LE CHATEAU DE BEAUMONT-SUR-VINGEANNE

par M. Yves BEAUVAI.OT

INTRODUCTION.

L'architecture classique a laissé en Bourgogne des traces nombreuses de sa fécondité. Province riche, forte d'un passé architectural célèbre, la Bourgogne participe au mouvement de construction et de reconstruction qui marque le xvne et le xvme siècles. L'esprit nouveau impose alors des normes nou- velles et un idéal que ne satisfont plus les constructions anciennes. Le plus souvent, les vieilles forteresses sont abandonnées. Quel- quefois les murailles sont rasées, les fossés comblés. Sur le terrain aplani ou dans un cadre plus propice, la noblesse édifie de somp- tueuses demeures où elle trouve le confort et l'agrément. Ces châteaux ont ainsi orné et ornent toujours de nombreux villages. La Bourgogne profite plus encore de la prospérité d'une bourgeoisie enrichie par le négoce ou les charges et d'une noblesse parlemen- taire dont le xvme siècle fut le siècle d'or. Dans leur volonté d'affi- cher une ascension sociale lente ou rapide, ces nouveaux détenteurs du patrimoine foncier font édifier, à la ville et à la campagne, les maisons cossues, les hôtels particuliers et les châteaux que cachent bien souvent murs, grilles et frondaisons. Non seulement le château de Beaumont-sur-Vingeanne (fig. 1) appartient à cette dernière catégorie, mais il est un des plus beaux et des plus singuliers exemples que l'architecture du règne de Louis XV ait légué à la Bourgogne. Ses dimensions réduites, ses proportions savantes, l'élégance de ses façades, la sobriété de son ordonnance et la grâce de son ornementation font de lui, sans conteste, un des édifices les plus représentatifs de l'architecture du xvme siècle. L'ingéniosité et la science prodiguées par l'archi- tecte dans la distribution des étages et des pièces, son habileté à utiliser la surface habitable, son parti constant de vouloir dissimuler et étonner, illustrent à merveille le courant architectural qui 312 YVES BEAUVALOT

FIG. 1. — CHÂTEAU DE BEAUMONT Façade antérieure. s'épanouit dans la première moitié du xvme siècle, rejette la démesure, recherche le petit, le commode, et rend aux édifices les proportions humaines qu'ils avaient souvent perdues. Il est étonnant qu'aucune étude d'ensemble, précise et détaillée n'ait été entreprise sur le château de Beaumont-sur-Vingeanne. Les deux seuls ouvrages où le château est cité avant 1950 sont ceux de R. E. Gascon 1 et de H. Soulange-Bodin 2. Ils s'inspirent de traditions orales colportées dans le village. C'est dire le crédit qu'il faut leur accorder. En fait, les quelques renseignements que donnent ces deux auteurs apparaissent vite comme des erreurs et le plus souvent comme des contre-vérités. M. le Marquis de

1. Richard-Edouard GASCON, En tramway de Dijon à Fontaine-Française et à Champlilte, Sirodot-Carré, Dijon, 1899, in-8°. 2. Henri SOULANGE-BODIN, Les châteaux en Bourgogne, Paris, Vanoest, 1942, in-4°. —• Voir aussi Marcelle LORY, Une maison des champs, dans Bulletin du Syndicat d'initiative de Dijon et de la Côle-d'Or, n° 43, année 1956, CHATEAU DE BEAUMONT 313

Montmort, propriétaire actuel du château, a fait des recherches approfondies sur la famille de l'abbé Jolyot l. Cette enquête a constitué le point de départ et le fondement d'une étude métho- dique sur le château, dont on trouvera ici le résumé 2. En fait, le château de Beaumont a provoqué l'admiration, mais, mises à part les recherches de M. de Montmort, n'a suscité aucune étude importante. Comment l'expliquer ? Comment justifier à la fois tant de silence et tant d'erreurs ? Il y a là, très certainement, des raisons qu'il est utile de connaître. La première de ces raisons, c'est le manque de sources. Le château de Beaumont, depuis la mort de Gabriel Ligier de Saint-Pierre en 1884, fut vendu de nombreuses fois. Les archives privées ont été dispersées ou détruites. Elles ne pouvaient donc susciter le moindre intérêt pour l'histoire du château. De plus, depuis 1884, les propriétaires furent des étrangers qu'aucun sentiment familial ne rattachait à cette demeure. A ces raisons majeures, il faut en ajouter une autre. Pour beaucoup, les dimensions du château de Beaumont étaient trop réduites, l'aspect n'en était pas assez majestueux. Il est d'ailleurs signifi- catif qu'au xixe siècle, certains documents parlent d'une « maison 3 ». On connaît le goût qu'avait le xixe siècle pour les édifices imposants et surtout pour les châteaux-forts. Aussi, les archéologues amateurs de ruines glorieuses préféraient-ils s'inté- resser à l'ancien château féodal de Beaumont, auquel était attaché un passé historique prestigieux 4. Une « maison » ne. pouvait

1. Marquis Roger de MONTMOIIT. Le château de Beaitmont-sur-Vingeahlte en Côlc-d'Or, dans Bulletin du Syndical d'initiative de. Dijon et de. la Côle-d'Or, n° 17, année 1950. 2. Yves BKAUVAT.OT, Le château de. Beaiimont-sur- Vingeanne, Diplôme d'Études Supérieures d'Histoire de l'Art et d'Archéologie, Faculté des Lettres de Dijon, 1966. Les articles concernant le château, parus après 1966, pro- cèdent, pour la majeure partie, de cette étude. 3. L'acte de décès d'Antoine Juillet de Saint-Pierre le dit « décédé en sa maison de campagne de Beaumont » (10 janvier 1797). Celui de Joseph- Gabriel Juillet de Saint-Pierre dit « décédé en sa maison de Beaumont, rue Richebourg » (20 avril 1852). Arch. corn., registres paroissiaux. 4. Beaumont était au Moyen Age le centre d'une baronnie très importante, située à la frontière de la Bourgogne et de la Franche-Comté. Elle appartint aux Vergy et aux Chabot. En 1607 ,elle passa aux Saulx-Tavanes. En 1613, la baronnie fut érigée en comté au profit de Claude de Saulx. Le château-fort de Beaumont, forteresse redoutable, fut assiégé et pillé trois fois en 1636, lors de l'invasion des troupes impériales. Le château démantelé ne fut jamais reconstruit. Toutefois, les Saulx-Tavanes ne se désintéressèrent par de leur fief, sur lequel ils avaient la haute, moyenne et basse justice. Ils confièrent la garde de leurs intérêts et l'administration de leurs biens à des « officiers seigneuriaux », qui surent s'enrichir avec habileté. Jusqu'à la Révolution, les Saulx-Tavanes possédèrent le comté de Beaumont, érigé en duché héréditaire avec là baronnie de Lux, le 29 mars 1786, pour Charles- Casimir de Saulx-Tavanes, chevalier d'honneur de la reine. Place forte tournée 314 YVES B1ÏAUVALÔT satisfaire leur goût romantique pour les ruines et les évocations ténébreuses de sièges, de guerres et de désastres. A l'écart des grands itinéraires touristiques et des routes prin- cipales, à la frontière de la Bourgogne et de la Franche-Comté, le château de Beaumont fut oublié. Il le fut d'autant plus qu'il est situé entre deux importants édifices du xvine siècle : le château de Fontaine-Française, construit de 1754 à 1761 pour Monsieur de Saint-Julien, et le château de qu'édifia en 17(52 l'archi- tecte Jacques-Louis d'Aviler. Ce n'est qu'après avoir été restauré et remeublé que le château de Beaumont devait briller d'un nouvel éclat et attirer les visites qui y furent autorisées. L'étude qui s'imposa alors se révéla dilTicile. Les archives privées ont disparu. Ni dans les Archives départementales de la Côte d'Or, ni dans les Archives communales ne subsiste un document concernant le château. Rien sur ses origines, sur sa construction ou son architecte. Sans archives, c'est donc par la bande qu'il a fallu cerner le pro- blème : en glanant tous les renseignements qui concernaient la famille Jolyot-Clesquin, en regroupant tous ceux qui avaient trait aux propriétaires successifs du château et en fouillant dans le « Fonds Saulx-Tavanes » les liasses relatives au Comté de Beau- mont *. Ainsi, qu'on ne s'étonne point s'il a été fait ici une large place à l'histoire de l'abbé .lolyot et à sa famille : ce sont les seuls repères historiques qui puissent situer l'édifice dans son contexte architectural.

1. HISTORIQUE

1. La famille Jolyot-Clesquin. La famille .lolyot est ancienne 2. On trouve des .lolyot au xve siècle. L'un est qualifié d'écuyer dans une « montre » à Steil- en-Varast, les autres, âgés de quinze à dix-huit ans, sont cités dans une « montre faite en 1472 » 3. Aux xvne et xvme siècles, on rencontre des .lolyot en Bourgogne et en Franche-Comté. A vers la Franche-Comté, le village de Beaumont perdit son rôle stratégique en 1678, au traité de Nimègue, qui ratifiait la conquête de la Franche-Comté par la France, 1. Arch. dép. de la Côte-d'Or. Fonds Saulx-Tavanes : E 1764, E 1765, E 1767, E 1777, E 1780, E 1781, Voir aussi « Rôles particuliers des impositions » : G 5926 et C 5927. 2. On trouve dans les documents parfois l'orthographe « Joliot » ou « .lollyot », mais le plus souvent, l'orthographe est « ,lolyot « (Arch, coin., registres paroissiaux). 3. Arch, dép., recueil de Pelncedé, CHATEAU DE BEAUMONT 315

Dijon même, les plus célèbres sont Melchior Jolyot et son fils Prosper Jolyot de Crébillon. 11 y a des Jolyot à Boiirberain, non loin de Beaumont. Ils sont désignés comme marchands l. A Beaumont même, au xvne siècle, la famille Jolyot était fort connue. Les documents d'archives citent le nom de Claude Jolyot « marchand à Beaumont » et de François Jolyot « praticien audit Beaumont »2. La proximité des villages de Beaumont et de Boiirberain, l'ancien- neté des origines permettent de penser qu'il s'agit là d'une même famille. François Jolyot, « praticien audit Beaumont », eut pour fils un autre François Jolyot. Ce dernier est qualifié, dans les rares textes qui nous sont parvenus, de « marchand », puis de « praticien », et enfin de « notaire et laboureur » 3. II est « lieutenant en la justice de Beaumont », puis « juge en la comté de Beaumont ». Ces titres évoquent assez bien le caractère de ce marchand qui, tout en augmentant ses revenus, sut s'élever dans la société en devenant officier seigneurial. A Beaumont, c'est « Maître François Jolyot » qui est le plus imposé. En 1703, il paie 111 livres, alors que les autres propriétaires ne doivent que de 65 à 40 livres et les j>lus petits d'entre eux de 20 à 5 livres. Les membres de la famille Clesquin le suivent, mais de loin, sur les rôles des impositions. C'est dire assez quelle était sa fortune. Il fait partie de ces « coqs de village » qui, par leur intelligence et leurs sens des affaires, se sont hissés jusqu'à la bourgeoisie. Par son mariage avec Biaise Janvier, fille du « receveur » Claude Janvier, bourgeois fortuné, il s'est allié aux familles riches du comté qui, comme la sienne, ont fait fortune dans les offices seigneuriaux. Une de ses filles, Françoise, a pour parrain Bernard Galliet, juge au comté de Beau- mont. Une autre fille est la filleule de la femme de ce même Bernard Galliet 4. D'autres faits semblables évoquent des alliances de même rang. Point n'est besoin de s'encombrer de citations pour comprendre que la famille Jolyot est en pleine ascension, non

