112 30-36 SPB Février 1976 Centenaire Ernest Fourneau
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— 30 — SOCIETÉ DE PHARMACIE DE BORDEAUX __________ CENTENAIRE DE LA NAISSANCE D’ERNEST FOURNEAU __________ Conférence du professeur Guy DEVAUX UN GRAND PHARMACIEN, UN GRAND CHIMISTE : ERNEST FOURNEAU (1872-1949) Je remercie tous nos collègues de la Société de Pharmacie d’avoir accueilli favorablement ma suggestion de consacrer une séance spéciale à la célébration du centenaire de la naissance d’Ernest Fourneau. Lorsque ce projet avait été formé, j’étais loin de penser qu’il me reviendrait l’honneur de prononcer l’éloge de ce grand pharmacien et de ce grand chimiste. Mon intention initiale était, en effet, de confier ce panégyrique à l’un de ses nombreux élèves, qui aurait pu faire resurgir devant vous toute sa vigoureuse personnalité avec les anecdotes, les menus faits divers, qui ne manquent pas de marquer un travail quotidien dans l’intimité d’un savant. Cela n’a pas été possible pour des raisons diverses, et je fais appel à votre indulgence si mes propos — alimentés seulement des biographies écrites et de quelques interviews de personnes ayant connu Fourneau — ne reflètent qu’indirectement et imparfaitement cette grande destinée. Ernest Fourneau est né à Biarritz le 4 octobre 1872. Son ascendance lointaine était espagnole, et, de ce fait, le nom de la famille ne fut établi qu’après quelques modifications. L’arrière-grand-père, natif d’un village des environs de Saint- Sébastien, s’appelait Jean Urnau. L’un de ses fils s’établit en France, à Biarritz, comme tisserand, et, modifiant son nom, le fit précéder d’un Fo euphonique, le patronyme devenant Fournau avant sa fixation définitive en Fourneau par le père de notre jubilaire. Définitive, est-ce certain, comme le rappelait récemment à Paris le professeur Gautier? puisque Ernest Fourneau lui-même, devant nommer un anesthésique local qu’il venait de préparer, et tenu de respecter la désinence aïne des parents pharmacologiques de la cocaïne, n’hésita pas a angliciser son nom en Store, et à préférer pour son produit le nom de Stovaïne à celui, un peu ridicule, de Fourneaucaïne... Par la suite, comme on le sait, il y eut aussi le Stovarsal, d’étymologie comparable. Ses parents se consacraient à l’industrie hôtelière de luxe à Biarritz. Cette station élégante se partageait en effet à l’époque, avec Nice et Deauville, la clientèle de la haute société française et étrangère. C’est donc dans un milieu choisi, raffiné et cultivé que se passa la jeunesse d’Ernest Fourneau. Ce contact, joint à l’éducation soignée que lui ménagèrent ses parents, à la finesse de son esprit et à la richesse de ses dons, explique le goût qu’il conserva toujours pour les lettres, la musique, les arts et toutes les activités de l’esprit, qui lui portaient délassement au milieu de ses travaux scientifiques. Après de brillantes études secondaires au Lycée de Bayonne, il subit avec succès à Bordeaux, les épreuves du baccalauréat de l’enseignement spécial le l3 juillet 1889. Sa vocation pharmaceutique déjà née, sans perdre de temps, il s’inscrit dès le — 31 — 1er août comme stagiaire en pharmacie chez Félix Moureu, pharmacien à Biarritz. Félix Moureu était le frère aîné de Charles Moureu, qui devait devenir plus tard l’illustre chimiste que vous savez, professeur à l’École de Pharmacie de Paris, puis au Collège de France, et membre de l’Institut. Sûrement, les conseils affectueux que prodiguèrent les frères Moureu au jeune Fourneau influèrent largement sur l’orientation de sa carrière. L’une des premières conséquences fut qu’après l’accomplissement de son stage — qui durait alors trois ans — Fourneau obtint de sa mère de passer l’examen de validation à Paris plutôt qu’à Bordeaux. Pressentait-elle qu’elle allait perdre un sujet de valeur ? Je ne sais, mais notre Faculté se montra bien pointilleuse pour accorder l’autorisation. Arguant que notre stagiaire était entré chez Moureu le 1er août 1889, qu’il en était sorti le 24 juin 1892, n’ayant accompli que deux ans, 10 mois et 24 jours de stage au lieu des trois ans réglementaires, elle exigea une dispense ministérielle pour les trente-six jours manquants. Finalement, Fourneau obtint satisfaction et put passer son stage à Paris in extremis, la dispense ayant été accordée le l8 juillet, alors que l’examen était le 23... Ceci pour la petite histoire, mais je n’ose espérer que des cas semblables ne puissent se reproduire de nos jours. Sur les recommandations de Charles Moureu, en attendant le règlement de ces problèmes administratifs, Fourneau était allé s’entraîner aux reconnaissances dans le droguier particulièrement riche de l’Hôpital du Midi — aujourd’hui Hôpital Cochin —, qui, à côté des drogues courantes, renfermait quelques vieilleries de la matière médicale, parfois insinuées perfidement dans les reconnaissances le jour de l’examen... C’est là qu’il