L’AMOPALIENL’AMOPALIEN DU QUÉBEC DU QUÉBEC

du du Volume 21 automne 2017

sommaire Éditorial

2 Concours AMOPA 2016-2017 Il faut sauver la culture québécoise

4 1968-2018 :50e anniversaire de création de l’Office eux sujets ont marqué l’actualité ces dernières franco-québécois pour la semaines en regard de la culture québécoise et de la jeunesse (OFQJ) langue : l’entente de la ministre du Patrimoine avec Madeleine Bourgeois Netflix,D et la mauvaise qualité du français écrit des futurs ensei- gnants. Madame Joly a beau dérouler sa cassette de 500 millions 6 De Fleury Mesplet à la de dollars, sa nouvelle politique culturelle, présentée avec grand typographie expérimentale bruit, ne passe pas car, aux dires de la majorité, elle ne fera que Jacques G. Ruelland nuire encore davantage à l’épanouissement de notre culture, 8 De la société distincte non pas la canadienne – y en a-t-il une ou est-elle plutôt améri- à la nation québécoise caine ? – mais la québécoise. Car la ministre, mise en boîte par les médias et divers interve- Réflexions sur le livre bleu nants du milieu culturel, voire par la population en général, au lendemain de l’annonce de du gouvernement québécois sa politique, a oublié de protéger la culture québécoise, unique au pays. Rien non plus dans Simon Langlois cette déclaration pour la protection de la langue française, obligatoire, en garantissant un 10 Notes de lecture contenu francophone dans cette entente avec Netflix qui jubile, on le comprendra, d’être Aurélien Boivin et Michel Leduc exempté, contrairement aux autres distributeurs, de la taxe de vente. Injustice flagrante aux yeux de ceux qui payent ces taxes, car Netflix pourra se vanter d’avoir les tarifs d’abonnement • Alain RIPAUX les plus bas. Il est vrai que la langue française, l’une des valeurs fondamentales qui caracté- Charles de Gaulle. Une certaine idée du Québec rise la grande majorité des Québécois et Québécoises, n’a pas bonne audience non seulement • Lionel Meney auprès de ce gouvernement mais aussi auprès de celui du Québec, qui ose à peine parler de Le français québécois cette valeur au moment de la rentrée des classes, pour rappeler Les insolences du Frère Untel. entre réalité et idéologie • Jacques G. Ruelland [dir.] Les élèves sont décriés, car ils écrivent mal et la faute doit être surtout attribuée aux profes- Les maires de Montréal seurs incompétents, comme l’ont affirmé certains commentateurs et commentatrices. Selon • Nathalie Leclerc leurs dires, plusieurs d’entre eux auraient eu accès à l’université, après avoir été refusés dans La voix de mon père d’autres facultés, en raison de la faiblesse de leurs notes. • Société d’histoire des Filles du Roy Allons donc ! Comme s’il ne fallait pas la vocation pour se lancer dans cette profession à Les Filles du Roy, pionnières statut précaire. J’ai enseigné pendant plusieurs années dans le programme de formation des de Montréal maîtres et j’ai connu une foule d’étudiants et d’étudiantes de qualité, avec une belle maîtrise 15 Le saviez-vous ? de la langue française, tant écrite que parlée. Cette profession a surtout besoin d’un plus grand Un autre anniversaire support de la part de nos gouvernements et souvent aussi des parents, dont bon nombre ont étonnant démissionné. Ces jeunes qui choisissent cette profession sont invités à devenir ce que nous Jacques Mathieu avons appelé des « passeurs de culture », la nôtre d’abord puis celle des autres. Le ministre de l’Éducation juge insatisfaisante, – c’est le qualificatif qu’il a employé –, la performance 16 Vie de nos membres et la formation des futurs enseignants, qui échouent à près de 50 % le test de français, sans rien proposer de concret. Certes il y a des lacunes qu’il faut corriger avant l’entrée de l’uni- versité. Quelles solutions proposent nos élus, tant pour la défense de notre culture que pour la qualité de la langue, écrite et parlée ? Il faut un réel coup de barre pour sauver ces valeurs auxquelles tiennent les Québécois et Québécoises. AURÉLIEN BOIVIN Président de l’AMOPA Québec Rédacteur en chef : Aurélien Boivin Graphisme : Chantal Gaudreault, 2017

L’AMOPALIEN DU QUÉBEC • 1 Concours Défense et illustration de la langue française AMOPA (2016-2017)

e responsable des Concours pour le Québec, notre collègue Roger Delisle, et le président, qui lui a apporté sa collaboration, n’étaient pas peu fiers du succès remporté par nos élèves participants aux divers Concours de l’AMOPA. Le Québec La obtenu le grand prix (pour les étrangers) du Concours Maupassant de la Jeune Nouvelle, deux 2e prix (ex aequo), dans la catégorie Concours d’Expression écrite de langue française, et cinq accessits, dans cette même catégorie, comme en témoigne le tableau suivant. Le deuxième tableau fournit la liste des lauréats et lauréates du prix André-Gaulin–AMOPA Québec pour ces mêmes concours. Je tiens à remercier bien sincèrement Roger Delisle pour sa formidable et généreuse implication dans ces concours. Aurélien Boivin

Concours de l’AMOPA 2016-2017 (étranger) Lauréats et lauréates du Québec Prix d’Expression écrite de langue française Classe de première : 1er accessit : Élise Michaud, École secondaire Armand-Saint-Onge, Amqui, pour son texte « Le courant d’une vie ». Classe de seconde :1er accessit : Romane Chamberland-Trudel, École Paul-Hubert, Rimouski, pour son texte « Seul ». Classe de troisième :1er accessit : Juliane Gagnon, École Paul-Hubert, Rimouski, pour son texte « Le jeu est terminé ». Classe de quatrième : 2e prix (ex aequo) : Myriam Caron, École Notre-Dame-des- Champs, Pohénégamook, pour son texte « Mon pire ennemi : l’homme » et Florence Francis, École Jean-Jacques- Prix André-Gaulin de l’AMOPA Québec Bertrand, Farnham, pour son texte i. Expression écrite de langue française (secondaire) « Divin, rien de moins ». Fabrice Premier prix : « Le courant d’une vie », d’Élise Michaud, 5e sec., Gauthier, École Mistral, Mont-Joli, et École secondaire Armand-Saint-Onge, Amqui (C. S. des Monts et Marées). Kaleb Cyr-Dubé, École Notre-Dame-des- e Champs, Pohénégamook, ont mérité les Deuxième prix (ex-æquo) : « Le jeu est terminé » de Juliane Gagnon, 3 sec., 1er et 2e accessits pour leur texte École secondaire Paul-Hubert, Rimouski (C. S des Phares), et « La maison » re intitulé « Édouard et ses mésaventures d’Ariel Rondeau, 1 sec., École secondaire Jean-François-Perreault, humaines » et « Waterobot ». (C. S. de la Capitale). Classe de cinquième : 1er prix : ii. Jeune Nouvelle Guy-de-Maupassant Carolie Morin, École Notre-Dame-des- Premier prix : « Carnaval » de Doroteea Capitanu, 4e sec., Champs, Pohénégamook, pour son École secondaire de la Haute-Ville, Granby (C. S. Val-des-Cerfs). texte « Mer de déchets ». Deuxième prix : « Le soir de l’Halloween » de Swane Monpou, 4e sec., Prix Maupassant de la jeune nouvelle : École secondaire Massey-Vanier, Cownsville (C. S. Val-des-Cerfs). 1er prix, Maria Garz, classe de seconde, École secondaire Massey-Vanier, iii. Jeune Poésie (secondaire) Cowansville, avec sa nouvelle intitulée Premier prix : « Seule, isolée, esseulée et délaissée » de Clémentine Troncy, « Mystère et queue de poisson ». 4e sec., École secondaire Jean-Jacques-Bertrand, Farnham (C. S. Val-des-Cerfs).