1. Cette branche des .lolyot est mentionnée à Bourberain jusqu'à la lin du XVIII0 siècle. Le 23 avril 1754, par exemple, est célébré le mariage de Nicolas Voisin, fils de Claude Voisin, vigneron, et de Claudette Jolyot, fille de Jean- Baptiste Jolyot, marchand à Bourberain. La branche des Jolyot de Bourberain n'a pas suivi celle des Jolyot de Beaumont dans son ascension sociale. 2. Praticien : celui qui connaît la manière de procéder en justice, sans être titulaire d'une charge de procureur ou être avocat. Sur ces professions, voir Marcel MAUION, Dictionnaire des institutions de la France au XVII" et au XVIII" siècles, Paris, 1923, in-8°. 3. Arch. coin., registres paroissiaux et Arch. dép. Côte-d'Or, G 5920. 4. « Le notaire Bernard Galliet était un des propriétaires fonciers les plus riches de la région ; il possédait de multiples biens dans toute l'étendue du comté (de Beaumont). » Cité dans Gaston ROUPNUI., La Ville, et la Campagne un XVII" siècle, Paris, 1955, in-8», p. 308. 316 YVES BEAUVALOT pas rapide, et éclatante, mais lente et sûre. Les liens familiaux, solidement tissés dans un même milieu où domine l'esprit de caste, sont autant de garanties pour l'avenir. L'avenir tint ses promesses. « Maître François Jolyot » et Biaise Janvier eurent six enfants. Deux retiendront notre attention : Claude Jolyot et Prudence Jolyot. Le mariage de Prudence Jolyot fut l'occasion de conclure une belle et utile alliance : Prudence Jolyot épousa en effet François Clesquin, procureur d'offices à Beaumont. Les Clesquin étaient, après les Jolyot, les plus riches propriétaires de Beaumont. Comme eux, ils étaient ofïiciers seigneuriaux. Toute- fois, le fils de Prudence Jolyot et de François Clesquin devait brûler les étapes qui « mènent à la noblesse ou la commencent » : François Clesquin jeune fit en effet une carrière exemplaire. 11 épousa Madeleine Denis, fille de Gabriel Denis, « procureur fiscal en la justice d', conseiller du Roy et son contrôleur au gre- nier à sel de Mirebeau », lui-même notable de Beaumont où il possédait des terres. « Procureur d'office et commis au contrôle des exploitation et distribution du papier timbré », le jeune Fran- çois Clesquin, « écuyer », devint successivement « receveur en la comté de Beaumont », puis « fermier général du comté de Beau- mont », ensuite « trésorier de France » et « conseiller du Boy » 1. Une de ses filles, Michelle Clesquin, épousa à vingt-quatre ans, le 12 août 1754, Antoine Juillet du Bois de Saint-Pierre, conseiller au Parlement de Dijon. Exemple remarquable de ténacité dans les alliances, d'intelligence dans la conclusion des mariages, de progression dans les carrières seigneuriales, puis royales, pour accéder, en cinq générations, à la grande bourgeoisie, parlemen- taire ou non.

2. Le maître de l'ouvrage : l'abbé Claude Jolyol (1670-1762). Le château de Beaumont est l'œuvre de Claude Jolyot. Fils de François Jolyot, né le 18 mars 1670, Claude est destiné très tôt à l'état ecclésiastique 2. Le rang social de sa famille lui laissait espérer une carrière honorable. « Docteur en théologie », il est ordonné prêtre en 1697, à 27 ans. En 1721 et en 1731 il est cité comme prieur de Til-Châtel, prieuré dépendant de l'abbaye Saint-

1. Areh. dép., rôle particulier des impositions, recette de Dijon, C 5926. 2. Arch. com., registre des baptêmes depuis 1648 jusqu'à 1776. L'acte de baptême date du 19 mars 1670. Claude .Jolyot y est déclaré « né de la veille », en même temps que sa sœur Didière. Il est vrai que son acte de décès (16 mai 1762) mentionne qu'il est mort à l'âge de 94 ans : il y a là une erreur ; l'abbé était si âgé qu'on s'est vraisemblablement trompé sur son ;\ge exact en omettant de consulter l'acte de baptême. CHATEAU DIS BEAUMONT 317

Etienne de Dijon 1. Le 12 juin 1712, il célèbre un baptême « en la chapelle Saint-Barthélémy de Beaumont ». Il est qualifié alors de « chapelain chez le Roy 2 ». Le 14 août 1718, il est le parrain de sa petite-nièce Prudence Clesquin, fille de François Clesquin et de Madeleine Denis 3. En 1724, il devient abbé commendataire de l'abbaye de Bournet au diocèse d'Angoulème 4. Il succède à Jacques Poisson, chapelain du roi, nommé le 29 mai 1700. L'abbaye de Bournet ne compta jamais un grand nombre de moines, mais elle était taxée 300 florins et « valait 2 000 livres ». La carrière de l'abbé Jolyot ne dut pas décevoir ses espérances. Ce sont les seuls renseignements que les archives fournissent sur cette carrière ecclésiastique, typique d'un siècle et d'un milieu social. Il est vraisemblable que les appuis ne manquèrent pas à Claude Jolyot pour le mener à la « chapelle de l'oratoire du Roy » et aux bénéfices en commende. Ses alliances familiales durent lui être utiles au début. Mais les honneurs qui lui furent accordés amènent à penser que des interventions plus influentes l'aidèrent ensuite à gravir les derniers degrés. Les familles Jolyot, Janvier, Clesquin et Denis étaient au service des comtes de Saulx-Tavanes dont la puissance était grande, non seulement en Bourgogne, mais encore à la Cour, où ils tinrent rang parmi les plus grands. Familiers de l'entourage du monarque, ils firent partie de ces courtisans qui parlaient au roi, assistaient à son petit-lever, à son souper, occupaient des offices à la Cour et obtenaient charges et pensions 5.

1. Chanoine Charles-François ROUSSEL., Le. diocèse de Langtes. Histoire et statistique, Lan grès, 1873, 4 vol., grand in-8°. 2. « Marguerite, lille de Maître Antoine Clément, chirurgien demeurant à Betuiinont et de .Jeanne Denis, naquit le 12 juin 1712 de légitime mariage et lut baptisée le même jour en la chapelle de Saint-Barthéleiny, située audit Beaumont, à cause de l'impossibilité de fréquenter la paroisse, par moi, Claude Jolyot, prêtre, chapelain chez le Roy, soussigné, et a eu pour parrain Toussaint Portier, prêtre, curé dudil Beauniont et pour marraine mademoiselle Marguerite Clesquin, lille de Maître François (Mesquin, procureur d'ollices en la justice du comté de Beaumont, témoins soussignés, et Antoine Clément, père et .1. Cudey, recteur d'école. » (Arch. com., registre paroissial, 1712). .'5. « Prudence, lille de Maître François Clesquin, procureur en la comté de Beaumont, et de Madeleine Denis, son épouse, naquit le 12 août 1718 et lut baptisée le 14 par moi, soussigné. Son parrain a été Maître Claude Jolyot, chapelain du Roy et (sa marraine) demoiselle Prudence Michel, femme de Maître Gabriel Denis, contrôleur au grenier à sel de Mirebeau, qui ont sous- signé. » (Arch. coin., registre paroissial, 1718.) 4. Abbé Hugues du TEMS, Le Clergé de France, t. II, Paris, 1774, in-8°, p. 340-341. Claude .Jolyot est cité comme chapelain et abbé de Bournet dans VAlmanach royal de 1750 et celui de 1761. A ce sujet, voir aussi DIÏNIZE, L'abbaye de Bournet, chronique détaillée, dans La Semaine religieuse d'Angou- lême, t. XXirr, sans date. 5. Louis PIN(;AUI>. Les Sanlx-Tavanes. filude sur l'ancienne société française, Paris, 1S7(>, in-S". 318 YVES BEAUVALOT

Claude Jolyut était lils d'un de leurs o(liciers .seigneuriaux et membre d'une famille qui les servait depuis longtemps. Il est possible, et vraisemblable, que les comtes de Saulx-Tavanes aient favorisé sa carrière. Peut-être Claude Jolyot fut-il aidé dans son ascension par le frère cadet de Henri-Charles de Saulx-Tavanes, alors lieutenant-général du roi en Bourgogne, Nicolas de Saulx- Tavanes (1690-1759). Ce dernier était bien placé pour recommander l'abbé Jolyot. Neveu du chancelier d'Aguesseau, protégé de Fénelon, l'abbé Nicolas de Saulx, Grand-Vicaire de Pontoise, devint en 1724 évêqile de Châlons-sur-, l'année même où Claude Jolyot fut nommé abbé commendataire de l'abbaye de Bournet. Premier-Aumônier de Marie Lecksinska, Nicolas de Saulx-Tavanes fut archevêque de Rouen en 1733, cardinal en 1756, et « Grand Aumônier de France » en 1757. Le nom glorieux qu'il portait, la place prépondérante qu'il devait tenir dans l'Eglise de France peuvent avoir facilité la carrière de Claude Jolyot, protégé des puissants comtes de Beaumont, marquis de Tavanes. M. de Montmort a émis une hypothèse qui ne peut pas être passée sous silence. Les recherches qu'il a entreprises lui ont permis de penser que « peut-être aussi Prosper Jolyot de Crébillon n'était-il pas étranger à cette élévation 1 ». Les origines de la famille du poète tragique sont en effet les mêmes que celles de la famille de l'abbé. Crébillon (ou Crai-Billon) est le nom d'un fief en basse justice, situé à Brochon (Côte d'Or). Le père du poète, Melchior-Marie Jolyot, « praticien », puis « notaire, maître-clerc en chef et ancien de la Chambre des Comptes de Dijon » en 1685, avait acheté le fief en 1686, certainement dans le seul but d'en porter le nom. Il mourut ruiné et la terre fut vendue à sa mort. Mais son fils, Prosper Jolyot (1674-1762), auteur de tragédies, continua de s'intituler « de Crébillon », et c'est sous ce nom qu'il se rendit célèbre. Cet académicien était le contemporain de l'abbé Jolyot. L'a-t-il aidé dans sa carrière ? Rien ne permet de l'aflirmer. « Les preuves font encore défaut pour pouvoir assurer qu'il existait une parenté entre eux, bien qu'elle paraisse certaine. Même milieu, prénoms identiques retrouvés souvent dans les deux familles, et ce qu'on peut retenir de plus probant, c'est que l'abbé et l'académicien portaient les mêmes armes : d'azur à l'aigle éployé d'or, chargée d'un lis au naturel, à une variante près dans la position du lis 2. » Coïncidence troublante qui porte à réfléchir quand on sait combien étaient puissants sous l'Ancien Régime

