<<

Masarykova univezita Filozofická fakulta Ústav románských jazyků a literatur Francouzský jazyk a literatura

Hanna Mykytyn

La comparaison du roman français contemporain et de son adaptation cinématographique éponyme : Frédéric Beigbeder - Jan Kounen

Magisterská diplomová práce

Vedoucí práce: PhDr. Petr Dytrt, Ph.D. Brno 2016

Prohlašuji, že jsem magisterskou diplomovou práci vypracovala samostatně pouze s využitím uvedených pramenů a že se tištěná verze práce shoduje s její elektronickou podobou uloženou v archivu Informačního systému Masarykovy univerzity.

V Brně dne 30. 4. 2016 Podpis

Chtěla bych zde poděkovat vedoucímu své práce, panu PhDr. Petru Dytrtovi, Ph.D., za jeho ochotu a cennou pomoc.

Contenu

Introduction ...... 1 1 L’Esquisse de la problématique ...... 3 1.1 La transposition des procédés romanesques à l’écran ...... 3 1.2 Les termes du récit dans la littérature et dans la cinématographie ...... 5 1.3 La communication narrative : l’auteur, le lecteur, le narrateur ...... 7 1.4 Les personnages de la narration romanesque et cinématographique ...... 10 1.5 Le temps et l’espace de la narration romanesque et cinématographique ...... 16 1.6 Le langage de la narration romanesque et cinématographique ...... 22 2 L’analyse du roman par rapport à son adaptation cinématographique ...... 29 2.1 L’auteur du roman et le réalisateur du film ...... 29 2.2 L’histoire dans le roman versus l’histoire dans le film ...... 32 2.3 L’auteur, le lecteur, le narrateur ...... 37 2.4 Les personnages du roman et du film ...... 42 2.5 Le temps et l’espace dans le roman et dans le film ...... 50 2.6 Le langage du roman versus le langage du film ...... 54 3 L’analyse des écarts entre la version du roman et celle de l’adaptation cinématographique ...... 59 Conclusion ...... 65 Bibliographie ...... 67

Introduction

Les films fondés sur les romans créent une catégorie spécifique de l’art. Ceux-ci sont toujours comparés avec leurs romans-sources. Ils sont souvent critiqués, rejetés et soupçonnés par le public. Néanmoins, les adaptations cinématographiques sont devenues un phénomène important. Le nombre de réalisateurs qui font des adaptations de romans, augmente.1 Les adaptations cinématographiques peuvent attirer l’attention du public vers un livre récent ou rendre actuel un livre oublié par les lecteurs. Dans le présent travail, nous examinerons un roman français contemporain, 99 francs de Frédéric Beigbeder, et son adaptation cinématographique éponyme de Jan Kounen. Frédéric Beigbeder est écrivain français contemporain. Son œuvre peut être divisée en trois grandes catégories : romans autobiographiques, roman satiriques et roman non-fictionnels. Le roman que nous focaliserons dans ce mémoire, tient à la catégorie des romans satiriques, car une critique, une caricature de la société de consommation sont mises en œuvre dans ce texte. L’adaptation cinématographique de ce roman est classée comme comédie satirique. Nous les avons choisis, puisque le réalisateur du film, Jan Kounen, a collaboré avec Fréderic Beigbeder, en créant le scénario. De cette manière, nous serons capable de voir s’il y a des écarts significatifs, même si le film est tellement proche du roman. Le présent travail sera divisé en trois chapitres. D’abord, nous allons porter notre attention aux aspects théoriques, qui seront abordés dans le premier chapitre de notre mémoire: la notion de transposition des procédés romanesques à l’écran, proposée par Jeanne- Marie Clerc2, les notions de narration et de discours, de temps et d’espace de la narration romanesque et cinématographique, de personnage et de langage. Ensuite, dans le chapitre deux, nous confronterons le roman et le film choisis selon les niveaux de comparaisons esquissés dans le chapitre un. Ensuite, dans le chapitre trois, nous expliquerons les changements qui sont survenus durant l’adaptation filmique. À part le roman et son adaptation cinématographique, nous allons nous appuyer sur l’œuvre théorique, surtout sur les ouvrages Littérature et cinéma de Jeanne-Marie Clerc, Le récit dans le roman et dans le film: une introduction 3 de Jakob Lothe, L’histoire et le

1 LEŠKOVÁ, Anna, From fiction to film: adaptations of E. L. Doctorow, Magisterská diplomová práce pod vedením pana PhDr. Tomáše Pospíšila, Ph.D., Brno, Masarykova univerzita, Filozofická fakulta, 2000, p. 3. 2 CLERC, Jeanne-Marie, Littérature et cinéma, Paris, Nathan, 1993, p. 50. 3 « Narrative in fiction and film: an introduction ». LOTHE, Jakob, Narrative in Fiction and Film: an introduction, Oxford, Oxford University Press, 2000. Nous traduisons. 1

discours: la structure narrative dans la littérature et dans le film4 de Seymour Chatman et Comment lire un film 5 de James Monaco, puisque, selon nous, les ouvrages mentionnés offrent une introduction complète et accessible à la théorie de narration textuelle et filmique, ce qui est la base de ce mémoire.

4 « Příběh a diskurs: narativní struktura v literatuře a filmu ». CHATMAN, Seymour Benjamin, Příběh a diskurs: narativní struktura v literatuře a filmu, Brno, Host, 2008. Nous traduisons. 5 « How to read a film ». MONACO, James, How to Read a Film. The Art, Technology, Language, History and Theory of Film and Media. New York, Oxford: Oxford University Press, 1981. Nous traduisons. 2

1 L’Esquisse de la problématique 1.1 La transposition des procédés romanesques à l’écran

L’un des auteurs que nous avons consulté pour notre recherche, Jeanne-Marie Clerc, une théoricienne contemporaine et professeur de littérature comparée, a commencé son ouvrage Littérature et cinéma par les mots suivants : La question des interactions entre les deux systèmes d’expression et de communication que constituent de nos jours le langage des mots et celui des images, dans une société qui se reconnait elle-même comme une « civilisation de l’image » implique, pour être posée convenablement, que l’on refuse toute idée de hiérarchie entre les objets culturels6.

Cette relation entre les deux systèmes, ou langages, celui des mots et celui des images, évoquée par l’auteur, constituera la problématique principale de la partie théorique du présent travail. Quels moyens utilise-t-on pour traduire un langage dans l’autre ? Afin d’être capable de répondre à la question posée, nous avons emprunté la formule « transposition des procédés romanesques à l’écran », qui est le titre de l’un des chapitres du livre cité. De cette façon, en analysant les pistes et moyens différents de transposition ou, disons aussi, transformation des éléments d’un langage à l’autre, nous espérons pouvoir observer les éléments caractéristiques de chaque système et la relation (ou les relations) entre eux. Avant tout, il faudra spécifier que les critiques comparent la littérature avec deux types du cinéma : le cinéma muet et le cinéma « parlant ». Nous suivrons la même piste. Lors de l’apparence du cinéma muet, des critiques littéraires ont commencé à parler largement de « l’enrichissement du monde visuel » qui ont pris place dans cet art neuf. L’image filmique a fourni une nouvelle mode de présenter le temps et l’espace. J.-M. Clerc cite un autre théoricien littéraire, André Beucler, qui commente cette transformation de la façon suivante : La littérature et la poésie n’apportent rien d’absolument concret et donnent par analyse une forme durable à la mobilité des états de choses, au lieu que le cinéma, quelle que soit, pour lui, la fatalité technique, donne une forme fugace à la mobilité absolue […]. Entre l’adhésion du lecteur et les mots du texte, il y a une forme qui manque. Dans un film, le monde se réalise au contraire selon cette absence de logique qui caractérise la vie imaginative…7

Selon A. Beucler, le cinéma donne aux mots la forme manquante et aussi la mobilité. En lisant un livre, un lecteur a besoin d’utiliser sa propre imagination afin de mettre les images abstraites décrites par les mots aux images « réelles » du monde entier, les faire vivantes.

6 CLERC, J.-M., op. cit., p. 3. 7 CLERC, J.-M., op. cit., p. 22. 3

Jeanne-Marie Clerc continue sur ce sujet en disant que l’écran matérialise les choses qui ont été toujours considérées abstraites, comme les émotions ressenties par les personnages des livres ou les états de leur âme. Ensuite, elle cite nombreux critiques littéraires et cinématographiques qui, en comparant le cinéma et le théâtre en cet aspect de réalité des choses abstraites, constatent que le théâtre dispose de l’expressivité autant que la mimique, mais il manque de « l’acuité » et la précision du regard du cinéma. Le cinéma, pour rendre l’abstrait réel et fournir la forme et la mobilité manquantes à la littérature, dispose de moyens techniques divers. Le montage était l’un d’eux qui inspirait les artistes dès l’apparition du cinéma muet. D’après Ramuz, cité dans Littérature et cinéma par J.-M. Clerc, le montage « a toutes les échelles et contradictoires », « il a toute liberté de mise en page » et « il exprime le mobile, il exprime la fixité, ce qui demeure, ce qui passe »8. Le cinéma muet, dépourvu de la parole, rend visible la différence entre l’expressivité des mots et celle de l’image. Pour plusieurs critiques de l’époque, l’image filmique est plus légère et est plus capable d’exprimer le mouvement que la parole. Par exemple, pour Cocteau, cité par J.-M. Clerc dans le livre déjà mentionné, « l’acteur délivré du texte trouve un affranchissement et une responsabilité inconnus jusqu’à ce jour »9 parce que l’acteur devrait être capable de transférer les idées, les émotions sans parole et se servir seulement de gestes et de la mimique. Après ce grand succès, le cinéma muet était considéré comme l’une des influences de la littérature. Ainsi, plusieurs textes littéraires ont apparu qui essayaient d’imiter le cinéma. Lors de l’apparition du parlant, l’inspiration que les artistes français trouvaient dans le cinéma, a changé de façon dramatique. Pour eux, l’image filmique a perdu sa magie en devenant de nouveau alourdie par les mots. Quelques-uns l’appelaient « le théâtre filmé ». Les hommes de lettres s’éloignaient des hommes de cinéma en suggérant que les derniers, poussés par le goût pour l’argent, ont changé les idées des livres. Il y avait aussi des auteurs qui avaient une attitude positive du cinéma parlant et à l’utilisation des romans comme source pour films. Quelques-uns, comme par exemple les écrivains français André Malraux et Jean Cocteau ont créé des adaptations cinématographiques de leurs propres romans. Hors la France, aux Etats-Unis, certains auteurs ont introduit une nouvelle forme d’art romanesque. Leur technique narrative s’approchait du journalisme plus que du roman. Les critiques français les accusaient de la tendance d’écrire pour « donner à voir », c’est-à-dire, pour être mis en film.

8 CLERC, J.-M., op. cit., p. 23. 9 CLERC, J.-M., op. cit., p. 25. 4

Pourtant, il faudra mentionner les innovations qui ont été introduites par le cinéma parlant, comme, par exemple, le récit de la première personne ou la voix-off. La voix-off, terme emprunté de l’anglais « voice off screen » (« voix hors écran »), est la voix d’un personnage que l’on ne voit pas sur la scène, la fonction de laquelle est d’expliquer la séquence ou de préciser comment le personnage l’a vécue ou la vit dans le moment présent. Selon la critique de l’époque, ce procédé narratif filmique était « inscrit dans la réalité des choses, dans le drame, dans le présent d’action, au même titre que les gestes et les mots des personnages »10. Il sert également d’indice de l’emprunt littéraire. A part cela, le cinéma de l’époque a remplacé la représentation par le montage, qui donnait l’impression de fragmentation, par l’intégralité de la vision qui créait la continuité du réel.

1.2 Les termes du récit dans la littérature et dans la cinématographie

Au cours de notre travail, consistant à confronter le domaine d’art romanesque avec celui de la cinématographie, il est indispensable de définir d’abord les notions clés : celle d’histoire, de narration et de discours. Nous donnerons quelques classifications de la fiction narrative qui ont été effectuées par plusieurs théoriciens de fiction. D’abord, il est important de mentionner la classification qui a été proposée par Gérard Genette dans son Discours du récit (1972 ; la réédition Nouveau discours du récit, 1983) et ensuite reprise par ses plusieurs adeptes. Dans notre travail, nous aurons recours à la version qui a été travaillée par Jakob Lothe11. J. Lothe nous présente toutes les trois notions. Le discours, selon J. Lothe, est ce que nous lisons, le texte lui-même auquel nous avons l’accès. L’ordre des évènements n’est pas obligatoirement chronologique, les personnages sont caractérisés par ce texte et le contenu est filtré par les voix narratives et les perspectives. L’histoire est, plus ou moins, un sommaire d’évènements et conflits dans la fiction narrative qui sont pris du discours et mis dans l’ordre chronologique. Pourtant, il ne serait pas juste de comprendre l’histoire comme une simple interprétation des évènements principaux. J. Lothe ajoute, que le mot « histoire »12 peut être employé comme un synonyme du « récit »13.

10 CLERC, J.-M., op. cit., p. 26. 11 LOTHE, J., op.cit., p. 6. 12 « Story ». LOTHE, J., op. cit. Nous traduisons. 13 « Narration ». Ibid. Nous traduisons. 5

La narration, par conséquent, se situe « entre » le discours et l’histoire. Elle nous présente comment le texte est écrit et communiqué et quelles techniques narratives sont utilisées pour ce but. Ainsi, la narration exprime la relation entre le texte (discours) et le contenu (histoire). Subséquemment, il est nécessaire de présenter une autre classification de ces notions qui a été proposée par Seymour Chatman dans son livre Story and discourse. Narrative Structure in Fiction and Film. Comme le titre l’indique, S. Chatman n’a travaillé qu’avec deux notions, l’histoire et le discours. S. Chatman propose à ses lecteurs un diagramme14 où l’histoire et le discours sont les éléments principaux. D’abord, il explique que l’histoire peut être comprise comme « un contenu ou une chaîne d’évènements » 15 avec ses « existants (personnages, éléments d’espace, etc.) »16, tandis que le discours est « une expression ou un moyen »17 grâce auquel le contenu est exprimé. Ensuite, il énumère les éléments de chacune des notions. Ainsi, l’histoire contient les « évènements et les existants (les personnages et l’espace) »18 qui créent ensemble « la forme de l’histoire »19, et « les gens, objets, etc., comme ils sont élaborés par les codes culturels de l’auteur »20, qui forment « la substance »21, ou le matériel de l’histoire. Le discours, à son tour, contient « la structure de la transmission narrative »22 qui correspond à « la forme de l’expression »23, et « la manifestation »24 qui peut être soit verbale, soit filmique, soit de ballet ou pantomimique, et qui est égale à la « substance »25, ou matériel de l’expression. En conclusion, si nous comparons les deux classifications, il semble que la notion de narration, ignorée par S. Chatman, fusionne avec sa notion du discours qui, dans ce cas, n’est pas seulement « le texte », comme c’est le cas chez J. Lothe, mais aussi « la forme », tandis que son histoire, contrairement à la classification proposée par J. Lothe, n’est pas simplement « une chaîne d’évènements », mais aussi un ensemble de personnages, d’objets et d’espace.

14 CHATMAN, S. B., op. cit., p. 25. 15 « Obsah, události ». Ibid. Nous traduisons. 16 « Existenty, postavy, prostředí ». Ibid. Nous traduisons. 17 « Výraz ». Ibid. Nous traduisons. 18 « Události, existenty, postavy, prostředí ». Ibid. Nous traduisons. 19 « Forma obsahu ». Ibid. Nous traduisons. 20 « Lidé, věci atd., jak jsou předzpracovány autorovými kódy ». Ibid. Nous traduisons. 21 « Substance obsahu ». Ibid. Nous traduisons. 22 « Struktura narativního přenosu ». Ibid. Nous traduisons. 23 « Forma výrazu ». Ibid. Nous traduisons. 24 « Manifestace ». Ibid. Nous traduisons. 25 « Substance výrazu ». Ibid. Nous traduisons. 6

Après avoir analysé les traits caractéristiques d’un texte narratif en général, il faudrait mentionner ce qu’on comprend par la fiction narrative par rapport au film. Voilà ce que J. Lothe dit de la relation entre la littérature narrative et le film narratif : La relation entre la littérature narrative et le film narratif confirme le fait que ces récits qui sont la part du monde autour de nous correspondent aux formes différentes et sont exprimés par plusieurs moyens26.

Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, il existe plusieurs moyens de transposition du langage littéraire au langage cinématographique. Pourtant, d’après le théoricien cité ci-dessus, les composantes les plus importantes du récit sont communes pour les deux types d’art, c’est-à-dire : le temps, l’espace, le sujet, la répétition, les évènements, les personnages, etc., qui permettent d’effectuer une analyse comparée des romans et de leurs adaptations cinématographiques dans les chapitres suivants du présent travail.

1.3 La communication narrative : l’auteur, le lecteur, le narrateur

Par la communication narrative on comprend généralement le processus de transmission d’information de l’auteur au lecteur. Néanmoins, il y a plus leurs composantes. Nous présenterons un modèle général fondé sur les théories de Seymour Chatman et de Jakob Lothe, qui a emprunté et retravaillé certaines notions du premier. De cette façon, on distingue les composantes suivantes : l’auteur réel (ou historique), le lecteur réel (ou historique), l’auteur implicite, le lecteur implicite, le narrateur littéraire, le narrataire littéraire et le narrateur filmique. Commençons par l’auteur réel27 et lecteur réel28. Selon S. Chatman, le fait qu’il ne faut pas confondre les notions de l’auteur et le narrateur, est devenu évident dans la théorie littéraire. Jakob Lothe développe cette idée. L’auteur historique 29 (sa terminologie pour « l’auteur réel ») est un homme ou une femme qui écrivent un texte narratif. En conséquence, le lecteur historique30 (son « lecteur réel ») est un homme ou une femme qui le lisent. De cette façon, ce sont des figures physiques qui soit existent ou existaient dans la vie réelle. Pour préciser la différence entre l’auteur historique et le narrateur, Jakob Lothe cite un autre

26 « The relationship between narrative prose literature and narrative film thus confirms the point that those narratives which are part of the world around us assume different forms and are expressed in many ways ». LOTHE, J., op. cit., p. 8. Nous traduisons. 27 « Reálný autor ». CHATMAN, S. B., op. cit., p. 153. Nous traduisons. 28 « Reálný čtenář ». CHATMAN, S. B., op. cit., p. 157. Nous traduisons. 29 « Historical author ». LOTHE, J., op. cit., p. 17. Nous traduisons. 30 « Historical reader ». LOTHE, J., op. cit., p. 18. Nous traduisons. 7

théoricien littéraire, J. Hills Miller qui commente sur La promenade au phare (To the Lighthouse) de Virginia Woolf : Une distinction doit être faite ici, comme toujours, entre Virginia Woolf qui est assisse près de sa table avec une feuille de papier vierge devant elle, comme elle écrit La promenade au phare […] et, de l’autre côté, le narrateur imaginé et imaginaire du roman. Le dernier est une autre personne, elle se situe sur une autre place…31

Ensuite, Chatman prête une attention particulière à la notion de l’auteur implicite32. L’auteur implicite peut être reconstruit par le lecteur du récit. Il n’a pas de voix ni aucun autre moyen de communication direct. L’auteur implicite est toujours présent, même s’il y a plusieurs auteurs réels, comme, par exemple, dans un film. D’après J. Lothe, il est ce que le lecteur assemble de tous les composants d’un texte33. Il représente un système de valeurs idéologiques du texte entier. En ce qui concerne le lecteur implicite34, S. Chatman constate qu’il n’est « jamais fait de la chair et du sang, comme moi ou vous quand nous sommes assis dans nos salons et lisons un livre, mais il est un public postulé par le récit lui-même ». J. Lothe ajoute35 que le lecteur implicite et un rôle que nous, les lecteurs, prenons, afin d’être capables de saisir la signification du texte. De cette manière, le lecteur implicite est, en même temps, actif et passif. Il est actif puisqu’il fait le texte significatif et il est passif lorsque le texte est déjà donné à lui, dans son discours et sa narration. Le lecteur implicite, à son tour, est également une construction qui se distingue du lecteur historique (ou réel) et du narrataire. Chatman souligne36, que seulement l’auteur implicite et le lecteur implicite sont immanents au récit, tandis que le narrateur et le narrataire sont potentiels. Le narrateur littéraire37, comme il est décrit par J. Lothe, est un instrument narratif utilisé par l’auteur pour introduire et développer le texte. Il peut y avoir un ou plusieurs narrateurs dans un texte. Le narrateur peut également être un personnage dans le texte ou il peut être le narrateur « pur ». Ensuite, J. Lothe fait une différence entre le narrateur à la première personne et le narrateur à la troisième personne38. Lothe spécifie que celui de la première personne est actif dans le sujet. Il peut être, comme il est mentionné ci-dessus, l’un des personnages du texte. Du point de vue grammatical, le narrateur à la première personne

31 « A distinction must be made here, as always, between Virginia Woolf sitting at her desk with a blank sheet of paper before her, composing To the Lighthouse […], and, on the other hand, the imagined and imaginary narrator of the novel. The latter is a different person, is located in a different place… » LOTHE, J., op. cit., p. 17. Nous traduisons. 32 « Implikovaný autor ». CHATMAN, S. B., op. cit., p. 154. Nous traduisons. 33 LOTHE, J., op. cit., p. 19. 34 « Implikovaný čtenář ». CHATMAN, S. B., op. cit., p. 156. Nous traduisons. 35 LOTHE, J., op. cit., p. 19. 36 CHATMAN, S. B., op. cit., p. 156 37 « The narrator ». LOTHE, J., op. cit., p. 20. Nous traduisons. 38 « First-person and third-person narrator ». LOTHE, J., op. cit., p. 21. Nous traduisons. 8

est signalé par le pronom personnel « je ». Le narrateur à la troisième personne ne prend pas part à l’action du texte, il est en quelque sorte dehors ou au-dessus du sujet. Il a principalement une fonction communicative. En ce qui concerne le choix du pronom personnel, il est possible de référencer le narrateur à la troisième personne soit par « il », soit par « elle », ou parfois par « on »39. Dans certains cas, tous les deux types du narrateur peuvent être présents dans un texte narratif, par exemple quand chaque chapitre (ou partie) d’un texte a son propre narrateur. Le narrateur peut être également fiable et non fiable40. Dans la plupart des cas, comme J. Lothe le constate, nous, les lecteurs, faisons confiance au narrateur, il a « une autorité artificielle ». De cette façon, il est possible de parler du narrateur fiable. Pourtant, s’il y a des signes qui mettent en cause sa fiabilité, nous pouvons parler du narrateur non fiable. Le théoricien nous donne trois critères selon lesquels on peut détecter le narrateur non fiable : 1) le narrateur n’obtient pas un savoir profond sur ce qu’il raconte ; 2) le narrateur a une forte implication personnelle, ce qui fait sa présentation narrative très subjective ; 3) le narrateur représente quelque chose qui entre en conflit avec le système de valeurs du discours entier. Souvent, tous ces critères coexistent et interagissent dans un texte. L’existence du narrateur non fiable est possible dans le cas où il y a plus d’un narrateur dans un seul texte. S. Chatman ajoute41 que ce qui fait le narrateur non fiable est ce que ses valeurs sont absolument différentes par rapport aux valeurs de l’auteur implicite. Le narrataire littéraire, à la différence du lecteur implicite, peut, mais ne doit pas être présent dans le récit. Il peut être un personnage ou il ne peut pas être mentionné explicitement. Le narrataire dans le rôle du personnage, selon S. Chatman42, est seulement l’un des moyens par lesquels l’auteur réel communique avec le lecteur réel. Le narrataire peut être adressé explicitement ou implicitement. D’après J. Lothe43, dans le cas où le narrataire est adressé implicitement, c’est-à-dire, sans les mots « cher lecteur, etc. », il peut jouer le rôle du lecteur implicite. Comme le narrateur ne doit pas être un allié de l’auteur implicite, le lecteur implicite (aussi bien que le lecteur réel) ne doit pas être allié du narrataire, constate S. Chatman44.

