Le Rap Marseillais, De
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0123 VENDREDI 8 JANVIER 2016 culture | 21 MUSIQUE marseille – envoyée spéciale ans son dernier al- bum, Cosmopolitanie, publié fin 2014 et D vendu à plus de 400 000 exemplaires, Soprano Le rap joue à Jean qui rit, Jean qui pleure. Comme dans ses concerts où Saïd M’Roumbaba, 36 ans, le vrai nom de ce natif des quartiers nord de Marseille, chante l’hymne des marseillais, supporteurs de l’Olympique de Marseille et loue le vivre-ensem- ble de ses communautés. De pa- rents comoriens, il évoque aussi de « petits ces mères éplorées, dont les fils ont été victimes de règlements de comptes. « Elles viennent me voir à la fin des concerts, raconte-t-il sur scène, et elles me disent de vous frères » en demander de poser les armes. » Le 19 décembre 2015, le rappeur des Psy 4 de la rime terminait sa écarts tournée par sa ville natale, après grands avoir vendu 300 000 billets dans toute la France. Au Dôme de Mar- seille, 8 500 personnes sont ve- nues fêter leur champion. Son DJ, Mej, chauffe le public avec des ti- La scène hip-hop locale tres propres au style que Soprano a imposé ces dix dernières an- hésite entre les hymnes nées, en quatre albums, sur les ra- dios FM et sur YouTube, où plu- festifs de Soprano et le style sieurs de ses titres dépassent les 30 millions de vues (quelque hard-core de Jul 74 millions pour Cosmo). Un mé- lange de rap et de chansons festi- ves, qu’il qualifie lui-même de « variété urbaine ». Puis le DJ enchaîne les tubes de Jul, 25 ans, et Alonzo, 32 ans, ces « petits frères », comme dit So- prano, tenants d’un rap « hard- core ». Sur leur titre en commun, Normal, écouté plus de 38 millions de fois sur YouTube, les deux jeu- nes fous banalisent les actes de dé- Lors d’un concert de Soprano, au Dôme, à Marseille, le 19 décembre 2015. MORANT AUDREY/©DALLE POUR « LE MONDE » linquance des quartiers mar- seillais. Plus sage, Soprano, lui, es- saie de ramener un peu de sens cupés de ceux qui suivaient. » consacré à la transmission. Son fants du système capitaliste et de exemplaires vendus en un mois. dans cette scène qui est à des an- A La Savine, au terminus du bus studio, « le moins cher de la ville », « Je suis souvent la télé-réalité. Autant, nous, à notre Le succès des rappeurs des quar- nées-lumière des textes d’IAM ou de la ligne 30, dans les quartiers a vu passer tous les groupes de perdu face époque, nous pouvions rêver qu’on tiers nord et sud de Marseille font de la Fonky Family, ancrés dans la nord de Marseille, Mohamed rap marseillais. Soly, lui, donne allait changer le monde, qu’il y aussi rêver les rappeurs du centre- réalité sociale de la cité phocéenne. « Soly » Mbaé, le directeur de la deux fois par semaine des ate- à ces jeunes. avait des alternatives politique, ville. A Noailles, quartier popu- « De Marseille, résume aujourd’hui Sound Musical School, créée par liers dans un collège et un lycée Nous n’avons culturelle aux courants domi- laire, les Numbers, 20 ans de Imhotep, concepteur musical l’association B. Vice, est plus des quartiers nord. Depuis près nants. Autant, aujourd’hui, pour moyenne d’âge, affinent leur rap. d’IAM, il ne reste guère plus que l’ac- nuancé, même s’il reconnaît : de vingt-cinq ans, B. Vice a la con- plus les mêmes eux, c’est de l’histoire ancienne. » Après les attentats du 13 novem- cent, dans ce rap qui est diffusé sur « Nous, on a donné, mais ceux à fiance des élus locaux et de la po- références, Jul n’a pas eu de grands frères bre 2015, en région parisienne, ils les médias dominants. » qui on a donné n’ont pas fait le job. litique la ville. pour le prendre en charge. Il a un ont réalisé que leurs vidéos avec Entre le rap de Soprano et celui Or, à l’âge où ces jeunes sont deve- plus les mêmes cadet, mais qui est en prison. C’est des armes faisaient tache. « Ici, les d’Alonzo, membre comme lui des nus adultes, la société est devenue « Je veux faire de la thune » idéaux » d’ailleurs parce qu’il ne voulait pas fusillades, c’est presque une fata- Psy 4 de la rime, c’est le grand très individualiste. » Soly connaît A La Solidarité, « à cinq minutes à que sa mère, divorcée, se retrouve lité, avoue Miaouss. Mais quand MOHAMED « SOLY » MBA écart, deux manières de conce- les Psy 4 depuis leurs débuts, alors vol d’oiseau mais accessible en bus É seule qu’il a résisté plus que les on a sorti notre clip, après les at- voir