chapitre XXV). Les sœurs Brontë (tout au moins les deux aînées) avaient un don inné du fantastique. On peut également songer à Sheridan Le Fanu, maître de la ghost-story victorienne, qui use à la fin du Fami- liar d'une situation analogue: «The light of the candle... fell upon a figure huddled together,and half upright, at the head of the bed. It seemed as though it had slunk back as far as the solid panelling would allow, and the hands were still clutched in the bedclothes». Le fantastique de Wuthering Heights a une valeur archétypale, et il constitue l'aboutissement ultime du thème de l'exploration — aboutissement naturel si l'on se souvient que la découverte du journal de Catherine avait déjà fait surgir les lettres de feu. Mais l'analyse du fantastique ne sera pas complète si on ne tient pas également compte de la remarque inquiétante «Why did I think of Linton? I had read Earn- shaw twenty times for Linton», et aussi de la brève vision du spectre à la voix mélancolique. Pour bien comprendre cette image, il faut oublier provisoirement Lockwood. L'impression première est alors une sensation de pitié: le spectre est une enfant (« a little... hand», «a child's face»). C'est une enfant malheureuse: «a most melan- choly voice sobbed», «still it wailed», «the lamentable prayer», «the doleful cry moaning on», «mourned the voice». C'est enfin une enfant perdue, errant sur la lande: «I'd lost my way on the moor», «shiveringly», «I've been a waif for twenty years». Ce waif est une âme en peine, comme le Lorenzo de Keats, «ach [ ing ] in loneliness» (Isabella, strophe 28), avec lequel les ressemblances sont grandes — on retrouve dans les deux cas un sens très moderne de l'ombre pâle exilée et confinée hors de l'humain: «Upon the skirts of human nature dwelling / Alone And thou art distant in Humanity» (strophe 39). Aussi la pitié envers l'enfant-spectre est-elle encore augmentée par le refus opposé à sa prière («Let me in») — elle est prisonnière du dehors — par l'accès de cruauté de Lockwood et par son brutal refus: « 'Begone! ' I shouted, ' I 'll ne ver let y ou in, not if y ou beg for twenty years!'». Il s'agit finalement d'un fantôme bien inoffensif. Cette pitié nostalgique est soulignée par le rythme obsédant des leitmotive que contient ce fragment de prose poétique: «Let me in», répété trois fois et deux fois rappelé («if you want me to let you in», «I'll never let you in»); «twenty years», qui revient à trois reprises: «It's twenty years (...), twenty years, l've been a waif for twenty years» (notons que la version authentique d'Emily contient «it's twenty years», et non «it is ...» comme l'édition de 1850, évitant ainsi l'alour- dissement de l'«emphasis» et laissant au spectre une intonation neutre et lointaine). Ces répétitions prennent leur sens au niveau de l'ensemble: à ce let me in va répon- dre le come in (également répété) de Heathcliff.

'Come in! come in!' he sobbed. 'Cathy, do come. Oh do — once more! Oh! my heart's darling! hear me this time — Catherine, at last!' (70)

La scène en effet n'est complète qu'avec la supplication de Heathcliff, dont les résonances sont déjà présentes à l'arrière-plan du rêve étudié — tant il est vrai que toute lecture est aussi une re-lecture. Le rythme conservé libère alors les sentiments de nostalgie et de pitié déjà pressentis et l'on parvient à l'autre pôle du fantasti- que: à la terreur se joint un désir intense. Il n'a rien à voir avec Lockwood, tout entier en proie à la terreur: le lecteur le ressent parce que son point de vue est maintenant celui de Heathcliff. C'est du héros qu'émane l'impression dominan- te — cette émotion faite de pitié, de nostalgie, et de désir que le spectre se pré- cise. Pourtant, loin de se remplacer l'un l'autre, les deux points de vue se super- posent, permettant au lecteur de faire l'expérience complète du fantastique: il éprouve les craintes de Lockwood et les désirs de Heathcliff. Mais l'ironie d'Emily Brontë fait apparaître le fantôme à l'homme qui souhaitait le moins le voir, et le refuse à celui qui l'attend depuis 18 années: «I ought to have sweat blood... to have but one glimpse! I had not one» (XXIX, 321 ). Ainsi voit-on le point de vue se dissocier, tandis que des doubles contradictoi- res surgissent, s'imposant simultanément au lecteur. La dissociation va d'ailleurs très loin puisque Heathcliff lui-même ressent un instant la terreur sacrée qui pré- lude aux apparitions («the first creak of the oak startled him like an electric shock», 68); mais le désir l'emporte vite. L'autre conclusion que l'on doit tirer est que point de vue et présence vécue, dans Wuthering Heights ne sont pas seulement affaire de narrateurs: la perspective est beaucoup plus subtile et insaisissable. Elle va du sujet percevant au monde perçu, et leur réciprocité est le signe d'une unité profonde, difficilement analysable: pour les mieux cerner, il faut sans cesse passer de l'un à l'autre. Parlant d'Emma Bovary, Auerbach remarquait (Mimesis, p. 479): «Il ne s'agit pas, cependant, comme dans maints romans écrits à la première person- ne et autres ouvrages postérieurs du même genre, d'une simple transcription du contenu de la conscience d'Emma, de ce qu'elle éprouve comme elle l'éprouve. C'est d'elle que part la lumière qui éclaire le tableau, mais elle fait elle-même partie du tableau, elle est à l'intérieur». D'autres passages vont montrer cette évolution ou ce dédoublement du point de vue. Ainsi au chapitre VII, où c'est Nelly qui raconte, on voit Heathcliff parti- ciper soudain à sa vision quand les Linton et les Earnshaw rentrent du service religieux. La fenêtre et la porte encadrent une même scène pour les deux observa- teurs qu'unit un secret mépris (v. la métaphore «smothered»): «he ran to the window, and I to the door, just in time to behold the two Lintons descend from the family carriage, smothered in cloaks and furs, and the Earnshaws dismount from their horses» (VII, p. 98). On pourrait multiplier les exemples de ce type, soit que les deux points de vue se redoublent, soit qu'ils s'opposent. Une situation courante dans Wuthering Heights met en rapport d'une part un observateur, d'autre part un personnage en train de contempler un spectacle. On a donc ainsi trois termes: le narrateur, le personnage, l'objet contemplé. La perspective de départ est évidemment celle de l'observateur. Mais c'est là que survient un glissement qui amène peu à peu le lecteur à s'assimiler au personnage, pour examiner avec lui ce qui l'intéresse; le paysage ou l'objet contemplé l'absor- bent à son tour et lui font pour un temps perdre conscience de l'identité du person- nage. Deux exemples sont particulièrement nets. Au chapitre X, tout d'abord, Nelly, qui vient annoncer le retour de Heathcliff, découvre Edgar et Catherine dans l'embrasure d'une fenêtre, occupés à regarder ce qui est un des spectacles importants du livre (cf. chapitres XII, XV, XXV, et - sous un autre angle -XXXIV) :

They sat together in a window whose lattice lay back against the wall, and displayed, beyond the garden trees and the wild green park, the valley of Gimmerton, with a long line of mist winding nearly to its top (for very soon after you pass the chapel, as you may have noticed, the sough that runs from the marshes joins a beck which follows the bend of the glen), Wuthering Heights rose above this silvery vapour — but our old house was invisible — it rather dips down on the other side. Both the room, and its occupants, and the scene they gazed on, looked wondrously peaceful. I shrank reluctantly from performing my errand (p. 133).

La description commence par une discrète mise en place des personnages («they sat together»), puis soudain l'image de la fenêtre accomplit son effet et nous sommes absorbés par le paysage contemplé. Nelly, qui est ici notre guide, le prend entièrement à son compte, et s'adresse à Lockwood comme si Edgar et Catherine étaient entièrement sortis de la scène. Mais, au paragraphe suivant, elle reprend tout aussi brusquement ses distances, et la perspective revient au point de dé- part avec une netteté accrue. Cette brusque mise en place est marquée par les articulations de la phrase: «Both the room, and its occupants, and the scene... looked... / shrank...» Le même phénomène se produit, très brièvement, lorsque Linton Heathcliff arrive pour la première fois à Wuthering Heights et découvre la maison. Les trois temps sont fortement marqués: Nelly épie les réactions de Linton; le lecteur s'ab- sorbe l'espace d'une ligne, dans la vision nouvelle; il reprend conscience de la présence et des gestes de Linton:

The boy was fully occupied with his own cogitations for the remainder of the ride, till we halted before the farm-house garden gate. I watched to catch his impressions in his countenance. He surveyed the carved front, and low browed lattices; the straggling gooseberry bushes, and crooked firs, with solemn intentness, and then shook his head: his private feelings entirely disapproved of the exterior of his new abode (XX, p. 241). Une fois encore les issues jouent un rôle essentiel: la scène se passe près du portail, et il nous semble à la fois déjà connaître et pourtant découvrir cette maison. L'impressionnisme de la description suggère de troublantes correspondances: «low-browed lattices» évoque le portrait physique de Heathcliff, «the grim sneering stranger» (242) que l'on va une nouvelle fois découvrir. Inversement, les yeux de Heathcliff sont par deux fois comparés à des fenêtres (VII, 97; XVII, 217). C'est le personnage principal qui reste la cause des plus importantes variations du point de vue. Ces changements sont avant tout tributaires de la sympathie qu'il suscite. Wuthering Heights serait un échec si Emily Brontë n'avait pas réussi à intégrer son personnage à notre vision du monde; si elle en avait seulement fait le monstre déchu que Charlotte a cru déceler dans sa préface (Penguin p. 40). L'identification se produit aisément lorsque Heathcliff raconte lui-même l'histoire: ainsi l'escapade à Thrushcross Grange (VI) ou la visite au cimetière (XXIX): on quitte alors Nelly et sa courte sagesse pour suivre les angoisses et les gestes du héros. Mais le changement de perspective et la naissance de la sympathie se font parfois de manière plus sournoise et paradoxale. Ainsi au chapitre XVII où, contre le narrateur en exercice (Isabella) — passionnément hostile —, le lecteur succombe un instant à cette nostalgie fondamentale qui est à l'arrière-plan de toute l'histoire, mais qui s'attache avant tout au personnage de Heathcliff:

Heathcliff did not glance my way and I gazed up and contemplated his features, almost as confidently as if they had been turned to stone. His forehead, that I once thought so manly, and that I now think so diaboli- cal, was shaded with a heavy cloud; his basilisk eyes were nearly quenched by sleeplessness — and weeping, perhaps, for the lashes were wet then; his lips devoid of their ferocious sneer, and sealed in an expression of unspea- kable sadness... (XVII, p. 215).

La présentation hostile, entièrement extérieure, n'empêche pas le lecteur de trou- ver ici un thème fondamental du récit et d'éprouver le fondement sympathique de toute perspective romanesque. Peut-être la sympathie est-elle même renfor- cée par l'antagonisme: on ressent, avec Heathcliff, la pression d'un monde hostile. Le personnage de Heathcliff est au centre de la dialectique du point de vue: on voit, tour à tour, avec ou contre lui. La séparation du lecteur et du héros durant une bonne partie de la seconde moitié du livre, leur rapprochement à la fin, sont deux éléments essentiels de la structure d'approche. Tout ce que Heathcliff compor- te d'étranger et d'insolite prend forme après la mort de Catherine, et nous amène à ne voir de lui souvent qu'une silhouette menaçante: la sympathie a changé d'ob- jet, et nous fait alors percevoir Heathcliff de l'extérieur, par les yeux de Nelly, Catherine Linton, ou Linton Heathcliff. Ainsi le «grim sneering stranger» (XX, 242) déjà noté, ou l'ombre menaçante des chapitres XXVI et XXVII, toujours prête à surgir sur la lande.

Ces variations du point de vue nous montrent qu'il possède une certaine indépen- dance vis à vis des narrateurs. Mais elle demeure relative: c'est leur voix que le lecteur s'habitue à reconnaître. Reprenons l'exploration initiale où nous l'avons laissée — après le rêve de Lockwood. La pénétration va se poursuivre, mais Lockwood est désormais un narrateur dépassé par les évènements : tel un apprenti- sorcier, il a «évoqué» un passé qu'il est incapable de restituer. Nelly prend la relève, et l'approfondissement s'accentue, puisque le chapitre IV nous plonge maintenant dans la partie la plus archaïque du roman, une partie plus lointaine encore que le passé surgi au chapitre III. On ne perçoit pourtant qu'un changement de voix, et la perspective n'est pas rompue. Le mobile, lui aussi est constant. Le lecteur, certes, est sensible à une modification de style, d'autant plus marquée au début qu'il conserve en mémoire le portrait extérieur de cette matronly lady (II, 51). De plus, Emily Brontë procède comme elle l'avait fait avec Lockwood: elle se hâte de préciser son personnage par des traits de langage: «their own bairns to feed and fend for» (IV, 77-78). Mais ceci reste superficiel, et pour le lecteur le changement est surtout une évo- lution, une pénétration plus profonde, qui vont le conduire au cœur de la maison, vers la femme d'intérieur, figure-clef des symboles d'intimité. Le lecteur sent déjà que tout sera fondé sur la notion de témoignage, et que l'on passe sans heurt d'un témoin présent et superficiel à un témoin du passé et de la réalité profonde. En bref, la conscience fureteuse trouve maintenant sa place dans une structure narrative. Des doubles se relaient pour guider l'exploration du lecteur, mais l'unité d'approche n'est pas menacée: tout au plus la présence va-t-elle se colorer, se féminiser, à mesure que le point de vue s'approfondit et que s'affirme le carac- tère de la persona. CHAPITRE II

VISION CENTRALISEE ET FEMINITE D'INTERIEUR

1 - Féminité d'intérieur et tâches ménagères

Au cœur de Wuthering Heights, le lecteur trouve une femme et, comme il s'agit du passé, une conteuse. Le point de vue de Nelly va nous révèler, comme dit J. Blondel (p. 286), «une attention toute féminine aux aspects les plus humbles de la vie». Emily Brontë s'est certainement plue à voir le monde par les yeux de la raisonnable ménagère, de même qu'elle a su faire parler l'enfance intransigeante de Catherine Earnshaw (III), la vivacité d'Isabella (chapitres XIII et XVII), ou la jeunesse bondissante et charmeuse de la deuxième Catherine (XXIV). Ces voix féminines mettent à l'aise auteur et lecteur, beaucoup mieux que ne pouvait le faire Lockwood. Le sexe de Lockwood est en effet un des points troublants de la présentation de Wuthering Heights. Ses airs offensés, ses brusques idées de violence (J, 56, 57) ont quelque chose de factice et suggèrent l'image qu'une femme pourrait se faire de la virilité ombrageuse. Les traces de féminité, en revanche, sont bien réelles: faiblesse (il n'arrive jamais à forcer les obstacles — barrière, I, Il et XXXI, ou fenêtre, III); réserve excessive (v. son aventure au bord de la mer, I); peur physique des chiens (v. l'image de la chienne, «sneaking wolfishly to the back of my leg, her lip curled up, and her white teeth watering for a snatch», 48). Le problème se complique par suite des intentions ironiques qui divisent la perspective. Rien de tel, en revan- che, ne se produit avec Nelly, qui nous impose la subjectivité la plus centrale et la plus naturelle. Un des premiers soucis de Nelly est de reprendre à son compte la description des lieux que Lockwood avait présentés aux chapitres I et III : la grande salle du rez-de- chaussée et la cuisine. Elle le fait dans la joie et la splendeur de la veille de Noël, «making the house and kitchen cheerful with great fires befitting Christmas eve...» (VII, 95).

I smelt the rich scent of the heating spices; and admired the shining kitchen utensils, the polished clock, decked in holly, the silver mugs ranged on a tray ready to be filled with mulled ale for supper; and, above all, the speckless purity of my particular care — the scoured and well-swept floor» (95).

