CINEMA W Politique
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CINEMA / POLITIQUE Edition coordonnée TROIS TABLES RONDES par Nicole Brenez et Edouard Arnoldy Peter Bogdanovich Roger Corman Samuel Fuller Jean-Luc Godard King Vidor Pierre Clémenti Miklós Jancsó Glauber Rocha Jean-Marie Straub Raymonde Carasco Lou Castel Mounir Fatmi Philippe Grandrieux Marcel Hanoun Rashid Masharawi Wael Noureddine FJ Ossang Lionel Soukaz NICOLE BRENEZ Pages arrachéES AU LIVRE dE L’histoire culturelle page 3 GODARD A HOLLYWOOD LOS ANGELES 1968 page 12 Peter Bogdanovich, Roger Corman, Samuel Fuller, Jean-Luc Godard, King Vidor LE CINEMA COMMENCERA QUAND L’industrie dispARAITRA ROME 1970 page 26 Nous remercions Pierre Clémenti, Miklós Jancsó, Glauber Rocha, Jean-Marie Straub chaleureusement tous les participants aux Tables rondes, l’Université Paris I – la Sorbonne, le Professeur SECURITY REASONS Jean Gili ainsi PARIS 2004 que Filippo Camaiti, page 49 Robert Fenz, Raymonde Carasco, Lou Castel, Mounir Fatmi, Philippe Grandrieux, Marcel Hanoun, Mark Webber et tout spécialement Rashid Masharawi, Wael Noureddine, FJ Ossang, Lionel Soukaz Adrian Martin. En couverture : Robert Fenz, Meditations on Revolution Part 1 : NOTICES BIO-FILMOGRAPHIQUES page 80 Lonely Planet, 1997. NICOLE BRENEZ PAgEs ArrAchéEs Au livrE dE l’histoirE culturEllE Faire des images, quel que soit l’instrument dont on dispose (teinture, peinture, argile, celluloïd, bande magnétique…), quels que soient les moyens de production que l’on accepte, conquiert ou s’accorde, c’est s’attribuer une parcelle de pouvoir symbolique : pouvoir de créer quelque chose qui n’était pas là, pouvoir de conserver quelque chose qui était ou aurait été là, pouvoir de transmission, d’intervention, d’affirmation, de suggestion. Aussi apparemment sophistiquées qu’elles semblent, la provenance et la substance technologique de l’image ne changent fondamentalement rien aux puissances archaïques qui travaillent sourdement l’activité symbolique. On peut indiquer sommairement trois de ces puissances : • puissances apotropaïques (l’image prend en charge la souffrance et la mort – pensée pérenne dont héritent Benjamin et Adorno – et ce jusqu’à pouvoir les écarter, c’est le grand thème de la « résistance » dont héritent Malraux, Godard, deleuze) ; • puissances cognitives (l’image documente, atteste, indique, informe, explique, argumente) ; • puissances performatives (l’image assure une emprise tantôt ou tout à la fois sur son référent, son « Nous ne spectateur, son environnement, elle révèle, modifie, intervient, agit). voulons pas dans les trois cas, l’image assure une transition entre l’actuel et le virtuel, que cette transition soit examen être seulement critique, vrille réflexive ou incantation prophétique. Les plus rigoureusement matérialistes des cinéastes le savent bien, eux qui s’expriment volontiers sous forme d’oracles (Jean-Marie Straub, Jean-Luc Godard). une page de l’histoire La première revendication – qui relève éventuellement du réflexe, de l’intuition et pas nécessairement culturelle. » d’une délibération – d’un cinéaste engagé dans son art consiste à refuser la réduction des propriétés gudrun Ensslin. 3 symboliques attribuées à son médium. Or, de ce point de vue, l’histoire du cinéma consiste en un double mouvement contradictoire et peu dialectique. d’une part, réduction utilitariste des propriétés symboliques au statut de fonctions sociales et réduction corollaire d’un ensemble de fonctions sociales potentielles à celle, hégémonique, du divertissement (qui en soi n’a rien de répréhensible, mais dont l’exclusivité oblige à réactiver sans cesse la question souvent formulée par Marcel Hanoun : « divertir ? Oui, mais de quoi ? »). d’autre part, profusion de films et de discours qui affirment, explorent, questionnent et ce faisant élaborent les propriétés et les vertus de l’image cinématographique. Tel fut peut-être le génie du cinéma : à la manière dont on entretient une flamme, cinéastes, critiques, essayistes, théoriciens ont entretenu la croyance que, en tant qu’activité symbolique, le cinéma pouvait tout – enregistrer, conserver, décrire, expliquer, annoncer, prévoir, exprimer, figurer, enchanter, ouvrir, changer, sauver le monde. Et il pouvait tout cela, qui pourtant s’avère contradictoire, en même temps. de Jean Epstein à Philippe Grandrieux, de King Vidor à Lionel Soukaz, les auteurs alimentent « une haute idée du cinématographe » (Robert Bresson), c’est-à-dire des puissances dont celui-ci se montre capable ou, plus simplement, se trouve crédité. Archaïques, de telles puissances n’en sont pas pour autant anhistoriques. En lisant dans l’ordre les trois tables rondes ici publiées, on verra se répondre mais aussi se déplacer les revendications et les questions formulées par certains des artistes les plus exigeants