2 • L’AMOPALIEN DU QUÉBEC Mer de déchets Coralie Morin

onjour, je m’appelle Ethan et j’ai Mystère et queue de poisson 62 ans. Si je vous disais que j’ai B Maria Garz contribué au sauvetage du Saint-Laurent, me croiriez-vous ? Probablement pas. arie, une jeune femme d’environ trente ans, s’était réveillée comme tous les Pourtant, je l’ai fait, et vous ne devinerez Mautres jours le sourire aux lèvres avec une envie folle d’aller travailler puisqu’elle jamais comment… À cette époque, j’avais aimait beaucoup son travail. C’était un beau matin de printemps et, comme d’habitude, 13 ans. Nous étions en 2016, et l’état du elle était joyeuse comme tout. En se rendant à son bureau, elle avait pris un café pour fleuve commençait à se détériorer, mais bien commencer sa journée. personne ne semblait réellement s’en En arrivant à sa table de travail, elle remarqua un bouquet de fleurs mortes et, posé soucier. Enfin, pas les habitants de Trois- sur celui-ci, un message épinglé à une fleur qui n’était pas encore complètement fanée. Rivières. Le message disait ceci : « Profite de tes derniers moments, car demain, c’est fini... » Il Bref, ce jour-là, je marchais sur le bord était signé P. A. D’un air paniqué, elle laissa tomber sa tasse de café. du fleuve, une bouteille d’eau à la main. Marie avait vraiment peur, aussi elle se précipita vers le bureau de son patron Il faisait terriblement chaud, je la vidai et lui expliqua tout. Celui-ci la réconforta en lui disant qu’on pourrait vérifier les rapidement. Je tendis la main pour la jeter enregistrements des caméras de surveillance. Mais on ne vit trace de personne qui se à la mer, mais une voix me fit sursauter : serait infiltrée dans le bureau, ce soir-là. Marie était très troublée : elle commençait à « Tu sais combien de temps elle prendra être vraiment stressée. pour se désintégrer ? » Elle décida alors de faire des recherches sur les initiales P.A., mais malheureusement Je me retournai et vis une femme Internet ne lui fut d’aucun secours. L’angoisse commençait à naître en elle. Marie avait qui n’était pas là quelques secondes cherché parmi ses connaissances pour savoir si le nom de quelqu’un correspondait à auparavant. Elle me dit qu’elle venait du ces lettres, mais n’avait rien trouvé. futur et qu’elle était là pour sauver le Saint- Quand le soir vint, elle se dépêcha de rentrer chez elle et, une fois arrivée, verrouilla Laurent. J’écarquillai les yeux, sceptique. toutes les portes et fenêtres de son appartement à double tour. Cette nuit-là fut très Sans plus d’explications, elle m’empoigna difficile. Morte de peur, Marie ne dormit presque pas et, quand elle réussissait à fermer par le bras. Une forte lumière m’aveugla, l’œil, ça ne durait que quelques minutes puisqu’elle se réveillait brusquement, trempée puis elle s’estompa aussi vite qu’elle était de sueur. Le lendemain, elle avait les yeux rouges de fatigue et la mine basse. arrivée. Rien n’avait changé. « Regarde Voulant régler cette histoire d’horreur, elle décida de se rendre de nouveau au travail derrière toi », me dit la dame. J’obéis à ses pour pouvoir revérifier les enregistrements de caméras. En passant par son bureau, elle ordres et ce que je vis me figea sur place. avait vu qu’un autre petit mot avait été laissé sur sa table. D’une main tremblante, elle Un fleuve entier, submergé par des saisit le papier et lut l’inscription. Furieuse, elle jeta le message par terre. Face vers le tonnes de déchets ! Plus une goutte d’eau plafond, on pouvait y lire : « Poisson d’Avril ». potable là-dedans, j’en étais sûr ! Voilà d’où venait cette odeur infecte ! « Tu vois comment ce sera dans plusieurs années si Seule, isolée, esseulée et délaissée vous continuez ainsi. Le fleuve est peut-être Clémentine Troncy immense, il est tout de même vulnérable », me dit la jeune femme, la mine basse. Je Seule, sans personne restai de longues minutes à observer la mer En silence, je pleure de déchets avec elle. Puis, elle me tendit la Vivant des jours monotones, main, dans laquelle je posai la mienne. Voyageant, isolée, dans ce monde rempli de douleur. De retour chez moi, je racontai tout à mon père. Étant politicien, il n’aurait Esseulée, perdue dans cet univers infâme aucun mal à faire passer le message : Tel un malaimé scorpion « Le fleuve est notre ressource la plus Recherchant à tâtons l’attention importante, protégeons-le ! » À peine Dont est privée son âme. un mois plus tard, des groupes pour la Mais, quand le temps passe trop lentement, protection des eaux ramassaient les déchets Avec fatalité, j’attends le jour suivant et tout le monde faisait plus attention où ils En pensant qu’à ce moment, ce ne sera pas différent. les jetaient. Aujourd’hui, le fleuve Saint-Laurent est Le noir me chuchote à l’oreille en santé et je gère la plus grande entreprise Des horreurs à nul autre pareil : de protection des eaux au monde. « Tu es condamnée L’importance du fleuve Saint-Laurent À être délaissée pour l’éternité. » dans nos vies est capitale, il faut savoir le respecter.

L’AMOPALIEN DU QUÉBEC • 3 1968-2018 : 50e anniversaire de création de l’OFQJ Madeleine Bourgeois* 50 ans d’échanges et de mobilité des jeunes entre la France et le Québec