La description est brève mais intense. Lockwood était un étranger, mais Nelly est au cœur des choses — qui la pénètrent (« rich scent»), la réjouissent (« admire »), et qui lui donnent un sentiment de propriété (« my particular care») en rappelant le travail de ses mains (« the scoured and well-swept floor »). Le mot care se charge de toute l'intentionnalité du passage. Le lien entre la grande salle (ou la cuisine) de Wuthering Heights et les tâches ménagères restera un des thèmes importants de l'œuvre, et l'un des guides constants du lecteur. Au chapitre XIII, Isabella, jeune mariée infortunée, note que la cuisine est «a dingy, untidy hole; I dare say you would not know it, it is so changed since it was in your charge» (174). L'allusion au point de vue central, à la ménagère active (« your charge») a clairement pour effet d'ordonner notre perception. Non moins évidente est la qualité féminine du regard jeté sur le désordre malpropre qui s'est étendu jusqu'à the house:

There was a great fire, and that was all the light in the huge apartment, whose floor had grown a uniform grey; and the once brilliant pewter dishes, which used to attract my gaze when I was a girl, partook of a similar obscu- rity, created by tarnish and dust» (p. 175).

Mais Isabella s'est découragée après l'expérience malheureuse du porridge (178) et les sarcasmes de Joseph. Cette jeune fille de la bonne société «se laissera aller» dans l'adversité. C'est bien ce que lui reproche Nelly qui, au chapitre suivant, nous montre comment la vision ménagère permet de juger les êtres:

There never was such a dreary, dismal scene as the formerly cheerful house presented! I must confess that, if I had been in the young lady's place, I would at least have swept the hearth, and wiped the tables with a duster. But she already partook of the pervading spirit of neglect which encompas- sed her (183).

Par contraste, on voit apparaître un ordre intérieur, ménager, féminin, qui est celui de la perception — celui de la vie telle qu'elle est vécue dans Wuthering Heights. C'est par rapport à ces intérieurs intimes et soignés que l'on pourra situer le tumulte extérieur. Le dernier retour du leit-motiv se situe au chapitre XVIII. C'est aussi le plus explicite. Nelly revoit, douze ans plus tard, la vieille maison qu'elle ne connaît plus que par «oui-dire» (232). Heathcliff est un propriétaire avare et cruel, mais «the house, inside, had regained its ancient aspect of comfort under female mana- gement» (232). La perception du monde de la maison est ici proclamée sans mystè- re comme un ordre féminin. Dès le matin, les femmes prennent la maison en charge: à quatre heures (III) «the females were already astir » (71). Le travail de leurs mains est profondément valorisé, comme le montre l'allusion perfide aux doigts de Catherine Earnshaw, « wonderfully whitened with doing nothing» (VII, 94): elle revient de Thrushcross Grange et ne vaut maintenant guère mieux qu'Isabella. Il serait vain d'énumérer tous les exemples d'activité domestique et féminine, mais on peut les classer: le ménage (toutes les allusions précédentes, et aussi X, 143 — «I was sweeping the hearth»); la couture (XXXII, 339, et IV, 76 où Nelly se procure de l'ouvrage avant de commencer son récit); le repassage (XXXII, 342 et 346): la scène entière est rythmée par l'activité de Nelly, «While I ironed...», « I've done my ironing») ; préparation de la nourriture (IX, 123, « while I made the supper »). Une scène de dispute (VIII) est créée par l'obstination que met Nelly à nettoyer la pièce où Catherine veut recevoir Edgar, afin de pouvoir les chaperonner. Souvent le rythme ou l'arrière-plan d'une scène est fourni par une ou plusieurs activités ména- gères de la narratrice. On vient de citer le repassage; de même au chapitre IX, l'aveu « Nelly, I am Heathcliff » se fait tandis que Mrs Dean berce Hareton (p. 117, au son d'une sinistre ballade), puis prépare le souper. Les tâches maternelles de Nelly sont également essentielles dans ce monde où les mères ne survivent pas. Dès la mort de Mrs Earnshaw, «I had to tend [ the children ], and take on me the cares of a woman » (IV, 79). La femme est en effet celle qui soigne. Nelly veille sur l'enfance et l'adolescence de Catherine et Heathcliff; elle élève deux enfants, Hareton (du moins en partie) et Catherine Linton (« I nursed her, poor thing! », IV, 75). Toute une perspective du livre est commandée par cette maternité toujours frustrée qui hante les gestes de Nelly, matrone avant l'âge: «They both appeared... my children » (351). On peut ajouter à cela une activité tout aussi féminine, conforme au style «bonne femme» de la narratrice: la toilette des morts. Mrs Dean revient présider aux pré- paratifs des funérailles de Hindley, et «assist in the last duties to the dead» (XVII, 221 ). Elle avait déjà annoncé son amour des veillées funèbres:

I don't know if it be a particularity in me, but I am seldom otherwise than happy, while watching in the chamber of death, should no frenzied or des- pairing mourner share the duty with me. (XVI, 201-2).

Seul Heathcliff, vrai mort-vivant (les yeux ouverts, obstinément), résistera à son effort de domestication (XXXIV). Cette résistance est significative, car elle marque la distance entre ce qu'est vraiment Heathcliff et le point de vue domestique qui est devenu le nôtre. Et pourtant le geste de Nellu révèle une tendresse dont le rythme et les adjectifs montrent l'intensité: «I combed his black long hair from his forehead ». C'est la première fois, depuis la rougeole du chapitre IV et la toilet- te du chapitre VII (« Nelly, make me decent, I'm going to be good », 96), que Heathcliff est livré aux mains de Nelly. Ce souvenir du passé la hante: « I felt stun- ned by the awful event; and my memory unavoidably recurred to former times with a sort of oppressive sadness» (365). Rien ne montre mieux le caractère ma- ternel de cette toilette des morts. C'est ainsi toute une féminité complexe d'intérieur qui s'intègre à la perspective. Elle est mise en relief par son contraire, Joseph qui, en contrepoint, offre une sorte de virilité du foyer. A l'intime, il oppose le dour: cet adjectif nordique, où se mêlent austérité, obstination et sévérité, peut servir à résumer les attributs du personnage. Il est associé au froid — celui de sa mansarde où il maintient les enfants durant trois heures pour leur imposer un service religieux (III, journal de Catherine), tandis que Hindley et sa femme se chauffent confortablement. Joseph est également associé au grain et au grenier (III, 62, «we were ranged in a row, on a sack of corn»; XIII, 179, «a kind of lumberhole smelling strong of malt and grain»). Il est même plus précisément associé à l'avoine, céréale du nord, lorsqu'on le voit, au coin du feu, dans son «elysium», «a quart of ale on the table near him, bristling with large pieces of toasted oat-cake» (XXIII, 269). Tout, dans cette scène de coin de feu, est masculin: la bière, la galette d'avoine et la pipe. Depuis la mort du vieil Earnshaw, Joseph «has refused to admit that the Heights afford any civilised comforts other than the kitchen with its porridge, and the garrets with their sacks of malt and grain» (Goodridge, p.66). Il partage ce monde avec Hareton, qui passe avec lui son temps libre, à fumer la pipe: «in wet weather he took to smoking with Joseph, and they sat like automatons, one on each side of the fire» (XXXII, 342). En bref, Joseph représente à l'intérieur des Heights l'élément masculin domesti- que. Il est révélateur que la très féminine Isabella se heurte à lui quand, perdue dans la nouvelle maison, elle cherche en vain une femme qui pourrait l'aider: « I listened to detect a woman's voice in the house...» (p. 176). Il est également significatif que ce soit Joseph qui sache le mieux décourager Isabella et la faire pleurer: « I'd rather sit with Hindley, and hear his awful talk, than with 't' little maister', and his staunch supporter, that odious old man» (XVII, 210). C'est par des contrastes que le monde féminin se précise. Mis à part le coin du feu — son «hearthstun» (348) —, on voit ce que le monde masculin domestique de Joseph possède de virtualités extérieures et sauvages. Le grenier est loin du centre de la demeure, et le grain vient des champs voisins de la lande. Les femmes, elles, sont au cœur de la maison, et c'est là que la jeune Catherine saura apprivoiser Hareton, affaibli. Il s'est blessé à la chasse, loin dans les collines (XXXII, 342); il a péniblement regagné la maison où l'attendent les femmes et les soins: «The consequence was, that, perforce, he was condemned to the fire-side and tranquillity... It suited Catherine to have him there...» Ainsi triomphe le point de vue féminin et la brute sera domestiquée. On lui confisque sa pipe (XXXII, 343), on plante des primevères dans son porridge (XXXIII, 348), et on l'oblige à remplacer les groseilliers (rustiques et utilitaires) de Joseph par des fleurs apportées de Thrushcross Grange (347). La vision féminine représente le centre et la cohésion. « Il semble, dit Bachelard (Poétique de l'Espace, p. 74), que la maison lumineuse de soins soit reconstruite de l'intérieur, qu'elle soit neuve par l'intérieur. Dans l'équilibre intime des murs et des meubles, on peut dire qu'on prend conscience d'une maison construite par les femmes. Les hommes ne savent construire les maisons que de l'extérieur. Ils ne connaissent guère la civilisation de la cire». La vision centralisée est féminine; voyons comment elle fait sentir sa force de cohésion.

2 - La vision centralisée et l'angoisse de la séparation

La prise en charge du récit — et de la visée — par Nelly s'accompagne d'un vœu d'union (ou de réunion) à forte charge nostalgique. Le monde présent est celui de la discorde et de la dispersion; celui-là même que le lecteur vient de découvrir en compagnie de Lockwood. Heathcliff, propriétaire tyrannique, est seul au monde: «It is strange people should be so greedy, when they are alone in the world» (IV, 75). Les vieilles familles sont décimées et dispersées par la mort et la haine. Le temps a introduit l'irréparable: «Ah, times are greatly changed since then!» (74). Pourtant, tout espoir n'est pas perdu de réunir les survivants:

Catherine Linton was her maiden name. I nursed her, poor thing! I did wish Mr Heathcliff would remove here, and then we might have been toge- ther again (75).

L'espoir est mince pourtant, et le lecteur est frappé par la couleur nostalgique de l'irréel : / did wish, might have been. Ainsi, l'histoire de Heathcliff et Catherine (récit d'une séparation) sera contée par une servante dont la vision centrale nous transmet l'angoisse. Elle étend cette angoisse à l'ensemble de l'expérience — au-delà de la biographie des deux héros — et commence son récit par deux tableaux de famille surgis des temps anciens. Leur charge affective montre à quel point la séparation est redoutée. Le premier, au chapitre IV, commence par le récit du départ du vieil Earnshaw. Tout le monde a été rassemblé, et Nelly insiste sur l'unité de la famille et des serviteurs (« for I sat eating my porridge with them», 77). Le vieux fermier décrit ce que repré- sentent ces soixante milles couverts deux fois, puis il disparaît. «It seemed a long while to us ail — the three days of his absence». L'attente est alourdie par le va- et-vient des enfants, le soir qui tombe, la lenteur suggérée par les adverbes (« they begged sadly », «the door-latch was raised quietly »). Puis le mouvement revient brusquement (« he threw himself into a chair») avec le retour du patriarche et la découverte de son fardeau. C'est alors qu'un extraordinaire tableau dressé par Nelly rassemble la famille — presque pour la dernière fois — et isole l'enfant trou- vé: «We crowded round, and, over Miss Cathy's head, I had a peep at a dirty, ragged, black-haired child» (77). Le deuxième de ces tableaux, plus émouvant à cause de l'événement qu'il illus- tre, de la douceur du ton, et de la relative modération de la tempête (« yet it was not cold», p. 84), groupe au chapitre V, pour la mort du vieil Earnshaw, la famille entière sauf Hindley. Les allusions nostalgiques à l'unité se multiplient: les servi- teurs membres de la famille (« the servants generally sat in the house then»), la situation de chacun très exactement rapportée, avec en tête le sujet narrateur: «I, a little removed from the hearth, busy at my knitting» (cf. les «Birthday Frag- ments» cités dans l'Introduction); le contact continu du père jusqu'à Heathcliff en passant par Catherine: «she leant against her father's knee, and Heathcliff was lying on the floor with his head in her lap» — un des rares passages montrant l'union confiante de Catherine et Heathcliff. Et, par-dessus tout, le commentaire de Nelly «and we were ail together», dont la douceur nostalgique vient sans doute du rythme et de ce and apparemment illogique qui relie l'unité familiale à la des- cription du temps. Le together sera repris après la rupture, la perte (« her loss», 85) du vieil Earnshaw, comme dernier espoir — évoqué par le paradis dont s'entretien- nent Catherine et Heathcliff: «and, while I sobbed and listened, I could not help wishing we were all there safe together ». Mais ce passage consacre une rupture qui, à la réflexion était déjà consommée. Hindley, héritier légitime, était absent. Son retour accélère le processus: les ser- viteurs sont exilés dans l'arrière-cuisine (86-7), et Heathcliff cantonné avec les domestiques. Au chapitre VIII (106), après la mort de Frances, tous partiront sauf Nelly et Joseph. Tout le reste de Wuthering Heights sera sous le signe de la séparation, toujours redoutée par Nelly et toujours confirmée. Au chapitre IX, elle doit quitter Hareton (« we made a sad parting », 129) qui était comme son enfant (« my first bonny nursling », 104); au chapitre XXIX, c'est Catherine qui s'en va sans promesse de retour. Les deux maisons, distantes de quatre milles seule- ment, semblent séparées par un océan (XIII, 176). Le mot attachement, qui revient à trois moments importants, représente le besoin d'union, thème essentiel du roman. Chez la première Catherine, d'abord: «She had a wondrous constancy to old attachments» (VIII, 106); chez sa fille également: «That capacity for intense attachments reminded me of her mother» (XVIII, 224). Enfin Nelly plaide la cause d'Isabella en ces termes: «Whatever be your notion of Mr Edgar, you cannot doubt that she has a capacity for strong attachments...» (XIV, 187). C'est, bien sûr, à propos de Catherine et de Heathcliff que le thème de la sépa- ration revient le plus souvent. Les grands chagrins d'enfance de Catherine (III et XII) sont des souvenirs où elle se voit séparée de Heathcliff: «he and I must not play together» (64); «my misery arose from the separation that Hindley had ordered between me, and Heathcliff» (163). La grande scène du chapitre IX, où Catherine proclame l'identité des deux amants, est articulée sur l'exclamation « we separated!» (121), sur l'image de Milon de Crotone essayant de fendre un arbre, et sur l'arbre rompu par la foudre. Enfin l'étreinte ultime du chapitre XV est vue comme deux états distincts et le mouvement qui rapproche Catherine et Heathcliff est décomposé: «An instant they held asunder; and then how they met I hardly saw, but Catherine made a spring, and he caught her, and they were locked in an embrace from which I thought my mistress would never be released alive» (197). «Held asunder », puis «met», «locked», «embrace», loin de montrer le mouvement, l'escamotent aussi sûrement que les arguments de Zénon d'Elée: «how they met I hardly saw ». On pourrait, par ailleurs, dresser une liste des mots ou expressions traduisant l'union (101, «hold communion» ; 133, «They sat together »), et surtout la sépa- ration: «asunder» (155, 197, 291), «divide» (89, 290), et «separate», dont les exemples seraient trop nombreux. Retenons le plus marquant: «The greatest punishment we could invent for her was to keep her separate from him» (V, 83); il s'agit, bien sûr, de Catherine et Heathcliff. C'est cette punition réciproque que représente l'histoire du roman. La perspective centrale de la narratrice et des personnages fait ainsi redouter la séparation dans l'espace. Cette peur est renforcée par la crainte du futur et de ce que le temps recèle. La fragilité humaine, mise en relief par l'insolente santé de quel- ques exceptions (Joseph, Nelly, Heathcliff) est l'objet d'une constante attention de la part du lecteur et des personnages. Ainsi Catherine Linton au chapitre XXII: «I can't forget your words, Ellen, they are always in my ear. How life will be changed, how dreary the world will be, when papa and you are dead» (264). Par- fois ce sont des dates qui, rythmant le passage du temps, permettent de voir d'un seul coup passé, présent et avenir, et de mesurer le changement. Ainsi au chapitre XIII, lorsqu'Edgar apporte au chevet de Catherine les premiers crocus d'un prin- temps précoce: «... 'Catherine; last spring at this time, I was longing to have you under this roof — now I wish you were a mile or two up those hills; the air blows so sweetly, I feel that it would cure you'. 'I shall never be there, but once more!' said the invalid; 'and then, you'll leave me, and I shall remain, for ever. Next spring you'll long again to have me under this roof, and you'll look back and think you were happy today.'» (171-2).

