Les Héros.Indd
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Les héros du sport Les héros du sport Athlète d’État, dopage omniprésent, tutelle pesante du Une histoire des champions soviétiques KGB… La liste des croyances collectives sur le sport sovié- (années 1930-années 1980) SYLVAIN tique est bien ancrée dans les mémoires. DUFRAISSE Cet ouvrage, le premier en français sur ce sujet, éclaire à partir de sources inédites le processus de fabrique des champions en Sylvain DUFRAISSE URSS et leurs conditions sociales d’existence. Les « héros du sport », incarnations du régime dans les stades au moment de la Guerre froide, ont été pour les Soviétiques des figures qui ont donné corps à la patrie et à ses succès. Ils eurent à démontrer par leurs performances la capacité à « rattraper et dépasser » les États capitalistes et à réaliser des « hommes nouveaux ». Loin d’une seule machine à broyer les vies, le sport s’est avéré aussi un moyen de faire partie des promus du régime. Sylvain Dufraisse, agrégé d’histoire et docteur en histoire contemporaine de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, est actuellement maître de conférences à l’université de Nantes. Les héros du sport Graphisme : Mily Cabrol. 24 € ISBN : 979-10-267-0775-2 LA CHOSE PUBLIQUE Diffusion Harmonia Mundi www.champ-vallon.com Champ Vallon APLAT_HEROS_SPORT.indd 1 21/01/19 15:03 Les héros du sport COLLECTION « LA CHOSE PUBLIQUE » DIRIGÉE PAR PIERRE SERNA Illustration de couverture : « Les sportifs soviétiques sont la fierté de notre pays. Pour une génération en bonne santé, heureuse, prête au travail et à la défense de la patrie socialiste ! » Victor Koretsky, 1935. © 2019, CHAMP VALLON, 01350 CEYZÉRIEU www.CHAMP-VALLON. com ISBN 979-10-267-0775-2 SYlvAIN DUFRAISSE Les héros du sport UNE HISTOIRE DES CHAMPIONS SOVIÉTIQUES (ANNÉES 1930 - ANNÉES 1980) Préface de Marie-Pierre Rey Champ Vallon PRÉFACE Marie-Pierre Rey Que l’on ait en tête le bras levé des athlètes afro-américains aux Jeux olympiques de 1968 à Mexico, l’attentat palestinien à l’encontre de la délégation sportive israélienne en 1972 à Munich et les divers boycotts dont les Jeux ont pu faire l’objet – en novembre 1956 à Melbourne à l’heure de la crise de Suez et de l’invasion de la Hongrie, en 1976 lorsqu’il s’est agi pour plusieurs pays africains de dénoncer le régime de l’apartheid, en 1980 lorsqu’une soixantaine d’États ont interdit à leurs sportifs de se rendre à Moscou pour protester contre l’invasion soviétique de l’Afghanistan puis en 1984 lorsqu’en représailles les délégations soviétiques et est-européennes (à l’exception de la délégation roumaine) ont dû renoncer à faire le voyage à Los Angeles –, force est de constater que le sport de haut niveau a rarement échappé à l’emprise du politique. En 1896, refondant les Jeux olympiques à Athènes, Pierre de Coubertin avait en tête l’avènement d’un univers sportif pacifié et «sanctuarisé » ; mais au fil du XXe siècle et jusqu’à aujourd’hui, non seulement les sportifs ont eu du mal à rester à l’écart des vicissitudes politiques et diplomatiques de leur temps, mais plus encore, ils se sont souvent retrouvés partie prenante des tensions internationales et des rivalités idéologiques. Très tôt en effet, en faisant surgir des émotions collectives et des passions nationales, les compétitions sportives, instruments d’une guerre symbolique canalisée par des règles, ont aussi – et ce fut tout particulièrement le cas en Union soviétique – contribué à transformer les sportifs en soldats valeureux d’un pays et d’une cause à défendre et à promouvoir. Attachée à retracer l’histoire des champions soviétiques des années 1930 à 1980, la belle étude de Sylvain Dufraisse met en avant deux éléments essentiels sur lesquels je souhaiter m’arrêter à mon tour, à savoir le rôle clef joué par le contexte international dans la naissance, l’affirmation et le développement en URSS du sport de haut niveau ; et la tutelle omniprésente qu’exerça la sphère politique sur le destin des centaines d’hommes et de 7 PRÉFace femmes, lesquels, parvenus au sommet de la hiérarchie sportive du fait de leurs performances, furent érigés en icônes révérées du régime. Pourtant, dans ce double cheminement, et l’ouvrage que l’on va découvrir ici en fait la brillante démonstration, rien n’alla de soi. Jusqu’à la fin des années 20, les Soviétiques – et le poème de Maïakovski raillant la sottise et la petitesse des recordmen en fait foi – affichent un mépris total pour le système sportif occidental qu’ils condamnent et rejettent. Ils le perçoivent comme la quintessence d’une société bourgeoise exécrée et ne voient dans le champion « à l’occidentale » que l’expression d’un modèle sportif individualiste et égoïste ; a contrario, ils valorisent l’idée de « culture physique de masse », parce qu’elle répond à des valeurs collectives. Toutefois, et c’est le premier signe d’une évolution notable, à partir