QUAND L’EMPEREUR DE CHINE ÉCRIVAIT À SON JEUNE FRÈRE, EMPEREUR DE BIRMANIE… ANALYSE D’UNE CORRESPONDANCE DIPLOMATIQUE SUR «FEUILLES D’OR» (XVIIIe SIÈCLE)

PAR

SYLVIE PASQUET1

Des «œufs-dragons» expliqueraient les relations de parenté entre sou- verains birmans et chinois. Cette ancienne légende birmane est résumée et commentée dans un ouvrage publié à Pékin: «Au temps de 帝釋 Dishi (appellation chinoise d’Indra, roi des dieux hin- dous; nommé sikR,:[mx<:] Thagya[min] par les Birmans, chef de leurs génies, patron de leurs souverains), le descendant du dieu-soleil et la princesse- dragon se rencontrèrent et s’aimèrent, puis la princesse-dragon mit au monde trois œufs-dragons. Un œuf-dragon flotta sur une rivière jusqu’en Chine et de sa coquille sortit une belle jeune fille qui, par la suite, devint impératrice de Chine. Un [autre] œuf-dragon, à son terme, se brisa en touchant le sol et il apparut une pierre précieuse, c’est pourquoi la Birma- nie devint le royaume des pierres précieuses. Il y eut encore un œuf-dragon

1 Sylvie PASQUET est chercheuse au Centre National de la Recherche Scientifique, UMR 8173 «Chine, Corée, Japon»; elle a enseigné l’«Histoire de la Birmanie» à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales. Dans la Constitution birmane de 2008, entrée en vigueur en 2011, «République de l’Union de Myanmar» désigne officiellement la Birmanie – nom que, par commodité, je garde ici –, tandis que depuis 1989 une nou- velle romanisation des toponymes a vu le jour (non exempte de variantes), ainsi: &r,wtI Ayeyarwaddy (Irrawaddy), pug. Bagan (Pagan), pèKU: Bago (Pegu), aw/ax<:w Inwa (Ava), év,x

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qui flotta le long du fleuve Ayeyarwaddy jusqu’à Nyaung-u (près de Bagan, en Birmanie centrale), où il fut recueilli par un vieillard [d’origine] 驃 piao (en birman, pY% pyu) qui puisait de l’eau. Peu après, [ce troisième] œuf- dragon finit par éclore en donnant naissance à un garçon. Devenu adulte, il fit preuve d’une intelligence extraordinaire et d’une puissance incompa- rable, il était aussi un merveilleux tireur à l’arc d’une force herculéenne. Il devint plus tard le gendre du roi 薩牟陀羅闍 Samoutuoluoshe (ou 薩牟 陀梨 Samoutuoli, smud\r,j< Thamoddarit) et lui succéda sur le trône. Ce héros est précisément le fondateur de l’ancienne dynastie de Bagan, le célèbre roi de l’histoire 驃苴低 Piaojudi (ou 驃紹梯 Piaoshaoti, pY%éc,TI: Pyusawhti, souverain légendaire qui aurait régné de 167 à 242 de notre ère). On rapporte que le roi birman Piaojudi dit à des généraux de la dynastie chinoise: “Je suis descendant d’Indra et fils du dieu-soleil, votre impératrice également est descendante d’Indra et fille du dieu-soleil, ainsi elle est ma sœur cadette royale et le prince qu’elle a mis au monde est mon neveu, nos deux royaumes, le vôtre et le mien, sont parents, […] [le titre de] 烏底巴 Wudiba (Vdv

INTRODUCTION

L’histoire des relations entre les souverains de Chine et d’«Asie du Sud-Est» s’appuie le plus souvent sur les sources chinoises, relativement abondantes et faciles d’accès. Le point de vue chinois l’emporte alors: les royaumes de Birmanie, du Siam (Thaïlande), du Lan Xang (Laos) ou d’Annam (Vietnam) sont les «vassaux» de l’empire du Milieu, ils concré- tisent leur soumission par l’offrande d’un tribut accompagné d’un «mes- sage tributaire». Or, qu’en est-il lorsque l’on regarde la Chine à partir, par exemple, de la Birmanie? Comment les «lettres royales» que le souverain birman confie avec des cadeaux à ses ambassadeurs, et qui ne reflètent

2 楊長源 YANG Changyuan, 許清章 XU Qingzhang, 蔡祝生 CAI Zhusheng (éds.), 緬甸概覽 Miandian gailan (Aperçu sur la Birmanie), Pékin: Zhongguo shehui kexue chubanshe, 1990, p. 201 (ouvrage grand public, les parenthèses sont de moi).

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aucun lien de vassalité, deviennent-elles ces «messages tributaires» lus par le Fils du Ciel? Comment la royauté birmane perçoit-elle les écrits impériaux qui lui sont adressés3? Les réponses vont bien au-delà du seul problème de traduction. Au milieu du XVIIIe siècle, mh,DmMr,j,Dipti Mahadhammayazadhipati (1733-1752), dernier roi de la dynastie birmane év,x

3 Le souverain birman envoie et reçoit des «lettres royales», tandis que le souverain chinois envoie des «édits impériaux» et reçoit des «messages tributaires»: ces termes renvoient à des points de vue différents birman/chinois, ils sont laissés entre guillemets; par convention, hors citation, je distingue «royaume/roi birman» et «empire/empereur chinois», voir infra. 4 L’expression «royaume d’Ava» a pu désigner la «Birmanie» (territoire qui n’a pas toujours été unifié) dans les sources chinoises et occidentales, même lorsque la ville, fondée en janvier 1365, n’est pas capitale royale, un rang perdu et retrouvé plusieurs fois; rtn,pUr Yadanapura (Ratanapura), nom pâli de Inwa, signifie «cité des Joyaux» («de Inwa»: hiatus rendu nécessaire par l’arrêt glottal à l’initiale des mots birmans [non anglicisés] commençant par une voyelle). 5 On trouvera en fin d’article une carte actuelle des frontières extérieures du Yunnan (Annexe 1) et un tableau récapitulatif des dynasties et souverains cités, avec leurs capitales (Annexe 2). Une frontière de deux mille deux cents kilomètres, finalement délimitée en 1962, sépare la Birmanie de la Chine (dont deux mille avec le Yunnan et deux cents avec le Tibet).

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touchent à certains aspects de la royauté en Birmanie. Elles rappellent aussi les relations de parenté évoquées dans la légende des «Trois œufs- dragons» que l’on vient de lire, adaptée, semble-t-il, d’un ancien récit birman6. Grâce à la traduction de sources birmanes encore trop peu exploitées dans ce champ de la recherche, l’article voudrait apporter une vision plus équilibrée de l’histoire des relations entre la Birmanie et la Chine.

I. DE L’OR POUR LES «LETTRES ROYALES»

L’écriture de la Birmanie ne ressemble assurément pas à celle de la Chine, elle est aussi très différente de celle de l’Occident. À la regarder de loin, elle forme comme des ronds qui s’enchaînent continûment. Les textes pré- sentés à l’empereur [de Chine] sont gravés à la pointe sur des feuilles d’or; puis il y a les textes tracés au crayon de plomb sur de beaux papiers azurés; puis ceux inscrits au feu sur des feuilles de l’«arbre-vin» – que l’on appelle en Chine manuscrits sur feuilles de palme –; puis ceux écrits au bâton de stéatite sur des feuillets noirs.7 Quatre des supports traditionnels de l’écriture birmane sont ainsi men- tionnés par Wang Zhi, jeune officier chinois qui traverse le royaume de Inwa en 1871. Un même mot birman ép pei désigne le tallipot (Corypha

6 trup

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umbraculifera Linn., en chinois 貝 [多羅樹] bei[duoluoshu]) et la feuille de ce palmier utilisée pour l’écriture des manuscrits, l’olle («olle/ôle» s’emploie aussi pour d’autres espèces de palmiers)8. Les feuilles d’or inscrites dont la forme imite celle des feuilles de palme sont des «pei d’or», érép_ shwei pei. Retrouvé en basse Birmanie, un ensemble de vingt feuilles d’or – des textes bouddhiques –, gravé en écriture pyu et daté autour du Ve siècle de notre ère témoigne de leur usage ancien (fig. 1)9.

Fig. 1. Feuilles d’or gravées, texte en pâli, écriture pyu (Musée national, Yangon)

8 Les feuilles subissent une cuisson au four; enliassées, elles sont perforées de deux trous avec un fer soumis au feu (ils permettent d’insérer les bâtonnets de bambou qui maintiennent l’ensemble); elles sont inscrites au stylet, puis passées au noir de fumée afin de rendre la gravure lisible. Les feuilles de palme que décrit Wang Zhi (troisième support cité) proviennent, non du tallipot, mais de l’«arbre-vin», 樹酒 shujiu, sans doute le palmier sucrier ou palmier à toddy (vin de palme), Tn<: htan (Borassus flabellifer Linn.): ses feuilles tendres, très étroites, effilées, servent à noter certains ordres du roi et des ministres. Répandu en Inde et en Asie du Sud-Est, l’usage des olles déclinera avec l’imprimerie moderne. Voir aussi note 22. 9 On note les deux perforations sur chaque feuille (seize centimètres et demi sur trois et demi). Les Pyu (? IIe siècle av. J.-C.-? IXe siècle apr. J.-C.), comme les Birmans qu’ils pré- cèdent dans le pays, sont un peuple tibéto-birman. Les premiers textes en écriture birmane apparaissent sans doute à la fin du XIe siècle; l’alphabet est emprunté indirectement à l’Inde.

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Le terme de «pei d’or», olle d’or, peut s’employer pour les décrets du roi birman consignés sur feuilles de palme, «d’or» qualifiant le carac- tère noble, précieux, de la royauté. Mais les olles d’or que le roi adresse aux souverains de Chine, du Siam ou, plus tard, d’Angleterre sont bien gravées sur le métal précieux. Il s’agit des «lettres royales sur feuilles d’or», r,js.ér_ép ya z-than shwei pei ou ér_épr,js. shwei pei ya z-than, la plus importante forme d’écrits birmans présentés au Fils du Ciel selon Wang Zhi. (Littéralement, r,js. ya z-than signifie «voix de roi», avec le sens d’«ordre royal» – la «royal letter» des sources anglaises.) Les feuilles sont assez fines pour être enroulées; des pierres précieuses ornent à leurs extrémités les plus élégantes d’entre elles, sur de l’or de qualité supérieure10. La figure 2, tirée d’un récent travail de Jacques P. Leider, présente la «lettre royale sur feuille d’or» en dix lignes adressée le 7 mai 1756 au roi du Royaume-Uni et d’Irlande George II (1727-1760) par aél,x<:mx<:tr,: Alaungmintaya (ou aél,x<:Bur,: Alaungphaya, 1752- 1760), fondateur de la dernière dynastie birmane kun<:éB,x< Konbaung (1752-1885)11. Chacune de ses extrémités est rehaussée d’un rang de douze rubis non travaillés, enserrés individuellement dans une monture en or; la fine plaque octogonale en or entre les rubis et le bord gauche de la lettre (le birman s’écrit de gauche à droite) porte le sceau royal à l’effigie de l’oiseau mythique hsX, hintha, elle est fixée par ses attaches traversant la feuille, rabattues au dos de celle-ci. Dans ce domaine, il s’agit probablement de l’unique feuille d’or de Birmanie parvenue

10 Le texte de la «lettre royale sur feuille d’or» envoyée à un souverain important par le roi birman mentionne généralement ses «identifiants»: dimensions (cinquante centi- mètres de longueur sur dix de largeur environ); nombre de lignes gravées (une dizaine); poids de l’or utilisé (cent à deux cents grammes, un exemple donne le poids de l’or et celui de l’argent – un alliage courant?); ajout éventuel de joyaux; «emballage» (boîtes, sacs); sceaux. Sur les mesures, voir note suivante. 11 LEIDER Jacques P., «King Alaungmintaya’s Golden Letter to King George II (7 May 1756) ― The Story of an Exceptional and the Failure of a Diplomatic Over- ture», Hanovre: Gottfried Wilhelm Leibniz Bibliothek, 2009, http://www.noa-gwlb.de/ CiXbase/gwlbdeposit/. Mesures actuelles de la lettre, dont on remarque qu’elle est à peine abîmée, mais quelque peu froissée: longueur: cinquante-quatre centimètres et sept milli- mètres; largeur: huit centimètres et demi; épaisseur: deux dixièmes de millimètre; poids: cent grammes, rubis inclus; pureté de l’or: entre 95,25 % et 98,69 %. L’auteur note le léger écart avec les dimensions et le poids donnés dans la lettre en unités birmanes et convertis au moyen de tables modernes, dû à la norme un peu différente en usage au XVIIIe siècle.