1. Marquis Roger de MONTMOKT, »/->. cit., p. 4. 2. Marquis Jloger de MONTMOKT, (>I>. cil., p. 5. CHATEAU DE BEAUMONT 31!) les liens de famille. Prospcr Jolyot de Crébillon n'écrivait-il pas : « II y a une autre famille qu'il a plu à mon père de reconnaître x » ? Cette autre famille est-elle celle des Jolyot de Beaumont ? Et dans ce cas, Prosper Jolyot de Crébillon fut-il de quelque secours, à l'abbé Jolyot ? On ne peut éviter de poser cette question qui intéresse l'ascension de Claude Jolyot. Le rapprochement entre ces deux familles fournit en tout cas une utile comparaison entre deux manières de parvenir. A la vie de la Cour, l'abbé Jolyot semble avoir préféré la vie calme et reposante de Beaumont. II est mentionné à Beaumont en 1712, 1718, 1721 2 et le 26 avril 1741 où il assiste au remariage de se nièce Denise Clesquin (veuve de François Michel) avec François Clopin, conseiller au Parlement de Bourgogne 3. Le 12 août 1754, il est encore présent au mariage de Michelle Clesquin, fille de François Clesquin, avec Antoine Juillet de Saint-Pierre, conseiller au Parlement de Bourgogne. Il n'est pas téméraire de penser que l'abbé Jolyot passa la plus grande partie de sa vie à Beaumont où il mourut en 1762. Prieur de Til-Chatel, abbé commendataire de Bournet, chapelain du roi, il n'était pas assigné

1. Claude-Nicolas AMANTON, liévélalions sur les deux Crebillun, dans La France littéraire, 4'' année, août 1835, Paris, in-8". 2. « Le 30 juin 1721, Maître François Michel, conseiller du roi, chàlelaiu en la chàtellenic royale de Poulailler, Mis de Maître Claude Michel, conseiller du roi. ancien châtelain et docteur en médecine au même lieu, et de demoi- selle Françoise Florent, ses père et mère, et demoiselle Denise Clesquin, lille mineure de feu Maître François Clesquin, procureur d'ollice du comté de Meaumont, et de demoiselle Prudence Jolyot, ses père et mère, ont reçu la bénédiction nuptiale, par moi, Claude .Jolyot, chapelain du roi, de l'agrément de Maître Toussaint Portier, curé dudit Beaumont... A la célébration dudit mariage ont assisté Maître Claude Michel et demoiselle Françoise Florent, demoiselle Prudence Jolyot, Maître François F'iorent, Maître Pierre Hemery, conseiller du roi et son auditeur en sa Chambre des Comptes de Dijon... » (Arch. coin., registre paroissial, 1721.) .'{. « Le sieur François Clopill, (ils majeur de l'eu Julien Clopin, conseiller au Parlement de Mourgogne et de (eu dame Marguerite Joly, ses père et mère, de la paroisse Saint-Pierre de Dijon, et dame Denise Clesquin, veuve de François Michel, écuyer, grellier en chef du Bureau des Finances, de la paroisse Saint-Jean dudil Dijon, ont reçu la bénédiction nuptiale, le 2(5 avril 1741, en l'église Saint-Barthélémy de Beaumont, des mains de François Clesquin, prêtre de ce diocèse, du consentement du sieur Portier, prieur et curé de ladite paroisse... commis par lui de faire ledit mariage à la célébration duquel ont assisté le sieur Claude Jolyot, abbé de Bournet, oncle de ladite dame, demoi- selle Prudence Jolyot, sa mère, le sieur François Clesquin, trésorier de France, son frère, en présence du sieur Jean Chaliteau, écuyer, secrétaire du roi, du sieur Pierre de Viervuille, écuyer, capitaine d'infanterie du régiment de Bouhier, demeurant à Dijon, de Jean Boivin, notre recteur d'école, et dudit sieur Portier présent, et autres parents et amis sachant signer. » (Arch. coin., registre paroissial, 1741.) 320 YVES BEAUVALOT

à résidence 1. A partir du milieu du siècle, il est qualifié de « cha- pelain honoraire de la Chapelle de l'Oratoire du Roy 2 ». A ce moment, il était définitivement fixé à Beaumont. En 1703, son père François Jolyot avait « donné la plus grande partie de ses biens à ses enfants, ne s'estant réservé que pour vivre avec sa femme 3 ». Comme François Jolyot est toujours inscrit sur les registres d'imposition après 1703 où il paye la même somme qu'avant sa donation, on peut en déduire qu'il s'était réservé l'usufruit de ses biens. Il mourut en 1723. Claude Jolyot hérita alors de la moitié de la fortune de son père. En effet, des enfants de François Jolyot, il ne restait que lui et sa sœur, Prudence Clesquin. Homme d'Eglise, Claude Jolyot est exempté de la taille. Son nom disparaît donc de ces registres d'imposition qui furent une source précieuse de renseignements. On peut penser que c'est à partir de ce moment qu'il décida de se faire édifier une demeure digne de lui. Il en avait les moyens financiers. Les ressources que lui procuraient les bénéfices dont il était titulaire et les biens que lui avait légués son père lui permettaient de vivre très largement. Qu'il décide de construire une « maison » à sa convenance ne peut étonner : il était naturel qu'il désirât habiter une demeure qui puisse satisfaire ses goûts et répondre à ceux de son siècle.

3. La construction du château (vers 1724). Il est impossible de savoir avec précision à quelle date fut édifié le château de Beaumont. Les ouvrages qui le mentionnent parlent soit de 1706, soit de 1708 4. Il semble que ces dates, qui ne s'appuient sur aucun document, ne soient pas assez tardives : les caractères de la construction et les éléments de la décoration contredisent ces affirmations. Il est vraisemblable que le château a été édifié en 1724. En effet, c'est en 1723 que l'abbé Claude Jolyot hérita du terrain, des fermes et de la fortune que lui laissait son père. Sa nomination à l'abbaye de Bournet date de 1724 5.

1. En 1741, Claude Jolyot donne une procuration « cul rcsitjnandum » de son prieuré de Til-Châtel en faveur de François Clesquin, un de ses petits-neveux né en 1716 (Arch. dép., tonds Saint-Étienne). 2. Arch. corn., registre paroissial, 1754. Mariage de Michelle Clesquin et d'Antoine Juillet de Saint-Pierre. 3. Note marginale ajoutée à gauche du nom de François Jolyot dans le « Rôle de la Taille royale... sur les manants et habitants du village de Beaumont » (Arch. dép., C 5926). 4. Henri SOULANGE-BODIN allirme : « Cette adorable folie fut bâtie en 1706 » (op. cil.). 5. Les armes de' l'abbé Jolyot, au fronton du château, ne présentent pas la crosse et la mitre de part et d'autre de la couronne. Toutefois, elles lurent CHATEAU DE BEAUMONT 321

Une clef-d'arc, retrouvée lors de la réfection des communs, porte la date de 1724. La distribution et la composition de l'édifice, le décor intérieur et extérieur confirment cette hypothèse. Il faut donc retenir la date de 1724 comme date charnière dans l'édifi- cation du château de Beaumont. Rien ne nous renseigne sur l'architecte qui a conçu le château de Beaumont. A cet égard, il aurait été de la plus grande impor- tance que soient conservées les archives privées, et que soit connu le nom du notaire de l'abbé Jolyot. Les recherches effectuées se sont révélées vaines. Il ne reste que des suppositions à faire et des hypothèses à formuler. Il est peu vraisemblable que Claude Jolyot se soit adressé à un architecte bourguignon : en Bourgogne, aucun édifice ne peut être comparé au château de Beaumont, aucun hôtel particulier ne lui ressemble. L'originalité de ses caractères et la délicatesse de sa composition rappellent incontestablement certaines demeures parisiennes. Il n'est pas présomptueux de penser qu'il s'agit là d'une « architecture importée » dont l'auteur est parisien. Il se peut aussi que l'abbé Jolyot se soit inspiré d'une construction de sa connaissance et qu'il en ait imposé les plans et la décoration à l'un des architectes-entrepreneurs dijonnais. Il est plus vraisemblable encore que l'abbé Jolyot se soit adressé à un architecte parisien qui dressa les plans, l'exécution des travaux étant confiée à l'un de ses aides. Cette pratique était courante au xvme siècle 1, et il était naturel que Claude Jolyot ne fît pas appel aux talents d'un architecte provincial : il fréquentait assez la Cour pour acquérir des goûts raffinés, en avance sur ceux de la province. Si l'architecte était étranger à la Bourgogne, il semble que l'équipe d'ouvriers qui œuvra au château de Beaumont fût bour- guignonne, voire locale. Il y avait à Beaumont au xvme siècle des maçons, des « tailleurs de pierre », des « couvreurs en tuiles » 2. L'abbé Jolyot dut les employer ainsi que les artisans des villages environnants. La maçonnerie est solide et satisfaisante, mais sans recherches particulières. Elle est enduite d'un crépi gris ; toutefois, lors de la restauration du château en 1966, la structure des murs peut-être martelées en même temps que l'aigle. Cf. d'HoziEit, Armoriai général de la France au registre de la noblesse de France. Généralités de Bourgogne - Franche-Comté, Dijon, 1875, iii-8". 1. René SCHNEIDER, L'architecture en France dans la première moitié du e re XVIII siècle, dans André MICHEL, Histoire de l'Art, t. VII, I partie, Paris, 1923, in-4°. 2. « Rolle particulier des impositions. Recette de Dijon pour l'année 1771. » (Arch. dép., C 5927.) On y trouve par exemple : « Jean Dubois tailleur de pierre », Claude Perriot « couvreur en tuiles », François Sailly « maçon », etc. 322 YVES BEAUVALOT latéraux est apparue dans sa simplicité : moellons équarris en appareil irrégulier, parfois noyés dans un liant de mortier de terre. Il est regrettable que le mur de la terrasse laisse apercevoir aujourd'hui un aussi grossier parement, qu'un crépi devait dissi- muler... et protéger : en effet, la pierre est de qualité médiocre. Elle fut extraite des carrières de Plantenay, proche de Beaumont, exploitées activement au xvme siècle et dont la réputation était grande : « Près de la chapelle de Plantenay est une carrière fort bonne ; le voisinage en tire la taille et le moellon ' ». La carrière était peut-être « fort bonne », mais le calcaire est peu résistant et gélif. On en constate les elïets au château où la pierre s'effrite par endroits 2.

