MUSSIDAN en PÉRIGORD Il a été tiré de cet ouvrage : deux mille exemplaires sur vélin blanc et cinquante exemplaires hors commerce marqués H. C.

Ce tirage constitue l'édition originale. Jacques Louis LACHAUD Directeur Honoraire de Collège d'Enseignement général Conservateur du Musée des Arts et Traditions Populaires de Mussidan

MUSSIDAN en PÉRIGORD Terre d'Histoire et d'Épopée

Plume de Bécu de Courcy

Pierre

Armes de Mussidan : D'azur à un saint Georges à cheval terrassant avec sa lance un dragon, le tout d'or. (Grand Armorial de ).

PRÉFACE

« Une monographie communale », écrivait Géraud Lavergne en 1947 dans son Manuel des études péri- gourdines, « n'aura de mérite qu'autant qu'elle sera le fruit d'une enquête menée sur des plans multiples, suivant les exigences de la méthode historique, avec la volonté d'aller aux sources, d'indiquer ses auteurs, de produire ses preuves, d'apporter des réponses précises aux questions déjà débattues... » Nul n'était mieux qualifié que M. Lachaud, dont on connaît la compétence pédagogique et l'inlassable curiosité d'esprit, pour mener à bien cette passion- nante enquête sur l'histoire de Mussidan. On ne manquait pas de jalons, certes, après les travaux de Charmarty, de Bussière ou de Dujarric-Descombes, mais il fallait regrouper et repenser toutes ces infor- mations dispersées au fil des journaux ou des revues savantes. M. Lachaud n'a pas hésité à entreprendre cette tâche redoutable, et nous pensons pouvoir dire qu'il y est heureusement parvenu. Le lecteur appré- ciera, en particulier, sa présentation chronologique des seigneurs de Mussidan et les pages qu'il consacre à la Révolution, au XIXe siècle et à la Résistance. La parution de ce beau volume s'inscrit d'autre part dans un mouvement très encourageant qui se développe à l'heure actuelle en province et qui tend à mieux faire connaître aux habitants du pays l'histoire des villes et des communes. On avait déjà, pour le Périgord, de remarquables travaux, tels ceux du Pro- fesseur Testut sur Beaumont ou de l'abbé Goustat sur , des monographies estimables comme celles de Pugnère sur Domme, de l'abbé Farnier sur Lisle et sur Piégut, et voici qu'en quelques années se multiplient les études de ce genre : citons pêle-mêle les monographies de Belvès par le Dr Biraben, de Couze-et-Saint-Front par l'abbé Simon, de par Mrae de Monneron, de Lalinde par Madeleine Bon- nelle, de Montpon par l'abbé Chassaing. A coup sûr, la plupart de ces travaux ne sont pas l'œuvre de professionnels de l'histoire et manquent un peu de la rigueur chère aux chartistes et aux universitaires ; ils n'en révèlent pas moins, croyons-nous, le goût des Périgourdins pour le passé de leur petite patrie et leur besoin profond de culture. Le livre de M. Lachaud répond à ce besoin fort à propos ; il fera sans nul doute honneur à la petite ville de Mussidan et à son auteur.

Noël BECQUART, Directeur des Services d'Archives de la . « Je veulx icy entasser aulcunes façons anciennes que j'ay en memoire, les unes de mesme les nostres, les aultres differentes ; à fin qu'ayant en l'imagination cette continuelle variation des choses humaines, nous en ayons le jugement plus esclaircy et plus ferme. »

MONTAIGNE. (Les Essais, livre I, chap. XLIX.) La documentation concernant l'histoire de Mus- sidan se trouve en majeure partie aux archives de la Ville, à la Bibliothèque de Périgueux, (cours Tourny), aux Archives départementales, (place Hoche à Péri- gueux), à la Bibliothèque Nationale, (rue de Richelieu à Paris). J'exprime ma profonde gratitude aux responsables de chacun de ces services pour l'amabilité avec laquelle ils m'ont accueilli, ainsi qu'aux personnes qui m'ont fourni des documents complémentaires. Je remercie tout particulièrement M. Becquart, directeur des Archives de la Dordogne et ses col- laborateurs qui, avec une inlassable patience, ont mis à ma disposition une documentation d'une grande richesse et facilité mes recherches.