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Fig. 2. «Lettre royale sur feuille d’or» de Birmanie à George II en 1756, avec sa boîte cylindrique en ivoire (Gottfried Wilhelm Leibniz Bibliothek, Hanovre; illustration reproduite avec l’aimable autorisation de Jacques P. Leider)

jusqu’à nous. La cour birmane appelle de même «lettres royales sur feuilles d’or» les missives reçues des souverains étrangers, y compris de Chine, indépendamment de leur support réel. Les ambassades siamoises sont également porteuses de lettres sur feuilles d’or, de formes variées. Selon une description du XVIIe siècle, «elles (les lettres adressées en 1680 au roi Louis XIV et au pape) sont gravées sur une lame d’or d’un pied et demi de long et huit pouces de large, si bien battue qu’elle se roule facilement». La figure 3 montre la feuille d’or, non pas enroulée, mais «pliée en accordéon à la manière de nombreux manuscrits siamois», que les émissaires du roi Mongkut (Rama IV) présentent à l’empereur Napoléon III le 28 juin 186112.

Fig. 3. Lettre sur feuille d’or du Siam à Napoléon III en 1861 (Archives du ministère des Affaires étrangères, Paris, D. R.)

12 Les deux citations proviennent de JACQ-HERGOUALC’H Michel (catalogue établi par), Phra Narai roi de Siam et Louis XIV [exposition du musée de l’Orangerie (Paris, 13 juin- 13 juillet 1986)], n. p., texte n° 62. Pour la feuille d’or, voir illustration n° 62 (longueur: quarante centimètres, largeur: six centimètres et demi).

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Les «lettres royales sur feuilles d’or» que les ambassadeurs de Birmanie portent à la cour des Qing deviennent en chinois des «messages [à l’em- pereur (marquant l’infériorité)] sur feuilles d’or», 金葉表文 jinye biaowen, généralement traduits par «messages tributaires sur feuilles d’or». Seuls deux autres royaumes présentent leurs messages sur feuilles d’or: l’Annam (jusqu’à la fin du XVIIIe siècle?) et le Siam. Les Règlements du ministère des Rites notent les arrivées d’ambassades à Pékin avec leurs cadeaux, considérés comme un tribut, et les récompenses impériales en retour; dans l’édition de 1844, ils précisent à la section «緬甸朝貢 Miandian chao- gong» (Tribut de la Birmanie présenté à la cour): Le nombre des objets du tribut n’est pas fixé, ils sont tous remis au dépar- tement de la Maison impériale, 內務府 Neiwufu (institution en charge des affaires du palais), pour réception; les éléphants sont remis à la Garde des processions impériales, 鑾儀衛 Luanyiwei. Le message tributaire utilise une feuille d’or [pour support], il est contenu dans une boîte cylindrique en ivoire.13

À Pékin, les Archives historiques n° 1 de Chine ne conservent, semble-t-il, aucune feuille d’or gravée14. À Taipei, le musée national de l’Ancien Palais (National Palace Museum) possède deux feuilles, adressées à Qianlong: un «message tributaire sur feuille d’or» du Siam (fig. 4)15 et un «mes- sage tributaire sur feuille d’argent», 銀葉表文 yinye biaowen, gravé en sept lignes de birman (1750), sur lequel je reviendrai (voir plus bas, fig. 5)16. Ainsi, dans la grande masse des archives Qing connues à ce

13 特登額 TEDENG’E (comp.), 欽定禮部則例 Qinding libu zeli (Règlements du minis- tère des Rites, compilés sur ordre impérial), Taipei: Chengwen chubanshe, 1966 [d’après une édition de 1844], juan 179, 1b. 14 Communication personnelle de 胡忠良 HU Zhongliang, directeur du Centre national du catalogue des archives Ming-Qing, Archives historiques n° 1 de Chine (Pékin, 29 mai 2007). 15 La forme de cette feuille est plus «carrée» que la traditionnelle feuille de palme (longueur: vingt-huit centimètres et demi, largeur: seize centimètres et demi); à ce jour non déchiffrée, sa date précise reste inconnue. 16 J’en donne une traduction en chinois dans 白詩薇 BAI Shiwei (PASQUET Sylvie), «贈送給乾隆皇太后的緬甸大象 – 國立故宮博物院珍藏「緬甸國銀表」的研究 Zeng- song gei Qianlong huangtaihou de Miandian daxiang – Guoli Gugong bowuyuan zhencang “Miandianguo yinbiao” de yanjiu» (Les éléphants birmans offerts à la mère de l’empereur Qianlong – Étude du «message tributaire birman sur feuille d’argent» conservé au musée national de l’Ancien Palais), 故宮學術季刊 Gugong xueshu jikan/The National Palace

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Fig. 4. Lettre sur feuille d’or du Siam à l’empereur de Chine au XVIIIe siècle (National Palace Museum, Taiwan, Republic of China)

jour, les témoignages originaux de ces correspondances royales vers l’empire du Milieu sont-ils infimes. Les vicissitudes de l’histoire des archives ne peuvent seules l’expliquer. Nous savons par exemple que, sur ordre de Qianlong, sept feuilles d’or arrivées du Siam à différentes dates sont fondues en 1749; toutes celles du Siam (sept) et d’Annam (six) réceptionnées depuis 1753 sont de même fondues en 1786 et les suivantes de Birmanie (cinq) et du Siam (trois) en 1792. De ces trois opérations, l’empereur aura récupéré le métal précieux de vingt-huit lettres, y com- pris donc les cinq provenant de Birmanie, reçues entre 1788 et 179217! Bien d’autres feuilles d’or ont-dû subir un traitement identique au cours de la dynastie. De Inwa à Pékin, de leur rédaction à leur destruction, les

Museum Research Quarterly [Taipei, à paraître]. D’après l’expertise technique que les autorités du musée ont bien voulu faire faire sur ma demande, la feuille est un alliage d’argent et de cuivre (longueur: soixante-dix-neuf centimètres, largeur: dix centimètres, poids: cent cinquante-quatre grammes). 17 活計檔 Huoji dang (Archives des Ateliers impériaux), QL 14/10/19 [28 novembre 1749] (pièces datées par l’année du règne [QL pour Qianlong], suivie du mois lunaire et du jour), Archives historiques n° 1 de Chine, microfilm consulté à Taipei: boîte n° 92, p. 54-55; 文獻叢編.下 Wenxian congbian · xia (Collection de documents, second volume), Taipei: Tailian guofeng chubanshe, 1964 [1re édition, 1930-1937], p. 1094-1095. Ces envois rapprochés posent question, voir note 40.

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«lettres royales sur feuilles d’or» voyagent selon un «circuit diploma- tique». Il est analysé ci-dessous.

II. DE LA CITÉ DES JOYAUX À LA CITÉ INTERDITE, LE CIRCUIT D’UNE CORRESPONDANCE DIPLOMATIQUE

Au milieu du XVIIIe siècle, un curieux personnage nommé 吳尚賢 Wu Shangxian se rendit maître de 茂隆 Maolong, une riche mine d’argent située au cœur du pays des 佤 Wa (Va) coupeurs de têtes18. Depuis ces lointains confins entre Birmanie et Chine, il arriva à la cité des Joyaux le 10 mars 1750. Le roi birman le reçut en grande pompe – porteur d’une «lettre royale sur feuille d’or» forgée au nom de l’empereur Qianlong, cet aventurier yunnanais s’était fait passer pour un émissaire de la Cité inter- dite. La royauté était aux abois: les raids des mn

18 Maolong est située de part et d’autre de la frontière entre le «district autonome wa de 滄源 Cangyuan » (Yunnan) et le territoire “w” wa, ou «Wa Self-Administered Division» (d’après la Constitution de 2008), dans l’État shan de Birmanie, voir Annexe 1. A cheval sur cette frontière, plus un petit groupe dans le nord de la Thaïlande, les Wa, des Austro- asiatiques comme les Môn, sont environ un million.

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ou «cent cinquante ans» selon les Birmans, «après le règne de 嘉靖 Jiajing (1522-1566)» de la dynastie des 明 Ming (1368-1644) selon les Chinois. L’épisode, retracé à grands traits ci-dessus19, montre comment les contacts sont rétablis grâce à une correspondance précise: lettre chinoise reçue à Inwa; réponse royale adressée à Pékin; «édit impérial» envoyé à la Birmanie, inscrite sur la liste des royaumes tributaires chinois. Les sources mentionnent une deuxième vague de correspondance à partir de 1787. Elle trouve aussi son origine sur la région frontière – non à la mine de Maolong, mais plus au nord autour de 騰越 Tengyue, aujourd’hui 騰衝 Tengchong, dernière étape chinoise sur la route de la Soie méridio- nale, considérée comme un avant-poste des 漢 Han (nationalité majori- taire de Chine) en terre barbare. En 1787, décrété par Qianlong lors des campagnes de Birmanie (1765-1769), l’embargo sur le lucratif commerce frontalier est encore en place; décidées à l’issue de la guerre, les missions décennales – échanges d’amitié pour les Birmans, uniquement tributaires pour les Chinois – n’ont pas encore débuté. Marchands et chefs locaux vont alors monter une fausse ambassade chinoise: la correspondance engagée suit le même schéma que précédemment. (La levée de l’embargo en 1790 voit la reprise officielle des caravanes: jade, pierres précieuses, ambre, coton brut de Birmanie contre porcelaine, papier, soie, thé de Chine.) Avec l’épisode de 1750 comme fil principal, déroulons les trois séquences du «circuit diplomatique».

Séquence 1 – Lettre chinoise reçue à la cité des Joyaux

Wu Shangxian et le dignitaire, amt< a-mat dans les sources birmanes, qui l’accompagne, ainsi que cinq mille hommes et une centaine de chevaux,

19 Voir aussi PASQUET Sylvie, «Entre Chine et Birmanie — Un mineur-diplomate au royaume de Hulu, 1743-1752», Études chinoises, 8 (1), printemps 1989, p. 41-68 (première partie); 8 (2), automne 1989, p. 69-98 (seconde partie). Les Ming considèrent la Birmanie comme une chefferie indigène rattachée au Yunnan, à l’instar d’autres chefferies indigènes de la région frontière prêtant allégeance à la Chine. Précisons que 永曆 Yongli, dernier prétendant au trône des Ming, trouve refuge en Birmanie pour échapper aux armées mand- choues: le roi le livre à un général chinois, qui le ramène au Yunnan, puis le fait exécuter en 1662. Le Yunnan est définitivement intégré à l’empire des Qing en 1681; des incursions birmanes sur la frontière, dans le territoire des chefferies indigènes Qing, conduiront à la guerre des années 1760 avec Inwa.

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sont accueillis aux portes de la Birmanie, en pays shan, par le chef de Hsenwi. Ils atteignent Inwa le 10 mars 1750. Se prétendant «émissaires impériaux», Wu Shangxian et son compagnon apportent, toujours selon les sources birmanes, une «lettre royale sur feuille d’or» et les statues de neuf Âbhassarâs-Brahmâs – êtres des régions célestes supérieures –, qu’ils offriront au roi de Inwa au nom de l’empereur Qianlong. Ordre est donné de recevoir l’ambassade suivant le rituel dévolu précédemment au Siam: en 1746, l’audience royale s’était tenue au palais de Terre, ém'nn<: Myeinan. (Au-dessus du trône principal dans cette grande salle des audiences, le p',s,d< pya that/pyatthat – le toit étagé couronné d’une ombrelle dorée des palais et monastères – symbolise le «centre de l’Uni- vers».) Pour entrer dans la cité, la «lettre royale sur feuille d’or» des Chinois a dû être, comme celle des Siamois en 1746, «posée sur une coupe à bétel, km<:KW k

20 Chronique du palais de Cristal, vol. 3, p. 378, 389. Hsenwi: 木邦 Mubang dans les sources chinoises, voir Annexe 1. 21 sIriVjn, THIRI-UZANA (titre), él,kbY%h,kYm<: Lawkabyuhagyan (Des dispositions du monde), [1757], édité par Pui:lt<§VI: PHO LAT (U), Yangon: Ministère de la Culture, 2001, livre quatre, p. 196-206. (Ministre du roi Mahadhammayazadhipati jusqu’à sa chute, l’au- teur offre ses services à la nouvelle dynastie fondée début 1752.) Pour une présentation de cet ouvrage, on consultera l’article de Bénédicte BRAC DE LA PERRIÈRE: «Le Traité des apparences du monde – Analyse des rituels de la royauté birmane d’après un traité du dix-huitième siècle», dans BRAC DE LA PERRIÈRE Bénédicte et REINICHE Marie-Louise (études réunies par), Les apparences du monde – Royautés hindoues et bouddhiques de l’Asie du Sud et du Sud-Est, Paris: École française d’Extrême-Orient, 2006, p. 265-294. Le Manipur constitue un État du nord-est de l’Inde actuelle.