e 9 février 2018, l’Office franco- plus collectif au départ, on introduit des d’été franco-québécoises soit une sur le québécois pour la jeunesse (OFQJ), programmes plus près des besoins indivi- développement durable et une autre sur le organisme bi-gouvernemental créé duels des participants. C’est à ce moment patrimoine ; l’OFQJ participera également Lpar le gouvernement de la République fran- que seront développés les premiers stages à une troisième université d’été, soit l’uni- çaise et le gouvernement du Québec, fêtera d’étudiants en milieu de travail dans le versité sur les communications. L’univer- le 50e anniversaire de sa création. Ce sont cadre de leur cursus académique. L’OFQJ sité sur le développement durable donnera 50 ans voués au rapprochement des jeunes se fait moins interventionniste car on naissance à la formation en éco-conseil adultes de la France et du Québec par des invite les participants à définir eux-mêmes de l’Université du Québec à Chicoutimi programmes axés sur la découverte intercul- leurs objectifs et programmes de séjour. qui a préparé toute une cohorte d’éco- turelle et le perfectionnement professionnel On poursuivra le modèle du grand groupe conseillers œuvrant actuellement dans nos dans les secteurs économique, culturel, qui perdra petit à petit de son importance. entreprises. L’OFQJ développe aussi une académique et social. La création de l’OFQJ Durant cette décennie, l’OFQJ sera aussi véritable expertise en insertion sociale et est une des retombées les plus importantes sollicité pour la réalisation de grands projets professionnelle pour des jeunes éloignés du découlant de la visite du Général de Gaule dont un, en 1984, lié au 450e anniversaire de marché de l’emploi grâce à l’appui d’Em- au Québec en 1967 et est le fruit de décisions la venue de Jacques Cartier (1534-1984). Le ploi-Québec. Par ailleurs, l’OFQJ mettra politiques prises au plus haut niveau gouver- principal projet sera « Cap sur l’avenir », sur pied une première banque de stages nemental tant en France qu’au Québec. grande traversée Québec-Saint-Malo sur le franco-québécoise pour jeunes profession- Depuis ce temps, plus de 150 000 partici- paquebot Mermoz avec 600 jeunes Québé- nels et jeunes éloignés du marché de l’em- pants, tant français que québécois, ont pu cois et Français de 18 à 35 ans sur la route ploi. Sont développées aussi les premières bénéficier de ses programmes. du grand explorateur malouin. Ce projet interventions dans le domaine de la sensi- intégrera pour une première fois des jeunes bilisation à l’entrepreneuriat et du soutien La première décennie issus des Premières Nations, ce qui se pour- aux jeunes entrepreneurs en raison d’ap- L’accessibilité suivra dans les décennies suivantes. En Dès sa création et dans la décennie qui a 1985, l’Année internationale de la jeunesse suivi, l’OFQJ s’est inscrit comme un instru- verra la création d’une radio franco-québé- ment de découverte mutuelle et de forma- coise, 85FQ, alors que l’année 1989 sera tion dans un contexte d’éducation populaire l’occasion d’un grand rallye historique à auprès de ceux qui avaient peu ou pas accès à Paris pour souligner le Bicentenaire de la la coopération franco-québécoise : ouvriers, Révolution française (1789-1989). Cette enseignants, agriculteurs, jeunes travail- décennie instaure donc la diversification leurs, représentants d’associations, syndi- des programmes, des projets et des parti- cats et groupes communautaires ont pu cipants visés. bénéficier de son aide. Une seule forme de projets est proposée soit le voyage-échange La décennie des années 1990 Un bain de foule du Général de Gaulle en grand groupe (20 personnes), soutenu La professionnalisation lors de sa visite au Québec en 1967. par une pédagogie très interventionniste de et l’insertion la part de l’organisme : sélection des projets, Durant les années 1990, les programmes recrutement des participants, préparation de l’OFQJ se rapprocheront davantage avant départ, organisation et financement de la formation académique, du perfec- des séjours à l’étranger, évaluation. L’ob- tionnement professionnel et de l’inser- jectif d’accessibilité demeurait la priorité de tion sociale et professionnelle des jeunes. cette première décennie d’échanges. On assiste donc à une plus grande inter- nationalisation des formations par l’aug- La décennie des années 1980 mentation des stages en milieu de travail La diversification pour les étudiants des études supérieures Les programmes de l’OFQJ, durant et de la formation professionnelle et la la décennie des années 1980, évolueront poursuite d’études universitaires grâce à de l’éducation populaire vers le perfec- l’appui du ministère de l’Éducation. Dans tionnement professionnel. D’un aspect la foulée, l’OFQJ initiera deux universités signature de la création de l’OFJQ en 1967.

4 • L’AMOPALIEN DU QUÉBEC 1968-2018 : 50e anniversaire de création de l’OFQJ Madeleine Bourgeois*

« Cap sur l’avenir », grande traversée Québec–Saint-Malo sur le Mermoz en 1984. rabaskas, les voyageurs engagés d’Hochelaga, en 1992, lors du 350e anniversaire de Montréal.

ports financiers du Secrétariat à la jeunesse Les années 2000 L’OFQJ a su évoluer en tenant compte et d’entreprises privées. Bien que toujours L’harmonisation des différents enjeux sociétaux qui sont présent, l’OFQJ se concentre plus intensé- Les années 2000 verront le regroupe- apparus au fil des décennies tant en France ment sur le perfectionnement professionnel ment des organismes de mobilité des jeunes qu’au Québec et s’est adapté aux diffé- et le développement de carrière pour les au sein de LOJIQ (Les Offices jeunesse inter- rents courants sociaux, culturels, éduca- artistes du milieu culturel en favorisant la nationaux du Québec). Ces organismes créés tifs et économiques qui ont traversé nos participation à des évènements, séminaires, au fil des ans grâce à l’expertise de l’OFQJ, deux sociétés depuis 50 ans. L’OFQJ a colloques, manifestations, classe de maîtres soit l’Office Québec Wallonie Bruxelles réussi à perdurer grâce à une volonté poli- pour nos artistes. pour la jeunesse (OQWBJ), l’Office Québec- tique affirmée, à la complicité, l’amitié, la L’organisation de grands projets se pour- Amériques pour la jeunesse (OQAJ). L’Of- compréhension mutuelle et la collabora- suivra, dans le cadre du 350e anniversaire fice Québec-Monde pour la jeunesse tion de milliers de Français et de Québé- de la fondation de Montréal ; à cet effet, (OQMJ) se joindra au regroupement en cois qui ont toujours assuré son immense l’OFQJ organisera « Rabaskas, les voyageurs 2008 et visera les territoires non couverts par succès et sa pérennité. Les nombreux engagés d’Hochelaga », projet qui réunira les organismes déjà existants. Ce regroupe- réseaux franco-québécois créés au fil de 80 jeunes Québécois et Français dans un ment permettra de créer un guichet unique ces décennies relient à la fois notre passé tour historique, géographique et sportif de plus accessible pour les jeunes visés par ces commun, notre présent et de plus engagent l’île de Montréal en grands canots rabaskas. programmes. Ce regroupement induira notre avenir. Cette même année, on y créera un orchestre une harmonisation des programmes et des franco-québécois dans le cadre de ce 350e conditions offertes aux participants et accen- où deux œuvres symphoniques inédites tuera la lisibilité des programmes de mobi- seront créées. De plus, à la demande lité offerts par le gouvernement du Québec. du gouvernement du Québec, l’OFQJ L’OFQJ poursuivra ses grands projets en mettra sur pied à partir de 1990, une étant associé au 400e anniversaire de la ville programmation estivale culturelle et touris- de Québec. Par ailleurs, l’OFQJ conservera * ex-directrice des programmes OFQJ (1986-2008), ex-directrice à la coordination et à tique à la Maison du Québec à Saint-Malo son autonomie dans le cadre de son entente la planification LOJIQ (2008-2012) et secrétaire qui perdure depuis ce temps. bilatérale avec le gouvernement français. de l’AMOPA Québec.

