Vu de Pro-Fil

n° 3 n°3

Dossier : Le jeu d’acteur

La lettre de Pro-FilVu de Pro -Filn°58 N°3 - -Printemps Printemps 2010 - 1 2010

Vu de Pro-fil Siège social : rue de Las Sorbes 34070 Montpellier Notre association arrive à un tournant. La prise de cons- Secrétariat national : cience de la diversité de nos membres, venant d’horizons 390 rue de Fontcouverte—Bât 1 religieux et philosophiques différents, nous amène à réflé- 34070 Montpellier chir à nos fondamentaux.

Tout en réaffirmant notre enracinement dans le protestan- Tél-fax : 04 67 41 26 55 tisme, notre action pédagogique et formatrice s’adresse peu à peu à un public [email protected] plus large, composé de cinéphiles « déjà » avertis, mais aussi de personnes www.pro-fil-online.fr intéressées de découvrir le monde contemporain à travers le cinéma. C’est à un plus grand professionnalisme que nous sommes conviés, comme en témoi- Directeur de publication : Jean Lods gnent : notre site internet, la nouvelle formule Vu de Pro-fil, les nombreuses Rédactrice en chef : Waltraud Verlaguet interventions pédagogiques en milieu protestant et ailleurs. Réalisation : [email protected] Nouvel élu comme président, par le conseil d’administration, j’ai conscience d’avoir à accompagner les changements nécessaires en continuité avec mes Comité de rédaction : prédécesseurs : Jean Domon et Jean Lods, que je remercie de tout cœur pour leurs actions et leurs conseils. Jacques Agulhon Maguy Chailley Dans ce numéro 3 vous trouverez un dossier sur les acteurs et les actrices de cinéma. Souvent plus célèbres que les réalisateurs qui les ont dirigés, ils contri- Arielle Domon buent à la qualité d’un film. C’est un critère Jean Domon d’appréciation et d’analyse, ce n’est pas le Alain Le Goanvic seul ! Mais, soyons objectifs : l’impression Martine Roux-Levain durable de films dans notre mémoire ne Jean Lods vient–elle pas de l’acteur ou de l’actrice : Clark Gable, John Wayne, Jean Gabin, Gé- Jacques Vercueil rard Depardieu, Marylin Monroe, Maggie Nicole Vercueil Cheung, Vivien Leigh, Jeanne Moreau, Bru- Waltraud Verlaguet ce Willis … ? Arlette Welty Domon Je suis sûr que vous pourrez facilement met- tre un titre de films sous ces noms ! Ont aussi participé à ce numéro : Bonne lecture Jacques Agulhon Françoise Lods Alain Le Goanvic Jean Pierre Queyroy Anne-Béatrice Schwab Gianna Urizio

Prix au numéro : 3 € Abonnement 4 numéros : 13 €

Impression Sungrafik RD 562 - Plan Oriental 83440 Montauroux N° SIREN : 513 293 340

ISSN : 2104-5798 Date d’impression : 10 mars 2010

A propos de notre dossier sur le jeu d’acteurs signalons les Ours d’argent des meilleurs acteurs attribués d’une part, ex aequo à Grigory Dobrygin et Sergei Puskepalis, dans How I ended this Summer, et d’autre part dans Caterpillar. © Berlinale

2 - Vu de Pro-Fil N°3 - Printemps 2010 3 Edito

Planète cinéma 4 Berlin Vu de Pro-fil Sommaire 4 Rencontre avec un jeune cinéaste Siège social : rue de Las Sorbes 5 Parmi les festivals 34070 Montpellier n° 3 . Printemps 2010 6 Le cinéma entre télévision et internet Notre association arrive à un tournant. La prise de cons- Secrétariat national : cience de la diversité de nos membres, venant d’horizons Le Dossier : le jeu d’acteur 390 rue de Fontcouverte—Bât 1 religieux et philosophiques différents, nous amène à réflé- 7 Jouer au cinéma 34070 Montpellier chir à nos fondamentaux. 7 Jouer ou être Tout en réaffirmant notre enracinement dans le protestan- Tél-fax : 04 67 41 26 55 tisme, notre action pédagogique et formatrice s’adresse peu à peu à un public 8 Les acteurs de la folie au cinéma [email protected] plus large, composé de cinéphiles « déjà » avertis, mais aussi de personnes www.pro-fil-online.fr intéressées de découvrir le monde contemporain à travers le cinéma. C’est à 9 Acteur de théâtre / acteur de cinéma un plus grand professionnalisme que nous sommes conviés, comme en témoi- 10 D’un bord à l’autre, panoramique Directeur de publication : Jean Lods gnent : notre site internet, la nouvelle formule Vu de Pro-fil, les nombreuses Rédactrice en chef : Waltraud Verlaguet interventions pédagogiques en milieu protestant et ailleurs. 11 Scarlett, Maria, Nora, l’éternel féminin ? Réalisation : [email protected] Nouvel élu comme président, par le conseil d’administration, j’ai conscience 12 Acteurs asiatiques versus acteurs occidentaux ? d’avoir à accompagner les changements nécessaires en continuité avec mes Comité de rédaction : prédécesseurs : Jean Domon et Jean Lods, que je remercie de tout cœur pour 13 Tilda Swinton – une Lady leurs actions et leurs conseils. Profil : image d’un visage Le coin théo Jacques Agulhon Maguy Chailley Dans ce numéro 3 vous trouverez un dossier sur les acteurs et les actrices de humain dont on ne voit qu’ 14 Le jeu de l’être cinéma. Souvent plus célèbres que les réalisateurs qui les ont dirigés, ils contri- Arielle Domon buent à la qualité d’un film. C’est un critère une partie mais qui regarde Découvrir Jean Domon d’appréciation et d’analyse, ce n’est pas le 15 Montpellier Juifs et arabes au festival chrétien du cinéma Alain Le Goanvic seul ! Mais, soyons objectifs : l’impression dans une certaine direction Martine Roux-Levain durable de films dans notre mémoire ne 16 Quels films pour nos jeunes ? Jean Lods vient–elle pas de l’acteur ou de l’actrice : Clark Gable, John Wayne, Jean Gabin, Gé- Même pas peur ! Jacques Vercueil Couverture : 17 rard Depardieu, Marylin Monroe, Maggie Nicole Vercueil Pro-fil infos Cheung, Vivien Leigh, Jeanne Moreau, Bru- L'actrice allemande Hanna Schygul- Waltraud Verlaguet ce Willis … ? la, égérie du réalisateur Rainer Wer- 18 Ciné-Culte Arlette Welty Domon ner Fassbinder, vient de recevoir Je suis sûr que vous pourrez facilement met- 19 A signaler … tre un titre de films sous ces noms ! l’Ours d'honneur lors de la Berlinale Ont aussi participé à ce numéro : 2010 pour l'ensemble de sa carrière A la fiche Bonne lecture (parmi ses derniers films De l'Autre Jacques Agulhon côté de Fatih Akin (2007). © Dorothea 20 Etreintes brisées Françoise Lods Alain Le Goanvic Wimmer (Hommage Berlinale 2010). Jean Pierre Queyroy Anne-Béatrice Schwab Gianna Urizio Du Nord au Sud ...

Prix au numéro : 3 € Bouches du Rhône / Marseille Ile de France / Paris Drôme / Dieulefit € Abonnement 4 numéros : 13 Paulette Queyroy Jean Lods Daniel Saltet Tél : 04 91 47 52 02 Tél : 01 45 80 50 53 [email protected] Impression Sungrafik [email protected] [email protected] RD 562 - Plan Oriental

83440 Montauroux Gard / Nîmes Ile de France / Issy-les Moulineaux Loire Atlantique / Nantes N° SIREN : 513 293 340 Christian Gidde Christine Champeaux Philippe et Sophie Arnéra Tél : 04 66 71 12 25 Tél : 01 46 45 04 27 Tél : 08 73 68 43 93 ISSN : 2104-5798 [email protected] [email protected] [email protected] Date d’impression : 10 mars 2010 Hérault / Montpellier Var / Fayence Alsace / Strasbourg Etienne Chapal Waltraud Verlaguet Patricia Rhoner-Hege Tél : 04 67 75 74 86 Tél : 04 94 68 49 35 [email protected] Jacques Agulhon A propos de notre dossier sur le jeu d’acteurs signalons les Ours d’argent des meilleurs acteurs attribués d’une part, ex aequo à Grigory Dobrygin et Sergei Puskepalis, dans How I ended this Tél : 04 67 42 56 04 Summer, et d’autre part Shinobu Terajima dans Caterpillar. © Berlinale

2 - Vu de Pro-Fil N°3 - Printemps 2010 Vu de Pro-Fil N°3 - Printemps 2010 - 3 Planète Cinéma

L'ours d'or et le prix du jury œcuménique vont à Bal ( Miel ) Berlin de Semith Kaplanoglu ( Turquie )

Photos du film Bal et de son réalisateur Semith Kaplanoglu © Berlinale Parmi les festivals ... festivals Parmi les

► A venir : Itinérances à Alès 19 - 28 mars 2010 Une sélection internationale d'inédits, un choix d'avant-premières, une compétition de courts- métrages, des hommages, ciné concerts... Pour plus de détails, voir : www.itinerances.org

Rencontre avec un jeune cinéaste

Laurent PERREAU et le Bel Age (France 2009 1h37)

Le Bel Age…est-ce celui de Maurice (Michel Picco- li), celui de sa petite-fille Claire (Pauline Etienne) ou celui de Laurent Perreau lui-même, qui réalise là son premier long-métrage ?

