La situation - Les parachutages

De nouveaux maquis se créent. Le Maquis du col des Saisies, centre d'instruction au milieu de 1943, le Maquis du col du haut du Four au début de 1944. Tandis qu'en juillet 1943 une première répression s'abat sur la Tarentaise, les Maquis préexistants se dispersent en grande partie soit dans les mines de La Plagne, soit dans les usines. Ces maquisards employés là deviennent les Groupes Francs du secteur, qui n'ont rien de commun avec ceux que nous avons vu car ils restent dans leur secteur. En avril 1944, au chalet Corbey, dans la vallée des Allues, une trentaine de résistants s'établissent, poursuivis par la Gestapo.

A la fin de juin 1943 se fonde le Maquis d'Albiez en Maurienne. Durant l'hiver, on les disperse partiellement, tandis que le camp de Saint-Sorlin se transporte à Saint-Etienne-de-Cuines. En Basse Maurienne « David » établit des positions de Maquis au Bourget en Huile, Le Pontet, à .

Le Petit Bugey voit s'établir trois nouveaux camps à St-Pierre-d'Alvey, St-Albin-de-Vaulserre et Belmont- Tramonet, soit environ 120 hommes au début de 1944. Un Maquis établi au col du Crucifix se disperse rapidement.

Dans le secteur de Chambéry des incidents surgissent. En effet le sous-régional militaire « Faber » de Grenoble envoie une équipe commandée par « Guillard » pour l'encadrement des Maquis. Or les responsables départementaux, peu satisfaits de la conduite de ce groupe l'expulsent en novembre 1943. On trouve cependant une implantation avec les Maquis de l'Alpette Entremont le Vieux, St Jean et St Thibaud-de-Couz, le Sappenay et La Chapelle-dû-Mont-dû-Chat pour le sous-secteur d'Aix-les-Bains.

Les chefs militaires ont conscience que ces bases doivent devenir opérationnelles. Il leur faut donc un équipement permettant l'entraînement militaire. Le premier acte se joue lors de la défaite italienne quand les Groupes Francs attaquent des italiens isolés afin de leur prendre leurs armes. En août on sait que l'Italie a perdu la guerre. Une note du chef d'Etat-Major se diffuse : « je vous donne toutes autorisations pour entreprendre des coups de mains et opérations de ruses ayant pour but de prendre du matériel de guerre aux Italiens183.

Le 9 septembre alors que des combats ont lieu entre troupes allemandes et italiennes, la confusion permet à l'A.S. et à des équipes de maquisards de s'emparer du contenu d'un train de matériel italien à St Jean. Armes, munitions, chaussures prennent ainsi le chemin de la montagne184. Mais cela s'avère insuffisant. La Résistance ne peut devenir une véritable force armée qu'avec une aide extérieure : d'où la nécessité des parachutages.

Les M.U.R. savoyards attendent vainement durant l'année 1943 ces armes, seul « Beaulac » poursuit son travail d'homologation de terrains. Enfin arrive un autre intermédiaire « Nicolas » (J.B.), administrateur des colonies et officier de réserve, envoyé par Jacques Soustelle, directeur général des Services Spéciaux d'Alger et parachuté en Haute- le 7 janvier 1944185. Il dispose d'un radio qui se tient initialement dans les Bauges et s'installe en mai dans le Beaufortin.

Mais ce début d'année 1944 voit arriver en Savoie la mission interalliée « Union »185. Elle vient après la mission « Cantinier » dont la zone d'action s'étend à l'Ain, Jura, et Haute-Savoie. « Union » doit agir dans trois départements : Drôme, Isère, Savoie, envoyée là par le Commandement Allié en liaison avec le B.C.R.A. Elle comprend un Français « Sphère » le Lieutenant-colonel Fourcaud des Forces Françaises Libres, « Chambellan » un Américain J. Ortiz Capitaine des U.S. Marines, « Procureur », Thackthwaite un Major britannique'86.

Le rôle de cette mission en Savoie revêt une importance considérable. En effet, à l'origine, son but est de coordonner l'organisation des Maquis dans les zones les plus favorables, et les transformer en unités secrètes comparables à des formations parachutées, capables par la suite de coopérer avec les Forces d’ Invasion Alliées. En principe ces missions n'ont pas un rôle de commandement, mais traduisent aux chefs locaux les conceptions et les intentions de l'Etat-Major Allié auquel elles sont liées par radio.

Mais ici les Maquis font partie intégrante de l'A.S. du fait des chefs militaires que nous avons vus et de l'action menée par les chefs civils successifs, en conséquence les consignes de la Mission Union touchent tout le militaire des M.U.R. savoyards. De plus elle se rend bien compte de la pauvreté en armes de la Savoie et « Procureur » obtient pour elle un parachutage.