Toutefois cette conscience du changement est généralement plus diffuse, et le symbolisme en fait un élément essentiel de la vision du monde. Ainsi l'image de la maladie hante la thématique de Wuthering Heights: langueur consomptive (Edgar, Linton) ou destruction d'êtres apparemment forts par leur démon intérieur (Catherine, Hindley). Il en va de même de la mort, entrevue comme un pressenti- ment (Frances, au début du chapitre VI) ou annoncée par un médecin (Kenneth) rude jusqu'à l'insensibilité (XIII, 171 ; VIII, 104). Cette angoisse diffuse est partie intégrante du point de vue. Elle rappelle les fragments de journal d'Emily Brontë et donne au lecteur le sentiment immédiat qu'il existe dans le monde de Wuthering Heights des unités profondément affec- tives, où le moi perd son autonomie. Lorsque leur intégrité est menacée, la person- nalité l'est également. Seules se résignent les natures sans vitalité ni passion, tel Edgar disant d'Isabella : «we are eternally divided» (XIV, 183). En revanche, chez les passionnés, la rupture détruit la cohérence du monde et des êtres. L'activité onirique qui se libère alors prend la forme du cauchemar — latent dans toute la deuxième moitié du roman. Cette activité peut aller jusqu'au délire psychotique. Elle fait aussi l'objet d'une appréhension proprement physique où sensations affectives et point de vue thymique jouent un rôle important. Le monde de Wuthering Heights est ainsi l'occasion d'une perception précaire qui peut se trans- former en hallucination, et d'un sentiment d'exister qui peut aller jusqu'au malaise le plus intense. L'étude de la maladie mentale puis physique, les variations de la présence psychosomatique au monde, seront ainsi l'objet des deux prochains chapitres.

CHAPITRE III

LA VISION ONIRIQUE: REVES ET DÉLIRES*

C'est une séparation (l'exil de Catherine) qui est à l'origine du rêve de Lockwood. C'en est une autre qui provoque le délire de l'héroïne (XI-XI I). Ce n'est pas un hasard si l'un est étranger à la séparation, qu'il n'a pas vécue, alors que l'autre en est la victime directe. Je réunis à dessein le point de vue du narrateur et l'expé- rience des personnages, conservant ainsi l'hypothèse d'une technique formelle (nar- rateurs et personnages distincts) différente de la vision du monde — le point de vue global résultant de l'ensemble narrateurs/personnages, avec un système de relais, de simultanéités et d'ambivalences. Ce sont pourtant d'abord les narrateurs qui imposent la vision onirique du monde dans Wuthering Heights, par une série d'expériences allant du rêve hypnique à l'illusion. Aussi est-ce par eux que l'on va commencer. La nature symbolique et les thèmes analogiques du réel ainsi perçu seront l'objet du Livre II.

1 - Le rêve

Le premier rêve de Lockwood nous plonge d'emblée en plein réalisme onirique. Il existe peu d'exemples littéraires qui restituent aussi puissamment la couleur vécue du songe. Celle-ci provient, en premier lieu, d'une attention scrupuleuse aux déterminismes, c'est-à-dire aux antécédents psycho-physiologiques du rêve. L'impression physique du narrateur, tout d'abord; cette sensation frileuse et nau- séeuse de s'endormir malgré soi et dans l'inconfort («I began to nod drowsily over the dim page», III, 64), renforcée par l'écho du journal de Catherine («My head aches, till I cannot keep it on the pillow »). Ensuite, cette demi-inconscience où l'esprit se tracasse et s'efforce de résoudre les énigmes de la veille permet au rêve de s'installer dans une totale continuité: « I began to dream, almost before I ceased to be sensible of my locality ». Enfin, toute l'expérience antérieure de Lockwood à Wuthering Heights contient

(*) - Au cours de ce chapitre et du suivant, plusieurs ouvrages de psychologie sont cités. En voici les références: Charles Baudouin, L'âme enfantine et la psychanalyse, Neuchâtel, 1964; M.-A. Séchehaye, Journal d'une schizophrène, Paris, 1950; S. Freud, Cinq psychanalyses, Paris 1954; Karl Abraham, Oeuvres Complètes, Paris, 1965; J. Chazaud, Les perversions sexuel- les, Toulouse, 1973; Yves Pélicier, Guide psychiâtrique pour le praticien, Paris, 1970; S. Freud, Trois Essais sur la sexualité. en germe les violences du premier rêve (*). L'empoignade avec Joseph et les fidè- les déchaînés rappelle directement la lutte contre les chiens au chapitre I, comme le montre le parallélisme des phrases: «parrying off the larger combatants, as effectually as I could, with the poker» (49) / «commenced grappling with Joseph, my nearest and most ferocious assailant, for his [ weapon ]» (66). Joseph est associé à la fois aux chiens féroces et au calvinisme sans réconfort de Branderham. La malignité fondamentale de la scène («Every man's hand was against his neigh- bour») est celle que Lockwood a pu voir régner dans la demeure de Heathcliff. Quant à l'impression d'être soumis à une situation incompréhensible et de con- tenir longtemps un sentiment de révolte — qui est celle de Lockwood durant le chapitre Il jusqu'à son éclat final («with this insult, my patience was at an end», 58) — on la retrouve à deux reprises dans le rêve, qui est fondé sur un pardon 490 fois accordé, sur un rythme d'impatience croissante:

'Sir', I exclaimed, 'sitting here within these four walls, at one stretch, I have endured and forgiven the four hundred and ninety heads of your discourse. Seventy times seven times have I plucked up my hat and been about to depart — Seventy times seven times have you preposterously forced me to resume my seat. The four hundred and ninety first is too much' (66).

A quoi Branderham répond:

'Seventy times seven didst thou gapingly contort thy visage — seventy times seven did I take counsel with my soul — Lo, this is human weakness; this also may be absolved! The First of the Seventy-First is come! (66).

Il va de soi que c'est l'interminable service de Joseph, rapporté par Catherine, qui fournit l'idée du sermon; et peut-être le physique du personnage qui suggère les images grotesques: «gapingly contort thy face». La préparation du second rêve est aussi naturelle, mais il est moins nécessaire d'insister sur ce qui a pu amener le narrateur à voir le spectre de Catherine: l'allu- sion à la magie noire (II, 57), la phrase de Catherine Linton(«Then I hope his ghost will haunt you», 59), la vision du cimetière de Gimmerton au cours du premier rêve, et surtout la lecture du Journal et l'hallucination qui suit. Le rêve se doublant d'une expérience fantastique, ce sont plutôt l'inadéquation et l'insuf- fisance des motivations qui doivent retenir ici l'attention — la suggestion d'un insolite irréductible. De plus, l'analyse inverse pourrait être appliquée à la scène terminale du chapitre Il, qui précède de peu les deux rêves. Elle révélerait à l'intérieur même d'un pas- sage censément vécu dans la clarté de la conscience éveillée d'évidentes traces oniriques. La paralysie de Lockwood maintenu au sol par les chiens (59) et en même temps le caractère inoffensif de leur action appartiennent de plein droit au monde des rêves:

(*) - Sur les rêves de Lockwood et leur causalité, cf. E.F. Shannon, D. Van Ghent et R. Fine (v. Bibliographie). L'article de ce dernier contient malheureusement de graves erreurs factuelles sur une scène du chapitre XVII. Fortunately, the beasts seemed more bent on stretching their paws, and yawning, and flourishing their tails, than devouring me alive; but, they would suffer no resurrection, and I was forced to lie till their malignant masters pleased to deliver me (II, 59).

Il en est de même de la colère disproportionnée et compulsionnelle de Lockwood, qui n'éveille aucun écho dans le monde extérieur — sinon le rire de Heathcliff, également déphasé:

The vehemence of my agitation brought on a copious bleeding at the nose, and still Heathcliff laughed, and still I scolded (59).

Enfin le retour final à la morosité de Heathcliff est à la fois un brusque change- ment et la récupération d'une tonalité de base, également suggestifs du monde onirique. Ainsi se manifestent la réciprocité du réel et du rêve et, au fond, l'unité du texte indépendamment des concepts référentiels de rêve et de réalité. Mais au niveau du réalisme onirique la soudure des deux rêves est encore plus remarquable. Le processus est le suivant: un son (la branche) est interprété suivant le thème du rêve (les coups de bâton). Ce bruit, en s'intensifiant, amène le réveil, mais de façon insuffisante pour permettre l'action — qui est alors rêvée au cours d'un deuxième songe; la branche de pin (*) est détectée, mais Lockwood, se rendormant aussitôt, s'en occupe en rêve, et suivant un nouveau thème. Le deuxiè- me rêve apparaît alors comme un pas de plus vers les profondeurs oniriques. Tout ceci est d'une grande vérité psychologique. Ce sont encore les bruits qui vont déterminer le deuxième rêve («rattled its dry cones», «the blast wailed by» — qui annonce la voix de l'enfant: «still it wailed»), tandis que le tumulte des hom- mes s'éloigne pour laisser la place à la tourmente et aux éléments déchaînés. Une expression anodine, «dreamt again; if possible, still more disagreeably than befo- re», permet de situer le deuxième rêve par rapport au premier, qu'en revanche une phrase aux résonances shakespeariennes avait introduit:

Alas, for the effects of bad tea and bad temper ! What else could it be that made me pass such a terrible night? I don't remember another that I can at all compare with it since I was capable of suffering (64).

On peut entendre ici l'écho, à la fois du songe de Clarence (Richard III, I, iv, 2-5: «0, I have pass'd a miserable night»), et de la réponse de Lennox à Macbeth (Macb, II, iii, 59-61),

Macb. 'Twas a rough night. Len. My young remembrance cannot parallel A fellow to it.

Il est certes bien difficile d'établir s'il s'agit vraiment d'une réminiscence.

(*) - Le mot fir, suivant un usage courant dans le nord de l'Angleterre, désigne les Scotch firs ( = pinés). L'enchaînement des causes psycho-physiologiques, et peut-être aussi le souvenir d'un exemple illustre, expliquent la couleur profondément authentique des deux rêves de Lockwood. Il semble que le réalisme onirique repose sur quelques éléments précis que l'on peut énumérer. Tout d'abord le caractère donné des sensations et des articulations du récit, où l'absurdité la plus totale semble régner: ainsi le bâton de pèlerin évoqué, on ne sait pourquoi, dès le début, et son absence condamnable. Les péchés dénoncés par le prédicateur sont gratuits, mystérieux et obscurs, «odd transgressions that I never imagined previously», et relèvent d'une culpabilité diffuse. Chaque image est livrée sans justification. Il en est de même du déroule- ment temporel et des enchaînements, faits de convictions brusques, emportant im- médiatement l'adhésion: «Then a new idea flashed across me», «a sudden inspi- ration descended on me». Le cours des événements change aussitôt, inexplicable- ment, sous l'effet d'une série d'intuitions obscures, écrasantes. La notion d'énor- mité est fondamentale; l'idée de quelque chose d'exorbitant, de colossal (490 sermons grandeur nature), d'impossible, à quoi il faut pourtant se soumettre. Il est vrai que la scène repose sur l'idée d'un crime incommensurable, à la fois certain et totalement irrationnel. C'est par là que se prépare le deuxième rêve, car la disproportion et l'énormité sont des composantes essentielles du cauchemar, qui s'apparente ainsi à l'intui- tion de l'infini. Le cauchemar s'annonce aussi par l'allusion subtile et rythmée aux mouvements du dormeur, «tossing about in his sleep»: «How I writhed, and yawned, and nodded, and revived! How I pinched and pricked myself, and rubbed my eyes, and stood up, and sat down again, and nudged Joseph to inform me if he would ever have done !» (65). Le génie de la romancière est de suggérer ainsi les mouvements réels à l'aide de l'action rêvée, et l'ironie attribue au rêveur les gestes mêmes de celui qui craint de s'assoupir. Le sens kinesthésique enfin, par ses ambivalences, est bien celui du rêve. Depuis le mouvement à la fois pénible, empêché, et pourtant aisé (le déplacement oniri- que se fait vite) de quelqu'un qui patauge dans une neige profonde («as we flounde- red on»), jusqu'au geste invraisemblable et naturel de celui qui brise une vitre d'un coup de poing pour retirer une branche. Mais on perçoit ainsi l'autre aspect fondamental de ce rêve: il est à la fois vécu et raconté. L'aisance étrange du mouvement, la gratuité des enchaînements, l'absur- dité des images et l'énormité du cauchemar prennent leur sens par rapport à la veille et depuis le point de vue d'un narrateur à la fois engagé et détaché (ce que révèle son humour). Le dédoublement se produit dès le début:

I began to dream, almost before I ceased to be sensible of my locality. I thought it was morning; and I had set out on my way home, with Joseph for a guide. The snow lay yards deep in our road; and, as we floundered on, my companion wearied me with constant reproaches that I had not brought a pilgrim's staff (64-5).

Les deux «I», celui de «began» et celui de «had set out», renvoient à deux sujets déjà distincts. Suivant une image souvent utilisée au cinéma, le moi onirique se lève, laissant le dormeur allongé, et se retrouve aussitôt dans la neige, et dans une atmosphère dont l'irréalité même est réaliste. La parenthèse sur l'église de (Leavis). Le seul autre exemple de ce thème est une remarque du poème H. 185, qui est à l'irréel:

If he could force his mind away From tracking farther, day by day, The desert of Despair.

Pour l'essentiel, les poèmes, au lieu de faire de l'oubli une conquête précaire et valable, le présentent comme une tentation vitale et superficielle du vouloir- vivre. On a vu comment ses amis ont oublié A.G.A. (H. 171 et 173), et les sol- dats de H. 28 marchent sur la tombe de leur chef sans baisser les yeux. A.G.A. est par ailleurs celle qui ne cesse d'oublier. Le fragment suivant, qui se rattache sans doute à son intrigue, lui convient particulièrement bien:

Here, with my knee upon thy stone, I bid adieu to feelings gone; I leave with thee my tears and pain, And rush into the world again (H. 49).

Le dernier vers est une parfaite image de la vitalité. Mais c'est H. 9 qui montre le mieux la spontanéité changeante d'A.G.A. Elle revient enfin sur la tombe d'Elbë, longtemps après, entièrement changée (v. 16- 17). Rien ne saurait être plus différent de Rosina. Elbë était mort désespéré, sûr d'être oublié («For you'll forget the lonely grave»); en effet, elle s'est laissée reprendre par le monde. Son puissant instinct de conservation, qui se révèle quand elle défend sa vie contre l'assassin (H. 143, v.240-8), fait d'elle un être autonome, égoïste, oublieux, facilement meurtrier. L'infanticide de A Farewell to Alexandria (H. 108) ne peut lui être attribué de manière sûre (son nom ne figure pas), mais les deux derniers vers lui conviendraient bien:

Farewell, unblessed, unfriended child, I cannot bear to watch thee die!

La sympathie du point de vue n'est pas susceptible d'analyse puisqu'il ne s'agit pas d'une œuvre composée, mais A.G.A. permet assez bien de comprendre le point de vue central sur l'oubli. Le poème H. 9 semble l'associer au vieillisse- ment:

And Earth's the same but oh to see How wildly Time has altered me!