de leur temps. Notons d’abord qu’à eux tous, ils couvrent l’ensemble du siècle du cinéma. King Vidor est né en 1894, Samuel Fuller en 1911, Miklós Jancsó, Roger Corman, Marcel Hanoun dans les années vingt, Jean-Luc Godard, Jean-Marie Straub, Glauber Rocha, Peter Bogdanovich et Raymonde Carasco dans les années trente, Pierre Clémenti et Lou Castel respectivement en 1942 et 1943, Lionel Soukaz, Philippe Grandrieux et F.J. Ossang dans les années cinquante, Rashid Masharawi en 1962, Mounir Fatmi et Wael Noureddine aux deux extrémités des années soixante-dix. Mais la beauté de ces tables rondes réside évidemment d’abord dans le caractère 4 international des rencontres suscitées. • Los Angeles 1968 : confrontation et fraternisation entre représentants éclairés de la cinématographie américaine (que ceux-ci distinguent soigneusement de l’industrie hollywoodienne) et un cinéaste franco- suisse tout à la fois amoureux de la Série B, bazinien et marxiste-léniniste, dont l’aura protégeait et protège d’ailleurs toujours le cinéma d’auteur dans son ensemble. • Rome 1970 : rencontre internationaliste lointainement calquée sur les Conférences des Pays Non- Alignés typiques de l’époque, entre des auteurs venus de blocs géopolitiques opposés, l’Amérique du Sud en ébullition, l’Europe de l’Est communiste bureaucratisée, l’Europe de l’Ouest économiquement et culturellement colonisée, devenue terrain de manœuvre pour une génération révoltée et champ de tir pour les mouvements de libération terroristes. 1. « Qu’il le sache ou non, [un • Paris 2004 : mise en présence d’auteurs emblématiques de l’avant-garde européenne et d’artistes auteur] ne croit rien, c’est-à- participant à l’émergence collective et urgente d’une avant-garde dans les pays arabes, en proie aux dire qu’il croit dans le contraire de la vie : et c’est cette foi qu’il conflits les plus nombreux et violents de ce début de XXIe siècle. exprime en se déchirant avec des blessures de témoignage. Et l’amour désintéressé pour En ce sens, les trois tables rondes réverbèrent l’éclat des foyers conflictuels principaux de leur époque la vie qui lui vient de son to- et superposent à l’activité du cinéaste le modèle dominant d’activité révolutionnaire qui leur est tal pessimisme (même s’il est marqué parfois par des idéalis- contemporain. mes petits-bourgeois) ne peut avoir que des traits obscurs et méconnaissables qui répandent 1968 correspond à l’apogée de la contre-culture, inspirée par l’exemple des guerres victorieuses de autour de lui un état de malaise libération nationale (Cuba, Algérie), la nécessité de soutenir celle du Viêt-Nam (janvier-février 68, c’est et de panique, uniquement sur- montable par le fait que, fonda- l’offensive du Têt, tournant du conflit), et la diffusion massive des mots d’ordres léninistes concernant mentalement, tous les hommes sont des auteurs en puissance, la révolution culturelle par la propagande maoïste. c’est-à-dire doués d’un instinct de mort inconnu et inavoué, an- 1970 amorce le déclin de cette phase : les guerres de libération et la guérilla collective engendrent un ti-conservateur par définition ». « Le cinéma impopulaire », 1970, nouveau type d’action politique, le terrorisme que l’on pourrait dire « impopulaire » au sens où, cette in l’Expérience hérétique, 1972, tr. Anna Rocchi Pullberg, Paris, année-là précisément, Pier Paolo Pasolini conçoit le « cinéma impopulaire »1. Le mot d’ordre guevariste, Payot, 1976, p. 247. 5 « créer un, deux, trois Viêt-Nam » (le « focisme »), s’actualise sous forme d’initiatives individuelles, certes soutenues par la logistique de divers services secrets, mais où la lutte armée se manifeste par des séries d’actions singulières assumées par des groupes ultra-formés politiquement et se considérant dès lors (en dépit des recommandations léninistes) comme une avant-garde dégagée des problèmes de légitimité populaire – ce que Francis Jeanson, dans la Chinoise (1967), dénonçait comme une erreur politique à une Véronique (Anne Wiazemsky) maoïste qui bien entendu n’en tenait aucun compte. C’est l’époque où Masao Adachi (scénariste d’Oshima, acteur chez Wakamatsu, lui-même réalisateur) rejoint l’Armée rouge japonaise, où le cinéaste Holger Meins, auquel Jean-Marie Straub et danièle Huillet dédieront leur Moïse et Aaron en 1974, rejoint la Rote Armee Fraktion allemande. Il s’agit de reconduire à soi seul l’action héroïque d’un commandant Guevara ou d’un général Giap, stratèges victorieux capables de faire plier la puissance impérialiste américaine. À cet égard, le choix de Rome (où se trouve alors Lou Castel, acteur et activiste) est emblématique puisque « L’Italie est, de loin, le pays le plus touché par les activités terroristes entre 1969 et 19852. ». Un tel imaginaire de la lutte « impopulaire » irriguera les débuts de l’œuvre de F.J. Ossang, qui