La présence de Laurent Perreau, à la réunion Pro- Fil Ile-de-France de février, a suscité un vrai bon- heur : les questions fusaient sur ce film parfois énigmatique, elliptique, déconcertant et émouvant. Lyrique tout autant.

Laurent se présente en quelques mots : après des études de droit et de philosophie, il laisse s’exprimer sa passion pour le cinéma et son désir d’écrire des scénarios. Il n’a pas fréquenté d’école de cinéma. Mais il a vu beaucoup de films et beaucoup lu : «

4 - Vu de Pro-Fil N°3 - Printemps 2010 Planète Cinéma

Qu’est-ce que le cinéma » d’André Bazin, ou qu’elle nous échappe sans cesse. Comme s’il y encore « Hitchcock-Truffaut », dit-il en souriant, avait deux films, qui vont se croiser. ça vaut quatre ans de Fémis !!! Le texte est sobre, dépouillé. De ce fait, l’image Laurent se forme comme assistant auprès parle avec une grande force, comme il se doit d’Emmanuel Finkiel, ou d’Anne Fontaine. Il au cinéma : travaille avec Caravaca. « le cinéma est l’ écriture dont l’encre est la lu- Il a tourné deux courts métrages : Quand j’étais mière » disait Jean Cocteau. Se référant à des photographe (2000) puis Histoire Naturelle réalisateurs comme Hitchcock, Truffaut, Bres- (2004) qui sont allés de festival en festival. son, Gus van Sant, voire Bergman (les fraises sauvages), Laurent Perreau se révèle être un Le grand moment : la sortie du premier auteur talentueux dont il faut tenir compte dès long métrage : Le Bel Age (janvier 2010) maintenant dans le paysage du jeune cinéma La vieille « maison » à l’orée de la forêt, est le français. lieu magique où vont se croiser, se fuir, se re- trouver, Maurice Reverdy, un octogénaire ru- Françoise LODS gueux et plein de vie, et sa petite-fille Claire, dans la fragilité et la violence rebelle de ses 17 ans : l’insurgée. Ce devait être le titre du film. Mais il ne convenait pas au personnage du vieil homme.

Laurent Perreau saisit Claire dans son présent : aucune explication à sa sauvagerie. Solitaire, volontaire, blessée, elle se bat. Na- geuse de haut niveau, elle veut gagner dans ce monde du chacun pour soi.

Du grand-père, nous apprenons qu’il a été ré- sistant dans le Vercors. Qu’une grande douleur sentimentale l’habite depuis ces années-là.

Il y a un chien aussi, qui se fait écraser. Douleur encore. Et une blessure au pied. A nos « pourquoi ? », Laurent Perreau répond qu’il y a du secret dans le film, de même qu’il y a des choses qu’on ne saura jamais des êtres que nous côtoyons chaque jour. « je voulais faire un film qui laisse une place à l’imagination du spectateur : ne pas lui crier la psychologie des personnages au visage ».

La très belle « scène à la bougie », au cours de laquelle Claire et son grand-père vont enfin se rencontrer, fait apparaître avec une infinie pu- deur les traces silencieuses qui habitent tout autant le vieil homme que la jeune fille.

Laurent Perreau manie l’ellipse avec bonheur : on pense à Bresson, auquel il rend volontiers hommage. Il vise une esthétique du dépouille- ment qui convient parfaitement à ce réalisateur d’origine protestante !

Il joue avec maîtrise de la lumière pour éclairer l’âme de ses personnages : lumière crue et blanche de la piscine, lumière chaude et dou- ce des intérieurs, comme dans les toiles des maîtres hollandais. Pour ce faire, il nous dit avoir utilisé deux pellicules différentes : l’une Photos du film Le bel âge Sophie Dulac Distribution Michel Piccoli © J.Bouillon pour Piccoli, sans blanchiment, une autre pour Laurent Perreau (page gauche) et Pauline Eitenne (ci-dessus) © C.Bozon Pauline, qu’il filme caméra à l’épaule parce

Vu de Pro-Fil N°3 - Printemps 2010 - 5 Planète Cinéma

Le cinéma - entre télévision et internet

cule les idéologies, du tiplication des sujets actifs pouvoir et du contre- comporte également un usage pouvoir. Il est capable de inhabituel « par le bas » de ce rapprocher ce qui est loin, medium. permet de s’identifier, de continuer à rêver. A une Si je peux faire une réflexion époque comme la notre par rapport à mon expérience Photos Gianna Urizio où il est toujours plus diffi- pendant 30 ans au sein d’un cile de rêver apparaissent programme télévisé protestant des films comme Avatar, dans un pays comme l’Italie où, heureusement, les (avec un protestantisme forte- ous vivons une épo- bons gagnent contre les mé- ment minoritaire) je dirais que que de convergence chants. Cependant, même le nous avons été avantagés, des médias. Le fait cinéma est en train de se sans aucun doute, par cette N possibilité télévisée. Le que le contenu de la commu- conformer. Comme il a intera- nication corresponde au mé- gi avec la télévision (en en « vidéo ergo sum » a donné dium qui le transmet n’a rien utilisant son langage, ses ryth- de nouvelles possibilités au de nouveau : la télévision ri- mes, ses acteurs) il regarde protestantisme dans le pays, che cousine de la radio et aujourd’hui vers Internet et se qui a ainsi pu présenter à un demi-sœur du cinéma s’est, demande comment l’utiliser. Il public plus ample ses idées, petit à petit, inventée un lan- y a comme toujours une utili- son origine, sa foi et son en- gage, des programmes, une sation par le bas (les jeunes – gagement social. Aujourd’hui, formule. Au début, un mon- le cauchemar des producteurs nous ne sommes plus des sieur (ou une belle dame) as- cinématographiques – télé- visiteurs » (hérétiques ?) et sis, donnait les nouvelles. On chargent toujours plus sou- notre engagement civil est y ajouta les images : le docu- vent les films d’Internet) et souvent apprécié. En même mentaire naissait ; et puis ap- certains s’interrogent déjà sur temps, cette responsabilité de parut le scénario télévisé, la la production de films nous présenter à la télévision publicité et les différentes for- « miniaturisés ». Il est déjà a attiré l’attention de nos égli- mes de divertissement. Au- arrivé qu’un adolescent qui a ses sur l’importance de la jourd’hui, nous sommes arri- réalisé un film posté sur You- communication. Et aujourd'hui vés à une globalisation de la Tube soit invité à réaliser un les stratégies télévisées chan- télévision : de grands holdings film. gent. On accompagne sou- (comme l’hollandais Endemol) vent la télévision généraliste vendent aux télévisions des En somme, les médias repré- d’une télévision thématique et formules qui font le tour du sentent, aujourd’hui comme à la demande. Dans la télévi- monde et s’adaptent aux diffé- jamais, un monde en mouve- sion généraliste nous sommes rentes cultures et langues. ment, où les stratégies ne toujours plus placés aux mar- Mais la télévision n’est pas le sont pas encore définies et où ges et dans la télévision thé- cinéma. Le cinéma reste la il est donc difficile de délimiter matique publique – qui doit grande fabrique de rêve et de claires tendances. Ce que encore s’affirmer – il n’y a pas représente un des plus impor- nous pouvons avancer pour le de place pour nous pour le tant business mondial. Il inter- moment et qu’Internet offre un moment. Et Internet ? Sur In- prète la réalité, il en est aussi grand nombre de productions ternet nous sommes encore le miroir plus ou moins défor- textuelles, audio et vidéo trop en retard. mé. Comme les fables, il véhi- « faites à la maison ». La mul- Certains pasteurs « cyberphiles » prennent des initiatives individuel- les, mais ils n’ont pas de stratégie. Et le temps passe…

Gianna Urizio

6 - Vu de Pro-Fil N°3 - Printemps 2010

Le dossier

Jouer au cinéma Il ne faut pas tomber d'un excès dans l'autre. Les cinéphiles tordent le nez devant ces produc- teurs qui financent un film sur le nom d'une vedette, et devant les spectateurs qui vont le voir au même motif. Dans Vu de Pro-Fil, se manifeste souvent aussi (bien que non avouée) la préémi- nence accordée au « créateur de l'œuvre », au réalisateur – même si l'industrie du cinéma en a vu tant, de ces « créateurs », relégués au rang d'exécutants, parfois remplacés en cours de route et souvent privés du « final cut »... Alors, les acteurs, à « traiter comme du bétail », selon la hi- deuse formule d'Hitchcock? Ne sont-ils pas plutôt, comme l’affirme Almodovar, « la matière pre- mière dont est fait le film »?

Quittant pour une fois les sujets humains et de société dont le traitement au cinéma fait l'objet habituel des dossiers de Vu de Pro-Fil, en voici un qui s'insinue derrière l’écran dans l’un des rouages mystérieux du travail et de l'art du cinéma. Et son projecteur se braque sur ces êtres d’entre deux mon- des, sur ces personnes dont le métier est d'être personna- ges, et dont l'art vise à nous perdre entre fiction et réalité, tout en restant eux-mêmes – car, tout purisme à part, com- bien y perdrait notre plaisir de cinéma, si acteurs et actrices restaient anonymes !