4. Le château de 1762 à nos jours. A la mort de Claude Jolyot, le 16 mai 1762, ses biens revinrent à la famille Clesquin, issue de Prudence Jolyot, sœur de l'abbé, et de François Clesquin 3. Michelle Clesquin, petite-fille de Prudence Jolyot et petite-nièce de l'abbé Jolyot, hérita de son grand-oncle. Le château de Beaumont ne pouvait échoir en de meilleures mains : Michelle Clesquin avait épousé le 12 août 1754, Antoine Juillet du Bois de Saint-Pierre, conseiller au Parlement de Dijon 4. Antoine Juillet de Saint-Pierre ne devait mourir que le 10 jan- vier 1797. C'est donc à lui que revint la lourde tâche de préserver le château pendant la Révolution. 11 semble que la lâche lui ait été relativement facile. Le château de Beaumont était considéré comme une « maison ». L'ancien château-fort, auquel étaient atta- chés « de fâcheux souvenirs médiévaux » et dont dépendait le fief de

1. Abbé Claude COUKTKI'ÉE, Description générale et particulière du duché de Bourgogne, t. II, 3e éd., Paris, 1968, in-8°, p. 163. 2. Ainsi dut-on refaire, il y a quelques aimées, une partie du mur d'éehiflïe de l'escalier en fer à cheval. Le lancis est aujourd'hui nettement visible. 3. « Messire Claude .Jolyot, prêtre, abbé comiuendataire de l'abbaye de Bournet au diocèse d'Angoulôme, décéda âgé de 94 ans le 16 et fut inhumé en l'église de Beaumont le 17 mai 1762 par Maître Charles-Emmanuel Perriquet, curé de Saint-Martin-sous-Beaumont, y demeurant, soussigné, après avoir revu avec édification les sacrements de l'église. A son convoi assistèrent et turent présents Maîtres Claude Josselin, prêtre, curé de Dampierre, Claude Forestier, prêtre, curé'de Noiron, Prudent Bonneviot, prêtre, curé de Champagne, Jean- Baptiste Guelaud, prêtre, vicaire de Blagny, soussignés, avec Maître François Clesquin, prêtre, prieur de Til-Châtel, petit-neveu le plus proche dudit défunt et le sieur Jean Clesquin, praticien à Til-Châtel, neveu dudit défunt et autres parents et amis. » (Arch. dép., registres paroissiaux, années 1751-1792.) 4. Le château n'a jamais appartenu aux Baufl'remont ni aux Saulx-Tavanes, comme le prétend H. SOUI-ANGE-BODIN (op. cit.) et, à sa suite, de nombreux auteurs. C'est pourquoi il est nécessaire d'en préciser l'histoire, bien qu'elle puisse sembler fastidieuse. CHATEAU DE HEAUMONT 323 haute, moyenne et basse justice du duc de Saulx-Tavanes était un symbole plus éloquent des charges féodales qui pesaient sur les « habitants et manants » de Beaumont. Mais il tombait en ruines... Les « Révolutionnaires » de Beaumont n'avaient pas à se plaindre d'Antoine Juillet de Saint-Pierre dont les terres étaient, comme les leurs, sous la juridiction du duc de Saulx. Toutefois, il était parlementaire et très riche. Ses fermiers étaient nombreux à Beaumont. Aussi rapporte-t-on dans le village qu'il fut obligé de se cacher quelque temps dans une soue où son valet lui portait à manger. Légende ? Peut-être non. On sait comment un autre noble parlementaire, Charles-Catherine Loppin de Gémeaux faillit être guillotiné, sans raison avouée, dans l'année de tourmente révolutionnaire que fut 1793 1. C'est peut-être à cette époque qu'Antoine Juillet de Saint-Pierre dut fuir la vindicte des habi- tants qui firent marteler, au fronton du château, les armes de l'abbé Jolyot. Antoine Juillet de Saint-Pierre et Michelle Clesquin avaient eu un (ils : Joseph-Gabriel Juillet de Saint-Pierre. Il prit pour épouse Eléonore Girardot qui, en 1797, lui donna une fille, Anne-Marie. Elle hérita du château lorsque, le 20 avril 1852, mourut Joseph- Gabriel Juillet de Saint-Pierre « en sa maison de Beaumont, rue Richebourg ». Elle avait épousé, le 23 juillet 1816, Philibert Ligier. De ce mariage naquit un fils : Gabriel-Onésime Ligier, né à Dijon le 2 mars 1818. Il obtint après la mort de son grand-père en 1852, par jugement, le droit de relever le nom de sa mère, du Bois de Saint-Pierre, qu'il ajouta au sien propre. Il épousa Marie d'Irisson d'Hérisson, née le 24 janvier 1836. Il eut d'elle une fille qui mourut très jeune. Il perdit successivement sa femme, morte le 18 juin 1865, et sa mère, qui, le 3 décembre 1872, lui laissait des « meubles meublant existant dans une maison sise à Beaumont » et, surtout des « immeubles non affermés à Beaumont : un domaine de 214 hectares 60 ares 35 centiares, consistant en maisons d'habitation, terres, près et vignes 2 ». Gabriel Ligier de Saint-Pierre (c'est sous ce nom qu'il est généralement cité) ne devait pas conserver le château de Beaumont et les terres qui en dépendaient. Déjà pro- priétaire à Oisilly (Côte d'Or) d'un château et d'un domaine impor- tant, il résidait peu à la campagne et préférait les plaisirs de la vie parisienne. Veuf, sans descendance, il fit alors donation de la terre de Beaumont, « composée d'un château, divers corps de

1. Yvonne BiizAitD, Une famille bourguignonne an XVIII6 siècle, Paris, 1930, in-8°. 2. A,cte de succession du 1er mai 1873 (Areh. dép. de la CÔte-d'Or, 18 Q, registres 155 à <>2). 324 YVES BEAUVALOT fermes, aisances et dépendances » à sa cousine et filleule, Blanche Gillet de Valbreuze, lors de son mariage avec Abel Bellet, baron de Tavernost l. Gabriel Ligier de Saint-Pierre s'était cependant réservé l'usufruit de « sa terre de Beaumont ». Avec lui, le 30 mai 1884, disparut le dernier propriétaire du château de Beaumont par droit de succession. Dans cette première moitié du xixe siècle, le château de Beaumont était resté, par héritage, dans la famille Juillet de Saint-Pierre, descendante de la famille Jolyot-Clesquin. Préservé à la Révolution, habité continuellement jusqu'en 1852, il avait franchi sans grand péril des périodes mouvementées. La seconde moitié du xixe siècle devait lui réserver un sort tout différent. Il va passer de succession en succession, de vente en vente, en la possession de personnes qui l'utiliseront à des fins diverses. 11 y perdra certains de ses ornements, ses jardins et surtout les immenses propriétés qui s'étaient transmises avec lui de génération en géné- ration et qui étaient, en quelque sorte, un complément économique et une garantie financière d'entretien et de sauvegarde. La baronne de Tavernost habita fort peu le château. Elle mourut avec sa fille aînée Caroline dans la catastrophe qui, la nuit du 11 au 12 juillet 1892, endeuilla l'aristocratique station de Saint-Gervais (Haute-Savoie). La « terre de Beaumont » qui était propriété personnelle de la baronne de Tavernost, revint à ses deux autres enfants mineurs, sa fille Joséphine et son fils Joseph. Ils habitaient à Cesseins dans le château de leur père. Après la disparition de sa femme et de sa fille Caroline, le baron de Tavernost renonça à l'usufruit légal du quart. Dans l'acte de renonciation du 28 octobre 1892, le château de Beaumont est mentionné « en ruines ». Il ne faut pas accorder trop de crédit à cette mention évocatrice. Le château a certainement souffert de l'abandon temporaire dans lequel l'a laissé Gabriel Juillet de Saint-Pierre, puis, après lui, la baronne de Tavernost. Ces derniers propriétaires s'étaient sans doute désintéressés de « la terre de Beaumont » dont ils se contentaient de toucher les revenus. Construit depuis un siècle et demi, inhabité de façon permanente depuis quarante ans, le château de Beaumont devait exiger quelques réparations. Mais quand on sait que les frais d'actes étaient, à cette époque, calculés sur le revenu, on comprend pourquoi les héritiers de la baronne de Tavernost voulaient à tout prix que le château soit « en ruines », donc « inhabitable ».

1. Acte de mariage du 29 août 1873 (Arcli. dép. de la Côte-d'Or, 18 Q, registres 19 à 34). CHATEAU DE BEAUMONT 325

Lors du partage entre les deux héritiers, le château de Beaumont revint à Joséphine Bellet de Tavernost.qui, le 11 novembre 1903. épousa (leorges Meaudre de Sugny, ofïicier. Elle vécut alors avec son mari, à Lyon, son frère ayant hérité du château paternel de Tavernost. Elle avait reçu de nombreuses propriétés qui lui venaient tant du côté de sa mère que du côté de son père. Mais les réparations pressant, les nécessités économiques l'y obligeant, elle vendit en 1910 le château de Beaumont « situé rue Hichebourg ... avec parc boisé, aisances et dépendances, 6 hectares 69 ares 52 centiares » au comte Guillaume de Bonchamps 1. Fait significatif et d'importance, les domaines qui dépendaient autre- fois du château furent séparés de lui. Faute de terres qui constituaient une solide assiette économique, son entretien était dorénavant soumis à la fortune personnelle des acquéreurs futurs. Isolé, ne rassemblant plus autour de lui que quelques hectares de « parc boisé, jardin potager et verger, le tout d'un seul tenant », le château de Beaumont gardait cependant ses « communs, logements de domestiques, écuries, remises et dépendances ». Le comte de Bonchamps ne put profiter de sa nouvelle acqui- sition. Il mourut à Paris « où il se trouvait momentanément » le 9 janvier 1911. L'acte de succession du 7 juillet 1911 le qualifie de « célibataire » 2. Il était en fait marié à Julie Auban, née à Montauban en 1871 ; mais son mariage, daté du 14 août 1901 au bureau de l'Elat-Civil du district de Westminster (Angleterre), ne l'ut pas transcrit en France. L'héritage revint à son frère, le comte Robert de Bonchamps, seul et unique héritier au regard de la loi. Celui-ci put jouir plus longtemps du château de Beaumont, car il mourut le 17 mai 1922. Il avait épousé Marguerite du Fresne de Virel, née le 20 décembre 1873, qui lui avait donné quatre enfants. La succession du comte Robert de Bonchamps fut embrouillée. En ce qui concerne le château de Beaumont, les héritiers furent la veuve du comte, ses enfants, et aussi la femme de l'ancien possesseur du château et frère du défunt, Julie Auban. Elle semble être ici rentrée en possession de ses droits, soit par avis du tribunal qui reconnut le mariage célébré en Angleterre, soit par accord amiable avec la famille. Quoi qu'il en soit, les héritiers décidèrent de vendre le château de Beaumont et de partager le produit de la vente. C'est ainsi qu'il fut acquis

1. A?tc du 23 août 1910 (registre des Actes civils publics. Volume 1074, A 5, n" 1275. Archives de la Direction de l'Enregistrement, Dijon). 2. « Mutation par décès » déclarée au bureau d'Argens (Calvados) et. trans- crite au registre des Actes civils publics, Direction de l'Enregistrement, Dijon, 326 YVES HEAUVALOT

Fie. 2. — CHÂTEAU DP: BEAUMONT État vers 1935. le 4 août 1925 par M. Henri Bigarnet, antiquaire à Dijon '. Loinde retrouver son ancien éclat le château ne servait plus que de maison de campagne dont on évitait l'entretien et la restauration 2. Si le jardin d'agrément ne fut pas transformé en champ de pommes de terre, comme l'affirme la tradition villageoise, il est certain que le jardin potager, et peut-être une partie du parc, ont été transformés en houblonnière, comme l'atteste l'acte de vente de 1931 3. C'est sans doute à cette époque que les bassins qui ornaient les jardins furent comblés et qu'ils disparurent sous une importante masse de terre. M. Bigarnet ne conserva le château que six ans. 11 le revendit le 11 mai 1931 à M. Pierre Quenot, demeurant 10 rue de la Paix à Saint-Cloud (Seine-et-Oise), qui le revendit lui-même le 25 octobre 1936 à Régis Bouvet, comte de Maisonneuve. Lors de cette vente, il est signalé que « trois statues se trouvant sur une terrasse dans le parc » deviennent propriété du comte de Maisonneuve. Avec

1. Acte de vente du 4 août 1925 (registre des Actes civils publics, f" 164, volumes 1074 à 1275. Direction de l'Enregistrement, Dijon). 2. Une ancienne photographie le montre dans un état délabré (flg. 2). 3. Acte de vente du 31 juillet 1931 (registre des Actes civils publics, f° 29, volume 1109 B, n° 234, Direction de l'Enregistrement, Dijon), CHATEAU DE BEAUMONT 327