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d’or, voir note 29), ér_PYx< shwei phyin, contenant la lettre. Les envoyés se rendent au pavillon des Entretiens avec des fonctionnaires birmans: les interprètes-traducteurs, les responsables de l’ambassade, deux secrétaires du Conseil royal, lt<ét,<_ Hluttaw – un rouage exécutif essentiel de l’admi- nistration. Une traduction (orale) de la lettre est faite, puis, toujours au pavillon des Entretiens, copiée; la lettre est portée au pavillon de l’am- bassadeur (principal?) dans sa boîte en ivoire, elle-même placée dans le sac. L’audience royale se tiendra, non au palais de Terre, mais au Conseil royal, vers lequel convergent princes et hauts dignitaires en robes d’appa- rat et ornements d’oreille, sur des éléphants et des chevaux richement harnachés. On déploie devant le trône du Conseil royal une fine natte aux bords décorés, sur laquelle sera placée la coupe à bétel avec la lettre et sa traduction. Au moment approprié, le souverain se rend au Conseil royal et prend place sur le trône tandis que résonnent les tambours. Ayant salué front contre terre, un officier des cérémonies lit la liste des présents offerts. Un second officier des cérémonies introduit les envoyés et les respon- sables de l’ambassade. Le chef des gardes royaux prend sur la coupe à bétel le yn<:ép?x

22 Il existe deux sortes de parabaik en papier (la toile ou le métal sont moins courants): le «blanc» (plutôt jaunâtre), utilisé pour les beaux textes illustrés, en couleurs, et le «noir», réinscriptible (comme un tableau noir que l’on efface), pour les notes privées, les rapports officiels, etc., divers documents se succédant sur un même feuillet, voir THAW KAUNG (U), «Myanmar Traditional and their Preservation and Conservation», dans Selected of U Thaw Kaung, Yangon: Myanmar Historical Commission, 2004, p. 265-269. Pour préciser les propos de Wang Zhi, mentionnés en début d’article, les «beaux papiers azurés» (deuxième support cité) font peut-être référence aux parabaik blancs, dont la surface est souvent vernissée; les «feuillets noirs» (quatrième support cité) désignent les parabaik noirs. Des quatre formes de textes birmans traditionnellement pré- sentés à l’empereur selon cet auteur, les sources Qing ne signalent que les feuilles d’or (premier support cité; le troisième, les feuilles de palme, a fait l’objet de la note 8). Compilé au XVIe siècle, le 緬甸館來文 Miandianguan laiwen (Documents reçus, du bureau [des Tra- ducteurs] de Birmanie), Bibliothèque nationale de Chine, n. p., note déjà que la feuille d’or a progressivement supplanté les autres supports. Wang Zhi s’est-il basé sur d’anciens écrits?

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Comment est reçue l’ambassade chinoise suivante, arrivée en 1787, sous la dynastie Konbaung? Dans la capitale amrpUr Amarapura, non loin de Inwa, un pavillon coiffé d’un triple toit abrite sa «lettre royale sur feuille d’or». Une copie de la lettre est effectuée au pavillon des Entretiens; la traduction est faite au Conseil royal d’après cette copie. L’audience royale se tient au palais de Terre. Ainsi:

Les interprètes pour transcrire la lettre royale connaissant le chinois et le yWn<: yun ainsi que les hauts dignitaires responsables des entretiens se rendirent à la résidence temporaire des ambassadeurs. À leur arrivée au pavillon des Entretiens dans la résidence, la lettre royale sur feuille d’or fut placée sur un plateau à pied, klp< k-lat, en or, lui-même posé sur une fine natte aux bords décorés, déployée dans la pièce centrale. Les ambas- sadeurs une fois alignés […], on fit transcrire par les interprètes de chinois la lettre royale, que l’on replaça dans son pavillon à toit en étages. On apporta au Hluttaw la transcription de la lettre royale sur le plateau à pied en or: alors la lettre fut traduite et put être présentée. [Lors de la grande procession vers le palais de Terre au jour de l’au- dience,] le scribe des ordres royaux revêtu de sa robe de cérémonie, avec ornements d’oreille et coiffure, chevauchait un éléphant, tenant dans ses bras une coupe à bétel octogonale avec la lettre royale sur feuille d’or posée dessus. [La famille royale et les hauts dignitaires en grand apparat ainsi que les ambassadeurs, que l’on avait fait se prosterner au long du chemin, prirent leur place au palais de Terre, les cadeaux étant arrangés à l’extérieur.] Un héraut prit dans ses bras la coupe à bétel avec la lettre royale posée dessus que tenait le scribe des ordres royaux et la plaça sur une fine natte dans le palais de Terre. [Après les lustrations solennelles exécutées par huit brahmanes et l’offrande royale de sept bouddhas ouvrant l’audience,] le roi coiffé d’une couronne d’inestimable valeur et la reine principale richement vêtue, assis sur le trône, écoutèrent un mes- sager du palais agenouillé devant eux lire la traduction de la lettre royale notée sur un parabaik à couverture laquée, incrustée de verroteries et ornée de dorures.23

23 ém,x<ém,x

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Plusieurs «lettres royales» arrivées de Chine dans la première moitié du XIXe siècle ont été traduites en birman sur des parabaik noirs24. Pré- cédant la traduction, quelques lignes en retrait décrivent chaque lettre et précisent: la date et le lieu de la traduction, soit au pavillon des Entre- tiens, soit, le plus souvent, au Conseil royal; le nom des marchands du «quartier chinois», trup

24 Committee for Constructing a Database of Myanmar Parabaik Manuscripts, Docu- ments of Myanmar Socio-Economic History, Aichi (Japon): Aichi University, 2002, vol. 2, section «r,js.c, Ya z-than sa» (Lettres royales). 25 BURNEY Henry, «Some Account of the Wars between Burmah and China, together with the Journals and Routes of three Different Embassies sent to Pekin by the King of Ava, taken from Burmese Documents», Journal of the Asiatic Society of Bengal, 66, juin 1837, p. 435-436. L’auteur offre une traduction libre de documents obtenus grâce à ses relations à la cour, mais, dit-il, n’a pas trouvé (pas eu accès?) de correspondance entre les deux souverains avant les années 1780.

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following is a translation of the letter written in the Chinese language which consists of 51 lines and which the head merchants Nga Shwe-Yeh, Nga Lo-tsam, and Nga Lo-tauk residing in the Taroup Tangyeh long street occu- pied by the Chinese at Amarapoora were made to translate into the Burmese language at the Lhwottau [Hluttaw] on the 4th day of the waxing of the moon Katshown in the Burmese year 1198 (18th April 1836). […] It was carried into the Levee room on the 19th April and delivered to the Royal [Herald] and presented.26

Séquence 2 – Réponse royale adressée à la Cité interdite

Revenons à l’épisode de 1750, avec les données recueillies dans un manuscrit sur feuilles de palme intitulé a posteriori h.s,wtIér,k

26 DESAI Walter Sadgun, History of the British Residency in Burma, 1826-1840, Yangon: The University of Rangoon, 1939, p. 471, 473. «Tarup»: ici, la Chine, les Chinois (trup<, écrit aujourd’hui trut<, T-yout); «Udi Men»: équivalent de Udibhwa (Vdv

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de l’un sont les ennemis de l’autre», suggérant que l’empereur Qianlong apportera un soutien militaire au roi Mahadhammayazadhipati. Wu Shang- xian prend même les armes avec ses hommes pour le compte de Inwa, sans succès. Convaincu d’envoyer une ambassade en retour, le roi désigne ses envoyés, dont le chef shan de Hsenwi, qui «connaît le chinois, le mand- chou et le yun», et choisit dix éléphants de son palais à offrir à l’empe- reur (huit) et à la mère de ce dernier (deux), ainsi que diverses étoffes. Sa réponse en douze lignes est gravée sur une feuille d’or de cinquante- trois centimètres sur onze et demi, pesant cent quatre-vingts grammes. Elle n’est pas rehaussée de joyaux à ses extrémités comme le sera la lettre suivante à la Chine (1787), gravée par un héraut à l’avant du Conseil privé du roi, b'ètuik< Byedaik, sur le plancher duquel un tissu de coton a été déployé28. Quant à la préparation des lettres avant leur départ, nous savons que pour celle adressée à George II en 1756, «the gold leaf was put in an ivory casket, the casket in a brocade bag, the bag in a gold lacquered box», le tout étant mis dans un sac recouvert du sceau royal représentant l’oiseau mythique hintha29. Le roi ordonne à ses envoyés de 1750 de bâtir des pavillons d’étape pour abriter la feuille d’or en route. Pour la transporter, les Birmans préparent ce que les sources Qing décrivent comme une pagode dorée («sur laquelle est appliqué de l’or») chargée d’un pavillon jaune, 貼金 寶塔裝載黃亭 tiejin baota zhuangzai huangting30; Henry Burney men- tionne une structure semblable (lettre de 1833 à la Chine): For the more easy conveyance of the royal letter the governor of that place will construct a plank Ta-zaung (a portable pyramidical [sic] structure)

28 THAN TUN (éd.), The Royal Orders of Burma, A. D. 1598-1885 – Part Four, A. D. 1782- 1787, Kyôto: The Center for Southeast Asian Studies, Kyôto University, 1986, p. 145 (résumé en anglais), p. 526 (document en birman). 29 THAN TUN (éd.), The Royal Orders of Burma, A. D. 1598-1885 – Part Three, A. D. 1751- 1781, 1985, p. 29 (résumé en anglais), p. 157 (document en birman); «casket» et «box» traduisent le même mot birman kRùt< kyout, «petite boîte pour mettre des objets pré- cieux», «petit récipient rond et couvert»; «brocade» traduit shwei phyin, «toile de coton d’or». 30 Rapport de l’ambassade birmane en Chine, K kha (premier ton) r°; 昭槤 ZHAOLIAN (1776-1829), 嘯亭雜錄 Xiaoting zalu (Mélanges du Kiosque du Sifflement), Pékin: Zhong- hua shuju, 1980 [1re édition, 1880], juan 5, «緬甸歸誠本末 Miandian guicheng benmo» (Tenants et aboutissants de la soumission de la Birmanie), p. 115.

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having three roofs, and an umbrella and other ornaments, with a door on one side with a lock and key, and varnish and gild the whole.31 Wu Shangxian reprend le chemin de sa mine d’argent avec l’ambas- sade et les éléphants. Il envoie aux autorités yunnanaises un rapport annonçant que le roi de Inwa désire se soumettre au Fils du Ciel. Il y joint, non la feuille d’or («message tributaire» pour les Chinois), dont la teneur a pu lui être expliquée par le chef shan de Hsenwi, qui sert d’inter- prète, mais sa traduction. C’est-à-dire sa réécriture en termes acceptables par l’empereur, émanant peut-être de l’entourage lettré du mineur. (Ainsi, un petit officier cassé de sa charge, mais qui a des lettres, a trouvé refuge auprès de lui: il lui aurait «soufflé» l’idée du tribut pour s’attirer les faveurs impériales.) Puis le gouverneur du Yunnan adresse à l’empereur un mémoire au trône d’après le rapport et la traduction. Celle-ci semble être le «brouillon du message tributaire dans sa traduction originale», 原譯表底 yuanyi biaodi, de la séquence 3. Qianlong consulte le ministère des Rites et approuve son avis favorable: le 14 décembre 1750, après six mois d’attente à Maolong, l’ambassade – une vingtaine d’hommes et autant de cornacs – s’ébranle vers Pékin via 昆明 Kunming, capitale du Yunnan. Wu Shangxian se porte garant de «ces barbares qui ignorent tout de l’étiquette céleste» et obtient de les accompagner à ses frais. La Birmanie présente deux «messages tributaires» – sur or et sur argent –, nous dit un mémoire au trône après le passage des envoyés à Kunming32. Mais aucune source birmane n’évoque la feuille d’argent: elle a surgi de la région frontière.