Ceci constitue une raison de plus pour se méfier de la représentativité de H. 182. Si l'oubli est lié à l'image, le vouloir-vivre reste la tentation mauvaise qu'il était dans le roman. Dans les poèmes aussi, l'infidélité et l'inconstance sont l'objet d'une valorisa- tion négative. On a vu plus haut comment l'infidélité d'A.G.A. avait entraîné la cruauté désespérée d'Angelica (H. 143). Ceci est vrai dans le deuil, et aussi à l'égard des vivants. Les amis apparaissent oublieux dans plusieurs poèmes (H. 47, 64, 189, notamment), et l'inconstance fondamentale d'A.G.A. est le sujet de «Light up thy halls!» (H. 85), où l'on voit De Samara prendre conscience de l'enfer terrestre («frenzied thoughts» (v. 37) et se frapper à mort, maudissant la traî- tresse: Deceiver. Dans tous ces poèmes (v. aussi H. 42, 117), les liens ont été brisés. H. 188 nous les montre sur le point d'être délibérément rompus:

Till at last all old links broken I shall be a dream to thee.

Il s'agit d'une action maligne, mais elle appartient finalement à une expérience superficielle. Le deuil l'emporte infiniment sur l'oubli, et c'est ainsi que la médita- tion de Rosina sur la tombe de Julius (H. 182) garde une valeur centrale: face à la profondeur de la réminiscence, l'oubli peut, en un sens, apparaître comme un effort de conquête. La réminiscence est tellement puissante et omniprésente qu'on peut dire qu'en un sens on n'oublie jamais. De plus le vouloir-vivre dépasse l'oubli de toute sa signification - à tel point qu'ils peuvent apparaître en situation d'oppo- sition: ainsi le philosophe (H. 181) voudrait acheter l'oubli pour tuer le vouloir- vivre. Laissé donc à lui-même, l'oubli n'est qu'un phénomène de surface. L'œuvre entière d'Emily Brontë est une gigantesque figure de la mémoire. Si l'on pouvait oublier, la hantise de H. 34 («Sleep brings no joy to me») n'existerait pas et un des plus grands poèmes du recueil, H. 142 («There let thy bleeding branch atone»), n'aurait pas d'objet. La fidélité et la solidarité gardent une force incomparable car elles apparaissent comme un donné naturel: «I must cling closely to thy side» (H. 134). Le must ne signifie pas un effort aride mais une nécessité. Ce poème («Far, far away is mirth withdrawn») est totalement représentatif, puisqu'il montre que le sujet a partie liée à la fois avec le passé, le mal et l'autre, et qu'il est en outre solidaire d'un mort. C'est là un complexe obscur et fécond, objet de mystère et de secret. Il est parfaitement symbolisé par le poème H. 149 et l'image des «cellules» souterraines: «What tenants haunt each mortal ce ll». Nous portons en nous des attaches obscures qui ont suffisamment d'importance ontologique pour trouver place dans la vision d'ensemble des poèmes.

3 - Le passé et l'autre: le secret de la mémoire et de l'attachement

A - Le mystère de la réminiscence

Le passé surgit de toute part dans les poèmes, et comme dans le roman il revient sans cesse nous hanter. Très nombreuses en sont les images. Les instruments de mu- sique, comme les portraits (H. 25, 154), sont souvent les dépositaires de ce passé (la harpe, H. 59, la guitare, H. 76) car la musique est comme l'hormone de la mémoire (H. 91, 109). Le paradoxe de «For him who struck thy foreign string» (H. 76) est celui du souvenir de l'événement qui lui permet d'être encore alors même que sa source a disparu. Ceci confirme l'analyse précédente puisqu'il s'agit d'A.G.A. Inconstante, une fois de plus, elle croit avoir oublié le propriétaire de l'instrument, mais l'oubli superficiel ne peut rien contre le courant profond de la mémoire. Le paradoxe est développé de deux manières originales: la lumière s'attardant dans un vallon après que l'astre ait été masqué; le reflet des saules conservé par le ruisseau longtemps après qu'ils aient été coupés. La dernière stro- phe ajoute une image supplémentaire: le torrent coule alors que la source est tarie. La force métaphorique de ce poème vient de ce qu'il emprunte l'idée d'im- possibilité aux lois de la physique, et impose d'autant mieux la survivance para- doxale du monde spirituel. La paramnésie (cf. WH, XI) est une autre façon d'imposer la réminiscence par juxtaposition. Elle a le mérite d'évoquer le mystère et de reposer sur l'impres- sion du vécu (v. H. 153 et 82, déjà analysés). Deux allusions précises à l'abolition du temps font songer au délire de Catherine: «The space between is ail forgot» (H. 87); «It comes at last to cancel time» (H. 96). Ici encore passé et présent sont superposés. Le retour du passé s'accompagne d'une forte nostalgie qui le pare de couleurs édéniques. Le poème H. 87, indiqué ci-dessus, est un des exemples les plus nets. La nostalgie est le résultat d'une opposition analogue au paradoxe des images physiques. Le contraste n'est plus entre la mémoire et le changement du monde, mais entre le souvenir et le changement de l'être. H. 76 appartenait aussi à ce type. Le passé se charge alors de toutes les vertus affectives de l'intimité pro- tectrice, et creuse des abris:

Oh, I'm gone back to the days of youth, I am a child once more; And 'neath my father's sheltering roof, And near the old hall door (H. 113).

Cette nostalgie de l'éden est fondamentale, et c'est elle que l'on retrouvera au cœur de toute valorisation du souvenir. Mais elle n'est pas la seule expérience, et le passé - on l'a vu plus haut - reste secrètement associé au mal. Comme dans Wu- thering Heights on trouve donc deux niveaux de nostalgie qui, dans le roman correspondaient au passé «biblique» des Earnshaw (IV) et à l'enfance sauvage des deux enfants.

a - Les racines du mal Trois poèmes montrent ce qu'on pourrait appeler - au moins pour l'un d'entre eux - la voracité des souvenirs:

Old feelings gather fast upon me Like vultures round their prey (H. 120).

Ces trois poèmes rêvent d'un oubli qui serait le repos, mais qui est pressenti comme impossible. L'obscurité féconde de l'avant dernière strophe de H. 120 montre bien la complexité des sentiments et l'imbrication des impulsions contraires:

Yet could I with past pleasures Past woe's oblivion buy, That by the death of my dearest treasures My deadliest pains might die...

Oublier serait donc faire l'abandon d'un trésor particulièrement cher, et de plus, l'ensemble est à l'irréel. H. 34 («Sleep brings no joy to me») montre A.G.A. en proie à la solitude d'un monde de cauchemar. Le sommeil, lié au souvenir, voué à l'ombre des morts, n'apporte aucune consolation. Le seul souhait qui demeure est l'oubli dans la mort. Mais le caractère obsessionnel de la hantise montre à quel point elle est secrètement voulue. Le plus grand des poèmes sur la fatalité du souvenir et du mal est aussi un des plus obscurs. Il peut être cité en entier:

There let thy bleeding branch atone For every torturing tear: Shall my young sins, my sins alone, Be everlasting here?

Who bade thee keep that cursed name A pledge for memory? As if Oblivion ever came To breathe its bliss on me;

As if, through all the wildering maze Of mad hours left behind, I once forgot the early days That thou wouldst call to mind (H. 142).

Il n'est guère possible d'identifier le référent de thou ou de bleeding branch. Derek Stanford voit dans l'image des allusions possibles à la Crucifixion, et l'on pourrait songer à une flagellation. Ce poème montrant à la fois la hantise secrète du mal et une thématique du rachat, l'hypothèse est vraisemblable. Le cursed name de la deuxième strophe est sans doute anecdotique, et contrairement à l'image de départ doit être laissé de côté car il manque d'épaisseur symbolique: l'absence de référent en interdit l'exploitation. Le sujet demande à l'image sanglante de la souffrance de racheter la souffrance: il (ou elle) voudrait que ses «jeunes péchés» échappent à la fatalité de la permanence. Il s'adresse ensuite à un mémorial maudit dont il déplore l'inutilité, puisque les souffrances de la mémoire sont une fatalité. Ce mémorial voudrait assurer le souvenir d'un passé lié aux origines (early days) qui, pourtant s'impose de lui-même à travers le dédale et l'égarement des heures effré- nées et démentes déjà vécues. La paraphrase fait ressortir l'unité des deux dernières strophes et soulève la ques- tion de savoir s'il s'agit là du même thou que dans la première. Mais l'unité poétique profonde du passage impose une réponse affirmative. En ce cas le thou est à la fois celui qui rachète et qui rappelle - qui possède les deux attributs: cursed name, blee- ding branch. Le deuxième est lié par un rapport de possession. Le poème est cons- truit sur une constellation symbolique qui réunit le péché, la douleur, le sacrifice, et les associe à la mémoire. Le rachat et la jeunesse (young sins) suggérés par la première strophe ouvrent une espérance. La deuxième ne parle plus de rachat opéré à travers la souffrance, mais d'oubli, ce qui est un pas en arrière. La troi- sième commence par une belle image de l'enfer initiatique (le labyrinthe traversé pour retrouver plus loin encore un passé plus archaïque). Le poème semble donc à la fois affirmer la hantise du mal passé et celle du souvenir des origines, égale- ment douloureux car elles sont perdues. On rejoint ainsi les poèmes sur la nostal- gie des commencements ou ceux qui évoquent le bonheur perdu. Les deux niveaux de Wuthering Heights sont présents. Ce poème représente une synthèse, à la fois par son caractère complet et par sa beauté. Son obscurité féconde constitue un signe. Elle correspond à la difficulté de l'ex- ploration symbolique, et aussi au mystère de l'expérience évoquée. Le sujet semble être détenteur d'un secret qu'il porte en lui comme un destin. La forme allusive de l'expression protège l'énigme. Rien ici n'est fait pour accéder à la conscience claire, et la faute ou la souffrance sont par excellence le domaine de l'irrationnel. Plusieurs poèmes de moindre valeur expriment ainsi le secret de la culpabilité.

b - Le secret coupable

It's over now; I've known it all; I'll hide it in my heart no more (H. 55).

Ce it n'est pas expliqué, bien que le texte implique la «liquidation» d'une image jusqu'ici refoulée et traumatique. Le rêve étrange et terrible de H. 29 est égale- ment obscur et reste inexpliqué. Comme dans Wuthering Heights, il semble prendre consistance à l'extérieur de l'être, mais la fin du poème montre qu'il est lié à la culpabilité subjective (images célestes de l'œil, et figure majestueuse de la Cathé- drale). Deux poèmes du manuscrit E, dont le deuxième est l'esquisse d'un autre dont le manuscrit est perdu, H. 88 et 90, ont déjà été étudiés avec les séquences thématiques. Ils concernent un oiseau noir témoin d'un forfait («deed of slaugh- ter») ou guide du voyageur pour une tâche sinistre. L'un et l'autre gardent un style lugubre et allusif, et ce qui s'impose avant tout c'est le mystère ou l'énigme, liés au mal (le passé est absent.de ces évocations, puisqu'il s'agit d'actes commis récem- ment ou à commettre). Le deuxième semble vraiment désigner l'emplacement d'un cadavre enterré sur la lande: l'oiseau a le bec et les serres ensanglantés, et on nous dit:

Mark where it lights upon the heath, Then wanderer kneel thee down and pray.

Or il existe un autre poème où un sinistre anneau des fées est «a mute remembran- cer of crime» :

What winter floods, what showers of spring Have drenched the grass by night and day; And yet, beneath, that spectre ring, Unmoved and undiscovered lay A mute remembrancer of crime, Long lost, concealed, forgot for years, It comes at last to cancel time, And waken unavailing tears (H. 96).

Cette énigme sinistre réunit en un seul poème le passé, le secret, la culpabilité, et finalement la tombe. Le mot remembrancer a une force symbolique qui en fait l'emblème de tout un aspect de la poésie d'Emily (cf. «a pledge for memo- ry», H. 142). Les larmes inutiles (le «jamais plus») et la réminiscence orientent la fin du poème. Les mots importants sont spectre et, bien sûr, undiscovered, long lost, concealed, forgot - une accumulation de termes pour associer la dis- simulation et le secret à l'image de la terre. S'agit-il d'un infanticide? L'hypothèse est vraisemblable, d'autant plus qu'il existe deux poèmes dont l'un est assurément sur ce thème, H. 108 (A Farewell to Alexandria), et l'autre pourrait l'être: H. 150 (Geraldine). Mais il ne peut s'agir que d'une hypothèse. Un poème, en tout cas, également attribué à A.G.A., semble très proche de H. 96, et pourrait faire allusion au même événement (non identifié) : c'est celui qui décrit le secret du vallon maudit:

Why do I hate that lone green dell? Buried in moors and mountains wild, That is a spot I had loved too well Had I but seen it when a child.

There are bones whitening there in the summer's heat, But it is not for that, and none can tell; None but one can the secret repeat Why I hate that lone green dell (H. 60).

Les os blanchissants semblent bien jouer le même rôle que le rêve de Catherine au chapitre IX du doman; Emily Brontë aime beaucoup ménager un mystère à l'arriè- re-plan de ce qu'elle énonce. Pourquoi citer ces os s'il ne s'agit pas d'un secret lié à la mort? Le vallon maudit est censuré, et l'interdit est postérieur à l'enfance; le secret a coïncidé avec la perte de l'innocence. Le mystère s'associe encore à la terre, et en tout cas à un creux de la lande. Comme dans H. 96, où le fantasme était nettement terrestre, le secret maudit du passé est quelque chose que l'on porte en soi comme la terre porte les morts :

What tenants haunt each mortal cell What gloomy guests we hold within - Torments and madness, tears and sin! (H. 149).

Ces trois vers, en effet, ne laissent aucun doute sur leur parallélisme avec ceux qui décrivent les morts «habitant» leur étroite «cellule»:

Beneath the turf my footsteps tread Lie low and lone the silent dead; Beneath the turf, beneath the mould - For ever dark, forever cold (cf. H. 56, «the cold tenants of the tomb»).

Nous portons donc en nous notre mal passé comme nous portons nos morts. La figure, obscure et complexe, est ici encore signifiante. L'autre fait partie de ce complexe du passé, du mal et du secret. A.G.A. était déjà hantée par le sou- venir (H. 34, strophe 1) et les ombres des morts (strophe 2). Cette expérience se rattache à la solidarité.

B - Solidarité et complicité

La solidarité est le souvenir non pas de soi mais de l'autre - ma mémoire de l'autre, pourrait-on dire. Il faut maintenant poursuivre l'analyse de H. 149, déjà amorcée par l'étude du pronom we. Alors que H. 134 («Far, far away is mirth withdrawn») exprime la fidélité personnelle par delà la tombe (commune with me) et à travers le mal, H. 149 livre une théorie mythique de l'obscure solidarité qui nous lie aux «blessures» passées subies en communion avec la terre et conser- vées par elle sous la forme de la cavité funéraire. Il ne peut y avoir de repos tant qu'existent la souffrance et le péché. Plus même, tant qu'elle a été, puisque avoir été c'est être encore, grâce à la mémoire. La possibilité même du scandale est déjà son existence, et son existence est aussitôt permanence. Ma souffrance et celle de l'autre sont une, et un seul vers réunit «the woe l've seen and heard and felt below». On ne peut abandonner et oublier en gagnant un ciel qui alors n'en serait pas un. Au niveau personnel, Catherine dira «heaven did not seem to be my home» (IX) et «I won't rest till you are with me» (XII, 164). Ici encore le mirage est refusé (dazzling, v. 35). L'oubli n'existe pas, et il faudra faire que le mal de l'autre n'ait pas été pour que l'éveil à un autre monde (avant-dernier vers) soit possible. Cette intuition a toute l'obscurité de l'injustifiable dont elle est l'expérience. Le paradoxe consistant à vouloir, sinon annuler ce qui a été, du moins le transformer, exprime un sentiment de découragement au niveau phénoménal, et rend compte du caractère souvent très sombre de la poésie brontëenne. L'expérience repose sur l'omniprésence du thème de la mémoire, dont le verbe hoard exprime la résonance. Mais remember ne se sépare pas de woe, et la mémoire est également blessure qui ne se ferme pas, cette blessure étant ressentie par le sujet, quand bien même elle appartiendrait à l'autre. «My great miseries in this world have been Heathcliff's miseries, and I watched and felt each from the beginning» (WH, IX, 122). «My Darling Pain» n'a pas ici ce caractère replié et tautologique («je suis je») noté dans H. 176, et la souffrance achète l'attachement. L'ensemble se cristallise dans le symbole des «hôtes ténébreux» qui habitent à la fois l'être et la terre. La mémoire du mal et de la mort excluent à jamais toute innocence ignorante:

Sweet land of light! thy children fair Know nought akin to our despair; Nor have they felt, nor can they tell What tenants haunt each mortal cell... La solidarité des enfants de la terre est - comme dans le roman - la complicité des réprouvés. Ce poème envisage une issue, sur laquelle je reviendrai. Il me faut d'abord, à la lumière de Wuthering Heights, poursuivre ce thème de la solidarité au niveau des poèmes et rechercher l'origine de cette complicité qui, comme dans le roman, est d'abord une complicité des origines.

a - Complicité des origines Plaidant sa cause, le vent rappelle au sujet qu'ils ont été des «amis d'enfance» (H. 140), et l'horreur du crime d'A.G.A. contre Angelica est d'avoir brisé leur affection née «In the pure light of childhood's morn» (H. 143, v. 68). La perspec- tive est très semblable à celle du roman, et H. 159 («Thy Guardians are asleep») évoque la complicité de Heathcliff et de Catherine et le souvenir du passé sans pourtant faire allusion à la souffrance:

And neither Hell nor Heaven, Though both conspire at last, Can take the bliss that has been given, Can rob us of the past.

