Université Paris-Sorbonne
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UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE ÉCOLE DOCTORALE VI Centre André Chastel T H È S E pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE Discipline : Histoire de l’art Présentée et soutenue par : Alexandra MARINI le : 2 octobre 2015 De la camera oscura à la « caméra visible » : Eloge du plan-séquence dans l’œuvre de Sam Szafran Sous la direction de : M. Serge LEMOINE – Professeur émérite, Université Paris-Sorbonne (Paris IV) Membres du jury : M. Rémi LABRUSSE – Professeur, Université Paris Ouest Nanterre La Défense (Paris X) M. Pierre WAT – Professeur, Université Panthéon-Sorbonne (Paris I) POSITION DE THESE L’objectif de cette étude monographique est de proposer une synthèse de l’œuvre de Sam Szafran (né en 1934 à Paris) au travers de nouvelles réflexions et à partir de documents inédits. Figure singulière de l’histoire de l’art, Sam Szafran est un peintre au parcours atypique qui mène depuis plus de soixante ans une aventure solitaire, faite de recherches personnelles et empreinte d’exigence. Mû par un désir inassouvi de peindre, il place l’expérimentation au cœur de ses recherches et s’est évertué, dès le départ, à battre en brèche les modalités optiques traditionnelles qu’il n’a en vérité jamais apprises. A Montparnasse, il se retrouve au carrefour de tous les ismes de l’après-guerre, et face à l’ardeur des combats qui déchirent le milieu artistique parisien au cours des années cinquante, il sera finalement l’un des rares à sillonner les différents groupes. Proche de Raymond Hains, qui lui fera découvrir l’œuvre de Kurt Schwitters et l’initiera au collage, il adhèrera au surréalisme le temps d’un Cadavre exquis chez André Breton, imitera les expériences psychotropiques d’Henri Michaux, et sera l’assistant d’Yves Klein qui lui proposera, en vain, de rejoindre l’Ecole de Nice : Szafran connaît bien la peinture de son temps, mais se détache volontairement de l’influence des avant-gardes qui se succèdent pour créer un style qui restera unique. Et ce rejet de toute norme, ce refus des conventions — fussent-elles celles de la plus extrême avant-garde — devait rapidement le mener à contester jusqu’au véhicule traditionnel de la peinture, le médium de l’huile, à la faveur du pastel. En dépit des sarcasmes et de l’incompréhension de ses contemporains, il poursuivra obstinément dans cette voie jusqu’à devenir le grand rénovateur du pastel que l’on célèbre désormais à travers le monde. Artiste confidentiel — car trop rarement exposé — Szafran est aujourd’hui l’un des artistes français les plus cotés du marché. Sa dernière apparition dans un musée français date de 2008, alors qu’il exposait, sans hiatus, aux côtés d’Odilon Redon et d’Edgar Degas 2 dans le cadre de l’exposition « Le mystère et l’éclat. Pastels du musée d’Orsay » ; tandis que ces dernières années auront été celles de la consécration internationale. C’est en Allemagne qu’a lieu la première rétrospective de l’artiste dans un musée public, le Max Ernst Museum, en 2010. Quelques mois plus tard, l’Albertina Museum de Vienne, en Autriche, invite Sam Szafran à rejoindre les cimaises de l’exposition « Albertina Contemporary : from Gerhard Richter to Kiki Smith » aux côtés d’Anselm Kiefer, Georg Baselitz, ou encore Damien Hirst. Enfin, ce sera au tour de la Suisse de lui accorder les honneurs. La magistrale rétrospective à la Fondation Gianadda de Martigny en mars 2013, sous le commissariat de Daniel Marchesseau, a dévoilé de nouveaux aspects de son œuvre, dont le passage au monumental — d’autant plus insoupçonné que le traitement est celui d’un miniaturiste — redevable de l’expérience de la céramique que l’artiste aura mise à profit lors de la réalisation du Pavillon Szafran, en collaboration avec la Fondation Artigas, quelques années auparavant. Cette recherche constante de nouvelles solutions plastiques en fait l’une des œuvres les plus ambitieuses qui soient. Le corpus bibliographique dont nous disposions était au départ essentiellement composé de catalogues d’expositions et d’articles de presse. Rares ont été les investigations aussi remarquables que celles de Jean Clair, qui consacre à l’artiste son unique monographie, dont la parution remonte néanmoins à près d’une vingtaine d’années. En s’attachant à la passion de l’artiste pour le cinéma, il s’est agi, dans le cadre de cette étude, de jeter un jour nouveau sur l’œuvre de Szafran et de se concentrer sur l’une des sources majeures de son univers créateur qui n’avait jusque-là guère retenu l’attention des commentateurs au-delà de quelques lignes. Ce travail a dévoilé que, loin de constituer une référence occasionnelle, les hardiesses et la syntaxe cinématographiques ont imprimé des tournants décisifs dans le travail du peintre. Par conséquent, la définition de notre problématique nécessita en amont un travail de recueil et de traitement de l’information