Séquence 3 – «Édit impérial» envoyé à la cité des Joyaux

Les envoyés atteignent Pékin le 30 juillet 1751. Dès le lendemain, selon leur récit, une voiture à cheval les emmène de leur résidence au lHIpU Hli

31 BURNEY Henry, «Some Account of the Wars», Journal of the Asiatic Society of Bengal, 67, juillet 1837, p. 544. 32 軍機處檔摺件 Junjichu dang zhejian (Mémoire des archives du Grand Conseil), n° 006656, QL 16/3/19 [14 avril 1751], par 開泰 Kaitai (gouverneur du 貴州 Guizhou), conservé au musée national de l’Ancien Palais, Taipei (Grand Conseil, 軍機處 Junjichu: instance informelle de décision, au rôle prééminent, proche de l’empereur, le Guizhou: contigu au Yunnan).

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pu, ministère des Rites (禮部 Libu), la feuille d’or voyageant en palan- quin; l’envoyé principal présente la lettre de son roi: après un triple salut front contre terre, par trois fois il la pose sur la table du ministère, puis l’élève33. Selon les règlements Qing, elle est portée au Grand Secrétariat, 內閣 Neige, qui gère les affaires ordinaires: en général, les feuilles d’or de Birmanie et du Siam ne sont pas présentées à l’empereur, seules le sont les traductions. (Gouverneurs généraux et gouverneurs des provinces concer- nées reçoivent des fonctionnaires accueillant les ambassades à leur entrée en Chine la traduction des lettres et la liste des objets du tribut – et en tête dans cette liste figure la feuille d’or –, qu’ils joignent à leur mémoire au trône.) Le Grand Secrétariat, s’appuyant sur la traduction qui lui a été remise, soumet au souverain ses recommandations sur l’ambassade: Nous (du Grand Secrétariat) observons que le royaume de Birmanie présente son message tributaire en caractères étrangers sur feuille d’or. Il est présenté avec sa boîte cylindrique. Il y a l’original, il n’y a pas de copie. Le Grand Secrétariat rédige, d’après le brouillon du message tributaire dans sa tra- duction originale, une proposition [de rescrit] en mandchou et en chinois, avec une note […].34 Le 16 août, les Birmans participent à l’audience impériale donnée dans la salle de l’Harmonie suprême, 太和殿 Taihedian, de la Cité interdite. (Le trône en palissandre y symbolise le «centre de l’Univers».) Puis, le ministère des Rites les convie à deux banquets; s’agissant d’une première ambassade, il note: Nous observons avec respect que, depuis toujours, lorsque le 蘇祿 Sulu (archipel des Philippines) et d’autres royaumes viennent à la capitale pré- senter un message, offrir un tribut et se déclarer vassaux pour la première fois (ou pour les rois nouvellement couronnés), ils reçoivent chacun un édit, 敕諭 chiyu, proclamé par l’empereur. Rédigé par le Grand Secrétariat, il est donné auxdits rois en signe de félicitations; on ordonne à leurs messa- gers de le rapporter dans leur royaume.35

33 Selon le rituel Qing, les envoyés s’agenouillent; l’envoyé principal élève la lettre, un officier la prend, la remet à un vice-président des Rites, qui la pose sur la table; trois fois, les envoyés font une génuflexion et trois prosternations front contre terre. 34 Wenxian congbian · xia, p. 1093 (les caractères en petit corps respectent la typogra- phie originale). 35 明清史料 Ming Qing shiliao (Documents historiques des Ming et des Qing), Taipei: Academia Sinica, 1960, 庚編 geng bian, vol. 7, p. 603. L’Academia Sinica préserve un

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À l’heure de quitter Pékin (11 septembre) avec des cadeaux et une calligraphie sur bois de Qianlong, l’ambassade reçoit donc ce qu’elle nomme une «lettre royale» – l’«édit impérial» de félicitations. Fin 1751, elle arrive aux portes d’un royaume aux abois. Dépêchés par leur père, deux princes attendent la «lettre royale» dans le sud du pays shan. Mais lorsque l’ambassade les rejoint en mai 1752, les Môn ont pris Inwa un mois plus tôt, emmenant le roi en captivité; abrités dans un pavillon, la «lettre royale» et les cadeaux de Qianlong auraient ensuite pu être recueillis par le nouveau roi, Alaungmintaya 36. Du Grand Secrétariat, les feuilles d’or de Birmanie et du Siam sont transmises par un fonctionnaire du ministère des Rites au service des Magasins, 廣儲司 Guangchusi, et plus tard pour y être fondues au bureau des Travaux, 造辦處 Zaobanchu, deux divisions de la Maison impériale (qui réceptionne tous les objets du tribut). Après 1790, cette règle, datant peut-être du début de Qianlong, varie; les sources ne disent pas clairement si, après un éventuel archivage au Grand Secrétariat, les feuilles remises à la Maison impériale y sont fondues. Les Règlements du ministère des Rites notent dans l’édition de 1784: À la dix-septième année de Qianlong (1752, erreur pour 1751), le royaume de Birmanie a présenté en tribut un message sur feuille d’or et un sur feuille d’argent. […] Les messages, les deux boîtes cylindriques en ivoire et la cassette dorée ont été remis au département de la Maison impé- riale.37

unique chiyu (édit impérial aux royaumes étrangers), adressé en chinois et en mandchou au roi du Siam. Les envoyés siamois le retournent à Pékin en 1768, le roi étant mort et sa capitale prise par les Birmans. Des dragons tracés au pinceau illustrent les bords de ce texte aux dimensions imposantes, qui inclut la liste des «bienfaisantes récompenses» accordées par Qianlong (trois cent quinze centimètres sur cinquante-cinq; la lettre chinoise de 1836 décrite par Henry Burney dans la séquence 1 est plus grande encore). Voir 李光濤 LI Guangtao, «跋乾隆三十一年給暹邏國王敕諭 Ba Qianlong sanshiyi nian gei Xianluo guowang chiyu» (Épilogue à l’édit impérial adressé au roi du Siam en 1766), 中央研究 院歷史語言研究所集刊 Zhongyang yanjiuyuan lishi yuyan yanjiusuo jikan (Recueil d’articles de l’Institut d’histoire et de philologie de l’Academia Sinica) [Taipei], 39 (1), 1969, p. 223-236. 36 ZHAOLIAN, «Miandian guicheng benmo», p. 116. 37 德保 DEBAO (comp.), 欽定禮部則例 Qinding libu zeli (Règlements du ministère des Rites, compilés sur ordre impérial), Hong Kong: Fuchi shuyuan chuban gongsi, 2004 [d’après une édition de 1784], juan 174, 1b.

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Chaque message est ainsi arrivé dans une boîte cylindrique (筒 tong) en ivoire, la boîte avec la feuille d’or étant de plus, logiquement, conte- nue dans la cassette (匣 xia) dorée, comme la lettre birmane de 1756 aux Anglais. En 1761, la feuille d’argent et la feuille d’or enregistrées une décennie plus tôt se trouvent encore au service des Magasins (avec une partie des étoffes du roi birman). La première est parvenue jusqu’à nous, munie de sa boîte à couvercle ornée de dragons chinois (vingt-trois cen- timètres de hauteur, dix de diamètre); la seconde – en «or pur à 80 %» (selon les critères chinois d’alors), elle pèse cinq onces (兩 liang), cent quatre-vingt-six grammes, répondant presque parfaitement aux cent quatre-vingts grammes des Birmans – «n’ayant pas d’utilité», l’empereur ordonne en 1763 de la fondre avec divers objets en or38.

Vraies et fausses ambassades Les trois séquences du circuit ont montré comment les «lettres royales» s’insèrent concrètement dans les «rituels diplomatiques» des administra- tions royale et impériale; elles figurent pour l’épisode de 1750-1751 sur un schéma récapitulatif (page 29039). Mais qu’en est-il de l’authenticité des ambassades, de la teneur des traductions? Pour les Birmans, les lettres chinoises reçues sont des «lettres royales» portées par des envoyés de la Cité interdite: d’après la traduction en birman qui en est faite, l’empereur s’adresse directement au roi. Or, côté chinois, les ambassades qui trans- mettent les adresses directes au roi – comme les «édits impériaux» lui conférant son «investiture» (1790) ou annonçant le décès de Qianlong (1799) –, dûment consignées dans les archives Qing, sont peu fréquentes. Les deux premières députations de l’ère Qing accueillies à la cour royale (1750, 1787), décrites dans les textes birmans, ne sont notées dans aucune source chinoise: elles ont été montées, et leurs lettres forgées, sur la

38 內務府檔案 Neiwufu dang’an (Archives du département de la Maison impériale), n° 05-0819-030, QL 26/3/28 [2 mai 1761], Archives historiques n° 1 de Chine; 內務府奏 銷檔案 Neiwufu zouxiao dang’an (Archives des rapports financiers du département de la Maison impériale), QL 28/10/2 [6 novembre 1763], Academia Sinica (Taipei). La feuille ne fait donc pas partie du lot des treize «messages tributaires» du Siam et d’Annam arrivés depuis 1753 et tous fondus en 1786. 39 L’illustration de gauche représente en fait un trône du XIXe siècle, celui de Maha- dhammayazadhipati devait lui ressembler.

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敕諭 DE

sur la frontière Document forgé «Édit impérial» ENTRE «C en réponse suprême de la Cité interdite , 1750-1751 Trône de la salle l’Harmonie ÉKIN P ET

NWA I 銀葉表文 金葉表文 原譯表底 tributaire dans sa sur feuille d’or» réécrit en chinois?) «Message tributaire ENTRE traduction originale» «Brouillon du message «Message tributaire sur » feuille d’argent» (en birman; TRIBUTAIRES

réécrite renommé renommée EN BIRMAN EN CHINOIS MESSAGES « ET » r,js. _ épr,js. _ épr,js. ér ér «Lettre royale «Lettre royale» ROYALES en birman à Inwa)

sur feuille d’or» en réponse (en birman) «Lettre royale sur feuille d’or» (en chinois; réécrite ETTRES » – — «L NIVERS ’U L

DE du palais de Terre

CHÉMA S ENTRE de la cité des Joyaux La «lettre royale» n’arrive pas à Inwa. de dynastie en 1752. avant le changement pyatthat Troubles en Birmanie «C le Trône au-dessus duquel s’élève

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région frontière40. Leur arrivée à la capitale royale a précédé l’envoi d’une ambassade birmane à Pékin: persuadé que l’empereur a, le premier, spontanément, dépêché des émissaires, le roi prépare en retour lettre et cadeaux. Le Fils du Ciel va croire à son tour que, venus d’eux-mêmes offrir le tribut, «les barbares se tournent avec ardeur vers la civilisation d’un pays supérieur». Les instigateurs espèrent alors une action impériale conforme à leurs desseins: obtention de faveurs (1750), levée de l’embargo (1787). Par la suite, des missions d’intérêt régional envoyées du Yunnan, sur ordre de Pékin (vraies) ou non (fausses), ont pu être déguisées en missions impériales à la cour birmane, avec de prétendues adresses directes au roi.

[…] I conceive that none of the members of the Chinese embassies which visit Ava ever come from Pekin [sic]. The letter on gold and some of the presents appear to be sent down to the Viceroy of Yunan [sic], and he forwards them by some officers serving under him; and these do not, even on their return, proceed beyond Yunan. The Burmese envoys, when they accompany the Chinese, are made to believe that the emperor has conferred some additional rank and employment on the latter, requiring their pre- sence in Yunan, and preventing their accompanying the Burmese mission to Pekin.41 The letters purporting to be from the Emperor of China are never brought here by individuals from Pekin but by messengers from the Viceroy of Yunan who might very easily make such an interpolation [in the 1836 letter] and whom indeed I had before suspected of such conduct from a perusal of some letters formerly received from China.42 Dans les deux extraits ci-dessus, Henry Burney observe que les envoyés chinois, porteurs d’une «letter on gold» impériale ou supposée telle, viennent toujours du Yunnan, et non de la Cité interdite: ce niveau pro- vincial permettrait aisément au plus haut responsable, le «Viceroy» ou gouverneur général du Yunnan et du Guizhou (comme le gouverneur du

40 De même, mais ce point ne sera pas développé ici, de fausses ambassades au nom du roi birman sont sans doute dépêchées vers la Chine (ainsi, je n’ai trouvé trace dans les sources birmanes, à ce jour, que de deux feuilles d’or sur les cinq réceptionnées à Pékin entre 1788 et 1792, fondues en 1792). 41 BURNEY Henry, «Some Account of the Wars», Journal of the Asiatic Society of Bengal, 66, juin 1837, p. 434. 42 DESAI Walter Sadgun, History of the British Residency in Burma, 1826-1840, p. 247.