Jacques Vercueil

Photo du film Etreintes brisées © Pathé Distribution Paola Ardizzoni et Emilio Pereda (AFC)

Jouer ou être

Héritier de l’enseignement de Stanislavski, Une immersion dans le personnage l’Actor’s Studio a bouleversé la façon de jouer des acteurs. Que dit cet enseignement ? Que, guidé par son intuition et son subconscient, le bon acteur doit n se souvient de la puissance animale vivre son personnage et non simplement l’inter- d’un Marlon Brando en tee-shirt humide préter. Malheureusement notre conscient ne O de sueur dans Un tramway nommé dé- peut pénétrer dans le domaine du subconscient sir. On se souvient du combat au couteau ou de où se trouve la source de l’inspiration. Toutefois, la course à la mort des voitures dans La fureur enseigne Stanislavski, « il existe dans l’esprit de vivre. James Dean y interprétait un jeune humain des éléments accessibles qui dépen- homme révolté en qui une génération s’est iden- dent de la conscience et qui, à leur tour, sont tifiée. Avec ces films, un frisson nouveau traver- capables d’agir sur des processus psychologi- sait les écrans. Quelque chose d’une vérité ja- ques involontaires ». D’où les différents axes de mais atteinte collait à la peau des personnages, travail sur lesquels porte sa méthode — l’imagi- comme le tee-shirt à celle de Marlon Brando. nation, la concentration, la relaxation, le sens de Génie de l’acteur ? Sans doute. Mais aussi ré- la vérité, la mémoire affective —, chacun d’entre sultat d’une méthode de travail développée par eux constituant un outil permettant à l’acteur de une école récemment créée, l’Actor’s Studio. se rapprocher du personnage et de l’intégrer Une méthode elle-même largement inspirée par jusqu’à la fusion. Tout cela assorti de la recom- l’enseignement de Constantin Stanislavski au mandation générale : « Ne vous éloignez pas de Théâtre d’art de Moscou dans les années qui vous-même. Lorsque vous êtes sur scène, jouez ont précédé la seconde guerre mondiale. toujours votre propre personnage, vos propres sentiments ».

Vu de Pro-Fil N°3 - Printemps 2010 - 7

Le dossier

Elia Kazan et Lee Strasberg qui « tout grand acteur travaille sur deux sphères, le travail sur lui-même et sur son rôle ». Un travail Cette recommandation ainsi que les principes qui qui, pour nourrir le subconscient de l’acteur de la l’accompagnent vont se retrouver à la base de vérité du personnage, est souvent allé très loin l’enseignement de l’Actor’s Studio qui fut fondé par dans l’expérimentation personnelle de la vie du Cheryl Crawford, Elia Kazan et Robert Lewis en rôle : on sait que, pour jouer dans Taxi driver, Ro- 1947 et connut son apogée de 1951 à 1982 sous bert de Niro s’est immergé dans la vie nocturne la direction de Lee Strasberg. Lee Strasberg pour new-yorkaise pendant plusieurs semaines, et que, pour Witness, Harrisson Ford a exercé pendant six mois le métier de policier à Philadelphie.

Deux générations, et ensuite ?...

La liste des grands acteurs américains ayant pas- sé par l’Actor’s Studio est longue : on le comprend, cette méthode a renouvelé Hollywood et produit ce qui s’est fait de mieux en matière d’acteurs : Ja- mes Dean, Marlon Brando, , Mary- lin Monroe, Paul Newman, Jack Nicholson, etc… dans une première fournée. On en est maintenant à la deuxième génération : Robert de Niro, Al Paci- no, , Nicolas Cage, Sharon Stone, Bruce Willis… Mais, plus qu’une école, l’Actor’s Studio est un peu devenu à la longue un passage obligé et un effet de mode. Endormi sur ses lau- riers, on peut craindre qu’il ne souffre des maux mêmes qu’il prétendait combattre. Le tic a un peu remplacé la trouvaille spontanée, le cabotinage, le mécanique, le répétitif ont refait surface. A quand un nouveau Lee Strasberg ?

Jean Lods Robert de Niro © Daniel Beguin

Les acteurs de la folie au cinéma

Est-il rôle plus pervers que de simuler la folie? Est-ce bien raisonnable ? Le peut-on sans un petit grain ? Nombreux sont ceux et celles qui s'y sont frottés et parfois … piqués !

a folie, cette « altération de la santé reprise de la croissance des os) incarna à psychique entraînant des troubles du l’écran des fous, notamment Brute Man (J. L comportement » n’a pas de frontière Yarbrough, 1946). Citons encore Peter Lorre, le précise. Elle est souvent associée à la fou meurtrier de M le maudit (F. Lang, 1931). criminalité. D’autres acteurs au physique plus Au début du cinéma, influencé par la théorie du conventionnel, utilisent un maquillage explicite. criminologue Lombroso qui se disait capable de Ce sont les savants fous du Cabinet du Dr reconnaître un criminel à sa morphologie, les Caligari, (R. Wiene, 1919) et de Dr Mabuse, (F. fous sont représentés sous les traits de Lang, 1919). Frederic March reçut un oscar pour monstres et sont les héros des films d’horreur. son interprétation dans Dr Jekill et Mr Hyde (R. Des acteurs au physique hors norme se Mamoulian, 1939). Dans Les chasses du comte spécialisent dans ces rôles : un des premiers Zaroff (E. Schoedsack, I. Pichel, 1934) la folie fous monstrueux (plus monstre que fou) est du comte, joué par Leslie Banks est indiquée Boris Karloff, qui sera la Créature de par une cicatrice sur le front qu’il caresse Frankenstein (lui, vrai savant fou) dans les 3 régulièrement. A la fin d’Aguirre, la colère de films de J. Whale. Dieu, (W. Herzog, 1972) c’est la démarche de Rondo Hatton, un journaliste souffrant Klaus Kinski, qui manifeste le déséquilibre. d’acromégalie (trouble hormonal entraînant la Mais notre voisin le plus normal peut se révéler

8 - Vu de Pro-Fil N°3 - Printemps 2010

Le dossier

être un fou ou devenir fou. Alors la folie ne La folie n’est pas toujours criminelle et quelques marque plus les corps mais est portée par le acteurs ont eu l’occasion de montrer leur talent jeu. Ainsi la retombée en enfance de Bette dans des films qui ne sont ni des films Davis dans Qu’est-il arrivée à Baby Jane ? (R. fantastiques ni des films d’horreur. Dans Aldrich 1962), montre le paroxysme de sa folie. Ouragan sur le Caine, Humphrey Bogart, (E. Un acteur incontournable de la folie est Jack Dmytryk, 1954) manipule de façon compulsive Nicholson. Dans Shining (S. Kubrick, 1980) il des billes de plomb. Une femme sous influence matérialise l’état de sa psyché par une (J. Cassavetes, 1975) donne l’occasion à Gena interprétation débridée : rictus, tics, grimaces Rowlands de jouer une femme ordinaire, fragile haineuses et regard noir. A l’opposé, Catherine psychologiquement, trop aimable, trop proche Deneuve dans Répulsion (R. Polanski, 1965) a des gens qu’elle gêne par sa demande un jeu minimaliste, c’est son atonie, son d’intimité ; elle se lance dans des gestes et des absence à elle-même et aux autres qui nous bruits saugrenus quand elle est submergée par indiquent, avec tout autant de force, sa folie. ses émotions et ne peut plus parler. dans l’histoire d’Adèle H. (Truffaut, 1975) en déambulant hagarde dans les quartiers, présente le glissement d’Adèle dans la pauvreté et la folie.

Et pour contrebalancer ce tableau bien sombre évoquons le doux dingue de Amarcord (Fellini, 1973) Téo, oncle du héros, joué par Ciccio Ingrassia, (acteur comique italien) que la famille va chercher à l’asile pour passer la journée à la campagne. L’acteur nous montre un Téo vif et catatonique, victime et tyran.

Sylvie de Micheaux John Fraser et Catherine Deneuve dans Répulsion | source: Deutsche Kinemathek Kinemathek Deutsche source: | Répulsion dans Deneuve Catherine et Fraser John

Leonardo DiCaprio entre folie et réalité dans Shutter Island de Martin Scorcese 2009 © Concorde Filmverleih GmbH (Berlinale 2010)

Acteur de théâtre / acteur de cinéma

Acteur de théâtre sence sur scène exige qu’il dé ? Jusqu’où la personne tienne son rôle, sans défaillan- peut-elle se fondre dans le u point de vue du théâ- ce, jusqu’à la fin de la repré- personnage à jouer ? (cf Dide- tre, l’acteur est l’inter- sentation. rot « Le paradoxe du comé- D prète d’un personnage, dien ») celui qui est présent sur scène Il s’agit donc pour lui d’entrer et qui agit. Il prête son corps, dans la peau du personnage, Ce dédoublement, cette capa- sa voix, sa sensibilité à un être de le faire entrer dans sa cité à la fusion ou à la distance fictif et, en tant que personne, peau. Mais que se passe-t-il vis-à-vis du personnage est au il se protège derrière son mas- quand il joue ? Est-il lucide ou cœur de la distinction acteur / que. L’authenticité de sa pré- en transe, distant ou possé- comédien.