39 Un pronom impersonnel correspondant en français à « it » de J. Lothe. 40 « Reliable and unreliable narrator ». LOTHE, J., op. cit., p. 25. Nous traduisons. 41 CHATMAN, S. B., op. cit., p. 155. 42 CHATMAN, S. B., op. cit., p. 157. 43 LOTHE, J., op. cit., p. 20. 44 CHATMAN, S. B., op. cit., p. 154. 9

En ce qui concerne le narrateur filmique, S. Chatman spécifie que ce type du narrateur n’est pas un homme, mais « un agent »45. Il peut être substitué par une ou plusieurs voix narratives. Ainsi, le narrateur filmique n’est pas identique à la voix du narrateur. Afin de comprendre toute la complexité de cette notion, nous présenterons son diagramme46 qui inclut plusieurs composantes. L’auteur en répertorie deux types : « le canal sonore »47 et « le canal visuel »48. Le premier inclut « le genre » du son qui, à son tour, se compose du « bruit », de la « voix » et « musique »49, et « le point de source » qui peut être soit « de l’intérieur de l’écran » ou « hors écran »50. Le second inclut « la nature de l’image » qui se compose de « l’accessoire », de « la place » et de « l’acteur » (celui se divise en « aspect » et « jeu »)51, et « le traité d’imagerie » qui se divise en « filmage » et « montage »52 (les deux composantes se subdivisent en plusieurs autres). J. Lothe, de la même manière que S. Chatman, dit que le film, en tant que forme de communication complexe, a un « envoyeur »53 (« l’agent » chez S. Chatman). Le narrateur filmique représente tous les moyens de communication d’un film et il est l’instrument de communication du cinéaste. À la différence du narrateur littéraire, le narrateur filmique n’obtient pas de qualités humaines, comme par exemple le narrateur à la troisième personne qui donne de l’information et fait des commentaires, mais il est un instrument technique et mécanique qui contient plusieurs composantes. La notion « d’auteur filmique » est également plus complexe en comparaison avec celle du texte narratif puisqu’il y a plusieurs personnes concernées au processus de la création d’un film. Souvent, le réalisateur peut être considéré comme un auteur parce qu’il a la responsabilité de la création du film.

1.4 Les personnages de la narration romanesque et cinématographique

V. Propp, dans son étude Morphologie du conte, exprime l’idée que les fonctions de personnage, le rôle dans le récit est un élément très important et fédérateur. Ces fonctions sont

45 « Činitel ». CHATMAN, Seymour, Dohodnuté termíny: rétorika narativu ve fikci a filmu, V Olomouci, Univerzita Palackého, 2000, p. 132. Nous traduisons. 46 CHATMAN, S., op. cit., p. 133. 47 « Zvukový kanál ». Ibid. Nous traduisons. 48 « Vizuální kanál ». Ibid. Nous traduisons. 49 « Druh, hluk, hlas, hudba ». Ibid. Nous traduisons. 50 « Bod původu, na plátně, mimo plátno ». Ibid. Nous traduisons. 51 « Přirozenost obrazu, rekvizita, místo, herec, vzhled, hráni ». Ibid. Nous traduisons. 52 « Pojednání obrazu, filmování, střihání ». Ibid. Nous traduisons. 53 « Sender ». LOTHE, J., op. cit., p. 29. Nous traduisons. 10

réparties entre un nombre limité de « sphères d'action »54. De cette manière, nous pouvons voir une autre façon de systématiser ce qui se passe durant la transposition du roman en film, constate Brian McFarlane55. R. Barthes, qui a fondé son œuvre sur les conceptions de V. Propp, utilise la notion de « fonctions cardinales (ou noyaux) »56. Selon V. Propp, la fonction est considérée comme un acte de caractère (i.e. personnage), défini à partir du point de vue de son importance pour le cours de l'action57. Le nombre de fonctions contenues dans le conte (éventuellement, dans un autre genre littéraire, comme le spécifie B. McFarlane58) est limité. En ce qui concerne la succession de fonctions, elle est identique. Précisons ces fonctions, comme elles sont dans l’essai de V. Propp. Le théoricien distingue 7 fonctions de personnage59, qui sont soit combinées dans un protagoniste de l’histoire ou réparties entre plusieurs d’entre eux. Ils apparaissent dans le récit à un moment déterminé, et ils ont une sphère d’action limitée. L’agresseur apparaît deux fois : la première fois, par surprise et la seconde, parce que le héros le cherche. Le donateur est rencontré par hasard. L’auxiliaire magique est introduit en tant que don reçu du donateur. La princesse et son père sont introduits dans la situation initiale. Le mandateur, le héros et le faux héros tous font également partie de la situation initiale. Afin de mieux comprendre ces fonctions, il est nécessaire d’analyser la séquence générale du conte 60 , comme elle est présentée dans la Morphologie du conte. La première partie de cette séquence est introduite comme phase préparatoire, constituée de stades suivants : l’éloignement (l’un des membres de la famille s’éloigne de la maison), l’interdiction (le héros reçoit une interdiction ou un ordre), la transgression (l’interdiction ou l’ordre est rompu), l’interrogation (l’agresseur essaye de trouver des informations), l’information (l’agresseur les reçoit), la tromperie (l’agresseur essaye de tromper le héros) et la complicité (le héros se laisse tromper et il aide l’agresseur). Ce stade est suivi par le nœud de l’intrigue qui peut être constitué par : le méfait (l’agresseur fait tort à l’un des membres de la famille) ou le manque (il manque quelque chose à l’un des membres de la famille), la médiation ou le moment de liaison (le méfait ou le manque est révélé, on demande au héros de les résoudre), le début de l’opposition à

54 « Okruh jednání ». PROPP, Vladimir Jakovlevič, Morfologie pohádky: se studií Clauda Lévi-Strausse. Praha: Ústav pro českou literaturu ČSAV, 1970, p. 96. Nous traduisons. 55 MCFARLANE, Brian, Novel to Film. An Introduction to the Theory of Adaptation. New York: Oxford University Press, 1996, p. 24. 56 BARTHES, Roland, Introduction à l’analyse structurale des récits. In : Communications, 8, 1966. Recherches sémiologiques : l’analyse structurale du récit, p. 9. 57 PROPP, V. J., op. cit., p. 96. 58 McFARLANE, B., op. cit., p. 24. 59 « Škůdce », « dárce », « pomocník », « carova dcera a její otec », « odesilatel », « hrdina », « nepravý hrdina ». PROPP, V. J., op. cit., p. 96-97. Nous traduisons. 60 PROPP, V. J., op. cit., p. 40-82. 11

l’agresseur (le héros accepte la quête), le départ du héros. Dès ce moment, la première séquence commence : première fonction du donateur (le héros est éprouvé par le donateur avant de recevoir l’auxiliaire magique), la réaction du héros (aux actions du donateur), un objet magique est mis à la disposition du héros, le transfert jusqu’au lieu fixé (le héros est près du lieu où se trouve l’objet cherché), le combat (le héros affronte son agresseur), la marque (le héros est marqué par le combat), la victoire (le héros vainc l’agresseur), la réparation (le méfait est réparé, le manque est compensé), le retour du héros. La première séquence peut être répétée plusieurs fois. La seconde séquence, à son tour, conclut le conte. Elle est constituée par : la poursuite (le héros est poursuivi), le secours (le héros est assisté), l’arrivée incognito (le héros arrive incognito dans sa contrée ou une autre), les prétentions mensongères (un faux héros fait les prétentions mensongères), la tâche difficile (le héros se voit proposer une tâche difficile), la tâche est accomplie, la reconnaissance (le héros est reconnu grâce à sa marque), la découverte (le faux héros est démasqué), la transfiguration (le héros change de l’apparence), la punition (le faut héros ou l’agresseur sont punis), le mariage (le héros épouse la princesse et il devient le roi). Les éléments « combat » et « tâche difficile », « victoire » et « tâche est accomplie » ont la même fonction et s’excluent. Après avoir donné une référence à la classification de V. Propp, B. McFarlane suggère que […] compte tenu de genre d'adaptation effectuée, on peut isoler les fonctions de caractères principaux de l'original et observer dans quelle mesure ceux-ci sont conservés dans la version cinématographique […] en observant ces fonctions, réparties entre sept «sphères d'action » […] on pourrait déterminer si le réalisateur a cherché à préserver la structure sous- jacente de l'original ou de le retravailler radicalement. Une telle étude donnerait une base plus solide pour la comparaison en triant quelles fonctions sont essentielles à la narration61.

Il existe d’autres points de vue sur la notion de personnage et ses fonctions dans le récit. J-M. Clerc, en parlant du « texte romanesque d’un genre nouveau »,62 anticipe que […] la définition du personnage comme « système d’équivalence » établies au long du roman entre plusieurs « étiquettes signifiantes » […] se perd dans le soupçon introduit perpétuellement sur les possibilités d’indentification de ce héros, présenté tantôt comme lui- même, tantôt comme un autre. De ce fait, se trouvent annulés tous les procédés différentiels sur lesquels reposait traditionnellement l’élaboration progressive du personnage63.

61 « […] in considering what kind of adaptation has been made, one might isolate the chief character functions of the original and observe how far these are retained in the film version […] by observing these functions, distributed among seven spheres of action […] one could determine whether the film-maker has aimed to preserve the underlying structure of the original or radically to rework it. Such a study would give a firmer basis for comparison by sorting out what functions are crucial to the narrative ». MCFARLANE, B., op. cit., p. 25. Nous traduisons. 62 CLERC, J.-M., op. cit., p. 198. 63 Ibid. 12

De cette façon, la théoricienne signale l’instabilité du héros, des difficultés de reconnaissance, la dissolution du personnage par rapport aux « images auxquelles on s’identifie »64. J.-M. Clerc précise que si le personnage se projette sur les images autour lui, il se transforme lui-même en une image et perd son identité. Nous pouvons dire que J. Lothe est, comme il peut paraître, le partisan du concept du personnage moderne. Selon lui, on peut observer une tendance d'accorder une priorité inférieure à la notion de personnage65. Pourtant, il présente également des faits qui supportent l’importance de cette notion. Il donne plusieurs exemples, comme celui d’Aristote qui utilise le concept de personnage dans sa Poétique et le dote d’une importance signifiante ou R. Barthes, qui fournit à la catégorie de personnage sa propre sous-catégorie de « code sémique »66. Ensuite, J. Lothe suggère que le personnage et l’histoire (ou l’intrigue) sont mutuellement dépendants l’un de l’autre, puisque la question de « développement du personnage »67 est une notion clé pour la progression du texte narratif. Le personnage, en se développant tout au long du récit, peut changer les évènements de l’histoire. R. Barthes, déjà mentionné ci-dessus, soulève l'importance du concept de personnage dans son essai S/Z, en soulignant que le narrateur littéraire de la première personne est, en même temps, un personnage du récit68. Voilà comment il définit le personnage : Le personnage est donc un produit combinatoire : la combinaison est relativement stable (marquée par le retour des sèmes) et plus ou moins complexe (comportant des traits plus ou moins congruents, plus ou moins contradictoires) ; cette complexité détermine la « personnalité » du personnage, tout aussi combinatoire que la saveur d’un mets ou le bouquet d’un vin69.

Ensuite, il démontre l’importance du nom propre qui prédéfinit le comportement et le développement de personnage. À la notion de personnage, il oppose une autre notion, celle de figure. Pour lui, la figure est « une configuration incivile, impersonnelle, achronique, de rapports symboliques »70. Le personnage compris comme la figure peut osciller entre deux rôles, par exemple « la femme-enfant » ou « le narrateur-père ». Les rôles peuvent changer au cours de l’histoire. Ainsi, « la femme-fille » peut devenir « la femme-reine », tandis que « le narrateur-père » devient « le narrateur-esclave ». Dans ce cas, selon R. Barthes, le personnage devient une entité symbolique et perd son nom.

64 CLERC, J.-M., op. cit., p. 192. 65 LOTHE, J., op. cit., p.77. 66 « Semic code ». Ibid. Nous traduisons. 67 « Development of character ». LOTHE, J., op. cit., p. 72. Nous traduisons. 68 BARTHES, Roland, S/Z, Paris, Éditions du Seuil, 1970, p. 74. 69 Ibid. 70 Ibid. 13

À part la notion de personnage, il est nécessaire de mentionner le concept de « caractérisation », introduit par J. Lothe : « personnages sont établis par la caractérisation, i. e. grâce à des indicateurs de personnages dans le discours »71. Il distingue deux types de ces indicateurs dans le texte : la définition directe 72 et la présentation indirecte.73 Dans le cas où le premier type est présent, le personnage est caractérisé d'une manière résumente directe - par exemple au moyen d'adjectifs ou substantifs abstraits. En ce qui concerne le second type, il démontre, dramatise ou illustre une fonction du personnage donné, plutôt que de la nommer explicitement. Ce dernier a, à son tour, quelques variantes : l’action, le langage (ou le parole), l’apparence et le comportement du personnage et le milieu. « Les éléments divers de la caractérisation sont en général combinée l’un avec l'autre dans le discours [...] [Ils] sont liés aux autres aspects constitutifs de la littérature narrative »74, ajoute J. Lothe. En ce qui concerne les personnages du film, il y est également présent le concept de caractérisation. Pourtant, les moyens de la présentation se diffèrent largement dans les deux médias. Le film est capable de montrer des traits externes et les combiner avec la caractérisation par la parole et l’action75. Si nous nous adressons à S. Chatman et ses méditations sur la notion de personnage, nous verrons qu’il a consacré une partie signifiante de son œuvre à cette question. Il prête notre attention à la nécessité de développer ce concept : À l'heure actuelle, le concept de « trait » est plus ou moins tout ce que nous avons pour discuter du personnage. Cependant, il faut souligner que le transfert de ce concept aux êtres de fiction est plutôt conventionnel qu’inévitable. La théorie exige que la pensée soit ouverte aux autres options qui pourraient mieux répondre aux besoins de la construction narrative.76

De cette façon, le théoricien essaye de compléter cette notion, ou concept, de personnage. Il dispute avec ceux qui considèrent le personnage être associé aux mots par lesquels il est introduit dans le texte. Selon lui, il est possible de séparer les personnages des mots et les mémoriser indépendamment77. Il suggère également qu’une théorie vivace du personnage devrait rester ouverte et travailler avec les personnages comme avec des êtres

71 « They are established as characters through characterization, i.e. through character indicators in the discourse ». LOTHE, J., op. cit., p. 81. Nous traduisons. 72 Ibid. 73 LOTHE, J., op. cit., p. 82. 74 « Various elements of characterization are as a rule combined with one another in the discourse […] [They] are related to other constituent aspects of narrative literature ». LOTHE, J., op. cit., p. 84. Nous traduisons. 75 LOTHE, J., op. cit., p.86. 76 « V současnosti je koncept « rysu » asi tak všechno, co máme pro diskusi o postavě k dispozici. Musíme ovsem zdůraznit, ze přenesení tohoto pojmu na fikční bytosti je spíše konvenční než nevyhnutelné. Teorie vyžaduje myšlení otevřené dalším možnostem, které by mohly lepe vyhovovat potřebám tohoto narativního konstruktu ». CHATMAN, S. B., op. cit., p. 113. Nous traduisons. 77 CHATMAN, S. B., op. cit., p. 124. 14

autonomes et jamais comme des fonctionnes du récit78. Malgré le fait qu’il a évoqué le concept de « trait » étant obsolète, le théoricien essaie de donner sa propre compréhension de lui. Selon S. Chatman, les traits sont toujours relativement stables. Le fait que les traits ont des noms, comme par exemple des adjectifs ou des noms « parlants », signifie qu’ils sont culturellement codés. Il introduit le concept « d’adjectif narratif » 79 qui n’est pas nécessairement un vrai adjectif, mais plutôt un trait qui peut être reconstruit au niveau de l'histoire. De cette façon, conclut S. Chatman, il est exact de dire que tous les caractéristiques personnelles relativement stables peuvent grosso modo être nommées les traits 80 . Le personnage peut être également présenté comme « un paradigme des traits » 81 , qui, contrairement au paradigme linguistique, fonctionne avec les qualités présentes. Les traits ne se délimitent pas par un lieu ou ordre fixe dans l’histoire. Sa manière de présentation du personnage nous rappelle de l’idée de caractérisation de J. Lothe, présentée ci-dessus. Une classification intéressante des types de personnages a été faite par E. M. Forster dans son livre Aspects du roman. Il distingue des personnages « plats »82 et « en relief »83. Un personnage plat peut être caractérise par une ou très peu « idées » ou « qualités »84. De cette manière, le comportement de ce type de personnage est hautement prévisible. Le personnage plat peut s’exprimer par une seule phrase, laquelle le présente le mieux. Selon E. M. Forster, ce type de personnage est hautement favorable pour un roman, puisque il n’a pas besoin d’être présenté de nouveau. En outre, nous ne sommes pas obligés d’observer son développement et il est facile de le retenir en mémoire. Les personnages plats sont les mieux quand ils sont comiques, tandis que s’ils sont sérieux ou tragiques, ils cessent d’être intéressants pour nous85. Seulement les personnages en relief peuvent être tragiques ou sont capables d’évoquer autres émotions ou envies, que s’amuser. Ce type de personnage dispose un grand nombre de qualités qui peuvent même être contradictoires. Il n’est pas facile d’anticiper leur comportement : ils changent, ils peuvent nous surprendre. Ce type de personnage a des traits de l’être humain. Le personnage plat a une direction claire, tandis que le personnage en relief est difficile à comprendre, mais il peut inspirer un sens plus profond de confidentialité du côté du lecteur. Les personnages en relief fonctionnent comme des constructions ouvertes

78 CHATMAN, S. B., op. cit., p. 125. 79 « Narativní adjektivum ». CHATMAN, S. B., op. cit., p. 130. Nous traduisons. 80 CHATMAN, S. B., op. cit., p. 131. 81 « Paradigma rysů ». CHATMAN, S. B., op. cit., p. 132. Nous traduisons. 82 « Ploché postavy ». FORSTER, Edward Morgan, Aspekty románu. V Bratislave: Tatran, 1971, p. 69. Nous traduisons. 83 « Plastické postavy ». FORSTER, E. M., op. cit., p. 71. Nous traduisons. 84 « Myšlienka », « vlastnosť ». FORSTER, E. M., op. cit., p. 69. Nous traduisons. 85 FORSTER, E. M., op. cit., p. 73. 15

permettant une meilleure compréhension. Ils semblent être la source pratiquement inépuisable de réflexion. Les preuves de leurs fonctions peuvent être en quelque sorte vagues. Les films sont particulièrement habiles à effectuer laconiquement la vie intérieure des personnages.

1.5 Le temps et l’espace de la narration romanesque et cinématographique

Dans la partie de son œuvre, consacrée au temps et à la narration, J.-M. Clerc souligne la difficulté, affrontée par le récit filmique par rapport à l’expression de relations spatio- temporelles : Si un certain nombre de conventions visuelles – ouvertures et fermetures à l’iris, fondu enchainé, calendrier s’effeuillant – ont été tour à tour utilisées, avec des succès variables, pour donner au spectateur l’impression du passage du temps, elles restent, pour la plupart, de l’ordre du trucage et mettent en évidence la difficile maniabilité du temps au cinéma86.

L’auteur mentionne deux notions, celle « d’accéléré »87 et celle de « ralenti » 88 qui « sont présents dans le roman contemporain à titre de métaphores renvoyant le plus souvent à une durée subjective s’opposant à la chronologie historique »89. L’accéléré crée l’impression de tension, de rythme « frénétique ». Le ralenti de l’action est, à son tour, utilisé le plus souvent en connexion avec les scènes de la mort et de la quête d’identité. Il retarde également l’issue fatale, intensifie le suspens dramatique, transforme le personnage. Le personnage a tendance à interroger soi-même sur sa propre existence90. J.-M. Clerc lie cette notion à celle de « surimpression »91 comprise comme des « souvenirs d’amour, souvenirs d’enfance, le passé finit par se superposer au présent… »92 L’autre différence apparaît quand il s’agit de comparer les relations temporelles du récit littéraire et du récit filmique. D’après J. Monaco, le film est plus limité en ce que concerne le temps : Parce que le film fonctionne en temps réel, il est plus limité. Romans finissent seulement quand ils en ont envie. Le film est, en général, limitée à ce que Shakespeare appelle « les courts deux heures du trafic de notre plateau »93.