L'AUTEUR. I. — LES ORIGINES

Le legs préhistorique

« Quand les écrits manquent, les pierres parlent. » BOUCHER DE PERTHES.

Le confluent de l' et de la Crempse, les coteaux calcaires et boisés qui le dominent, ont attiré l'homme dès les temps préhistoriques. Il y trouvait des condi- tions favorables à son existence : une vaste forêt, des grottes, des rivières, un climat agréable. Cela lui assurait la nourriture, un abri contre les bêtes sau- vages ou les intempéries, des moyens de communica- tion. Les nombreux gisements découverts dans la région apportent un témoignage irréfutable de cette présence humaine. Nous possédons de sérieux renseignements sur ces gisements, car ils ont été explorés scientifiquement par M. Jean Gaussen, docteur en médecine à Neuvic- sur-l'Isle, qui a su associer l'érudition de l'archéologue et l'esprit d'observation du praticien. Ecoutons-le, dans un extrait de son livre captivant, « La Grotte Ornée de », nous conter l'historique de sa première découverte.

Une grotte dormait.

Le 28 septembre 1940, deux ouvriers exécutent des travaux de maçonnerie dans la cave d'une vieille maison du village de Gabillou, village situé à un kilomètre et demi de Mussidan, sur la route de Périgueux. La petite maison où ils travaillent est adossée à une falaise rocheuse ; elle a été construite au-dessus d'une excavation, reste d'une ancienne carrière de pierre à bâtir. La cave obtenue de la sorte, à peu de frais, est constituée par une vaste salle taillée dans le rocher. Au fond, dans l'angle droit, une fissure a jadis été obturée par un mur de pierraille et d'argile. Mais, petit à petit, l'argile s'est effritée, les pierres se sont disjointes, le mur s'est écroulé. C'est pour le rebâtir que les maçons sont là. En cette fin d'année 1940, la découverte de Lascaux est encore présente à tous les esprits, et c'est avec l'espoir de trouver quel- ques vestiges préhistoriques que les deux maçons s'engagent dans la galerie... Munis de bougies, ils amorcent une exploration et découvrent le grand cheval rouge. L'un d'eux s'écrie : « Un biau ! » (un bœuf). M. Charmarty, archéologue local, est prévenu. Aidé de son neveu et de M. Truffier, juge de paix à Mussidan, il entreprend un premier inventaire et envoie une note à la Société historique et archéologique du Périgord... La est creusée dans un calcaire sableux appartenant à l'étage maestrichien (Crétacé supérieur). Dans cette roche tendre, les eaux souterraines ont foré une galerie étroite et profonde, dont la partie supérieure a été comblée par des apports argileux ultérieurs. Cette galerie débouche au pied d'une falaise rocheuse à quatre ou cinq mètres au-dessus du niveau de l'Isle, dont elle est distante d'une centaine de mètres. Les travaux d'extraction de pierre ont élargi l'entrée. Les parois latérales et une partie de la voûte primitive se sont effondrées et, avec elles, un nombre important de gravures, sans doute. C'est dans le fond de la cave, au-delà du vieux mur effondré, que commence la partie achéologiquement intacte. Elle se présente comme un boyau très étroit dont la longueur n'excède guère une trentaine de mètres. Par endroits on note des élargissements, à d'autres des étran- glements réduisant la largeur jusqu'à soixante-dix centimètres. Un heureux hasard avait conduit le Dr Gaussen à cette grotte : Nous sommes en 1956 et voilà près de dix ans que mon activité professionnelle me conduit régulièrement à Gabillou. Je passe souvent devant une vieille maison, sans savoir qu'elle dissimule l'entrée d'une grotte préhistorique ornée. La lecture d'un ouvrage de Denis Peyrony m'en apprend l'existence. Désirant la visiter, j'en recherche le propriétaire ; c'est un de mes clients. Il ne connaît pas sa propriété souterraine, car les locataires, avec lesquels il est en procès, lui en interdisent l'entrée... Mon désir de la connaître est si grand que je l'achète le 9 août 1955. Et, ce jour-là, l'étude de Me Denis, notaire à Saint-Vincent-de-, fut le théâtre d'une transaction peu commune : la vente d'une grotte ornée du Paléolithique supérieur parfaitement inconnue et du vendeur et de l'acquéreur. On croit rêver et lire une version moderne de « La Belle au Bois dormant ». Il était une fois... une grotte merveilleuse mais inconnue qui dormait depuis des centaines de siècles. Elle n'avait échappé à l'anéan- tissement que grâce à une chance inouïe. Un pur hasard permit sa découverte. Un curieux, au sens noble du terme, émule du Prince charmant, mais surtout érudit et passionné de préhistoire, y pénétra. La grotte dormait d'un sommeil profond. Avec une infinie prudence et beaucoup d'amour, il l'éveilla. Voici les gravures qui ressuscitent, vivent, parlent, prodigieux miracle réalisé par le Dr Gaussen. M. Bordes, professeur à la Faculté des Sciences de Bordeaux, directeur de l'Institut de Préhistoire, juge ainsi cette découverte : Petite par ses dimensions, la grotte de Gabillou est grande par sa valeur artistique. Elle ne saurait donc laisser indifférent ni le préhistorien, ni l'amateur d'art. Est-elle périgordienne ou magdalénienne ? On pourra en discuter. Ce qui est au-dessus de la discussion, c'est la surprenante beauté de bien des gravures, la vie étonnante des chevaux, des rennes, des félins, bisons, bouquetins, etc., qui se pressent sur ses murs et que semble guider, tout au fond, la figure énigmatique du « sorcier ». La grotte de Gabillou est une grotte à gravures. Sur ses parois on en compte deux cent vingt-trois, dont cinquante-six chevaux, vingt et un rennes, dix-huit bovidés, douze bisons, trois sorciers, deux figurations humaines. Le trait dominant de ces dessins est le mouvement. On ignore leur signification. Peut-être se trouvaient-ils en des lieux sacrés, associés au dérou- lement de rites magiques ou religieux. L'abri, dans lequel ouvre la galerie ornée, renferme un gisement exploré par M. Gaussen, qui en a donné les résultats dans son ouvrage. La faune, identifiée par un paléologue averti, M. Prat, est celle d'une période froide. Le matériel lithique comprend dix lampes, un percuteur, des grattoirs, des burins. On a aussi trouvé de l'outillage en os dont neuf sagaies étroites à rainure longitudinale. Ces pièces semblent dater de l'époque magdalénienne, mais il n'y a entre elles et les gravures qu'une relation de voisinage. Cette grotte n'est pas ouverte au public en raison de ses dimensions restreintes.