Vu de Pro-Fil N°3 - Printemps 2010 - 9

Le dossier

Acteur ou comédien ? Acteur de cinéma Mais la plupart des acteurs ont reçu une formation profession- Louis Jouvet a théorisé cette Sans aucune formation, sans nelle, et cette formation est opposition. L’acteur est un co- talent particulier, n’importe qui continue : il travaille seul, sur médien négatif. Par des quali- peut faire du cinéma, si son lui-même, sur sa voix et son tés extérieures : le prestige de physique correspond au rôle à corps. Ses émotions consti- sa voix, de son nom, de sa jouer. Entre l’acteur et son per- tuent la matière même qu’il est prestance, il gagne les faveurs sonnage, il y a l’image. C’est chargé de modeler. du public pour le faire accéder dans l’image imprimée sur le à l’illusion. film que le personnage imagi- Le grand acteur sait que, sans naire trouve son expression contrôle sur soi, il aurait ten- Le comédien doit tout produire vivante. Cela implique de la dance à un exhibitionnisme par des moyens artificiels. Il part de l’acteur qu’il soit natu- narcissique auprès d’un public est le véritable acteur : adapta- rel, qu’il soit « comme dans la tion de son physique, transfor- vie ». qui ne demande qu’à se lais- mation de sa sensibilité inté- ser séduire par la confusion rieure pour atteindre la hauteur Certains réalisateurs, se mé- entre la personne et le person- du personnage. fiant du cabotinage des ac- nage. Il lui faut lutter contre sa teurs, emploient des non- propre image. On parle de comédien ou d’ac- professionnels. L’acteur ne teur au théâtre, mais on dit serait alors qu’un figurant dont Jean Pierre Queyroy acteur de cinéma. Serait-ce il faut savoir se servir. une hiérarchie des valeurs ?

D’un bord à l’autre, panoramique

l est grand, plus grand que les autres. Il regarde droit devant lui, les yeux légère- ment plissés pour que le regard soit plus précis, à cause de la forte lumière. Le I visage a été buriné par trop de soleil, de vent, de froid ou de chaud. Les yeux clairs, bleus, sont calmes, déterminés. Des manches de sa lourde chemise sortent des mains fortes, rapides et adroites, prêtes à saisir d’un geste impossible à préve- nir l’arme qui crachera la mort et la justice.

A sa première apparition (celle On ne peut oublier, sous le long manteau et le qui compte), il bondit au milieu vaste chapeau dont l’affubla Sergio Leone, la de la piste, fusil en mains, John Wayne source californiahistorian.com découverte de ses yeux brulés de soleil et leur pour arrêter la diligence... impassibilité meurtrière. Mais après trois petits dans laquelle il monte en client tours réussis, Clint EASTWOOD eut la sagesse (Stagecoach, John Ford 1936). Depuis, on a eu d’aller se faire voir ailleurs. Il n’est plus besoin le temps, dans plus de cent films, de bien désormais de maquillage pour retrouver, pétri de connaître papa John WAYNE, sa présence ras- rides, le visage cuit par le désert du « bon » surante, son attention à ses proches. Son jeu voyou d’antan. Lui non plus n’en fait pas trop : minimaliste, la tête un peu penchée, peu de ce n’est plus un cigare qu’il machouille, il faut mots, fait supposer force intérieure, concentra- tion, et entretient le mystère qui sied aux chefs lire comment il empoigne sa canette de bière, dont les décisions émanent d’un monde inconnu pour comprendre... Mais Gran Torino (Clint au commun des mortels... Fidèle jusqu’au bout Eastwood, 2009) ponctue aussi une longue tra- aux valeurs qui ont fait l’Amérique, selon lui versée, l’acteur mascotte des machos réac s’é- (Alamo, John Wayne 1960) : préserver le droit tant transformé en paladin des causes bien- de penser et dire, aller et venir comme l’on veut, pensantes. et même... acheter et vendre !

Un jeu d’acteurs fait surtout de présence, dans un réseau de codes dont s’affranchir est déjà créa- tion, c’est le sort commun des héros de western. C’est leur propre loi qu’ils font régner, et leur privilè- ge est de toujours savoir, aussitôt, en quoi elle consiste. Mais que l’on approuve ou regrette le fond des choix qu’ils imposent, c’est de toutes façons l’individualisme qui est vendu : le salut réside dans la bonne volonté de ceux qui savent se donner les moyens de faire valoir leur inflexible volonté.

Jacques Vercueil

10 - Vu de Pro-Fil N°3 - Printemps 2010

Le dossier Le dossier

Acteur ou comédien ? Acteur de cinéma Mais la plupart des acteurs ont reçu une formation profession- Louis Jouvet a théorisé cette Sans aucune formation, sans nelle, et cette formation est Scarlett, Maria, Nora, l’éternel féminin ? opposition. L’acteur est un co- talent particulier, n’importe qui continue : il travaille seul, sur médien négatif. Par des quali- peut faire du cinéma, si son lui-même, sur sa voix et son tés extérieures : le prestige de physique correspond au rôle à corps. Ses émotions consti- Le jeu de la séduction a-t-il évolué ? délicates, maîtrise de l’anglais) pour séduire. Le sa voix, de son nom, de sa jouer. Entre l’acteur et son per- tuent la matière même qu’il est jeu est encore explicite mais sans exagération. prestance, il gagne les faveurs sonnage, il y a l’image. C’est chargé de modeler. ans Autant en emporte le vent (V. du public pour le faire accéder dans l’image imprimée sur le Fleming, 1939), Vivian Leigh incarne Nora et Ismaël à l’hôpital psychiatrique à l’illusion. film que le personnage imagi- Le grand acteur sait que, sans Scarlett O’Hara qui affronte Rhett naire trouve son expression D Nora, qui va faire un riche mariage, veut confier contrôle sur soi, il aurait ten- Butler (Clark Gable). Le comédien doit tout produire vivante. Cela implique de la à Ismaël son fils trop encombrant. dance à un exhibitionnisme par des moyens artificiels. Il part de l’acteur qu’il soit natu- Dans Le mariage de Maria Braun (R. W. narcissique auprès d’un public est le véritable acteur : adapta- rel, qu’il soit « comme dans la Fassbinder, 1979) (Maria Emmanuelle Devos adopte un registre naturel et tion de son physique, transfor- vie ». qui ne demande qu’à se lais- Braun) charme Ivan Desny (Karl Oswald) ; sincère. Bien sûr, elle s’est préparée à la mation de sa sensibilité inté- ser séduire par la confusion rencontre en se coiffant et se pinçant les joues rieure pour atteindre la hauteur Certains réalisateurs, se mé- entre la personne et le person- Dans Rois et Reine (A. Desplechin, 2003) pour les rosir, mais elle fait appel à l’émotion de du personnage. fiant du cabotinage des ac- nage. Il lui faut lutter contre sa Emmanuelle Devos (Nora) fait face à Matthieu son interlocuteur, elle tente ainsi de le dominer. teurs, emploient des non- propre image. Amalric (Ismaël). C’est une femme qui maîtrise totalement sa vie. On parle de comédien ou d’ac- professionnels. L’acteur ne Son ton est adapté à ses paroles sauf à la fin de teur au théâtre, mais on dit serait alors qu’un figurant dont Jean Pierre Queyroy Trois exercices de manipulation visent des l’extrait (souhait qu’Ismaël reste à jamais acteur de cinéma. Serait-ce il faut savoir se servir. personnages affaiblis par leur situation du enfermé dans son hôpital), ce qui laisse le une hiérarchie des valeurs ? moment. spectateur dans l’ambiguïté sur les intentions de son personnage. Scarlett visite Rhett en prison L’interprétation bien sûr, tient compte du Elle souhaite lui demander de l’argent mais ne scénario et de la mise en scène, mais, dans les veut pas montrer sa misère actuelle. trois cas, ces femmes reflètent leur époque et donc leurs conditions de vie. On peut noter une Le jeu de Vivian Leigh est celui d’une coquette. D’un bord à l’autre, panoramique importante évolution entre ces situations. Une Il traduit bien la situation de la femme à l’époque autre constatation, cette fois-ci indépendante du du film (et, plus encore, à celle de la narration). caractère féminin de ces rôles, est le passage Sa dépendance l’obligeait, pour obtenir ce l est grand, plus grand que les autres. Il regarde droit devant lui, les yeux légère- progressif d’une interprétation très explicite à un qu’elle désirait, à user de ses charmes. Elle ment plissés pour que le regard soit plus précis, à cause de la forte lumière. Le appel au jugement du spectateur pour n’était pas censée argumenter pour convaincre. visage a été buriné par trop de soleil, de vent, de froid ou de chaud. Les yeux comprendre la personnalité de la séductrice. I De plus, Scarlett prend le spectateur à témoin clairs, bleus, sont calmes, déterminés. Des manches de sa lourde chemise sortent de ses roueries : le sur-jeu était encore souvent des mains fortes, rapides et adroites, prêtes à saisir d’un geste impossible à préve- Nicole Vercueil jugé nécessaire pour faire comprendre ce qui se nir l’arme qui crachera la mort et la justice. passait à l’écran. Les vœux A sa première apparition (celle On ne peut oublier, sous le long manteau et le qu’elle exprime contre Rhett à qui compte), il bondit au milieu vaste chapeau dont l’affubla Sergio Leone, la la fin de la séquence sont alors de la piste, fusil en mains, saisis au premier degré. John Wayne source californiahistorian.com découverte de ses yeux brulés de soleil et leur pour arrêter la diligence... impassibilité meurtrière. Mais après trois petits dans laquelle il monte en client tours réussis, Clint EASTWOOD eut la sagesse Dans le train, Maria cherche (Stagecoach, John Ford 1936). Depuis, on a eu d’aller se faire voir ailleurs. Il n’est plus besoin fortune. le temps, dans plus de cent films, de bien désormais de maquillage pour retrouver, pétri de Un riche industriel est assis en connaître papa John WAYNE, sa présence ras- rides, le visage cuit par le désert du « bon » surante, son attention à ses proches. Son jeu face d’elle, c’est une aubaine. voyou d’antan. Lui non plus n’en fait pas trop : minimaliste, la tête un peu penchée, peu de Un G.I. lui fait des propositions ce n’est plus un cigare qu’il machouille, il faut mots, fait supposer force intérieure, concentra- grossières. Elle le remet à sa tion, et entretient le mystère qui sied aux chefs lire comment il empoigne sa canette de bière, place. dont les décisions émanent d’un monde inconnu pour comprendre... Mais Gran Torino (Clint au commun des mortels... Fidèle jusqu’au bout Eastwood, 2009) ponctue aussi une longue tra- Hanna Schygulla est un chat aux valeurs qui ont fait l’Amérique, selon lui versée, l’acteur mascotte des machos réac s’é- guettant une souris à travers (Alamo, John Wayne 1960) : préserver le droit tant transformé en paladin des causes bien- ses yeux mi-clos. Elle bondit de penser et dire, aller et venir comme l’on veut, pensantes. pour faire fuir le G.I. et pour et même... acheter et vendre ! emmener Oswald au wagon- restaurant (elle lui enfile sa Un jeu d’acteurs fait surtout de présence, dans un réseau de codes dont s’affranchir est déjà créa- veste). Son jeu est en tion, c’est le sort commun des héros de western. C’est leur propre loi qu’ils font régner, et leur privilè- contrastes et provocations. Ici ge est de toujours savoir, aussitôt, en quoi elle consiste. Mais que l’on approuve ou regrette le fond on peut constater qu’une des choix qu’ils imposent, c’est de toutes façons l’individualisme qui est vendu : le salut réside dans femme utilise ses charmes mais la bonne volonté de ceux qui savent se donner les moyens de faire valoir leur inflexible volonté. met en valeur ses capacités (règlement de situations Jacques Vercueil Source Deutsche Kinemathek Gone with the wind .1939