M. de Maison neuve, le château de Beaumont retrouva un instant la vie qu'il avait perdue : il y entreprit des travaux qui n'étaient pas encore terminés lorsque H. Soulange-Bodin fit sa courte enquête avant la seconde guerre mondiale : « Le comte de Maison- neuve s'est rendu propriétaire de cette demeure alors qu'elle était en un assez triste état. Les travaux d'aménagement, de réparations, commencés il y a deux ans ne sont pas encore terminés et Beaumont reverra, nous l'espérons, la splendeur qu'il a connue à l'époque de Louis XV l. » Ces réparations firent, incontesta- blement, le plus grand bien au château qui était d'ailleurs préservé des restaurations abusives par son inscription à l'Inventaire supplé- mentaire des Monuments Historiques depuis 1929. Mais les temps devinrent plus difficiles et la guerre survint. Le château de Beaumont ne fut pas occupé par les soldats allemands. Il n'eut pas à souffrir, comme le château d'Oisilly à trois kilomètres de là, des déprédations et de l'incendie. Mais le comte de Maisonneuve, à défaut d'occu- pants, y logea des poules. Le marquis de Montmort garde encore en mémoire le souvenir pittoresque de sa visite au château en 1942 et des couveuses à poussins essaimées dans le salon. M. et Mme de Montmort s'en rendirent acquéreurs le 31 juillet 1942 avec les « communs, logements de domestiques, écuries, remises et dépendances, parc boisé, jardin potager et verger, le fout d'un seul tenant, clos de murs, pour 6 hectares 72 ares 19 centiares '- ». Le château était dans un état peu satisfaisant, mais il avait été préservé pour l'essentiel. Aucune partie n'avait été démolie ou rapportée. Seuls les communs avaient été transformés, des statues enlevées, d'autres remplacées, de nouvelles rampes d'escalier mises en place. C'étaient là d'inévitables trans- formations. Le jardin n'était plus qu'une immense pelouse, mais il restait assez d'arbres dans le parc pour y tracer de grandes allées. Depuis cette date, des restaurations scrupuleuses ont rendu au château son aspect primitif 3.

1. 'H. SOUIiANGE-BODlN, Op. dt. 2. Acte de vente du 7 août 1942 (registre des Actes civils publics, vol. A 1157, f° 18, n° TU, Direction de l'Enregistrement, Dijon). 3. Inscrit à l'Inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 1929, il fut définitivement classé en 1948. Sa restauration se poursuivit jus- qu'en 1966. 328 YVES BEAUVALOT

II. DESCRIPTION

A. Le cadre. 1. L'emplacement. L'emplacement d'un château, si petit soit-il, doit répondre à des exigences que dictent le souci d'agrément et la volonté de paraître. Un château s'impose autant par sa façade que par son cadre, un cadre qui le met en valeur et l'isole du village. Parc, jardins, cours, communs en sont les compléments indispensables. Ceci est vrai aux xvie et xvne siècles. Ce l'est encore plus au xvme siècle. Les goûts ont évolué : on aime davantage l'air, l'espace, la lumière et le soleil, symbole de vie dont on représente souvent l'image aux agrafes des baies. Avant tout, on recherche l'aisance, la clarté et le bien-être. L'abbé Jolyot ne pouvait être insensible à ces aspirations nouvelles 1, Sa volonté de vivre à Beaumont montre assez ses goûts champêtres pour qu'il se soit inquiété du cadre dans lequel il allait installer son château. Il avait l'embarras du choix. Les terres que lui laissait son père étaient suffisamment étendues et nombreuses pour qu'il eût à hésiter entre des sites différents. Toutefois, des causes géographiques devaient lui imposer un emplacement au flanc de la colline. La situation du terrain lui assurait en effet plusieurs avantages. La vue y est agréable : elle porte au loin et embrasse les champs et les prés situés en contre-bas. La déclivité du sol est assez faible : elle permet l'aménagement de jardins, d'un parc, et la plantation d'arbres qui dissimulent de paisibles retraites sans nuire à la perspective. Le château jouit ainsi d'une situation exceptionnelle qui laisse apercevoir de très loin sa façade sur jardin. Il y gagne en noblesse, alors que pelouses et bosquets sont cachés aux regards indiscrets par la pente du sol, le mur et les arbres du parc. De plus, à la limite du village, le château n'a pas à souffrir du voisinage des maisons qui s'étagent plus haut. Quant aux fermes toutes proches bordant

1. L'architecte Jean-François Blondel (1683-1756) a pu constater ce goût nouveau pour la campagne : « Aussi voit-on tous les ans les seigneurs et les personnes aisées s'y retirer pour profiter des douceurs de la vie champêtre pendant quelque temps... Quelquefois un père de famille, par économie, s'y confine pour le reste de ses jours, afin d'y vivre aisément, à la faveur des différentes récoltes qu'offre chaque saison. Ainsi chacun, suivant son rang, ses charges et ses moyens, va goûter avec ses amis et sa famille l'innocente volupté qui règne à la campagne » (dans Jean-François BLONDEL, De la distri- bution des maisons de plaisance, Paris, 1737, in-folio). — Voir aussi Daniel MORNET, Le sentiment de la nature au XVIIIe siècle, Paris, 1907, in-8°. CHATEAU DE BEAUMONT 329 la rue Richebourg, elles appartenaient à l'abbé ; complément économique du château, elles produisaient ce qui était nécessaire à la vie quotidienne. Enfin, l'emplacement est favorable par son étendue même. Les 6 hectares 70 ares qui entourent le château et qui furent ceints d'un mur élevé facilitent l'implantation d'un parc étendu et de jardins d'agrément, ainsi que la culture de potagers. Toutes ces conditions propices ont incité Claude .Jolyot à fixer sa demeure en cet endroit. Il faut remarquer qu'il n'a point choisi de s'établir sur les bords de la Vingeanne et de joindre aux charmes d'un parc et de jardins les plaisirs de la rivière. L'emplacement élu présente en effet trop d'avantages et les bords de la Vingeanne, n'ont pas la réputation d'être hospitaliers l.

2. Les communs. Le site était privilégié. Encore fallait-il y implanter un cadre architectural qui l'utilisât. L'architecte orienta l'édifice pour que les salons et la chambre principale, ouvrant sur la façade postérieure, reçoivent la lumière du soleil levant. Au couchant, il embrase la façade antérieure sur cour et donne lumière et chaleur aux chambres du rez-de-chaussée ainsi qu'aux pièces entresolées. La cour d'honneur est vaste. On y pénètre par un portail à porte cochère et porte piétonne. La porte cochère sans couvrement est formée de (\eux piliers ornés de bossages à anglets et surmontés de lions hiératiques. Comme la porte piétonne, la porte cochère est fermée d'une grille et s'ouvre dans une demi-lune : la rue Richebourg étant étroite, l'entrée et la sortie des carrosses en était ainsi rendue plus aisée. Ce renfoncement, habituel aux portails des hôtels particuliers, est utile aux manœuvres et aux mouvements des voitures. Il permet à la fois de faciliter les communications avec l'extérieur, d'isoler le portail, d'inviter à l'entrée et d'attirer la vue sur le château. De part et d'autre du portail, et à l'intérieur de la cour, à droite une loge de concierge qui sert de débarras, et à gauche des remises. D'un côté, la loge se prolonge par un mur qui enclôt la propriété ; de l'autre côté, les remises jouxtent les dépendances et les communs. Ils limitent la cour à l'ouest et au nord. Ils abritent les logements du personnel, les écuries, les étables,

t. Henri SOULANGE-BODIN, op. cit., prétend que le château fut construit « sur une partie des ruines d'une antique forteresse ayant joué un rôle impor- tant à l'époque des invasions de Gallas ». Cette affirmation est fausse. Le chàteau-fort s'élevait au sommet de la colline. On en voit encore des pans de murs. Il est vraisemblable que l'auteur ait été abusé par le fait que des pièces en sous-sol sont couvertes de voûtes d'ogives. 330 YVES BEAUVALOT les poulaillers, les granges et les hangars nécessaires à la vie domestique. A cette époque, il s'agissait de profiter de cette proxi- mité, mais il ne convenait pas que le château en souffrît. L'architecte résolut le problème en masquant la fonction utilitaire des dépen- dances : il les fit ouvrir sur une cour de ferme contiguë à la cour du château. Cette cour latérale, ou « basse-cour », devait cacher la vie domestique. La cour de ferme, qu'entourent des bâtiments d'exploitation, donne elle aussi sur la rue Richebourg par une large porte charretière. Les valets et serviteurs, pour vaquer à leurs occupations, ne passaient donc jamais dans la cour d'honneur. Bien qu'il vécût à la campagne, l'abbé .Jolyot n'entendait pas être mêlé aux activités agricoles. La plus grande partie des communs et des dépendances a été reconstruite au xixe siècle, et forme un bâtiment élevé, à angle droit i. II est possible d'avoir une idée plus précise de ce qu'ils étaient au xvme siècle en considérant la seule partie qui en reste 2. Elle prouve que le bâtiment originel était moins haut que celui qui l'a remplacé. La porte bâtarde (à deux vantaux) qui y est demeurée a le même chambranle et la même ornementation que les portes du château : arc avec clef saillante, châssis de tympan en éventail, vantaux aux décors et aux moulurations identiques à ceux de la porte d'entrée. La clef de l'arc portant la date de 1724, visible rue Richebourg, timbre elle aussi une ouverture semblable, aujourd'hui murée. On peut donc imaginer des communs plus bas dont l'ornementation architecturale rappelait celle du château : il y avait là une source d'unité et d'harmonie aujourd'hui disparue.

3. Jardins et pair. A droite de la cour d'honneur et face aux communs est un jardin d'agrément : pelouses serties de buis, massif de fleurs avec au centre une Pomone en terre cuite, d'époque postérieure. Les treillis de bois qui clôturent ce jardin sont récents, mais il est possible que, dès le xvme siècle, il y ait eu des éléments décoratifs de ce genre. Ils reprennent en effet les lignes des baies du château et des communs auxquels ils font face. C'était là une manière.

1. Une ancienne photographie (iig. 2) montre qu'une grange avait été construite, au xix" siècle, à gauche et dans le prolongement du château. Elle a été détruite dans la première moitié du xxc siècle. 2. Cette partie contient un très bel escalier tournant suspendu, à volées droites séparées par des repos formant retour en équerre, avec rampe en fer forgé d'époque. CHATEAU DE HKAUMONT 331

Fie. CHÂTEAU nu BEAUMONT Gouache montrant l'escalier originel de In façade postérieure. (Cliché Y. H.)

traditionnelle, en dissimulant les potagers, de limiter le jardin d'agrément et de ceindre le château d' « une architecture de verdure ». Le parc a été entièrement modifié. Il encadre une immense pelouse devant la façade postérieure. A la vérité, ce n'est pas une conception de l'architecte de Beaumont. A l'origine, des jardins furent aménagés : parterres et massifs de fleurs entourés de buis *. Il y avait deux bassins de chaque côté delà façade(fig. 3). Ils ont été comblés, mais on pouvait en apercevoir l'emplacement, il y a quelques années, au pied des deux grands arbres qui encadrent la façade du château. Ils étaient alimentés par l'eau d'une citerne. Le conduit qui menait de la pompe à l'un d'eux est aujourd'hui enterré.