Un campement de plein air : Solvieux. Le gisement de plein air de Solvieux se trouve dans la commune de Saint-Louis-en-l'Isle. Il occupe une superficie d'une trentaine d'ares. M. Gaussen et une mission scientifique des Etats-Unis l'ont exploré méthodiquement. Il s'agit d'une station avec struc- tures et stratigraphie bien conservées. Le pavage en constitue l'élément le plus intéressant. Par son éten- due, sa forme, sa régularité, il n'a pas d'équivalent en Europe occidentale. Les niveaux s'étagent du Mous- térien au Néolithique et les fouilles ont livré plusieurs milliers de pièces : burins, grattoirs, etc... Un fond de tente magdalénien.

A l'extrémité sud de la plate-forme séparant le val- lon de la Beauronne de celui de Crabanac, M. Gaussen découvrit en 1958 un site préhistorique fort intéres- sant. Il y pratiqua des fouilles quelques années plus tard, en collaboration avec le Laboratoire de Préhis- toire de l'Université de Bordeaux et l'autorisation du propriétaire, M. Parrain, d'où le nom de Plateau Parrain donné au gisement. Le décapage du sol, sur une profondeur de cin- quante centimètres, mit à jour un paléosol très bien conservé, base d'une ancienne habitation temporaire, fond de tente de l'époque magdalénienne, disent les spécialistes. Une bordure de galets, apportés de la rivière voisine, délimite un rectangle de quatre mètres sur quatre mètres cinquante. Ils servaient à maintenir la toile ou les peaux de la tente. Au sud se situe une ouverture nettement visible ; par contre, aucune trace de feu n'existe. On y a relevé trois cent trente-cinq outils : burins, grattoirs, racloirs. Le sol acide n'a pas conservé l'os. Cet habitat, le premier découvert et étudié en Europe occidentale, constituait vraisembla- blement un village de tentes ou des tentes successives. Souhaitons que les fouilles ultérieures prévues appor- tent une ample moisson de précisions complémen- taires. Diverses autres trouvailles évoquent elles aussi l'époque préhistorique. La démolition de l'ancienne église Saint-Georges amena la découverte d'armes en silex, portant à croire qu'en cet endroit une fabrique avait existé. Le Dictionnaire de la Gaule Celtique rapporte qu'en 1872 on découvrit, aux Châtenades et près de la gare, des haches de silex et de bronze. Enfin, sur le plateau d'Emburée, se dresse un bloc de granit, jadis appelé « drouillas », reste d'un autel druidique. Tous ces vestiges prouvent l'ancienneté du peuple- ment dans la vallée de l'Isle.

