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ETUDE Baume & Marpent : Itinéraire d’un géant

Avant-propos 1843. Selon l’aveu même des di- Moyaux constitue l’archétype de rigeants, le développement des l’entrepreneur moderne. A ses A la suite de la publication de voies ferrées en Belgique : “ou- débuts, il s’essaie à la politique et l’ethno-témoignage d’Henry Pi- vre des perspectives nouvelles à s’implique dans la vie locale. Il lette dans ce numéro (pages sui- l’activité de la fonderie qui gran- est de tendance libérale. Ses vantes) et dans le précédent, il dit lentement”4. Par l’intermé- convictions lui sont inculquées était intéressant d’avoir un com- diaire de la ligne Charleroi-Mons, par la fréquentation de son père plément d’information sur l’en- la société Delbèque & Cie four- marchand. En raison de la multi- treprise Baume & Marpent. nit des pièces à d’autres entrepri- plication de ses activités, il Ainsi, nous reproduisons un arti- ses spécialisées dans la construc- n’exerce qu’un seul mandat poli- cle rédigé par Guénaël Vande tion métallique essentiellement tique : celui d’échevin libéral de Vijver qui couvre toute l’histoire dans le bassin carolorégien. Les l’instruction publique à Morlan- de ces usines. Ce travail a déjà été installations de la société sont welz. De cette expérience, il publié par l’Ecomusée régional liées directement à cette ligne par conserve un réseau de relations du Centre dans la monographie une voie de raccordement utiles à la future expansion de la consacrée à Baume & Marpent construite en 1860. La modeste société. Son appartenance au en 20061. L’ouvrage, préfacé par fonderie ne gère pas encore la Parti Libéral, une des deux gran- Philippe Busquin, comprend des construction de projets impor- des forces politiques de l’époque, contributions consacrées au tra- tants mais initie une diversifica- lui permet de côtoyer des per- vail des enfants, une analyse des tion plus importante de sa pro- sonnalités comme les membres ouvrages produits par l’entre- duction grâce à l’acquisition de de la famille Warocqué, vérita- prise d’un point de vue architec- cubilots de fusion à marche bles “seigneurs” de Morlanwelz. tural, etc2. continue. Elle aborde avec suc- cès la fabrication de boîtes d’es- Moyaux comprend la nécessité Baume & Marpent : sieux, de buttoirs ou de toutes vitale de se lancer dans une pros- Itinéraire d’un géant pièces en fonte pour le matériel pection continue de marchés à roulant et fixe de chemin de fer. l’étranger. Il est ambitieux et 1. La création de la modeste cherche à dépasser le stade de la fonderie 2. La route vers la multinatio- production de petites pièces nale pour s’attacher à la construction En 1853, Clément Delbèque dé- de grands ouvrages. Cependant, laisse son métier de médecin Delbèque, par son rôle de fonda- Moyaux raisonne plus téméraire- pour rejoindre les nouveaux en- teur, est un personnage clef de la ment que ses concurrents en al- trepreneurs qui s’enrichissent future entreprise Baume & Mar- lant, dans un contexte où les dans les charbonnages, les verre- pent mais l’homme qui influe taxes sur les produits entrants ries ou les ateliers métallurgiques. réellement sur sa destinée est son sont relevées, implanter des ins- C’est ce dernier secteur qu’il neveu : Léon Moyaux. Il pos- tallations dans un de ces pays choisit en établissant sa fonderie sède une formation d’ingénieur protectionnistes. Ainsi, une divi- à Baume, hameau de la com- des mines complétée par des étu- sion est créée à Marpent, dans le mune d’Haine-Saint-Pierre. Aux des d’ingénieur civil des arts et de la , en 1882. Pa- prémices de