du début des années trente, les autorités soviétiques commencent à se réconcilier avec la notion de compétition comme avec celle de performance, tandis qu’émerge la figure du « maître », défini comme un sportif généreux et altruiste opposé au recordman bourgeois tant décrié. C’est que dans cette période, et plus encore avec l’avènement de la guerre froide en 1947-1948, le regard porté sur le sport évolue parce que les impératifs du pouvoir changent : pour Staline, en effet, il ne s’agit plus seulement d’inciter à une pratique du sport et de la culture physique jugée bénéfique à la santé de la population et utile en termes de cohésion sociale et culturelle ; il faut désormais à l’extérieur des frontières soviétiques faire l’imparable démonstration que le modèle socialiste incarne l’avenir. D’où, à l’heure de la guerre froide comme ensuite au temps de la coexistence pacifique puis de la détente, la transformation des sportifs en combattants, engagés dans cette guerre des modèles qui bat alors son plein entre l’Est et l’Ouest. Toutefois, et ce n’est pas là le moindre des paradoxes, si durant le stalinisme, le sport soviétique se construit contre le sport occidental dont il conteste l’essence et refuse les valeurs, dans le même temps, il va largement s’en inspirer voire se former à son contact pour comprendre les clefs de son succès et chercher à le surpasser. Quelques contacts se nouent dès les années trente entre sportifs soviétiques et occidentaux mais c’est véritablement à partir des années 1944-1945, puis après guerre, que des rencontres prennent place entre des équipes soviétiques et occidentales. Dès lors, et alors que la guerre froide s’installe, les compétitions sportives remplissent une double fonction. Elles constituent d’abord des observatoires, permettant aux Soviétiques d’acquérir des informations et des données destinées à améliorer la préparation et les performances physiques de leurs athlètes. Mais elles constituent aussi autant d’occasions d’affrontement entre les corps et les idéologies et dans ce schéma, l’affront, la défaite humiliante, les écarts de conduite, les comportements inadéquats sont traqués comme autant d’insultes à la patrie soviétique. De là, comme le souligne bien Sylvain Dufraisse, un 8 PRÉFace jeu d’équilibre fragile entre d’un côté, le désir de s’ouvrir au savoir et aux pratiques des Occidentaux et d’être intégré au système international et, de l’autre, la crainte d’échouer dans ces compétitions et de ne pas réussir à faire la démonstration de la supériorité du régime socialiste. Dès 1934, afin de mener à bien la « fabrication « de ses élites sportives, le pouvoir se prononce pour une totale réorganisation du système sportif qui doit hisser les champions vers les sommets internationaux mais en réalité, et l’ouvrage le démontre, les années trente sont encore caractérisées par bien des tâtonnements et une très grande diversité des statuts et des trajectoires et ce n’est qu’en 1945 que s’implantent, sur l’ensemble du territoire soviétique, les premières pépinières destinées aux enfants repérés comme particulièrement doués. En parallèle, la fin des années trente et l’immédiat après-Seconde Guerre mondiale voient apparaître non seulement la codification des entraînements et du régime imposé aux sportifs « amateurs » mais aussi les premières gratifications, les récompenses, les salaires confortables et les titres prestigieux concédés aux « sportmen ». Ces derniers, désormais, appartiennent au panthéon soviétique : ils incarnent des êtres nourris de valeurs collectives, généreux, ouverts aux autres mais exigeants envers eux-mêmes, disciplinés, adeptes de l’effort jusqu’au dépassement de soi, courageux défenseurs de la patrie durant la Seconde Guerre mondiale et moralement irréprochables. L’avènement de la coexistence pacifique khrouchtchévienne renforce encore le rôle du sport au plan international ; ce dernier devient le lieu privilégié de la compétition mais aussi de la coopération Est-Ouest au fur et à mesure que l’élite sportive, appelée à voyager à l’extérieur des frontières, s’ouvre au monde. Mais cette ouverture appelle des contreparties bien décrites dans l’ouvrage : la prise en charge des athlètes soviétiques se perfectionne tandis qu’ils sont de plus en plus préparés voire conditionnés « à l’épreuve de l’étranger ». Des normes comportementales très strictes leur sont imposées, dans des détails qui prêtent d’ailleurs à sourire et rien n’est anodin. Les sportifs sont en effet considérés comme des ambassadeurs à part entière du régime auxquels il en coûte de déroger aux règles édictées tant l’Occident se montre à l’affût du moindre de leurs faux pas, dans une impitoyable guerre de propagande bien illustrée par l’affaire des chapeaux à Londres en août 1956. C’est aussi dans cette période khrouchtchévienne que se développent le sport spectacle et le phénomène de starisation de certains champions.