GROTTE QRHEF DE GH81LL0U -Il Il FEltM*

Premières lueurs dans les ténèbres

Après la chute d'Alésia, Gaulois et Aquitains se soumirent facilement. La grandeur de Rome leur en imposait et ils trouvaient bien des avantages à leur nouvelle condition. L'histoire de Mussidan et de sa région demeure à peu près totalement inconnue à cette époque et jusqu'au milieu du Xe siècle. Les documents s'y rapportant, s'il y en a eu d'établis, ont été détruits ou dorment sur les feuillets jaunis d'un parchemin au fond d'une bibliothèque.

Les voies romaines.

Les Romains s'efforcèrent de développer le bien- être matériel et la prospérité des provinces conquises, afin de leur faire oublier la liberté perdue. Agrippa, administrateur plein de bon sens, dota la Gaule et l'Aquitaine d'un réseau routier qui a servi de base à la plupart des routes françaises établies jusqu'aux temps modernes. L'une d'elles reliait Bordeaux à Vésone et traversait notre région. La table de Peutinger constitue un excellent docu- ment sur le tracé de ces voies. Ce parchemin indique les grandes routes de l'Empire romain et leurs stations. Les itinéraires, représentés par des lignes brisées, sont schématiquement exacts. Chaque point de relais porte un chiffre indiquant la longueur de l'étape. On trouve, dans la direction de Bordeaux à Vésone, « Veratedo » (Vayres), « Corterate » (Coutras). L'étape suivante est « Cunnaco », mais point de distance indiquée. Les avis diffèrent de façon sensible sur la position de ce « Cunnaco ». Certains le placent à Mont- pon, d'autres à Mussidan, quelques-uns à Saint-Louis, à Neuvic, voire à Saint-Vincent-de-Connezac. Voici l'itinéraire d'après l'abbé Audierne : La voie romaine de Vésone à Bordeaux passait par le Toulon (faubourg de Périgueux), tournait au nord-ouest, côtoyait la rive droite de l'Isle, arrivait au gué du Chalard près de Neuvic, se dirigeait ensuite vers Mussidan par Saint-Louis, passait à Saint- Front, Saint-Martin, près de Montpon, au Pizou puis, par Coutras et Vayres, gagnait Bordeaux. Leydet pense que cette route ne devait pas suivre la rive droite de l'Isle à cause de marécages peu favo- rables. Dessales exprime ainsi son opinion dans son « Histoire du Périgord » : La voie de Bordeaux à Vésone, après s'être rendue à Coutras par Vayres, entrait dans le Périgord par , se dirigeait sur le Puy de Châlus, près de Montpon. Elle traversait cette magnifique villa, ou mieux ce castellum, passait par Avancens (), Ribérac, , Tocane, La Chapelle-Agonaguet où elle se confondait avec celle de Saintes et d'Angoulême, descendait à Beauronne au-dessous de , point de jonction avec celle de Limoges, et gagnait Vésone par le Toulon.

Une voie empruntait donc la vallée de l'Isle, mais sa situation véritable donne lieu à bien des conjectures. Ces routes étaient construites et entretenues avec un soin admirable. Tous les milles romains (mille cinq cents mètres) se dressait une borne milliaire, et tous les trente milles, un relais. Elles permirent le déve- loppement des relations commerciales et apportèrent la prospérité. Aussi l'Aquitaine s'accommoda-t-elle facilement de la présence latine.