10 - Vu de Pro-Fil N°3 - Printemps 2010 Vu de Pro-Fil N°3 - Printemps 2010 - 11

Le dossier

Acteurs asiatiques versus acteurs occidentaux ?

énéralement parlant, l’acteur Chez les « maîtres » japonais (Ozu, « asiatique » nous paraît : impassible, Kurosawa, Mizoguchi, Naruse), de grands G plutôt introverti, économe dans sa acteurs sont dans notre mémoire: Chishu Ryu gestuelle, visage lisse, attitude hiératique, (Voyage à Tokyo, Le goût du Saké d’Ozu) ; émotions contenues. L’occidental, c’est souvent l’actrice (La vie d’O Haru, femme le contraire, mais pas toujours ! Considérons un galante Mizoguchi) ; Takashi Shimura (Vivre de moment : Sean Penn (Mystic River) et Toshiro Kurosawa) et le très grand Mifune. Ces acteurs Mifune (Barberousse) ; (In the s’inspirent du kabuki et aussi du théâtre nô, où mood for love) et Pénélope Cruz ( Étreintes l’on passe de la plus grande inexpressivité à un brisées). Nous voyons des expressions, une jeu parfois outrancier, en passant par toute une gestuelle, des attitudes corporelles très palette de sentiments (Rashomon). Nous différentes. sommes dans un contexte culturel loin du nôtre, mais les situations humaines sont universelles. Dans le cinéma occidental, l’influence de l’Actor’s Studio (créé par Stalinavsky et Elia Si on se tourne vers le cinéma chinois Kazan dans les années 50) a été déterminante contemporain (Chine Continentale, Hong Kong, et le reste encore. Le principe était de réhabiliter Taïwan), de nombreux films nous offrent une la notion d’un jeu composé, et la recherche éblouissante pléiade d’acteurs et d’actrices : Bruce Lee, Leslie Cheung, Tony Leung, Gong Li, Maggie Cheung, Zhang Zihi… Beaucoup de films policiers très violents (Johnie To, John Wo) ou d’arts martiaux (avec Bruce Lee l’emblème), mais également des f r e s q u e s historiques (La Cité interdite, Les poignards volants de Zhang Zhimou), mobilisant grandes mises en scène et effets spéciaux.

Le travail de Maggie Cheung dans In the mood for love © source : Océan Films l’acteur se d’une vérité psychologique. Ce fut la pépinière modifie, se rapproche des personnages des de tous les grands acteurs américains, de films américains ! Nous entrons dans le Marlon Brando à Al Pacino. Mais il y a des cinéma commercial. exemples de jeu d’acteurs occidentaux sans expression : tous les films de Robert Mais grâce aux films de Wong Kar Wai (In the Bresson ; Le samouraï de Jean Pierre Melville mood for love) et de Hou Hsiao-hsien (Les fleurs met en scène un Alain Delon impassible (d’où le de Shangaï, Millenium Mambo) on retrouve la titre du film) ; Daniel Auteuil dans Un cœur en lenteur, la force contemplative, et des acteurs hiver (Claude Sautet) etc. plus dans l’esprit des grands maîtres. Le Coréen Kim Ki Duk (Printemps, été, automne, hiver..) entre parfaitement dans cette catégorie. Une hypothèse à poser dès maintenant : la vision que nous avons de l’acteur ou Alain Le Goanvic de l’actrice « typiquement » asiatique

vient d’un certain style de films…

12 - Vu de Pro-Fil N°3 - Printemps 2010

Le dossier

Tilda Swinton – une Lady

J'ai soulevé alors le problème des jeunes ap- prentis-jurés (je pensais surtout au jury du Ciné- Chaque film est Festival en Pays de Fayence), habitués à ne un regarder que des « block-boosters ». Avec la événement qu'il même passion elle soutient que là aussi il n'y a faut pas de différence: il ne faut pas mépriser les block-boosters parce qu'en tant que tels ils té- vivre moignent de quelque chose qui est caractéristi- pleinement que de notre époque. De l'autre côté il ne faut jamais dire d'avance « ce n'est pas mon genre de film »! Chaque film est un événement qu'il faut vivre pleinement, dans une totale ouverture, il faut être toujours prêt à se laisser surprendre. parfaitement ouvert à Quant à l'exigence de « juger » des films elle ce qui se s'exclame: « mais on ne les juge pas, on les choisit! » Elle donne comme exemple le film montre à auquel son jury a donné l'année dernière l'Ours nous et le d'Or, Milk of sorrow: sans cette distinction il se- capter avec Tilda Swinton photo: W.Verlaguet rait sûrement passé inaperçu, alors que mainte- tout ce que nant il est nominé aux Oscars du meilleur film nous som- étranger. La responsabilité du juré est justement mes, ady, elle l'est dans tous les sens du terme : de participer à la révélation de tels films, univer- à cause de son origine (elle est issue de la sels à travers leur particularité. en toute haute sociétié écossaise et va à l'école honnêteté. L Waltraud Verlaguet avec la future Lady Di), à cause de sa filmogra- phie qui la place parmi les plus grands person- nages du cinéma (Oscar 2008 de la meilleure 1985 : Caravaggiio de Derek Jarman Filmographie actrice dans un second rôle, présidente du jury 1986 : Egomania - Insel ohne Hoffnung de C. Schlingensief international du festival de Berlin en 2009), mais 1987 : Friendship's death de Peter Wollen surtout à cause de la simplicité caractéristique 1987 : Aria de Robert Altman des grands personnages. C'est avec une gentil- 1989 : War requiem de Derek Jarman 1990 : The Garden de Derek Jarman lesse désarmante qu'elle accède à ma demande