considérable. Mais pour parvenir à donner tout son sens à ce travail, il fallait le concours de l’artiste lui-même — réfractaire inconditionnel — qui, à l’aune de ses quatre-vingts ans, se consacre tout entier à son œuvre. Les entretiens que Sam Szafran nous a accordés, de façon exceptionnelle, durant ces années de recherche, nous ont permis de disposer d’informations inédites et de retranscrire avec une très 3 grande rigueur les principales étapes de sa vie, réfutant par là même les mythes souvent admis comme réalités historiques ou les imprécisions qui ont pu jusqu’alors être relayées. Nous engagerons cette étude par l’évocation des premières années de la vie de Szafran — années décisives, douloureuses, écorchées par la guerre — afin de saisir la genèse d’une culture autodidacte, marginale et sans a priori qui détermine une œuvre bien plus éclectique que l’on ne l’a considérée jusqu’à présent. Nous relaterons l’émulation qui s’opère à Montparnasse et Saint-Germain-des-Prés dans ces années d’après-guerre et qui permettent à Szafran de fréquenter les personnalités essentielles de la seconde moitié du vingtième siècle sur le plan artistique et intellectuel. Au-delà de l’anecdote, ces rencontres constituent le pivot de son accession à la scène culturelle parisienne et pallient en quelque sorte l’extrême difficulté de ces années d’errance. Le jeune homme sera marqué par des personnalités très libres, au premier rang desquelles Jean-Paul Riopelle, l’illustre canadien de dix ans son aîné, et Alberto Giacometti qui, en l’encourageant à s’épanouir dans une totale liberté d’expression, favorisera son retour à la figuration au tout début des années soixante. Mais surtout, nous dévoilerons que son apprentissage de l’art s’amorce par une boulimie d’images détachées de leur origine et vulgarisées par le biais de la reproduction technique et que, pour se former, le peintre a emprunté une filière peu orthodoxe : avant d’aller au musée, il a été un grand cinéphile. Cette inspiration très éloignée de ce que l’on enseigne dans les écoles d’art renforcera sa volonté de « faire des images ». Dans un deuxième temps, nous constaterons que Szafran recourt à des analogies photographiques afin de remettre en cause la « donne » de la vision, d’aborder la question de la perspective sous un angle neuf et d’échapper de façon formelle à la convention du regard. L’hypothèse centrale sera de démontrer que les points de vue multiples de l’imagerie séquentielle — cinématographique et photographique — aboutissent à une véritable mise en scène de la vision. Si la relation entre Sam Szafran et la photographie n’est pas évidente au premier abord, un certain nombre d’éléments, ayant trait à la fois à la biographie de l’artiste et à sa méthode de travail, légitime un tel rapprochement. Szafran compta parmi ses amis de nombreux photographes illustres : Man Ray, David Bailey, Josef Koudelka, Robert Doisneau, Martine Franck, et, bien 4 entendu Henri Cartier-Bresson — « l’œil du siècle » —, avec qui il nouera une amitié fraternelle pendant plus de trente ans. Les voir travailler a certainement pu l’influencer, mais le rôle de la photographie dans l’art de Szafran va au-delà de ces amitiés. D’une part, Szafran se sert de la photographie, de sa contingence, de sa fragmentation et de son instantanéité, comme document de travail afin d’élaborer ses œuvres, semblables aux images arrêtées d’une séquence globale. D’autre part, nous divulguerons que — loin de toute entreprise mimétique — le fait qu’il assemble ces polaroids entre eux, créant des sortes de « photomontages », lui permet de disposer d’une simultanéité de points de vue différents, donnant vie à ses « vues de l’esprit », ou, pour le dire autrement, à ses « regards impossibles ». Ainsi, nous mettrons en lumière la façon dont Szafran utilise la photographie, selon ses propres termes, « comme un metteur en scène ». Cette pratique du montage trouve son paroxysme dans l’usage novateur qu’il réserve au pastel, et dont l’expérimentation constitue la clef de voûte. Ceci fera l’objet d’une troisième partie. Nul n’aurait parié que l’artiste, qui s’est emparé de cette technique au tout début des années soixante — technique jugée alors totalement désuète — lui redonnerait ses lettres de noblesse au point d’être considéré quelques décennies plus tard comme le virtuose du pastel à l’échelle internationale, entraînant dans son sillage nombre de ses contemporains. Dès le départ, chez Szafran, la technique du pastel rompt avec les charmes du maquillage, des effets de surface, de peau et de poudre chers aux pastellistes du dix-huitième siècle : il en utilise la technique en étroite relation avec une thématique grave et complexe. Pour l’artiste, la difficulté à fixer les couleurs, la fragilité inhérente à la matière, volatile, la montée des gammes tirées de plus de mille sept cents nuances offertes par les boîtes de bâtonnets sont solidaires d’une réflexion existentielle.