Le christianisme.

Durant la domination romaine, la religion chré- tienne se répandit en Gaule et en Aquitaine. D'après la légende dorée, saint Pierre chargea saint Front d 'évangéliser cette province. Sur l'emplacement des temples, et souvent avec leurs pierres, s'élevèrent les églises. Les calvaires remplacèrent les déesses protec- trices romaines. Des monastères, des couvents, des prieurés s'édifièrent, attirant des populations en quête d'un asile protecteur. Les invasions.

Au VE siècle, l'Aquitaine passa sous la domination des Wisigoths puis, après la victoire de Clovis à Vouillé en 507, sous celle des Francs. Au VIIIE siècle, l'affai- blissement des successeurs de Clovis ouvrit la porte aux Arabes, « ces myriades d'hommes bruns, aux turbans, aux burnous blancs, aux boucliers ronds, aux sabres courbés, aux légères sagaies, caracolant parmi des tourbillons de poussière sur leurs cavales éche- velées ». Ils déferlèrent sur le pays aquitain comme un immense ouragan. Eudes, duc d'Aquitaine, s'efforça en vain de leur barrer la route. Il leur aurait livré bataille près de Bergerac. Certains noms : Maurens, Les Mauries, Fonmoure, évoquent leur présence. Charles Martel les battit à Poitiers en 732. Les Aqui- tains participèrent à leur défaite en les prenant à revers.

Le duc Waïfre.

Au VIlle siècle, le Périgord devint durant vingt ans le théâtre d'une lutte sauvage entre le duc d'Aquitaine Waïfre, descendant de Clovis, et Pépin le Bref. Le duc se battit héroïquement, mais son adversaire le fit assassiner durant son sommeil, en 768 (on dit que ce fut dans les bois qui entourent Eygurande).

Les Normands.

Pendant le règne de Charles le Chauve, petit-fils de Charlemagne, les Normands dévastèrent la région, massacrant les habitants, incendiant leurs demeures, pillant récoltes et objets de valeur. En 847, ils s'appro- chèrent de Bordeaux et essayèrent de s'emparer de la ville. Les milices repoussèrent les assaillants. Ils se répandirent dans le pays environnant, remontant les vallées de l'Isle et de la Dronne. Ces pirates renou- velèrent leur tentative l'année suivante. Ils pénétrèrent de nuit, par surprise, dans Bordeaux et mirent la ville à sac. En 849, ils arrivèrent à Libourne et remontèrent la vallée de l'Isle. Ils détruisirent Montpon, Mussidan, les abbayes fortifiées de (construite au vine siècle), de Saint-Astier, de Brantôme. Ils arri- vèrent à Périgueux, incendièrent le monastère de Puy- Saint-Front, mais ne purent s'emparer de la cité, défendue par de hautes murailles. L'impression de terreur causée par ces brigands était si forte, qu'à leur approche, on désertait le pays. Des hommes, même énergiques, se donnaient la mort pour échapper à leurs violences. Leurs incursions en Périgord se renouvelèrent en 853 et 865. Montés sur leurs terribles drakkars, ils voguaient à l'assaut des riches monastères, des cités prospères. Leurs pillages auraient dû cesser en 911, après le traité de Saint- Clair-sur-Epte, mais jusqu'au début du XIe siècle le pays resta infesté de bandes d'aventuriers qui s'affu- blaient du nom de Normands pour mieux épouvanter les populations. Après la tourmente, que restait-il du premier Mus- sidan ? Des ruines, sans doute, mais un site idéal, une « Porte du Périgord » où, sous l'impulsion de seigneurs valeureux, s'édifiera un château « formi- dable » et une ville active et libre, un nouveau Mus- sidan, dont vous allez connaître les heures de gloire. Mussidan : un refuge dans le coteau ?