l’activité, la produc- manufacture. Il obtient ses diplô- rallèlement, il restructure pro- tion reste très limitée. La fonde- mes à l’Université de Liège en fondément la société Delbèque rie fabrique des ustensiles à usage 5 1868 . Si Moyaux devient offi- & Cie, devenue en 1879 les Usi- domestique ainsi que des objets ciellement directeur en 1871, il nes et Fonderies de Baume, pour de quincaillerie pour le bâtiment. assume en réalité cette fonction la transformer en société ano- Elle n’emploie alors que 60 per- depuis deux ans, au moment où nyme de Baume & Marpent, ou- sonnes3. Delbèque part s’installer à vrant le capital à de nouveaux in- Bruxelles. Ce dernier est nommé, vestisseurs. Cette petite entreprise connaît une fois son neveu devenu direc- un succès qui s’explique par son teur-gérant, président du Conseil Les débuts de Marpent sont fas- emplacement à proximité de la d’administration. tidieux. Le projet est même qua- gare de Baume implantée en lifié d’échec et la société envisage

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de se séparer de son implantation l’apanage du service d’études. La Notes française6. La raison invoquée est structure mise en place est opé- la conjoncture économique ainsi rationnelle et engendre des résul- 1 “Baume & Marpent : Itinéraire d’un géant” dans Baume & Marpent : De la Haine que le peu de commandes enre- tats d’exploitation positifs. L’im- au Nil : Itinéraire d’un géant, La Louvière, gistrées. Le véritable motif, que plantation française permet à Ecomusée régional du Centre, 2006, p. 17- les dirigeants cherchent à dissi- Baume & Marpent de rentrer en 33. L’ouvrage peut être commandé au prix de 10 euros par téléphone (064/28.20.00) muler, réside dans des irrégulari- lice pour l’ouverture des marchés ou en ligne (http://www.bois-du-luc.com). tés comptables. Un membre du publics des chemins de fer fran- 2 Les autres auteurs sont : Jean Puissant personnel, responsable des éta- çais. L’entreprise échappe aussi (“Place du bassin du Centre par rapport à blissements d’Haine-Saint-Pierre aux effets de la loi Méline qui la Belgique et l’Europe”), Yves Quairiaux (“Un document d’histoire sociale : le reg- et de Marpent, profite de l’éloi- vise à limiter les importations istre d’inscription des carnets des femmes, gnement géographique par rap- vers la France10. A Marpent, seu- enfants et adolescents”), Alain Dewier port au directeur gérant pour dé- lement trois ans après avoir envi- (“Assainissement et reconversion des sites industriels en Région wallonne”), Olivier tourner de l’argent. En 1886, sagé la fermeture de l’entreprise, Cnockaert (“Olympisch Zwembad Athene Marpent enregistre une perte le succès est tel que les installa- 2004”), Karima Haoudy (“L’architecture d’environ 40.000 francs7.Le tions sont agrandies. préfabriquée de Baume & Marpent : ossa- Conseil d’administration, sous ture du modernisme”), Michel Thiry (“Raccourcir le temps et l’espace : la con- l’influence de certains membres La structure décisionnelle et ad- quête du rail par Baume & Marpent”), etc. dont Lucien Guinotte8, est sur le ministrative délègue encore plus 3 Ecomusée régional du Centre, fonds point d’accepter la vente de Mar- d’autonomie aux régies. Leur dé- Baume & Marpent, catalogue de vente, cir- nomination est d’ailleurs modi- ca 1955, p. 2. pent. Moyaux refuse cette option 4 Ibidem,p.8. et prépare un plan qui mènera fiée car, en 1913, elles deviennent 5 Ginette Kurgan-van Hentenryk, Serge l’implantation française vers la des divisions. A la suite d’un Jaumain, Valérie Montens, Dictionnaire des contentieux rencontré avec l’ad- Patrons en Belgique, avec la