1. Une gouache au château de Beaumont (fig. 3) représente avec fantaisie l'édifice dans son état ancien et montre un aspect des jardins. Il est évident qu'il s'agit là d'une évocation poétique et il est vraisemblable qu'il n'y a jamais eu de jets d'eau. 332 YVES BEAUVALOT

B. Les élévations. 1. Le château : la façade antérieure. Le château de Beaumont ne s'impose ni par sa forme, ni par ses dimensions. C'est un corps de bâtiment parallélépipédique, double en profondeur, de 20 mètres de longueur sur 15 mètres de largeur. Ce sont là les dimensions d'une maison cossue du xvme siècle. Rien ne signalerait le château à l'attention, si le décor et la compo- sition de sa façade sur cour n'en indiquaient la recherche et la qualité. La façade antérieure sur cour (fig. 1) se décompose en trois parties, tant en longueur qu'en hauteur. En longueur, le profil n'est pas rectiligne : deux ressauts forment, aux extrémités de l'édifice, deux avant-corps qui rythment la façade et évitent toute monotonie. Ces avant-corps latéraux sont un rappel discret des pavillons et des ailes en retour que les architectes de l'époque estimaient indispensables aux demeures de qualité : au début du xvme siècle l'architecture des hôtels particuliers et des « maisons de plaisance » se simplifie, mais elle ne peut encore s'affranchir totalement de la tradition 1, A Beaumont, ces avant- corps confèrent à l'édifice une noblesse que ses dimensions ne lui donnaient pas. Ils permettent en outre, à l'intérieur, l'aménagement plus commode des deux pièces d'angle. Les extrémités des avant-corps sont ornées de chaînes de bossages à anglets qui accentuent l'efl'et de décrochement et délimitent nettement chacune des parties de la façade en accusant les verticales. Le principe de la travée verticale, particulièrement prisé dans la première moitié du xvme siècle, est ici respecté : les chaînes de bossages isolent les cinq travées et indiquent clai- rement la composition et l'ordonnance des parties. Elles ont aussi une autre fonction : celle de pilastres. Les architectes du xvme siècle se refusaient à employer systématiquement les ordres majeurs. Jean-François Blondel précisait que la « columnaison » ne convient qu'aux palais, non aux hôtels particuliers et aux demeures des riches négociants 2 : ainsi, à l'ordre antique sont substituées des chaînes de bossages à anglets formant pilastres, « disposition permettant de donner moins d'importance à l'entablement et de réduire la corniche 3 ». La simplification va parfois plus loin, et

1. L'architecte BKISEUX (1660-1754) affirmait par exemple, dans son Traité d'architecture, « qu'une façade sans pavillons est incomplète ». 2. Jean-François BLONDEL, L'architecture civile, Paris, 1738. 3. Jean-Charles MOREUX, Histoire de l'Architecture, coH, « Que Snis-je ? », P.U.F., Paris, 1964. CHATEAU DE BEAUMONT 333 seuls une corniche et des bandeaux évoquent la trace de l'ordre antique. A Beaumont, il n'était pas question d'utiliser les ordres majeurs. Les dimensions réduites ne le permettaient pas. L'archi- tecte résolut alors d'en traduire l'esprit sans transcrire exactement les éléments. Il se contenta de couronner la travée centrale d'un fronton, et de faire régner sur la longueur de la façade un bandeau en guise d'architrave, une frise continue sans décor et une corniche moulurée : ces trois éléments constituant l'entablement. Les chaînes de bossages forment donc pilastres, mais sans chapiteaux. On les trouve non seulement aux angles des avant-corps, mais encore au centre de la façade où, en encadrant la travée médiane, elles doivent théoriquement supporter le fronton aux armes de l'abbé Jolyot ; les bossages sont alors moins larges. Toutefois l'absence de chapiteaux sous le fronton créait un vide illogique et disgracieux. 11 fallait qu'un fronton semblât soutenu de manière plus évidente. Aussi l'architecte plaça-t-il en dessous deux consoles moulurées, prolongées de pampres sur une chaîne de pierre en léger ressaut. Ces consoles décorent ainsi la travée centrale qui, sans elles, aurait semblé nue. Les chaînes de bossage permettent en outre de signaler dès l'extérieur, et dès l'abord, les différents niveaux. On peut remarquer en effet que ces chaînes ne prennent naissance qu'au-dessus du soubassement, et à partir d'une ligne qui passe par le seuil de la porte d'entrée et au-dessus des soupiraux. Cette ligne indique la séparation entre l'étage de soubassement et le rez-de-chaussée surélevé, distribué par Un escalier d'honneur formé d'une volée en fer à cheval. Sur les élévations latérales, cette séparation n'est plus soulignée, mais, à la façade postérieure, elle correspond au niveau de la terrasse. A la façade antérieure, elle délimite un soubassement, en appareil régulier allongé, posé sur un soJin : ce soubassement, en très léger ressaut, est ici encore un rappel des ordres antiques. Partant, chaque travée se divise en trois niveaux nettement distincts : soubassement, rez-de-chaussée percé de baies, enta- blement avec balustrade 1. Alors que les travées décomposent l'édifice en éléments verticaux, le soubassement très net le coupe en une ligne horizontale qui rappelle le développement du bandeau, de la frise, de la corniche et de la balustrade. Ainsi se contredisent

1. La ballustrade accuse l'impression d'horizontalité, développe et agrandit la façade. Klle permet aussi de dissimuler une partie du toit à deux versants et deux croupes, couvert de bandes de tuiles plates vernissées et émaillées en alternance. .Jean-l"'rancois BI.ONDKI. (op. cit.) disait que « les combles appa- rents sont indécents et contraires à la bienséance ». 334 YVES BEAUVALOT les ell'ets verticaux et horizontaux, et se dégagent les ligne structurelles. Ce jeu savant de lignes contrariées est atténué pa. les courbes des arcs segmentaires des fenêtres et des soupiraux, ainsi que par le mouvement de l'escalier en fer à cheval. Au centre de la façade, les effets contrastés que produisent la forme trian- gulaire du fronton et l'arc en plein cintre de la porte, auquel répond le cadran sphérique de l'horloge placé sur le muret de la balustrade, attirent le regard sur la travée médiane composée de lignes droites, brisées, courbes, circulaires, horizontales, verticales ou diagonales 1. 11 y a là un effet d'opposition ([n'accentuent encore les lignes flexueuses des consoles et la rampe d'escalier. Les tracés graphiques, les conjonctions de volumes d'où naissent l'harmonie et le rythme sont savamment calculés et mathémati- quement déterminés. La façade se divise en trois parties ; la partie centrale est elle-même formée de trois travées ; elle est symétrique par rapport à un axe médian, accentué par la porte d'entrée et la porte ouvrant sous le perron : l'axe du bâtiment coupe la clef de l'arc en plein cintre, placée à l'intersection des diagonales qui relient le sommet des consoles et l'extrémité des pampres sculptés. On pourrait multiplier les exemples. Ils montreraient avec quels soins et avec quelle science l'élévation a été élaborée. Cela ne saurait étonner. Les traités que composent les grands architectes des xvne et xvme siècles prouvent combien ils étaient soucieux de tracés mathématiques et de proportions géométriques. Quant à la balustrade, plus qu'à dissimuler le toit, elle sert à accuser l'effet d'horizontalité et à équilibrer les masses. De grandes baies occupent l'espace laissé libre entre les chaînes de bossages. Elles sont délimitées par un chambranle en bandeau dont l'arc segmentaire est orné à la clef d'une agrafe en console décorée de feuilles d'acanthe. Les baies et les chaînes de bossages sont reliées par des moellons équarris, appareillés en assises régulières, visibles sous l'enduit gris. Les fenêtres à petit-bois dissimulent en fait la disposition des étages : les soupiraux indiquent la présence, d'un sous-sol, alors que les baies masquent un étage entresolé. Elles éclairent en effet, non pas un seul étage, mais deux : aux deux-tiers de leur hauteur, quatre petits carreaux aveugles camouflent un plafond et un plancher. Les parties hautes des fenêtres (composant un châssis de tympan) éclairent ainsi, au ras du plancher, d'autres petites pièces entresolées. II

1. Cette horloge ronde est un apport ingénieux. Outre son utilité matérielle, elle a non seulement l'avantage de reproduire en hauteur le cintre de la porte principale qui, sans elle, se trouverait isolé, mais encore elle timbre l'édifice de façon originale en rompant, au sommet, l'horizontalité de la balustrade. CHATEAU DE HEALMONT 335 y a là un parti-pris de dissimulation justifié par les dimensions réduites et l'élévation à un seul niveau. Cette composition illustre la définition théorique de la façade « qui ne doit être qu'apparence ». La sculpture ornementale est très sobre, mais d'une grande qualité d'exécution. A la porte d'entrée, la clef de l'arc en plein cintre est un cartouche de style rocaille (fig. 4 en haut à gauche). Il porte un masque d'exécution délicate, au modelé ferme, dont la chevelure se pare d'une guirlande de pampres noués autour du cou : l'allégorie de l'Automne. Les trois autres Saisons sont évoquées à la façade postérieure (fig. 4). Les consoles moulurées du fronton sont agrémentées de feuilles d'acanthe et imprimées d'oves que séparent et ponctuent de petits trous. Elles portent des pampres attachés aux consoles par un anneau. Les grappes de raisin se détachent avec netteté sur la pierre lisse. Elles sont ciselées avec précision et rendent la sève et la pulpe qui les gonflent. Les feuilles larges, nervurées et dentelées s'étalent en ondulations souples et nerveuses. Au fronton, les armes de l'abbé Jolyot étaient représentées dans un écusson, sur un cartouche soutenu par deux sirènes sortant de l'onde et tenant un miroir dans leur dextre, rébus que Claude Jolyot a sans doute recherché sans vouloir, il est vrai, outrepasser les règles héraldiques : « Joly - Eau ». Les armes de l'abbé étaient formées d'une crosse et d'une mitre, symboles de sa dignité abba- tiale, auxquelles il avait ajouté une couronne de comte 1 : « II était d'un usage courant, au xvme siècle, de timbrer les écus d'une couronne quelconque, sans avoir à en justifier et fut-on bourgeois, mais cette tolérance n'emportait pas la noblesse qui, elle, devait se prouver * ». Le modelé des sculptures est délicat et souple. Les bords du cartouche, les bras et les queues des sirènes forment des courbes légères, flexueuses et symétriques 3.

2. Le château : les élévations latérales. La façade sur cour indique un étage et en dissimule deux (fig. 5). Cette apparence ne saurait tromper dès qu'on progresse dans la cour. Il su (lit de contourner le château pour comprendre la dispo- sition des niveaux.

1. Sur le problème de la figuration de la crosse et de la mitre au fronton du château, cf. supra, cliap. 1er, paragraphe 2. 2. Marquis Roger de MONTMOHT, op. cit. 3. Ne mentionnons pas les sculptures qui ornent la balustrade : pots et amours ont été rapportés au xixc siècle et ont remplacé les originaux qui ont disparu. 336 YVES BEAUVALOT

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Fin. 4. — CHÂTEAU DE BIÎAUMONT Détail : les agrafes îles baies (les Saisons). CHATEAU DE BEAUMONT 337

Le mur droit (fig. 2 et 5) est percé de fenêtres à des hauteurs différentes. Tout en haut, à gauche, l'une d'elles éclaire la pièce d'angle entresolée. Au centre, la partie haute d'une grande baie donne jour à une pièce entresolée attenante à la première ; ses deux vantaux éclairent une petite pièce au rez-de-chaussée, entre la chambre et le salon. Le principe des baies de la façade antérieure est donc repris ici. A l'étage de soubassement, et à ras de terre, du côté de la terrasse, deux autres fenêtres s'ouvrent sur une pièce en sous-sol : la salle à manger. Au même niveau, une lucarne, à gauche, fait fonction de soupirail éclairant la cave contiguë à la salle à manger.