L'orthographe du mot Mussidan a subi bien des variations au cours des siècles. On compte plus de trente graphies différentes. En voici un certain nom- bre, la plupart extraites du Dictionnaire topographique du département de la Dordogne : Moysida Gaignaire, vol. 558. Moxedanensis 1038. Ademar de Chabanois. Muxidanii 1081. Donation de Sourzac. Muissida 1094. Archives de Saint-Astier. Moisedanum 1100. Archives de Saint-Astier. Moysidanum 1115. Donation à l'abbaye de Cadouin. Mussidanum 1210. Donation à l'abbaye de La Sauve. Muissidan 1241. Archives de la Gironde. Muychidanio 1251. Manuscrit Périgord. Muschidanum 1319. Saisie du château de Mussidan. Muyschidanum ... XIVe siècle. Muschidan 1365. Registre du consul de Bergerac. Muyschidano 1371. Testament de Seguin de Mussidan. Moyschida 1376. Registre du consul de Bergerac. Mucident Froissart. Muchident, Mouchident, Moucident, 1377. Mussiden 1379. Lettre d'Anseau de Salins. Moucidano 1400. Lettre d'Henri IV d'Angleterre. Muscidan 1406. Lettre du religieux de Saint-Denis. Mussidanti 1496. Bail de Saint-Jean-d'Ataux. Mouchidan, Mussidan, Mucidan, xvie siècle. Musidan 1569. Mort de Brissac. Mussidan 1629. Pouillé général de France. Mussidant 1732. Rôle des paroisses. Moussidan XVIIIe siècle, archives de la Gironde. Mussidan 1786. Mucidan ...... XIXe siècle.

En dépit des nombreuses modifications de ce nom, deux lettres demeurent dans toutes les formes : la labiale M et la dentale d. Quelle est l'étymologie de cette dénomination ? Les opinions diffèrent. Voici celle de l'abbé de Lespine, qui fut directeur de l'Ecole des Chartes : On croit, dans le pays, que cette ville tire son nom de Mutius Danus qu'on suppose avoir été son fondateur. Je croirais plutôt que son étymologie doit provenir des deux mots : « Mutii Dunum » qui signifient : « Montagne de Mutius ». En effet, le château, qui vraisemblablement a donné son nom et son origine à la ville, était situé sur une éminence formée par la jonction de deux rivières, la Crempse et l'Isle. On sait que « dunum », dans la basse latinité, signifie coteau ou colline. Quant au nom de Mutius, il est évident que c'est un nom romain. On le trouve fréquemment dans les fastes consulaires, dans le recueil des inscriptions de Gruber et ailleurs. L'importance de la situation du château de Mussidan m'a fait croire qu'il est très ancien. Cependant, il n'en est pas fait mention dans aucune histoire avant Ademar de Chabanais qui mourut vers l'an 1029.

Celle de Gaston Charmarty : Mussidan est formé du celtique « mue » qui signifie : percé, troué, avec comme sens dérivé : caché dans un trou et de « dan », forme réduite de « dunum » : hauteur, éminence, colline. Le sens de ce mot serait donc : abri, cachette, refuge dans un coteau. C'est à la colline sur laquelle « Notre-Dame du Roc » est édifiée que Mussidan doit son nom. Si l'on examine le terrain sur lequel est construite cette ancienne chapelle, on remarque la présence d'une imposante masse rocheuse qui borde la route nationale. Ce soubassement fait partie de l'assise calcaire que l'on aperçoit au pied du coteau des Châtenades. Un examen rapide des murs de la chapelle permet de constater qu'ils sont en partie monolithiques, c'est-à-dire taillés dans le rocher. Cela donne une idée de la hauteur de la roche en des temps très reculés. On peut supposer qu'ils dominaient la rivière d'une quinzaine de mètres. Il existait autrefois une vaste galerie traversant ce soubassement d'ouest en est, excavation naturelle aux parois taillées. Elle permettait de faire communiquer chapelle et château. La plupart des orifices de ces souterrains ont été bouchés. Cette excavation, située à côté d'une plaine fertile, pourvue en cours d'eau, facile à défendre, a dû servir très tôt d'abri à des populations troglodytes. Plus tard, elle fut utilisée comme refuge et magasin. C'est à cette masse rocheuse, qui domine les vallées de l'Isle et de la Crempse, que Mussidan doit son nom. Leydet prétendait que le nom de la localité venait du celtique « Muechy Dan », qui signifie « au milieu de bois », et l'abbé Audierne pensait qu'il provenait de celui du consul romain « Mussidia », dont les médailles sont assez communes en Périgord. « Moyssidanum », « Moyssida », « Mussidan », humble fleur des « bords charmants de l'Isle », qui t'a donné ce nom aux syllabes qui chantent ? Sans doute un homme à l'âme emplie de poésie, l'artiste de Gabillou peut-être... « Les peuples heureux n'ont pas d'Histoire », dit-on. 0 Mussidan ! tes hauts faits et tes malheurs en ont écrit une pour toi : belle, tragique et grande, une dont l'action se déroule en épopée et dont ton nom restera l'immortel symbole.