86 CLERC, J.-M., op. cit., p. 177. 87 CLERC, J.-M., op. cit., p. 178. 88 Ibid. 89 Ibid. 90 CLERC, J.-M., op. cit., p. 180. 91 Ibid. 92 CLERC, J.-M., op. cit., p. 181. 93 « Because film operates in real time, it is more limited. Novels end only when they feel like it. Film is, in general, restricted to what Shakespeare called the short two hours’ traffic of our stage ». MONACO, J., op. cit., p. 27. Nous traduisons. 16

Selon le théoricien, « le film commercial » ne peut pas reproduire la gamme du roman dans le temps, car un scénario moyen varie, grosso modo, entre 125 et 150 pages, tandis qu’un roman moyen est souvent deux fois plus grand. En conséquence, plusieurs détails sont perdus durant la transposition de livre en film. La seule version filmique qui peut surmonter ces difficultés est la série, puisqu’elle dispose de la durée du roman. J. Lothe a consacré un chapitre entier de son ouvrage aux notions de temps et d’espace narratifs. En parlant du temps narratif, il souligne la complexité de ce concept : « Une partie de ce qui rend la notion de temps si complexe est ce qu'il est lié à la fois au monde physique et à notre perception du monde… » 94 C’est- à-dire, cette perception est influencée par notre époque, par les changements dans les domaines tels que les médias, l’informatique, etc. Par conséquent, la question du temps est cruciale pour plusieurs textes littéraires. Selon J. Lothe, les relations temporelles entre la narration et les évènements de l’histoire peuvent varier et il y a quatre variantes principales : « la narration rétrospective », « la narration préventive », « la narration contemporaine » et « la narration enchâssée »95. Dans le cas de la première variante qui est, d’après l’auteur, la plus fréquente et aussi la plus importante, les évènements de l’histoire sont mentionnés après ils ont été commis. La distance entre la narration et les évènements peut être, par exemple, 15 ans ou elle ne peut pas être spécifiée du tout. La seconde variante est très rare dans le cas de la littérature moderne, mais elle peut être trouvée dans les textes comme l’Ancien Testament où les prophètes prédisent l'avenir de l’humanité. La troisième variante présente les évènements en tant que presque contemporaines au moment de la narration, ce qui est, comme le suggère J. Lothe, pas entièrement le cas, puisque le texte écrit indique la distance de l’acte de narration. La dernière variante peut être trouvée dans les romans épistolaires ou les journaux. Dans ce cas, les actes de narration changent en même temps que les actions narrées. Ensuite, J. Lothe se réfère à l’œuvre de Gérard Genette. Nous ferons la même chose. L’un des pères-fondateurs de la narratologie en France, Gérard Genette, est l’auteur de plusieurs livres dans ce domaine. Nous avons choisi l’un d’eux, Les figures III où il parle de trois termes principaux en relation avec le temps narratif : « l’ordre »96, « la durée »97 et « la fréquence » 98 . L’ordre, comme il est présenté par G. Genette, est l’ordre temporel

94 « Part of what makes the concept of time so complex is that it is linked both to the physical world and to our perception of the world… » LOTHE, J., op. cit., p. 49. Nous traduisons. 95 « Retrospective narration, pre-emptive narration, contemporary narration, embedded narration ». LOTHE, J., op. cit., p. 52-53. Nous traduisons. 96 GENETTE Gérard, Figures III, Paris, Editions du Seuil, 1972, p. 77-121. 97 GENETTE G., op. cit., p. 122-144. 98 GENETTE G., op. cit., p. 145-182. 17

d’évènements dans l’histoire en relation avec la présentation de ces évènements dans le discours narratif. Si dans le texte il y a des écarts de la chronologie de l’histoire, on peut parler de l’anachronie ce qui a deux variantes principales : « l’analepse » et « la prolepse ». Il est possible de parler de l’analepse, si la narration saute à un point plus récent dans l’histoire. G. Genette distingue trois types d’analepse : « l’analepse externe », « l’analepse interne » et « l’analepse mixte ». Dans le cas où le premier type est présent, le temps de l’histoire dans l’analepse est hors et avant le temps du récit principal, c’est-à-dire la narration saute jusqu’au point dans l’histoire avant le récit principal commence. Si nous parlons du second type, la narration va à un point plus récent dans l’histoire, mais ce point se situe dans l’histoire principale. Le dernier type présente la période temporelle couverte par l’analepse qui commence avant, mais elle mène au récit principal. L’analepse interne est la plus importante d’entre-elles. G. Genette distingue également deux types de cette dernière : « l’analepse interne homodiégétique » qui traite la même ligne d’évènements que le récit principal, et « l’analepse interne hétérodiégétique » qui traite l’action différente par rapport au récit principal. En ce qui concerne la prolepse, elle évoque un évènement qui prendra place plus tard. La prolepse est beaucoup plus rare que l’analepse et elle peut être rencontrée le plus fréquemment dans le récit de la première personne. Cette forme d’anachronie peut souvent être non visible et elle devient remarquable de la seconde lecture d’un texte littéraire. La durée, comme elle est présentée par G. Genette, peut être comprise comme une relation entre le temps de l’histoire le temps de la narration. L’auteur y distingue quatre types : « la pause », « la scène », « le sommaire » et « l’ellipse ». Le point de référence pour cette classification est ce que G. Genette appelle « constance de vitesse » : On entend par vitesse le rapport entre une mesure temporelle et une mesure spatiale (tant de mètres à la seconde, tant de secondes par mètre) : la vitesse du récit se définira par le rapport entre une durée, celle de l'histoire, mesurée en secondes, minutes, heures, jours, mois et années, et une longueur : celle du texte, mesurée en lignes et en pages99.

Dans le cas où la pause est présente, la durée de l’histoire est égale à zéro et la vitesse est minimale. La pause est très fréquente dans les textes littéraires et elle peut jouer des rôles différents. On peut parler des descriptions de la nature, des personnages, etc. L’un de ces fonctions peut être celle de créer la tension, d’évoquer l’intrigue et l’intérêt chez le lecteur. Si nous parlons de la scène, elle apparait également très fréquemment et la vitesse est moyenne ici. Le temps de la narration est égal à celui de l’histoire. L’une des formes de la scène est le dialogue. La scène peut être utilisée afin de créer une atmosphère dramatique. Le sommaire

99 GENETTE G., op. cit., p. 123.

18

présente la situation où le temps de la narration est moins long que celui de l’histoire et la vitesse est également moyenne. C’est-à-dire, une ou quelques phrases peuvent se rapporter à un évènement beaucoup plus long en ce qui concerne le temps de l’histoire. Le sommaire est très courant dans la littérature. Si la vitesse est maximale, on peut parler de l’ellipse. Le cas échéant, le temps de la narration est égal à zéro par rapport au temps de l’histoire. G. Genette distingue deux types d’ellipse : « ellipse explicite » quand le texte indique quelle partie de l’histoire est « sautée », et « ellipse implicite » quand le texte n’indique pas ce saut et il peut être compris grâce au contexte, par exemple. En ce qui concerne la dernière composante ce qui est la fréquence, pour G. Genette elle se rapporte à la relation entre combien de fois un évènement se produit dans l’histoire et combien de fois il est narré dans le texte. Il y a trois types de cette relation : « la narration singulative » quand ce qui se passe une fois est mentionné une fois, « la narration répétitive » quand ce qui se passe une fois est mentionné plusieurs fois et « la narration itérative » quand ce qui se passe plusieurs fois est mentionné une fois. S. Chatman distingue « le temps du discours » 100 ce qui est, selon lui, « la durée de lecture du discours » 101 et « le temps de l’histoire »102 dont il interprète comme « la durée des évènements supposés du récit »103 . L’auteur propose un autre concept pour le temps, celui de « MAINTENANT narratif »104 ce qui signifie que le récit fournit l’impression de moment présent, et qui est de la même manière divisé en « le MAINTENANT du discours » 105 et « le MAINTENANT de l’histoire »106. Cette division nous rappelle celle effectuée par J. Lothe en relation avec l’espace qui a été évoquée ci-dessus. De la même manière que J. Lothe, S. Chatman considère l’analyse de G. Genette être « le point de départ de chaque débat moderne »107 qui, par conséquent, constituera la base de l’analyse temporelle des romans et films choisis. Ensuite il parle des moyens de manifestation de différences temporelles, c’est-à- dire d’éléments grammaticaux et sémantiques ce qui nous renvoie à la partie suivante de notre travail consacrée au langage de la narration romanesque et cinématographique. « Etant donné que la notion de temps est liée à la fois au monde physique et à notre perception du monde, elle est également liée à l’espace narratif, c’est-à-dire à l'univers fictif

100 « Čas diskursu ». CHATMAN S., op. cit., p. 64. Nous traduisons. 101 « Doba, po kterou trvá čtení diskursu ». Ibid. Nous traduisons. 102 « Čas příběhu ». Ibid. Nous traduisons. 103 « Trváni domnělých událostí narativu ». Ibid. Nous traduisons. 104 « Narativní NYNÍ ». Ibid. Nous traduisons. 105 « NYNÍ diskursu ». Ibid. Nous traduisons. 106 « NYNÍ příběhu ». Ibid. Nous traduisons. 107 « Východisko jakékoli současné debaty ». Ibid. Nous traduisons. 19

dont le texte présente à travers son discours narratif »108, constate J. Lothe, ce qui exprime le principe des relations spatio-temporelles. Selon l’auteur, ces relation sont visibles le mieux dans les textes dont le thème principal est voyage, puisque, en suivant le personnage (les personnages) traverser les pays différents au cours du temps, nous avons une claire image de comment ces deux notions coopèrent et interagissent. Ensuite, en ce qui concerne l’espace narratif dans le texte narratif, ou la prose verbale, il est nécessaire de distinguer « l’espace de l’histoire » 109 ce qui représente les évènements, les personnages et le lieu (les lieux) de l’action dans le discours et « l’espace du discours »110 ce qui est « l’espace du narrateur »111. Si nous parlons de l’espace du film, cette notion est particulièrement importante. Voilà ce que J. Lothe dit dans la partie de son ouvrage consacrée au temps et à l’espace dans le film : […] le film présuppose l'espace (il affiche en succession rapide une série d'images, et chaque image est une impression spatiale) […] Le film complique et modifie l’espace stable de l’image par le mettre en marche et en ajoutant le son et par l'introduction des séquences des images et des combinaisons des événements112.

De cette façon, nous, en tant que spectateurs d’un film, travaillons toujours avec l’espace, en observant les scènes, les images, les évènements, etc. Tout cela change également au cours du temps, comme c’est le cas dans le texte narratif. Ce qui est différente en termes du film, nous pouvons témoigner directement ces changements, les voir autrement dit, tandis que dans le texte narratif on peut les seulement imaginer. Pour cette raison, il est très intéressant de comparer la présentation de ces relations dans une adaptation filmique, voir si le réalisateur les a correctement exprimé, quels lieux il a choisi, puisque parfois il est suffisant d’omettre quelques détails pour changer l’idée entière du texte. S. Chatman distingue lui aussi « l’espace de l’histoire » 113 et « l’espace du discours »114. Selon lui, cette différence est le plus visible dans les « récits visuels »115, c’est- à-dire, dans les films. Le théoricien prête une grande attention à l’espace de l’histoire. En ce qui concerne le film, l’espace de l’histoire est dans ce cas « littéral »116 , ce qui signifie que les

108 « Since the concept of time is linked to both the physical world and our perception of the world, it is also related to narrative space, i.e. the fictional universe which the text presents through its narrative discourse ». LOTHE, J., op. cit., p. 49. Nous traduisons. 109 « Story space ». LOTHE, J., op. cit., p. 50. Nous traduisons. 110 « Discourse space ». Ibid. Nous traduisons. 111 « Narrator’s space ». Ibid. Nous traduisons. 112 « […] film presupposes space (a film displays in rapid succession a series of images, and each image is a spatial print) […]Film complicates and changes the image’s stable space by setting it in motion and adding sound, and by introducing sequences of images and combinations of events ». LOTHE, J., op. cit., p. 62. Nous traduisons. 113 « Prostor příběhu ». CHATMAN, S., op. cit., p. 100. Nous traduisons. 114 « Prostor diskursu ». Ibid. Nous traduisons. 115 « Ve vizuálních narativech ». Ibid. Nous traduisons. 116 « Doslovný ». CHATMAN, S., op. cit., p. 101. Nous traduisons. 20

objets, la grandeur, les relations sont analogiques à ceux du monde réel. S. Chatman mentionne quelques composantes de l’espace de l’histoire du film : « la taille, ou la grandeur »117, « le contour, la texture, la satiété »118, « la position »119, « le degré, le type et la zone de l’éclairage reflété » 120 , « la clarté ou le degré de la définition optique »121 . La première composante constate que chaque personne ou chaque objet du film ont sa grandeur qui corresponde à sa grandeur normale au monde réel et ils se situent à une certaine distance de la lentille de la caméra. La seconde dit que les contours linéaires sont sévèrement analogiques aux objets filmés. Pourtant, le film étant un média en deux dimensions tient que projeter leur troisième dimension. La texture peut être réalisée par l’intermédiaire d’ombres. La troisième composante signale que chaque personnage ou chaque objet se situent soit verticalement soit horizontalement par rapport aux autres personnages et objets du film, à certain angle par rapport à la caméra, etc. La quatrième composante est grosso modo liée au degré de l’éclairage. La cinquième composante est liée à la focalisation. Comme le constat S. Chatman, l’espace de l’histoire cinématographique est hautement flexible ce qui est atteint grâce à la mobilité continue du film. Dans le cas du récit verbal, ou textuel, l’espace de l’histoire est, d’après S. Chatman, abstrait et demande quelque sorte de « reconstruction dans la pensée du lecteur »122 : Dans le récit verbal l’espace de l’histoire est éloignée du lecteur doublement […] Le lecteur voit les objets ou les personnages et leur espace dans son imagination et les transforme de mots en projections mentales. Il n’y a pas « d’image standard » de l’objet ou du personnage comme dans le film123.

De cette manière, l’espace de l’histoire du texte est abstrait, c’est-à-dire il est plutôt une idée que quelque chose réel. Il peut être limité par un certain espace tel que par exemple une île, etc. S. Chatman réfère l’espace du discours à cette limitation et il la définit comme « une centre de l’attention spatiale »124 ce qui est un champ limité auquel l’attention du lecteur est attiré. Ensuite, une autre notion importante mentionnée par l’auteur est le point de vue. Nous, les lecteurs, dépendons du point de vue du narrateur, du personnage, de l’auteur impliqué, etc. De cette façon, l’espace de l’histoire est ce que le texte force le lecteur à se

117 « Měřítko čili velikost ». CHATMAN S., op. cit., p. 101. Nous traduisons. 118 « Obrys, textura, sytost ». CHATMAN S., op. cit., p. 101. Nous traduisons. 119 « Poloha ». CHATMAN S., op. cit., p. 102. Nous traduisons. 120 « Stupeň, druh a oblast odraženého osvětlení ». Ibid. Nous traduisons. 121 « Jasnost čili stupeň optické rozlišenosti ». Ibid. Nous traduisons. 122 « Rekonstrukce v čtenářově mysli ». CHATMAN S., op. cit., p. 101. Nous traduisons. 123 « Ve verbálním narativu je prostor příběhu čtenáři vzdálen dvojnásobné […] Čtenář vidí […] existenty a jejich prostor ve své fantazii, transformuje je ze slov do mentálních projekcí. Neexistuje tu « standartní obraz » existentů jako ve filmu ». CHATMAN S., op. cit., p. 105. Nous traduisons. 124 « Ohnisko prostorové pozornosti ». CHATMAN S., op. cit., p. 106. Nous traduisons. 21

construire dans son imagination par l’intermédiaire de la perception des personnages ou des commentaires du narrateur. Si nous comparons l’espace filmique et celui du texte, nous pouvons y trouver certains traits communs, aussi bien que certaines différences. L’un des traits communs est la notion de « l’œil de la caméra » ce qui signifie que nous, soit comme les lecteurs soit comme les spectateurs, sommes capables de voir des objets ou des personnages de la distance et des angles différents. Cependant, il y a beaucoup plus de différences entre ces deux types d’espace. Par exemple, dans le cas du film, les images sont limitées par le cadre filmique125 , tandis qu’il n’y a rien comme cela dans le texte. D’un autre côté, le film n’est pas capable de décrire ou d’arrêter l’action, mais il peut seulement nous laisser voir. Nous présenterons les moyens linguistiques utilisés pour la présentation de l’espace dans la partie suivante.

1.6 Le langage de la narration romanesque et cinématographique

Comme nous l’avons évoqué à la fin de la partie précédente, nous préférons de parler des moyens de la manifestation des différences temporelles, proposés par S. Chatman dans la présente partie de ce travail puisqu’ils sont de la nature linguistique. Voilà comment l’auteur définie ces moyens : Les récits verbaux signalent le temps de l’histoire non seulement par un certain nombre de moyens grammaticaux tels que le temps verbal, le mode (« l’attitude du locuteur à la réalisation du prédicat ») l’aspect (la durée de l'activité qui peut être représentée soit par un moment soit par une période plus longue, etc.) ou les adverbes, mais aussi par les moyens sémantiques. Le film a également ses propres méthodes de marquage des changements temporels dans l'histoire, même s’il n’est pas possible à dire si nous les pouvons considérer comme une « grammaire »126 .

Commençons par les temps verbaux. S. Chatman distingue quatre phases narratives 127 : « l’avant-passé », « le passé », « le présent » et « le futur ». Il mentionne également l’existence de la référence du temps « non-temporelle »128, ou de « l’absence du temps » 129 ce qui est le cas pour les énonciations formées par le présent et qui décrivent les

125 CHATMAN S., op. cit., p. 82. 126 « Verbální narativy signalizují čas příběhu nejen pomocí celého souboru gramatických prostředku, jako jsou slovesný čas, způsob (« postoj mluvčího k realizaci predikátu »), vid (trvání činnosti – okamžik, delší období apod.) nebo adverbia, ale i prostředky sémantickými. Také film má své vlastní metody označování časových změn v příběhu, i když nelze jednoznačné říci, zda je můžeme povazovat za « gramatiku » . CHATMAN S., op. cit., p. 82. Nous traduisons. 127 « Praminulost, minulost, přítomnost, budoucnost » . CHATMAN S., op. cit., p. 83. Nous traduisons. 128 « Nečasová reference času ». Ibid. Nous traduisons. 129 « Absence času ». Ibid. Nous traduisons. 22

choses ou les évènements ordinaires comme « La vie est belle » 130 ou « L’or est un métal précieux »131. Selon S. Chatman, la plupart des textes narratifs utilisent la deuxième phase, c’- est-à-dire, le passé. En ce qui concerne le « MAINTENANT du discours », il utilise normalement le présent. Les adverbes temporels sont un autre moyen de la manifestation des différences temporelles. Par exemple, les adverbes comme « cette fois » et « maintenant » accentuent le présent où se trouve le personnage ce qui est nommé par le théoricien « la synchronisation avec le personnage »132. Pourtant, on utilise souvent un nombre minimal de ces moyens133, par exemple, certains auteurs présentent presque chaque évènement au passé simple. Il est possible de comprendre de quel temps on parle grâce au contexte. En ce qui concerne « l’avant-passé » (qui peut être exprimé par le plus-que-parfait dans le français), on l’utilise relativement peu, pour la plupart de cas comme un moyen stylistique. Parfois les évènements passés peuvent être exprimés par le présent qui est dans ce cas référé comme « le présent historique »134. Si nous parlons de la réalisation du temps en film, on peut mentionner que le film peut se développer seulement dans le présent. Néanmoins, presque tous les films utilisent la résumée, le sommaire, l’ellipse, etc. Nous évoquerons également les moyens linguistiques utilisés par les écrivains afin de créer une image mentale de l’espace chez lecteurs, comme ils sont présentés par S. Chatman. D’abord, il mentionne les « mots-qualificatifs »135, par exemple « immense », « poilu », etc. Ensuite, le théoricien parle des « objets avec les paramètres standardisés »136, tels que « le gratte-ciel », « Chevrolet coupé 1940 », etc., qui incluent ces qualificatifs en eux-mêmes, et les comparaisons avec ces standards, comme « un chien tellement grand comme un cheval »137, où le cheval est ce mot-standard. Ces moyens sont explicites, tandis qu’il est possible, selon S. Chatman, d’évoquer les images de l’espace par l’intermédiaire de moyens implicites. Par exemple, la phrase « Jean a levé un haltère de 90 kg par un seul bras »138 montre que Jean est très fort. Certains effets liés à l’espace dans le film aussi bien que dans le texte peuvent être créés grâce aux quelques types de substantifs. Par exemple, les substantifs massifs comme « le brouillard » ou « la boue » créent l’impression d’une grande vastitude et

130 « Život je krásný ». Ibid. Nous traduisons. 131 « Zlato je drahý kov ». Ibid. Nous traduisons. 132 « Synchronizace s postavou ». Ibid. Nous traduisons. 133 CHATMAN S., op. cit., p. 85. 134 « Historický prézens ». CHATMAN S., op. cit., p. 86. Nous traduisons. 135 « Verbální kvalifikátory ». CHATMAN S., op. cit., p. 106. Nous traduisons. 136 « Existenty, jejichž parametry jsou a priori « standardizované ». Ibid. Nous traduisons. 137 « Pes velký jako kůň ». CHATMAN S., op. cit., p. 107. Nous traduisons. 138 « Jan jednou rukou uzvedl devadesátikilovou činku ». Ibid. Nous traduisons. 23

de l’espace large139. Quelques substantifs comptables présentant un vaste ensemble d’objets différents peuvent également créer une impression similaire, comme par exemple « rues », « chiens », « chevaux », « passants », etc. Ces moyens sont utilisés par les auteurs afin de nous faire croire à « l’œil omniprésent du narrateur »140. Jeanne-Marie Clerc présente l’opposition de mots par rapports aux images : La visualité moderne a révélé de nouvelles grilles perceptives à travers lesquelles une autre appréhension du monde s’offre à l’individu, et qui rivalise avec celle, ancestrale, que lui imposaient les mots […] Les mots, qui parlaient à notre place, se trouve disqualifiés dans leur rapport éventuel avec une réalité qui recule indéfiniment à l’horizon de l’écriture…141 Elle constate qu’aujourd’hui les mots sont parfois incapables de « traduire la perception visuelle » 142 en comparaison avec le cinéma. Selon elle, le cinéma dispose également d’autres moyens d’expression, comme par exemple « le tremblement d’un visage, l’hésitation d’un regard »143 , etc. L’auteur suggère que l’écrivain d’aujourd’hui se trouve dans une situation difficile quand il doit se limiter par les mots en décrivant ce que ne peut pas être décrit par eux. Elle cite Claude Mauriac qui est du même avis : Ce qui compte dans ce cinéma-écho, c’est une liberté de langage, non pas reconstituée par un écrivain, mais capturée vivante, reproduite dans sa spontanéité, son flot ample, continu, soudain brisé par un sourire, un soupir (et c’est notre cœur qui est étreint et c’est notre rire qui éclate)144.

Pour J.-M. Clerc les mots imposent quelque sorte de la rationalité linguistique, tandis que le cinéma dispose des images « oniriques et illusionnistes »145. Si nous consultons l’ouvrage de R. Barthes « L’introduction à l’analyse structurale des récits », nous trouverons que l’auteur comprend par la langue du récit : […] il est évident que le discours lui-même (comme ensemble de phrases) est organisé et que par cette organisation il apparaît comme le message d'une autre langue, supérieure à la langue des linguistes : le discours a ses unités, ses règles, sa « grammaire »146.

De cette manière, d’après R. Barthes, il y a une interrelation entre ces deux systèmes, la langue de la linguistique et celle du discours, car, similairement à la première, le discours est constitué par les propositions. Le récit est une grande phrase, tandis que chaque phrase est, à son tour, un petit récit. Le récit utilise, par exemple, les catégories du verbe, telles que le temps, l’aspect, le mode, etc., et il les transforme et répande en conformité avec ses

139 « Velká rozlehlost a široký prostor ». CHATMAN S., op. cit., p. 110. Nous traduisons. 140 « Všudypřítomné vypravěčovo oko ». Ibid. Nous traduisons. 141 CLERC, J.-M., op. cit., p. 200. 142 CLERC, J.-M., op. cit., p. 198. 143 CLERC, J.-M., op. cit., p. 199. 144 Ibid. 145 Ibid. 146 BARTHES, R., op. cit., p. 3. 24

besoins147. De la même façon comme la langue, le récit a également son hiérarchie, c’est-à- dire, ces niveaux que R. Barthes appelle « les instances de description »148. Le théoricien propose d’identifier trois niveaux dans chaque ouvrage narratif : le niveau des « fonctions », le niveau des « actions » et le niveau de la « narration » 149 . Tous les trois niveaux interagissent, car la fonction à sa signification seulement quand elle prend place dans la ligne de l’action, et cette dernière reçoit sa signification quand elle est narrée. S. Chatman compare lui aussi la langue du récit et celle de la linguistique. À cet égard, il nous propose la théorie « des actes de langage » 150 qui s’occupe de la fonction de propositions dans la situation communicative. Selon S. Chatman, quand le locuteur prononce une proposition, il fait au moins deux ou trois choses. D’abord, il construit cette proposition en utilisant les règles grammaticales. Ensuite, en prononçant cette proposition, il effectue un acte indépendant, ou « l’illocution »151, comme par exemple l’illocution d’ordre, de prévision, etc. Si le locuteur atteint l’objectif de son illocution, il réalise sa « perlocution »152, par exemple celle de conviction. Cette théorie nous fournit des moyens à distinguer le langage du narrateur et celui du personnage. De cette façon, les actes de langage du narrateur servent à identifier, à décrire, à généraliser, etc. Les actes de langage du personnage reviennent plutôt à l’histoire qu’au discours. S. Chatman donne quelques exemples d’illocutions du personnage, tels que l’excuse ou l’avertissement 153 . Les personnages utilisent son langage pour les querelles, déclarations d’amour, pour donner des louanges, pour promettre quelque chose, etc. J. Monaco, déjà cité avant, a consacré un chapitre entier de son ouvrage Comment lire un film à la question du langage filmique. Voilà ce qu’il dit à cet égard : Le film n’est pas une langue comme l’anglais, le français, ou la mathématique […] Mais le film est très similaire à une langue […] Le savoir de ce « quasi langage » filmique ouvre un plus grand potentiel pour l'observateur, il est donc utile d'utiliser la métaphore du langage pour décrire le phénomène du film154.