1991 : The Party : nature morte de C.B. Queenie de répondre à quelques questions, m'invitant à 1991 : Edward II de Derek Jarman Swinton Tilda de rejoindre le cercle très restreint des journalistes 1992 : Man to Man de John Maybury habilités à l'interroger dans le très sélect 1992: Orlando de Sally Potter « Lounge de l'Ours ». Quand c'est mon tour, 1995 : Female perversions de Susan Streitfeld nous sommes trois à lui faire face, tandis qu'elle 1995 : Wittgenstein de Derek Jarman est en compagnie de Luca Guadagnino, le réali- 1997 : Conceiving Ada de Lynn Hershman-Leeson sateur de son nouveau film (où elle joue en ita- 1997 : Love is the devil de John Maybury lien sans doublage). Interrogés sur leur collabo- 1999 : The War zone de Tim Roth ration, tous deux comparent la réalisation d'un 1999 : La Plage de Danny Boyle film à un acte d'amour, voire à celui d'élever un 2000 : Mondes possibles de Robert Lepage bébé. Chacun sait qu'il faut le nourrir, le langer 2001 : Bleu profond de Scott McGehee et veiller à son sommeil, on a pas besoin de se 2001 : Vanilla Sky de Cameron Crowe le répéter ou le répéter à l'autre, on se fait 2002 : Teknolust de Lynn Hershman-Leeson confiance et chacun fait ce qu'il y a lieu de faire. 2002 : Adaptation de Spike Jonze 2002 : Young Adam de David Mackenzie Je l'interroge surtout sur ce qu'elle pourrait 2003 : Crime contre l'Humanité de Norman Jewison avoir envie de dire aux personnes non profes- 2004 : Constantine de Francis Lawrence sionnelles désireuses de participer à un jury: y a 2004 : Broken Flowers de Jim Jarmusch -t-il une différence entre aller au cinéma juste 2004 : Le Monde de Narnia de Andrew Adamson par plaisir privé et regarder un film qu'on est 2005 : Thumbsucker de Mike Mills 2006 : Stephanie Daley de Hilary Brougher amené à juger ? 2007 : Michael Clayton de Tony Gilroy Elle soutient vivement qu'il n'y a pas de différence: 2007 : L'Homme de Londres de Béla Tarr dans tous les cas il faut être parfaitement ouvert à 2008 : Julia d'Erick Zonca ce qui se montre à nous et le capter avec tout ce 2008 : Le Monde de Narnia : Le Prince Caspian 2008 : Burn After Reading de Joel Coen que nous sommes, en toute honnêteté. 2009 : L'étrange Histoire de Benjamin Button de D.Fincher 2009 : The Limits of Control de Jim Jarmusch

Vu de Pro-Fil N°3 - Printemps 2010 - 13 Le coin théo

Le jeu de l’être

Derrière le masque On pourrait comparer du coup cette instance au réalisateur qui impose un rôle à l'acteur et lui dit ans le théâtre antique, chaque acteur comment il doit agir. Dans un sens ou dans l'au- porte un masque. Ce dernier, à la fois tre d'ailleurs, car quand l'apôtre Paul dit: ... ce représente le personnage que le comé- n'est plus moi qui agit mais c'est le péché qui D 3 dien se doit d'incarner, et masque la personne habite en moi c'est aussi une instance autre physique qui lui prête vie. Le masque montre et que la personne humaine qui agit à travers elle, cache, il montre pour autant qu'il cache. mais mauvaise cette fois.

Dans le jeu moderne il n'y Dans la peau a plus de masque. L'ac- Dans l'Antiquité, le masque du comédien est teur incarne son person- nommé persona, ce qui a donné notre mot nage jusque dans ses « personne ». Comme si la personne humaine traits physiques Il n'en se confondait avec le rôle qu'elle joue – non sur disparaît pas moins. Sur scène mais dans la vie. la scène ou devant la ca- méra, il agit, se comporte Dans les deux citations ci-dessus, il s'agit pour- et parle comme un autre tant encore d'autre chose: il n'y est pas seule- que lui, il en imite les ma- ment question de notre personnage social et nières, les tics, il incarne des déterminismes qui façonnent notre vie, mais dans sa chair des émo- d'une force qui pousse l'homme à agir dans le tions qui ne sont pas les sens de la volonté divine ou au contraire dans le siennes mais celles de cet sens du péché. Ce n'est pas seulement un mas- autre pour faire croire au que qu'on porte un temps pour l'enlever ensuite, spectateur à la réalité du c'est un masque intériorisé si je puis dire – au- personnage. Il montre en trement dit une « personne ». cachant, il cache pour mieux montrer. Vieux débat entre ce que nous sommes, ce que http://upload.wikimedia.org nous prétendons être, ce que nous voudrions ou "GNU Free Documentation License" L'acteur se rend ainsi devrions être... et aussi ce que nous ne vou- transparent en quelque sorte, il efface sa per- drions pas être. sonnalité propre pour mieux se couler dans celle 4 de son rôle, plus même: pour que son person- L'apôtre Paul parle du « vieil homme » pour nage vive à travers lui. désigner notre être pécheur, mort et ressuscité pour une vie nouvelle en Christ. Actions bonnes et mauvaises Dans la Bible, il n'y a pas d'acteur de théâtre ou Transparent et fidèle de cinéma. Quand il est question d' « actions » Pour filer la métaphore jusqu'au bout, on pour- c'est surtout pour distinguer les actions bonnes rait mettre en relation la personne propre de des mauvaises, selon l'antique notion de la pe- l'acteur avec ce « vieil homme», support néces- sée des âmes, bien connue déjà des textes saire à la vie en Christ, mais appelé à disparaî- égyptiens: Toute action est pesée par Dieu 1. Il tre, devenir transparent, pour que puisse vivre s'agit donc là d'un jugement moral qui n'a pas en lui et à travers lui cet Autre que nous avons cours dans l'art cinématographique car un excel- vocation à manifester devant les spectateurs de lent acteur peut jouer un personnage qui agit notre vie. Ce n'est plus moi qui vit, mais Christ 5 mal. La qualité de son jeu ne relève pas de la en moi , dis l'apôtre. Alors : Action ! morale mais de l'art. Aimons en actions et en vérité ! 6 Agir « au nom de » Cependant, sur un autre point, on peut bien Waltraud Verlaguet trouver des points de comparaison entre action 1 1 Sam. 2,3. au cinéma et dans la Bible. Par exemple, quand 2 les sacrificateurs demandent à Jésus dans le Mt 21, 23. 3 Rm 7,17. Temple: Par quelle autorité fais-tu ces choses et 4 qui t'a donné cette autorité ? 2 Il n'est pas seule- Par exemple Rm. 6, 6. 5 ment question ici de quelqu'un qui agit, mais Gal. 2,20. 6 d'une instance qui fait qu'il agit comme il le fait. 1 Jn 3,18.

14 - Vu de Pro-Fil N°3 - Printemps 2010 Découvrir

Montpellier : Juifs et arabes au festival chrétien du cinéma

Photo : Dans la vie de Philippe Faucon © Pyramide Distribution

e thème du Festival : une orientation peu objective d’un conte où il est question «D’ici et d’ailleurs », au- du récit, caractéristique, selon d’une clé, la clé du jardin, qui L torisait un vaste éventail lui, d’un cinéma israélien « de serait restée cachée, pour ré- de situations. Chocs de cultu- gauche », pour des questions apparaître 10 ans après ? Tou- res pour la plupart liés à la dis- d’audience à l’étranger. Mais fik a été libéré après 10 ans tanciation géographique : « De le manichéisme n’est pas si d’incarcération. La brève ren- l’autre Côté », Babel », évident : les protagonistes vi- contre du père et de sa fille « Welcome ». Mais aussi dans vent longtemps en bonne intel- n’éclaire pas les choses… la coexistence quotidienne ligence, les enfants élevés en- d’êtres dont les origines res- semble dès le plus jeune âge. « Dans la vie » n’a pas suscité pectives fondent la prospérité Mais il est apparu qu’en situa- autant de questions. Les deux des communautarismes. tion de crise, les traditions sé- protagonistes s’y apprivoisent culaires « avaient le dessus » : vite, « car toutes deux ont un Jaffa : une famille juive, un Toufik, le jeune mécanicien, ailleurs commun : L’Algérie, qui garage, deux salariés, père et longtemps soumis, malgré dépasse les conventions reli- fils, arabes israéliens, descen- l’hostilité à peine voilée du gieuses ». Et cette remarque dant de ceux, rares, qui ont « fils de famille », ne se élogieuse : « Dans ce film, on a « échappé » à la déportation contient plus et commet l’irré- l’impression que tout est posi- de la fin des années 40. parable, dès que l’on a touché tif ». Ont touché les specta- physiquement à son père. Ima- teurs : la scène du hammam, Dans la vie : une bourgeoise ge des palestiniens opprimés, où Esther, la juive partage la juive native d’Algérie, exilée du à la rage contenue, jusqu’à compagnie des autres, « mais côté de Nice. Paraplégique, l’éclatement. Ainsi, le couple avec le regret de ne pas mettre elle est contrainte d’accepter juif a accepté la grossesse de les pieds dans l’eau ». Et aussi les services d’une « auxiliaire leur fille et la naissance qui a la liesse qu’Esther partage, de vie », ancienne d’Algérie suivi, mais rompt définitive- pour le départ de Salima pour aussi, mais … arabe. Les dé- ment apprenant que le père le pèlerinage. A la question : bats « à chaud » qui ont suivi est le jeune Toufik ; « Les actrices ont-elles évolué, les projections n’avaient pas la L’éventualité d’un mariage au cours du tournage dans leur prétention de changer le mon- mixte « civil », qui se déroule- esprit de tolérance ? La répon- se d’Esther (présente sur les de. Tout au plus d’éclairer tel rait à Chypre (pratique assez lieux avec sa comparse Sali- ou tel aspect. répandue), apparaît pour cer- ma) : « Pour moi, l’évolution a Dans « Jaffa », on a dit que tains comme la « métaphore » débuté dès ma naissance ». Et cet « ailleurs» nous concernait d’une réconciliation nationale. Salima en écho : « tu as parlé à aussi, car ici les tensions racis- Mais le réalisateur nous laisse ma place !». tes ne manquent pas. Un au- libre de l’issue. Signe d’espoir, tre intervenant a cru déceler que la lecture, à la petite fille, Jacques Agulhon