II. — LES GRANDES HEURES DE L'ÉPOQUE FÉODALE

Fondation de Mussidan

Une famille illustre.

Mussidan va renaître de ses cendres, comme le phénix de la fable. L'auteur de cette renaissance appar- tenait à une branche de la dynastie carolingienne : les « Aimon ». Un roman de la chevalerie, « Les quatre fils Aimon », a popularisé leur nom. Un membre de cette famille, Alcher le Sourd, fils d'un haut dignitaire, arriva en Périgord entre les années 900 et 920, du temps d'un comte Talleran, apparenté lui aussi aux Carolingiens. Ce comte était, sans doute, Guillaume Ier ou son fils Bernard Ier. Le père de Guillaume s'appelait Wulgrin. Son cousin, Charles le Chauve, le nomma comte de Périgueux en 863. Au cours d'un combat contre les Normands, Wulgrin réussit un exploit peu commun : d'un seul coup d'épée, il fendit le casque et la tête d'un adver- saire. Ce haut fait lui valut les surnoms de Taillefer ou de Talleran (déformation de taille-iron, iron signi- fiant fer en anglais). A dater de ce jour mémorable, les branches de la famille du comte portèrent l'un ou l'autre des surnoms. Un petit-fils de Bernard Ier, appelé lui aussi Guil- laume Talleran, donna à Alcher d'immenses domaines en Périgord auxquels pouvaient s'ajouter les conquêtes que ce dernier réaliserait aux dépens de leurs ennemis communs. Alcher bâtit sur une hauteur dominant la vallée de la Dronne, en un pays dit « de rivières » (ripeyra), le château de Ribérac, entre 920 et 940.

Aldagérius fonde Mussidan. Alcher eut deux fils : Adaïcius et Aldagérius qui, entre les années 940 et 960, fondèrent le château et la ville de Mussidan, ou plutôt les relevèrent de leurs ruines, puisque les Normands les avaient détruits. Un extrait d'une ancienne notice de Mussidan, sur la fondation et la restauration de l'abbaye de Guîtres du diocèse de Bordeaux, rapporte ainsi cette fon- dation : Verumtamen Hic Alcherius edifficato castello suo Ribbairac, videlicet, uxorem dixit, exqua duos genuit filios, primo nomen imponens Adaïcium, secundo Aldagerium ; iste quidem Aldagerius dano et adjutorio Guilhermi Talleranni Petragoricorum consulis, primas condidit Moysida. Voici la traduction de ce document : « Cependant, le dit Alchérius, en son château édifié à Ribérac, prit femme de laquelle naquirent deux fils, le premier nommé Adaïcius, le second Aldagérius ; cet Aldagérius, grâce à un don et à l'aide de Guillaume Talleran, comte du Périgord, fut le premier qui fonda Mussidan. » La notice ajoute que le comte possédait de nom- breux fiefs alleux (en libre propriété) ainsi que beau- coup d'autres domaines entre Périgueux et Coutras, sur l'Isle, le Vern, la Dronne. Mais Guillaume devait, sans cesse, défendre ses possessions contre les convoitises de ses ennemis. Aussi donnait-il des terres à des che- valiers, amis ou parents, pour avoir des vassaux fidèles à sa cause. Ceux-ci construisaient des châteaux destinés à s'opposer aux incursions des Normands ou à celles de voisins trop hardis.

Un solide point de défense.