L’AMOPALIEN DU QUÉBEC • 5 De Fleury Mesplet à la typographie expérimentale Jacques G. Ruelland*

Si vous voulez passer à la postérité, laissez des écrits qu’on lira ou faites en sorte qu’on veuille lire vos accomplissements. Benjamin Franklin

s’était installé à Covent Garden. Après un seigneur de Montréal, Étienne Montgolfier, an en Grande-Bretagne, Mesplet décidait de et du juge René-Ovide Hertel de Rouville, le gagner Philadelphie où il devint, en 1774, gouverneur ferma le journal le 2 juin 1779 – l’imprimeur de langue française du Congrès un jour seulement avant son premier anni- américain. versaire – et emprisonna l’imprimeur ainsi Au début de la Révolution américaine, que 500 autres personnes soupçonnées, mais le Québec ne s’était pas rallié aux treize jamais officiellement accusées, d’entretenir autres colonies et n’avait pas répudié son des pensées révolutionnaires, durant plus de allégeance à la Couronne. Montréal fut trois ans, sans tenir aucun procès. Libéré, investie par l’armée américaine qui s’en fut Mesplet revint à Montréal en septembre par la suite conquérir Québec. L’occupation 1782. Le 25 août 1785, il fit revivre la Gazette epuis 1776, la tradition des militaire ne suffisait pas à convaincre les littéraire : ce fut The Gazette – La maîtres-imprimeurs s’inscrit dans Montréalais de se joindre à la Révolution. Gazette de Montréal, périodique franco- l’histoire des progrès de l’intel- Au printemps de 1776, le Congrès envoya anglais d’information qu’il dirigea jusqu’à ligenceD dans la province de Québec. Mais Benjamin Franklin à Montréal, qui s’installa son décès, et qui existe encore aujourd’hui. cette tradition ne serait rien si elle ne nous au Château Ramezay. Imprimeur, Franklin À sa mort, le 22 janvier 1794, sa femme avait donné, en même temps que nos lettres, connaissait le pouvoir de la presse écrite. tenta de continuer son œuvre. Marie-Anne le plus beau cadeau qui soit : la liberté d’ex- En tant qu’imprimeur du Congrès, Mesplet Tison devint ainsi la première éditrice pression. avait déjà imprimé trois lettres destinées d’un journal au Canada. Après le décès Au début de cette tradition se trouve le aux habitants du Québec pour les inciter de Fleury, elle publia six numéros de la premier imprimeur-libraire francophone à se joindre au mouvement de libération Gazette de Montréal, dont le dernier parut au Canada, Fleury Mesplet (1734-1794). du joug de l’Angleterre. Il suivit Franklin le 13 février 1794. Le journal ne reparut que Mesplet est né à Marseille le 10 janvier à Montréal, se déplaçant plus lentement en le 3 août 1795, racheté par le maître de poste 1734, d’Antoinette Capeau et de Jean- raison de son matériel. Il arriva au moment Edward Edwards et l’imprimeur Louis Roy. Baptiste Mesplet, maître-imprimeur origi- même où Franklin s’apprêtait à quitter la Quant à Marie Mirabeau-Mesplet, elle fut la naire d’Agen, lui-même fils d’imprimeur. ville, les Américains battant en retraite. première femme à diriger une imprimerie Il est mort à Montréal le 24 janvier 1794. Mesplet décida d’y rester. En 1776, il avait au Canada : ce qu’elle fit pendant l’em- Il avait épousé Marie-Marguerite Piérard, à installé son imprimerie rue Capitale, sur le prisonnement de Fleury entre 1779-1782. Avignon, le 17 août 1756 ; Marie Mirabeau, côté nord de la rue, au coin sud-ouest de la Mesplet fut l’un des premiers éditeurs au à Lyon, vers 1765, et Marie-Anne Tison, à ruelle Chagouamigon. Entre 1776 et 1794, il Canada. Son journal ne fut pas le premier ; Montréal, le 13 avril 1790. Ayant reçu sa imprima 96 livres et brochures – un record : The Halifax Gazette datait de 1752 et The formation dans l’atelier familial à Lyon, il à Québec, William Brown ne fit paraître que Quebec Gazette, 1764. Par contre, ce fut le partit pour Londres en 1772. Le premier 47 travaux de 1764 à 1789. Mesplet publia premier journal de Montréal et, de plus, livre connu, imprimé sous son nom, le le premier almanach de langue française en Mesplet avait introduit l’imprimerie dans fut à Londres en 1773. C’était un ouvrage Amérique, et sortit le premier livre illustré la ville. En plus d’être le premier périodique d’histoire, La Louisiane ensanglantée, dans au Canada. Il imprima des ouvrages en littéraire au Canada, la Gazette littéraire lequel le chevalier Jean de Champigny appe- français, en anglais, en latin et en iroquois, diffusa le premier les idées des Lumières, lait l’Angleterre au secours des Louisianais ainsi que le premier journal littéraire (1778- en particulier la liberté de pensée et d’ex- abandonnés aux Espagnols par Louis XV. 1779) et le premier périodique d’informa- pression. La Gazette de Montréal prit la Benjamin Franklin, savant et diplo- tion (1785-1794). relève tout en élargissant son contenu infor- mate américain, désirait convaincre les Le 3 juin 1778, Mesplet lançait la Gazette matif. Le second journal de Mesplet entre- Montréalais que le Québec devait devenir la du commerce et littéraire, qui devint peu prit des campagnes en faveur de réformes 14ecolonie des États-Unis d’Amérique. Pour après la Gazette littéraire, le premier journal du système seigneurial et de l’enseigne- cela, il fallait une presse. Il fit la connais- uniquement de langue française au Canada. ment. Il donna d’amples informations sur sance de Mesplet à Londres, où ce dernier À la requête du supérieur des Sulpiciens, la Révolution française, la Déclaration des

6 • L’AMOPALIEN DU QUÉBEC De Fleury Mesplet à la typographie expérimentale Jacques G. Ruelland*

droits de l’homme et la naissance de la répu- Mais parallèlement à cette évolution, un plus en plus complexes et subtils. En parte- blique, jusqu’au dernier numéro imprimé secteur de l’imprimerie n’a jamais cessé de nariat avec le Musée de l’Imprimerie du par Mesplet, le 16 janvier 1794. favoriser l’épanouissement de la culture par Québec depuis 2010, elle recule les limites Depuis la mise au point de carac- le design – celui des caractères d’imprimerie de la typographie expérimentale. À Québec, tères amovibles en plomb par Gutenberg et celui de l’expression intellectuelle des depuis 2007, le Laboratoire de muséologie au XVe siècle, la typographie a sans cesse idées : c’est la typographie expérimentale. et d’ingénierie de la culture de l’Univer- transmis les valeurs philosophiques dans les Après les Calligrammes (1918) de Guil- sité Laval œuvre dans le même sens tout en limites des procédés d’impression. Ceux-ci laume Apollinaire, la recherche graphique plaçant ses recherches dans le cadre de la ont toutefois évolué. Au XXe siècle, tous s’est mondialisée. Chaque métropole a son muséographie– tout comme le fait le Dépar- les grands journaux disposaient de presses école de graphisme. Mais Montréal appa- tement de muséologie de l’UQAM. Actuel- offset modernes capables de soutenir quoti- raît ici avant-gardiste. L’École de design lement, le Montreal Book History Group de diennement de grands tirages. En 1980, l’in- de l’Université du Québec à Montréal l’Université McGill étudie les caractères formatique enterrait la typographie, en voie (UQAM), créée en 1974, tente de dépasser graphiques et la transmission des pensées de disparition depuis 1970. Aujourd’hui, le les limites des procédés graphiques actuels par le graphisme. numérique a remplacé les anciens procédés. afin de mieux transmettre des messages de La liberté de pensée est née à Montréal en 1776 grâce aux presses typographiques de Mesplet et elle s’y épanouit toujours par le biais de la typographie expérimentale. Ainsi, Montréal ne brille pas seulement par son expertise en aéronautique, en jeux vidéo et en intelligence artificielle, mais aussi en typographie expérimentale. La liberté d’ex- pression s’y sent bien.