le rap en français : l’un proche qu’il était animateur au après deux changements », c’est le directeur de la Sound autres à la tentation du trafic ou tentats, on a bien compris que ça de la variété française, l’autre de la Plan-d’Aou. Il les a orientés vers rappeur Moh et son label Soli Mu- Musical School des braquages. Du rap, il prétend ne se faisait pas. » Dans leur der- vie des quartiers difficiles, sans les ateliers d’écriture et de musi- zik qui font « le job ». Dans d’autres ne connaître que le marseillais, le nier clip, Pour moi, ils ont été plus distance, en prise directe avec la que assistée par ordinateur de quartiers, des labels indépendants très local, celui qu’on s’échange sobres que dans le précédent, rue. Cela s’illustre par un sourire l’association B. Vice, créée en 1991 se sont bien montés, mais leur ob- s’est imposé dans le rap français entre quartiers sur des CD gravés. Scène de crime, avec fille ligotée et sur la pochette de Cosmopolita- par le groupe du même nom. jectif est surtout de vendre des dis- avec « des textes sombres, dit-il, armes en tous genres. nie, et une Bonne Mère lâchant En 1995, l’un de leurs membres, ques en utilisant le plus possible sur des musiques festives ». Il les a Le vent commence à tourner Dans leur Mercedes noire, qui des balles de kalachnikov sur un Ibrahim Ali, est tué d’une balle d’images-chocs dans leurs clips. composées au kilomètre dans sa A 16 ans, Jul arrête l’école pour tra- file sur la Canebière, les trois gar- enfant pour celle de Règlements dans le dos, tirée par un colleur Une formule qui fonctionne, chambre d’une petite cité, Saint- vailler avec son père. Avec sa pre- çons, fils d’un peintre en bâti- de comptes d’Alonzo. d’affiche du Front national. De- puisque ce sont eux que les majors Jean-du-Désert, quatre blocs de mière paie, il s’achète un home ment pour l’un, de mères veuve et L’écart entre ces cousins qui ont puis, le groupe a abandonné et distributeurs parisiens signent, quatre étages, près de l’hôpital de studio et ne le quitte plus : « J’enre- célibataire pour les deux autres, grandi dans la même cité des toute activité artistique et s’est Braabus, avec SCH, chez Def Jam, et la Timone, à Marseille. Le premier gistrais tous les jours. Je descendais écoutent l’album du dernier pro- quartiers nord de Marseille, le Liga One, avec Jul, chez Musicast. morceau que Jul, de son vrai nom avec ma clé USB en bas du quartier, tégé de Drake, Majid Jordan. Plan-d’Aou, s’explique par la diffé- Aujourd’hui, l’équipe de B. Vice Julien Marie, a pourtant écouté, je mettais mes instruments dans Alonzo a accepté de jouer sur leur rence d’âge : « J’avais 16 ans quand s’inquiète de la suite : qui repren- c’est Petit frère, d’IAM. En 1997, les ma Twingo, et j’écrivais. Mon pote, dernier morceau, « un titre club, on a commencé à rapper avec les « Ma génération, dra leur action sociale quand eux anciens y mettaient en garde les à côté, vendait du shit, un autre qui parle des filles ». Psy 4, raconte Soprano lors d’un qui a été sauvée, arrêteront ? A 46 ans, Soly s’inter- plus jeunes « qui, à 13 ans, aiment parlait d’aller voler dans tel coin. Le vent commence à tourner à entretien à Paris, Alonzo en avait roge : « Je suis souvent perdu face à déjà l’argent, marchent à peine et Normal. Un jour, je suis descendu, Marseille. La ville regorge de ta- 12. Moi, j’ai fait partie d’une géné- n’a pas fait ces jeunes. Nous n’avons plus les veulent des bottes de sept lieues ». tout le monde avait été arrêté : lents, de rappeurs de tous styles, ration qui a été énormément prise le boulot, nous mêmes références, plus les mêmes « Aujourd’hui, constate Imho- j’étais tout seul. » Finalement, un comme Muge Knight ou Les Cre- en charge par les grands frères. Ils idéaux. Ils veulent les dernières tep, 55 ans, on dirait bien qu’ils les de ses titres, Au quartier, diffusé vards. DJ Djel de la Fonky Family, nous sortaient du quartier. Eux avons fait notre chaussures et vêtements de mar- ont chaussées, mais pour aller plus sur YouTube, le fait connaître dans son premier album attendu avaient vu leurs aînés décimés par vie et nous ne que, et ce n’est pas moi avec mon vite au cimetière. » Lui, c’est son dans toute la France. Suivent Sort en février, rendra hommage à l’héroïne, ils ne voulaient pas nous pauvre atelier d’écriture, mon slo- fils de 21 ans qui lui a fait apprécier le cross volé, Dans ma paranoïa… Marseille.