Sphinx Maurorum (Jordan, 1931), 24E Sphingidae De La Faune De France
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oreina n° 5 - mai 2009 ACTUALITÉ 17 Sphinx maurorum (Jordan, 1931), 24 e Sphingidae de la faune de France (Lep. Sphingidae) JEAN HAXAIRE Résumé : L’auteur clarifie le statut de Sphinx maurorum , groupe, il place les sous-espèces morio (Rothschild & généralement méconnu et confondu dans les collections Jordan, 1903) du Japon et arestus (Jordan, 1931) qu’il décrit avec Sphinx pinastri (Linnaeus, 1758). Il signale que c’est de l’Ussuri (région couramment appelée le « Far East ») bien cet insecte et non pinastri qui vole dans la majorité des Le second groupe est composé des sous-espèces dont les départements du sud de la France. Sphinx maurorum se deux processus du sacculus sont d’inégale longueur, le dor - sépare aisément de pinastri sur des différences considérables sal beaucoup plus long, plus fin, sub-cylindrique dans sa de l’armature génitale, et ses stades larvaires sont générale - moitié distale, et généralement recourbé vers le bas. Le pro - ment distincts. Par contre, il est impossible de les séparer cessus ventral est plus large et spatulé. Ce groupe renferme avec certitude sur l’habitus et en ce sens maurorum et pinas - la sous-espèce nominative pinastri (Linnaeus, 1758), qui tri constituent bien des espèces jumelles. Une première car - vole en Europe du Nord et de l’Est (jusqu’en Sibérie), ceni - tographie des deux espèces est proposée. Le statut d’espèce sius (Jordan, 1931) décrite des Hautes-Alpes (La Grave), de maurorum est confirmé par l’analyse génétique du gène medialis (Jordan, 1931) du centre de la France. CO1 des exemplaires de l’auteur, qui ont été intégrés au Le troisième groupe est composé des sous-espèces dont les vaste programme BoLD (Barcoding of Life Diversity). deux processus sont aplatis, le dorsal étant triangulaire et dentelé, le ventral plus court et spatulé. La différence entre Summary : The author clarifies the status of Sphinx mauro - ces armatures et celles du second groupe est saisissante. rum , generally misidentified and confused in collections Jordan décrit dans ce groupe deux sous-espèces : massilien - with Sphinx pinastri (Linnaeus, 1758). He states that it is sis (Jordan, 1931) de Marseille et de la Sainte-Baume this insect and not pinastri which is to be found in the majo - (Bouches-du-Rhône) et maurorum (Jordan, 1931) des rity of the départements in the south of France. Sphinx mau - Pyrénées françaises (Luchon, Cauterets), d’Espagne (San rorum may be easily separated from pinastri by means of the Ildefonso, Segovia) et d’Algérie (Hammam R’Irha, Mt extensive differences between the genitalia, and its larval Zaccar, Oran, (localité type). stages too are generally distinct. On the other hand it is Kernbach (1969) simplifie considérablement ces conclu - impossible to separate them with certainty as an adult and in sions. Dans un article, paru après sa mort, intitulé « Die Fig 1. Sphinx pinastri butinant this respect maurorum and pinastri constitute a 'critical' spe - Sphingiden-gattung Sphinx Linné », il énumère les espèces des fleurs de Silene inflata . cies pair. Distribution maps for the two species are given for de ce genre décrites à l’échelle mondiale. Son traitement Photo © Szabolcs SAFIAN , the first time. The status of maurorum as a true species is du complexe pinastri Hongrie, 2004. confirmed by genetic analysis of gene CO1 taken from the s’éloigne fortement de specimens in the author’s collection, the results of which celui de Jordan : il n’y have been included in the vast Barcoding of Life Diversity a qu’une espèce, (BoLD) program. pinastri , avec trois sous-espèces, pinas - Mots clés : Lépidoptères, Sphingidae, Sphinx, pinastri , tri , morio et arestus . maurorum , biogéographie, France. Toutes les autres sous- espèces de Jordan sont placées en synonymie de p. pinastri. Il ana - ►HISTORIQUE DU GROUPE lyse les différences Sphinx pinastri fut décrit par Linnée en 1758 dans la célèbre génitales illustrées par 10 e édition de son Systema Naturae . La localité-type n’est Jordan et conclut à pas précisée, mais il est probable que l’auteur se soit basé sur une très grande varia - des exemplaires du nord de l’Europe pour sa description. bilité individuelle sans En 1931, un premier article de Karl Jordan souligne l’éton - entrevoir la distribu - nante variabilité de l’armature génitale mâle de l’insecte que tion spatiale de ces nous appelons le Sphinx du pin (the pine hawkmoth, der variations. Kiefernschwärmer). Par manque visible de matériel, cette Rougeot & Viette note ne clarifie pas totalement la situation mais présente (1978 : 181), s’ils ne l’immense avantage de poser le problème. Jordan éclate reconnaissent ni mas - l’espèce pinastri en trois groupes renfermant sept sous- siliensis , cenisius ou espèces, dont cinq sont alors décrites. medialis , traitent mau - Le premier groupe renferme les sous-espèces dont les deux rorum