* Histoire, Université de Montréal.

Bibliographie sommaire Lagrave, Jean-Paul de, Fleury Mesplet, diffuseur des Lumières au Québec, Montréal, Patenaude, 1985, 503 p. Lagrave, Jean-Paul de, et Jacques G. Ruelland, L’appel à la Justice de l’État (1784) de Pierre du Calvet (1735-1786), Québec, Le griffon d’argile, 1986, 64 p. __, Valentin Jautard (1736-1787), premier journaliste de langue française au Canada. Biographie scientifique, Québec, Le griffon d’argile, 1989, 390 p. __, L’imprimeur des Libertés : Fleury Mesplet (1734- 1794). Roman historique, Montréal, Point de fuite, 2001, 389 p. Ruelland, Jacques G., Figures de la philosophie québécoise à l’époque de la Révolution française, Québec, Les Presses de l’Université du Québec, 1989. __, La Révolution Gutenberg : l’œuvre d’un grand humaniste, Johannes Gutenberg (1398-1468), Montréal, Musée de l’Imprimerie du Québec, 2015, 107 p. Ruelland, Jacques G. [dir.], 1776. Naissance de l’imprimerie et de la liberté d’expression à Montréal, Montréal, Petit Musée de l’impression / Centre d’histoire de Montréal, 2008, 136 p. Triggs, Teal, La typographie expérimentale, Paris, Thames & Hudson, 2004, 224 p.

L’AMOPALIEN DU QUÉBEC • 7 De la société distincte à la nation québécoise Simon Langlois*

Le document rappelle les aspects de l’identité québécoise qui avaient été proposés dans l’entente de Meech, soit son carac- tère unique, le français comme langue de la majorité et comme langue officielle, une tradition juridique civiliste et des institu- tions propres en matières politique, cultu- relle, économique, éducative et sociale. Un autre aspect typique de l’identité québécoise mériterait d’être ajouté à la liste, sans vouloir en faire un catalogue hétéroclite. Il s’agit du caractère continental du Québec, afin de souligner son appartenance nordique – « mon pays, c’est l’hiver » ! – et améri- caine (au sens géographique). La nordicité mise de l’avant par notre collègue amopa- lien Louis-Edmond Hamelin est en effet au cœur de l’identité québécoise, même si la saison hivernale prend des allures « d’hiver de force » (Réjean Ducharme) pour plusieurs Québécois. L’identité québécoise est aussi faite d’américanité (Yvan Lamonde, Gérard Bouchard). Ce trait souligne notre apparte- nance à un continent qui a façonné notre imaginaire et nos façons de vivre, nous Réflexions sur le livre bleu du gouvernement québécois distinguant de la mère patrie : la France. Aux quatre traits identitaires mentionnés plus haut, ne faudrait-il donc pas ajouter « l’ap- ans le livre bleu, Québécois. terme qui n’apparaît pas dans le document partenance continentale nord-américaine » ? Notre façon d’être Canadiens, le mais qui résume fort bien le sens donné à la Gouvernement Couillard propose question nationale dans le nouveau millé- De la société distincte Dà l’attention du Canada anglais une réflexion naire ici et dans d’autres pays comparables. à la nation québécoise bien articulée sur la place du Québec dans Le concept de nation québécoise est Le document reprend les cinq propo- le Canada contemporain. L’émergence de la maintenant connu au Canada anglais, sitions de l’accord du lac Meech comme nation québécoise comme référence natio- notamment à la suite de la motion bases de prochaines discussions constitu- nale refondée à la suite de l’éclatement du adoptée par la Chambre des Communes le tionnelles, mais il abandonne le concept de Canada français sert de fil rouge au docu- 27 novembre 2006 à l’initiative du Gouver- société distincte et le remplace par la nation ment nement Harper. Cependant, on peut se québécoise. Ce changement est justifié. La La définition de la nation québécoise questionner sur le sens qui lui est donné notion de société distincte est porteuse reflète bien le consensus qui existe sur la dans la version anglaise : « That this House d’une connotation péjorative en anglais et question au Québec. La diversité des popu- recognizes that the Québécois form a elle avait alimenté l’opposition à cet accord. lations qui la constituent, l’interculturalisme nation within a united Canada ». Le vocable La reconnaissance constitutionnelle de et la multiplicité des appartenances sont « Québécois » fait-il référence aux seuls la nation québécoise est en phase avec la soulignés, sans oublier l’apport des « Québé- francophones d’ascendance canadienne- représentation contemporaine de la situa- cois d’expression anglaise ». Les liens avec française ? Plusieurs anglophones se tion québécoise et elle sera bien plus accep- les nations autochtones sont reconnus sans réfèrent manifestement à une interprétation table au Canada anglais. passer sous silence le travail encore à faire. assez restrictive et traditionnelle du mot Le document avance que les tribunaux En phase avec les mutations sociales et Québécois. Le document fait œuvre de « interprètent déjà la Charte des droits et la culturelles contemporaines, la définition pédagogie en dépassant la vision qualifiée Constitution d’une façon qui tient compte de la nation québécoise reflète le processus d’ethnique de la nation québécoise qui a du rôle distinctif du Québec dans la protec- sociologique de refondation nationale, un cours en certains milieux. tion et la promotion de son caractère fran-

