White Material (2009) Jacques Rivette , Le Veilleur (1990) Avant Propos
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CLAIRE DENIS S’EN FOUT LA MORT (1989) J’AI PAS SOMMEIL (1994) BEAU TRAVAIL (1999) TROUBLE EVERY DAY (2001) L’INTRUS (2004) 35 RHUMS (2008) WHITE MATERIAL (2009) JACQUES RIVETTE , LE VEILLEUR (1990) AVANT PROPOS L’Institut français rend hommage à Claire Denis, l’une des cinéastes les plus singulières du cinéma français contemporain. Composé de huit films, ce programme permet au spectateur d’appréhender l’ampleur et l’originalité de son cinéma, «une magie pour mieux voir et mieux comprendre», selon l’historien et critique Jean-Michel Frodon. Son œuvre, tout à la fois empreinte de poésie et d’âpreté, de violence et de douceur, nous raconte des histoires qui nous emmènent souvent loin de nous, mais qui nous parlent au plus profond malgré leur apparente étrangeté : deux étrangers qui pensaient avoir trouvé leur place en organisant des combats de coqs dans S’en fout la mort, des personnages circulant dans un Paris fantomatique aux prises avec un tueur de vieilles dames dans J’ai pas sommeil, les exercices des légionnaires de Djibouti filmés comme des chorégraphies dans Beau Travail, une revisite du film de genre, le film d’horreur, dans Trouble Every Day, un homme qui va subir une greffe du cœur et qui a peur dans L’Intrus, le RER et une relation père-fille dans 35 Rhums, le déni de réalité d’une femme, en Afrique au moment de la décolonisation dans White Material, un portrait de Jacques Rivette, pour la collection «Cinéma, de notre temps». Tous ces films, malgré la disparité des sujets traités, marquent le spectateur tant ils sont envoutants et beaux, tout simplement. Je souhaite inviter les spectateurs du monde entier à découvrir ainsi une cinéaste dont la place est incontournable dans le cinéma français © Laurence Sudre Sudre © Laurence contemporain. Xavier Darcos Président de l’Institut français 4 /5 PREFACE The Institut Français is paying tribute to Claire Denis, one of the most unusual figures of contemporary French cinema. This programme, which includes eight films, will help viewers to grasp the scope and originality of her films «something magic for seeing better and understanding better», in the words of the historian and critic Jean-Michel Frodon. Her oeuvre is imbued, all at once, with poetry and harshness, violence and gentleness, telling us stories which often take us faraway from ourselves, but talking to our innermost depths despite their apparent strangeness: two foreigners who thought they had found their place by organizing cock fights in No Fear, No Die; characters moving about in a ghostly Paris grappling with a killer of old ladies in I Can’t Sleep; exercises of legionnaires in Djibouti filmed like choreographic pieces in Good Work; revisiting the genre film -the horror film-in Trouble Every Day; a fearful man about to have a heart transplant in The Intruder; the RER train and a father-daughter relationship in 35 Shots of Rum; a woman’s denial of reality, in Africa at the moment of de-colonization, in White Material; and a portrait of Jacques Rivette for the collection «Cinéma, de notre temps». In spite of the disparate subjects dealt with, all these films affect viewers, quite simply, by their bewitching beauty. I would like to invite viewers the world over to duly discover a filmmaker whose place in contemporary French cinema is a quintessential one. © Paul Gransard © Paul Xavier Darcos President of the Institut français CLAIRE DENIS LE SENTIMENT DU MONDE PAR JEAN-MICHEL FRODON Rares sont les cinéastes dont la présence se ressent aussi bien dès la vision des premières images de chacun de leurs films. Tout de suite, les films de Claire Denis font deux choses, en même temps. Quelque chose qui tient de l’envoutement, de la création d’un lien intense qui semble s’adresser à chaque spectateur en particulier, et quelque chose qui tient du transport. Ses films emportent, vers un lieu caché : au cœur des ténèbres, dira-t-on, d’autant plus volontiers que les sources africaines sont décisives chez elle. Mais ces ténèbres ne sont pas forcément celles de jungles inextricables ni celles des noirceurs de l’âme humaine comme chez Joseph Conrad. Ce sont celles des mystères de nos existences, de nos désirs et de nos peurs, ici, maintenant, partout. On chercherait en vain parmi les cinéastes français quelqu’un d’aussi habité que Claire Denis par le sentiment du monde, dans ses complexités géographiques et humaines. Petite fille d’un habitant de l’Amazonie, fille d’un administrateur colonial, elle a été élevée au gré des affectations paternelles dans une Afrique qui inspire directement plusieurs de ses films (Chocolat, Man No Run, Beau Travail, White Material) et qui les hante tous. Venue au cinéma un peu par hasard, élève sans