Cependant, le film est similaire à la langue et pour cette raison il est possible d’appliquer les mêmes méthodes pour l’analyser qu’au texte. J. Monaco mentionne155 ici la sémiologie qui comprend chaque système de communication comme une langue. Du point de

147 BARTHES, R., op. cit., p. 4. 148 BARTHES, R., op. cit., p. 5. 149 BARTHES, R., op. cit., p. 6. 150 « Řečové akty ». CHATMAN S., op. cit., p. 168. Nous traduisons. 151 « Ilokuční aspekt ». CHATMAN S., op. cit., p. 169. Nous traduisons. 152 « Perlokuční aspekt ». Ibid. Nous traduisons. 153 CHATMAN S., op. cit., p. 171. 154 « Film is not a language in the sense that English, French, or mathematics is […] But film is very much like language […] An education in the quasi-language of film opens up greater potential meaning for the observer, so it is useful to use the metaphor of language to describe the phenomenon of film ». MONACO, J., op. cit., p. 121. 155 MONACO, J., op. cit., p. 127. Nous traduisons. 25

vue sémiologique, un signe se constitue de deux parties : le signifiant et le signifié. En ce qui concerne la langue de linguistique, ces deux parties sont clairement identifiables. Par exemple, le mot « mot », comme une collection de lettres et de sons, est le signifiant, et ce qu’il représente est le signifié. Néanmoins, dans le film, le signifiant et le signifié sont presqu’identiques. De cette façon, d’après J. Monaco, le signe du film est « un signe court- circuit »156. Etant, en conséquence, un signe plus simple que celui du linguistique, une image a une relation directe et plus forte avec ce qu’elle signifie qu’un mot. Par exemple, nous en tant que spectateurs d’un film, voyons la même rose comme elle est présentée par le réalisateur, tandis que, quand nous lisons un livre, nous sommes libres à imaginer cette rose de façons très différentes. Pour cette raison, selon le théoricien, il est nécessaire d’apprendre comment lire les images du film. La théorie standard suggère que le plan du cinéma est égal au mot de la langue, aussi bien que la scène est égale à la proposition et la séquence est égale au paragraphe. Pourtant, J. Monaco constate que le film n’est pas si facilement divisible en unités comme la langue157. En comparant la syntaxe dans le sens linguistique et celle du film, J. Monaco constate : Dans la langue écrite ou parlée la syntaxe ne traite que ce qu'on pourrait appeler l'aspect linéaire de construction : c’est-à-dire, la façon dont les mots sont mis ensemble dans une chaîne pour former des phrases ou des propositions, ce que nous appelons dans le film la catégorie syntagmatique. Dans le film, cependant, la syntaxe peut également inclure la composition spatiale, pour laquelle il n'y a pas de parallèle dans les systèmes de langue comme l'anglais et le français - nous ne pouvons pas dire ou écrire plusieurs choses en même temps158.

De cette manière, la syntaxe filmique comprend à la fois le développement dans le temps et le développement dans l’espace. Dans la critique cinématographique, le premier est souvent appelé « montage », tandis que le dernier est appelé « mise en scène » 159 . Commençons par la mise en scène. Selon le théoricien, les codes de mise en scène sont les moyens grâce aux quels le réalisateur change le processus de notre lecture du plan. J. Monaco divise les composantes du plan en deux catégories160, celle d’image encadrée et celle de plan diachronique. En ce qui concerne la première catégorie, deux aspects161 sont importants ici : les limitations imposées par le cadre et la composition de l’image dans le cadre. À l’égard du

156 « A short-circuit sign ». MONACO, J., op. cit., p. 128. Nous traduisons. 157 MONACO, J., op. cit., p. 129. 158 « In written/ spoken language systems, syntax deals only with what we might call the linear aspect of construction: that is, the ways in which words are put together in a chain to form phrases and sentences, what in film we call the syntagmatic category. In film, however, syntax can also include spatial composition, for which there is no parallel in language systems like English and French – we can’t say or write several things at the same time ». MONACO, J., op. cit., p. 142. Nous traduisons. 159 Ibid. 160 Ibid. 161 MONACO, J., op. cit., p. 149. 26

premier aspect, il est possible de parler de la « forme fermée » et « la forme ouverte »162. La forme est fermée dans le cas où l’image encadrée est autosuffisante et si la caméra suit l’objet filmé. Par contre, si le spectateur est conscient de ce qui est hors cadre et l’objet filmé tantôt quitte le cadre, tantôt revient dans le cadre, il est possible de parler de la forme ouverte. J. Monaco distingue les composantes suivantes du second aspect, du plan diachronique : « la distance », « la mise au point », « le mouvement » et « le point de vue »163. La première composante du plan diachronique, ou la distance164, comprend le plan général, le gros plan, le plan long, le plan extrêmement long. Néanmoins, selon l’auteur, il n’y a pas de limites strictes entre ses types de plan. Si le film est principalement fait par l’intermédiaire des gros plans, nous ne voyons pas le décor de la scène et cela peut produire un effet désorientant ou claustrophobe. Par contre, si le film est fait au moyen du plan long, le contexte de la scène devient accentué. Si on parle de la deuxième composante165, on distingue deux axes de la mise au point : celui de profondeur et celui de texture. En ce qui concerne le premier axe, il est possible de distinguer deux types : la mise au point profonde qui comprise le premier plan, le second plan et l’arrière-plan et qui, conséquemment, permet d’effectuer mieux la mise en scène, et la mise au point peu profonde qui accentue l’un des plans et, de cette manière, permet au réalisateur du film d’avoir un plus grand contrôle sur la scène. Maintenant, le second axe, celui de texture, comprend également deux types : la mise au point nette qui sert à créer l’impression de vraisemblance, tandis que la mise au point floue peut soit créer l’ambiance romantique, soit aplanir l’image et la faire plus éloignée. Le troisième aspect du plan diachronique, le mouvement166 comprend les types de plan qui s’appellent « travelling », ou « grue tir », et « zoom tir ». Dans le cas de travelling, nous bougeons physiquement dans la scène, ce qui aboutit aux changements des relations spatiales entre les objets filmés et notre perspective, selon J. Monaco. Le zoom tir crée l’impression du mouvement, pourtant on ne bouge pas. Cette illusion est faite par l’agrandissement de l’image. Le mouvement, d’après l’auteur, peut être employé de deux manières différentes : soit pour suivre l’objet filmé soit pour le changer. Il peut également attirer notre attention à la relation entre l’objet filmé et la caméra. J. Monaco suggère que la plupart de films exprime un point de vue167, ce qui est le quatrième aspect du plan diachronique. Il est plus facile de décrire cet aspect dans le texte qui est narré soit par le narrateur à la première personne soit par le narrateur omniscient. Dans le

162 « A closed form », « an open form ». MONACO, J., op. cit., p. 151. Nous traduisons. 163 « Distance », « focus », « movement », « point of view ». MONACO, J., op. cit., p. 161. Nous traduisons. 164 MONACO, J., op. cit., p. 161-162. 165 MONACO, J., op. cit., p. 162-164. 166 MONACO, J., op. cit., p. 166-170. 167 MONACO, J., op. cit., p. 170-178. 27

cas du film, il est narré mieux par le narrateur omniscient, que par le narrateur à la première personne, puisque nous, en tant que spectateurs, voyons et entendons tout ce qui se passe dans le film et, conséquemment, nous n’avons pas besoin de commentaire constant du narrateur à la première personne. Certains réalisateurs utilisent un autre type de point de vue, « le plan de situation »168, ce qui établit le lieu, le temps, etc. La bande narration est également l’un des types de cet aspect, ce qui peut servir à expliquer, à décrire, à analyser la scène ou le comportement des personnages. Le son169 est la principale composante de la bande narration. Le son est omniprésent et omnidirectionnel. Il crée le lieu et il actualise le temps. Le son, ou la bande, domine les images du film. L’auteur distingue le son actuel qui est connecté à l’image, et le son commentatif qui n’est pas connecté à l’image et qui peut être hors image. Après avoir présenté les codes de mise en scène, passons au montage. Voilà comment J. Monaco définit ce concept : « le mot pour le travail de mettre ensemble les plans d'un film […] « Montage » […] suggère une action de construction, un travail à partir de la matière première »170. Dans le cadre de cette notion, nous voudrions nous concentrer sur la ponctuation filmique171 ce que nous confrontons avec la ponctuation textuelle afin de voir comment les moyens textuels et filmiques se différencient. Le plus simple type de ponctuation de film est la coupe non-marquée, quand une image se termine et une autre commence. Un autre type est le fondu qui attire notre attention au début ou à la fin. Le volet est une transition d’une image à une autre image. L’intertitre était une marque importante de ponctuation filmique à l’époque du cinéma muet. L’arrêt sur image est parfois utilisé à la fin de film quand l’image finale est figée. Ces marques de ponctuation filmiques servent soit à mélanger ou à conjoindre les images du film. Passons maintenant au chapitre deux de notre travail, dans lequel nous confronterons le roman et le film choisis selon les niveaux de l’histoire, de la narration, du personnage, du temps, de l’espace et du langage, afin de voir si quelques changements sont survenus et qu’était conservé dans l’adaptation.

168 « The establishing shot ». MONACO, J., op. cit., p. 173. Nous traduisons. 169 MONACO, J., op. cit., p. 178-183. 170 « …the word for the work of putting together the shots of a film […] Montage […] suggests a building action working up from the raw material ». MONACO, J., op. cit., p. 183. Nous traduisons. 171 Ibid. 28

2 L’analyse du roman par rapport à son adaptation cinématographique

Dans le présent chapitre nous essayerons d’effectuer une analyse du roman choisi et de son adaptation cinématographique. Pour ce but, nous utiliserons les notions et aspects présentés dans le précédant chapitre de ce travail.

2.1 L’auteur du roman et le réalisateur du film

Avant de passer à l’analyse du roman, il est nécessaire de présenter brièvement l’auteur et son œuvre. Fréderic Beigbeder est un écrivain français contemporain, né le 21 septembre 1965, à Neuilly-sur-Seine. Il est un écrivain, critique littéraire, réalisateur, acteur, animateur de télévision. En tant qu’écrivain, il est l’auteur de neuf romans dont les plus célèbres sont L’amour dure trois ans (1997), 99 francs (renommé à 14,99 euros en 2000), Windows on the World pour lequel il a obtenu le prix Interallié, etc., de trois nouvelles et de deux bandes dessinées. En tant que critique littéraire, il a écrit deux essais et plusieurs préfaces et postfaces et il est actuellement critique littéraire dans le Figaro Magazine. Il a créé le prix de Flore dont il préside le jury. Il est réalisateur est scénariste des adaptations cinématographiques de ses romans L’amour dure trois ans (fondée sur le roman du même titre) et L’Idéal (fondée sur le roman Au secours pardon, la sortie est prévue en 2016). Il a collaboré avec Jan Kounen sur le scénario de l’adaptation filmique de son roman 99 francs. Il s’est également réalisé comme acteur de films et de théâtre. En ce qui concerne ses apparitions télévisées, il a été chroniqueur littéraire dans quelques émissions sur Canal + et depuis 2005 il est présentateur de l’émission cinéma Le Cercle sur la même chaîne. En outre, il est rédacteur en chef du magazine pour hommes Lui, il est parfois DJ et il a même apparu dans un film porno172. De cette manière, ayant combiné ces activités multiples et parfois contradictoires, Fréderic Beigbeder est considéré comme une personnalité fortement non-traditionnelle par les uns et même scandaleuse par les autres. Ce qui est très bien perçu et exprimé par Alain- Philippe Durand, dans ses études réunies sur l’auteur : Ses romans jouissent d’un énorme succès populaire en France mais aussi dans plusieurs autres pays et langues, il occupe en permanence et sans vergogne la scène médiatique et littéraire, il se revendique agitateur et provocateur, et surtout il met un bon coup de pied aux vieillies idées reçues : un « vrai » écrivain ne perd pas son temps en « âneries » comme par exemple faire le D.J., écrire des chroniques pour des journaux people, animer des émissions de télévision, et certainement pas en se déguisant ou en se dénudant (le « vrai » écrivain n’a ni le désir, ni le

172 http://www.beigbeder.net/fr/cinema. Consulté le 2.03.2016. 29

temps pour ce genre d’activités puisqu’il est attelé à sa table de travail), changer d’avis et assumer toutes les contradictions, aimer l’argent et avoir un statut de célébrité […] Beigbeder a fait et assume tout cela173.

L’ouvrage cité est très propice à la compréhension des idées de l’auteur lui-même sur le monde contemporain, sur le rôle de l’écrivain à l’époque contemporaine et de ce qu’il voulait dire par ses romans. La partie Correspondance avec Alain-Philippe Durand est surtout intéressante à cet égard. En répondant aux questions d’A.-P. Durand, il parle, par exemple, des écrivains qui l’ont inspiré : […] Mais j’aime bien deux tendances récentes qui me tentent autant l’une que l’autre : -l’autofiction […] qui désigne des romans autobiographiques ou l’auteur utilise son nombril pour créer de la fiction… Exemples : François Weyergans, Dominique Noguez, Christophe Donner […] On pourrait considérer que L’amour dure trois ans s’inscrit dans cette « école ». -le naturalisme underground : des romans souvent très « branchés » […] qui racontent leur époque de la façon la plus moderne […] Exemples : Michel Houellebecq, Vincent Ravale, Vincent Borel […] Peut-être que Vacances dans le coma fait partie de cette famille-là…174

Ces deux tendances mentionnées par F. Beigbeder sont très visibles dans ses propres œuvres. C’est-à-dire, presque tous ses romans sont connectés avec une certaine période de sa vie, et ils décrivent l’époque contemporaine de l’auteur par l’intermédiaire de la langue moderne et de la description des évènements actuels, comme c’est le cas dans le roman 99 francs que nous analyserons dans le présent chapitre. Il est également curieux de voir comment l’écrivain perçoit soi-même en tant qu’auteur et personne. Dans la même partie des études d’A.-P. Durand, nous trouvons « l’autobiographie » de F. Beigbeder, où il mentionne « alcoolisme mondain, adultère bourgeois, lecture du Journal de Jules Renard, solitude, désespoir comique, conversations superficielles, mariages ratés, cocaïne et prostituées, suicides, tennis de table »175 dans le champ « hobbies ». Cette autoréflexion de quelque sorte ironique peut contribuer beaucoup à la compréhension de ses romans. En ce qui concerne les thèmes principaux de ses romans, F. Beigbeder mentionne certaines idées qui l’intéressent, par exemple celle de « catastrophe » mondiale : « Nous autres, humains, étions sans doute programmés pour détruire la Nature et la transformer en décharge publique, hypermarché, discothèque géante »176, ou celle que les êtres humains sont des « produits » : « nous sommes prisonniers. Nous sommes conditionnés, emballés, packagés

173 DURAND, Alain-Philippe (dir.), Frédéric Beigbeder et ses doubles, Amsterdam / New York, Rodopi, 2008, p. 7-8. 174 DURAND, Alain-Philippe (dir.), op. cit., p. 13. 175 Ibid. 176 DURAND, Alain-Philippe (dir.), op. cit., p. 12. 30

comme des produits […] nous ne sommes rien d’autre qu’un numéro sur une chaîne de montage avec un certain nombre d’étapes obligatoires à franchir… »177 Dans cette Correspondance citée ci-dessus, aussi bien que dans l’autre partie des études d’A.-P. Durand, Entretien avec Fréderic Beigbeder, nous pouvons trouver ses opinions de la relation entre le roman et le film. Pour lui, le roman a « une mission qui serrait de traiter des sujets que la télévision, le cinéma et autres formes d’expression visuelle ne peuvent pas traiter »178. Il admet, cependant, que son œuvre est influencée par la télévision, le cinéma, grosso modo par le règne de l’image, ce qui explique la présence d’un grand nombre de dialogues et de « scènes spectaculaires »179 dans ses livres. Ayant présenté Frédéric Beigbeder, il nous semble logique de présenter également le réalisateur de l’adaptation cinématographique du roman analysé, Jan Kounen, dont le vrai nom est Jan Coenen. Il est réalisateur, scénariste et producteur français, né le 2 mai 1964 à Utrecht, aux Pays-Bas. Il est surtout intéressant qu’il a commencé sa carrière en filmant des annonces publicitaires, étant, de cette manière, très proche du monde de la publicité, le thème principal du roman et de l’adaptation analysés. Avant de travailler sur 99 francs, il a réalisé deux longs-métrages, Dobermann en 1997 et , expérience secrète en 2004. Pour certaines scènes des visions chamaniques du dernier, il a voyagé en Amérique du Sud, dans la jungle péruvienne, pour trouver de l’inspiration par l’intermédiaire des plantes psychotropes. Toujours fasciné par l’ambiance péruvienne, il a réalisé quelques documentaires sur les indiens. Cette expérience lui a probablement servi d’inspiration pour certaines scènes de 99 francs, notamment celles où les personnages principaux ont des illusions hallucinantes provoquées par les drogues. Ce film contient plusieurs effets spéciaux et trouvailles visuelles, ce qui en fait un film extraordinaire pour le cinéma français180. Il a apparu dans le film lui- même, en tant que malade de l’hôpital psychiatrique, Pyjaman, et il a fait possible l’apparition de Frédéric Beigbeder en tant que Badman (Octave « en bad » (f 99181, 00:06:01182) et hôtesse de l'air dans l'avion. En 2009, il a réalisé son dernier film en date, et qui a eu un modeste succès et qui lui a créé une réputation d’un maître des effets visuels et du mouvement de caméra183. Pour ces films, il a reçu plusieurs grand-prix et

177 Ibid. 178 DURAND, Alain-Philippe (dir.), op. cit., p. 18. 179 DURAND, Alain-Philippe (dir.), op. cit., p. 19. 180 https://fr.wikipedia.org/wiki/Jan_Kounen. Consulté le 5.04.2016. 181 Pour citer le film, nous utiliserons la marque « f 99 ». 182 Le temps du sous-titrage. 183 https://fr.wikipedia.org/wiki/Jan_Kounen. Consulté le 5.04.2016. 31

nominations. Il est également socialement actif, ayant officiellement soutenu le chef Raoni dans l’affaire contre le barrage de Belo Monte184.

2.2 L’histoire dans le roman versus l’histoire dans le film

Au cours de la même Correspondance, F. Beigbeder a été interrogé par A.-P. Durand quels étaient ses projets d’écriture. F. Beigbeder a réagi en parlant de 99 francs : Mon projet actuel est déjà avancé : il s’agit d’un roman sur la publicité. J’ai travaillé comme concepteur-rédacteur depuis dix ans, ce qui m’a permis de voir comment on manipulait les masses. Lorsque ce livre va sortir en librairie, il est probable que je serai foutu à la porte. Je ferais alors un roman sur la télévision, qui entraînera aussi mon licenciement…etc. […] Puis je descendrai la presse à scandales qui m’emploie […] Je ne conçois la littérature que comme une façon de scier la branche sur laquelle je suis assis. Lorsque j’aurai été renvoyé de partout, je cesserai d’écrire. Je serai à la rue, seul, abandonné de tous. Je serai libre…185

Le roman de F. Beigbeder a été adapté au cinéma. Après le projet de l’année 2003 dirigé par un autre réalisateur, Antoine de Caunes, qui n’était pas réalisé, la version finale de Jan Kounen a vu le jour en 2007. Voilà comment Alain Goldman, le producteur du film, explique son envie d’effectuer une adaptation filmique du roman de Fréderic Beigbeder et présente ses projets du film : J'avais trouvé le livre génial. Il m'a beaucoup fait rire. Mais, au-delà de l'aspect chronique de la fin des années 90, ce livre m'intéressait parce qu'il traitait de la prise de conscience de la détérioration de l'environnement et du fait que la consommation n'est pas la finalité de l'être humain, qu'être est aussi important qu'avoir. Je me suis dit : voilà un sujet de film formidable, à la fois éphémère - parce que reposant sur la description d'une époque - et durable - ses préoccupations étant devenues prépondérantes dans le monde occidental d'aujourd'hui. […] J'avais envie de prendre mon temps pour produire un film qui tente de durer, envie de façonner un objet cinématographique à part, une satire qui puisse peut-être nous faire prendre conscience qu'un certain nombre de dangers nous guettent. Je voulais un film un peu complexe, déjanté, et en même temps drôle […] Un film qui ait du relief, accessible mais singulier.186

Afin de voir si ces projets ont été réalisés avec succès, nous confronterons le roman et l’adaptation selon plusieurs niveaux de narration. Maintenant, nous comparerons l’histoire des deux. Le roman est divisé en six chapitres qui sont intitulés pronom personnel : « je », « tu », « il », « nous », « vous », « ils ». Le premier chapitre commence par l’idée suivante : « Tous est provisoire : l’amour, l’art, la planète Terre, vous, moi » (r 99187, p. 5). Dans ce chapitre, Octave, le personnage principal et le narrateur, décrit comment il voit le monde de la

184 http://raoni.com/signataires-petition-1.php. Consulté le 5.04.2016. 185 DURAND, Alain-Philippe (dir.), op. cit., p. 15. 186 Anecdotes, potins, actus, voire secrets inavouables autour de « 99 francs » et de son tournage, http://www.allocine.fr/film/fichefilm-60627/secrets-tournage. Consulté le 15.03.2016. 187 Pour citer le roman, nous utiliserons la marque « r 99 ». 32

publicité : c’est un monde cruel, d’où il cherche à s’enfuir. La publicité, comme il la voit, essaie de nous vendre un rêve, un monde parfait, un mensonge : Je me prénomme Octave et m’habille chez APC. Je suis publicitaire : eh oui, je pollue l’univers. Je suis le type qui vous vend de la merde. Qui vous fait rêver de ces choses que vous n’aurez jamais. Ciel toujours bleu, nanas jamais moches, un bonheur parfait, retouché sur Photoshop. Images léchées, musique dans le vent. Quand, à force d’économies, vous réussirez à vous payer la bagnole de vos rêves, celle que j’ai shootée dans ma dernière campagne, je l’aurai déjà démodée. J’ai trois vogues d’avance, et m’arrange toujours pour que vous soyez frustré. Le Glamour, c’est le pays où l’on n’arrive jamais. Je vous drogue à la nouveauté, et l’avantage avec la nouveauté, c’est qu’elle ne reste jamais neuve. Il y a toujours une nouvelle nouveauté pour faire vieillir la précédente. Vous faire baver, tel est mon sacerdoce. Dans ma profession, personne ne souhaite votre bonheur, parce que les gens heureux ne consomment pas (r 99, p. 6).