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Yunnan, il réside à Kunming), de modifier le contenu de la lettre. Ce sont bien les autorités yunnanaises qui, réglementairement, choisissent parmi leurs fonctionnaires les envoyés à la cour birmane. Elles choisissent aussi les hommes qui accompagnent les ambassadeurs birmans du Yunnan à Pékin et ceux, parfois les mêmes, qui au retour les escorteront de Kun- ming aux portes du royaume, le trajet Pékin-Kunming étant à la charge du ministère des Rites; le cloisonnement entre fonctionnaires yunnanais souligné par le British Resident n’est pas une règle. Le soupçon que les autorités provinciales puissent «remanier» des ambassades ou laisser s’en monter au nom de l’empereur, non consignées comme telles dans les sources Qing, apparaît légitime. (Cela, alors qu’elles ne peuvent en théo- rie communiquer avec les rois étrangers sans l’aval impérial.) La région frontière – jungle montagneuse et insalubre – est le domaine des chefs indigènes faisant allégeance à la Birmanie, à la Chine, ou aux deux, mais aussi des aventuriers de tout poil, mineurs en quête de filons prometteurs, marchands alléchés par les profits du commerce frontalier, petits fonc- tionnaires chinois dégradés prêts à vendre leur savoir littéraire. Nous retrouvons ces «acteurs de la frontière» dans la mise sur pied des fausses ambassades. Chacun d’eux y trouve son intérêt (et une rémunération?), conscient que des bonnes relations entre souverains dépend la stabilité des lieux. Sans des liens précédemment noués avec le chef shan de Hsenwi à l’entrée du royaume birman, que les sources Qing laissent percevoir, Wu Shangxian n’aurait sans doute pu se rendre à la cité des Joyaux comme «émissaire impérial».

Traduire? Réécrire La «lettre royale» chinoise de 1836, mentionnée plus haut dans la séquence 1, informe la cour de Inwa du nouveau titre accordé par l’empe- reur à sa mère. Henry Burney évoque une interpolation dans cette lettre. Elle présente en effet une demande – «que le roi ne laisse pas les Anglais s’installer en Birmanie» – n’émanant pas, selon lui, de l’empereur, mais du «Viceroy» (poussé par des marchands locaux voyant d’un mauvais œil l’arrivée de concurrents redoutables?). Il suspecte que l’original chinois a été modifié pour y inclure la demande, mais ne dit pas comment. Il n’envisage pas que l’ajout n’apparaisse que dans la traduction ou que la lettre soit tout entière forgée au nom de l’empereur. Quoi qu’il en

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soit, les marchands-interprètes de Inwa s’engagent sur la véracité de leur traduction:

The engagement of the principal Chinese Merchants, 18th April, 1836. […] If it should hereafter appear that our translation is not correct and that something has been omitted or added we agree to suffer such punishment as may be suitable to our crime under which engagement the translation was made.43

Le secret observé par les protagonistes est le maillon essentiel du jeu diplomatique. Que l’on songe au chef shan de Hsenwi, membre de l’ambassade de 1750-1751: il comprend le chinois et ne peut ignorer que son roi est traité en vassal dans les rituels de la Cité interdite, mais bien évidemment rien de cela ne transparaît dans le Rapport de l’ambas- sade birmane en Chine. Que l’on songe encore aux trois jeunes femmes offertes au roi birman en 1790, présentées comme des princesses, filles ou petites-filles de Qianlong: combien de têtes seraient-elles tombées, si l’empereur avait eu vent de cette mystification opérée en son nom, s’il avait su que dans sa «vraie» ambassade chargée de conférer l’«investi- ture» au roi se sont glissés ces «faux» cadeaux avec, semble-t-il, la complicité des autorités yunnanaises44? Le rituel qui entoure la réception et la traduction des «lettres royales sur feuilles d’or» remises à la cour birmane en 1750 et en 1787 atteste

43 Idem, p. 473. 44 D’après GESICK Lorraine Marie, Kingship and Political Integration in Traditional Siam, 1767-1824, Ph.D., Cornell University, 1976, p. 136-137, les Siamois auraient raillé les Birmans, qui se vantaient de ces cadeaux inattendus, leur suggérant que les jeunes femmes n’étaient sûrement pas princesses. De fait, elles sont Yunnanaises, d’origine 彝 yi; la plus jeune, faite reine comme ses deux sœurs, donnera un héritier au roi birman en 1800. Voir 白詩薇 BAI Shiwei [PASQUET Sylvie], «阿摩羅補羅宮廷的三位中國公主 – 1790 年一段外交騙局的稗史 Amoluobuluo gongting de san wei Zhongguo gongzhu – 1790 nian yi duan waijiao pianju de baishi» (Trois princesses chinoises à la cour de Amarapura – Petite histoire d’une mystification diplomatique en 1790), dans 李謀 LI Mou, 李晨陽 LI Chenyang, 鍾智翔 ZHONG Zhixiang (éd.), 緬甸歷史論集兼評 “琉璃宮史”Miandian lishi lunji jian ping «Liuli gong shi» (Recueil d’articles sur l’histoire de la Birmanie et discussions sur la Chronique du palais de Cristal), Pékin: Shehui kexue wenxian chu- banshe, 2009, p. 311-335 [version chinoise augmentée de l’article en français de même titre paru dans PICHARD Pierre, ROBINNE François, avec la participation de BRAC DE LA PERRIÈRE Bénédicte, PASQUET Sylvie, RAYMOND Catherine (éd.), Études birmanes, Paris: École française d’Extrême-Orient, 1998, p. 245-259].

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leur importance45. Le roi birman ne semble pas avoir mis en doute l’authen- ticité des ambassades. D’ailleurs, les rédacteurs de la Chronique du palais de Cristal ont intitulé «L’empereur chinois dépêche une ambassade» le chapitre mentionnant l’arrivée de Wu Shangxian à Inwa46. Les lettres chinoises, vraies ou forgées – mais, concrètement, comment le sont-elles, comment imite-t-on un «édit impérial», ce long texte orné de dragons, rédigé en chinois et en mandchou? –, doivent subir le passage d’une langue à une autre. Pour chacun des deux souverains, le trône du haut duquel il reçoit les envoyés étrangers représente le «centre de l’Uni- vers»: les traducteurs savent qu’il faut adapter le contenu des lettres pour qu’il apparaisse dans un style, une forme qui conviennent à chaque sou- verain respectivement. Ainsi, les lettres chinoises sont traduites dans la seule version acceptable par le roi birman, mettant les deux souverains sur un pied d’égalité, aucunement liés par une relation suzerain-vassal, tout en faisant passer l’information, objet de l’arrivée de l’ambassade. Autrement dit, il ne s’agit pas d’une traduction, mais bien d’une véritable réécriture. Examinons maintenant le contenu des lettres au regard de ce processus.

III. DES LETTRES FRATERNELLES ENTRE SOUVERAINS INDÉPENDANTS?

Forgée par Wu Shangxian au nom de l’empereur Qianlong, la «lettre royale sur feuille d’or» adressée en 1750 au roi birman est mise en conformité par les traducteurs à la cité des Joyaux: sous leur plume, l’empereur se désigne par «frère aîné royal», le roi étant le «frère cadet royal». En voici des extraits: En 1109 (1747-1748), le frère aîné royal Udibhwa, qui règne sur la totalité des chefs abrités d’un parasol dans les grands royaumes de l’Est, s’est adressé amicalement à son frère cadet royal maître du palais d’Or, seigneur

45 En 1821, une (fausse) ambassade chinoise apporte des cadeaux, mais pas la «lettre royale»: les chefs birmans lui refusent l’entrée dans le royaume; les mêmes envoyés reviendront l’année suivante munis de la missive, sans doute celle mentionnée par Henry Burney (séquence 1). Voir la Grande chronique royale de la dynastie Konbaung, vol. 2, p. 344. 46 Chronique du palais de Cristal, vol. 3, p. 389.

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des éléphants blancs et des éléphants rouges, qui règne sur la totalité des chefs abrités d’un parasol dans les grands royaumes de l’Ouest. […]47 Pour le frère aîné royal, les routes d’or et d’argent n’ont pas pu être ouvertes durant une longue période, et cela fait maintenant cent cinquante ans. Pendant ces cent cinquante ans, ni le frère aîné royal ni le frère cadet royal n’ont envoyé d’ambassadeurs. Comme si Indra et les Brahmâs ne leur avaient pas apporté leurs encouragements, les deux royaumes du frère aîné royal et du frère cadet royal n’ont pas pu faire qu’un, leurs deux morceaux d’or n’ont pas pu faire qu’un, leurs deux personnes n’ont pas pu faire qu’une, et ce pendant une longue période. Le frère aîné royal lui-même ainsi que les reines, les princes, les princesses et les hauts dignitaires en ont été inconsolables. […] Quand il a pris connaissance de la lettre royale sur feuille d’or [de 1110 (1748-1749)] de son frère cadet royal, seigneur des éléphants blancs et des éléphants rouges, qui règne sur la totalité des chefs abrités d’un parasol dans les grands royaumes de l’Ouest, le frère aîné royal lui-même ainsi que les reines, les princes, les princesses, les frères et les hauts dignitaires se sont réjouis; leurs deux royaumes ne fai- sant plus qu’un, leurs deux personnes ne faisant plus qu’une, leurs deux morceaux d’or ne faisant plus qu’un, le frère cadet royal et le frère aîné royal noueront amicalement une grande alliance et une grande amitié pour durer autant que le monde [...]. […] les Âbhassarâs-Brahmâs sont précisément les ancêtres du frère aîné royal et du frère cadet royal. Le frère aîné royal, qui gouverne la totalité des chefs abrités d’un parasol dans l’Est, est un souverain indépendant. Le frère cadet royal maître du palais d’Or, seigneur des éléphants blancs et des éléphants rouges, qui gouverne la totalité des chefs abrités d’un parasol dans l’Ouest, est aussi un souverain indépendant.48

47 Cette première phrase de la lettre de 1750 mentionne ainsi une (fausse) adresse impériale au roi de Inwa en 1747-1748. Le «frère aîné royal» dit ensuite que des Birmans sont dépêchés en retour, puis que d’autres apportent une «lettre royale sur feuille d’or» en 1748-1749: il pourrait s’agir des «barbares birmans désirant offrir le tribut» arrivés en 1748 et en 1749 sur la région frontière, qu’ils ne dépasseront pas, leur tribut étant refusé. Wu Shangxian veut sans doute faire croire au roi que les envoyés ont bien transmis la feuille d’or et que la lettre chinoise de 1750 en est la réponse. Mais la cour birmane est-elle vraiment à l’origine des deux missions? L’épisode, non consigné dans les chroniques royales, semble-t-il, paraît confus. 48 Rapport de l’ambassade birmane en Chine, ék kei (deuxième ton) v°-ék, kaw (troi- sième ton) r°. Le discours direct est traduit à la troisième personne et divisé en paragraphes pour plus de clarté; la marque nominale honorifique ét,< taw/daw, qui suit les noms d’objets sacrés ou divins («royal», «noble», selon le vocabulaire auquel elle s’applique), n’est pas systématiquement rendue (sauf dans «frère aîné royal» et «frère cadet royal»), afin de ne pas alourdir un style déjà très répétitif; certaines expressions, formules consacrées sont

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Le roi birman rédige sa réponse à Qianlong – la feuille d’or que l’am- bassade accompagnée par Wu Shangxian porte à la Cité interdite en 1750-1751 – dans le même style. En voici les premières lignes: Mahadhammayazadhipati, maître de la vie, seigneur du palais d’Or avec pyatthat, comblé d’éléphants et de chevaux précieux, qui règne sur la tota- lité des chefs abrités d’un parasol, seigneur des mines d’or, des mines d’argent et des mines de rubis dans la cité des Joyaux [et ses territoires], s’adresse amicalement à son frère aîné royal Udibhwa, qui règne sur la totalité des chefs abrités d’un parasol dans les grands royaumes de l’Est. [Les envoyés de Udibhwa] étant arrivés sous la plante de ses pieds d’or royaux (en sa présence), le frère cadet royal a appris […] que, à l’instar des deux morceaux d’or [des frères] qui ne feront plus qu’un, et les princes et petits-fils se succédant, leurs deux personnes ne feront plus qu’une pour une grande alliance et une grande amitié durables; que des ambassadeurs seront envoyés sans discontinuer; que, à l’instar des deux royaumes qui ne feront plus qu’un, les marchands commerceront, allant et venant sans dis- continuer […]. Les ennemis du frère cadet royal sont les ennemis du frère aîné royal, les ennemis du frère aîné royal sont les ennemis du frère cadet royal. Ayant, grâce à leur gloire et à leur autorité, réprimé les ennemis semant le trouble dans les deux grands royaumes, le frère cadet royal et le frère aîné royal œuvreront à la prospérité du bouddhisme, des princes et petits-fils se suc- cédant et du peuple [...].49 Actuellement conservé au musée national de l’Ancien Palais de Taipei, le «message tributaire sur feuille d’argent» (selon les termes chinois), reçu à la Cité interdite avec la feuille d’or, est envoyé au nom du roi et de la reine de Birmanie (fig. 5). Le texte, dans lequel est souligné le rôle de Wu Shangxian, se retrouve, avec quelques différences, dans le Rapport de l’ambassade birmane en Chine (fig. 6)50. Comme aucune source birmane ne mentionne une quelconque «lettre royale sur feuille d’argent», il est

traduites ici littéralement pour serrer l’original au plus près et expliquées plus loin. D’après Henry BURNEY, «Byamhâ, written Bramhâ, is a being of the superior celestial regions of the Buddhists», «A’batthara is the sixth of the 20 stages or stories of the superior celestial regions» («Some Account of the Wars», Journal of the Asiatic Society of Bengal, 66, juin 1837, p. 410, 412). 49 Rapport de l’ambassade birmane en Chine, éK? khaw (troisième ton) v°-éK> khaw (deuxième ton) r°. 50 Rapport de l’ambassade birmane en Chine, gU gu (deuxième ton) r°-ég gei (deuxième ton) r°.