collaboration de voie de la rentabilité. Jean Puissant et de Jean-Jacques Heirwegh, ministration fiscale, la régie Bruxelles, De Boeck & Larcier, 1996, p. 2.1. Le fonctionnement de la d’Ornavasso disparaît rapide- 476 ; Roger Darquenne, notice sur Léon multinationale ment. L’expérience italienne est Moyaux dans la Biographie Nationale, Brux- elles, Académie royale, t. 44 fasc. 2, 1981, quand même importante car elle col. 577. Moyaux introduit une certaine constitue la première réalisation 6 Ecomusée régional du Centre, fonds décentralisation de l’activité en probante à l’étranger en matière Baume & Marpent, registre des Procès- établissant trois régies : Baume, de gestion de projets importants. verbaux du Conseil d’administration de 1882 à 1896, séance du 2.12.1884. Ornavasso (Italie) et Marpent. Le De plus, elle affirme la diversifi- 7 Ecomusée régional du Centre, fonds chantier italien est une installa- cation grandissante de la produc- Baume & Marpent, registre des Procès- tion récente, implantée en 1884 tion ainsi que la reconnaissance verbaux du Conseil d’administration de pour assurer la réalisation du 1882 à 1896, séance du 16.02.1886. d’un certain savoir-faire accordé 8 Lucien Guinotte (1839-1911) est un tunnel du Simplon et la à Baume & Marpent. Après libéral de tendance progressiste. Il occupe construction de ponts de chemin s’être étendue vers la France, le poste de directeur général des charbon- de fer. La régie de Baume a une l’entreprise poursuit son expan- nages de Mariemont-Basscoup et y instau- re les conseils de conciliation. importance prépondérante sur sion en rachetant, près d’Haine- 9 Ecomusée régional du Centre, fonds les deux autres car c’est à cet en- Saint-Pierre, la société Brison à Baume & Marpent, registre des Procès- droit que le directeur gérant et le Morlanwelz. Cette dernière est verbaux du Conseil d’administration de service de comptabilité générale 1882 à 1896, séance du 29.03.1887. directement transformée en une 10 Roger Darquenne, op cit., col. 578. résident. Les régisseurs dispo- nouvelle division11. L’objectif de 11 Ecomusée régional du Centre, fonds sent d’une certaine autonomie ce rachat est l’expansion des for- Baume & Marpent, registre des Procès- mais sont toujours sons le verbaux du Conseil d’administration de ges qui sont largement insuffi- 1882 à 1896, séance du 15.12.1887. contrôle direct de Moyaux, de- à Haine-Saint-Pierre. 12 Ecomusée régional du Centre, fonds venu administrateur-délégué, lui- Cette faiblesse oblige la com- Baume & Marpent, registre des Procès- même responsable devant le mande externe de nombreuses verbaux du Conseil d’administration de 1882 à 1896, séance du 23.11.1909. Conseil d’administration. Ils veil- pièces qui pourraient être usinées 13 Ecomusée régional du Centre, fonds lent à l’exécution des comman- en interne12. Outre cette exten- Baume & Marpent, registre des Procès- des. Dans ce cadre, ils achètent sion, les travaux portent sur la verbaux du Conseil d’administration de 1882 à 1896, séance du 1.12.1910. toutes les pièces nécessaires à la construction d’un magasin cen- réalisation des projets sans l’au- tral et d’un séchoir à bois13. torisation du directeur-gérant9. (suite dans le PIWB n° 67) Par contre, ils ne sont pas com- pétents pour la recherche de Guénaël Vande Vijver nouveaux marchés qui demeure

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ETHNO- Interview d’Henry Pilette, ingénieur à Baume & Marpent TÉMOIGNAGE (Suite et fin)

Ci-contre : Ecomusée régional du Centre, fonds Baume & Marpent, Baume & Mar- pent, division de Morlanwelz, construction de wagons à la chaîne, circa 1940.