Dans le film, au début, nous voyons un panneau d’affichage représentant une famille heureuse à la plage et nous entendons une voix féminine lointaine qui parle de l’accès aux richesses et de l’économie. Dans quelque secondes nous voyons un homme sur le toit d’un bâtiment très haut. C’est Octave, et il est en train de se suicider. Il saute. Sa chute est lente et nous entendons sa voix qui dit une phrase presqu’identique à celle du roman : « Tout est provisoire :...L’amour, l'art, la planète Terre,... vous, moi,… surtout moi » (f 99, 00:02:54), en y ajoutant le « surtout ». Après, il dit qu’il peut revoir sa vie et nous sommes témoins d’un court souvenir de caractère sexuel de son adolescence, ce qui ne figure pas dans le livre. Ensuite, il nous fait traverser sa vie quotidienne. Les idées citées ci-dessus sont, de cette manière, mises en scène. Il se réveille dans un appartement environné par des femmes et hommes nus qui dorment. Il se sent très mal et vomit sur l’une des femmes nues. Il s’habille et conduit sa voiture vers l’agence où il travaille. Ayant arrivé à l’agence, il rencontre ses collègues et les décrit. Parmi eux, se trouvent ses directeurs Marc Marronnier et Philippe. Il parle de la profession du publicitaire comme de quelque chose qu’il a toujours voulu faire, depuis son adolescence. C’est encore une modification par rapport au livre, car là, il déteste ce métier. Ensuite, il passe à son bureau et nous présente son « binôme » Charlie. Ils sont présents au shooting188 d’une annonce publicitaire pour y assister, la scène qui manque au roman. En ce moment, Jeff, vient leur rappeler la réunion avec la firme très importante pour l’agence. Dans le livre, ces personnages n’apparaissent pas aussi tôt. La scène de la réunion est présente dans le livre et dans le film. Dans le film, Octave et Charlie, en se dirigeant par l’un des commandements du publicitaire (un renvoi au livre, « Dix commandements du publicitaire » que nous mentionnerons plus tard), viennent en retard, puisqu’un « créatif à l’heure n’est pas crédible » (f 99, 00:18:51). Octave filmique spécifie que c’était « une

188 Un mot anglais pour la « séance photos ». 33

réunion qui a changé [sa] ma vie » (f 99, 00:19:19). En lisant le roman, nous n’observons pas son arrivée à la réunion, de plus là, Octave n’est pas accompagné de Charlie. Dans le film, Octave, à l’aide de Charlie, présente leurs idées de l’annonce publicitaire du yaourt « Starlight », ce qui porte le nom « Maigrelette » dans le roman. Alfred Duler, le directeur du marketing chez « Madone » (le même nom est utilisé dans le roman), ne les accepte pas, en reprochant Octave et Charlie « de l’humour » (f 99, 00:23:22). Octave a du sang au nez et quitte la réunion, tandis que dans le roman il va aux toilettes et y laisse des inscriptions sanglantes sur les murs. Bientôt, il se trouve à l’agence et demande à Marc Marronnier de le licencier, puisqu’il veut quitter « cette porcherie » (f 99, 00:27:48), mais Marc ne le traite pas sérieusement et lui refuse sa demande. Dans le roman, Octave démissionne plutôt d’un caractère moins insistant, dans plusieurs cas quand cela se montre possible. Un autre détail est négligé dans l’adaptation : Octave romanesque écrit un roman sur la publicité et sur son agence en suivant le même but de se faire licencier, ce qui n’est pas le cas dans le film. Dans le second chapitre du livre, Octave parle de soi-même à la deuxième personne, comme d’un point de vue extérieur. Ici, il parle beaucoup de Sophie, sa petite amie, et de leur relation, qui est reflétée dans plusieurs flashbacks, surtout le soir où ils dinaient ensemble et elle a lui annoncé qu’elle était enceinte de lui et il l’a quittée. L’adaptation filmique nous montre la scène de sa rencontre avec Sophie, qui travaille également à la Ross (l’agence publicitaire). Il essaye de la chasser et de l’embrasser, mais elle le refuse. À la fin, elle se laisse embrasser, et cela entame leur relation amoureuse. La fin de la relation est identique à celle du livre : nous suivons la scène du dîner quand Sophie lui annonce qu’elle est enceinte de lui. Octave, ayant peur, n’accepte pas cette nouvelle. Cependant, selon l’adaptation, c’est Sophie qui le quitte. Octave romanesque se détruit par la cocaïne et les prostituées qui constituent une grande partie de sa vie, comme de celle de ses amis et collègues. Néanmoins, ces activités ne le sauvent pas, il trouve toujours le monde autour lui être « l’Enfer » ou « la punition divine » (r 99, p. 36). Le chapitre deux se termine par une scène où il souffre d'une intoxication de drogues, qui est également présente dans le film. Pendant l’un de ses rêves drogué, Octave filmique voit Sophie danser, il la suivit et se trouve dans son ventre, à côté de son bébé. Ensuite, il se réveille à l’hôpital psychiatrique où il passe quelque temps avec son nouveau camarade silencieux, Pyjaman. Dans le roman, il n’a pas eu de camarades, sauf un malade avec lequel il parlait de temps en temps. Au chapitre trois, Octave est présenté à la troisième personne, « il », correspondant au nom du chapitre. Après son intoxication de drogues, il se trouve en hôpital psychiatrique, mené là par son patron Marc Marronnier. Octave y passe son temps avec des schizophrènes et

34

ils lui rappellent son agence publicitaire : « Au bout de trois semaines, Octave a ri plusieurs fois en regardant les schizophrènes grimacer dans le jardin : ce spectacle lui a rappelé l’agence » (r 99, p. 57). En outre, il y pense à Sophie, en inventant même une maladie qu’il nomme « passéphile » (r 99, p. 57), c’est-à-dire « une perversion qui consiste à être obsédé par un ex » (r 99, p. 57). De cette manière, le séjour à l’hôpital est décrit beaucoup plus en détail dans le livre. Après l’hôpital, il assiste au séminaire de La Ross, son agence, au Sénégal. Il n’est pas facile pour lui de vivre sans cocaïne : « Octave tente de rester concentré. Il faut tenir sans coco, accepter la réalité non boostée, il faut faire partie de la société, respecter les êtres, il faut jouer le jeu » (r 99, p. 59). Dans le film, Jeff et Charlie viennent le chercher à l’hôpital. Le séminaire au Sénégal n’est mentionné que pour lui annoncer que Marc s’est suicidé là après avoir été licencié de l’agence, tandis que dans le roman, la raison de son suicide n’est pas donnée. Octave romanesque continue à critiquer cette société de consommation, comment elle est pourrie et cynique, ce qui devient plus visible pour lui lorsqu’il est plus sobre. Il pense toujours à Sophie en comprenant qu’il l’aimait. Tout lui rappelle d’elle, même le parfum d’une des assistantes de l’agence. Dans le film, il demande à une prostituée Tamara, qui lui remplace Sophie en quelques sortes, de porter le parfum : « Il lui a demandé de porter Obsession, le parfum de Sophie » (f 99, 00:45:15). Il lui promet de la promouvoir à l’agence, pour le titre publicitaire du yaourt. Sophie, à son tour, devient une amante de son patron, Marronnier, dans le roman et dans le livre. Le chapitre qui suit est intitulé « Nous », ou il parle de la part des employés de l’agence et tous qui ont quelque relation à l’agence : Nous, c’est-à-dire toute la Rosse Europe : Jef, Philippe, Charlie, Odile, les stagiaires, les puissants, les inutiles, et moi, Octave…Nous, c’est-à-dire tous les parasites entretenus par l’argent de la Rosse : propriétaires de chaînes de télévision, actionnaires de grands réseaux radiophoniques, chanteurs, acteurs, photographes, designers, hommes politiques, rédacteurs en chef de magazines, présidents de grands magasins, nous les décideurs, nous les leadeurs d’opinion, nous, les artistes vendus, reconnus ou maudits… (r 99p. 78)

Ce chapitre commence par une nouvelle inattendue : Marronnier vient de se suicider. L’agence semble le déplorer, mais après la grande cérémonie tous l’oublient, ce qui est le cas aussi dans le film. Ensuite ils se trouvent à South Beach, Miami, où ils se sentent être à l’intérieur d’une publicité, puisque tous sont parfaitement bronzés, minces, beaux, riches, justement comme dans une publicité d’une plage. Il se rend compte de tomber amoureux de Tamara, une prostituée et son modèle publicitaire, qui essaie de le persuader de revenir à Sofie et devenir un bon papa. Il rejette cette idée. Il dérive complètement, à cause de la drogue qu’il recommence à consommer, des sensations qu’il essaie d’acquérir et fêtes constantes. Un

35

soir, Octave, Tamara et son collègue Charlie sortent pour rendre une visite chez une vieille dame, l’un des « actionnaires des fonds de pension qui possèdent les firmes internationales » (r 99, p. 91), et la tuent atrocement. Après ce terrible acte, ils reviennent en France, où Octave et Charlie sont nommés à la place de Marc Marronnier. Dans le film, l’histoire à Miami est totalement différente. Pendant le casting pour l’annonce du yaourt, Tamara est sélectionnée pour faire le modèle. Subséquemment, toute l’équipe de l’agence, Octave y compris, va à Miami pour le tournage de l’annonce. Là, Octave et Charlie sont proposés de remplacer Marc à son poste du directeur de création. D’abord, Octave rejette la proposition. Pendant la soirée, Octave, Charlie et Tamara se trouvent dans la voiture en se droguant par une pilule fortement narcotique. Octave perd contrôle du volant et ils tuent des gens sur leur route. Puis, ils se réveillent dans l’avion, il y a du sang sur leurs vêtements, ils ont peur. Par la suite, le cinquième chapitre est intitulé « Vous » qui adresse les personnages principaux similairement au chapitre deux, de l’extérieur, la seule différence étant celle que dans ce cas il ne se limite pas par Octave, mais il y inclut les autres. Ils, Octave et Charlie, font comme si rien ne s’étaient passé et commencent à diriger l’agence en faisant des petits changements inutiles. Leur clip publicitaire avec la participation de Tamara gagne le grand- prix et à ce moment-là, ils sont arrêtés par la police et ils sont accusés de l’assassinat de la vieille dame. « D’une certaine manière, on peut dire que vous vous étiez mis, de vous-mêmes, hors compétition » (r 99, p. 116), commente le narrateur. Ensuite, Octave apprend la mort de Sophie en lisant sa dernière lettre qu’elle avait écrite avant de se suicider avec Marc Marronnier. Il comprend également qu’elle le trompait avec son patron. Il regrette de l’avoir quitté et d’avoir raté sa vie. Octave finit par tout perdre et se retrouver tout seul dans une cellule de la prison où il est incarcéré. En ce qui concerne le film, il n’y a aucune cérémonie de grand-prix. Contrairement, la police vient les arrêter pour les meurtres qu’ils ont commis à Miami, lorsqu’ils célèbrent le fait de devenir les directeurs artistiques de l’agence. Pendant cela, maman de Sophie téléphone à Octave pour lui annoncer que Sophie s’est suicidée à cause de lui : « Elle s'est suicidée au Sénégal avec son ami Marc. Vous comprenez ? » (f 99, 01:17:13). Tout à coup, on crie qu’Octave est licencié. Il tente de fuir la police. Dans quelques secondes, il se trouve sur le toit de l’agence et est en train de se suicider, la scène qu’on a vue au début du film. Il saute en tombant sur la voiture d’Alfred Duler qui téléphone à Tamara pour lui inviter au dîner. Cela est la première version de la fin proposée dans le film. « Ils ne sont pas morts : ils sont sur une île » (r 99, p. 122). Voilà comment commence l’une des parties du sixième et le dernier chapitre du roman qui a le titre « Ils ». Comme il est

36

compréhensible de cette citation, le chapitre est consacré aux morts, Sophie et Marc. Il n’est pas clair, s’ils sont vraiment vivants ou c’est seulement le produit de la folie d’Octave qui est rongé par la maladie des poumons. En tout cas, dans le chapitre on suppose qu’ils ont tous trompés en fabriquant ses propres morts et ils sont maintenant sur une île secrète, avec d’autres « faux morts » : « Chaque soir, ils croisent les autres faux morts de l’île : les chanteurs Claude François (62 ans) et Elvis Presley (66 ans) écoutent le petit Kurt Cobain (34 ans) composer des chansons country avec Jimi Hendrix (59 ans)… » (r 99, p. 125). A première vue, ils semblent heureux, avec la petite fille de Sophie, Chloë, en jouissant le beau temps, la mer et le sable. Cependant, ensuite ils trouvent cette ambiance, qui est toujours la même, fatigante et dépressive. Marc, rebaptisé à Patrick, se tue encore, cette fois, réellement. Octave regrette de ne pas avoir la chance de prendre soin de son enfant. Charlie se tue dans sa cellule. Tamara disparaît. Dans le film, nous sommes également proposés une « deuxième version » qui est, néanmoins, complètement différente. Elle commence dans l’avion. Les trois, Octave, Charlie et Tamara, se réveillent. Comme dans la première version, il y a du sang sur leurs vêtements. Octave et Charlie ont peur et ne savent pas ce qui est arrivé. Tamara leur dit qu’elle a arrêté la voiture et qu’ils n’ont tué personne. Octave décide de fabriquer son suicide. En plus, il décide de se venger sur Alfred Duler, qu’il déteste : « Mais je ne pouvais pas quitter ce monde sans savourer ma victoire » (f 99, 01:23:51). Octave a créé une « antipub » du yaourt, en révélant au public les vrais objectifs de la firme. Ensuite, il s’enfuit à la jungle, ou il commence sa nouvelle vie. Pourtant, il n’est pas habitué à la vie de « Robinson Crusoé » et il a du mal à survivre tout seul. Il est trouvé par des gens locaux qui l’aident. Ensuite, sur la plage, il rencontre Sophie et leur fille. Ils s’embrassent et ils sont heureux. Nous voyons qu’ils se transforment en panneau d’affichage, le même qui était au début du film.

2.3 L’auteur, le lecteur, le narrateur

Dans cette partie, nous analyserons les notions essentiellement romanesques telles que l’auteur, le lecteur, le narrateur et le narrataire par rapport au roman. En outre, nous essayerons de voir si elles sont applicables au film. De l’autre côté, nous analyserons des concepts intrinsèquement cinématographiques, tels que la voix narrative, le canal sonore et le canal visuel. L’auteur réel du roman 99 francs est Fréderic Beigbeder, l’écrivain français contemporain que nous avons présenté ci-dessus. Dans son roman, nous pouvons trouver des 37

reflets de la vie personnelle et les idées de Beigbeder, puisque, selon ses propres mots, qu’on a cité avant, c’est un ouvrage autobiographique. Il est surtout visible au moment où nous lisons les lignes suivantes : « Dans le monde que je vais vous décrire, la critique est digérée, l’insolence encouragée, la délation rémunérée, la diatribe organisée » (r 99, p. 7), ou la remarque avant le premier chapitre « Les noms ont été changés pour protéger le coupable » (r 99, p. 2), ou « J’écris ce livre pour me faire virer » (r 99, p. 7), ou « Je crois qu’il est temps que je quitte tout parce que je ne sais plus flotter » (r 99, p. 5), ou « Bruno le Moult est parti. Ce livre était pour lui. Puisque c’est ainsi, je le donne à Chloë189 qui vient d’arriver » (r 99, p. 2). Le signe de l’auteur réel peut-être trouvé à la fin du livre, où il mentionne le lieu et les années de l’écriture et où il fait remerciement à certains auteurs (parmi lesquels se trouvent Michel Houellebecq) et son ex-femme, Delphine Valette en disant que « ce livre est aussi de leur faute » (r 99, p. 135). Tout cela nous renvoie à la vie réelle de Beigbeder qui a travaillé dans une agence publicitaire et qui désirait de se faire licencier et qui a enfin réussi son but. L’auteur implicite est représenté par les moyens de communication indirecte, comme on a déjà mentionné avant dans ce travail. Dans le cas de 99 francs, il est beaucoup présent. Nous y trouvons des citations multiples d’auteurs divers partout dans le livre. Par exemple, il cite la nouvelle préface au Meilleur des mondes d’Aldous Huxley en exergue du premier chapitre : Un État totalitaire vraiment « efficient » serait celui dans lequel le tout-puissant comité exécutif des chefs politiques et leur armée de directeurs auraient la haute main sur une population d’esclaves qu’il serait inutile de contraindre, parce qu’ils auraient l’amour de leur servitude. La leur faire aimer – telle est la tâche assignée dans les États totalitaires d’aujourd’hui aux ministères de la propagande, aux rédacteurs en chef de journaux et aux maîtres d’école (r 99, p. 3).

Cette citation (aussi bien que les autres dans le roman) crée des attentes et des idées de ce qui va être narré dans le roman ou, au moins, dans le chapitre qui suit après la citation (ou les citations). En outre, ce qui est moins visible, il y a plein d’idées et d’aphorismes de l’auteur lui-même qui nous aident à construire un avis sur les faits présentés et à les mieux comprendre. Dans déjà mentionnée Entretien avec Fréderic Beigbeder, l’auteur dit qu’on accuse parfois ces livres du fait qu’ils rappellent plutôt des recueils d’aphorismes, que des romans190. Par exemple, nous pouvons percevoir de l’ironie envers la firme qu’il est en train de promouvoir dans l’aphorisme suivant : « […] l’empire du yaourt est sous haute sécurité » (r 99, p. 9), ou celui-ci : « Ce sont toujours les gens animés des meilleurs intentions qui deviennent des monstres » (r 99, p. 14), ou « On ne peut pas lutter contre un adversaire

189 Le nom de la fille de Beigbeder. 190 DURAND, Alain-Philippe (dir.), op. cit., p. 18. 38

omniprésent, virtuel et indolore » (r 99, p. 14). En ce qui concerne le film, il n’est pas facile de parler ni de l’auteur réel, ni de l’auteur implicite, car dans ce cas, cette notion inclut plusieurs personnes qui participent à la réalisation. En ce qui concerne le lecteur réel, ce sommes nous, les hommes et les femmes, qui prenons le roman en nos mains et le lisons. Le lecteur implicite, à son tour, est le public auquel ce roman est destiné. C’est le public auquel l’auteur implicite adresse ses remarques, ses aphorismes et citations mentionnés ci-dessus. C’est le rôle que nous prenons afin de comprendre le message de l’auteur implicite. Le film, en représentant la catégorie de l’art visuel, exclut la notion de lecteur. La notion de narrateur littéraire est particulièrement intéressante dans le roman. Comme nous l’avons vu plus tôt, il peut y avoir un ou plusieurs narrateurs dans un texte, le narrateur peut également être un personnage, le narrateur peut être à la première personne ou à la troisième personne, etc. Tout cela est vrai pour le roman analysé. Il y a même plus d’éléments qui sont intéressants à analyser. Comme F. Beigbeder dit lui-même dans l’Entretien, l’utilisation de tous les pronoms personnels est une espèce de présentation surtout littéraire qu’il utilise pour se distinguer d’auteurs des scénarios et ciné-romans : J’essaie de trouver des formes originales. Quand on prend par exemple la première nouvelle de Nouvelles sous ecstasy qui n’est qu’une suite de questions, ou bien le fait que dans 99 francs, chaque partie est à une personne différente « je, tu, il, nous, vous, ils ». Il me semble que je réfléchis beaucoup à la construction et à la structure de mes textes d’une façon qui n’est pas du tout cinématographique191.

Dans le cas des chapitres un « Je » et quatre « Nous » du roman, nous pouvons parler du narrateur à la première personne. De cette manière, dans le premier chapitre le narrateur correspond à Octave, le personnage principal : il nous dit qu’il est en train d’écrire le présent livre, il décrit son entourage, l’agence, le monde de la publicité, etc. Dans le quatrième chapitre, comme nous l’avons déjà évoqué, le « nous » représente Octave en y incluant le reste des personnages principaux, surtout Charlie et Tamara, et c’est le « nous » commun qui a tué la vieille dame. Dans le cadre du film, il est possible de parler des voix narratives. Au début du film, les évènements sont présentés et les commentaires sont faits par une voix narrative qui est similaire au narrateur à la première personne, Octave, le personnage principal. Cette voix narrative est présente quand Octave parle de soi et quand il décrit les autres personnages : « Voilà. Je me prénomme Octave […] Lui, c'est Marc Marronnier, mon directeur de création » (f 99, 00:07:44, 00:09:55). Les pronoms personnels « je » et « nous » sont également utilisés dans la narration décrivant le tournage de l’annonce publicitaire à

191 DURAND, Alain-Philippe (dir.), op. cit., p. 19. 39

Miami : « Notre version était dans la boîte. On était les plus forts […] Ca y est […] j'étais revenu […] Pendant ce temps, Charlie avait répondu pour nous » (f 99, 01:11:05, 01:11:09, 01:15:53). Le « nous » est présente dans « la seconde version » de la fin du film quand ils se réveillent dans l’avion et apprennent qu’ils ont jamais tué personne : « Au fond de nous, très profondément, c'était une renaissance… » (f 99, 01:22:30). Cette voix narrative est parfois représentée par le pronom personnel « on », et il est utilisé quand on parle d’Octave et Charlie : « On aimerait changer le monde […] On laisse les casques » (f 99, 00:21:45, 00:18:38). Les chapitres « Tu » et « Vous » du roman représentent le monde du point de vue du narrateur à la deuxième personne, si nous prenons en compte que le pronom personnel « tu » est à la deuxième personne et « vous » est sa variante au pluriel. Le film ne contient pas de voix narrative similaire au narrateur à la deuxième personne. Conséquemment, le narrateur des chapitres « Il » et « Ils » est à la troisième personne. Dans le film, il y a une voix narrative qui nous rappelle ce type de narrateur. Elle s’adresse à Octave et tous les autres par les pronoms personnels « il » ou « elle » : « Il lui a demandé de porter Obsession, le parfum de Sophie » (f 99, 00:45:15, 00:45:20). Le pronom personnel « on » joue parfois le rôle de narrateur à la troisième personne dans le film : « […] parce qu’on m’en a empêché […] On est sur une plage… » (f 99, 00:19:34 , 00:22:21). En ce qui concerne le narrateur fiable et non fiable, nous pouvons dire que la seule fois quand le narrateur peut nous sembler non fiable, c’est dans le dernier chapitre « Ils », sur les « faux morts » Sophie et Marc. Si nous consultons encore les trois critères du narrateur non fiable donnés par J. Lothe (absence de savoir profond sur ce qui est présenté, l’implication personnelle, la représentation de quelque chose qui entre en conflit avec l’histoire entière), nous pouvons voir que tous les trois critères sont applicables dans le cas de ce chapitre. Par exemple, tout ce qui est raconté là peut être seulement produit par la folie d’Octave, ou l’implication aux autres « faux morts » de l’île, ou le fait qu’ils se sont suicidés et, conséquemment, ils ne peuvent pas être vivants. Dans le film, il y a également deux versions de la fin. Pourtant, il n’est pas possible de parler du narrateur fiable ou non fiable, puisque la première version semble être le rêve d’Octave qu’il a dans l’avion. Le narrataire littéraire, comme nous l’avons vu avant, peut jouer le rôle du lecteur implicite, c’est-à-dire, être le public cible du roman, ou il peut être abordé explicitement, par les mots « cher lecteur » ou différemment. Si nous imaginons que les citations et les aphorismes que nous avons évoqués en analysant l’auteur implicite, sont faits de la part du narrateur littéraire, on peut supposer qu’ils sont adressés au narrataire. En ce qui concerne l’adressage explicite, nous pouvons y trouver également certains exemples : « Tout est

40

provisoire : l’amour, l’art, la planète Terre, vous192, moi » (r 99, p. 5) ; « Je suis le type qui vous vend de la merde. Qui vous fait rêver de ces choses que vous n’aurez jamais… » (r 99, p. 6) ; « Dans ma profession, personne ne souhaite votre bonheur, parce que les gens heureux ne consomment pas » (r 99, p. 6) ; « Demandez à n’importe quel surfeur : pout tenir à la surface, il est indispensable d’avoir un creux en dessous » (r 99, p. 6) ; « Je suis nuisible, arrêtez-moi avant qu’il ne soit trop tard, par pitié ! » (r 99, p. 7), « Dans le monde que je vais vous décrire, la critique est digérée, l’insolence encouragée, la délation rémunérée, la diatribe organisée » (r 99, p. 7), etc. Cette notion est essentiellement romanesque. Pourtant, le film analysé, dont le concept de narrateur est très développé, a son narrataire. Nous pouvons le remarquer surtout au début du film quand Octave s’adresse à nous, les spectateurs : « Tout s'achète... vous, moi… » (f 99, 00:02:15, 00:02:19). La voix féminine s’adresse également à un public : « Pour vous, demain, accédez librement aux richesses » (f 99, 00:01:12). En outre, il y a des notions exclusivement filmiques. Si nous traitons le diagramme décrivant le concept de narrateur filmique présenté par S. Chatman, nous trouvons que certaines composantes du concept sont présentes dans le film analysé. Commençons par le canal sonore où S. Chatman distingue le son et le point de source. En ce qui concerne le son, il inclut le bruit, la voix et la musique. Dans le film, tous les trois sont présents et ils ont une grande importance. Par exemple, « cri de joie », « chants d’oiseaux », « cris d’animaux »193 et autres bruits semblables nous signalent qu’Octave est à la jungle. Au début du film, une voix féminine lointaine parle du bonheur et de la richesse en promouvant quelque chose, en nous introduisant au thème du film, la publicité. La musique aide à créer et renforcer notre impression des scènes importantes. Par exemple, dans la scène où Octave est en train de sauter du toit, la musique est lente, ce qui est fait pour produire un effet de tension. Dans la scène où Octave, Charlie et Tamara sont dans la voiture, nous entendons de la musique techno, afin de nous faire sentir ce qu’ils sentaient sous l’influence des drogues. Le point de source, selon S. Chatman, peut être soit de l’intérieur de l’écran, soit hors écran. La voix féminine lointaine, déjà mentionnée ci-dessus, peut servir d’exemple de la de la voix hors écran. Passons au canal visuel qui se compose de la nature de l’image et du traité de l’imagerie. La nature de l’image, se composante des accessoires, des places et des acteurs, est très importante pour que nous comprenions mieux le message envoyé par le canal sonore. Par exemple, la scène finale où Octave rejoint Sophie et leur enfant, est presque entièrement fondée sur l’image, il n’y a pas de voix, seulement de la musique et des sons de l’océan et des

192 Les exemples de l’adressage sont marqués en italique. 193 Les noms des bruits du sous-titrage. 41

chants d’oiseaux. À la fin, la scène se transforme entièrement en une image sur le panneau d’affichage. Les composantes telles que le filmage et le montage ce qui sont parties du traité de l’imagerie vont être analysées plus en détail dans la partie sur le langage du film.