8 • L’AMOPALIEN DU QUÉBEC cophone ». Cette interprétation de la Cour coise sur tous les plans. Mais qu’adviendra- aurait profité aux anglophones québécois. se fonde sur la situation de vulnérabilité t-il le jour où, s’appuyant sur ces lectures Le problème est bien posé dans le document des francophones, un argument cependant optimistes, un juge statuera que la vulnéra- mais la référence à l’asymétrie nécessaire en fragile qui n’est pas équivalent à une clause bilité n’est plus démontrée ou que l’accord matière de droits des minorités nationales de constitutionnelle. Ce point est important, politique est fissuré ? Sans clause interpréta- langues française et anglaise gagnerait à être car les jugements actuels se fondent sur un tive dans la Constitution, il sera éventuelle- mieux argumentée. L’individu qui est sujet diagnostic sociologique (la vulnérabilité) et ment possible de donner priorité à la Charte à des droits n’est pas un être isolé dans un sur une reconnaissance politique, bref sur des droits et d’autoriser ainsi la fréquenta- espace abstrait. Il vit en contexte et dans un des éléments de contexte pour paraphraser tion des écoles de langue anglaise par les environnement qui doit être pris en considé- Alexis de Tocqueville. Or, si le contexte vient enfants issus de l’immigration ou même par ration. Or, le contexte des Anglo-québécois à changer, qu’en sera-t-il des jugements à les francophones. et celui des Franco-canadiens est fort diffé- venir et des contestations ? D’où l’impor- rent, ce qui appelle des politiques différentes. tance d’avoir dans la constitution une clause Des questions en suspens interprétative comme celle qui est proposée Si le document reprend les cinq condi- Quelle sera la réception dans la première condition de l’accord du tions de l’accord du lac Meech – en ayant du Canada anglais ? lac Meech et qui est reformulée dans le livre soin de remplacer la référence à la société On se souviendra que le premier ministre bleu affirmant « la reconnaissance constitu- distincte – n’y aurait-il pas lieu d’ajouter canadien Justin Trudeau a rejeté cava- tionnelle de la nation québécoise ». une sixième condition portant sur le statut lièrement dans un escalier du parlement Donnons un exemple. L’arrêt Gosselin du Québec sur la scène internationale ? Le ­d’Ottawa, sans l’avoir lu, l’appel à la réflexion de la Cour suprême avait confirmé l’inter- gouvernement fédéral exerce en effet les lancé par la publication de ce livre bleu. Il diction à des parents francophones d’en- pouvoirs régaliens en la matière et il paraît a un peu nuancé par la suite sa position, voyer leurs enfants à l’école anglaise, ce droit nécessaire de préciser la place du Québec mais sans montrer une bien grande ouver- étant reconnu aux seuls enfants de parents sur ce plan. La doctrine Gérin-Lajoie méri- ture. Il ne semble pas que les célébrations anglophones, au nom de l’argument socio- terait d’être modernisée et revue à la lumière du 150e anniversaire de la Confédération logique de la vulnérabilité. Les appelants des changements survenus depuis les années soient l’occasion d’une réouverture des avaient alors plaidé que l’article 73 de la 1960. négociations constitutionnelles. La question charte de la langue française était discrimi- Ensuite, le livre bleu reconnaît claire- québécoise n’est pas à l’agenda. L’accueil du natoire à leur endroit. La Cour a statué que ment la nécessité de prendre en considé- document a été tout au plus poli dans les l’encadrement de l’accès à l’école anglaise ration la participation des autochtones au milieux politiques officiels canadiens et les visait à protéger la minorité anglophone en processus de révision constitutionnelle. réflexions que contient le livre bleu n’ont pas lui garantissant des droits, mais elle a aussi L’ouverture est explicitement affichée mais trouvé d’écho dans les milieux intellectuels. précisé qu’il fallait protéger la majorité fran- les propositions précises à venir sont encore Dommage, car cet ouvrage propose une cophone parce qu’elle était minoritaire au attendues. vision renouvelée de la place du Québec sein du Canada. Enfin, le Québec a été appelé par le passé au sein de la fédération canadienne. Seul Or, le document du gouvernement à prendre des positions sur les minorités l’avenir dira si les propositions qu’il formule précise que le Québec est maintenant une nationales qui ont heurté les francophones déboucheront sur des gestes concrets et des société sûre d’elle-même, prospère, etc. canadiens. On sait que le Québec s’était initiatives porteuses d’avenir. Maints observateurs se plaisent à vanter les opposé à certaines de leurs revendications progrès considérables de la société québé- par crainte de provoquer un précédent qui * Professeur émérite, Université Laval

Cet ouvrage propose une vision renouvelée de la place du Québec au sein de la fédération canadienne. Seul l’avenir dira si les propositions qu’il formule déboucheront sur des gestes concrets et des initiatives porteuses d’avenir.

L’AMOPALIEN DU QUÉBEC • 9 Notes de lecture

Alain RIPAUX Général à annuler son passage dans la Capi- dépendance du Québec ont alimenté, à n’en Charles de Gaulle. tale canadienne. Je me souviens en parti- pas douter, le discours des ardents nationa- Une certaine idée du Québec culier de cette visite mémorable. Nous listes qui y ont vu un appui inconditionnel Appilly (France), chez l’auteur, 2017, 155 p. étions partis très tôt de notre logement à à leur option. Sainte-Foy, ce dimanche-là, ma toute jeune L’ouvrage relève aussi les réactions des ublié à l’occasion du cinquantième épouse depuis trois semaines pour assister divers journaux, favorables aux propos Panniversaire de la venue du général avec mes parents, en la Basilique de Sainte- du Général au Québec, au Canada et à de Gaulle au Québec, en juillet 1967, et Anne-de-Beaupré, messe à laquelle le couple l’étranger, qui n’ont pas compris le fond préfacé par Albert Salon, l’ouvrage d’Alain De Gaulle devait participer. Le Général, fier du message et qui ont pourfendu celui que Ripaux, un ardent défenseur des couleurs et droit, a remonté l’allée centrale sous les la France a pourtant appelé le Libérateur. du Québec en France et dans la franco- applaudissements des milliers de fidèles Il a voulu l’être aussi pour les Québécois, phonie, Charles de Gaulle. Une certaine venus l’acclamer. Il s’est soudainement en préparant sous son règne les relations idée du Québec, relate en détail l’histoire, arrêté, devant le banc que nous occupions, avec le Québec, qu’il considérait comme heure par heure, du voyage de ce grand et a donné une poignée de main à mon père, un pays. On y trouve encore les réactions homme qui a marqué par quatre petits mots droit et fier, comme lui. À son retour dans de nombreux hommes politiques. Ripaux lourds de sens les relations entre le Québec son village du Lac-Saint-Jean, il a fait revivre nous donne aussi à lire une courte histoire et la France. Son « Vive le Québec libre ! » à ses nombreux clients – il était cordon- des relations France-Québec avec une chro- prononcé du haut du balcon de l’Hôtel de nier – ce qu’il qualifiait de moment histo- nologie détaillée (toutefois pas exempte de ville de Montréal, après avoir été acclamé rique et combien émouvant. quelques erreurs) de même qu’une chrono- triomphalement par une foule de Québécois L’ouvrage d’Alain Ripaux est plus qu’un logie de la Nouvelle-France et du Québec. enthousiastes massés le long du Chemin du retour sur la visite controversée du Général Voilà une synthèse intéressante pour Roy lors de son déplacement de Québec en 1967. L’auteur, et il faut s’en réjouir, a quiconque veut connaître rapidement les à Montréal, le 23 juillet 1967, n’a pas fait opté pour la publication de tous les discours événements qui ont poussé le Général à que des heureux, on s’en souviendra, dans et toutes les allocutions que le célèbre visi- prendre position en faveur du Québec. Il le camp des fédéralistes québécois et aussi teur a prononcés tout au long du parcours faut toutefois déplorer, çà et là, quelques des Canadiens anglais, à commencer par le qui l’a amené jusqu’à Montréal où l’atten- problèmes de ponctuation, l’abus de la premier ministre Lester B. Pearson, qui l’a dait une foule de plus de 15 000 personnes majuscule, des erreurs de dates (la Chartre accusé d’ingérence politique dans les affaires témoins, comme il le dit, du secret qu’il de la langue française date de 1977 et non canadiennes, ce qui a forcé avec raison le avait mûrement réfléchi de leur dévoiler. 1974, p. 30), de mots : « Le peuple canadien La preuve ? Dans chacun des messages français [sic] a l’intention d’être relégué (au qu’il a livrés depuis Québec, à Donnacona, lieu de l’impression), mot sauté (« dans cette Neuville, Sainte-Anne-de-la-Parade, Trois- de la Nouvelle-France », p. 71), etc. Mais ces Rivières et ailleurs, il a répété – et il était le petites lacunes n’entachent en rien la belle seul homme d’État à pouvoir le faire – que qualité de l’ouvrage, abondamment et riche- le Québec, ce « morceau du peuple fran- ment illustré. Aurélien Boivin çais », devait être maître de son destin et prendre en main ses destinées, de posséder Lionel Meney « le droit incontestable de disposer de Le français québécois entre réalité lui-même en déterminant librement son et idéologie. Un autre regard sur statut politique et en assurant librement la langue. Étude sociolinguistique son développement économique, social et Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2017, 635 p. culturel » (p. 106). Dans sa conférence du 29 novembre suivant, il en remet. Il inter- eux camps s’opposent quant au choix pelle les Québécois : « Vous êtes de Fran- Den matière de bon usage de la langue çais […] En cette qualité, il vous faut être et du modèle devant guider les locuteurs au maîtres de vous-mêmes » (p. 68). Il n’a pas Québec : d’un côté se trouvent les partisans manqué non plus d’insister sur l’importance en faveur de l’adoption d’une norme natio- capitale des relations qu’il venait de rétablir, nale ou endogène, qu’ils désignent sous le après plus de 200 ans, avec le Québec, une nom de « français québécois standard », et terre française en Amérique. Ses prises de de l’autre, les partisans défenseurs d’une position sans équivoque en faveur de l’in- langue française commune à tous les fran-