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Fig. 5. Lettre sur feuille d’argent et boîte cylindrique en ivoire, 1750 (National Palace Museum, Taiwan, Republic of China)

Fig. 6. Extrait du Rapport de l’ambassade birmane en Chine (Manuscrit sur feuilles de palme, Bibliothèque centrale des Universités, Yangon, © Sylvie PASQUET)

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vraisemblable que le document a été gravé sur la frontière à l’instigation de Wu Shangxian, peut-être à partir du métal extrait des galeries de Maolong. En ce sens, on peut dire qu’il a également été forgé. Sa boîte en ivoire ressemble à celle renfermant la lettre adressée à George II en 1756 (fig. 2), mais elle est ornée de dragons chinois et agrémentée des deux caractères 銀表 yinbiao, «message tributaire sur argent». Si le roi birman avait réellement envoyé ce message, il n’aurait pas fait fabriquer une boîte avec des motifs chinois, et encore moins fait graver le caractère «tributaire». Le style de cette feuille d’argent est plus simple qu’une «lettre royale» en bonne et due forme. Nous y apprenons que le roi de Inwa a confié sa «lettre royale sur feuille d’or» au maître de Maolong, désigné par «le prince de l’argent Wu Shangxian» (cette désignation se retrouve dans le Rapport de l’ambassade birmane en Chine, elle est encadrée sur la figure 651) et qu’il offre deux éléphants et des étoffes à la mère de l’em- pereur. Wu Shangxian et le dignitaire qui l’accompagne y sont présentés comme «gouvernant la ville des lw Lawa» – les Lawa sont les Wa dans les sources birmanes. Nous ignorons ce que signifie exactement «ville des Lawa», mais c’est donc ainsi que le Yunnanais, qui se targue par ailleurs d’avoir les faveurs de l’empereur, a voulu se faire reconnaître à la cour birmane. En 1787, la fausse lettre de Qianlong au roi birman est bien sûr réécrite comme celle de 1750: Le frère aîné royal Udibhwa, qui règne sur la totalité des chefs abrités d’un parasol dans les grands royaumes de l’Est, s’adresse amicalement à son frère cadet royal maître du palais d’Or et roi du soleil levant, seigneur des mines de rubis, seigneur des éléphants blancs, des éléphants rouges et des éléphants tachetés, qui règne sur la totalité des chefs abrités d’un parasol dans les grands royaumes de l’Ouest. Depuis le commencement du monde, les ancêtres des deux frères royaux, se succédant en héritiers, ont régné dans l’île de Zambudipa, au sud du mont Meru; les deux frères royaux, dans leurs grands royaumes de l’Est et de l’Ouest, jouissent d’une prospérité à l’égal

51 «Baw saw bhwa wu thin yi»: éb,<< baw, argent pur, écrit généralement éB,< bhaw ; éc,

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de celle d’Indra le roi des nt< nat (génies), avec une gloire, un pouvoir et une autorité très grands. Il n’a existé aucune inimitié depuis le temps même des ancêtres du frère aîné royal et du frère cadet royal. Le frère cadet royal roi du soleil levant est un souverain indépendant qui reçoit l’hommage de tous les rois abrités d’un parasol dans les grands royaumes. Le frère aîné royal également est un souverain indépendant qui reçoit l’hommage de tous les rois abrités d’un parasol dans les grands royaumes. Si le frère aîné royal et le frère cadet royal nouent leur grande alliance et leur grande amitié dans une loyauté durable, conformément aux relations tissées durant la succession de leurs existences, cela sera comme un clou enfoncé (comme gravé dans le cœur) pour les princes et petits-fils se succédant. Le frère aîné royal lui-même, qui gouverne le parasol d’or et le palais d’Or dans les grands royaumes de l’Est, ainsi que les reines, les princes, les princesses, les hauts dignitaires et le peuple vivent dans la paix. Le frère aîné royal aimerait apprendre également que son frère cadet royal lui-même, maître du palais d’Or, qui gouverne le parasol d’or et le palais d’Or dans les grands royaumes de l’Ouest, ainsi que les reines, le prince héritier, les princes, les princesses, les hauts dignitaires et le peuple vivent dans la paix. D’une part grâce à la grande alliance et à la grande amitié nouées dans leurs existences antérieures, d’autre part grâce à l’amitié qu’il lui porte, le frère aîné royal offre à son frère cadet royal, avec la lettre royale sur feuille d’or, un morceau d’or, désirant que leurs deux morceaux d’or deviennent comme ce seul morceau. Cela fait trente-sept années jusqu’à maintenant que les routes d’or et d’argent et les ponts d’or et d’argent n’ont pas été ouverts entre le frère aîné royal et le frère cadet royal conformément à ce qui fut dit en 1111 (1749-1750): amicalement et respectueusement, les deux royaumes enverront des ambassadeurs de haut rang pour une grande alliance et une grande amitié. Celles-ci une fois nouées, chacun des deux royaumes recevra des faveurs de l’autre. Le frère aîné royal adore les huit statues de Brahmâs placées sur le devant de son palais et qui ont été adorées selon les anciennes coutumes depuis le commencement du monde. Il les offre à son frère cadet royal roi du soleil levant conformément à l’amitié qu’il lui porte; il désire que son frère cadet royal les adore de la même façon que lui-même. Si le frère cadet royal adore ces statues, sa gloire et son autorité resplendiront comme le soleil levant. Le frère aîné royal envoie à son frère cadet royal le fils du chef de kuix<:m,: Kaingma (耿馬 Gengma), qui est abrité d’un parasol rouge et qui est toujours auprès de lui, avec la lettre royale sur feuille d’or et, en cadeaux, huit statues de Brahmâs en or, huit tapis, dix pièces de «toile de coton d’or» (brocart d’or?) et dix chevaux. Quand le fils du chef de Kaingma arrivera chez le frère cadet royal maître du palais d’Or, que sans

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tarder des ambassadeurs de haut rang soient nommés pour le raccompa- gner avec la lettre royale sur feuille d’or. Quand le fils du chef de Kaingma reviendra chez le frère aîné royal [avec l’ambassade], ce sera comme voir le royal visage du frère cadet royal maître du palais d’Or.52

Pour mieux comprendre ces extraits de «lettres royales» – les lettres ultérieures sont de la même veine –, dans lesquelles nous remarquons les nombreuses références tout à la fois aux ancêtres communs et aux générations royales à venir («princes et petits-fils se succédant»), donc à l’ancienneté et à la pérennité des relations, j’ai réuni diverses données en six tableaux: les en-têtes et termes d’adresse employés dans les lettres chinoises reçues à Inwa, et donc réécrites en birman, et ceux employés dans les lettres en retour adressées en birman à l’empereur de Chine (sur un siècle, 1750-1850); les termes d’adresse utilisés par les Birmans pour désigner d’autres rois, pour comparaison; des expressions fréquem- ment utilisées dans les «lettres royales» birmanes et leur signification et, par contraste, celles que l’on trouve dans les sources chinoises53. En outre:

• Udibhwa (on trouve aussi Udimin, voir note 26): ce terme désigne l’empereur de Chine. Paul Pelliot le traduit par «roi de l’orient du soleil»54. D’après l’historien sino-birman 陳孺性 Chen Ruxing – loin de l’explication de parenté présentée dans la légende des «Trois œufs- dragons» en début d’article –, udi vient du sanskrit udaya, «le soleil se lève à l’Est», et bhwa (venant de sawbhwa) ou min signifie «roi»55.

52 Grande chronique royale de la dynastie Konbaung, vol. 2, p. 44-45. «Cela fait trente-sept années»: depuis 1750, date qui correspond à l’épisode Wu Shangxian; Zam- budipa: continent du monde terrestre dans la cosmogonie indienne; Kaingma/Gengma: chefferie shan sur la frontière sino-birmane, faisant alors allégeance à la fois à la Birmanie et à la Chine. 53 Dans ces tableaux, un tiret indique le manque de terme correspondant, un point d’interrogation le manque de source. 54 PELLIOT Paul, «Deux itinéraires de Chine en Inde à la fin du VIIIe siècle», Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient, 4, 1904, p. 162. 55 陳孺性 CHEN Ruxing, 模範緬華大辭典 Mofan Mian-Hua da cidian (Grand diction- naire modèle birman-chinois), Tôkyô: The Tôyô Bunko, 1980 [1re édition, 1962], p. 657. Sur l’origine du terme Udibhwa, consulter également 孫來臣 SUN Laichen, «論「緬中關 係史」的研究 Lun “Mian-Zhong guanxishi” de yanjiu» (Étude de l’«histoire des rela- tions birmano-chinoises»), 中國東南亞研究會通訊 Zhongguo Dongnanya yanjiuhui

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De même: «Udi or Ude or Udibwa: a term used for the Emperor of China; derived from the Pali Udaya, Lord of the Sunrise»56. L’un des titres du roi birman est aussi «roi du soleil levant», énTk

tongxun (Bulletin de l’Association chinoise des études sur l’Asie du Sud-Est) [Université de Zhengzhou], 2, 2005, p. 2-3; GOH Geok Yian, «The Question of ‘China’ in Burmese Chronicles», Journal of Southeast Asian Studies, 41 (1), 2010, p. 125-152. Sur le terme min, voir plus bas note 61. 56 DESAI Walter Sadgun, History of the British Residency in Burma, 1826-1840, p. 471, n. 2.

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Tableau 1

«Lettre royale sur feuille d’or» venant de Chine, traduite en birman (1750) En-tête désignant le souverain chinois/En-tête désignant le souverain birman

Règne sur la totalité des chefs abrités Règne sur la totalité des chefs abrités d’un parasol dans les grands royaumes d’un parasol dans les grands royaumes de l’Est de l’Ouest Seigneur des éléphants blancs – et des éléphants rouges Frère aîné royal Frère cadet royal – Maître du palais d’Or Udibhwa – (Roi de l’orient du soleil)

Tableau 2

«Lettre royale sur feuille d’or» vers la Chine en réponse, rédigée en birman (1750) En-tête désignant le souverain birman/En-tête désignant le souverain chinois

Seigneur des mines d’or, des mines d’argent et des mines de rubis dans – la cité des Joyaux [et ses territoires] (ils sont énumérés dans la lettre) Règne sur la totalité des chefs Règne sur la totalité des chefs abrités d’un parasol abrités d’un parasol dans les grands royaumes de l’Est Comblé d’éléphants et – de chevaux précieux Seigneur du palais d’Or avec pyatthat – Maître de la vie – («Frère cadet royal» employé dans le Frère aîné royal corps de la lettre en terme d’adresse) Mahadhammayazadhipati Udibhwa (Grand empereur suprême de la Loi) (Roi de l’orient du soleil)

Source: Rapport de l’ambassade birmane en Chine, kei (deuxième ton) v° et éK? khaw (troisième ton) v°. Note: Les termes apparaissent selon leur ordre dans la phrase birmane.