Le 19 mai187 « Sphère » rencontre dans un hôtel de , sur la route de Beaufort, les responsables du secteur du Beaufortin. Une dernière entrevue doit avoir lieu le lendemain chez le photographe « Rocher » afin de mettre le point final à la discussion et rédiger le message pour Alger. Le vendredi 20, à 9 heures 30, arrive « Sphère » accompagné d'un des membres de la Mission, mais, peu après la police allemande est là. « Sphère » blessé est arrêté. Dans la confusion générale il parvient à faire disparaître les documents vitaux qu'il possède. Emmené à Chambéry, sans que l'A.S. ne puisse le délivrer malgré un barrage au pont de , « Sphère » est torturé puis conduit à Lyon d'où il réussit à s'échapper le 14 juin et à regagner l'Angleterre. « Procureur » et « Chambellan » rentrent alors à Londres. « Incidence » (Roger Lévy) devient le chef de cette mission.

A côté du rôle de la Mission « Union » le fait capital de ce début 1944 est l'apparition des premiers parachutages en Savoie, condition essentielle pour la maturation de l'élément militaire des M.U.R. « Nicolas » et « Beaulac » se rattachent l'un à Londres, l'autre à Alger, mais de toute manière, travaillent en étroite collaboration dès la fin mars, le fournisseur est le Commandement Interallié. En cette période tous les parachutages se font de nuit.

« Quand on avait repéré un terrain qui corresponde aux exigences techniques des aviateurs et aux nécessités locales nous le signalions à l'Etat-Major qui le transmettait à la R.A.F, pour homologation : les aviateurs avaient des règles excessivement strictes et par exemple refusaient tous terrains situés dans un certain rayon autour des sommets de plus de 4 000 mètres, c'est ainsi que malgré toutes nos protestations aucun parachutage ne put avoir lieu en Haute Maurienne, Haute Tarentaise, et Beaufortin jusqu'en juin, date à laquelle la R.A.F, estima ses équipages suffisamment entraînés pour les tenter...

Un terrain devait être signalé avec beaucoup de précisions : localisations sur la carte, point de repères, orientations, heure à laquelle l'équipe de réception pouvait être sur place en partant après 21 heures 15 (dernier message B.B.C), le terrain recevait un nom de code)... Le tout représentait une bonne page d'écriture que la radio chiffrait et surchiffrait ce qui lui valait une bonne demi-journée de travail...

Les messages B.B.C. étaient choisis par nous et bien fort celui qui pouvait prétendre y comprendre quelque chose. Ainsi après avoir reconnu avec « Tarzan » le terrain de Montmailleur, nous avons déjeuné chez le directeur d'école de La Rochette. Il y avait des épinards et des œufs durs d'où le message « j'aime les épinards et les œufs durs ».

Les messages devaient passer trois fois dans la journée qui précédait l'opération : 13 h 30, la mission est prévue pour ce soir, les avions sont prêts et chargés. 19 h 30, la météo est favorable, les équipages sont à leurs postes, les appareils prêts à décoller. 21 h 15, les appareils ont décollé ou vont décoller incessamment.

Donc si le message ne repassait pas à 21 h 15 c'est que les avions n'étaient pas partis et il n'y avait aucune raison de se rendre au terrain. Mais je connais peu d'équipes de réception qui avaient voulu admettre cette règle, on montait toujours parce que : « on ne sait jamais ».

Par contre il aurait dû y avoir parachutage chaque fois que le message était passé et pourtant... Il arrivait souvent que l'avion parti d'Alger ou de Londres soit obligé de faire demi-tour parce qu'il rencontrait du mauvais temps en mer ou sur la . Nous ragions tous quand nous avions attendu en vain pendant une splendide nuit de lune et nous n'avions jamais voulu admettre les « raisons de l'aviateur ».

Enfin et c'est là l'explication de la plus grande partie de nos déceptions : il y avait la question des terrains de secours. Il pouvait arriver que pour une raison « locale » une équipe ne puisse être au terrain en même temps que l'avion ou que, pour des raisons « allemandes » elle ne puisse allumer les feux. Il pouvait arriver qu'un terrain se trouve momentanément dans une zone nuageuse.

Dans tous les cas l'avion devait donc rentrer en charge..., pour éviter cet inconvénient l'avion partait avec deux terrains, s'il ne trouvait pas le premier, il larguait sur le second. ... Il y avait donc en règle générale deux équipes dehors pour une seule opération possible. J'ai appris par la suite que le col du Haut du Four était un terrain de secours pour les opérations de Haute-Savoie et que les terrains du Petit Bugey étaient considérés comme pouvant bénéficier des laissés pour compte des parachutages de l'Ain.

Les avions, pour les parachutages de nuit, étaient des quadrimoteurs Halifax aux équipages britanniques ou canadiens. Ceux qui étaient en Afrique du Nord partaient de Blida à 50 kilomètres d'Alger... Le vol jusqu'au terrain était semé d'embûches, territoire sans lumière, chasse et D.C.A. allemandes. Sur les Alpes les courants d'air sont d'une charmante fantaisie et s'ajoutent aux difficultés de guidage au sol.

