Le massif de -Les Bordes en forêt d’Orléans () : les apports de la technologie LiDAR dans l’identification des occupations humaines en milieu forestier de la Protohistoire à nos jours

Située dans le Loiret, la forêt d’Orléans est la plus grande forêt domaniale de (35000 ha.). Constituée d’un espace quasi-continu et dense, elle est composée de quatre massifs dont celui de Lorris-Les Bordes. Massif le plus oriental, il se situe à 50 km d’Orléans et s’étend sur 15 km d’ouest en est et sur 8 km du nord au sud. Le talus de la Loire forme sa limite méridionale alors que les grandes plaines céréalières marquent sa limite nord. C’est l’étang de Molendon qui ferme le domaine à l’est (Figure 1).

Figure 1 - Le massif de Lorris-Les Bordes (Loiret) Carte de localisation des massifs de la forêt d’Orléans (Sources : Géoportail, DAO A. RIOU 2019).

La quasi totalité du massif repose sur des sables et argiles de Sologne, formation tertiaire de l’étage Burdigalien supérieur. Elle représente 60 % de la surface forestière. La partie sud-est du massif est recouverte d’une couche de sables et de graviers du Quaternaire (Villefranchien, FuL) issus des alluvions de très haute terrasse de la Loire. La pédologie de la forêt de Lorris-Les Bordes est conditionnée par les possibilités de drainage et par le matériau parental (l’état original du sol1). Il est composé de trois ensembles superposés : un dépôt sableux ou sablo-limoneux puis, une couche argilo-sableuse très compacte et imperméable et enfin, une formation argileuse. Cette formation conditionne donc le peuplement forestier constitué à 48 % de feuillus (46 % de chênes) et de 49 % de pins et résineux.

Les premières fouilles et prospections ont été réalisées dès le XIXe s. par Paul Domet sur des tertres du massif. Les différents vestiges étaient alors interprétés comme des tumuli (ou « tombes princières ») datés de la fin de l’âge du Bronze-début de l’âge du Fer. C’est l’abbé Nouel qui a ensuite initié les premières prospections systématiques au cours du XXe s. C’est à partir de son inventaire que des travaux postérieurs se sont appuyés dont celui de Daniel Simonin en 2013. Il a regroupé les informations récoltées par une équipe de prospecteurs bénévoles en milieu forestier qui avaient alors identifiés 93 tertres au total, dont six tumuli. En dehors de ces travaux exclusivement orientés vers ces buttes, aucune recherche diachronique archéologique n’avait été entreprise. C’est en 2017 que de nouvelles données ont été enregistrées grâce au relevé Lidar réalisé par l’agence Opsia ® pour l’Office National des Forêts. La récolte de ces informations s’insèrait dans le cadre de la révision de l’aménagement du massif et devait permettre d’acquérir des données sur les peuplements. Elles ont également été exploitées pour certains aspects du patrimoine archéologique, conservé sous le couvert forestier. Après les

1 Voir à ce propos BRÊTHES 1993 : 29. 1 sur 5 premiers traitements menés par Cécile Dardignac et Sophie David de l’ONF, 4496 entités topographiques (1451 points, 2638 lignes et 407 polygones - Figure 2 -) ont été enregistrées, permettant ainsi d’apporter des informations complémentaires et inédites sur les paysages anciens de la forêt d’Orléans.

Figure 2 - Le massif de Lorris-Les Bordes (Loiret) MNT Lidar. Enregistrement des anomalies topographiques (Sources : ONF, © S. DAVID et C. DARDIGNAC 2018).

C’est dans ce cadre qu’une recherche universitaire a été initiée en 2019, d’abord par un master 2 puis par une thèse (en cours), et que des prospections-inventaires ont été réalisées, subventionnées par le SRA Centre-Val de Loire. L’objectif principal était d’abord de vérifier et d’identifier les anomalies enregistrées. Cela devait permettre ensuite de différencier les anomalies anthropiques à celles naturelles, de distinguer leur type et leur fonction et de proposer une fourchette de datation à partir du mobilier récolté en surface. Plus globalement, ces identifications devaient permettre de dresser un premier inventaire des occupations anciennes dans le massif de Lorris-Les Bordes. Au total, 58 parcelles ont été vérifiées et prospectées grâce à la participation de bénévoles, amateurs ou professionnels de l’archéologie.