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Tableau 3

«Lettre royale» venant de Chine «Lettre royale» vers la Chine en réponse Termes d’adresse en birman Termes d’adresse en birman ANNÉE désignant le souverain birman/ désignant le souverain birman/ le souverain chinois le souverain chinois

1750 Frère cadet royal Frère aîné royal Frère cadet royal Frère aîné royal 1787 Frère cadet royal Frère aîné royal* Ami royal Ami royal** 1823 Frère cadet royal Frère aîné royal Ami royal – *** 1833 Frère cadet royal Frère aîné royal Ami royal Ami royal 1836 Frère cadet royal Frère aîné royal ? ? 1850 Frère cadet royal Frère aîné royal ? ?

* Dans leur rapport, les ambassadeurs birmans arrivés à Pékin font dire à l’empereur Qianlong «mon ami royal» en parlant du roi birman. ** Au roi birman qui leur demande «Lorsque vous êtes venus du grand royaume de Chine, mon parent (aéCW a-hswei) Udimin lui-même ainsi que les reines, les princes, les princesses et la famille royale étaient-ils en bonne santé?», les ambassadeurs chinois qu’il reçoit en audience répondent «Lorsque les esclaves de Votre Majesté sont arrivés sous la plante de vos pieds d’or royaux (en votre présence), votre parent royal (aéCWét,< a-hswei daw) Udimin lui-même ainsi que les reines, les princes, les prin- cesses et la famille royale étaient en bonne santé». On remarque qu’à la première occurrence, «parent» n’est pas suivi de la marque nominale honorifique ét,< taw/daw, ici «royal», or, Henry Burney traduit par «royal kinsman», peut-être d’après des documents originaux auxquels il a dû avoir accès (à moins qu’il ne s’agisse d’une coquille). *** Le roi birman s’adresse simplement à l’empereur chinois en utilisant son nom de règne: ét,k

Sources: 1750: Rapport de l’ambassade birmane en Chine, kei (deuxième ton) v°et khaw (troisième ton) v°. 1787: Grande chronique royale de la dynastie Konbaung, vol. 2, p. 41-48. 1823: Idem, p. 360-364. 1833: B URNEY Henry, «Some Account of the Wars», Journal of the Asiatic Society of Bengal, 67, juillet 1837, p. 542-559. 1836: DESAI Walter Sadgun, History of the British Residency in Burma, 1826-1840, p. 471- 473. 1850: Committee for Constructing a Database of Myanmar Parabaik Manuscripts, Docu- ments of Myanmar Socio-Economic History, vol. 2, n° UMMT-0426.

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Tableau 4

«Lettre royale» venant de … «Lettre royale» vers … Termes d’adresse en birman Termes d’adresse en birman ROYAUME désignant le souverain birman/ désignant le souverain birman/ le souverain de … le souverain de …

RAKHINE* (1634) Cher ami royal — — Cher ami royal SIAM1 (1746) ? ? — Cher ami royal SIAM2 (1746) Ami royal Ami royal — Ami royal ANGLETERRE1** (1756) ? ? Ami royal Ami royal HANTHAWADDY*** Frère cadet Frère aîné Ami royal Ami royal (1756) royal royal ANGLETERRE2 Frère Sœur ?? (1872) royal**** royale****

* Bordé par le golfe du Bengale, le royaume de Rakhine (Arakan) est annexé en 1785; le Rakhine est l’un des sept États de la Birmanie actuelle. ** Cette lettre sur feuille d’or adressée le 7 mai 1756 à George II apparaît comme le premier exemple de communication directe entre les deux souverains (voir HALL Daniel George Edward, Early English Intercourse with Burma, 1587-1743, and the Tragedy of Negrais, Londres: Frank Cass Publishers, 1968 [1re édition, 1928, sans The Tragedy of Negrais], p. 324-325). Elle est illustrée à la figure 2 dans le présent article. *** Le royaume môn de Hanthawaddy ou Bago est annexé en 1757; Bago est l’une des sept régions de la Birmanie actuelle, la ville du même nom se situe à quelque quatre- vingts kilomètres au nord-est de Yangon. **** La traduction anglaise de cette lettre envoyée à la reine Victoria – je n’ai pas trouvé l’original en birman – ne précise pas la relation «aîné(e)/cadet(te)» entre les deux souverains. Sources: Rakhine: Chronique du palais de Cristal, vol. 3, p.216-223. Siam1: lk

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Tableau 5

«Lettres royales sur feuille d’or» venant de Chine et celles vers la Chine en réponse Expressions récurrentes dans les sources birmanes s’appliquant à la fois au souverain/royaume birman et au souverain/royaume chinois

&kr,j

Tableau 6

Expressions récurrentes dans les sources chinoises Le roi birman dans le «message tributaire»/L’empereur chinois dans l’«édit impérial»

(se désigne par) (se désigne par) 小臣 xiaochen 朕 zhen Votre modeste serviteur Nous (pluriel de majesté réservé à l’empereur) (s’adresse à l’empereur) (s’adresse au roi birman) 大皇帝 da huangdi 爾緬甸國王 er Miandian guowang Grand empereur (Votre Majesté) Toi, roi de Birmanie

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Expressions récurrentes dans les sources chinoises Le roi birman dans le «message tributaire»/L’empereur chinois dans l’«édit impérial»

(exprime sa gratitude (exprime ses faveurs accordées au envers l’empereur) roi birman) 感激下悃 ganji xiakun 恩旨 enzhi Touché de reconnaissance et Décret bienfaisant montrant sa sincérité (exprime son devoir de tributaire) (exprime sa générosité de suzerain) 進貢 jingong 賞賚 shanglai Offrant le tribut Donnant des récompenses (à un inférieur) (désigne la Chine par) (désigne la Birmanie par) 天朝 Tianchao 爾國遠在炎陬 er guo yuan Céleste Dynastie zai yanzou Ton royaume est au loin dans les régions reculées

Les termes birmans donnés dans les tableaux 1 et 2 présentent une parfaite symétrie dans la définition du domaine gouverné par chaque souverain, l’un régnant à l’Est (Chine), l’autre à l’Ouest (Birmanie). Mais l’en-tête désignant le roi birman est beaucoup plus «fourni» que celui attribué à l’empereur chinois: les titres traditionnels de maître de la vie, du palais d’Or, des éléphants blancs (mais aussi rouges et tachetés), des mines d’or et d’argent (évoquant la richesse économique), tous symboles de la royauté birmane, n’ont pas d’équivalent pour Qianlong. Le tableau 3 montre que «frère cadet royal» (vIét,< nyi daw) et «frère aîné royal» (én,x<ét,< naun daw) sont très régulièrement mis dans la bouche de l’em- pereur, mais ces termes ne se retrouvent chez le roi birman que dans la lettre adressée à Qianlong en 1750: par la suite, «ami royal» (akRv<ét,< a-kyi daw) désignera les deux souverains dans les lettres à l’empereur chinois, d’une façon parfaitement égalitaire. Si, de même génération, le frère cadet doit respect à son aîné, cela ne dénote pas forcément un senti- ment d’infériorité de la part du souverain birman, mais plutôt une sorte de reconnaissance d’une réalité: le territoire chinois est étendu, la population nombreuse, conférant à l’empire une force naturelle, sans être considérée par les Birmans comme un empire suzerain. Le tableau 4 montre que les

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relations de parenté fictive ne concernent pas seulement la Chine: la reine Victoria est une «sœur royale»; d’autres rois, aussi privilégiés, sont les «chers amis royaux» (aKYc<ét,< a-khyit taw) du souverain birman. Les tableaux 5 et 6 soulignent le contraste entre l’égalité du vocabulaire bir- man pour la Birmanie et la Chine – le parallélisme ente les actions ou sentiments de l’une et l’autre se note au fil des lettres – et les termes exprimant une relation inférieur-supérieur dans les textes chinois concer- nant la Birmanie tributaire et la Chine suzeraine. Si «frère cadet» et «frère aîné» peuvent être entendus dans un sens fictif, ces termes de parenté semblent particuliers dans le cas chinois, puisque, dans une autre version de la «lettre royale» apportée par Wu Shangxian, légèrement différente du texte traduit plus haut, est expliquée l’origine des ancêtres communs aux deux souverains (sans rapport avec la légende des «Trois œufs-dragons»): [...] le royaume des Âbhassarâs-Brahmâs est précisément l’ancêtre du frère cadet royal et du frère aîné royal. […] Des neuf Brahmâs qui viennent du monde des Âbhassarâs, ancêtres du frère aîné royal et du frère cadet royal, huit Brahmâs ont choisi le neuvième, qui est devenu roi. Les huit Brahmâs règnent sur les huit directions et les administrent. […] parce qu’il espère que son frère cadet royal les adorera, le frère aîné royal lui offre les portraits des neuf Brahmâs, qui sont leurs ancêtres […]. Parmi les neuf Brahmâs, qui descendent du monde des Âbhassarâs, le fils aîné du grand Brahmâ est l’ancêtre du frère aîné royal, son jeune fils l’ancêtre du frère cadet royal.57 Ces mots censés émaner de l’empereur justifient son statut d’«aîné». Et, apportées par un Wu Shangxian bien conseillé, les statues de neuf Âbhassarâs-Brahmâs offertes au nom de Qianlong sont un choix fort judicieux pour rappeler au roi birman les ancêtres communs… En 1750, ce dernier fait face aux rebelles môn. Son statut assumé de «cadet» dans la lettre à l’empereur reflète-t-il une position de faiblesse, un besoin de protection? Par la suite, l’emploi du terme «ami royal» dans la bouche du roi birman, pour se désigner et désigner l’empereur, souligne bien l’égalité entre les deux souverains, comme le confirme l’historien birman Htin Aung:

57 THAN TUN (éd.), The Royal Orders of Burma, A. D. 1598-1885 – Part Three, AD 1751-1781, p. 1 (résumé en anglais) et p. 87-89 (document en birman).

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A king would address himself only to a king, and a distinction was made even among kings. A king would address another king whose territory was smaller or less important as “Royal Younger Brother”; only a king of equal rank would he address as “Royal Friend,” and there were instances of a king going to war because another king had used the wrong form of address.58 Sur la notion récurrente de grande alliance et de grande amitié (royales) ou (ya za) m-ha meit, précisons que: […] the Burmese word “Mahameik” means not only “great friendship” but also “great alliance,” and therefore in the Burmese language, “a treaty of friendship” always meant “a treaty of alliance,” and “a friendly nation” always meant “an allied nation.”59 Michael Symes, dans sa relation d’ambassade au royaume d’Ava en 1795 (fig. 7), résume d’un mot l’état d’esprit du souverain birman. À «Sa Majesté d’Ava n’admet pas d’égal» sans doute pourrions-nous ajouter «dans sa sphère de pouvoir»: But the prevailing characteristic of the Birman court is pride; like the sove- reign of China, his Majesty of Ava acknowledges no equal […].60 Mais dans l’autre sens, les «lettres royales» birmanes réécrites en chinois gomment évidemment les termes d’égalité entre empereur chinois et roi birman, ainsi que tous les titres de ce dernier – une relation d’alliance et d’amitié devient pour la Céleste Dynastie une relation tributaire. Ainsi ce mémoire empreint de rhétorique tributaire, «traduction» probable de la lettre sur feuille d’or à Qianlong et que Wu Shangxian envoie aux autorités yunnanaises dans la séquence 2 du «circuit diplomatique»: Le roi de Birmanie 莽達拉 Mangdala Vous adresse respectueusement ce mémoire. Votre glorieuse dynastie gouverne la Chine et l’étranger, les neuf dépendances impériales acceptent ses mœurs et sa culture, comme le soleil

58 HTIN AUNG, The Stricken Peacock — Anglo-Burmese Relations, 1752-1948, La Haye: Martinus Nijhoff, 1965, p. 13-14. 59 HTIN AUNG, «First Burmese Mission to the Court of St. James — Kinwun Mingyi’s Diaries, 1872-74», Journal of the Burma Research Society, LVII, décembre 1974, p. 147. 60 SYMES Michael, An Account of an Embassy to the Kingdom of Ava, Sent by the Governor-General of India, in the Year 1795, New Delhi/Madras: Asian Educational Services, 1995, p. 291 [1re édition, Londres: W. Bulmer and Co., 1800]. Sur la royauté birmane, voir KOENIG William J., The Burmese Polity, 1752-1819 — Politics, Administra- tion, and Social Organization in the Early Kon-baung Period, [Ann Arbor] : Center for South and Southeast Asian Studies, University of Michigan, 1990.