Et quand enfin ça tombe... c'est une nouvelle série qui commence : c'est l'avion qui passe trop haut ou trop à gauche et qui étale sa marchandise sur des kilomètres en forêt ou en pleine vallée habitée... Puis c'est la course aux cylindres, on en attend quinze, on en trouve quatorze, on cherche le dernier pendant une semaine. Quelquefois les emballages sont mal faits, il y a des cylindres qui s'écrasent en arrivant au sol. On pleure le plastic, les pétards de rail, et on en recevra des quintaux en août 1944. »188

La Savoie reçoit ainsi pendant les 5 premiers mois de 1944, une douzaine de parachutages189 uniquement nocturnes. Le premier est celui du col du Crucifix, le 8 février sur un terrain non homologué et qui a lieu dans des circonstances mal élucidées. Le Maire d'Aiguebelette avertit un des responsables de Chambéry 4.44 (A.P.)190 qui alerte une des trentaines du lycée, conduite par « Richard » (D.). Ces jeunes récupèrent le matériel et l'armement qui servent plus tard à armer la formation de La Rochette.

Dans la nuit du 4 au 5 mars deux parachutages ont lieu l'un à La Chambotte sur terrain « Manille », l'autre à La Plagne sur terrain « Raimu »191. Près de Grésy-sur-Aix quinze containers et un paquet peuvent être récupérés, ce ne sont là que des petits parachutages. Tandis que dans la nuit du 10 au 11 mars douze avions larguent à nouveau environ 180 containers et 72 paquets sur « Raimu »191. Au soir du 10, un autre parachutage sur les hauteurs de La Bridoire puis, le 12 près du Pontet sur terrain « Reporter ». En mars des responsables sont arrêtés à Lyon, dont le « chef parachuteur ». L'Etat-Major interallié craignant la découverte par les Allemands des terrains, arrête les envois par parachutage. Ils ne reprennent qu'à la fin d'avril « Nicolas » ayant dû faire admettre à Alger que Lyon ne possédait pas la liste des terrains savoyards. Fin avril un parachutage s'effectue au col d'Arves en Maurienne, un sur terrain « Manille », deux près de La Bridoire, un au Pontet. Dans la nuit du 26 au 27 mai, quatre avions lâchent du matériel au col du Coin en Tarentaise. Un autre a lieu au col du Haut-dû- Four.192

Ces parachutages profitent d'abord directement au Maquis qui les reçoit, mais souvent une répartition se fait entre les secteurs. Celui du Crucifix sert à La Rochette, celui de La Plagne du 10 mars se répartit entre la Tarentaise et le Beaufortin. La Résistance savoyarde bénéficie maintenant d'un apport de matériel de guerre, on est loin du début où il fallait agir avec les faibles moyens militaires que l'on tirait des stocks clandestins des Chasseurs, ou des Mouvements. Mais cela est-il suffisant pour faire de chaque maquisard, de chaque sédentaire, un combattant pourvu en arme et munitions ? La mobilisation de juin répondra à cette question.

Les parachutages sont d'une part, un apport de matériel, ils ont aussi un deuxième aspect moins immédiat mais plus profond, de renforcement de la Résistance.

Pendant l'été 1944, durant la Bataille de France qui suit enfin le débarquement de Normandie, les parachutages d'armes aux Résistants par les Alliés vont atteindre une importance et un volume encore jamais atteint jusque là, pour faire face aux besoins de la Résistance.

Les parachutages étaient jusqu'alors effectués de nuit et par de petites formations ou des avions individuels. Ils vont continuer pendant l'été, mais cette méthode ne peut plus suffire. Il faut passer à une échelle supérieure. Les Américains acceptent alors l'idée de parachutages massifs de jour (alors que les Britanniques craignent de devoir payer cette tactique de pertes trop importantes). La 8 th Air Force américaine du général Kinner, d'habitude spécialisée dans le bombardement lourd à long rayon d'action, prend en charge ces opérations. Le premier largage a lieu le 25 juin : 180 "forteresses volantes" B-17, réparties par groupes de 36 et opérant sous couverture de la chasse, livrent des armes aux maquis de l'Ain, du Jura, du Vercors et de la Haute-Vienne (ces derniers bénéficiant d'un parachutage deux fois plus important).

Mais c'est le 14 juillet 1944 qu'a lieu la plus importante opération : 360 bombardiers targuent des milliers de containers sur le Vercors, la Saône-et-Loire, l'Ain, le Lot, la Haute-Vienne et plusieurs autres secteurs du sud-ouest. Tous les témoins ont raconté que le spectacle en était féerique, d'autant que les Américains avaient pris soin de faire en sorte que les parachutes soient bleus, blancs ou rouges ! Toutefois, dans plusieurs cas, l'aviation allemande interviendra après les largages pour interdire aux maquisards l'accès à cette manne dispersée sur de vastes zones.

Deux autres grandes opérations de jour se dérouleront, l'une le 1er août 1944 avec 320 bombardiers, l'autre le 9 septembre dans la seule région du Doubs avec 72 avions.