vocation particulière de l’Idhec, elle découvre combien elle est en affinité avec le langage du film grâce à d’autres voyages, esthétiques et géographiques. Assistante de Jacques Rivette, de Wim Wenders et de Jim Jarmusch, elle explore avec eux les labyrinthes de la modernité, les couloirs secrets qui relient réalité et imaginaire, et les territoires où elle les accompagne pour des repérages qui sont autant d’initiations. Paris rêvé de Rivette, Berlin halluciné de Wenders, et puis, pour Paris, Texas (Wenders) et Down by Law (Jarmusch), exploration durant des mois des paysages nord-américains. © Pascal Le Segretain / Chocolat / MK2 Productions / Chocolat Le Segretain © Pascal Ces expériences d’autres espaces, d’autres lumières, d’autres rapports petite fille de Chocolat, Katia Golubeva la belle barbare de J’ai pas sommeil, au mouvement, à l’organisation des villes et des mythes participent à la l’adolescente de US Go Home, les trois héroïnes (vampire, amoureuse et construction d’un rapport singulier avec l’espace, l’histoire, et la mémoire victime : Béatrice Dalle, Tricia Vessey, Florence Loiret) de Trouble Every Day, de ses représentations – comme ceux de Rivette ou de Wenders, les films de Valérie Lemercier la mutante de Vendredi soir, le triangle composé par la Claire Denis portent la marque de quelqu’un qui a intensément regardé ceux cinéaste avec Marie N’Diaye et Isabelle Huppert pour White Material palpitent de John Ford, de Howard Hawks, de Nicholas Ray, de John Cassavetes. Cela de cette sensibilité-là, de cette histoire-là, l’histoire des femmes dans aussi participe de l’invention d’un regard, différent de celui des Américains l’histoire des humains. Et cela vaut bien sûr aussi pour la façon de filmer eux-mêmes, bien sûr, mais aussi de ceux, Français notamment, pour qui les hommes, la beauté du regard sur Alex Descas, Michel Subor, Isaach de l’Amérique « c’est du cinéma », qu’ils en fassent l’utopie ou le repoussoir de Bankolé, Grégoire Colin, Vincent Gallo, Vincent Lindon ou Denis Lavant. leur manière de filmer. Au principe de tous les films de Claire Denis se trouve ce qu’on appellera, faute Ecoutez la rumeur du grand port coréen dans L’Intrus après le froid médiéval de mieux, un rapport magique. Ce rapport est fondé sur l’idée, ou l’intuition, du Haut Doubs, éprouvez la chaleur blanche et sèche de White Material, d’une connivence intime entre ce que nous avons coutume de séparer : les entendez les harmoniques de trois continents autour du pit de combats de humains et les animaux, les images et les sons, le présent et le passé… A coqs de S’en fout la mort : ce cinéma-là est hypersensible aux puissances sa manière, chaque fois différente, chaque film de Claire Denis invente la des lieux, aux enjeux politiques des rencontres, aux énigmes joyeuses et communion émouvante et riche de sens de ce que d’ordinaire nous percevons dangereuses des différences entre les langues, les cultures, les lumières, les comme distinct, sinon opposé ou étranger. Regardez la Seine au début de musiques. D’autres voyages, d’autres rencontres, en Asie particulièrement, Trouble Every Day, et laissez monter la sensation de ce qui fait écho au flot en Amérique latine et dans le monde arabe aussi, auront ensuite continué de du sang dans le corps des humains et des bêtes, au flux du désir au fond de faire de Claire Denis la plus cosmopolite des cinéastes français(es). chacun, aux circulations de la peur et des agents de mort dans notre monde Mais l’essentiel n’est pas affaire de kilomètres parcourus ni de multiplicité contaminé par les virus et les angoisses mondialisées. Elle qui a filmé des des destinations. L’essentiel, qui est bien plus secret, est la capacité singulière chorégraphes (Mathilde Monnier) et des philosophes (Jean-Luc Nancy), elle à recomposer dans ses films les effluves complexes d’un rapport au monde à dont le travail est inséparable des connivences avec la musique, sonorités la fois très ouvert et très conscient de ses conflits. Pas nécessaire pour cela bikutsi, jazz urbain de John Lurie ou inventivité des Tendersticks, n’aura cessé d’aller loin, les enjeux demeurent lorsqu’elle filme Paris et sa banlieue (S’en de chercher et de trouver, avec la musicalité du cinéma, ce qui le fait danser, fout la mort, J’ai pas sommeil, US Go Home, Trouble Every Day, Vendredi soir, et penser. 35 Rhums), ou Marseille (Nénette et Boni), ou « simplement » la rencontre Claire Denis réalise des films de genre, qui font de drôles de choses avec les entre deux grands critiques, dont l’un est devenu un grand cinéaste (Jacques lois de ces genres. Trouble Every Day est un film d’horreur, un film branché Rivette, le veilleur, avec Serge Daney). sur l’horreur contemporaine. 35 Rhums est un film d’amour, qui coule le long On hésite à ajouter ici cette évidence : Claire Denis est une femme.