Alcher et ses fils ne manquaient point de perspi- cacité. Les sites choisis par eux pour fonder Ribérac et Mussidan constituaient des points défensifs remar- quables. Ce fut probablement une chevauchée guerrière ou cynégétique qui conduisit Aldagérius en un lieu si bien situé qu'il en reçut un coup au cœur. Il cheminait à travers bois, lorsqu'il arriva dans une vallée où coulait une rivière large de soixante pas environ. Il la traversa et gravit la pente du coteau qui la dominait. Au sommet, le panorama qui s'offrit à son regard lui arracha un cri d'admiration. En amont, la rivière s'échappait d'une vallée qui creusait une large échan- crure entre deux lignes de crêtes assez élevées. L'onde butait contre des pentes escarpées, dessinant de pares- seux méandres. En aval la plaine s'élargissait et prenait une ampleur royale. Là, plus de rives abruptes, plus de roches hostiles, mais des sables et des argiles se laissant facilement conter fleurette par les eaux cares- santes. En face, une contrée qu'il connaissait bien : la Double, opulente et secrète. Ses yeux, habitués à lire le livre de la nature, scrutaient le moindre détail, et le relief lui apparaissait grâce à la diversité des essences, à la houle des fron- daisons. A sa gauche, une jolie petite rivière rejoignait la grande. Elle se frayait un passage dans sa vallée marécageuse par de multiples bras qui tantôt se rapprochaient, tantôt s'éloignaient. De longues traî- nées d'eau glauque et stagnante, paradis des plantes aquatiques, y brillaient. D'instinct, il sentit que cette convergence de vallées constituait un carrefour d'un intérêt excep- tionnel. L'éminence qu'il foulait du pied pouvait être ceinturée d'eau. Quel formidable point de défense ! La vue embrassait l'horizon sur presque toute l'éten- due du ciel. Quel lieu d'observation et quelle facilité pour verrouiller la vallée ! Le bois, la pierre abondaient et d'ailleurs, sous la végétation luxuriante et le lierre, se devinaient des ruines. Une décision subite jaillit en son esprit : en ce lieu, il bâtirait un château, une ville. Cela se passait vers l'an 950, et voilà comment naquit Mussidan.

Le château. Aldagérius édifia sa demeure là où le plateau des Châtenades repousse l'Isle d'un coup de boutoir, sur l'éperon dominant la vallée. Il voulut un « castrum », forteresse apte à défendre une contrée entière et non un « castellum » qui n'aurait assuré que la défense d'un lieu limité. Au sud et en contrebas du château se dressa une seconde enceinte qui englobait la surface où se trouve la place Victor-Hugo actuelle. De larges et profonds fossés l'isolèrent de la ville et de l'église Notre-Dame-du-Roc. Des terrassiers exhaussèrent le sol de cette cour intérieure à l'aide de terres extraites du coteau voisin. Le château dominait la vallée... La ville.

Ce seigneur invita une partie de la population des environs à venir se fixer au pied de son château et à y bâtir une ville à laquelle il accorderait franchises et privilèges. L'Isle, la Crempse, le coteau constituaient des défenses naturelles qui protégeraient la cité. Les gens qui l'édifièrent l'entourèrent de murailles hautes et larges, dessinant un carré de deux cent cinquante pieds de côté ayant pour centre la halle. Les habitants ne disposaient chacun que d'un espace réduit. Les rues étaient étroites et sinueuses et les maisons, accolées les unes aux autres, manquaient d'air et de lumière. On franchissait l'enceinte par les portes de la Halle, de Lagut, des Châtenades, de Saint-Georges, défendues chacune par des tours, des barbacanes, un pont-levis. « La ville avait l'aspect d'une prison », pensez-vous. Vous n'avez point tort, mais ces moyens de défense apportaient un élément capital en ces périodes tour- mentées : la sécurité. Le soir, le commerçant, le voya- geur, le pèlerin de Compostelle, les apercevaient avec satisfaction, avec soulagement et se sentaient heureux de faire étape sous leur protection. Les paroisses voisines arrivaient tout près : Saint- Médard à la Crempse, Saint-Front à l'Isle, Sourzac aux Châtenades.

Un bastion imprenable. Château et ville constituèrent un ensemble défensif remarquable. Le premier, forteresse inexpugnable, surveillait la région et interdisait tout accès par le ACHEVÉ D'IMPRIMER

LE 31 MARS 1978

DANS L'ATELIER DE PIERRE FANLAC PRÈS LA TOUR DE VÉSONE

A PÉRIGUEUX

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal. Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en vertu d’une licence confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒ dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.