Parmi les anomalies ponctuelles repérées, des structures excavées ont été révélées dont des creusements homogènes et géométriques (en forme de I, de T, de L, de K ou de X). D’autres structures ont été interprétées comme des fontaines ou des sources, matérialisées sur le terrain par des blocs calcaire, posés de champ. Des dépressions naturelles ou non-identifiées complètent également ce portrait. En parallèle, des anomalies ponctuelles positives ont été vérifiées dont la majorité se révèle être des tertres de dimensions importantes (25 m de ⌀ en moyenne), les distinguant très nettement des autres buttes. Enfin, des charbonnières ont été observées grâce à la présence d’une couche de charbons de bois et de terre brûlée. Des anomalies positives et négatives ont permis de compléter ces premières observations. Elles sont caractérisées par un bourrelet englobant, parfois, une petite dépression. En comparant leur morphologie à celle observés dans la forêt de Chambord, il a été possible de les interpréter comme des loges de forestier. Parmi les polygones identifiés, des extractions, des occupations, des structures hydrauliques et de structures indéterminées ont été répertoriées. Grâce aux cartes et sources anciennes, il a été possible d’identifier une trois des occupations, toutes situées en bordure de chemins anciens. Une occupation inédite et neuf enclos s’ajoutent à cet inventaire. Enfin, les analyses des lignes permettent de mettre en valeur trois types de linéaments. Les lignes positives sont associées à des talus, localisées sur l’ensemble de la forêt et formant un réseau assez homogène. Les lignes négatives sont interprétées comme des fossés, concentrées dans la partie nord-ouest du massif. Enfin, 2 sur 5 les lignes positives/négatives sont caractérisées comme des chemins, découpant le massif du nord au sud et d’ouest en est.

Malgré les rares objets récoltés, il a toutefois été possible de dresser une esquisse des occupations par période.

Alors que le paysage préhistorique est très peu connu, la période protohistorique s’illustre par la présence de tertres probablement funéraires. D’après les sources anciennes, des artefacts caractéristiques (un poignard en bronze et des bracelets en cuivre semblent avoir été exhumés illégalement) suggèrent l’existence de buttes funéraires de l’âge du Bronze-âge du Fer2. Ils sont répartis en quatre zones sur la terrasse alluviale de la Loire. Leur implantation en grappe semble indiquer une organisation particulière. Une butte « fondatrice » semble conditionner l’emplacement de buttes « satellites », qui paraissent être implantées le long d’un axe structurant autour duquel elles s’étirent. Situés à proximité de la voie antique Orléans-Autun, probablement plus ancienne, ces buttes devaient être érigées pour être vues. Au regard de ces premières constatations, il semble que le couvert forestier était moins dense et resserré que l’actuel. La majorité des tertres sont parfaitement bien conservés et il ne semble d’ailleurs pas possible de construire ce type de structure dans un espace fermé et boisé.

La période antique est caractérisée par la présence de voies, mentionnées dans l’Itinéraire d’Antonin et sur la Table de Peutinger. Contrairement aux périodes précédentes, l’Antiquité n’est représentée que par trois enclos attestés du Ier s. au XIXe s. grâce au mobilier céramique. Des habitats gallo-romains ont également été observés au cours du XXe s. et enregistrés sur la carte archéologique. Nous n’avons toutefois pas été en mesure de le confirmer par les relevés LiDAR et les prospections pour le moment. Le faible nombre d’implantations antiques soulèvent ainsi la question de l’effet de source, inhérent aux prospections, ou d’un phénomène local.

Le Moyen Âge est bien documenté grâce aux sources textuelles. Le lien fort entre le massif de Lorris- Les Bordes et l’abbaye de Fleury, dès son édification au VIIe s., n’est plus à démontrer. Grâce aux chartes bénédictines et à nos prospections, il est possible de constater l’empreinte ecclésiastique sur le domaine. Les interventions ont permis de confirmer la présence de trois occupations : l’abbaye de Chaumontois et sa métairie associée ainsi que le prieuré de Chappes-en-Bois. Le mobilier céramique récolté en surface a pu démontrer, en partie, leur appartenance à cette période. Il est possible de rattacher ces installations à la période comprise entre les IXe et le XVIIIe s., date de leur destruction. Dans les trois cas, nous sommes face à des cas décrits et documentés dont l’implantation forestière est volontaire (cf. Archives départementales du Loiret, 3B9 à 3B11). Leur localisation devait notamment permettre de gérer les exploitations. À cela nous pouvons ajouter la présence d’un parcellaire laniéré. À partir de la morphologie et de l’orientation des lignes, il pourrait s’agir de zones agricoles médiévales, installées à l’ouest du massif. Cette organisation est distincte de celle observable à l’est. Nommée la « Petite Forêt », elle est une possession bénédictine, exclusivement réservée au clergé et à l’exploitation des bois.