Le mystère des attachements passés dans Wuthering Heights se renforce des implications incestueuses, et on en trouve la trace dans les poèmes. Elles étaient naturelles aux rêveries littéraires des enfants Brontë, comme le montrent les juve- nilia. On ne peut pourtant pas tirer argument de textes écrits par d'autres qu'Emily, malgré la symbiose onirique et littéraire des quatre enfants: les seuls écrits restant sont de Branwell et Charlotte. Mais une impression assez vague d'assimilation et de consanguinité s'impose à la lecture de ces récits monotones que Hatfield a recopiés dans des cahiers conservés au Brontë Parsonage Museum et que R. Bel- lour a partiellement réunis et traduits (Pauvert, 1972). Une étude généalogique des intrigues pourrait peut-être apporter des confirmations plus nettes, mais les personnages ne sont pas ceux de Gondal. Un poème inachevé de 1837, H. 42, mon- tre une jeune fille qui languit loin de Fernando, et se prépare à mourir. S'adressant à sa mère, elle rappelle le départ de Fernando dix ans plus tôt. Fernando et la jeune fille semblent bien avoir la même mère, et l'affection qui les lie est équi- voque. Si le poème H. 117 concerne les mêmes personnages (le nom Areon est commun, ainsi que le fantasme d'attente, l'image du dépérissement), l'implica- tion d'inceste se trouve renforcée. Comme dans le roman, la valeur symbolique de l'inceste est l'aspiration à l'unité. Ainsi lit-on dans le Cantique des Cantiques (8): «0 that thou wert as my brother, that sucked the breasts of my mother!». De plus, il renforce l'image du concret, et H. 42 comme H. 117 sont des poèmes où l'obscurité et l'énigme ne sont pas seulement dues à l'absence de données référentielles sur l'intrigue. La figure des deux enfants, notée par Dorothy van Ghent, appartient au même thème, et on la trouve dans H. 186 et H. 187, justement intitulés The Two Children par Char- lotte Brontë. L'«homme de fer» de H. 99 est aussi un ami d'enfance du sujet, et les métamorphoses de H. 153 («H.A. and A.S.»), effaçant les différences entre les êtres et redoublant le mystère, donnent à l'image sa forme la plus complète et la plus intéressante.

b - La «camarederie» du sado-masochisme Le Dieu des Visions du poème H. 176 est un être irréel (phantom thing) qui a besoin de toute la force secrète des pulsions pour prendre une existence ima- ginaire concrète. Il devient alors roi, esclave et «camarade». Les deux derniers termes font intervenir la dialectique sado-masochiste:

A slave because I rule thee still; Incline thee to my changeful will And make thy influence good or ill - A comrade, for by day and night Thou art my intimate delight -

My Darling Pain that wounds and sears And wrings a blessing out from tears By deadening me to real cares; And yet a king - though prudence well Have taught thy subject to rebel.

Ce roi n'est guère royal: il est surtout esclave et compagnon. C'est en fait l'identi- fication masochique inhérente au fantasme sadique, que ce poème permet surtout de dégager. L'élément nouveau par rapport au roman est l'équivalence postulée entre camaraderie et douleur, entre intimate delight et Darling Pain. Le masochiste n'abandonne rien de son autonomie, et il conserve la direction de l'expérience. H. 138 s'abandonne beaucoup plus, puisque c'est un poème d'appel. C'est sans doute le poème le plus profondément féminin d'Emily Brontë: «grief for grief», «answering woe for woe». Il implore la pitié: «If any ruth can melt thee». Mais ce sont les hommes qui se voient plusieurs fois imposer l'attitude passive et, dans le cas de Samara, l'identification de l'auteur se fait sans doute à la fois avec la victime et le bourreau (processus de «décomposition» et création de doubles). Pourtant l'importance d'A.G.A. et le fait même qu'elle soit une femme suggèrent une hiérarchie au sein de l'identification, dans des poèmes comme H. 133 et H. 85. On y voit le personnage masculin offrir à la cruelle le spectacle de ses souffrances, de sa dégradation et de sa mort. Il subsiste, certes, un désir de vengeance et un geste de défi, mais le moyen choisi est entièrement masochiste:

Thy raving, dying victim see, Lost,cursed, degraded, all for thee! (H. 133).

L'aveu du triomphe de l'autre, l'hommage rendu à son intrépidité sont purement masochiques, mais le fantasme global, au niveau du poète, doit être identifié comme sadique. Deux poèmes pourtant montrent le sadisme incorporé à une structure qui le dépasse. J'ai déjà cité H. 123 («We some may hate») qui accumule des images dignes de Wuthering Heights (weak, the slave of... pain») puis, grâce à la structure dramatique, s'élève à une compréhension qui prend (sans bien convaincre, il est vrai, tant la force des images appartient à l'impulsion contraire) le nom de pitié:

Do I despise the timid deer Because his limbs are fleet with fear?

Cette compréhension philosophique sans vraie chaleur est celle qui permet à Linton Heathcliff d'avoir aussi sa place dans le roman. Dans le repos de la mort et au niveau de l'éternel, le scandale de ces êtres s'estompe. Ce poème est de 1839. L'avant-dernier poème, H. 192 (14 septembre 1846; le roman était sans doute terminé), pourtant fondé lui aussi sur des images sadiques, les dépasse infiniment. On peut considérer que ce poème constitue de fait un testament poétique, à la fois par sa singularité, sa qualité (malgré quelques ma- ladresses gondaliennes et la forme inachevée) et par l'importance qu'il semble avoir eu aux yeux de l'auteur: deux années plus tard, elle travaillait à une refonte (H. 193). Le héros décrit les sarcasmes et actes de cruauté qu'il a infligés au prisonnier blessé et mourant, provoqué par son aveu de faiblesse, ses gémissements, et le spec- tacle de sa mort (groaned, v. 104, cease/ess moans, v. 127, unhonoured pain, v. 107, wailed for death, yea wai/ed to die, v. 194, qui rappelle H. 143, v. 273, déjà cité) - suivant un processus décrit dans le roman. Il reproche à la victime son man- que de sto ïcisme :

And mocking moans did I reply And asked him why he would not die In noble agony - uncomplaining (v. 215-7).

Il décrit aussi la camaraderie, suggérée plus haut, entre victime et bourreau:

Captive and keeper, both outworn Each in his misery yearned for morn (v. 132-3).

Mais on voit déjà que cette camaraderie va au-delà de la relation sado-masochiste, et suggère le fond commun du malheur des êtres et de la condition humaine. De plus, le retournement final va montrer une situation inversée où c'est le bourreau qui supplie, où la victime s'élève infiniment au-dessus des phénomènes et des sensations (domaine de la finitude et du sadisme) et, accordant le pardon, accède à la Valeur. Un au-delà du sadisme vécu et conçu en lui-même apparaît donc pour la première fois. Jusqu'à présent l'expérience de l'absolu permettait seulement de le transcender par oubli et changement de niveau ontologique, le dépassement du sadisme n'étant qu'implicite. Il est maintenant directement l'objet de l'expérience ascensionnelle. Pour la première fois la remarque de Charlotte sur la valeur du pardon et de la pitié chez sa sœur (il s'agissait d'Edgar Linton) semble autre chose qu'un vœu pieux et l'idée émerge du texte lui-même. Citons encore le passage:

Nothing moved her more than any insinuation that the faithfulness and clemency, the long-suffering and loving-kindness which are esteemed virtues in the daughters of Eve, become foibles in the sons of Adam. She held that mercy and forgiveness are the divinest attributes of the Divine Being who made both man and woman, and that what clothes the Godhead in glory, can disgrace no form of feeble humanity (Preface de Whuthering Heights).

C'est un au-delà du sadisme qui apparaît ainsi vers la fin de l'œuvre. Il faut main- tenant le préciser.

C - Au-delà du sadisme: sacrifice, pitié et rédemption

La solidarité est souffrance commune, et H. 149 comme le roman ont montré que l'enfer terrestre à deux n'était déjà plus l'enfer. Plusieurs poèmes dépassent le thème de la simple fidélité pour accéder à la notion de sacrifice. C'est notamment le cas de H. 189 et H. 101. L'idée de la souffrance à la place de l'autre s'y impose déjà par charité. L'idée d'une métamorphose, qui ferait plus que substituer une victime expia- toire à la victime désignée, et permettrait un vrai changement d'être par l'interven- tion d'un médiateur, est présente dans The Two Children, et la joie profonde qui anime le deuxième de ces poèmes est l'indice d'une transmutation qui, dépassant la condition finie, atteint à un autre mode d'être:

«Ah, not from heaven am I descended, And I do not come to mingle tears; But sweet is day, though with shadows blended; And, though clouded, sweet are youthful years.

I, the image of light and gladness, Saw and pitied that mournful boy, And swore to take his gloomy sadness, And give to him my beamy joy (H. 187).

L'amour a brisé l'étau du destin, et le lien ici est échange. La souffrance assumée à la place de l'autre par l'être de lumière est métamorphose, et le sacrifice n'entraî- ne aucune image négative. Cet ange ne descend finalement pas du ciel mais il ne vient pas non plus pour partager la souffrance: il apporte la joie. On assiste ainsi à une expérience qui est la synthèse de celles exprimées par H. 149: le Child of Delight n'a pas l'innocence ignorante des enfants du ciel, et il brise la fatalité des enfants de la terre. La rédemption que laissaient imaginer les deux derniers vers de H. 149 semble se produire ici, sous l'effet de la pitié. L'alchimie est réussie. On songe, par certains côtés, à Hareton et Cathy - qui, certes a des cheveux de lumière mais n'a pas les yeux bleus. Pourtant le poème reste léger et aérien, et c'est le rachat (atone) sanglant de H. 142 qui lui sert de contrepartie dans la thématique de la rédemption. Là aussi la première strophe évoque un dépassement de la fata- lité du souvenir et l'espoir d'une transformation par l'intercession et le sacrifice. Mais le reste de ce court poème est soit retour en arrière, soit réflexion statique sur la situation présentr. C'est pourtant le plus vraiment chrétien des poèmes d'Emily, après H. 192. Il faut maintenant poursuivre et achever l'analyse de ce poème. J'y ai vu à la fois une dernière image sadique et une situation fondamentale du tragique: la mé- chanceté gratuite envers l'innocent. La fin montre un brusque revirement ironi- que qui fait du bourreau un suppliant. C'est alors la victime qui brise le fatal enchaînement de la vengeance et de la guerre en proclamant la transcen- dance du pardon. L'allusion antérieure aux flèches qui percent «the Eternal Heart» (v. 175) se précise et le prisonnier parle pour la première fois, affirmant l'au-delà du talion:

«I lost last night my only child Twice in my arms twice on my knee You stabbed my child and laughed at me And so», with choking voice he said

«I trust in God I hope she's dead Yet not to thee, not even to thee Would I return such misery. Such is that fearful grief I know I will not cause thee equal woe...» (v. 237-245).

On est ici en perspective chrétienne et Gondal est dépassé.

Ainsi l'étude du secret des liens avec le mal, la mort et le passé amène, par delà le sadisme, à voir le rôle qu'Emily accordait à la pitié. Une première ébauche, H. 123, ne dépassait pas le niveau verbal de l'affirmation et, en tant qu'expérience réellement transmise, restait au stade de la compréhension philosophique. Mais plusieurs poèmes exploitent le thème des liens dans une perspective transcendante qui permet la métamorphose ou, en langage chrétien, l'expérience du sacrifice et de la rédemption. Ce langage est justifié par deux poèmes seulement: H. 142 (de manière obscure), H. 192 (de manière explicite). La pitié dynamise l'expérien- ce statique de la solidarité, et conduit à la charité (H. 101), à la métamorphose (H. 187), et enfin au rachat (H. 142, 192). Les deux derniers vers de H. 149 deviennent alors une possibilité authentique:

Or waken but to share with thee A mutual immortality.

Il n'y a plus seulement fidélité au mal mais transformation du mal. Pourtant l'en- semble des poèmes laisse une importance considérable à l'expérience première - celle qui ne donne pas accès à l'alchimie. La complicité est un sentiment si fort chez Emily Brontë qu'il y a toujours une crainte de désertion ou d'infidélité. Wuthering Heights est d'ailleurs l'histoire d'une infidélité qui se heurte à une fidé- lité plus profonde. S'il demeure un résidu d'irréductible et d'injustifiable dans l'expérience, l'évasion est impossible. Il n'y a pas de nature corrompue que viendrait remplacer la grâce: la nature doit être «récupérée». Le rachat se fera avec, ou il ne se fera pas. Cette expérience demeure un mystère. De plus, elle est en contradiction avec le mythe de l'âme exilée et les aspirations révélées par l'expérience mystique. Il faut, sinon unifier, du moins confronter ces points de vue. CONCLUSION

LA MÉTAPHYSIQUE ET LA THÉOLOGIE DES POEMES:

«THE PHILOSOPHER» ET «NO COWARD SOUL».

L'ESSAI SUR LE «PAPILLON»

La tension entre la nostalgie de la libération et la fidélité au mal terrestre est en effet au centre de l'expérience poétique d'Emily Brontë:

Few hearts to mortals given On earth so wildly pine; Yet none would ask a Heaven More like this Earth than thine (H. 147).

Ce que les trois poèmes H. 142, 147 et 149 affirment, c'est tout en même temps la nécessité d'un rachat qui n'exclue rien (c'est-à-dire qui rende compte du mal et incorpore le passé), l'expérience d'une fidélité et d'une mémoire qui de toute façon vont de soi, et la tentation de l'oubli avec l'espoir du rachat. Si l'on ajoute la présence de la pitié, dont on a vu qu'elle pouvait être moyen de transformation, on tient l'essentiel de la thématique. Deux poèmes vont préciser le débat. H. 181, The Philosopher est un dialogue métaphysique entre le Philosophe et le Voyant, dont l'allure générale évoque Blake. Le thème et l'image font aussi songer à Kubla Khan (par les fleuves décrits et la ressemblance entre «Had I but seen his glorious eye» et «Could I revive within me»). La mort souterraine, la fusion dans l'élémentaire et la perte de la conscience personnelle symbolisée par l'abolition des sens (v. 7 à 10) rappellent l'extraordinaire quatrain de Wordsworth (Lucy) :

No motion has she now, no force; She neither hears nor sees. Rolled round in earth's diurnal course With rocks, and stones, and trees.