comme la sous- processus du sacculus sont d’égale longueur. Dans ce espèce de pinastri 18 ACTUALITÉ oreina n° 4 - mai 2009 d’Espagne et d’Afrique du Nord. sur les critères génitaux signalés par Jordan mais également Curieusement, ils omettent de parler sur l’habitus des chenilles. Nous reviendrons sur tous les des exemplaires pyrénéens dont par - points qu’ils évoquent. lait Jordan et n’incluent donc pas mau - Il semble donc admis dans la littérature que nous avons bien rorum dans la faune de France. Tous affaire à deux espèces séparées. Ayant eu l’occasion de les critères qu’ils donnent pour séparer consulter les types de maurorum , massiliensis , medialis et les deux sous-espèces pinastri et mau - cenisius au NHM de Londres , je suis arrivé à la conclusion rorum (taille plus petite, coloration que medialis était conspécifique de pinastri dont il ne consti - plus uniforme, dessins moins nets) tue qu’une infime variation (au même titre que l’ euxinus de sont inutilisables et/ou faux. Derzhavets) tandis que maurorum est une espèce bien tran - Derzhavets (1979) modifie le statut de chée par des critères génitaux de très grande ampleur. Le la sous-espèce morio , qu’il rehausse taxon massiliensis me semblait constituer la population au rang de bonne espèce avec deux hybride, zone de contact entre les maurorum du sud et les sous-espèces, morio au Japon et ares - pinastri nordiques. L’analyse ADN (séquençage du gène tus en Russie centrale et de l’est, mitochondriale CO1) place nos exemplaires avec maurorum Mongolie, nord-est de la Chine et ce qui laisserait entendre que si ces exemplaires sont bien Corée du sud. Les différences géni - des hybrides, la femelle pondeuse appartenait au taxon mau - tales invoquées par Jordan sont souli - rorum . En effet les mitochondries sont apportées par l’ovule gnées et approuvées. Sphinx pinastri donc la mère. Nous traiterons comme la majorité des auteurs laricis décrit par Rozhkov en 1946 de massiliensis comme synonyme de maurorum . l’est de la Sibérie est fort logiquement Plus délicat est le statut de la sous-espèce medialis que placé par Derzhavets en synonymie de Jordan avait décrit du centre de la France sur quatre insectes morio arestus . Dans le même papier, provenant de la collection Sand. Ces spécimens ne portaient cet auteur décrit une nouvelle sous- pas d’étiquette de localité, et quand on sait le nombre de espèce de S. pinastri de Géorgie, qu’il citations erronées liées à l’utilisation de la collection Sand, nomme euxinus . Par la suite, les on peut fortement douter de leur origine. Jordan figure les observations de Litvinchuk (1986 : genitalia de deux de ces exemplaires, l’un pouvant être mau - 134) corroborent le statut de bonne rorum , l’autre (le type) pinastri . Dans l’attente d’investiga - espèce de morio . Cet auteur étudie tions plus poussées, nous maintenons medialis en synony - l’influence de la température et de mie de pinastri . l’horaire sur l’activité reproductrice de Les premiers stades de pinastri et maurorum sont statisti - Sphinx morio . Il note que morio est quement différents. Toutefois, de très récentes observations actif au petit matin, contrairement à montrent que séparer maurorum de pinastri sur la seule base pinastri qui vole et s’accouple entre des stades larvaires est un challenge dangereux. Même si je 22 h et 1 h. Un tel mécanisme peut être pensais réellement avoir trouvé de bons critères, ils ne sont responsable de l’isolation de ces deux visiblement pas fiables à 100%. Par contre, l’analyse par taxa, on trouve des cas similaires chez séquençage du gêne CO1 nous a parfaitement scindé les les Hyles . exemplaires de ma collection en deux groupes, ce qui est à La sous-espèce maurorum est restau - la fois encourageant pour les conclusions du présent article rée de façon totalement implicite par et pour la fiabilité de l’outil. Freina & Witt (1987) dans le splen - dide Die Bombyces und Sphinges der ►LES DIFFÉRENCES ENTRE LES DEUX Westpalearktis , 1. Ces auteurs ne don - ESPÈCES PINASTRI ET MAURORUM nent pas de raison à cette action, il est DIFFÉRENCES SUR L’ARMATURE GÉNITALE probable qu’ils ignoraient tout simple - DU MÂLE ment le travail de Kernbach cité ci- C’est sur les valves que se situe la différence la plus frap - dessus. pante. Le sacculus se divise en deux branches : une branche Eitschberger, Danner & Surholt (1990) dorsale, une branche ventrale. réhaussent maurorum au statut d’es - Chez Sphinx pinastri , la branche dorsale du sacculus est plus pèce sans donner de raison à cette longue que la ventrale, généralement courbée vers le bas, action. Ce taxon est donc sorti de la presque toujours cylindrique dans sa moitié apicale. Cette synonymie en deux étapes, sous- branche est toujours extrêmement effilée et est généralement espèce puis espèce sans que jamais il totalement lisse. n’y ait eu de justification. S. maurorum présente une branche ventrale arrondie, plutôt Pittaway, dans son ouvrage sur les courte (1/4 de la valve).