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Fig. 7. La grande salle des audiences du palais de Amarapura, avec le toit étagé ou pyatthat s’élevant au-dessus du trône, symbole du «centre de l’Univers», lors de la réception des envoyés anglais (1795) (Michael Symes, An Account of an Embassy to the Kingdom of Ava, en face de la page 414)

et la lune parcourent l’espace céleste, le printemps nourrit les dix mille êtres, sans distinguer le proche du lointain […]. Les dix mille contrées se sou- mettent l’une après l’autre. La Birmanie jouxte les régions frontières [de la Chine], les rivières y sont claires et les mers paisibles, les ressources y sont en abondance et les hommes en harmonie. Voyant qu’il existe en Chine un Homme sage (l’empereur), Votre serviteur désire devenir une dépendance extérieure [de l’empire]. Manifestant sa sincérité et offrant le tribut, il implore de recevoir [pour ses envoyés] l’autorisation de se mettre en route vers Votre capitale à partir du Yunnan, afin de contempler révérencieusement le Céleste visage et d’écouter avec déférence les Édits impériaux.61

61 方樹梅 FANG Shumei (comp.), 滇南碑傳集 Diannan beizhuanji (Recueil d'épi- taphes et de biographies du Yunnan), Kunming: Yunnan minzu chubanshe, 2003 [préface de 1940], dernier juan, p. 978-979 («吳尚賢傳 Wu Shangxian zhuan» [Biographie de Wu Shangxian]). «Mangdala»: cette appellation chinoise de Mahadhammayazadhipati est la transcription de mx<:tr,: min t-ya (prononciation ancienne ma∞ t-ra), forme birmane du

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En octobre 1790, la lettre sur feuille d’or du roi Bui:ét,

pâli dhammayaza, «roi de la Loi»; la cour de Pékin doit ignorer la signification de ce titre royal. D’après BAGSHAWE L. E., «Kingship in Pagan Wundauk U Tin’s “Myan-ma-min Ok-chok-pon Sa-dan”», The Journal of Burma Studies [Northern Illinois University], 3, 1998, p. 80: «For U Tin, the truly Burmese word min can be applied to any kind of authority, from the king himself down through princes and ministers to the hereditary leaders of small towns. Min only specifies the king when it is Min-taya». 62 軍機處檔摺件 Junjichu dang zhejian (Mémoire des archives du Grand Conseil), n° 45442, QL 55/9/6 [13 octobre 1790], par 富綱 Fugang (gouverneur général du Yunnan et du Guizhou), conservé au musée national de l’Ancien Palais, Taipei.

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995635_JA2012/1_12_Pasquet.indd5635_JA2012/1_12_Pasquet.indd 311311 115/01/135/01/13 09:2009:20 312 S. PASQUET

Cet «édit impérial» (chiyu du 8 mai 1790), que Bodawphaya est censé avoir reçu «à genoux», réaffirme pleinement la suzeraineté de la Chine:

D’après le mémoire de Fugang, gouverneur général du Yunnan et du Guizhou, tu ressens profondément la généreuse bienfaisance de la Céleste Dynastie, tu as préparé avec respect un message et un tribut […] et tu désires être investi du titre [de roi]. […] Tu as dépêché des envoyés sur un long parcours de dix mille li afin de présenter tes vœux [pour Notre anni- versaire]. Nous y voyons particulièrement ton ardeur à te tourner vers la civilisation. […] Nous avons déjà émis un rescrit demandant que [le cas] soit communiqué au ministère concerné pour qu’il t’investisse du titre de roi.63

Il faut attendre la fin de l’empire chinois pour lire une «lettre de créance», 國書 guoshu, parfaitement «égalitaire» et «amicale», comme celle de la figure 9. Ce long manuscrit de deux cent-soixante-neuf centi- mètres sur trente-quatre est adressé en 1905 par l’empereur 光緒 Guangxu (1875-1908) à Edward VII, roi du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande et empereur des Indes (1901-1910):

Le Grand Empereur des Grands Qing présente respectueusement ses com- pliments au Grand Empereur de la Grande Angleterre. Depuis des années, le royaume du Milieu et Votre royaume entretiennent de bonnes relations et affermissent leur amitié […].64

63 慶桂 QINGGUI (comp.), 大清高宗純皇帝實錄 Da Qing Gaozong Chun huangdi shilu (Annales véridiques de l’auguste empereur Gaozong de la grande dynastie des Qing), 1807, juan 1351, p. 30. Un li chinois vaut environ cinq cents mètres; «dix mille li» sont l’expression d’une grande distance. Contrairement à ce que prétend la vision impériale, Bodawphaya n’a jamais demandé ni reçu l’«investiture» du Fils du Ciel… Sur cet épisode rapidement évoqué plus haut, voir mon article cité note 44. 64 Original en chinois et en mandchou qui n’a pu être délivré aux Anglais, conservé au musée national de l’Ancien Palais de Taipei. La traduction en français des documents originaux chinois («message tributaire» et «édit impérial» de 1790, «lettre de créance» de 1905) suit les règles adoptées dans PEYREFITTE Alain, Un choc de cultures – La vision des Chinois, textes chinois originaux traduits par DARROBERS Roger, DURAND Pierre Henri, FAN Ke-li, PASQUET Sylvie et WANG Guoqing, Paris: Fayard, 1991. Ainsi, la surélévation honorifique de certains caractères du texte chinois, qui correspondent à la partie du discours touchant à la personne de l’empereur, à la famille impériale, à la Céleste Dynastie, etc., est représentée par des mots français commençant par une majuscule; l’apostille tracée par l’empereur à l’encre vermillon à la fin d’un mémoire au trône est rendue en gras (dans la figure 8, nous avons un seul caractère: 覽 lan, «Vu»). En outre, les sujets de l’empereur

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Fig. 9. Vue partielle de la lettre de créance en chinois (à droite) et en mandchou (à gauche) de l’empereur Guangxu au roi du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande Edward VII en 1905 (National Palace Museum, Taiwan, Republic of China)

Cela concerne les adresses aux «grands empires» occidentaux. La Bir- manie, quant à elle, est annexée par les Anglais fin 1885, mais il faudra une dizaine d’années encore pour que la Cité interdite cesse de la consi- dérer comme un royaume tributaire.

CONCLUSION

Le roi birman ne semble pas mettre en doute l’authenticité des ambas- sades chinoises qui se présentent à sa capitale et qu’il reçoit en audience avec la pompe convenue, dans un grand déploiement d’éléphants et de chevaux, tandis que les hauts dignitaires de la cour prennent place au palais revêtus de leurs habits d’apparat. Abritées dans un pavillon au toit étagé jusqu’au jour de l’audience, les «lettres royales» qu’elles apportent sont alors acheminées vers la salle du trône sur une coupe à bétel, élément indispensable des regalia. Les feuilles d’or que le roi birman fait graver en réponse sont de même portées jusqu’à la Cité interdite dans un petit pavillon doré, avec toute l’attention qui leur est due. Pour la cour birmane,

s’adressent à lui à la troisième personne et se définissent en petits caractères: «Votre ser- viteur», «Votre esclave»; de même, dans son «message tributaire», le roi birman, s’assi- milant à un sujet de l’empire, se désigne par «Votre modeste serviteur».

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cette correspondance royale marque l’importance des relations entre deux grands empires indépendants, elle transmet des messages d’alliance et d’amitié entre deux souverains égaux. «L’empereur de Chine écrit à son frère cadet royal, empereur de Birmanie»: la cour d’Ava regarde ainsi l’arrivée d’une «lettre royale» de son grand voisin; sous la plume des traducteurs qui la réécrivent en birman, avec l’agrément du roi, le souverain de la Cité interdite s’adresse en tant que «frère aîné royal» à son «frère cadet royal», tout en confir- mant la position de monarques indépendants des «deux frères». «L’em- pereur de Birmanie écrit à son ami royal, empereur de Chine»: telle est la réponse birmane dès la fin du XVIIIe siècle, où par «ami royal» le roi signifie en retour à l’empereur sa volonté d’user de termes d’adresse parfaitement égalitaires. Si, dans toutes les «lettres royales» écrites en birman, la symétrie des expressions concernant la Birmanie et la Chine souligne aussi cette égalité, les longs titres du roi d’Ava, qui figurent plusieurs symboles de la royauté, lui sont réservés, ils ne sont pas attribués à l’empereur de Chine – comme «seigneur des éléphants blancs», où l’éléphant blanc est l’un des sept trésors du monarque universel dans la royauté bouddhique. La mobilisation des sources birmanes permet de reconsidérer les relations de la Birmanie avec la Chine du point de vue de la cour d’Ava. Cette dernière ignore-t-elle qu’elle n’est pour le Fils du Ciel qu’un vassal devant lui rendre hommage et son roi un «modeste serviteur»? Il serait intéressant d’avoir des études semblables pour les royaumes voisins, que la Cité interdite traitait également en vassaux. Les sources birmanes nous apprennent l’existence d’ancêtres communs aux souverains birmans et chinois remontant à des êtres célestes de la cosmogonie bouddhique, à l’origine de leur relation fraternelle cadet/aîné. Dans un ancien récit birman, la légende des «Trois œufs-dragons» montre comment le terme Udibhwa, qui nomme traditionnellement l’empereur de Chine, aurait le sens de «né du même œuf», témoignant aussi de la relation fraternelle entre les deux souverains. (Si V u signifie «œuf» en birman, rappelons que Udibhwa est traduit par «roi de l’orient du soleil».) De cette légende serait venue l’utilisation du terme birman paukphaw (paut phaw), «frère(s) ou sœur(s) de même mère et de même père, parent», pour dési- gner les Chinois. Cette utilisation, dont nous ignorons exactement l’ancien- neté, est toujours d’actualité au plus haut niveau: en septembre 2010, le

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généralissime sn<:ér_ Than Shwe, alors en visite officielle à Pékin, et le président 胡錦濤 Hu Jintao ont réaffirmé dans leurs discours respectifs les «relations paukphaw» et la «profonde amitié paukphaw» entre leurs deux pays. Mais au XVIIIe siècle si, par exemple, l’un des ambassadeurs du royaume d’Ava avait évoqué cette parenté à la Cité interdite, on imagine le courroux du Fils du Ciel apprenant que son lointain vassal, ce «barbare du Sud», serait son jeune frère et découvrant du même coup les dessous des fausses ambassades et des traductions dénaturées! D’où, faut-il le souligner encore, l’importance du secret chez tous les acteurs du jeu diplomatique.

ANNEXE 1 – CARTE ACTUELLE DES FRONTIÈRES EXTÉRIEURES DU YUNNAN (CHINE)

T Région de Inwa (Ava) — Amarapura S Maolong, mine d’argent des montagnes wa X Hsenwi

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ANNEXE 2 – DYNASTIES ET SOUVERAINS CITÉS DANS L’ARTICLE

Dynasties birmanes Dynasties chinoises

■ év,x

Mahadhammayazadhipati ■ 明 Ming (1368-1644) (1733-1752) Capitale: ax<:w Inwa 嘉靖 Jiajing (1522-1566) Capitale: 北京 Pékin ■ kun<:éB,x< Konbaung (1752-1885) ■ 清 Qing (1644-1911) aél,x<:mx<:tr,: Alaungmintaya Capitale: Pékin (1752-1760) Capitale: ér_Bui Shwebo 乾隆 Qianlong (1736-1796)

Bui:ét,

BkRI:ét,< Bagyidaw (1819-1837) Capitales: Amarapura, puis Inwa

ANNEXE 3 – EXEMPLES DE COUPES À BÉTEL KUN GWET ET DE LEURS USAGES DANS LA ROYAUTÉ

COUPE À BÉTEL OCTOGONALE (USAGE ROYAL) rHc<éT,x

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«This is octagonal in shape and varied from plain gold to those studded with glass, amber and rubies. During the Kun:bhon [Konbaung] period it figured in the regalia on the right hand side of the throne, the insignia of princes, coaubhwã: [sawbhwa], governors and amat [dignitaries], and court ladies of high rank.»

COUPE À BÉTEL INCRUSTÉE DE RANGS DE RUBIS SUR DÉCOR D’ÉMERAUDE

«The ruby studded betel receptacle was given to princes and senior coaubhwã:. […] When a coaubhwã: has progressed beyond an octagonal shaped betel contai- ner he gets one with the signs of zodiac. […] Besides being part of the insignias of rank the betel receptacle was used as a container of gold title plates, appointment orders and royal letters.»

Source: YI YI, «Kwam: khwak – Betel Receptacles», Bulletin of the Burmese Historical Commission (Yangon), 1, part 2, décembre 1960, p. 161; p. 162 et illustration n° 7; illustration n° 8; p. 164 et illustration n° 14 (le gras est de moi).

Journal Asiatique 300.1 (2012): 269-317

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