Vu de Pro-Fil N°3 - Printemps 2010 - 15 Découvrir

Quels films pour nos jeunes ?

partir de quel âge en- ont tous un contact régulier, Depuis 15 ans, les cantons de fants et adolescents familial ou professionnel, avec Vaud et Genève collaborent A peuvent-ils, en Suisse des enfants et sont intéressés étroitement en se répartissant Romande, assister à une pro- par les questions liées à la les films à visionner, une cen- jection cinématographique ? protection de la jeunesse et à taine par an et par commis- l’éducation aux médias. Ils sion. Les autres cantons ro- La loi vaudoise de 2006 sur le sont enseignant, infirmière, mands reprennent ensuite cinéma, les vidéogrammes et psychologue, exploitant de leurs décisions. les logiciels de loisir stipule salle, archiviste à la cinéma- que tous les films sortant en thèque suisse, juge pour en- Le résultat de notre travail, salle de cinéma sont par prin- fants… avec une synthèse pour cipe interdits aux moins de 16 chaque film, est publié sur un ans. Pour que les plus jeunes Les films sont visionnés par au site internet commun: puissent y assister, il faut donc moins 4 membres lors de www.filmages.vd.ch ou que les exploitants ou les dis- séances privées organisées www.filmages.ge.ch. Il est tributeurs adressent une de- par les distributeurs et exploi- consulté et apprécié par de mande d’abaissement d’âge à tants pour la presse et l’OCCF. nombreux parents, ensei- l’OCCF (Organe cantonal de Après le visionnement, ils déli- gnants, exploitants, satisfaits contrôle des films). bèrent puis statuent et l’un du système en vigueur. Pré- d’entre eux rédige une fiche cieuses pour nous, des réac- Le film est alors visionné par justificative dont la synthèse tions de parents nous par- l’OCCF, qui peut fixer un âge figurera sur le site internet. légal inférieur à 16 ans, soit viennent régulièrement, le sans limite d’âge, à 7, 10, 12 Les critères pris en compte plus souvent pour tancer no- ou 14 ans. L’OCCF peut éga- pour fixer l’âge légal sont : vio- tre laxisme, quelquefois pour lement élever l’âge d’admis- lence, angoisse et terreur, re- revendiquer la seule respon- sion à 18 ans révolus présentation de la sexualité, sabilité parentale dans les « lorsqu’une représentation déformation tendancieuse de choix cinématographiques. cinématographique est trau- la réalité ou risque de manipu- Quoi qu’il en soit, le système matisante, exalte la violence, lation, outrage, mépris, déni- romand est généralement plus offense la dignité humaine ou grement, vulgarité, risque « sévère » que le français. Par constitue une forme d’incitation d’exemplarité négative ou de exemple, LA HORDE, de Yan- à la délinquance ou au racis- fascination, relations psycholo- nick Dahan et Benjamin Ro- me. » giques pesantes ou perverses, cher, accessible en France effets physiologiques (durée, dès 12 ans, n’est pas autorisé Les membres de l’OCCF, ac- son…). Bref, nous essayons en Suisse romande avant 16 tuellement au nombre de 8, d’être attentifs à tout ce qui ans, avec l’âge suggéré à 18 pourrait impressionner, per- ans. En effet, le film multiplie turber, voire traumatiser les les contre indications: une vio- jeunes spectateurs. lence omniprésente et parfois Des critères positifs sont extrêmement complaisante, également pris en compte, des personnages outranciers tels que l’intérêt culturel, et sans morale, des dialogues historique, didactique et d’une grande vulgarité, un em- divertissant des films. ploi gratuit et systématique de toutes sortes d’armes sans En vue de donner une in- justification, une bande-son et formation complémentaire des images très agressives. à l’âge légal d’admission, qui lui a valeur contraignan- Vérité au deçà du Jura, erreur te, un âge suggéré est fixé au delà… par l’OCCF. Destiné à aider

les spectateurs dans leur Anne-Béatrice Schwab choix, il tient compte de la membre de l’OCCF maturité nécessaire pour comprendre un film et y prendre plaisir.

16 - Vu de Pro-Fil N°3 - Printemps 2010 Découvrir

Même pas peur !

es contes de fées ne avait chipé la clé du portail loup qui deviendra le héros du sont plus ce qu’ils étaient pour sortir malgré l’interdiction. conte, d’autant plus qu’à la fin, L depuis qu’on peut les voir Et puis, son visage tavelé, sé- Pierre, pour punir les soi- sur l’écran de la télévision fa- vère, ne ressemble en rien à disant chasseurs, le laissera miliale. leur modèle de référence … s’échapper, l’accompagnant même, sur la place du village. C’est ainsi que trois petits lu- Dès l’apparition du thème mu- tins de quatre à sept ans se sical, le terrain devient plus « C’est pas des chasseurs, ça, sont attaqués au loup illustré familier et les commentaires se c’est des brigands ! » par les marionnettes de Suzie portent sur les personnages : Templeton, évoluant avec ré- « Il est mignon le chat avec sa A la fin du film, on anticipe : alisme sur la musique de Pro- petite tête » (pourtant un énor- « Le loup, il reviendra voir kofief. me matou patibulaire…), Pierre ». « L’oiseau, il peut pas voler C’est d’abord le manque de puisqu’il ouvre pas ses ai- Mais quand même, on réclame paroles qui les choque : «Ils les ! ». maintenant Pierre et le loup de parlent pas dans ce film ! » Walt Disney, histoire de rire Et quand le loup apparaît : « Il enfin un peu ! Mais précisément, ce silence est beau le loup ! Il a les yeux rend plus attentif et nos trois bleus » Et c’est désormais le Arlette Welty-Domon mini spectateurs, recroquevil- lés dans les fauteuils de papy et mamie, chacun suçant fébri- lement son pouce, n’en per- dent pas une séquence.

La musique interviendra bien après un prologue qui nous présente le village russe mo- derne et sa population. D’em- blée, les individus portant fusil en bandoulière se montrent antipathiques qui maltraitent le petit paysan Pierre.: « J’aime pas le Pépé ! » Il faut dire, que Pierre et le loup de Suzie Templeton - Oscar du court métrage lui aussi rudoie Pierre qui lui d’animation à Hollywood - Février 2 010 ( © Les films du Préau ).

Pro-Fil Bulletin d’adhésion Année 2010

Nom :

Adresse : Prénom(s) ( les 2 pour un couple ) : Code Postal :

Téléphone / Mail : Commune :

Ci-joint un chèque de _ _ _ _ € à l’ordre de Pro-Fil Individuel: 30 € Couple : 40 € Pro-Fil Réduit : 10 € ( pasteur, étudiant, chômeur … ) 390 rue de Fontcouverte Autre : nous consulter

Tarifs : Tarifs Bâtiment 1 Soutien : Montant libre 34070 Montpellier

Vu de Pro-Fil N°3 - Printemps 2010 - 17 Pro-Fil info

Ciné-Culte

eut-on associer culte et cinéma, mélan- Ainsi, le temps de la louange était associé à la ger célébration et analyse d’images ? A scène où Inger (la jeune femme qui mourra et P ceux qui doutent, on peut répondre : oui, sera ressuscitée) réconforte son beau-père, c’est possible et ça marche, l’expérience en a Borgen, en lui parlant des miracles quotidiens été faite à Caen, en novembre 2009, avec la que la vie réserve. participation de Pro-Fil. Ainsi encore, au temps du pardon correspondait Il est vrai qu’il la réconciliation des deux ennemis jurés, Peter s’agissait d’Ordet, le tailleur et Borgen. de Carl Dreyer, un film qui se prê- Et bien sûr le temps fort a été celui du sermon. tait particulière- Là encore, le choix d’Ordet a facilité les choses. ment bien au prin- On se souvient en effet qu’à la fin du film, Jo- cipe retenu pour hannes, le fou mystique, redevenu sain d’esprit l’organisation de après la mort d’Inger, s’enfuit de la maison en cette cérémonie : laissant, écrits de sa main, les mots du verset rythmer les diffé- de Jean (13,33) : « Vous me chercherez, mais rents temps du là où je vais vous ne pouvez pas aller ». Scène culte (louange, magnifique, où la parole de vie est encadrée repentance, par- par deux annonces de mort (certificat funéraire tage, parole, par- et faire-part de décès), et où le moindre détail don, envoi et bé- suscite l’interprétation. Mais aussi texte magnifi- nédiction) par la que, poétique et sibyllin, ouvert et mystérieux. projection de sé- Jean Alexandre devait le retenir pour sa prédi- quences dont le cation, permettant qu’en ce moment clef du film contenu dramati- comme du culte, le regard du cinéaste et la ré- que était appro- flexion du théologien convergent et se rejoi- prié au moment gnent sur les mêmes mots de l’Evangile. liturgique, et dont le contenu visuel Pourra-t-on dire encore que les protestants sont était analysé par ennemis de l’image ? Ils mettent maintenant du un intervenant cinéma même dans leurs cultes ! (moi, en l’occur- Photo : © Collection AlloCiné www.collectionchristophel.fr Jean Lods rence).