Quels étaient les métiers im- tement conçu la carrosserie. C’est une moteurs avant d’avoir pris toutes les pliqués ? création propre à Baume & Marpent. précautions. La fermeture de Baume Cela a été de mon ressort avec deux & Marpent a été décidée par les ban- Des relations entre les spécialités exis- dessinateurs. Le plus difficile a été la ques. Elles savaient qu’ une commande taient comme, par exemple, entre le réalisation des portières. J’avais carte importante des chemins de fer avait été chaudronnier et la section soudage. Si blanche pour ces portes. conclue. Les chemins de fer ont réparti un problème survenait, il était du res- cette commande entre deux usines qui sort du chef d’atelier de savoir à qui la Pour ces camions, une entreprise a été devaient de l’argent aux banques. faute incombait. responsable de la conception sur le plan Baume & Marpent n’en devait pas. mécanique (longeron...). Ces camions Baume & Marpent aurait pu survivre A cette époque, le contrôle qualité ont équipé la protection civile à ses dé- car c’était une des usines les plus perfor- n’existait pas. Il était très peu réalisé. buts. Les camions ont amené la sou- mantes. La fermeture aurait pu être Le chef d’atelier jouait ce rôle de temps dure par point. différée. en temps. Pour le chemin de fer, c’était leur personnel qui l’exerçait directe- Pouvez-vous me citer quel- Pourquoi avez-vous quitté ment. Trois techniciens employés à ques machines utilisées par l’entreprise et quels ont été temps plein avaient un droit de regard Baume & Marpent ? vous autres employeurs ? partout. Le contrôle qualité était exercé par le client tandis que maintenant, Baume & Marpent avait acquis une J’ai quitté l’entreprise car la fermeture c’est le fournisseur qui le réalise, c’est machine allemande : Ravestad(1) . avait été décidée. J’ai été engagé par une nouvelle notion. On pouvait mettre l’ensemble d’un une société française basée à qui châssis à locomotive. On réalisait tous avait une filiale à Tournai. J’ai dirigé Plusieurs raisons expliquent cette évo- les trous dans ce châssis avec une le bureau d’études. En 1972, il a été lution. La conscience professionnelle grande précision. Elle se situait à l’en- déplacé à Bruxelles. J’ai eu le choix de était plus présente car les gens aimaient trée principale dans le hall d’entrée. partir à Bruxelles ou de devenir direc- le travail bien fait alors qu’actuelle- teur de l’usine à Tournai. Cette usine a ment on s’aide d’intérimaires. Quand On produisait une grosse série de wa- aussi fermé. Je suis devenu directeur on engageait un ouvrier, il y avait tou- gons, de voitures de chemin de fer et on d’une usine en France. jours un adjoint qui s’en occupait. Pour assemblait des locomotives de manœu- Vers quelles entreprises se certains travaux, la formation durait 5 vre. Pendant que je travaillais à sont dirigées les personnes ou 10 ans. Pour la carcasse des ca- Baume & Marpent, on en a produit qui travaillaient à Baume & mions, il fallait former la coquille en entre 20 et 25. Il n’y avait pas d’outil Marpent ? frappant la tôle, c’était quelqu’un de de conception. Pas de TAO, DAO, 1 50 ou 60 ans, pas un jeune. CAO . On ne réalisait pas de modèle Le chef d’atelier principal a été dans réduit. une entreprise située près de Halle. Un Qui était le responsable des des ingénieurs a été directeur aux Ate- Selon vous quels sont les fac- projets ? liers de Braine-le-Comte. teurs qui ont provoqué la fer- Il n’y avait pas de projet à Baume & meture de l’entreprise ? Etait- Propos recueillis par Marpent, il faut changer ce mot ! Le elle inévitable ? Guénaël Vande Vijver projet c’était le client qui le réalisait. Baume & Marpent n’était pas un Baume & Marpent était rentable créateur mais un exécutant. Il existait mais la création d’une DG supplémen- une petite exception au niveau de la taire a certainement coûté de l’argent. 1 TAO : traçage assisté par ordinateur. DAO : dessin assisté par ordinateur. conception des camions car on a complè- La direction générale a commandé les CAO : conception assistée par ordinateur.

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