Fia. 5. — Lis CHÂTEAU DE BEAUMONT Coupe transversale dans l'axe de l'avant-corps droit. (Reproduction interdite).

La disposition des percements du mur gauche est la même (fig. 1), avec quelques variantes. Si la répartition des fenêtres est identique, celles-ci n'ont plus les mêmes dimensions. La seconde petite pièce entresolée prend jour, non par les vasistas de la fenêtre centrale, mais par une lucarne oblongue à l'aplomb de celle-ci. Les deux fenêtres au ras du sol, à gauche, éclairent la cuisine. Une troisième baie s'ouvre au-dessus de la citerne qui alimente en eau la cuisine 338 YVES BEAUVALOT et qui est située, pour plus de commodité, sous les fondations : on peut ainsi tirer de l'eau à l'extérieur et à l'intérieur. Plus intéres- sante encore est la présence d'un petit corps de bâtiment en appentis à pan-de-bois, avec hourdis crépi (fig. 1), adossé au mur du château. Son niveau inférieur communique avec un garde- manger attenant à la cuisine et qui la prolonge ; à l'extérieur, il s'ouvre par une porte qui permettait d'installer ou de passer les provisions sans faire le détour par la cuisine. Son niveau supérieur est occupé par l'alcôve de la chambre du rez-de-chaussée encadrée par une garde-robe et un cabinet de toilette l.

3. Le château : la façade postérieure. La façade postérieure sur jardin (fig. (i) est différente de la façade sur cour. Elle se développe sans avant-corps latéraux et apparaît donc plus étendue. Elle est en outre surélevée par une terrasse qui prolonge l'étage de soubassement et rattrape la décli- vité du terrain. Toutefois, le principe de verticalité est respecté : il est marqué par les chaînes de bossages à anglets qui scandent le mur de la terrasse et que prolongent les chaînes de bossages de la façade, ainsi que les dés de la balustrade, au même droit. Ce sont là des lignes verticales très nettes qui structurent la façade. Mais le principe d'horizontalité s'impose avec plus de force et l'emporte par la correspondance des balustrades qui régnent aussi bien au-dessus de la corniche que le long de la terrasse. Ces deux balus- trades captent d'emblée le regard et fixent dès l'abord le principe d'horizontalité, idée directrice soulignée par les bossages continus en table de la travée centrale. La sécheresse de ce schéma est atténuée par le rythme des arcs en plein cintre des baies centrales et celui des arcs segmentaires des fenêtres, qui se répondent aux deux étages. Mais l'effet des proportions est détruit par l'escalier de pierre en U, à deux volées doubles, qui brise net l'élan des lignes. Cet escalier n'est sans doute pas d'origine, comme l'atteste l'appareil irrégulier à joints beurrés de son rnur d'échilTre (lig. 6). Il remplace vraisemblablement un escalier en fer à cheval à une volée, semblable à celui de la façade antérieure. Cette supposition est permise : seules, deux courbes élégantes pouvaient alléger la

1. Cette partie de l'édifice a été refaite en I960 lors de la restauration du château. Sa démolition a prouvé qu'elle était contemporaine du château, comme le montrait déjà le creusement des murs pour aménager les garde- robes. CHATEAU DE BEAUMONT 339

i terrasse et masquer le massif de maçonnerie . C'est ainsi que l'escalier est représenté sur la petite gouache déjà citée : la façade postérieure s'en trouve alors transformée (flg. 3).

Fio. 6. — CHÂTEAU DE BEAUMONT Façade postérieure.

La façade postérieure reprend l'ornementation architecturale et les thèmes utilisés dans la composition de la façade antérieure. Il est donc inutile d'en répéter, en détail, l'analyse. La partie centrale se compose de trois portes-fenêtres à petit-bois dans des baies sans chambranle. Leurs arcs en plein cintre sont formés de crossettes en escaliers dessinant ainsi des bossages continus en

1. 11 est probable que l'enduit du mur de la terrasse, qui devait dissimuler le parement en appareil irrégulier à joints gras, fut enlevé au moment de la reconstruction du nouvel escalier. Les différences entre les appareils corroborent d'ailleurs la thèse d'une réfection totale de l'escalier à une époque où le pro- priétaire, ne jouissant plus de ressources suflisantes pour le reconstruire à l'identique, lit faire les travaux à moindres frais. 340 YVES BEAUVALOT table. La j>artie centrale de l'édifice bénéficie là d'une technique de construction et de décoration qui allonge et étire les lignes du mur. Les clefs des arcs sont ornées de trois cartouches chantournés, du même ciseau que celui de la façade antérieure (fig. 4). Les cartouches ont ici un profil sensiblement différent et sont plus larges ; ils portent trois masques couronnés représentant les allé- gories du Printemps, de l'Eté et de l'Hiver. Seules figures sculptées, ces agrafes attirent le regard et l'élévent à la partie la plus noble de l'édifice 1. Les deux parties latérales sont limitées par des chaînes de bos- sages et rappellent les deux travées de la façade antérieure, mais sans ressauts. Elles possèdent même des soupiraux : sur la cour, ils éclairaient le sous-sol, mais ici ils n'ont plus aucune fonction et sont aveugles ; ils sont là uniquement comme motifs décoratifs, à la fois pour reprendre un thème déjà employé et pour que les fenêtres ne paraissent pas écrasées par la hauteur des baies de la travée centrale. Celles-ci ne cachent plus d'étage entresolé : les châssis de tympan en éventail et les vantaux à petit-bois éclairent la même pièce. Sur ce côté, pas d'étage dissimulé : la hauteur est nécessaire à la noblesse des salons. Contrairement à la façade antérieure, la façade postérieure ne masque donc pas la disposition des niveaux (fig. 5). L'ornementation des façades du château de Beatimont est discrète. Son architecte devait penser, comme Briseux, que « la décoration n'est qu'un assemblage heureux de parties simples et que la relation judicieuse qu'elles ont les unes avec les autres, le tout fondé sur des principes de convenance qui ne demandent que peu de génie et d'étude. La noble simplicité est ce qu'il y a de plus difficile à trouver dans les sciences et dans les arts 2. »

C. Le château : distribution intérieure.

1. Le rez-de-chaussée surélevé. La porte d'entrée sculptée donne accès à un vestibule. C'est une petite pièce octogonale lambrissée, au pavemenl composé de carreaux hexagonaux rouges. Les boiseries sont moulurées, peintes en bleu et réchampies en jaune de Sienne. Quatre des panneaux sont ornés en leur centre de médaillons ovales qui repré-

1. Les Amours qui surmontent la balustrade oui été rapportés. Les ori- ginaux ont disparu. 2. J.-G. Bnisisux, L'art

Terrasse

Vfcstlbuk Bibliothèque

FIG. 8. — LE CHÂTEAU DE BEAUMONT Plan du rez-de-chaussée (repr. int.). quatre autres parois de l'octogone sont formées de portes sur- montées de panneaux moulurés dont la partie inférieure « en arbalète » est ornée, en son centre, d'une coquille décorée de palmettes. Le grand salon s'ouvre, par trois grandes portes-fenêtres, sur la terrasse qui domine le parc (fig. 8). A droite une cheminée de

1. Jusqu'en 1966, la peinture était restée d'origine. Les boiseries étaient bleues, réchampies en blanc. CHATEAU DE BEAUMONT 343 marbre, dont les motifs ornementaux, l'arbalète et la coquille, reprennent ceux du lambris de hauteur couronné par une corniche à denticules. La glace qui surmontait la cheminée et qui s'insérait dans la boiserie a disparu. Face aux trois baies, trois portes iden- tiques : la porte centrale conduit au vestibule ; les deux autres portes, de part et d'autre, cachent des placards. Cette disposition satisfait à la fois le souci de symétrie et celui de commodité. Le sol est recouvert d'un parquet de chêne « à points de Hongrie ». Le plafond est mouluré ; il se rattache au lambris par une moulure qu'ornent des diglyphes. Près des portes-fenêtres, deux portes donnent accès à un petit salon (à droite) et à une chambre à coucher (à gauche). Ces pièces sont identiques, et symétriques par rapport à l'axe médian (fig. 8). Elles sont éclairées chacune par deux fenêtres donnant sur la terrasse. En face de la porte du grand salon, une porte semblable lui correspond symétriquement et dissimule un placard. A côté de ce placard, une cheminée de marbre. Face aux deux fenêtres, deux grandes portes ouvrent dans une vaste garde- robe éclairée par une fenêtre l, et aménagée soit en salle de bain, soit en chambre de repos 2. La hauteur de ces pièces est plus réduite : nous sommes là, en effet, sous l'étage entresolé qui s'inter- cale entre le rez-de-chaussée et le comble (fig. 5). Les garde-robes mènent aux pièces qui prennent jour en façade. A ce sujet, il faut remarquer que toutes les pièces du rez-de-chaussée communiquent entre elles. C'est là un des caractères marquants de l'architecture du xvme siècle. Ce souci de faciliter les commu- nications, d'établir une distribution pratique et non plus proto- colaire, de favoriser la vie et le mouvement trouve ici une parfaite illustration (fig. 8). Dans la partie antérieure, deux chambres sont comprises dans les avant-corps. Elles sont éclairées chacune par une fenêtre qui profite de l'ensoleillement l'après-midi, et sont agrémentées d'une cheminée. Mais ce qui les différencie des salons, c'est leur hauteur et leur aménagement. Elles sont en effet plus basses, puisque situées sous l'étage entresolé (fig. 5). Pour que les proportions soient respectées, elles sont de dimensions plus réduites (environ 4 mètres de longueur et de largeur). Il fallait donc les aménager avec habileté. Au nord, l'une de ces pièces profite de la saillie du corps de bâtiment en appentis, dont le niveau supérieur

1. Il s'agit de la fenêtre qui troue le centre des murs latéraux (cf. supra, chap. rr-B. 2). 2. Les garde-robes sont de dimensions diiïréentes ; c'est pourquoi la chambre et le salon n'ont pas la même superficie, bien que les murs-de-refend délimitent la même surface. 344 YVES BEAUVALOT sert d'alcôve entre un cabinet de toilette et une garde-robe. Au sud, l'autre chambre ne bénéficie pas d'une telle saillie : l'architecte a alors creusé le mur afin de former, là aussi, un renfoncement pour loger un lit en face de la cheminée (fig. 8). On voit avec quel soin chaque partie est organisée et chaque détail conçu. A côté des chambres, deux petites pièces. L'une à droite du vestibule, sert de bibliothèque : placards et boiseries ont été installés à cet effet. L'autre, à gauche, abrite la cage de l'escalier qui descend au sous-sol. La bibliothèque est l'une des pièces les plus étonnantes du château : petit cabinet aux dimensions encore plus réduites que celles des chambres, aux proportions envelop- pantes, éclairé par une fenêtre qui occupe presque toute la largeur, et garni de boiseries grises.