Bulletin d’abonnement à Vu de Pro-Fil

Nom : Prénom :

Adresse :

Code Postal : Commune :

Je désire m’abonner à Vu de Pro-Fil. Je joins un Date : chèque de 13€ et je l’envoie avec ce bulletin à :

Si chaque Profiliens trouve Secrétariat de Pro-Fil un nouvel abonné, nous 390 rue de Fontcouverte Signature : Bâtiment 1 pourrons passer à la couleur 34070 Montpellier

18 - Vu de Pro-Fil N°3 - Printemps 2010 Pro-Fil info

Parmi les prochaines sorties en DVD

Le ruban blanc de Micheal Haneke Le Concert de Radu Mihaileanu Les Herbes folles d'Alain Resnais Mission de Roland Joffé Rapt de Lucas Belvaux Sur la route de Madison de Clint Eastwood Vol au-dessus d'un nid de coucou de Milos Forman ...

Dimanche 18 avril de 10h à 10h30 PRÉSENCE PROTESTANTE diffusées sur France 2 Productrice : Séverine Boudier

Frédéric Mendelssohn-Bartholdy (1809 -1847), documentaire de Youki Vattier. Pour plus d'informations : www.presenceprotestante.com

initiation à l'image

PRO-FIL a été appelé par la Commission Régionale de l'Eglise Réformée de l'Ouest à orga- niser deux week-ends d'initiation à l'image.

Le premier aura lieu dans la région de Nantes les 25 et 26 Février, animé par Maguy CHAILLEY et Jean DOMON :

× Jean présentera un exposé intitulé Comment notre foi s'interroge-t-elle au sujet de l'image ?

× Maguy proposera une Introduction à la notion de lecture d'images et dans une se- conde intervention un exposé sur la lecture d'images publicitaires à références bibli- ques . d'autres ateliers auront lieu l'un sur une lecture d'œuvre peinte et et un autre invi- tera les participants à une construction d'images

× Une approche de l'image filmée permettra aux participants de visionner et d'analyser le film des frères Dardenne LE FILS ainsi que deux extraits significatifs de ce qui aura été abordé dans les ateliers.

La seconde session aura lieu les 24 et 25 Avril dans la région de Poitiers et sera animée par Jacques et Nicole VERCUEIL entourés d'autres responsables spécialisés dans cette même perspective.

Musique au cinéma pour la Journée de Pro-Fil à Marseille

amedi 12 juin, le groupe « On peut dire que Marais a En compagnie du musicien qui de Pro-Fil des Bouches porté la Viole à son plus haut a guidé l’interprète du théorbis- S du Rhône organise, au degré de perfection, et qu'il est te dans ce film, Jean-Louis Parvis des Arts* à Marseille le premier qui en a fait connaî- Charbonnier et sa viole de une journée consacrée à la tre toute l'étendue et toutes les gambe nous régaleront aussi musique et son utilisation au beautés par le grand nombre d’un concert de musique baro- cinéma. d'excellentes pièces qu'il a que*** dont le programme n’est composées pour cet Instru- pas encore dévoilé. En particulier, Jean-Louis ment, et par la manière admira- Charbonnier, qui a été conseil- ble dont il les exécu- Tous les profiliens et leurs ler musical d’Alain Corneau toît »**.C’est cette manière ad- amis sont les bienvenus. dans son film Tous les matins mirable que Jean-Louis Char- du monde (France 1991), sera bonnier a essayé de rendre Nicole Vercueil présent pour expliquer les arti- dans ce film sur les souvenirs fices de réalisation qui permet- de jeunesse de Marin Marais, * Parvis des Arts, 8 rue Pasteur Heuzé – tent à un acteur qui n’a jamais violiste du XVIIe‑XVIIIe siècle, Marseille joué d’un instrument de faire ** Vies des Musiciens .. de Evrard Titon du pendant son apprentissage Tillet illusion - et souvent de manière auprès de monsieur de Sainte *** Il est prévu une participation aux frais convaincante. Colombe.

Vu de Pro-Fil N°3 - Printemps 2010 - 19 A la fiche

dirige. Après l’accident, Mateo Blan- co devient son pseudonyme, Harry Caine.

ANALYSE : Le film, dont le sujet réel est en fait le cinéma, dégage charme et séduc- tion, grâce à un récit fluide, à des images somptueuses. La musique aux sonorités profondes se déroule, alors que résonnent en voix -off les paroles d’ Harry Caine, écrivain et scénariste, qui a décidé d’abandon- ner son identité réelle, Mateo Blan- co. Le film nous raconte sa tumul- tueuse et belle histoire d’amour avec Etreintes brisées Lena, vécue quatorze ans aupara- Espagne - Durée : 2h09 vant (en 1994), alors qu’il était un réussis (le film sera un échec). Le réalisateur en vogue. Brutalement moment le plus jouissif est celui où Sélection Officielle arrêtée, sa carrière devient celle l’on voit Mateo et son fils reconsti- Cannes 2009 d’un écrivain-scénariste. Mais reve- tuer entièrement une séquence, à nant sur son passé, et renouant l’humour irrésistible et où Lena est avec son fils (qu’il découvre !), il L’AUTEUR : éblouissante. "Il faut savoir terminer voudrait reprendre entièrement le un film, même si c’est en aveugle !" Pedro Almodovar présentait son 17è- montage du film qu’il tournait avec dit Mateo-Harry, en guise de conclu- me film à Cannes, 29 ans de carrière. Lena, que son producteur, amant sion à Etreintes brisées, mélodrame Quelques titres marquants : Fem- jaloux, avait sciemment saboté ! Ain- attachant mes au bord de la crise de nerfs si,, de nombreuses séquences évo- (1987), Talons aiguilles (1991), La quent clairement les péripéties de la Alain Le Goanvic fleur de mon secret (1995), Tout sur réalisation : relations avec le produc- teur, casting, problèmes de mise en Photos : Pathé Distribution ma mère (2001) , La mauvaise édu- Paola Ardizzoni et Emilio Pereda (AFC) cation (2004). Portraits pleins de vie scène, gestion des défaillan- et de sensibilité distanciée, sur fond ces des acteurs, contrôle du d’une Espagne en pleine transfor- montage...Le film, tourné Réalisation, scénario, dialogues : mation économique, sociale et psy- par Mateo, s’appelait Pedro Almodovar chologique. "Femmes et valises", allu- sion aux premiers films d’Al- Montage : José Salcedo RÉSUMÉ : modovar. Mais tout cela nous est présenté parfaite- Image : Rodrigo Prieto Dans l’obscurité, un homme écrit, ment imbriqué dans l’histoi- Son : Miguel Rejas vit et aime. Quatorze ans aupara- re personnelle de Mateo- vant, il a eu un violent accident de Harry, avec grande virtuosi- Musique : Alberto Iglesias voiture, dans lequel il n’a pas seule- té. Le producteur, Martel, ment perdu la vue, mais où est mor- tient Lena sous sa coupe Production : El Deseo D.A te Lena, la femme de sa vie. Cet (Penelope Cruz, créature homme a deux noms : Harry Caine, sensuelle comme jamais), Interprétation : pseudonyme ludique sous lequel il mais celle-ci tombée sous le Pénelope Cruz (Lena), signe ses travaux littéraires, ses ré- charme de Mateo, le quitte. Lluis Homar (Mateo/Harry), cits et scénarios ; et Mateo Blanco, Par dépit, le producteur or- Blanca Portillo (Judit), qui est son nom de baptême, sous donnera le montage du film José Luis Gomez (Ernesto Martel) lequel il vit et signe les films qu’il avec les rushes les moins

Dans le cadre d'une collaboration avec les pages culturelles du site protestants.org, des membres de Pro-Fil rédigent régulièrement des fiches sur des films nouveaux. Titres de films ayant fait l'objet d'une fiche sur ce site depuis Vu de Pro-Fil n° 2 : A l'origine (Xavier Giannoli) - Le ruban blanc (Michael Haneke) - Les herbes folles (Alain Resnais) - Walter, retour en résistance (Gilles Perret) - Rapt (Yvan Attal) - Strella (Panos H. Koutras) - Persécution (Patrice Chéreau) - Vincere (Marco Bellochio) - Hadewijch (Bruno Dumont) - La fille la plus heureuse du monde (Radu Jude) - Les chats persans (Bahman Ghobadi) - Coco Cha- nel et Igor Stravinsky (Jan Kounen) - Les contes de l'âge d'or (Christian Mungiu) - Agora (Alejandro Amenabar) - Pre- cious (Lee Daniels) - Tsar (Pavel Lounguine) - La route (John Hillcoat) - Avatar (James Cameron) - Invictus (Clint Eastwood) - Tetro (Francis Ford Coppola) - Padre Nuestro (Christopher Zalla ) - The limits of controm (Jim Jarmusch) - Lebanon20 - (Samuel Vu de Pro-Maoz)Fil N°3 - Une - viePrintemps toute neuve 2010 (Oumie Lecomte) - In the air (Jason Reitman)