10 • L’AMOPALIEN DU QUÉBEC Notes de lecture

France. Montréal devint rapidement un tenir à l’essentiel pour nous faire découvrir centre de traite de fourrures à cause de l’œuvre de chaque maire, leur origine et son emplacement géographique qui, au leur personnalité. C’est à travers les diffé- moment de la Conquête en 1760, avait rentes étapes de chacun des maires que des allures de petite ville provinciale fran- l’on découvre l’histoire de Montréal dans çaise. C’est en 1830 que Montréal supplante une perspective autre que celle de l’histoire Québec comme métropole de la colonie et traditionnelle. C’est à partir des décisions devient même la capitale du Canada en prises sous l’égide des différents maires 1843 avant d’être remplacé par Ottawa en que l’on arrive graduellement au Montréal 1857.La ville de Montréal tient son nom de d’aujourd’hui. Chacun d’entre eux avait sa Montréal, nommé ainsi en raison du mont propre vision d’un Montréal appelé à un Royal, nom qui fut donné à la montagne brillant avenir. au centre de l’île par Jacques Cartier en Voyons cela à travers quelques exemples 1535. C’est au début du XVIIIe siècle que significatifs en commençant par son premier le nom de l’île (Montréal) s’étend à la ville maire , qui exerça sa fonc- remplaçant ainsi Ville-Marie, devenue le tion de 1833 à 1836. C’était un érudit et un nom d’un arrondissement. C’est en mars nationaliste, ancien inspecteur des grands 1831 que la ville comptant 27 297 habitants chemins, rues, ruelles et ponts de Montréal, s’incorpore. et ancien officier de milice, bref quelqu’un C’est grâce au travail de l’Amopalien, qui avait une connaissance intime de la ville. Jacques G. Ruellland, et de nombreux colla- Il fondera l’Association Saint-Jean-Baptiste, cophones, « le français standard interna- borateurs, que la Maison Nouvelle Fédéra- ancêtre de la société du même nom, vouée tional ». Les premiers sont d’accord pour tion nous offre sous le titre Les maires de à la bienfaisance à l’époque pour contrer soutenir qu’il existe une norme propre Montréal, un ouvrage racontant en 135 la misère. Il sera écarté de toute charge au Québec, distincte de la norme inter- pages et publié à l’occasion du 375e anni- publique en 1836 en raison de ses opinions nationale, qu’ils défendent avec passion. versaire de Montréal l’aventure de Montréal politiques. Peter McGill, président de la L’auteur de cet ouvrage déconstruit cette par la brève histoire de ses 44 maires, depuis Banque de Montréal, lui succédera en théorie, car, selon lui, en s’intéressant à la Jacques Viger (1833) jusqu’à 1840, nommé par le gouverneur Gosford, langue des journaux québécois, il montre (2013). Il faut souligner le travail de tous les qui avait mis la ville en tutelle à la suite des que les deux normes coexistent au Québec collaborateurs de cet ouvrage qui ont su s’en Rébellions des Patriotes. Montréal connaîtra et se font concurrence, le français québé- ainsi quatre tutelles dans le courant de son cois standard et le français standard inter- histoire : deux ont précédé la Confédération national. Il est d’avis que privilégier le et deux autres de 1918 à 1921 et de 1940 à premier au détriment du second est un 1944. choix purement idéologique et qu’imposer En plus de faire la connaissance de tous le second est d’aller contre la tendance de les maires de Montréal les uns à la suite des fond du marché linguistique. Voilà certes autres, on découvre de nombreuses infor- un ouvrage propre à susciter la réflexion. mations intéressantes sur la vie à Montréal. Aurélien Boivin Quelques exemples ont retenu mon atten- tion : en 1852, les maires sont choisis par Jacques G. Ruelland [dir.] les conseillers et ceux-ci sont ont élus par Les maires de Montréal les propriétaires fonciers dont les noms Montréal, Maison Nouvelle Fédération, 2017, 150 p apparaissent sur une liste électorale. Le suffrage universel ne sera accordé qu’en a fondation de Montréal, nommé 1968. Vers 1870, la population atteint LVille- Marie en 1642, fut l’œuvre de 100 000 habitants. Montréal est aussi une Maisonneuve. Celui-ci répondait à une ville d’émigration. En 1847, elle compte déjà vocation missionnaire et fit appel à Jeanne 28 000 Irlandais, arrivés pauvres, misérables, Mance et à Marguerite Bourgeois pour le entassés dans le port de Montréal. En 1852, seconder dans sa mission qui était de créer Charles Wilson, un Écossais, devient maire. une communauté catholique en Nouvelle- Un incendie majeur détruit plus de mille