2.4 Les personnages du roman et du film

Dans cette partie, nous analyserons les personnages du roman et du film. Il nous semble adéquat de les diviser en deux groups – personnages-hommes et personnages-femmes. En les analysant, nous utiliserons les modèles et théories suggérés par les théoriciens que nous avons présenté dans le chapitre théorique consacré aux personnages, notamment : sept sphères d’action de V. J. Propp, le personnage et la figure de R. Barthes, la caractérisation de J. Lothe, le paradigme des traits de S. Chatman et personnages plat et en relief de E. M. Forster. En confrontant ceux du roman et ceux du film, nous verrons, s’ils et leurs caractéristiques ont été changés ou conservés sans grandes modifications dans l’adaptation cinématographique. Commençons par les personnages-hommes. Parmi eux, les plus importants du point de vue de l’histoire du roman sont les suivants : Octave Parango, Charlie, Marc Marronnier, Alfred Duler. En outre, il y a des publicitaires moins importants (Philippe, Jean-François, etc.). Déjà dans le cadre de la répartition en personnages principaux et moins importants, ou épisodiques, dans le cas du film, nous pouvons observer certains changements. Jean-François apparaît beaucoup et il peut, de cette manière, être classifié aux personnages principaux. De l’autre côté, le film a plus de personnages de la moindre importance, incluant Gagnant, le Pyjaman, les photographes, etc. Octave Parango est l’un des personnages principaux du roman. Il est le narrateur de l’histoire et nous concevons les autres par l’intermédiaire de ses descriptions. Octave est un jeune homme de 33 ans qui travaille dans une agence publicitaire comme un « concepteur- rédacteur » (r 99, p. 13). Il se caractérise beaucoup au début du premier chapitre. D’abord, il crée l’impression d’un homme riche qui a une grande puissance dans la société : « Je gagne 13000 euros…Connaissez-vous beaucoup de mecs qui gagnent 13 K-euros à mon âge ? » 194 (r 99, p. 6) ; « Ou que vous posiez les yeux, trône ma publicité » (r 99, p. 6) ; « Je décrète ce qui est Vrai, ce qui est Beau, ce qui est Bien » (r 99, p. 6), etc. Il s’identifie à la profession d’un publicitaire en général en disant le suivant : « J’interromps vos films à la télé

194 Les exemples de la définition directe sont marqués en italique. 42

pour imposer mes logos… » (r 99, p. 6), « Je rabâche mes slogans dans vos magazines favoris » (r 99, p. 6), « Je Suis Partout. Vous ne m’échapperez pas » (r 99, p. 6), etc. Cependant, dans certains passages du chapitre, il se postule comme un personnage plutôt dégoutant : « […] je ne suis pas un gentil narrateur. En fait je serais plutôt du genre grosse crapule qui pourrit tout ce qu’il touche » (r 99, p. 7) ; « Jamais crétin irresponsable n’a été aussi puissant que moi depuis milles ans » (r 99, p. 7). En ce qui concerne la présentation indirecte, caractérisons les quatre éléments déjà mentionnés. Le langage qu’il utilise maintient l’impression d’un personnage dégoutant : il parle très vulgairement, par exemple : « Je suis le type qui vous vend de la merde »195 (r 99, p. 6) ; « nanas jamais moches » (r 99, p. 6) ; « la bagnole de vos rêves » (r 99, p. 6) ; « Je caste les mannequins qui vous feront bander dans six mois » (r 99, p. 6), etc. Ces mots vulgaires peuvent également servir pour se rendre plus « simple », plus proche de la foule et, de cette manière, plus compréhensible. Octave filmique est également le personnage principal. Ses traits caractéristiques sont très bien décrits par lui- même au début du film. Il nous dit qu’il a « toujours été en décalage » (f 99, 00:04:07) et qu’il a été « vraiment fait pour ce métier »196 (f 99, 00:04:10) ce qui le différencie de son prototype romanesque. Il jouit la manière de sa vie. Au début, nous le voyons se réveiller après une soirée festive, parmi les hommes et femmes nus et dormants. Pourtant, en jouissant sa vie pleine de drogues, alcool et prostituées, il admette qu’il est « une grosse merde » (f 99, 00:07:08) et « une héros moderne » (f 99, 00:07:11), le rendant plus cynique et même comique par rapport à son prototype romanesque. Il nous conseille de commencer par le « détester avant de détester l'époque » (f 99, 00:07:39) qui l’a créé. Dans le roman, il ne caractérise presque pas son apparence sauf le fait qu’il s’habille « chez APC »197 (r 99, p. 6). Le film nous fournit une image concrète : un jeune homme beau, assez haut, aux cheveux longs noirs, qui s’habille bien. Si nous essayerons de caractériser Octave du point de vue des personnages « plats » ou « en relief », nous pouvons dire qu’il est plutôt un personnage « en relief », dans le roman et dans le film. Le comportement du personnage du roman est très contradictoire. Comme nous l’avons vu, il est tantôt content de soi-même et sa puissance, tantôt il se trouve « nuisible » (r 99, p. 7) et essaye de quitter ce monde cruel de la publicité en se faisant licencier, ce qui est le but pour écrire le livre. Malgré l’image dégoutant qu’il a créée, il est un homme intelligent, ce que nous pouvons voir dans les idées dans ces clips publicitaires qu’il essaye de promouvoir. Il aime Sophie, mais il la quitte. Il déteste le monde

195 Les exemples de la présentation indirecte sont marqués en italique. 196 Le métier de publicitaire. 197 Un magasin de vêtement relativement cher. 43

publicitaire, mais il en fait partie. Il comprend lui-même que ce qu’il fait est dégoutant et amoral, mais il continue de le faire. Octave filmique lui aussi, change tout au long du film : au début, il semble être content de sa vie célibataire, ensuite il regrette le fait ce qu’il a laissé Sophie seule avec son enfant futur ; selon l’une version de la fin, il se suicide, tandis que selon l’autre il fabrique son suicide et il part pour la jungle. Les deux Octaves partagent les mêmes traits comme une figure : un publicitaire, un rebelle, un amant, un père potentiel. Selon les sphères d’action de V. J. Propp, Octave romanesque est généralement présenté comme un héros qui essaye de changer le monde, ce qui n’est pas vrai à l’égard du film. Pourtant, Octave filmique peut être considéré comme un héros puisqu’il se met contre Alfred Duler et ses idées obsolètes de la publicité. Etant complice du meurtre de la vieille dame, il apparait l’agresseur. Octave filmique est l’agresseur en faisant un sabotage quand il remplace l’annonce finale du yaourt à la télévision par sa propre version compromettante la firme et les publicitaires en général : « Pourquoi on cherche à vous le vendre ? […] Ben parce qu’on a des objectifs […] On a du chiffre à faire » (f 99, 01:25:35, 01:25:38, 01:25:41). Dans les derniers chapitres du roman, il devient un faux héros, puisqu’il ne réussit pas à accomplir son but et lui-même devient une partie du monde ce qu’il déteste tellement. Dans le film, il n’a pas des objectifs aussi grands, et pour cela, il n’échoue pas et ne devient pas un faux héros. Passons au personnage-homme suivant, Charlie. Dans le livre, aussi bien que dans le film, il est un directeur artistique, un collègue d’Octave dans l’agence publicitaire et son ami. Dans le cinquième chapitre, il devient avec Octave l’un des chefs créatifs. En ce qui concerne ses traits personnels, ils ne sont pas beaucoup présentés dans le roman. Charlie est mentionné par Octave déjà dans le premier chapitre en tant qu’un auxiliaire : « j’aurais très bien pu demander à Charlie de lui envoyer un virus « cheval de Troie » en pièce jointe par e-mail pour dézinguer son système » (r 99, p. 19). Il prend parti aux folies d’Octave : ils se droguent, passent leur temps accompagnés de prostituées, etc. À cet égard, Charlie filmique corresponde beaucoup à son prototype romanesque : il est « le binôme » d’Octave, il est un compagnon d’Octave dans toutes ses bêtises et plaisanteries. Dans le deuxième chapitre, le narrateur le caractérise : « Charlie est un rempart […] Charlie est un homme heureux ou alors il imite bien le bonheur. Il a une femme et deux enfants […] Charlie te pardonne tes excès… » (r 99, p. 36). Octave l’aime puisqu’il le « compense » (r 99, p. 36). Il trouve « les pires images ultra- pornographiques sur Internet » « distrayantes » (r 99, p. 36). En ce qui concerne les sphères d’action, nous pouvons le considérer un auxiliaire d’Octave et également un agresseur, car c’est lui qui tue la vieille dame d’une manière atroce. Charlie filmique est un agresseur en aidant Octave à saboter la campagne publicitaire du yaourt. Nous pouvons dire qu’il est, lui

44

aussi, un personnage en relief, puisque le fait qu’il a commis le meurtre et le suicide qu’il commit dans la prison surprend les lecteurs : conséquemment, « un homme heureux » (r 99, p. 36) devient un meurtrier. Dans le film, Charlie est plutôt un personnage plat puisqu’il toujours reste que le « binôme » d’Octave, en lui aidant toujours. En tant que figure, il joue les rôles de mari et de père, de publicitaire, et à la fin, de meurtrier. Dans le film, il est un homme célibataire et il est un meurtrier seulement selon l’une version de la fin du film. Le personnage-homme suivant, c’est Marc Marronnier. Il est beaucoup plus présent dans le roman, que dans le film. Pourtant, il est important du point de vue de l’histoire dans les deux. Il dirige la création de l’agence publicitaire. Dans le roman, il est au courant qu’Octave écrit le roman de l’agence. Marronnier est celui qui « l’as tout appris » (r 99, p. 23). Il est une personne très active : il publie ses livres, participe aux programmes à la télévision, écrit des critiques littéraires (ce qui nous renvoie aux activités de l’auteur du roman lui-même, Fréderic Beigbeder). À une époque, Marc était très réussi dans sa profession de publicitaire et gagnait plusieurs prix pour ses slogans. Il a appris à Octave « Les dix commandements du créatif » (r 99, p. 24), qui sont « les règles non écrites, celles qu’on ne vous enseignera jamais à Sup de Pub » (r 99, p. 24). La plupart des commandements suggère qu’un créatif ne doit pas se concentrer sur les consommateurs, mais sur les directeurs de création, afin de « remporter un prix à Cannes ou au club des AD »198 (r 99, p. 24), se faire sembler très important, en arrivant en retard aux réunions, construire une bonne relation avec son chef, etc. Dans le film, il y a un renvoi à ces commandements quand Octave est Charlie sont en retard pour la première réunion avec Duler, mais on ne dit pas explicitement que ce sont des idées de Marc. Dans le roman, il sympathise avec Octave et essaye de l’aider. C’est également le cas dans le film : en comprenant qu’Octave pourrait souffrir de dépression, il n’accepte pas sa décision de quitter son poste. Il est un personnage en relief dans le roman et dans le film : il nous surprend par son suicide, par l’affaire amoureuse avec Sophie, quittée par Octave. Les rôles qu’il joue en tant que figure sont les suivants : le chef, le maître (pour Octave), l’amant (pour Sophie). En ce qui concerne les sphères d’action, il peut être considéré tantôt comme le héros (en « sauvant » Sophie après Octave la laisse et en voulant accepter l’enfant de Sophie), tantôt comme le donateur (pour Octave, en lui passant son « savoir » sur le métier). Dans le film, nous ne sommes pas conscients s’il accepte l’enfant de Sophie, et il n’est pas au courant de sa relation avec Octave. Pour cette raison, Marc filmique ne joue pas le rôle d’un héros, mais plutôt d’un auxiliaire d’Octave, en lui soutenant.

198 L’abréviation anglaise pour le français “DA” (directeur artistique). 45

Alfred Duler est un personnage perçu plutôt négativement, dans le roman et dans le film, grâce aux commentaires donnés de lui par Octave. Il est le directeur de la firme-client de l’agence, Madone199. Il n’accepte pas les slogans présentés par Octave et c’est pour cette raison qu’Octave le déteste : « Je le prie de m’excuser pour aller aux toilettes, en pensant : « Toi ma grosse merde, tu as gagné ta place dans mon livre. Tu y figureras en bonne place » (r 99, p. 11). Puis Duler est caractérisé comme « idiot du village global » (r 99, p. 15). Pour Octave, il représente tous les méchants : « Ils sont les centres du monde ! […] toutes ces études manipulées par tous les Alfreds Dulers de la terre. Plus personne n’est responsable, sauf les Alfreds Dulers… » (r 99, p. 17). Dans le film, il est celui qui est responsable quand « une belle idée est rejetée » (f 99, 00:27:23). Il est un personnage plat : son comportement est prévisible (il va toujours rejeter les idées d’Octave), il suit une seule but, faire vendre son produit, n’acceptant pas des idées créatives ou innovante. C’est également le cas dans le film : « Alfred Duler, 51 ans, Scorpion ascendant Bélier […] Directeur du marketing de la division produits frais. Costume : Hugo Boss. Parfum : Hugo Boss. Poète préféré : Hugo Boss » (f 99, 00:20:21, 00:20:25, 00:20:28, 00:20:30). Tout ce que l’intéresse est de vendre son produit et de gagner de l’argent, de réaliser ses plans des ventes. Du côté des sphères d’action, il est plutôt un agresseur (par rapport aux idées nouvelles). Dans le film, il en est également par rapport à ses collègues et subordonnées : il se comporte mal envers eux, sans respect. En tant que figure, il ne joue que le rôle de directeur ; il est marié, mais nous le savons seulement d’une phrase. De plus, il est un mari infidèle. Philippe est le président de l’agence, qui est plus présent dans le roman. Le narrateur décrit son apparence, notamment ses vêtements qui créent une impression qu’il est une personne plutôt claire et positive, peut-être supérieure : « Il porte un pantalon blanc, un blazer marine avec une pochette blanche et des boutons dorés, une chemise à carreaux roses en vichy (évidemment) » (r 99, p. 19). Il y a une bonne relation entre lui et Octave, les deux se respectent et s’aiment bien. Il n’est pas possible de le caractériser plus en détail, car il n’apparaît souvent pas dans le livre. Dans le film, il n’est pas caractérisé du tout. Jeff (ou Jean-François), qui ne joue pas un rôle important dans le roman, est beaucoup présente dans le film. Octave et Charlie ne le traitent pas sérieusement en se moquant de lui. Il se fait du souci de la campagne de Madone. Pour cette raison, il semble légèrement craintif et il a peur de perdre son poste. Pendant la réunion sur l’échec avec Duler, il s’humilie et s’agenouille devant Octave et Charlie en leur demandant de travailler : « Bougez-vous le cul

199 Renvoi à une firme réelle, Danone. 46

pour les autres, au moins!.. Pas pour moi, tu ne m'aimes pas. Je suis qu'un commercial de merde. Non ? » (f 99, 00:40:08, 00:40:11). En ce qui concerne les sphères d’action, il joue plutôt le rôle d’auxiliaire quand il essaye de les aider à travailler et quand il vient à l’hôpital avec Charlie pour cueillir Octave. En tant que figure, il est un publicitaire, un fils de sa mère, un personnage des rêves drogués d’Octave. Jeff est un personnage plat : il fera tout le nécessaire pour rester à son poste, pour se payer son appartement : « Il a accepté d'être humilié, insulté, pendant 15 ans […] pour pouvoir emprunter de l'argent afin d'acquérir un trois pièces » (f 99, 00:40:38, 00:40:42). Les personnages-hommes épisodiques jouent le rôle d’une figure « pure », n’ayant plus de caractéristiques des personnages. Par exemple, l’un des personnages filmiques, Pyjaman, qui est un nouvel « ami » d’Octave à l’hôpital psychiatrique, est seulement un malade qui ne parle même pas et qui n’apparaît que dans une scène. Malgré le fait que son nom est évoqué à la fin (la seconde version), nous ne pouvons dire que cela lui donne des traits d’un personnage. Gagnant, que nous trouvons seulement dans l’adaptation, est un subordonné d’Alfred Duler qui n’a pas une grande importance pour l’histoire narrative du film. Philippe est une figure du directeur qui n’a pas été donné plus de traits spécifiques. Dans le roman, c’est le cas avec Jean-François. Passons aux personnages-femmes. Dans le roman, aussi bien que dans le film, Sophie et Tamara sont les personnages principaux. Il y a des écarts en ce qui concerne les personnages-femmes moins importants : dans le roman, c’est Chloë, la vieille dame et les stagiaires de l’agence, tandis que dans le film, c’est une employée de l’agence Fabienne et des femmes des annonces publicitaires. Commençons par Sophie. Comme nous l’avons déjà mentionné, en caractérisant Octave et Marc, Sophie est l’ex-amante d’Octave quitté par lui lorsqu’elle l’avait dit qu’elle était enceinte de lui. Dans le roman, nous la percevons seulement des souvenirs d’Octave et de ses descriptions. Puis, il y a la lettre qu’elle avait écrite avant de se suicider qui est la seule source de ses propres pensées (ce qui est mis en cause par le dernier chapitre, ou la lettre était crue falsifiée afin de faire croire tous qu’elle était morte). Elle commence sa lettre de la façon suivante : « La vie se passe comme ça : vous naissez, vous mourez, et entre les deux, vous avez mal au ventre » (r 99, p. 117). De cette manière, elle voit la vie d’une façon pessimiste : pour elle, la vie n’est qu’une série d’évènements ordinaires dont la seule issue est de se suicider. Par contre, dans le film, nous pouvons la voire, même si elle ne participe que dans quelques scènes. De cette manière, nous avons une image de son apparence : elle est une belle jeune femme aux cheveux blonds. Similairement comme dans le roman, elle est évoquée

47

plusieurs fois dans la mémoire et dans les rêves drogués d’Octave. Sophie filmique travaille dans la même agence publicitaire qu’Octave, comme « média planneuse » (f 99, 00:30:39), ce qui n’est pas mentionné dans le roman. Elle peut être considérée comme un personnage en relief puisqu’elle essaye de changer sa vie, de trouver de l’amour et un père nouveau pour son enfant qui va naître, et à la fin, elle se suicide, ce qui nous surprend le plus. Participant à plus de scènes du film, elle apparaît également un personnage en relief : au début, elle rejette Octave, puis, elle l’accepte et tombe amoureuse de lui. Dans la première version de la fin, elle nous surprend par son suicide. Dans la seconde, elle revient à Octave, après avoir le quitté. Du point de vue des sphères d’action, dans le roman et dans le film, elle semble être la princesse, qui a besoin d’être sauvée et une victime d’Octave, quand il la rejette. En tant que figure, Sophie romanesque et filmique est au début l’amante d’Octave, puis celle de Marc, elle peut devenir une mère, la chance, de laquelle elle s’est dépourvue en devenant, conséquemment, un meurtrier de sa propre futur enfant. Tamara est un personnage-femme assez important, car elle figure beaucoup dans plusieurs chapitres du livre. Dans le film, elle n’apparait qu’au milieu. Pour Octave, elle est sa « call-girl 200 favorite » (r 99, p. 45). Elle est extrêmement attractive pour Octave. Voilà comment il décrit son apparence : « Elle a un visage dont ton regard ne parvient pas à se détacher. Devinette : Qu’est-ce qui a la peau ambrée et un corps de Mexicaine avec des yeux d’Eurasienne ? Réponse : une rebeu dont le vrai nom n’est pas Tamara » (r 99, p. 45). L’image que nous voyons dans le film est très similaire : elle est très belle, aux cheveux noirs, à la peau et aux yeux sombres. Pourtant, elle ne se considère très belle, en disant que la seule partie « réelle » de son corps ce sont ses jambes et tous les autres sont sois des lentilles (quand Octave complimente ses yeux), sois « un Wonderbra » (quand il complimente ses seins) (f 99, 00:45:51). Malgré le fait qu’elle est une prostituée et il lui paye pour faire venir chez soi, ils ne font pas l’amour : « Tu es prêt à payer très cher juste pour le moment ou vos lèvres s’attirent comme des aimants. Tu ne veux pas coucher avec elle, juste la frôler, subir son attraction extra-terrestre » (r 99, p. 45). Tamara romanesque, aussi bien que filmique, remplace Sophie pour Octave en quelques sorte : « Il lui a demandé de porter Obsession, le parfum de Sophie » (f 99, 00:45:15). D’après E.-M. Forster, elle est plutôt un personnage plat : elle reste toujours la même au travers de toute l’histoire du livre : elle ne tombe pas amoureuse, elle cherche du bien pour soi et pour son bébé. C’est pour cela qu’elle préfère Alfred Duler à Octave, même s’elle aime bien Octave : « C’est la chance de ma vie ! Je vais

200 Le mot anglais pour « une prostituée ». 48

pouvoir de me caser, devenir une grande bourgeoise. J’aurai pour la première fois une maison à moi. Je pourrai la décorer, et je m’appellerai Madame Duler, et ma fille Mademoiselle Duler… » (r 99, p. 111). Dans le film, elle semble être un personnage plat : elle ne regrette pas « faire la pute » quand elle « fait payer » (f 99, 00:46:19), l’argent étant la seule bonne raison pour elle. Pourtant, dans la deuxième version de la fin, elle soudainement change : elle participe à l’antipub d’Octave ce qui peut créer des problèmes pour sa carrière du modèle publicitaire et pour ses relations avec Duler. Cela la fait un personnage en relief. Concernant les sphères d’action, Tamara romanesque se montre en tant qu’un agresseur en aidant à Charlie à tuer la vieille dame. Dans le film, elle est plutôt un auxiliaire d’Octave, et dans la seconde version de la fin, elle peut être considérée comme un héros en savant les vies d’Octave et de Charlie. En tant que figure, elle est une prostituée, une mère, un meurtrier et éventuellement une femme d’Alfred Duler (nous ne sommes pas au courant si ce plan se réalise). Dans le film, elle n’est tue personne et elle est une amante potentielle de Duler. Chloë est l’enfant d’Octave qui n’était pas véritablement né et qui mourut avec Sophie lorsqu’elle s’est suicidée. Elle n’est pas présente dans le film. C’est un personnage très intéressant, car nous le percevons seulement par l’intermédiaire des réflexions d’Octave et ses songes inspirés par la folie dans la cellule de la prison. Il est intéressant que la fille de l’auteur réel de 99 francs porte le même prénom et tout au début du livre, dans la dédicace, l’auteur parle évidemment de sa propre fille : « Bruno Le Moult est parti. Ce livre était pour lui. Puisque c’est ainsi, Je le donne à Chloë qui vient d’arriver » (r 99, p. 2). Octave regrette de ne pas avoir possibilité de voir sa fille (il imagine que ce serait une fille), et en regrettant, il se crée son apparence, ce qui est une image très émouvante : Deux pétillants au milieu d’une tête rose […] Sa bouche entre les joues rondes. Minuscules mains agrippées à mon menton qui tremble […] Ils m’ont privé de ma fille qui dort recroquevillée et se griffe les joues […] ses mini-coudes et genoux miniatures repliés sous elle, mon bébé aux long cils recourbés de vamp, à la bouche grenat et au visage pâle, lolita dont on voit les vaisseaux sanguins à travers les tempes et les paupières, ils m’ont empêché de connaître son rire qui éclate quand on lui chatouille le nez, ses oreilles nacrées comme des coquillages, ils m’ont défendu de savoir que Chloë m’attendait à l’autre bout du rouleau (r 99, p. 129).