Le Voyant interroge le Philosophe qui médite dans une chambre obscure et sinistre (lui qui est pourtant space-sweeping soul). La «Conclusion du Philosophe» est le souhait du nirvana au sein de la mort: il est exprimé par un fantasme hivernal avec perte de l'identité et de la sensation. L'idée du ciel qu'on nous «promet» (v. 11; c'est une image temporelle) ne saurait satisfaire les désirs contraires, pas plus que l'enfer ne saurait les maîtriser. L'idée du ciel (ou de l'enfer) apparaît donc comme inadéquate et entachée de temporalité - d'anthropomorphisme. Faute de mieux, le Philosophe lui préfère (ce qui est une tentation) ce nirvana austère et vraiment mort, expérience très imparfaite d'une éternité panthéistique. La fin éclaire ce point: s'il n'était pas désespéré, le Philosophe n'aurait jamais renoncé à «This sentient soul». Il a en lui un surplus, une transcendance que la théologie des hommes ne peut satisfaire, d'où la pure et simple nostalgie de l'oubli et du repos. Trois dieux se querellent sans cesse dans son «petit corps». Le ciel ne pourrait les contenir, alors qu'ils tiennent en lui (tout le passage est fondé sur ce contraste spatial). L'opposition entre la transcendance personnelle et l'inadéquation de l'idée du ciel est réaffirmée, pour supprimer les conflits et les souffrances il ne reste donc que l'oubli de soi et la délivrance (insatisfaisante) par la mort. Le Voyant l'interpelle alors. Il vient de voir un esprit aux pieds duquel coulaient trois fleuves égaux (or, sang et saphir) qui se réunissaient pour tomber dans une mer d'encre. On songe aussitôt aux trois dieux, et un problème d'identification se pose. Il faut pourtant se garder de vouloir interpréter à tout prix, mais on peut définir des directions. Ainsi, le sang évoque les profondeurs de l'instinct, la vitalité des pulsions et du vouloir-vivre. L'or, qui est feu et soleil, est image de dépasse- ment, de l'aspiration au plus, et c'est lui qui constituait le point oméga de l'alchi- mie. Quant au saphir, qui appartient à la symbolique de l'azur, c'est un intermédiai- re; sa couleur évoque des vertus humaines et l'idée de la réflexion. On pourrait assez aisément se référer à la deuxième topique freudienne (le sang étant le ça et le saphir le moi), mais elle est beaucoup trop réductive dès qu'il s'agit de l'or. Quant à la mer d'encre, l'image substantielle est assez proche du fleuve de sang, de même que la mer transfigurée et enflammée est du côté de l'or. Telle quelle, la mer d'encre fait songer à la mort. C'est une synthèse négative des contraires que le Voyant a d'abord perçue, un analogue du fantasme de nirvana où se réfugiait le Philosophe. Les trois dieux le poussaient vers la mort de même que les trois fleuves s'acheminent vers une mer d'encre. Mais cet océan de nuit s'est soudain enflammé quand l'Esprit a abaissé son regard de feu; il est devenu blanc comme le soleil, et d'une beauté incompara- blement plus grande que celle des trois sources séparées. On s'achemine ainsi vers une synthèse positive des contraires, qui est alchimie, transfiguration et résurrec- tion. Le Philosophe n'a jamais connu cette expérience visionnaire directe et mystique du dépassement positif des contraires. Il n'aurait pas souhaité cette éternité morte (isomorphe de la mer d'encre) si la vision n'était pas restée étrangère - comme le montre la structure dramatique et dialoguée. Ce souhait - celui de l'oubli (cf. H. 34, 142) - est une tentation de la lâcheté (coward cry) et une aspiration au néant (v. 48). Mais les trois dieux, réduits maintenant à une simple dualité (power and will: finitude du pouvoir et infini du vouloir), poursuivent leur lutte (cruel strife), et la seule solution au problème du mal qui soit à sa portée reste le nirvana, qu'il envisage d'ailleurs comme surimposé à la défaite du bien (puisque la seule possi- bilité que le mal puisse triompher est déjà son triomphe en acte), ce qui confirme le pessimisme de cette synthèse négative:

And vanquished Good, victorious III Be lost in one repose.

On voit donc que ce poème subordonne tout espoir de rachat à la transfiguration de l'extase. Les trois solutions envisagées sont, par ordre d'authenticité croissante, la théologie anthropormophique, la tentation de l'anéantissement, et l'expérience mystique de la coincidentia oppositorum. La première est une illusion, une pro- jection de l'imagination temporelle et finie: l'esprit se détourne du promised Heaven comme les enfants de la terre de la dazzling land above (H. 149), qui était un vulgai- re mirage. La solution est alors un repli vers la solidarité terrestre qui est celui même du poème H. 149. Le Philosopher y ajoute seulement l'image de l'oubli et du néant, qui apparaissait dans d'autres poèmes sous forme de nostalgie du repos et de décou- ragement. La troisième solution est la seule véritable, et elle apporte une première réponse à la question posée au début de cette conclusion. La vraie vision n'est pas une éva- sion, et le Voyant conduit au-delà du mythe de l'âme exilée. Il existe une extase qui n'est pas infidélité, mais transfiguration. Les trois fleuves n'ont pas cessé d'exis- ter: ils ont été métamorphosés. Le cachot n'est pas retourné à la matière tandis que l'âme s'envolait (H. 148). Les tendances contraires continuent à subsister, mais elles sont fondues en une seule vision. Il n'y a pas d'infraction à la loi de solidarité. Cette conception de l'extase qui seule permet «a mutual immortality», l'expé- rience authentique du conflit qui détruit les illusions théologiques de l'anthropo- morphisme, rappellent par certains côtés l'aventure de Faust avec le Erdgeist. Il se voit reprocher d'avoir imaginé l'Esprit à sa propre image (Faust, I, 512-3). Quant au fantasme il reste pure et simple tentation. Tout dans les poèmes - et en particulier l'expérience du Voyant à l'intérieur même de H. 181 - montre qu'aucun oubli n'est possible dans un univers du plein, et que «There is not room for Death» (H. 191 ). H. 191 est une invocation à la présence totale et une méditation sur la connais- sance directe de Dieu. Ce Dieu, Destroyer and Preserver (v. 17 à 20), rappelle donc la vision de Shelley, et n'est pas sans analogie avec le Erdgeist déjà mentionné. Il est aussi «pure activité» et, par la vision d'une éternité cyclique dans le devenir, il reprend les images du grand poème Death (H. 183). H. 191 décrit par ailleurs la vision directe qui s'était refusée au Philosophe, et précise par là même le rejet du discours théologique. Le refus du ciel donne ici ses raisons:

Vain are the thousand creeds That move men's hearts, unutterably vain, Worthless as withered weeds Or idlest froth amid the boundless main

To waken doubt in one Holding so fast by thy infinity So surely anchored on The steadfast rock of Immortality L'intuition de l'absolu annule ses représentations. Comme l'écrit Cassirer (Language and Myth, p.74), «The Divine, instead of entering into the welter of properties and proper names, the gay kaleidoscope of phenomena, is set off against this world as something without attributes. For every mere «attribute» would limit its pure essence; omnis determinatio est negatio. It is especially the cuit of mysticism, in ail ages and among ail peoples, that grapples again and again with this intellec- tual double problem - the task of comprehending the Divine in its totality, in its highest inward reality, and yet avoiding any particularity of name or image. Thus ail mysticism is directed towards a world beyond language, a world of silence». Ce que la vision révèle ici, c'est un monde du plein, véritable sphère parméni- dienne où la mort n'a pas de place. Un cosmos où la créature participe à la puissan- ce qui, en retour, repose en elle. Il est certain qu'à ce niveau le mal est incorporé, mais on peut se demander s'il conserve encore une existence réelle, car on est très proche du «panenthéisme». Les images spatiales du plein ont une grande force (room, atom, void) et viennent renforcer l'idée de la permanence de l'Etre:

Since thou art Being and Breath And what thou art may never be destroyed.

Le mystère de l'Absolu - non réductible aux images que nous en avons - sauvegar- de pourtant la transcendance. Et il trouve son application dans le problème concret du salut, plusieurs fois abordé hors de toute formulation théologique traditionnelle. Si l'on excepte H. 111, poème de damnation dont l'outrance suggère une orienta- tion dramatique («Compassion reigns a little while, Revenge eternally», on songe à Joseph), la «théologie» des poèmes semble confirmer celle du roman. Deux poèmes de 1840 s'attachent à préciser cet aspect. H. 133 se place d'un point de vue limité (celui de Samara) et énonce la finalité de l'enfer terrestre comme prélude purifica- teur à une éternité compensatoire:

Shall these long, agonising years Be punished by eternal tears?

No; that I feel can never be; A God of hate could hardly bear To watch through all eternity His own creations dread despair!

The pangs that wring my mortal breast, Must claim from Justice lasting rest; Enough, that this departing breath Will pass in anguish worse than death.

If I have sinned, long, long ago That sin was purified by woe: I've suffered on through night and day; I've trod a dark and frightful way. L'autre poème est encore plus révélateur car il décourage l'anthropomorphisme en énonçant le mystère de la transcendance:

But God is not like human-kind; Man cannot read the Almighty mind; Vengeance will never torture thee, Nor hunt thy soul eternally (H. 134).

Faisant du Jugement un mystère et non une rétribution morale, Emily retrouve des formes très archaïques du christianisme.

Il est possible de trouver confirmation de ces hypothèses dans le devoir en fran- çais d'Emily Brontë sur le Papillon (fait à Bruxelles le 11 août 1842). Il s'agit là d'un essai qui en principe échappe à l'affabulation, et qui révèle une réflexion métaphysique très cohérente. Le devoir commence un peu comme H. 170 (A Day Dream) par la description d'un monde d'apparences («tout paraissait heureux, mais pour moi, ce n'était qu'une apparence»), et d'expériences infernales (l'hiver et le désert) :

Dans une de ces dispositions de l'âme où chacun se trouve quelquefois, lorsque le monde de l'imagination souffre un hiver qui flétrit toute sa végé- tation; lorsque la lumière de la vie semble s'éteindre et l'existence devient un désert stérile où nous errons, exposés à toutes les tempêtes qui soufflent sous le ciel, sans espérance ni de repos ni d'abri...

L'enfer se déchaîne essentiellement dans l'image de la cruauté universelle: «La création entière est également insensée», «La nature est un problème inexplica- ble, elle existe sur un principe de destruction».

Ce principe fait que l'égoïsme du vouloir-vivre apparaît comme exclusion, négation, destruction de l'autre: «Il faut que tout être soit l'instrument infatigable de mort aux autres, ou qu'il cesse de vivre lui-même». C'est donc un cercle infernal de péché et de souffrance: le ver nuit à la plante qui le nourrit; l'homme tue et meurt. Or, comme dans H. 149, tout espoir d'évasion est écarté. Aucune «promesse de ciel» (H. 181) ne peut faire oublier le mal qui n'a pas été racheté (H. 142):

C'est vrai qu'il y a un ciel pour le saint, mais le saint laisse assez de misère ici bas de l'attrister même devant le trône de Dieu. [je laisse intactes les erreurs de français]. Poussée à son terme la solidarité amène presque à douter de l'innocence de Dieu qui laisse exister le mal: «Je doutais presque de la bonté de Dieu, dans ce qu'il n'anéantit pas l'homme sur le jour du premier péché». La création est mise en question. C'est à ce point que l'analyse change d'orientation, lorsque, la chenille écrasée, s'envole un papillon. Or, il s'agit d'une «image traditionnelle de la libération de l'âme» (J. Hillis Miller, p.201), c'est aussi et surtout une image de transformation - de métamorphose: «... comme la laide chenille est l'origine du splendide papil- lon...». Le même être se prête au changement. Ce changement est un symbole (le mot est d'Emily), une médiation permettant à l'imagination finie de comprendre ses limites et de s'en remettre au mystère de la transcendance, infiniment éloigné des illusions de l'anthropormophisme. Malgré les erreurs de langue, le passage pos- sède un rythme magnifique:

Que la créature ne juge pas son Créateur, voilà un symbole du monde à venir. Comme la laide chenille est l'origine du splendide papillon, ainsi ce globe est l'embrion d'un nouveau ciel et d'une nouvelle terre dont la beauté la plus pauvre excédera infiniment ton imagination mortelle et quand tu verras le résultat magnifique de ce qui te semble maintenant si basse combien mépriseras tu ta présomption aveugle, en accusant Omniscience qu'elle n'avait pas fait périr la nature dans son enfance.

Le dernier paragraphe reprend l'idée de la transformation à l'aide de l'image du bûcher (qui fait songer à Empédocle) et de celle de la semence (qui évoque encore Shelley), assignant à chaque souffrance subie sa place dans l'avènement du monde nouveau. Avec une plus grande confiance et à travers d'autres images (le feu évoque plutôt H. 181), c'est le réveil et la transfiguration envisagésdans les deux derniers vers de H. 149 qui sont décrits:

Dieu est le dieu de justice et de miséricorde; puis assurément, chaque peine qu'il inflige sur ses créatures, soient elles humaines ou animales, raisonables ou irraisonables, chaque souffrance de notre malheureuse nature n'est qu'une semence de cette moisson divine qui sera resemblés quand le péché ayant dépensé sa dernière goutte de venin, la Mort ayant lâché son dernier trait tous deux expireront sur le bucher d'un univers en flamme et laisseront leurs anciennes victimes à un empire éternel de bonheur et de gloire -

Ainsi, ce très bel essai confirme-t-il de manière plus directe la vigueur méta- physique manifestée par les poèmes. On y retrouve pratiquement tous les thèmes explorés au cours de cette conclusion. L'opposition entre les images d'évasion et celles de la solidarité trouve sa résolution dans deux poèmes de la fin et dans un devoir fait à Bruxelles en 1842. Celle-ci repose sur l'intuition d'un univers du plein où toute expérience a sa place, sur le passage de la fidélité à la métamorphose, et sur la notion de rachat par la souffrance. Elle suppose d'abord que le mystère de l'absolu ait été dégagé de toutes les fausses croyances de la finitude, et que sa transcendance ait été révélée. L'originalité de cette vision réside néanmoins dans l'importance conservée par les images de la mort et de la terre, alors même que la libération est pressentie (H. 147). A part quelques instants d'illumination, la méditation poétique d'Emily Brontë reste prisonnière de la fatalité des attaches, et malgré l'intense nostalgie causée par le sentiment de l'exil, on rencontre un refus - une incapacité - de renier les profondes allégeances de la terre. Comme dans son roman, la force de l'auteur est d'avoir su donner un statut métaphysique à la complicité des réprouvés. CONCLUSION GÉNÉRALE