La période moderne est probablement la plus documentée du fait de l’abondance des sources textuelles et cartographiques. Période de grand remembrement et de réformations royales, cet espace a connu de nombreux changements. Les occupations médiévales sont encore présentes. C’est notamment le cas pour l’abbaye de Chaumontois dont un procès-verbal d’arpentage de 1718 indique que « la dite pièce […] est entourée de touttes parts d’anciens fossés par la crête desquels il y a des haies vives et mortes » (cf. Archives départementales du Loiret, 3B9 à 3B11). Son tracé de délimitation, visible sur le Lidar, correspond à celui indiqué sur la carte de Demarne Launois, Verniquet et Caron, datée de 1718. Il en est de même pour les deux autres occupations. C’est au XVIIIe s. que ces édifices ont été détruits et démantelés. Un procès verbal de 1735 stipule que les bâtiments ne sont plus entretenus et sont convertis en futaie. Des loges de forestiers sont également associées à cette période, installées à proximité des occupations ecclésiastiques. Plusieurs sources semblent indiquer leur existence au plus tard dès le XVIIIe s. (cf. Archives départementales du Loiret, 3B9 à 3B11 - Figure 3 -).

2 La structuration des tertres observés n’est pas sans rappeler ceux fouillés ou découverts dans le Loiret sur les sites de Lion-en-Sullias, de Courcelles (Froquet-Uzel 2015) ou de (Lardé 2011 et Frénée 2012). 3 sur 5 Figure 3 - Le massif de Lorris-Les Bordes (Loiret) MNT Lidar et anomalie topographique. Photographie de l’anomalie sur le terrain. Carte postale d’une loge de forestier (Sources : ONF, DAO A. RIOU 2019, © L. CAILLARD/ A. RIOU).

Le découpage parcellaire a pu être appréhendé dans sa totalité grâce aux plans numérisés des Eaux et Forêts. Il est possible de retracer l’historique des limites et des contours forestiers du XVIIIe s. à nos jours. Les chemins forestiers actuels semblent avoir été installés dès cette période. C’est autour de ces axes que le découpage parcellaire forestier s’articule. Cette trame est visible sur la carte d’arpentage de 1786 de Plinguet. Chaque limite de vente (parcelle) est encore visible sur le terrain par les creusements de forme géométriques, répartis régulièrement sur la totalité de la forêt (cf. supra - Figure 4 -). Nous pouvons donc les dater précisément de 1786, au plus tard.

Figure 4 - Le massif de Lorris-Les Bordes (Loiret) MNT Lidar et anomalies topographiques. Photographie de l’anomalie sur le terrain. Superposition des anomalies à la carte de Plinguet de 1786. (Sources : ONF, DAO A. RIOU 2019).

4 sur 5 À partir de la réformation de 1786, l’organisation parcellaire est modifiée, laissant place à celle que nous connaissons aujourd’hui. Ce sont toujours les chemins forestiers qui conditionnent l’implantation des nouvelles parcelles. En comparant les représentations anciennes de ce massif aux cartes actuelles, nous constatons que les limites forestières et les contours du domaine du massif de Lorris-Les Bordes se sont maintenus jusqu’à aujourd’hui.

Agathe RIOU Doctorante à l’université 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 7041 ArScAn.

PRODUCTIONS SCIENTIFIQUES

RIOU A. (2019) - Les paysages anciens de la forêt d’Orléans : l’exploitation des données LiDAR du Massif de Lorris-Les Bordes (Loiret), Mémoire de Master 2, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Paris, 2 vol. (154 p. ; 43 p.)

RIOU A. (2019) - « L’exploitation des données LiDAR du massif de Lorris-Les Bordes (Loiret) », Revue archéologique du Loiret et de l’axe ligérien, n°40, p. 13-18

RIOU A., CAILLARD L. (2019) - « L’exploitation archéologiques des données LiDAR du massif de Lorris-Les Bordes : bilan de la première campagne de prospection », Forêt Voisine, n°19, p. 28-29

RIOU A. (2019) - Exploitation archéologique des données LiDAR du massif de Lorris-Les Bordes en forêt d’Orléans (Loiret), rapport d’opération, SRA Centre-Val de Loire, Orléans, 75 p.

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