Passons au personnage-femme suivant, la vieille dame américaine qui est absente dans l’adaptation filmique, puisque il n’y a pas de scène de son meurtre. Elle n’apparaît qu’une fois, dans le quatrième chapitre, au moment quand Charlie, Tamara et Octave lui rendent visite et la tuent. Pour Charlie ivre, elle est une personnification « du malheur contemporain », et pour cette raison il décide de se venger sur elle. Il la torture et la tue atrocement ; Octave et Tamara ne l’arrêtent pas, Tamara en l’aidant. Du point de vue des sphères d’action de V. J.

49

Propp, elle est une princesse (puisqu’elle est torturée) de l’un côté, et un agresseur de l’autre (car pour Charlie, elle est l’une de ceux qu’ont fait son père se suicider). En tant que figure, elle est une victime et une femme d’un soldat tué en France. En ce qui concerne les personnages-femmes épisodiques, ils sont, similairement aux personnages-hommes épisodiques, seulement des figures. Dans le livre, ce sont les stagiaires de l’agence. Parmi eux, Odile est la plus mentionnée. Elle est nouvelle dans l’agence. C’est une jeune fille de 18 ans, qui « n’aime que l’argent et la célébrité mais fait semblant d’être naïve » (r 99, p. 59). Malgré le fait qu’elle ne participe pas beaucoup à l’histoire, elle nous semble un personnage plat : une belle jeune fille qui ne pense qu’à son apparence. Elle n’est pas très importante pour les évènements du livre, et c’est pour cela qu’il n’est pas facile de définir ni sa sphère d’action, ni son rôle en tant que figure. Le même schéma est applicable dans le cas des autres stagiaires dont les noms ne sont pas mentionnés. Dans le film, Fabienne représente une employée ordinaire de l’agence qui n’a pas une grande importance pour les directeurs : Jean-François ne sait pas comment elle s’appelle est qu’elle travaille là pendant cinq ans. Les femmes des annonces publicitaires qui sont introduites entre les évènements de l’histoire du film, représentent des ménagères classiques.

2.5 Le temps et l’espace dans le roman et dans le film

Dans cette partie, nous analyserons les relations spatio-temporelles dans le roman et dans le film, et nous verrons comment ils sont transformés dans l’adaptation. Pour ce but, nous utiliserons les théories et les concepts de G. Genette, J. Lothe, S. Chatman et J.-M. Clerc, présentés dans le chapitre théorique. Principalement, nous nous appuierons sur les idées de G. Genette, puisque elles sont la base des idées des autres théoriciens mentionnés. G. Genette utilise trois notions suivantes : l’ordre, la durée et la fréquence. Commençons par l’ordre où il distingue l’analepse (ou le flash-back, selon la terminologie filmique), et la prolepse. Verrons, s’il y a des exemples de l’analepse dans le roman analysé. Dans quelques chapitres, notamment dans le deuxième, nous trouvons plusieurs exemples de l’analepse externe : Octave se souvient du soir, où Sophie l’a dit qu’elle est enceinte et il l’a quitté : « Quand tu as largué Sophie, tu lui as pourtant dis que tu préférais les putes […] Comment ça s’est passé déjà ? Ah oui, tu dînais avec elle au restaurant, quand soudain elle t’annonce qu’elle est enceinte de toi. Ce flashback n’est pas un bon souvenir » (r 99, p. 33). C’est le cas de l’analepse externe, puisque cette scène n’a pas pris place au cours du récit principal. Nous sommes au courant de cet évènement seulement par l’intermédiaire des 50

souvenirs d’Octave. Concernant le film, ce n’est pas le cas, puisque nous observons le développement de leur relation amoureuse et nous sommes les témoins de cette scène. De cette façon, c’est un exemple de l’analepse interne dans le film. Il revient à ce moment plusieurs fois, dans ses rêves drogués, en imaginant qu’il a accepté la nouvelle proprement et qu’ils sont heureux ensemble. Nous trouvons un cas de l’analepse interne dans le troisième chapitre du roman. Il y a quelques scènes où les stagiaires mentionnent le séjour d’Octave à l’hôpital psychiatrique dans le deuxième chapitre : « Tu sais que tu deviens vulgaire. Je croyais qu’on t’avait réparé la tête […] Apparemment le boulot n’est pas terminé. Tu alzheimes complètement » (r 99, p. 60). Grosso modo, tous ses souvenirs de Sophie, notamment quand tout lui rappelle d’elle, même le parfum qu’elle portait, peuvent être considérés comme les exemples de l’analepse interne. Nous pouvons également dire que ce sont les exemples de la narration rétrospective, en termes de la classification de J. Lothe. Le deuxième type de l’ordre temporel, la prolepse, ou la narration préventive chez J. Lothe, n’a pas beaucoup d’exemples dans le roman. Le seul possible peut être le moment où le narrateur à la première personne suggère qu’il serait « foutu à la porte » (r 99, p. 7) pour avoir écrit ce livre, ce qui nous renvoie à l’auteur réel qui était vraiment licencié pour cette raison. Dans le film, nous pouvons observer un exemple de la prolepse : au début, nous voyons Octave prêt à sauter, ce qui prendra place dans l’une des versions de la fin. La deuxième catégorie temporelle, présentée par G. Genette, est la durée, qui comprend la pause, la scène, le sommaire et l’ellipse. Dans le roman, il y a des exemples assez spécifiques de la pause (ou du ralenti, chez J.-M. Clerc) : ce sont les annonces publicitaires. Elles ne sont pas les descriptions pures, cependant, elles arrêtent l’histoire plusieurs fois. La durée est très bien analysable dans le film. Les annonces publicitaires qui arrêtent les évènements principaux servent de bon exemple de la pause, similairement comme les annonces dans le roman. En outre, ces annonces peuvent jouer le rôle des scènes dans le roman, puisqu’en les lisant, nous avons l’impression de les regarder à la télévision. Sauf les annonces, il y a d’autres exemples de la scène dans le roman : la visite chez la vieille dame, le dialogue avec elle, le meurtre de la dame ; le moment où Octave et Charlie gagnent le grand- prix pour leur clip publicitaire et ils sont arrêtés par la police, etc. Une catégorie essentiellement filmique, la scène est beaucoup présente dans le film : les réunions avec Duler, le dîner avec Sophie, les annonces publicitaires, la scène dans la voiture à Miami, etc. Parmi eux, la scène du dîner est surtout intéressante : quand Octave lui a « balancé tout ce que les mecs du monde […] disent à leur nana enceinte dans ces moments-lá » (f 99, 00:36:29, 00:36:32), nous voyons les hommes des pays différents dire des choses similaires à ses

51

partenaires enceintes. Le séjour d’Octave à l’hôpital peut servir de bon exemple du sommaire dans le roman : « Au bout de trois semaines, Octave a ri plusieurs fois en regardant les schizophrènes grimacer dans le jardin… » (r 99, p. 57). Quasiment tout le chapitre six est fondé sur les sommaires grâce auxquels nous savons que Marc et Sophie sont vivants et nous apprenons les nouvelles de leur vie (peut-être complètement imaginée) sur l’île : « Au Sénégal, ils n’ont croisé personne sur la plage, sauf un gentil Américain […] C’est l’Américain qui les a tués […] Mike leur proposa un marché : disparaître à tout jamais. Se faire passer pour morts afin de prendre la fuite » (r 99, p. 122). Les souvenirs d’Octave filmique de son adolescence sont un sommaire de son adolescence entier, ou la scène unique à l’hôpital psychiatrique est le sommaire du séjour d’Octave là. Dans le roman, nous pouvons parler de l’ellipse, quand nous apprenons le suicide de Marc Marronnier : « Nous avons tous été choqués par le suicide de Marc… » (r 99, p. 78). La nouvelle du suicide de Sophie est même plus surprenante, puisqu’en lisant sa lettre, nous ne comprenons pas qui est l’auteur de cette annonce du suicide jusqu’au moment quand nous voyons sa signature à la fin : « Votre fantôme favori, Sophie » (r 99, p. 117). Cette catégorie est caractéristique du genre de film. Par exemple, à la réunion avec Duler, après avoir du sang au nez, Octave se trouve à l’agence, demandant à Marc de le licencier. Un autre exemple : après la scène dans la voiture, Octave, Charlie et Tamara se trouvent dans l’avion. Chez J.-M. Clerc, les notions d’ellipse et de sommaire sont équivalentes à cette de l’accéléré. La troisième catégorie de Genette est la fréquence qui comprend la narration singulative, la narration répétitive et la narration itérative. Nous pouvons parler de la narration singulative dans le cas du « deuxième » suicide de Marc (Patrick) qui n’est mentionné qu’une fois, puisque c’est le dernier évènement de l’histoire. Un bon exemple de la narration répétitive est le soir quand Octave quitte Sophie, qui est mentionné dans le livre plusieurs fois lorsqu’Octave regrette de l’avoir fait. Les renvois à l’intoxication par les drogues et au séjour à l’hôpital sont également beaucoup présents. Il est possible de parler de la narration itérative dans le cas des sommaires de la vie quotidienne sur l’île, car les actions qui constituent leurs jours-là se répètent plusieurs fois, mais elles sont présentées à nous seulement une fois : « Les journées s’y passent à regarder le ciel et la mer et un enfant qui sourit en regardant le ciel et sa mère … » (r 99, p. 125). En ce qui concerne la catégorie de fréquence dans le film, nous pouvons y trouver des exemples de la narration répétitive : Octave revient plusieurs fois dans ses mémoires au dîner avec Sophie et aux épisodes heureux de leur relation.

52

Passons au deuxième composant des relations spatio-temporelles du roman, ce qui est l’espace. Les deux théoriciens, J. Lothe et S. Chatman, mentionnent l’espace de l’histoire et l’espace du discours. Selon eux, l’espace de l’histoire, étant abstrait, peut-être reconstitué dans l’imagination du lecteur grâce aux indices et au savoir fournis par le narrateur, et il comprend les évènements, les personnages et les lieux d’action. En ce qui concerne l’espace du discours, c’est la limitation causée par la présence du point de vue du narrateur, du personnage ou de l’auteur implicite. Ces deux notions sont, de cette manière, connectées. Le lecteur construit l’espace du roman, principalement, en se basant sur le point de vue du narrateur et du personnage principal Octave : nous le suivons voyager aux conférences publicitaires au Sénégal et à Floride et nous construisons notre propre image grâce aux descriptions fournies par lui. Au Sénégal, nous voyons seulement ce qu’est vue par Octave et par « l’entreprise », notamment la zone touristique et jamais d’autres paysages ou l’environnement du pays : « Sous haute protection de l’armée sénégalaise, le complexe touristique de Saly comprend quinze hôtels : l’agence a jeté son dévolu sur le Savana, qui cumule des dortoirs climatisés, deux piscines éclairées la nuit, des tennis, un mini-golf, un centre commercial, un casino et une discothèque… » (r 99, p. 62). À Floride, de nouveau, nous voyons le monde des riches et des beaux, par l’intermédiaire des yeux d’Octave, de Charlie, de Tamara et des autres publicitaires venus là-bas : « Nous comprenons qu’à Miami nous sommes à l’intérieur d’une publicité géante […] Des Cadillac roses dont le plancher est éclairé au néon vibrent au rythme du rap chicanos. Tant de beauté et de richesse ne peuvent que donner le tournis » (r 99, p. 80). L’espace de « l’île des faux morts » peut-être le fruit de l’imagination d’Octave. De cette manière, nous sommes limités par la folie du personnage principal du roman. Le point de vue de l’auteur implicite est également présent dans les annonces publicitaires et dans les citations qui nous font penser au changement de la situation et, parfois, de l’espace. Par exemple, l’annonce promotionnelle du suicide qui termine le cinquième chapitre nous mène à l’idée que les suicides de Marc et de Sophie sont le début d’une nouvelle vie pour eux : « MOURIR, C’EST ÊTRE LIBRE, COMME AVANT D’ETRE NÉ […] LE SUICIDE PERMET D’INTERROMPRE LA VIE ET SES NOMBREUX SOUCIS201 ! » (r 99, p. 120). L’extrait du roman L’Attrape-Cœur de J. D. Salinger, cité au début du sixième chapitre, nous fait penser à « endroits merveilleux » (r 99, p. 121) et que « ce sera entièrement diffèrent » (r 99, p. 121), créant l’impression qu’il s’agira d’un lieu spécial et du début de la nouvelle vie. En tant que spectateurs d’un film, nous sommes

201 Les annonces publicitaires sont en majuscules dans le livre. 53

toujours en contact avec l’espace. En observant les personnages voyager, se déplacer d’un lieu à l’autre, nous pouvons suivre directement les changements spatiaux. Dans le film, tous les déplacements dans l’espace sont connectés au personnage principal, Octave. Nous le suivons partout : chez lui, à l’agence, à Madone, à l’hôpital, à Miami, à la jungle… De cette manière, l’espace de l’histoire et l’espace du discours se croisent plusieurs fois, puis que nous sommes menés par le narrateur et par le personnage principal. Autrement dit, nous dépendons de leurs points de vue. À l’égard de l’espace de l’histoire selon la terminologie de S. Chatman, qui inclut les notions de taille, de contour, de position, de lumière, etc., nous pouvons les analyser dans la partie suivante, en connexion avec la terminologie du langage filmique de J. Monaco qui développe ces notions.

2.6 Le langage du roman versus le langage du film

Comme nous l’avons spécifié dans la partie théorique consacrée au langage, nous analyserons les moyens linguistiques utilisés pour la présentation du temps et de l’espace dans cette partie-là. Commençons par ceux du temps. Ce sont, selon S. Chatman, les temps verbaux et les adverbes temporels. À l’égard des temps verbaux, souvenons-nous des quatre phases narratives, notamment : l’avant-passé (le plus-que-parfait), le passé, le présent et le futur. Dans le roman, les phases deux et trois sont utilisées beaucoup. Par exemple, le sixième chapitre est narré au présent en ce qui concerne la vie sur l’île : « Ils regardent leur fille, se regardent entre eux, puis recommencent, indéfiniment. Le bébé contemple les pélicans. Ils ne font rien d’autre pendant des heures, des jours, des semaines… » (r 99, p. 125). Cependant, quand le narrateur parle des évènements qui se sont passés au Sénégal, par exemple, leur rencontre avec l’Américain, il utilise le passé (notamment, le passé composé) : « L’Américain s’appelait Mike mais son nom n’a pas d’importance […] Il s’est présenté comme un ancien agent du FBI a la retraite. Ils ont sympathisé avec lui sur la plage du Savana à Saly… » (r 99, p. 122). La dernière phase, le futur, n’est pas utilisée beaucoup. Nous pouvons trouver quelques exemples de cette phase dans la partie du premier chapitre où Octave se présente : « Je Suis Partout. Vous ne m’échapperez pas […] Vous idolâtrez mes choix […] vous allez reconnaitre mon produit dans le rayonnage d’un supermarché, et vous l’achèterez… » (r 99, p. 6). À part cela, le narrateur à la première personne dans ce chapitre utilise le présent comme le moyen principal de la narration. Il n’utilise pas la première phase. De cette manière, nous pouvons dire que le choix des temps n’est pas très varié dans le roman. Les adverbes,

54

comme « aujourd’hui », « maintenant », « après », « demain », etc., sont utilisés en abondance en tant que marqueurs des changements temporels. Voyons quels moyens linguistiques représentent les relations spatiales dans le roman. Ce sont les mots qualificatifs qui décrivent l’agence publicitaire où Octave travaille. Par exemple, les adjectifs « mondial » (r 99, p. 23), « [une secte] inhumaine » (r 99, p. 23), « [les plantes vertes] en plastique » (r 99, p. 23), « investis [d’une mission] » (r 99, p. 23), ou les mots-standards « [le look] « paquebot » (r 99, p. 23), « [le style entre] Beaubourg et Alcatraz » (r 99, p. 23) (Beaubourg étant une forteresse et Alcatraz étant une prison), « robots [rouilles] » (r 99, p. 23) créent l’image d’un endroit puissant et, en même temps, sinistre et contre-nature. Si on revient à la description du Sénégal et de Miami, les substantifs massifs tels que « L’Entreprise [a atterri] » (r 99, p. 61), « les dortoirs [climatisés] » (r 99, p. 62), « [deux] piscines » (r 99, p. 62), « des pamela andersons [de toutes tailles] » (r 99, p. 79), « des jean claude vandammes [en veux-tu voilà] » (r 99, p. 79) créent l’impression de vastitude et l’effet de l’œil omniprésent du narrateur. Dans le film, il n’est pas nécessaire d’utiliser aucunes marques spatio-temporelles, puisque nous témoignons les changements du temps et les déplacements en espace directement, en tant que spectateurs. En ce qui concerne « les actes de langage » de S. Chatman, il est intéressant d’analyser les actes de l’illocution, c’est-à-dire, l’objectif des mots et des phrases utilisés par le narrateur ou par les personnages. Par exemple, l’auto-présentation d’Octave, en tant que narrateur à la première personne, peut être considérée comme l’illocution de conviction : il essaye de convaincre ses lecteurs qu’il est omnipuissant. Dans la scène du meurtre de la vieille dame, les mots de Charlie adressés à la dame peuvent réaliser l’illocution d’accusation et de menaces. Tamara, en annonçant à Octave qu’elle a choisi Alfred Duler, réalise l’illocution d’excuse en quelque sorte. Comme nous l’avons déjà dit avant, Octave utilise de temps en temps des mots vulgaires et du style « parlé ». Cela nous mène à la conclusion que, sauf le registre courant, le registre argotique (« la bagnole » (r 99, p. 6) pour « la voiture », « nanas » (r 99, p. 6) pour « filles », « moche » (r 99, p. 6) pour « laid », etc.) ou même le registre ordurier (« crapule » (r 99, p. 7), « crétin » (r 99, p. 7), « [je n’ai pas] les couilles » (r 99, p. 7), etc.) sont caractéristiques pour le langage du narrateur à la première personne et pour celui du personnage principal. L’utilisation de ces registres sert, probablement, à créer une image dégoutante de l’agence, du monde publicitaire, d’Octave lui-même et de son environnement. Les publicitaires utilisent parfois les anglicismes (par exemple, « cash-flow » (r 99, p. 6), « casting » (r 99, p. 47), « callback » (r 99, p. 47), « paint-box » (r 99, p. 48), etc.), puisqu’ils

55

travaillent à l’agence publicitaire américaine et, en plus, dans le monde de la publicité, il y a plusieurs emprunts de l’anglais. Les mêmes registres de langue peuvent être appliqués au langage utilisé par Octave filmique. Au début du film, il est très intéressant d’observer comment on traite l’importance du langage à l’agence : Marc juge l’une des assistantes d’avoir utilisé des mots démodés ce qu’il n’accepte pas, en tant que directeur de création : « Et ton langage démodé... « ..Oh, on a trop kiffé ! C'était génial, on s'est éclatés ». Tu évites quand je bosse, ça me dégoute » (f 99, 00:10:35, 00:10:36, 00:10:41). Cela indique qu’à l’agence, tout, le langage y compris, doit être à jour. Pourtant, le langage filmique est très spécifique, ayant l’image comme son unité principale. Pour cette raison, il est nécessaire d’employer une terminologie spéciale et essentiellement filmique, comme celle présentée par J. Monaco. Comme nous l’avons déjà spécifié avant, l’image a la signification dénotative et la signification connotative. Puisque l’image et le son sont presqu’identiques aux objets du monde réel qu’ils représentent, nous nous concentrons plutôt sur la signification connotative du film. Pour cette raison, ce sera plutôt la syntaxe filmique qui nous intéresse. Commençons par la notion de mise en scène. Elle inclut les concepts d’image encadrée et de plan diachronique. À propos du premier, analyserons les limitations par le cadre dans notre film. Dans la plupart des cas dans 99 francs, nous pouvons parler de la forme fermée de l’image, c’est-à-dire, l’image est autosuffisante et la scène est assemblée par les personnages et par les objets que nous pouvons voir. Cela dit, nous pouvons y trouver quelques exemples de la forme ouverte de l’image : la scène de l’adolescence d’Octave quand il est aux toilettes et nous écoutons sa mère l’appeler à la table : « - Octave ! Mon chéri, à la table… -Oui, maman. Je viens » (f 99, 00:03:54, 00:03:55, 00:03:58). Nous sommes conscients que la mère d’Octave est hors cadre, mais qu’elle participe à la scène. Dans le cadre du plan diachronique, nous pouvons analyser la distance, la mise au point, le mouvement et le point de vue. La distance comprend le plan général, le gros plan, le plan long et le plan extrêmement long. Dans le film, nous avons étés capables d’identifier les plans généraux, les gros plans et les plans longs. Les plans généraux sont la base d’un film, puisqu’ils représentent le décor entier d’une action ou d’une scène. Dans la scène de la première réunion, on utilise des gros plans tantôt d’Octave, tantôt de Duler quand ils prennent la parole. Un exemple du plan long, c’est-à-dire quand une scène entière se déroule dans le cadre fixe, est la réunion à l’agence durant sept heures : tout se déroule dans une seule chambre, nous observons les publicitaires dormir, ronfler, parler, chuchoter, à la même table. La mise au point se constitue de la profondeur et de la texture. Généralement, le film est basé

56

sur la mise au point profonde, c’est-à-dire, sur celle qui inclut le premier plan, le second plan et l’arrière-plan. Néanmoins, il est possible de trouver les moments dans le film, quand la mise au point est peu profonde, c’est-à-dire, seulement l’un des plans est accentué. Le premier plan est toujours plus accentué quand il y a des gros plans. Au début du film, le panneau d’affichage se trouve à l’arrière-plan, mais nous sommes conscients que la voix lointaine se réfère à lui. En ce qui concerne la texture de l’image filmique, nous pouvons dire que dans la plupart des cas, elle est nette, en nous fournissant de la vraisemblance. Pourtant, il y a des moments où la texture devient floue, ce qui signalise que ce que nous voyons peut être soit un rêve, soit une illusion : quand Octave, en rêvant, se situe dans le ventre de Sophie et y voit son bébé, ou la scène dans la voiture, quand l’image change en suivant les émotions expérimentées par les drogués et ressemble à un dessin animé. Passons au mouvement où J. Monaco distingue le travelling et le zoom tir. La scène où nous suivons Octave chassant Sophie dans son rêve drogué peut servir d’exemple du travelling. La scène de la première réunion avec Duler, où nous voyons des gros plans, est un exemple du zoom tir qui crée l’impression de mouvement en grandissant l’image. Le point de vue dans le film peut être présenté par le plan de situation et par la bande de narration. Le plan de situation, établissant le lieu, la chambre, les personnages, est utilisé, par exemple, au début du film, quand nous sommes proposés un plan de la rue avec le panneau d’affichage, avec l’édifice duquel Octave est en train de sauter. La bande narration est représentée par le son connecté à l’image et le son commentative hors image. Dans la plupart des cas, le film utilise le son connecté à l’image. Néanmoins, le son hors image est également présent : la voix lointaine au début du film, ou la voix de la mère d’Octave dans la scène de son adolescence. Dans le domaine de montage, il est surtout intéressant d’analyser la ponctuation filmique, afin de voir comment les images sont jointes l’une avec l’autre. Elle inclut la coupe non-marquée, le fondu, le volet, l’intertitre et l’arrêt sur image. La coupe non-marquée quand une image est changée par l’autre sans le faire remarquable, est la base de la ponctuation du chaque film. Le fondu est le volet sont très proches et consistent à la visible transition d’une image à l’autre. Cette technique est employée, par exemple, dans la deuxième variante de la fin, quand nous voyons comment Octave, Sophie et leur fille transforment en panneau d’affichage. La même scène peut servir d’exemple de l’arrêt sur image, puisque c’est la dernière scène et la dernière image du film. N’étant pas un film muet, 99 francs ne dispose pas de l’intertitre. Si nous comparons les moyens de la ponctuation filmique et de la ponctuation textuelle, nous pouvons voir qu’ils ont un trait commun : ils sont utilisés pour séparer ou pour connecter les unités individuelles de chacun de ses langages, notamment les

57

mots et les phrases dans le texte, et les images et les plans dans le cas de film. En outre, ces moyens sont de la nature totalement différente, en soulignant que ces deux types de l’art sont comparables, mais également assez indépendants l’un de l’autre.