Un bilan de cette étude fait ressortir deux aspects: Emily Brontë est un écri- vain orienté à la fois vers l'affabulation et vers une réflexion métaphysique qu'ali- mentent des expériences visionnaires et une tendance plus générale au mysticisme naturel. Cette expérience métaphysique prend quatre formes principales. Tout d'abord, au cœur de toute activité humaine - et plus particulièrement dans l'amour ou l'acte d'imaginer - s'éprouve cette conscience d'être trop grand pour soi-même, cette expérience d'une transcendance interne à la subjectivité, qui rappellent la première preuve de Dieu chez Descartes. Pourtant cette «lumière» (H. 168), cette «représen- tation toute subjective du divin qu'elle découvrait en elle» (J. Blondel, p.417) tend parfois à coïncider avec l'expérience de l'imaginaire en acte; à s'affirmer aux dépens de toute altérité, donc a fortiori, de toute transcendance. Cette ten- tation, révélée par les poèmes, mène à une impasse («Since my own soul can grant my prayer», H. 176). Elle repose sur toutes les virtualités de narcissisme que l'expé- rience de Catherine laisse entrevoir. «The later dissatisfaction and disintegration in [Emily Brontë's] life, arose from her shift of apprehension of the Absolute; she shifted from an objective to a subjective position... a destructive process, since sources of replenishment are not self-generated» (Muriel Spark, p.95). L'insatisfaction est d'autant plus grande que l'expérience contraire, irruption de l'Autre sous la forme du Visiteur, est également très présente. Cette troisième expérience en suscite une dernière que l'on pourrait énoncer comme besoin d'un Autre qui soit en même temps transcendance; comme recherche d'un Visiteur qui incarne l'absolu révélé par la réflexion et coïncide avec la première expérience métaphysique. Ainsi les quatre vers ajoutés au Prisoner en 1846 assimilent nette- ment le Messager connu par l'«essence intérieure» (H. 190) au God within my breast (H. 191). Catherine et Heathcliff sont à la recherche d'une telle expérience: «an existence of yours beyond you» (IX), «My soul's bliss kills my body, but does not satisfy itself» (XXXIV, 363). C'est donc la quête de l'absolu que révèlent les poèmes et qu'incarne avant tout le roman. L'intransigeance du «tout ou rien» correspond à ce que Charlotte appelle paganisme et idôlatrie dans le chapitre XXIV de Jane Eyre et rien ne saurait mieux montrer la différence des deux sœurs. Chez Emily la notion de pèlerinage n'est pas concevable, alors qu'elle appartient à la forme même du roman de Charlotte. Tout au moins voit-on se dessiner une structure parallèle de dépassement avec l'intrigue Cathy - Hareton, qui se contente d'une mort symbolique pour amorcer une renaissance. Mais l'intention profonde est le désir de mort, et c'est lui qui incarne vérita- blement l'intransigeance de la vision brontëenne. Il s'accompagne d'images austères et terrestres car il repose sur une contradiction: le désir de libération et l'impatien- ce de l'exil se heurtent à un besoin tout aussi total de solidarité, que l'expérience du mal ne fait qu'exaspérer. Ces deux impulsions contraires se prêtent à une syn- thèse qui restera négative et lugubre tant que le miracle de la vision ne s'est pas opéré. C'est elle que communiquent les images des poèmes H. 149 et 181. C'est elle également qui donne à Heathcliff sa première «consolation» du chapitre XXIX. Il en existe pourtant une autre, entièrement positive, que certains poèmes, les dernières visions de Heathcliff, la dernière nostalgie de Catherine (glorious world), et enfin le devoir sur le Papillon, permettent d'entrevoir: la transfiguration d'une mort qui n'est pas désertion mais rédemption. Cet «appel du bûcher», que Bachelard appelle «complexe d'Emphédocle» repose bien évidemment sur une infrastructure psychologique. La soif d'absolu, chez Emily Brontë, est inséparable d'un érotisme de l'amour et de la mort, et d'une imagination extraordinaire, aussi à l'aise dans le concret que dans la fable. L'ima- gination s'adresse au corps. J'ai tenté de décrire les servitudes psycho-physiologi- ques qui donnent à l'œuvre sa substance et sa hantise: la névrose d'abandon, le masochisme des phtisiques ne sont pas suffisants, certes, mais ils sont, à leur niveau, nécessaires et on a pu voir les analogies avec le journal de Marie Bashkirtseff, où l'avidité, l'intransigeance, et le narcissisme déterminent un «secret désir de mort». Les références à la pensée de Simone Weil constituent également un rapprochement instructif. On trouve chez cet auteur la même soif d'absolu et la même puissance de réflexion, jointes à de redoutables servitudes corporelles. Mais cette comparaison fait aussi ressortir une différence fondamentale. Au dévouement, à cette véritable frénésie oblative que témoigne Simone Weil dans sa vie et son œuvre, s'opposent chez Emily Brontë ce que Jacques Blondel appelle l'amour de soi. Par une autre démarche, j'ai essayé de mettre en lumière cet aspect essentiel, qui rend compte à la fois de la tentation narcissique de l'autonomie, du sadisme omniprésent dans l'œuvre, et du vouloir-vivre qui demeure en perpétuel- le tension avec le désir de mort. A l'issue de l'analyse du roman, ces deux derniers thèmes avaient été reliés à la notion de perspective. L'analyse des poèmes a permis de compléter en dégageant le rôle joué par l'affabulation et l'adoption d'une per- sona. Muriel Spark parvient sur ce point à une conclusion voisine de celle entrevue ici - au moins partiellement: «Of course it is said that consumption has an optimism of its own; but Emily does not give the impression of optimism. Her refusai of medical care, of any assistance, and her agonised attempts to move about as usual, show rather an effort to combat the fact of her illness... Nor does the manner of her death convey the idea of death-wish. Such a condition would not call forth tho- se dramatic qualities which she displayed; she was the centre of attention during her illness; she attracted the silent horror of her sisters at her persistent refusai of any kind of help or alleviation; she knew they were aghast at this perverted mar- tyrdom; these factors do not lend themselves to interprétation of a wish for death; rather, a distorted wish for life - a wish to be observed as an autonomous, powerful sufferer» (pp.87-8). Si l'on corrige l'excès de cette interprétation, par l'affirmation de l'ambivalence (désir de mort et vouloir-vivre), il reste la juste perception de ces «qualités dramatiques» et du «désir d'être observé». Il faut maintenant aborder l'autre terme de ce bilan: le besoin d'affabulation.

.....

C'est bien une persona assumée jusqu'à la mort que révèlent certains poèmes (The Old Stoic, H. 146), les devoirs de français (notamment Le chat, petit chef d'oeuvre de sarcasme glacé), et ce mépris intraitable et stoïque que l'on connaît grâce aux lettres de Charlotte. Je l'ai attribué à la force des tendances sadiques. Mais il révèle aussi le besoin qui a poussé l'auteur à toujours se projeter dans des rôles. En dépit du miracle de la création de Wuthering Heights, il ne semble pas que la romancière ait jamais pu surmonter dans sa vie même l'expérience du psy- chodrame littéraire de l'enfance: le Fragment en prose de 1845 nous apprend qu'à l'âge de 27 ans, elle s'était livrée à un jeu de rôles en compagnie d'Anne durant tout un voyage. A ce niveau, l'affabulation est un destin: l'être se projette et se perd. Chacun de ces masques, comme l'a montré Roland Kuhn, est une mort. On voit donc à quel point le contenu de Gondal est indifférent. L'interprétation littérale de la saga laisse échapper l'essentiel qui est besoin de projection. Pire même, elle s'attache à ce qui reste une faiblesse, à ce que l'auteur par manque de maturité n'a pas su épargner à ses plus grands poèmes (H. 190, 192). Une analyse de Wuthering Heights faite suivant ce principe chercherait l'intérêt du roman dans le byronisme de Heathcliff. L'intérêt profond du besoin d'affabuler est d'abord la création spontanée de doubles. Il semble, d'après Robert Rogers (A Psychoana/ytic Study of the Double in Literature, Detroit, 1970), que le processus soit naturel dans la fiction d'origine féminine. Il est ainsi normal que les rapports de puissance aient l'importance notée, et dessinent en dessous de la surface des personnages une structure interne de répétitions. On voit alors comment le progrès des poèmes au roman a permis d'épurer les rôles; de réduire leur gratuité et d'accroître leur étendue. D'une part déjà, les plus grands poèmes dépassent l'affabulation et cherchent la récupération de soi- même dans la réminiscence cathartique (v. H. 91 et 92). Mais surtout, la réussite incomparable du roman est l'adoption d'une persona qui exclut la pose et engage une grande partie de l'être, tout en acceptant sa finitude. «Habiter» le personnage de Nelly Dean, c'est trouver un lien avec l'univers le plus concret; c'est ouvrir la perspective sur quelque chose. On retrouve ainsi les analyses sur la découverte du monde et sur l'exploration dans Wuthering Heights. Mais il y a plus. Accepter de voir par les yeux de Nelly, c'est renoncer à faire plus qu'entrevoir le mystère de la transcendance. C'est renoncer aux illusions d'une participation inauthentique et factice. Ainsi la persona s'accorde à la thématique - la forme au fond - et la vision se pose d'emblée comme simple pressentiment. Jouer le rôle de Nelly, c'est faire passer dans la vision même ce qui est le thème fondamental du roman: la nostalgie du paradis. A ce niveau, les images nées de l'affabulation prennent un sens nouveau du fait même de leur diversité. C'est sur l'idée de relativité que s'achevait l'étude du roman, et c'est elle qui a conduit jusqu'aux poèmes. La relativité est la sœur de l'affabulation, la vérité du mythique comme du dramatique. L'unité de la nostalgie se superpose à la pluralité des représentations. Aussi y a-t-il autant de paradis que d'êtres. L'absolu est postulé par chacun de nos actes, et la vérité de l'expérience est celle de l'anthropomorphisme assumé et par là même se dépassant lui-même. L'idolâtrie n'apparaît pas plus fausse que les systèmes du discours théologique («Vain are the thousand creeds»), et c'est vers elle que le roman oriente ses ima- ges: «le rêve mystique dans ses illuminations trop rares pour Emily Brontë, et la nostalgie de l'unité qui torture les amants dans Wuthering Heights, sans être de la même nature, ont cependant la même visée» (J. Blondel, p.414). L'erreur serait au contraire dans l'anthropomorphisme primaire, qui refuse de s'avouer. De la même manière, sous la multiplicité des images, on perçoit l'unité profonde de l'existence. L'au-delà n'est pas une figure brontëenne. On trouve des images du ciel, beaucoup d'images de la terre, mais les valeurs qui leur sont attachées sont toujours susceptibles d'être inversées. On peut dire, en un sens, que l'au-delà est omniprésent, derrière le voile ou le rêve du phénomène. Le glorious world auquel aspire Catherine n'est pas contraire aux images terrestres; il ne contredit pas son rêve du chapitre IX. Il ne contredit pas non plus la vision souterraine qu'a Heathcliff au chapitre XXIX: l'illumination du poème H. 181 ne détruisait pas la mer d'encre, elle la transfigurait. Seul existe l'absolu, pourvu que nous sachions le voir. L'unité s'accommode donc de la diversité. Elle en dépend même puisque l'accès à l'absolu passe par l'imaginaire et la création. Ainsi, le roman maintient une invin- cible dualité. On peut le lire dans sa continuité, et alors aux tourments et à la mort succède le renouveau, témoignant d'une même «certitude de l'immortalité du dé- sir», d'une même «volonté de dépassement» (J. Blondel, p.412). On admet simple- ment l'idée d'un progrès de l'amour condamné vers l'amour terrestre. Mais on ne peut s'en tenir à cette lecture: il restera toujours une hantise qui est le signe de la puissance et d'une préférence qui est l'indice de la valeur. La disproportion est telle que l'on peut à peine parler d'ambivalence. De même la dualité de la nostalgie et de la solidarité reste irréductible au niveau de la création poétique. Par intermittence, une expérience extraordinaire mais ina- chevée laisse entrevoir la transfiguration . Seul le roman,-par son pouvoir imaginai- re créateur, parvient à fixer et transmettre cette expérience, dont les poèmes livrent à l'état brut l'intention. Ainsi se justifie la démarche régressive adoptée, remontant du chef-d'œuvre à l'ébauche.

En résumé, l'étude de la perspective et de la vision brontëennes a laissé trois ima- ges. Tout d'abord, un rôle, une persona stoïque, victime des servitudes psychologi- ques et du destin de l'affabulation. Ses contradictions laissent échapper l'être et conduisent sans faillir vers la mort. L'expérience cathartique de la réminiscence montre comment l'être peut parfois se retrouver lui-même. Mais surtout elle révèle une nostalgie beaucoup plus totale, qui vise une autre expérience ineffable; sans cesse menacée, elle est soutenue par cette force de conception qui avait frappé le professeur bruxellois - C. Heger - et qui s'exprime dans la réflexion métaphysique. Cette vision, enfin, suscite un effort très authentiquement romantique pour l'éprou- ver «on the puises» dans l'activité de la création et le devenir de l'existence. Ainsi l'expérience visionnaire et l'activité artistique se sont disputé une existence par ailleurs consacrée à des tâches très modestes. Il semble probable qu'Emily Brontë ait voulu éprouver ce qu'elle imaginait. Elle fut ainsi contrainte de créer pour vivre, essayant en vain de vivre ce qu'elle créait.

BIBLIOGRAPHIE

Cette bibliographie se limite aux livres et articles qui, à des titres divers, éclai- rent la présente étude, et aux ouvrages de référence, éditions ou biographies. Les études citées sont en général récentes. Cette liste peut se compléter à l'aide des bibliographies contenues dans les ouvrages de J. Blondel, L. & E.M. Hanson et J. Hewish (infra). Depuis 1895, de très nombreux articles sur Emily Brontë ont paru dans les Brontë Society Transactions (BST) - v. l'Index publié en 1967 par la Brontë Society (volumes 1 à 15). Quant à la revue américaine Nineteenth Century Fiction (NCF), elle contient dans presque chacun de ses volumes un ou plusieurs articles sur Wuthering Heights. Autres abréviations: CE = College English, EC = Essays in Criticism.

1 - Editions (Les éditions de Wuthering Heights reproduisent le plus souvent le texte revu - et modifié - par Charlotte Brontë en 1850. Toutes celles indiquées ci-dessous sont fidèles à l'original de 1847).

Wuthering Heights. A Novel, by Ellis Bell, with , by Acton Bell, 3 vol., T.C. Newby, 1847. Wuthering Heights, Introduction by Mark Schorer,Holt, Rinehart & Winston, 1950. Wuthering Heights: Text, Sources and Criticism, Thomas Moser (ed.), Harcourt, Brace & world, 1962. Wuthering Heights: An Authoritative Text with Essays in Criticism, William M. Sale, Jr (ed.), Norton, 1963. Wuthering Heights, ed. David Daiches, Penguin, 1965. Wuthering Heights, ed. Hilda Marsden and Ian Jack, Clarendon Press, Oxford, 1976. Poems by Currer, Ellis and Acton Bell, Aylott and Jones, 1846. The Complete Poems of Emily Jane Bronte, ed. C.W. Hatfield, Columbia University Press, 1941.

2 - Biographies BLONDEL, Jacques: Emily Brontë: expérience spirituelle et création poétique, Paris, 1955. GERIN, Winifred: Emily Brontë: A Biography , Oxford, 1971. LANE, Margaret: The Brontë Story - A Reconsideration of Mrs Gaskell's Life of Charlotte Brontë, Londres, 1953, Fontana Books, 1969. HANSON, L.& E.M.: The Four Brontës, Oxford, 1949. HEWISH, John: Emily Brontë: A Critical and Biographical Study, Londres, 1969. SIMPSON, Charles: Emily Brontë, Londres, 1929. SPARK, Muriel, & STANFORD, Derek: Emily Brontë, Her Life and Work, Londres, 1953. 3 - Bibliographies critiques

BLONDEL, Jacques, «Cent ans de critique autour d'Emily Brontë», Les Langues Modernes, 42 (1948), 283-8. «Emily Brontë: Récentes explorations», Etudes Anglaises, 11 (1958), 323-30. CHRISTIAN, Mildred, «The Brontës», in L. Stevenson (ed.), Victorian Fiction: A Guide to Research, Harvard, 1964, pp.214-44. WATSON, Melvin, R., «Wuthering Heights and the Critics)), Trollopian, 3 (1949), 243-63. ZANDVOORT, R.W., «Recent Literature on the Brontës)), English Studies, 24-5 (1943), 177- 92. V. également M. ALLOTT et J.P. PETIT (infra).

