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24 images

Le vol de la pensée Monsieur Hire, Gérard Grugeau

Denys Arcand Number 44-45, Fall 1989

URI: https://id.erudit.org/iderudit/23133ac

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Publisher(s) 24/30 I/S

ISSN 0707-9389 (print) 1923-5097 (digital)

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Cite this review Grugeau, G. (1989). Review of [Le vol de la pensée / Monsieur Hire, Patrice Leconte]. 24 images, (44-45), 19–19.

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Alice (Sandrine Bonnaire) et Monsieur Hire. «Le désir amoureux retrouve enfin à l'écran ses images de noblesse» LE VOL DE LA PENSEE par Gérard Grugeau

ntonin Artaud considérait que le ci­ qui s'est toujours plu à décrire la vertigi­ Le climat pesant et chargé d'émotion que néma révélait essentiellement l'im- neuse «difficulté du métier d'homme». distille cette mélopée sans voix trouve son AL puissance de penser au coeur de Mais rarement adaptation cinématographi­ prolongement naturel dans une mise en la pensée. Ce cinéma, pour reprendre les que de l'univers de Simenon aura t-elle été scène stylisée qui, par l'expressionnisme termes de Gilles Deleuze, Artaud le crédi­ à ce point porteuse d'un projet de mise en des cadrages, des éclairages (belles cou­ tait du pouvoir non pas de faire penser le scène rigoureux comme le film de Patrice leurs désaturées de Denis Lenoir) et de Tout, mais au contraire d'une «force disso- Leconte. Prenons date: nul doute que l'intégration des personnages à l'environ­ ciatrice» qui introduirait «une figure du Monsieur Hire fasse aujourd'hui figure nement (voir séquences de l'église et du néant», «un trou des apparences». Cette de long métrage d'auteur dans l'œuvre de combat de boxe), induit une certaine considération générale sur le spectacle ci­ ce cinéaste en mouvement. forme de déséquilibre dans l'image. C'est nématographique traduit dans une certaine Cette histoire du petit tailleur juif cette instabilité qui interpelle directement mesure le trouble profond que l'on ressent solitaire, incolore, en exil de ses émotions l'émotion du spectateur tout en court- au visionnement de Monsieur Hire, le ( tout en retenue brûlante) et circuitant la pensée de celui-ci. Avec Mon­ dernier film de Patrice Leconte (Viens des rapports troublants que cet observa­ sieur Hire, Patrice Leconte a visiblement chez moi, j'habite chez une copine, teur blafard entretient avec Alice, l'obser­ intégré l'idée cinématographique selon Tandem). Trouble confinant au vertige, vée au comportement ambiguë (Sandrine laquelle le contenu d'une œuvre naît avant voire au saut dans le vide. Un saut dans le Bonnaire remarquable d'authenticité tout de son traitement formel. Utilisant vide qui, dans l'ultime séquence du film, rayonnante), Patrice Leconte a pris parti pleinement le potentiel du format scope, associe justement dans un même mouve­ de la raconter à travers le prisme exigeant sa caméra isole, enferme continuellement ment de conciliation l'effondrement inté­ de l'épuration et de la stylisation. Epura­ les personnages dans la photogénie dou­ rieur du personnage principal, Monsieur tion non seulement d'un récit noir qui ne loureuse de leurs états d'âme. Comme chez Hire, la dislocation de la pensée du specta­ s'attache qu'à un nombre limité de person­ Hitchcock, elle «fait voyager le gros plan» teur et l'implosion de l'image cinémato­ nages et qui, pour éviter toute dérive et de cette alchimie sensuelle de l'image graphique. Mais si «le vol de la pensée» rétro, trouve son point d'ancrage dans un se dégage un érotisme d'une intensité qui inhérent à toute expérience de la salle Paris neutre et intemporel. Mais aussi épu­ n'a d'égale que la retenue de sa pudeur. obscure, opère ici tout particulièrement, ration des dialogues visant à privilégier Grâce à Patrice Leconte, en 80 minutes c'est bien sûr avant tout à cause des théma­ une dialectique visuelle que des visages en seulement d'une lente mise à nu, le désir tiques déstabilisatrices qu'aborde le récit, attente créent par regards interposés. Élé­ amoureux retrouve enfin à l'écran ses ima­ à savoir le voyeurisme et l'émergence du ment structurant de ce récit, la musique ges de noblesse. Qui s'en plaindrait? • désir amoureux. de Michael Nyman (Drowning by Num­ Monsieur Hire est tiré d'un roman bers) détourne le thème classique d'un de Georges Simenon paru en 1933 et déjà quatuor de Brahms pour habiller de ses MONSIEUR HIRE France 1989- Ré.: Patrice Leconte. Scé.: Patrick adapté à l'écran par Julien Duvivier sous le harmonies minimalistes et répétitives les Dewolf et P. Leconte. Ph. : Denis Lenoir. Mus. : Michael titre de . On sait que le cinéma obsessions voyeuristes de monsieur Hire, Nyman. Int : Michel Blanc, Sandrine Bonnaire, André s'est souvent emparé des œuvres de celui prisonnier statique d'un passé oppressant. Wilms. 19