58

3 L’analyse des écarts entre la version du roman et celle de l’adaptation cinématographique

Dans la présente partie de notre mémoire, nous analyserons les écarts entre les versions romanesque et filmique. Nous essayerons d’expliquer pourquoi certains changements sont survenus pendant l’adaptation et pourquoi le réalisateur les a faits. Commençons par les écarts au niveau de l’histoire. D’abord, analysons les évènements qui manquent au roman, mais qui sont présents dans le film. Nous trouvons la première différence déjà au début : le plan de situation dans le film nous offre une rue déserte, une voix lointaine parlant des richesses et Octave qui est en train de se suicider. Ensuite, il se réveille entouré des gens nus et se dirige au travail. Nous suggérons que la raison pour laquelle on a introduit ces scènes au film, c’est de créer une situation où Octave pourrait se présenter et exprimer sa vision de la publicité, l’agence où il travaille avec ses collègues. Le roman commence par ses opinions, ce qui est habituel dans le récit verbal, tandis que le film doit offrir une image, une scène. Une autre raison pourquoi introduire la scène sur le toit, c’est parce qu’elle est liée avec l’une des versions finales de l’adaptation. À l’agence, il y a d’autres scènes qui manquent au roman. Par exemple, celle de shooting. La raison peut être assez simple : pour mieux présenter une journée au travail d’un publicitaire. Un film, comme on a précisé ci-dessus, est une forme visuelle, et il a besoin de plus de scènes qu’un roman. Pour la même raison, dans le film on peut voir l’arrivée tardive d’Octave et de Charlie à la réunion avec Duler, en illustrant déjà l’un de « Dix commandements… ». La scène où Octave demande à Marc de le licencier et le rêve drogué d’Octave chassant Sophie et voyant son bébé dans le ventre de Sophie peuvent servir d’exemple pour la même explication. En outre, comme nous l’avons vu en présentant Jan Kounen, il est connu comme innovateur dans le domaine des effets spéciaux qu’il a beaucoup utilisés pour filmer le rêve et la scène dans la voiture, pour montrer les émotions expérimentées par les personnages sous l’influence des drogues. L’apparition de certains personnages est plus récente dans le film puisqu’ils participent aux scènes qui manquent au roman. Un autre évènement qui est très important du point de vue de l’histoire est présenté différemment dans le film : on y ajoute la scène de la rencontre d’Octave avec Sophie. Cela, selon nous, sert à introduire un nouveau personnage, Sophie. La scène de leur dîner est présentée plus en détail dans le film. La raison pour le faire peut être celle d’accentuer son importance pour l’histoire en général et de pouvoir l’utiliser quand Octave se souvient de cet évènement. Le film introduit la scène quand Jeff et Charlie viennent le chercher à l’hôpital, cela étant fait pour résumer le séjour d’Octave à l’hôpital

59

psychiatrique. Une chaîne entière des évènements est introduite par le réalisateur dû aux différentes versions de la fin : dans la voiture, dans l’avion, la célébration de la promotion à la fonction de directeurs artistiques, la police chassant Octave, le suicide d’Octave, le sabotage de l’annonce publicitaire du yaourt, le séjour d’Octave dans la jungle, la réunion avec Sophie et leur fille. L’idée de la fin ouverte, où plusieurs versions sont offertes au lecteur/spectateur, est conservée dans le film, pourtant le réalisateur a préféré de créer les deux options de la fin totalement différentes par rapport à celles du roman. Nous croyons qu’il l’a fait puisque, concernant la première version, une scène du suicide est plus spectaculaire et, en même temps, plus courte qu’un séjour dans la prison, et concernant la deuxième version, la vengeance et la fuite à la jungle sont également plus filmiques (par rapport à l’action) qu’une série des loisirs quotidiens sur l’île des faux-morts. De l’autre côté, certains évènements du roman ont été omis dans l’adaptation. Par exemple, celle aux toilettes, quand Octave y laisse des inscriptions sanglantes, ne figure pas dans le film. Nous pensons que ce changement est survenu pour introduire la scène ajoutée avec Marc, sur le licenciement d’Octave. Dans le roman, le dialogue avec Marc a pris place quand il vient voir Octave pour lui rapprocher ces inscriptions. Les évènements comme le séjour d’Octave à l’hôpital psychiatrique ou le séminaire de la Ross au Sénégal sont seulement brièvement mentionnés dans le film puisque, comme il nous semble, les détails de ces deux séjours ne sont pas tellement importants pour l’histoire. Étant toujours plus court qu’un récit verbal, un film doit condenser certains évènements, si cela est possible. Moins d’importance est accordée à la relation d’Octave avec Tamara : dans le film il n’a pas de sentiments amoureux pour elle. Le film fait seulement une allusion au début de la relation de Tamara avec Duler ; la possibilité de leur futur mariage n’est pas mentionnée du tout. La raison pour cela peut être le fait que Tamara est un personnage moins développé dans le film. Pour la raison déjà évoquée ci-dessus, les évènements connectés à la fin sont complètement omis : le meurtre de la vieille dame à Miami, le grand-prix pour la meilleure annonce publicitaire, Octave et Charlie dans ses cellules de la prison, le chapitre six entier (l’île des faux-morts), le suicide de Charlie. Passons aux différences au niveau de la communication narrative. En ce qui concerne les notions d’auteur réel et d’auteur implicite, elles n’existent que dans un récit verbal, puisque plusieurs personnes contribuent à la réalisation d’un film. Dans le cas des notions de lecteur réel et implicite, nous pouvons dire qu’elles ne sont pas caractéristiques d’un récit visuel, pourtant, il est possible de parler de la notion de spectateur. Les gens qui regardent un film, sont les spectateurs réels, tandis que le public cible du film peut être référé comme « le spectateur implicite », qui est assez proche de la notion de narrataire, de laquelle nous

60

parlerons plus tard ici. Le concept de narrateur, qui est un trait essentiellement romanesque, est assez développé dans le film analysé. La raison pour cela peut être le fait que Fréderic Beigbeder a collaboré avec Jan Kounen et, croyons-nous, il aurait pu influencer le dernier, puisque cette idée de la narration « polyphonique » était une idée fondatrice du roman, comme nous l’avons précisé dans la partie théorique. Néanmoins, il y a des différences, car déjà F. Beigbeder constatait qu’il a utilisé cette idée afin de montrer qu’il y a des traits romanesques qui ne peuvent pas être complètement appliqués à un film. Dans le roman, nous voyons clairement la présence de six pronoms personnels qui ont influencé la division du roman en six chapitres. Ils représentent le narrateur à la première personne (« je », « nous »), celui de la deuxième personne (« tu », « vous ») et celui de la troisième personne (« il », « ils »). Le film ne fait pas une nette distinction de ce type, pourtant dans les différentes parties, nous pouvons trouver des traces des narrateurs diverses, ou « voix narratives » : au début et à la fin du film, Octave, en tant que narrateur, utilise les pronoms de la première personne (« je », « nous », « on »), et dans quelques autres parties nous pouvons trouver les cas de l’utilisation des pronoms de la troisième personne (« il, elle, on »). Un autre concept, celui du narrateur fiable ou non fiable, n’est pas applicable au film, et cela peut être dû au même fait : le concept de narrateur est moins développé dans le film. La notion de narrataire, similairement à la notion précédente, est plus caractéristique d’un roman, pourtant elle est applicable au film de Jan Kounen, car s’il y a un narrateur, il s’adresse à un narrataire (le public cible, les spectateurs) : Octave, en parlant de soi-même, s’adresse à un « vous » ; la voix de femme au début du film se réfère également à un public, ce qui peut être causé par le fait qu’elle est une voix d’une annonce publicitaire. Les notions de canal sonore et canal visuel sont essentiellement filmiques, puisqu’un roman ne dispose pas d’images ou de son. Le niveau suivant, selon lequel nous analyserons les écarts entre le roman et le film, est celui du personnage. Octave filmique est généralement plus cynique et moins tragique que son prototype romanesque, ce qui peut être causé par le genre du film qui est une comédie satirique. Dans le cadre des sphères d’action, il n’est pas un héros, n’essayant pas de changer le monde, ce qui résulte en un autre changement par rapport à Octave romanesque : il n’est pas un faux héros, n’ayant pas des objectifs tellement grands. Cela le délivre de plusieurs souffrances expérimentées par Octave romanesque. Son « binôme » Charlie a évolué d’un personnage en relief à un personnage plutôt plat, dont raison repose sur le fait qu’il est généralement moins développé dans le film. Les évènements qui en faisaient un personnage en relief manquent au film. La même raison produit l’évolution du personnage de Marc Marronnier : nous ne savons pas s’il a accepté l’enfant futur de Sophie, et c’est pourquoi nous

61

ne pouvons pas le considérer comme héros. Le personnage d’Alfred Duler, obtenant grosso modo les mêmes traits que son prototype romanesque, ne change pas beaucoup, sauf certaines scènes montrant son attitude méchante par rapport à ses collègues et employés, ce qui peut être fait afin d’accentuer ses traits négatifs. Jeff filmique a évolué beaucoup par rapport à son prototype dans le roman, étant présent dans plusieurs scènes du film. Puisqu’il y apparaît, dans la plupart des cas, en relation avec Octave et Charlie se moquant de lui, nous suggérons qu’il joue le rôle d’un clown pour aider à créer l’ambiance particulière à l’agence. Le film porte de nouveaux personnages-hommes épisodiques, Pyjaman et Gagnant. Le premier y est introduit puisqu’il apparaît dans une seule scène représentant le séjour d’Octave à l’hôpital psychiatrique. Concernant Gagnant, lui, similairement à Jeff, sert d’exemple de l’humiliation et du mauvais comportement au travail qu’il reçoit de Duler. Passons aux changements au niveau des personnages-femmes. Sophie filmique participe plus à l’action du film que son prototype dans le roman. Cela est causé par le même fait qu’on a mentionné par rapport aux écarts au niveau de l’histoire : un film a besoin d’images et il est nécessaire de mettre en scène ce que nous trouvons seulement dans les mémoires d’Octave romanesque. Tamara filmique a évolué d’un personnage plat en un personnage en relief (en devenant un héros) : la raison peut reposer en le fait qu’elle participe aux évènements de la deuxième version de la fin. Nous pouvons également connecter les changements de ses fonctions (elle n’est pas un agresseur, ni un meurtrier) aux changements au niveau de l’histoire. Le personnage de la fille d’Octave est très « réduit » : il n’y a d’allusions à elle que dans l’un des rêves drogués ou dans la deuxième version de la fin. Son nom n’est pas mentionné. Nous croyons que ce sujet était une raison des souffrances d’Octave, et c’est pourquoi il n’est pas développé dans la comédie satirique. Le film dispose de moins de personnages-femmes épisodiques (il n’y a que Fabienne ou des femmes des annonces publicitaires) parce que moins d’importance est portée aux évènements auxquels elles participent. Analysons les écarts au niveau des relations spatio-temporelles, en commençant par la notion temporelle d’ordre. La scène du dîner avec Sophie, qui est plusieurs fois reprise dans le roman et dans le film, se transforme d’un exemple de l’analepse externe en exemple de l’analepse interne à cause de changements au niveau de l’histoire déjà mentionnés ci-dessus : elle fait partie du récit principal et n’est pas antérieure par rapport à lui. Ensuite, au début du film, il y a une scène qui peut servir d’exemple de la prolepse (Octave sur le toit, prêt à se suicider), tandis que dans le roman il n’y a que de traces de cette notion, puisqu’elle est plus caractéristique d’un récit visuel que d’un récit verbal. Nous pouvons également observer des changements dans l’adaptation cinématographique qui sont survenus dans le cadre de la

62

durée. Par exemple, la scène du dîner est certainement plus spectaculaire dans le film que dans le roman où le lecteur est forcé à imaginer tout lui-même, ce qui est le cas de toutes les scènes dans un récit verbal. Si nous comparons les exemples du sommaire dans le roman et dans l’adaptation, nous pouvons trouver des similarités, par exemple le sommaire du séjour d’Octave à l’hôpital. Néanmoins, il y a des différences même dans ces similarités : ce sommaire est beaucoup plus court dans le film, puisque cet évènement, croyons-nous, est de moindre importance pour l’histoire, et l’adaptation, étant limitée temporellement, omet les évènements de ce type. Le film contient des sommaires qui ne sont pas trouvables dans le roman, par exemple celui de l’adolescence d’Octave. Selon nous, ce sommaire le présent comme un adolescent « en décalage » (f 99, 00:04:07), pour expliquer pourquoi il a voulu devenir un publicitaire, un métier, pour lequel il est nécessaire d’en être. D’un autre côté, le film n’a pas de sommaire des évènements sur l’île de faux morts, puisqu’ils ne font pas partie de l’histoire du film. Nous pouvons également trouver des différences au niveau de l’ellipse : la scène aux toilettes n’est pas présente dans le film, ce qui crée l’impression d’un « saut» de la scène de la réunion à la scène où Octave demande à Marc de le licencier. Nous suggérons que c’est fait afin d’accélérer l’action, ce qui dramatise la scène avec Marc et souligne la déception d’Octave qu’il sent pendant la réunion. Nous pouvons observer un autre cas de l’ellipse, quand Octave, Charlie et Tamara se réveillent soudainement dans un avion, juste après s’étant drogué dans la voiture à Miami. C’est également fait pour dramatiser l’instant du réveil et tenir la tension : ont-ils tué quelqu’un ou ils n’ont pas tué personne ? Cet effet fait possible l’introduction des deux versions de la fin. Dans le cadre de l’espace, il y a certaines différences au niveau du point de vue : comme nous l’avons précisé, le concept d’auteur n’est pas applicable à un film, et notamment à l’adaptation analysée, et c’est pourquoi il n’y a pas de traces du point de vue de l’auteur implicite, à la différence du roman : nous sommes conduits exclusivement par le point de vue d’Octave, en tant que personnage principal et narrateur à la première personne. Le niveau du langage est, probablement, celui où il y a le plus grand nombre d’écarts entre le roman et l’adaptation cinématographique, dont la raison repose en nature des unités minimales des deux langages : celle du récit verbal est le mot, tandis que ceux du récit visuel, notamment du cinéma, sont l’image et le son. De cette manière, le premier utilise des temps verbaux, des adverbes temporels ou des adjectifs spatiaux pour exprimer les changements dans le temps ou dans l’espace, cependant que dans le cas du dernier, aucun marquage n’est pas nécessaire, puisque nous, en tant que spectateurs, sommes les témoins directs de ces changements. La même raison produit une grande différence au niveau de la ponctuation : le

63

roman utilise son propre marquage pour séparer ou connecter ses unités de base, les mots (des virgules, des points, des deux-points, etc.), tandis que le film utilise ses moyens essentiellement cinématographiques (des coupés non-marqués, des fondus, des volets, etc.). Il est pourtant possible de comparer les registres de langues utilisés par les personnages : ils sont similaires dans les deux cas, sauf l’accent fait au langage « à jour » dans le film, pour exagérer que l’agence publicitaire est une organisation où il est nécessaire de suivre les dernières tendances.

64

Conclusion

Dans le présent mémoire, nous avons essayé d’analyser les écarts qui sont survenus pendant l’adaptation cinématographique du roman 99 francs et de donner des raisons éventuelles de ces changements. Ainsi, nous avons présenté, dans la première partie, les principaux niveaux sur lesquels nous avons fondé la comparaison du roman et de son adaptation. Comme les plus significatifs, nous avons trouvé les niveaux de l’histoire, de la communication narrative, du personnage, des relations spatio-temporelles et du langage. La seconde partie a essayé d’appliquer les notions théoriques à l’analyse comparée du livre et du film. De cette manière, nous avons trouvé que malgré le fait, que le réalisateur de l’adaptation a coopéré avec l’auteur du roman, il y a certaines différences plus ou moins importantes, sur chaque niveau de comparaison. C’est notamment le niveau de l’histoire, où certains évènements sont soit ajoutés, soit omis, et où les versions de la fin sont totalement différentes. Les changements de ce niveau ont un impact sur les autres. Le but principal de notre mémoire était ainsi d’expliquer pourquoi l’adaptation cinématographique 99 francs est différente par rapport à son roman-source éponyme. La raison principale est la différence entre les genres : le film, étant une forme visuelle, a besoin de plus d’images et de tout montrer, plutôt que décrire, comme c’est le cas du roman. Cela cause l’introduction des scènes plus développées et détaillées dans le film, de l’un côté. De l’autre, puisque le film est limité temporellement, dans 99 francs nous observons l’omission ou réduction (des sommaires ou ellipses) des évènements de la moindre importance qui ne sont pas spectaculaires, et leur remplacement par les scènes qui contiennent des effets spéciaux. Les changements de l’histoire mènent aux changements au niveau du personnage : certains évènements manquent à l’adaptation, les personnages ne leur participent pas, et le résultat est que ces personnages sont moins développés par rapport à ses prototypes romanesques (comme c’est le cas de Tamara ou Marc). Si le genre du film change par rapport à celui du roman, les personnages peuvent également perdre ou acquérir des traits personnels ; Octave en peut servir de bon exemple. Ensuite, les changements de l’histoire modifient les relations spatio-temporelles, notamment l’ordre des évènements dans l’adaptation analysée. Certains écarts, comme ceux au niveau de la communication narrative et du langage, sont principalement causés par les traits caractéristiques du récit verbal (notamment, la présence de l’auteur, lecteur, etc.) ou du récit visuel. D’un autre côté, on peut voir que malgré les plusieurs différences que nous avons découverts, Jan Kounen a été capable de garder des traits pensés romanesques, par exemple la narration à plusieurs voix narratives (l’utilisation de « je »,

65

« il », « elle ») ou le narrateur à la première personne qui est également le personnage principal (Octave). De cette manière, sur l’exemple de 99 francs, nous avons vu qu’une adaptation cinématographique est significativement modifiée par rapport à son-roman source, même si le réalisateur collabore avec l’auteur du livre, et cela est causé par plusieurs faits, le plus important étant la différence entre les genres du roman et du film.

66

Bibliographie

Texte analysé BEIGBEDER, Frédéric, 99 francs, Paris, Éditions Grasset & Fasquelle, 2000.

Film analysé 99 francs (2007), 99 minutes. Réalisation : Jan Kounen. Scénario : Nicolas et Bruno. Acteurs principaux : (Octave Parango), Jocelyn Quivrin (Charlie), Vahina Giocante (Sophie), Patrick Mille (Jeff), (Tamara). Sociétés de production : Légende Entreprises. Pays d’origine : France. Genre : comédie.

Ouvrages théoriques et critiques BARTHES, Roland, Introduction à l’analyse structurale des récits. In : Communications, 8, 1966. Recherches sémiologiques : l’analyse structurale du récit, pp. 1-27. BARTHES, Roland, S/Z, Paris, Éditions du Seuil, 1970. CLERC, Jeanne-Marie, Littérature et cinéma, Paris, Nathan, 1993. DURAND, Alain-Philippe (dir.), Frédéric Beigbeder et ses doubles, Amsterdam / New York, Rodopi, 2008. FORSTER, Edward Morgan, Aspekty románu. V Bratislave: Tatran, 1971. GENETTE Gérard, Figures III, Paris, Editions du Seuil, 1972. LOTHE, Jakob, Narrative in fiction and film: an introduction, Oxford, Oxford University Press, 2000. LEŠKOVÁ, Anna, From fiction to film: adaptations of E. L. Doctorow, Magisterská diplomová práce pod vedením pana PhDr. Tomáše Pospíšila, Ph.D., Brno, Masarykova univerzita, Filozofická fakulta, 2000. CHATMAN, Seymour, Dohodnuté terminy: rétorika narativu ve fikci a filmu, V Olomouci, Univerzita Palackého, 2000. CHATMAN, Seymour Benjamin, Příběh a diskurs: narativní struktura v literatuře a filmu, Brno, Host, 2008.

67

McFARLANE, Brian, Novel to Film. An Introduction to the Theory of Adaptation. New York: Oxford University Press, 1996. MONACO, James, How to Read a Film. The Art, Technology, Language, History and Theory of Film and Media. New York, Oxford: Oxford University Press, 1981. PROPP, Vladimir Jakovlevič. Morfologie pohádky: se studií Clauda Lévi-Strausse, Praha: Ústav pro českou literaturu ČSAV, 1970.

68