4 - Anthologies critiques

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5 - Etudes diverses

ADAMS, Ruth M.: «Wuthering Heights: the Land East of Eden», NCF, 13 (1958). 58-62. ALLEN, Walter: The English Novel, Harmondsworth, 1958. pp.194-8. ALLOTTMiriam: «Mrs Gaskell's 'The Old nurse Story»: A link between Wuthering Heights and The Turn of the Screw)), Notes & Queries, 8 (1961), 101-2. «Wuthering Heights: The Rejection of Heathcliff?», EC, 8 (1958), 27-47. BATAILLE, Georges: La littérature et le mal, Paris, 1957, ch.l. BELL, Vereen M.: «Wuthering Heights and the Unforgivable Sin», NCF, 17 (1962), 188-91. «Wuthering Heights as Epos», CE, 25 (1963), 199-200 & 205-8. BENTLEY, Phyllis: The Brontës, Londres, 1947. The Brontës and their World, Londres, 1969. BLONDEL, Jacques: (v. Biographies). «Nouveaux regards sur Emily Brontë», Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humai- nes d'Aix, 35 (1961), 141-97. «Emily Brontë and Emily Dickinson: A Study in Contrasts)), in Etudes Brontëennes, Gap, 1970, pp.19-29. 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INDEX DES POEMES CITES

H.1, «Cold, clear and blue» : 247, 268, 301, H.35, «Strong I stand»: 271, 273, 318-9. 308. H.36, «The night is darkening»: 262, 280, H 2, «Will the day» : 273, 277, 300. 302,335. H.3, «Tell me, tell me»: 273, 277, 280, H.37, «I'll come»: 271, 280, 318, 319, 320. 300, 312. H .38, «I would have touched»: 263, 277. H.4, «The inspiring music's»: 268, 279, H .39, «O transient voyager»: 125, 235, 291,294. 239, 243, 276, 292, 296, 312, 318, 320. H.5, «High waving heather» : 56, 269, 280, H.40, «Awake! awake» : 246, 274, 293. 295,302. H.41, «I die; but when the grave»: 271, H.6, «Woods, you need not» : 262, 270, 302. 280, 298, 306, 340, 341. H.7, «Redbreast, early» : 271, 307, 312, H. 42, «O mother»: 243, 267, 277, 278, 337. 315, 344,350. H .8, «Through the hours» : 268, 294, 310, H.43, «Weaned from life» : 50, 270, 280, 315. 327,333,335. H.9, «There shines the moon» : 145, 232, H.44, «I'm happiest»: 262, 303, 309, 320, 239, 247, 267, 299, 301, 309, 310-1, 328, 322, 324, 325, 326. 334 , 340 , 343. H .45, «All hushed and still»: 258, 280, 282. H.10, «All day I've toiled» : 262, 277, 301, H.46, «lernë's eyes» : 247, 268, 291, 292, 311. 310. H .11, « I am the only being» : 277. H.47, «But the hearts» : 232, 258, 276, 315, H.12, «The night of storms» : 263, 280, 335, 344. 304, 306, 308, 319. H .48, « Deep, deep down» : 240. H.13, «Woe for the day»: 144, 247, 304. H.49, «Here, with my knee»: 240, 270, 279. H .14, «I saw thee, child» : 271, 277, 299, 304, H.50, «O come again»: 240, 270, 279, 317. 319. H .51, «Was it with the fields»; : 250, 270, 317. H.15, «O God of heaven»: 266, 280, 292, H.52, «How loud the storm»: 240, 268, 292. 334-5 341 H .53, «What use is it» : 240, 269. H.16, «Lord of Elbë»: 232, 239, 271, 280, H .54, «O evening» : 240, 273, 280. 298, 301, 302, 306, 307, 308, 315. H.55, «It's over now» : 263-4, 347. H.17, «The battle had passed»: 240, 268. H.56, «The wide cathedral»: 246, 258, 280, H.18, «How golden bright» : 240, 268, 312. 293,349. H .19, «Not a vapour»: 240, 247, 268, 280, H .57, «O hinder me» : 277. 301. H.58, «Darkness was overtraced»: 274. H.20, «Only some spires»: 240, 269, 298. H .59, «Harp of wild» : 280, 344. H .21, «The sun has set» : 240, 262, 298, 302. H.60, «Why do I hate» : 243, 244, 272, 285, H 22, « Lady» : 240, 291. 315, 348. H .23, «And first an hour» : 269, 308, 321, H.61, «O wander not»: 232, 240, 241, 243, 322. 270. H .24, «Wind, sink» : 270, 303, 310. H.62, «This shall be» : 247, 259, 270, 278, H 25, « Long neglect» : 165, 268, 344. 301. H.26, «Awaking morning»: 268, 294, 308. H.63, «Tell me, watcher» : 232, 246, 267, H 27, « Alone I sat» : 263, 277, 331. 273,280, 298,301. H.28, «The organ swells» : 232, 246, 258, H .64, «None of my kindred» : 247, 261, 277, 264,277, 280, 293, 343. 337, 344. H 29, «A sudden chasm» : 266, 280, 291, H.65, «'Twas one of those»: 240, 268. 293,294,304, 308, 319, 347. H.66, «Lonely at her window»: 240, 268. H.30, «'Tis evening now» : 259, 262, 313. H.67, «There are two trees»: 240, 262, 302. H.31, «The old church tower» : 262, 280. H.68, «What is that smoke»: 240, 268. H .32, « Far away» : 270, 299. H.69, «Still as she looked»: 240, 268. H .33, «Now trust a heart»: 125, 271, 296, H.70, «Away, away» : 240. 302. H.71, «It will not shine again»: 240, 263, H .34, «Sleep brings no joy» : 243, 276, 280, 280. 344,346,349, 356. H .72, «None but one» : 240, 268. H . 73, «Coldly, breakly» : 240, 268. 294,344. H .74, «Old Hall of Elbë»: 240, 242, 270, H .110, «Thou standest» : 232, 240, 241, 242 291. 260, 273, 277, 304, 308-9, 310. H .75, «Well, narrower draw»: 232, 245, H .111, «Shed no tears» : 306, 358. 246,268,280,286, 298, 304. H .112, «Sleep not, dream not»: 271, 277, H.76, «For him who struck»: 232, 243, 337. 280,344-5. H .113, «Mild the mist» : 263, 345. H.77, «In dungeons dark» : 246, 259, 326-7. H.114, «How long will you remain»: 273, H .78, «The evening sun» : 268. 308. H .79, « Fall, leaves, fall» : 125, 259, 270, 296. H.115, «It is not pride» : 259, 265, 279, H .80, «Geraldine, the moon» : 125, 232, 245, 294. 270,271,283,296,315. H.116, «Fair sinks the summer» : 232, 256, H.81, «I knew not 'tvvas» : 232, 245, 271, 257, 274, 299. 283,296. H.117, «Alcona»: 243, 256, 272, 344, 350. H .82, «Where were ye all»: 235, 244, 272, H .118, «O between distress»: 126, 259, 271, 273,345. 307. H.83, «I paused on the threshold»: 126, H .119, «There was a time» : 261. 234-5, 255, 266, 278, 286, 291, 301, 302, H.120, «The wind, I hear it» : 232, 257, 307. 312, 345-6. H B4, «O come with me» : 316. H .121, «Love is like» : 232, 257, 300. H.85, «Light up thyhalls»: 232, 243, 271, H.122, «There should be not despair»: 231, 279, 280,298,315, 328, 344, 351. 232, 251, 252, 254, 258, 272, 277, 299, 304. H .86, «O Dream» : 232, 257, 271, 312, 328. H .123, «Well, some may hate» : 73, 231, 232, H .87, «When days of beauty» : 259, 345. 252, 253, 258, 267, 351 -2, 354. H .88, «Still beside» : 259, 268, 347. H .124, «The wind was rough» : 275. H .89, «There swept adown» : 259, 268, 293. H.125, «His land may burst»: 246, 269, H .90, «The starry night» : 232, 259, 272, 347. 301, 304, 337 H.91, «Loud without the wind» : 125, 143, H .126, «Start not» : 271, 277, 293. 232, 254-5, 256, 257, 260, 266, 279, 280, H.127, «That wind, I used to» : 281, 284, 281, 284, 285, 296,298,299,302,304,312, 304,328. 315, 328, 344, 363. (H .128, poème de Charlotte Brontë, attribué H 92, «A little while» : 232, 254, 255, 256, à tort à Emily. V. BST, XII, 1952, p.126). 270, 280, 284-5, 297, 298, 328, 363. H .129, «That dreary lake» : 301. H .93, «How still, how happy» : 125, 232, 254, H.130, «Heaven's glory shone» : 259, 286. 255,280,296,298. H.131, «Upon her soothing breast» : 268, H.94, «The blue bell is» : 232, 254, 255, 256, 278. 257,280,298, 302, 312, 328. H .132, « I gazed within» : 301. H .95, «The night was dark»: 256, 257, 260, H.133, «Thy sun is near meridian» : 232, 243, 267, 268, 279, 299, 304, 319. 247, 271, 280, 308, 315, 351, 358. H .96, «What winter floods» : 243, 244, 259, H .134, «Far, far away» : 232, 258, 259, 272, 269, 285, 345, 347-8. 274,276,344,349, 359. H.97, «From our evening fireside», 232, 246, H. 135, «It is too late» : 232, 257, 259, 328. 274,277. H.136, «I'll not weep» : 231, 232, 253, 254, H .98, «King Julius» :232, 245, 246, 268, 277, 256,259,271,300. 286,293,308. H.137, «At such a time» : 224, 232, 240, 241, H .99, «The soft unclouded»: 264, 273, 337, 270, 276,308, 315. 350. H.138, «If grief for grief»: 232, 256, 257, H.100, «Sacred watcher» : 232, 240, 241, 270, 279, 317, 351. 256,273. H.139, «'Tis moonlight»: 259, 262, 268, H .101, «May flowers» : 259, 276, 303, 313, 280, 302, 309, 312. 353,354. H.140, « In summer's mellow midnight» : H.102, «I did not sleep» : 147, 256, 272, 143, 144, 232, 256, 273, 277, 280, 281, 292, 302,305,328. 303, 309, 316-7, 318, 319, 350. H .103, «I know not how»: 270, 303, 304. H.141, «Companions, ail day long»: 246, H .104, «The busy day» : 232, 239, 274, 247, 274, 295,296. 276, 280, 282, 291. H.142, «There let thy bleeding branch» : H .105, «Month after month» : 310. 259, 271, 302, 344, 346-7, 348, 353, 354, H .106, «She dried her tears» : 259, 268, 355, 356, 359. 276. H.143, «Where they shepherds» : 227, 232, H .107, «And now the house-dog» : 212, 268, 233, 239, 242, 243, 244, 245, 246, 247, 266, 277 , 319-20. 268, 277, 278, 286, 295, 300, 302, 303, H.108, «I've seen this dell» : 231, 232, 244, 306, 309, 311, 335-6, 340, 343, 350, 352. 278, 280, 302, 343, 348. H.144, «And like myself lone» : 259, 264, H .109, «Come hither, child»: 247, 273, 280, 292, 307, 313,326-7. H .145, «Methinks this heart» : 263, 299, 300, H.174, «When weary with the long»: 231, 312. 232, 251, 253, 258,271,277, 320, 329, 330, H.146, «Riches I hold»: 231, 232, 253,254, 331,339. 256,261, 283,363. H.175, «Corne, the wind may never» : 232, H .147, «Shall Earth no more» : 143, 232, 271, 245,274, 277. 277, 256, 281, 303, 304, 316, 318, 320, H.176, «O thy bright eyes» : 65, 231, 232, 322, 331, 355, 360. 251, 253, 254, 258,272,280,318, 320, 329, H .148, «Aye, there it is» : 143, 159, 232, 256, 330,331,339,349, 351, 361. 270, 281, 305, 313, 320, 322, 324, 325, H .177, «The winter wind is loud» : 231, 232, 326,327,328,331,357. 247, 249, 250, 251, 273, 278, 280, 292, 298, H.149, «I see around me tombstones» : 201, 299, 302, 307, 309, 312,327, 335, 339, 341. 232, 258, 259, 275, 278, 280, 296, 303, 304, H.178, «Listen, when your hair»: 146, 232, 322, 330, 332, 340, 344, 348-50, 353, 354, 239, 245, 278, 280, 305. 355,357,359,360,362. H.179, «The moon is full» : 231, 232, 246, H.150, «'Twas night»: 232, 245, 247, 265, 253, 272, 276, 277, 278, 309, 311, 316. 276, 277, 278, 295, 328, 337,348. H.180, «O Day! He cannot die»: 231, 232, H.151, «Weeks of wild delirium»: 232, 245, 233, 235, 239, 243,247,250, 251, 267, 277, 246, 247, 258, 268, 276, 307, 308, 335. 299,300, 306, 317, 334, 340. H .152, «I do not weep» : 232, 242, 272, H.181, «Enough of Thought, Philosopher»: 277, 278, 340, 341. 227, 231, 232, 249, 250, 251, 253, 254, H.153, «In the same place» : 232, 241, 242, 258, 259, 273, 277, 322, 328, 341, 355-7, 265, 328, 345, 350. 359, 362, 365. H .154, «How I do love». 165, 232, 240, 242, H.182, «Cold in the earth»: 50, 136, 168, 244, 247, 265, 279,291,308,319, 328, 344. 197, 231, 232, 233, 243, 245, 247, 250, H.155, «The evening passes» : 231, 232, 252, 258, 270, 280, 303, 340, 342-3, 344. 253, 258, 273, 299, 303,306. H.183, «Death, that struck»: 231, 232, 252, H .156, «All blue and bright» : 232, 246, 247, 257, 258, 272, 299, 302, 312, 322, 336, 274, 276, 294, 295. 357. H.157, «How clear she shines» : 231, 232, H.184, «Ah! why, because the dazzling sun»: 251, 258, 264, 307, 309, 311, 320, 329, 231, 232, 241, 249, 250, 251, 253, 254, 330. 258, 259, 272, 277, 280, 308, 309, 310, H.158, «Where beams the sun»: 232, 239, 311,318,328. 242,327. H.185, «A thousand sounds of happiness» : H .159, «Thy Guardians are asleep» : 232, 270; 232, 268, 307, 334, 343. 316, 350. H.186, «Heavy hangs the raindrop»: 232, H .160, «It was night» : 268, 304. 242,269, 277, 313, 337,350, 353. H.161, «Had there been falsehood»: 261. H.187, «Child of Delight»: 232, 242, 273, H.162, «Yes, holy be» : 240, 241, 272. 350, 353, 354. H.163, «In the earth, the earth» : 232, 273, H.188, «How beautiful the Earth» : 56, 231, 280, 303, 340-1. 232, 250, 251, 258, 273, 277, 280, 306, H .164, «Lie down and rest» : 232, 239, 270, 320, 323, 339-40. 298,300. H.189, «I know that tonight the wind»: H .165, «Hope was but» : 231, 232, 251, 258, 232, 276, 286, 309, 344,353. 264,320. H .190, «Silent is the House» : 50, 143, 231, H.166, «'Twas yesterday»: 125, 232, 246, 232, 250, 253, 254, 256, 266-7, 280, 281, 247, 267, 274,295, 296,299. 285, 291, 292, 298, 304-5, 308, 315, 320, H .167, «The day is done» : 242, 308, 310, 321, 322-3-4, 325-6, 328, 341, 361, 363. 341. H. 191, «No coward soul is mine»: 159, 198, H.168, «Well has thou spoken» : 231, 232, 200, 214, 232, 257, 258, 271, 291, 306, 253, 258, 272, 301, 320, 329, 330, 361. 320, 321, 324, 325, 331, 341, 355, 357-8, H.169, «This summer wind»: 232, 240, 241, 361. 271. H .192, «Why ask to know the date» : 50, 145, H .170, «On a sunny brae alone» : 126, 231, 220, 232, 266, 275, 291, 294, 303, 305, 232, 251, 253, 258, 267, 277, 278, 295, 309, 310, 311, 336, 337-8, 340, 352, 353-4, 307, 321, 327-8, 339, 359. 363. H .171, «How few, of ail the hearts»: 232, H.193, «Why ask to know what date»: 232, 233,244,245, 306,341,343. 275, 281, 294, 302, 352. H.172, «Come, walk with me»: 232, 273, «Often rebuked, yet always back returning»: 316. (v. Hatfield, pp.255-6): 231, 255, 297. H .173, «The linnet in the rocky delis» : 227, 231, 232, 233, 244, 245, 250, 276, 277, 286, 341, 343.