rencontra Marc Tiffeneau, futur doyen de la Faculté de Médecine de Paris, et que se noua une amitié durable, dont les liens se resserrèrent encore lorsque Tiffeneau épousa la plus jeune sœur de Fourneau, Marguerite. Après le stage vint l’année de service militaire. Sportif accompli — il remporta même un prix de trot attelé aux célèbres courses de Biarritz —, il s’adapta facilement à la situation et considéra les exercices militaires comme une nouveauté de plus. Puis ce furent les études à l’Ecole de Pharmacie de Paris. Ici, vous me permettrez d’avoir une pensée pour un de nos confrères, centenaire, qui fut condisciple d’Ernest Fourneau et son camarade d’internat. Il s’agit de M. Jean Gibert, qui fut longtemps pharmacien à Limoux, dans l’Aude, et qui m’a aimablement reçu chez son gendre, M. Léon Gouyon, notre confrère de la place Nansouty, pour me confier ses souvenirs. Qu’il en soit vivement remercié, et puisque son grand âge lui interdit de se joindre a nous ce soir (il m’a d’ailleurs écrit personnellement pour s’excuser, me dire combien il regrettait et m’assurer qu’il serait présent par la pensée), qu’il veuille bien recevoir l’assurance de mes sentiments respectueux et déférents. « Nous suivions, me disait-il, les cours de Béhal, encore jeune professeur, et qui nous passionnait avec la théorie et la notation atomiques, qui, de plus en plus, battaient en brèche la théorie équivalentielle de Berthelot. Les étudiants étaient d’ailleurs moins nombreux qu’aujourd’hui, et, en raison de l’ordre alphabétique, Fourneau avait pour voisins de travaux pratiques, d’un côté Ferdinand, avec qui il s’associa ensuite quelques années pour tenir une officine, et, de l’autre, moi-même, tandis que mon autre voisin était Hérissey, qui devint professeur à la Faculté de Pharmacie de Paris. Inutile de vous dire, continuait M. Gibert, qu’entre ces deux savants je n’avais pas l’occasion de chahuter ou de contester. Chacun était absorbé par les expériences que nous devions faire et ne parlait guère pendant le travail. Fourneau se révélait d’ailleurs un manipulateur d’une adresse et d’une minutie exceptionnelles. Cette maîtrise dans l’art de manipuler lui valut le prix des travaux pratiques dès la première année. » Son condisciple évoque aussi sa courtoisie, son élégance et sa distinction naturelle, qui complétaient les dons d’un être déjà exceptionnellement comblé. 32 En 1895, il est reçu à l’Internat en Pharmacie des Hôpitaux de Paris, et c’est peut-être l’occasion de dire quelle excellente école représente l’Internat pour la formation d’un pharmacien, quelle que soit du reste son orientation professionnelle ultérieure. En 1898, il est pharmacien et passe un an dans le laboratoire de Charles Moureu pour s’initier à la recherche. Puis il se rend en Allemagne pour y compléter sa formation scientifique, passant trois années dans les laboratoires de maîtres illustres : Emile Fischer d’abord, Curtius et Gattermann ensuite, Willstätter enfin. Il y fait ses premières publications scientifiques et, surtout, prend acte du niveau élevé atteint par la chimie outre-Rhin, de l’organisation efficace de la recherche, de l’étroite collaboration entre l’université et l’industrie, ensemble de faits qui expliquait la prépondérance allemande dans le domaine des médicaments chimiques. Vers 1900, les médicaments synthétiques dont on parlait aux cours de pharmacie chimique étaient pour la plupart de fabrication ou d’origine allemande ; qu’il suffise de citer l’antipyrine et le pyramidon, l’acétanilide et la phénacétine, le sulfonal, l’aristol, le salol, l’orthoforme, les eucaïnes, etc. En France, au contraire, on se contentait de spécialiser des formules magistrales classiques plutôt que de créer de véritables médicaments nouveaux. Ayant constaté cet état de choses et revenu en France, Ernest Fourneau se fit un devoir d’élever notre pays à la hauteur de sa voisine en ce qui concerne les médicaments. Il eut le bonheur de faire partager ses vues à des industriels, les frères Poulenc, fondateurs des Etablissements Poulenc frères, berceau de la future Société Rhône-Poulenc. En 1903, il devint directeur de leur Laboratoire de recherche pharmaceutique, nouvellement créé, travaillant là aux côtés de Camille Poulenc, de Meslanc, tous deux docteurs ès sciences, de François Billon et de Georges Roché. Dès 1904, la stovaïne était découverte, succès retentissant, pas tellement parce que la première fabrication industrielle mettant en jeu — malgré les avertissements de Victor Grignard — 24 kilogrammes de magnésium pour la préparation d’un magnésien se solda par une formidable explosion... mais surtout parce qu’était découvert le premier anesthésique local réellement efficace sans présenter la toxicité de la cocaïne. Cette découverte fut accueillie avec enthousiasme, et, l’année suivante, plus de cent communications sur la stovaïne furent présentées au Congrès de Chirurgie de Berlin.