2. L'étage enlresolé. De la bibliothèque, on passe dans le vestibule. De chaque côté de la porte qui donne dans le grand salon, les boiseries forment deux portes dérobées qui cachent deux escaliers étroits, symé- triques, aménagés dans l'épaisseur des murs. Par une légère courbe, ils mènent à l'étage entrèsolé (fig. 5). A l'entresol, la distribution des appartements reprend le plan du rez-de-chaussée surélevé, mais les pièces en diffèrent sur un point : leur hauteur (environ 2 mètres). Il n'est pas nécessaire d'en décrire à nouveau les caractères : ce sont ceux des « retraites » déjà évoquées. Les deux chambres aux extrémités de l'édifice correspondent aux chambres du rez-de- chaussée et profitent aussi de la saillie des avant-corps. De plus, elles sont éclairées non seulement par les parties hautes des fenêtres de façade, mais aussi par une fenêtre, ouvrant dans chacun des murs latéraux (fig. 1, 2 et 5). Elles servaient de « chambres d'amis » et pouvaient être chauffées. Les deux autres pièces à l'ouest, plus petites, moins confortables, étaient des chambres de domestiques. Contre le vide du vestibule, un escalier de bois conduit au comble, où on remarque les dénivellations du plancher : en effet, les pièces entresolées prennent leur hauteur à la fois sur celle des pièces du rez-de-chaussée et sur le comble, alors qu'à l'orient les salons et la chambre n'utilisent que la hauteur de la façade (fig. 5). L'aménagement et la distribution des deux étages témoignent de trop d'ingéniosité pour qu'on ne s'y arrête pas un instant. Les pièces sont indépendantes les unes des autres, mais peuvent commu- niquer entre elles directement ou par l'intermédiaire de garde- robes. Chacune de ces pièces a une fonction particulière. Chacune permet l'isolement. Leurs dimensions mêmes sont significatives : CIIATKAU DK BEAUMONT 345 il y a là une réaction très nette aux conceptions du xvne siècle qui visaient à la parade et à la grandeur. Au contraire, le xvme siècle ramène les proportions à de plus justes mesures : le plan se resserre, se referme sur lui-même ; la décoration se simplifie. Les pièces, en diminuant de volume, illustrent bien la tendance qui se fait jour dans la plupart des hôtels particuliers à Paris. Il ne s'agit plus d'éblouir, mais de vivre confortablement et commo- dément, à une échelle plus humaine. C'est là une conception nouvelle de l'architecture, mais aussi de l'homme et de la vie. A la même époque, à Versailles, Louis XV fit « couper les pièces en quatre » et aménager dans les combles ces petites retraites où il se plaisait tant, et que sa troisième fille, Madame Adélaïde, appe- lait des « nids à rats ». C'est cet esprit nouveau que reflète le château de Beaumont. L'architecte a eu le mérite d'en pousser les prin- cipes jusqu'à leurs extrêmes conséquences, sans concession aucune à la grandeur et à l'ostentation. Seuls impératifs : le confort et l'agrément. Les communications entre les pièces, les garde-robes, les placards, les chambres, les salons, les retraites sont particu- lièrement étudiés pour plaire à l'œil et satisfaire aux exigences de l'esprit et de la sensibilité.

3, L'étage de soubassement. Ces remarques se vérifient au sous-sol (fig. 9). On peut y péné- trer soit de la cour d'honneur par la descente de cave aménagée sous le perron, soit du jardin par les portes de la terrasse, soit enfin du rez-de-chaussée par l'escalier qui relie les deux étages. Cet escalier, ainsi que la descente de cave, aboutissent à un vesti- bule voûté d'arêtes, sous le vestibule du rez-de-chaussée. Il permet de communiquer à droite avec deux caves couvertes, l'une d'une voûte d'arêtes, l'autre d'une voûte en plein cintre, plus particu- lièrement destinée à la conservation du vin. Ces caves sont éclairées par des soupiraux. Du vestibule, on gagne une grande salle très vaste qui reprend les dimensions du grand salon et qu'orne, à gauche, une cheminée haute et large. Cette salle est couverte d'une voûte d'ogives, tout comme la cuisine qui lui est attenante. Ce genre de voûtement a intrigué et induit en erreur 1. En fait, c'est un procédé de voûtement banal et fréquent au xvme siècle pour les sous-sols ou les communs. II a l'avantage d'être solide et

1. H. SOULANGE-BODIN, op. cil. et A. GUILLAUME, dans La Côte-d'Ot..., édition revue et augmentée, Lyon, 1963, in-8°, prétendent que ces pièces sont d'époque médiévale et appartenaient à l'ancien chàteau-fort de Beaumont, erreur reprise par certains auteurs d'articles récents. 346 YVIîS BEAUVALOT d'asseoir l'édifice sur des bases sans défaut. La grande salle devait servir de pièce fraîche en été et de salle de séjour pour les domes- tiques du château. Elle est située entre la cuisine et la salle à manger.

20 M

FIG. 9. — CHÂTEAU DK BEAUMONT Plan du sous-sol. (Reproduction interdite).

La salle à manger, comme la cave qui la jouxte, est voûtée en plein cintre. Alors que les caves sont creusées dans le sol où elles puisent la fraîcheur, la salle à manger, comme la cuisine, profite de la déclivité du terrain : elle est éclairée par deux fenêtres qui, à l'extérieur, sont au ras du sol (fig. 5). Cette pièce diffère des autres salles, non seulement par son voûtement en plein cintre, mais encore par son décor de stuc imitant les boiseries et datant du troisième tiers du xvme siècle : les angles rentrants des panneaux CHATEAU DE BEAUMONT 347 sont décorés d'une rosace, motif qui orne aussi les frises d'entrelacs ; des modillons striés en forme de diglyphes soutiennent une corniche régnante. Caractéristique du style Louis XVI elle aussi, une statue sur piédestal se dresse dans une niche que surmonte une immense coquille. L'absence de cheminée pourrait sembler étrange. Il est vraisemblable que celle du hall était suffisante pour chauffer deux pièces. La salle à manger est d'ailleurs protégée par sa situa- tion, à demi enfoncée dans la terre, et par la galerie couverte en plein cintre sous la terrasse. Elle communiquait avec celle-ci par une lucarne murée, mais dont on peut apercevoir le pendant symé- trique dans la cuisine. Cette galerie est nommée « l'orangerie » : ses épaisses parois la protègent du froid (fig. 5). Elle isole le sous-sol des rigueurs du climat et lui assure en hiver une température assez douce et constante. La salle à manger pouvait alors se passer de cheminée. Lorsque la température y était trop basse, les repas étaient servis dans un des salons 1. La galerie ouvre sur le jardin par trois portes : une à chaque extrémité et une autre sous le palier qui mène à la terrasse. Elle est éclairée par deux fenêtres de part et d'autre de l'escalier. Chaude en hiver, fraîche en été, elle constitue ainsi un élément non négligeable de confort. Cet aménagement du sous-sol témoigne des mêmes qualités et des mêmes conceptions qui ont présidé à l'organisation des pièces entresolées.

CONCLUSION.

L'architecte du château de Beaumont n'a certainement pas inventé l'ordonnance des façades, la distribution des pièces et l'aménagement des étages. Il a dû s'inspirer d'exemples qu'il con- vient maintenant de considérer. Il serait difficile de trouver un édifice qui reproduise exactement le plan du château de Beaumont et qui en aurait été le « prototype ». Comme nous ne connaissons pas l'architecte du château, nous ne pouvons pas remonter la filière qui nous aurait conduit à une construction semblable. Il faut cependant en expliquer les caractères. Le château de Beaumont s'inscrit dans cette tradition architec- turale qui, dès la fin du xvne siècle, refusait les constructions

1. Cette pièce n'avait pas cette destination lors de la construction du châ- teau, dans la première moitié du xvm' siècle. L'abbé Jolyot devait se faire servir ses repas dans le salon, pratique naturelle à cette époque. C'est vrai- semblablement Antoine Juillet de Saint-Pierre qui fit Installer et décorer une salle à manger pour sacrifier au goût de son temps. D'ailleurs, cette salle a manger ne devait lui servir qu'en été, lorsqu'il résidait à Beaumont. 348 YVES UKAUVALOï' pompeuses et préférait réduire les dimensions des édifices pour leur donner le confort et l'agrément qu'exigeaient les mœurs nouvelles. L'exemple venait de haut : dès avant la lin de son règne, Louis XIV avait fait construire, le Trianon et les pavillons de Marly. C'était là imprimer une impulsion nouvelle à un mouvement qui donnera naissance plus tard, sous le règne de Louis XV, au Petit Trianon (1762) et aux « folies », souvent considérées à tort comme, l'illustration du goût du xvme siècle. Le château de Beaumont est plus encore l'héritier des « maisons des champs » et demeures champêtres que la noblesse se fit édifier à la fin du xvne siècle et au début du xvnie siècle dans les environs de Paris et plus particulièrement du château de Versailles. Il est l'illustration de ces petits châteaux que la noblesse de robe et la grande bourgeoisie, titulaire de charges et d'ofïices importants, firent construire au cours du xvine siècle dans les environs des grandes villes pour passer l'été : « résidences secondaires » complé- mentaires des hôtels particuliers. Toutefois, nous avons déjà laissé transparaître au cours de la description combien la « maison » de l'abbé Jolyot s'apparentait plus à un hôtel particulier qu'à un château. C'est peut-être de ce fait qu'il tient ses traits particuliers : ordonnance soignée de la façade sur cour, proportions réduites, ornementation délicate, distribution ingénieuse profitant du moindre espace et utilisant la place avec habileté. Dimensions et disposition des pièces, empla- cement des communs, formes des portails, tout rappelle le plan des hôtels particuliers. Fait remarquable : la loge de concierge existe, mais ne sert pas et est utilisée comme remise. C'est peut- être la filiation qu'il faut rechercher. Le château de Beaumont ne serait en fait qu'un hôtel particulier transformé en « maison de plaisance », et installé à la campagne. Ce qui ne saurait étonner à cette époque : les hôtels particuliers prêtent leurs plans aux châ- teaux et fournissent des modèles heureusement copiés. Ainsi, à quelques kilomètres de Beaumont, le château de Talmay ou d'Aviler s'inspire de l'hôtel Peyrenc de Moras. C'est une thèse qui n'est pas à exclure et qui apporte beaucoup à la compréhension du château de Beaumont. Il n'en reste pas moins vrai que ce château se différencie des autres par ses proportions et ses caractères singuliers. Il ne s'agit pas là simplement d'une demeure champêtre et secondaire, mais d'un petit château qui tire son origine à la fois de l'hôtel particulier et de la gentilhommière. Cet édifice, par la qualité de son archi- tecture et de son ornementation, la grâce de ses proportions, est CHATEAU DE BEAUMONT 349 unique en Bourgogne l. Son type est peu fréquent en France. Il ne semble pas indigne des lignes que Louis Hautecœur consacrait aux édifices du xvine siècle : « Tous ces châteaux, tous ces hôtels sont, comme la littérature, l'expression d'une époque où, malgré les misères du peuple, les crises financières, les hommes, au lende- main du règne majestueux de Louis XIV et des tristesses de la guerre, cherchaient un divertissement et un repos, une intimité confortable, une noblesse sans ostentation, une beauté sans apparat. Ces demeures sont peut-être les habitations les plus raffinées, les plus humaines que jamais civilisation ait conçues pour abriter les plaisirs d'une vie éphémère 2. »

1. Le château de Vantoux (1700-1704), en Côte-d'Or, qui, par la date de sa construction, ses origines et ses caractères, se rapproche de lui, est beau- coup plus important. Sa composition et son plan sont différents, les pièces très vastes et peu nombreuses. 2. Louis HAUTHOŒUH, Histoire de l'architecture classique en Fronce, t. III, « Le style Louis XV », Paris, 1950, iu-4".