L’AMOPALIEN DU QUÉBEC • 11 Notes de lecture maisons dans le faubourg Saint-Laurent. à l’hôtel de ville. Comme on voit, rien de L’hôtel de ville est inauguré le 11 mars vraiment nouveau sous le soleil. Là où il 1878, les femmes majeures peuvent voter à y a de l’homme... car sous la gouverne du compter de 1889, il faudra toutefois attendre maire (2002-2012) et du 1940 pour qu’une première femme accède maire (2012-12013), au Conseil de ville. Elle se nomme Jessie Montréal connaît des problèmes de patro- Kathleen Fisher et ce ne sera pas avant 1978 nage et de népotisme à grande échelle et qu’une femme du nom de Justine Sentenne, réclame de Québec des interventions pour sera élue conseillère et deviendra membre y mettre bon ordre. Ainsi naîtra la Commis- au Comité exécutif. La première grève des sion Charbonneau avec ses moyens de services publics de Montréal est déclenchée contrôle sévères. le 6 février 1903. On revendique de meil- Au XXe siècle, Montréal connaîtra des leurs salaires et la reconnaissance syndicale. maires de l’envergure de C’est un maire aussi d’origine écossaise, (1928-1932, 1934-1936, 1938-1940, 1944- James Cochrane (1902-1904), qui hérite 1954), maire populiste et populaire qui de ces problèmes. Cette grève est suivie par affrontera la Crise économique et ses celle des débardeurs du port de Montréal. conséquences, emprisonné dans un camp L’industrialisation s’accélère entraînant de concentration jusqu’en 1944 pour ses son lot de conflits sociaux. Ainsi, en 1904, prises de position contre la conscription le maire Hormidas Laporte (1904-1906) est obligatoire mais qui fut accueilli en héros à Simon Langlois élu sur l’enjeu que représente l’abolition des sa sortie de prison. On ne peut passer sous Le Québec change. trusts qui contrôlent l’électricité, le gaz et silence (1954-1957, 1960- Chroniques sociologiques les tramways de Montréal. La municipali- 1986) qui fit connaître Montréal à travers Montréal, Del Busso éditeur, 2016, 298[5] p. sation des services publics est au cœur de la le monde par ses réalisations flamboyantes bataille électorale. que furent l’Expo 67, les Jeux olympiques imon Langlois enseigne la socio- Cette ville évolue pendant longtemps de 1976, le métro de Montréal et autres Slogie depuis près de quarante ans. Sa sous la gouverne d’une bourgeoisie anglo- ouvrages d’envergure dans la foulée de la vaste expérience et sa grande générosité lui phone, maîtresse du commerce, de la Révolution tranquille. Le Québec bouge et permettent ainsi, non sans succès, de livrer finance et des affaires, car Montréal, à Montréal est à l’avant-garde même si elle le résultat des recherches sur la société partir de 1830, est majoritairement anglo- perd son statut de métropole du Canada québécoise qu’il a menées depuis le début phone avant que les villes environnantes au profit de Toronto. Drapeau aura alors de sa carrière. C’est la raison de son dernier à majorité francophone se fusionnent à cette réplique toute gaullienne : « Laissez essai, Le Québec change, une cinquantaine Montréal. Pendant longtemps la tradition Toronto devenir Milan, Montréal restera de chroniques déjà parues dans le maga- voudra qu’un maire francophone succède à toujours Rome ». Il faut souligner aussi zine Contact de l’Université Laval, entre un maire anglophone. Mais graduellement, l’apport important des maires Jean Doré 2011 et 2016. Disciple reconnu d’Alexis de les francophones prennent de l’assurance et (1986-1994) et Pierre Bourque (1994-2001) Tocqueville, son mentor, et de quelques imposent davantage leurs vues sur le déve- dans le développement de Montréal. Le autres grands penseurs de ce monde, dont loppement de Montréal. premier pour son grand souci du dévelop- Max Weber, Émile Durkheim et Raymond En ce début du 20e siècle, il y a foison- pement démocratique de Montréal, la revi- Boudon, Langlois jette un regard éclairé, nement de partis politiques. Les revendica- talisation des anciennes usines Angus, les Langlois jette un regard éclairé, dans une tions ouvrières sont nombreuses. Le maire abords du canal de Lachine et la mise en langue accessible et combien élégante, Henry Archer Ekers (1906-1908) interdit valeur de nombreux sites pour le mieux-être sur les transformations qu’a connues la les défilés à caractère politique et réprime de la population. Quant à Pierre Bourque, société québécoise dans les cinquante ou les manifestations. Le népotisme est à Montréal lui doit l’idée d’en faire « une île soixante dernières années, depuis en fait l’œuvre parmi les conseillers au point où le une ville » qui conduira à une loi sur les la Révolution tranquille. Pour montrer, maire Louis Payette (1908-1910) appuie la fusions en 2000. Ce souci sera relayé par sous tous ses angles, la nouvelle stratifi- revendication d’un comité de citoyens, qui les questions de moralité publique et l’élec- cation sociale, il s’inspire des données des réclame une enquête sur l’administration tion de Denis Coderre (2013) qui a, lui aussi, recensements depuis 1971, jusqu’en 2011 municipale de la part de Québec. À la suite de grandes ambitions pour sa ville et à qui (le dernier disponible) et s’interroge sur les d’un référendum sur la question, est créé un revient l’honneur de présider au 375e anni- nombreux changements survenus en regard bureau de contrôle pour ramener l’ordre versaire de Montréal. Michel Leduc surtout des classes sociales (en particulier

12 • L’AMOPALIEN DU QUÉBEC Notes de lecture

la classe moyenne, qui a moins souffert au l’Espace Félix-Leclerc a voulu rendre, dans une fois pour toutes, à sœur Gabrielle, qui Québec qu’ailleurs dans le monde). Il s’at- son premier récit, à celui qu’elle a toujours l’accuse en classe d’avoir plagié un texte tarde beaucoup à la présence des femmes aimé et dont elle a eu beaucoup de difficulté de son père, alors qu’elle avait pourtant sur le marché du travail, ce qui a contribué à se séparer. travaillé seule cette composition d’une page. à accroître leur position dans la hiérarchie Divisés en sept parties, les récits de Cette accusation lui vaut non seulement la sociale et à largement féminiser la structure La voix de mon père sont ordonnés selon note ZÉRO mais fait naître un réel senti- sociale au Québec. Il s’interroge encore sur quelques thèmes. La première, « Il était une ment de honte devant ses petits camarades. l’égalité des sexes, le paradoxe des inéga- fois », en compte six et se rapporte à une Cette religieuse a ainsi « tué le crocus qui lités de revenus, la justice sociale, la fisca- époque qu’elle n’a pas connue, celle de l’en- commen[çait] à pousser en [elle] », l’obli- lité, le bonheur, les rentes et la retraite, le fance de son paternel, qui dérange par sa geant à « continue[r] à écrire, mais seule, mouvement étudiant, la mission des univer- gaucherie son père et les autres ouvriers de dans l’obscurité, à la lueur de la chandelle » sités, ces puissants agents de changement, le la ferme familiale. (p. 45). déclin de l’appui à l’indépendance et l’aug- La deuxième partie, « Ensemble », « Devenir grande », la troisième partie, mentation du nombre d’indécis, la polari- regroupe vingt-quatre textes portant sur constituée de treize textes, s’ouvre sur l’évo- sation gauche-droite, la langue française et l’enfance de l’auteure, depuis sa nais- cation du Référendum de 1980 et du rôle l’intégration des immigrants…Il s’attarde sance à Boulogne-Billancourt, en banlieue qu’aurait joué son héros qu’avait choisi le même, en dernière analyse, à la fermeture de de Paris, saluée par de grandes personna- Premier ministre du Québec, René Lévesque, la paroisse Saint-Jean-Baptiste (de Québec) lités, tels Raymond Devos, Charles Azna- pour proclamer la naissance d’un nouveau et à la ville de Québec, sa ville, une ville vour, Georges Brassens, qui rendent visite pays. « Ce soir-là, il y a le désespoir dans les dynamique, dont il apporte une explication à « la petite fée » (p. 21) à la clinique, et l’ar- yeux de mon père. Une société écrasée et à ce que d’aucuns ont appelé « le mystère de rivée de Bobino, un chien recueilli à la four- bafouée. Un peuple manipulé et évanoui » Québec », qui n’en n’est plus un pour lui, car rière, devenu rapidement un « grand frère (p. 50), note celle qu’elle aime. Elle rappelle une ville capitale dynamique d’un État, en et […] protecteur » (p. 23), jusqu’à l’instal- encore la visite de Paul Rose (« La boîte aux pleine mutation et en pleine croissance, ne lation dans l’île d’Orléans, dans une nouvelle lettres ») et la tragédie qui a frappé Julos peut voter à gauche. maison sur la terre de Joe Pichette, un Beaucarne, un ami de son père, dont l’épouse Voilà, à n’en pas douter, un ouvrage presque frère du père, qui deviendra rapide- a été assassinée (« L’horreur »). C’est dans majeur que tout Québécois devrait lire et ment le plus grand ambassadeur de ce coin « Le chêne » qu’elle fait la promesse à son méditer, comme le fait le sociologue, qui de pays du « bout du monde » (p. 24), baigné père, « [p]our le remercier de l’enfance » jette un regard éclairé sur notre société, par le majestueux fleuve. Sont évoqués la celui d’un fin observateur, en s’appuyant sur maison de poupée, la grange à spectacles, ses propres travaux de recherche qu’il rend l’initiation à la musique, l’apprentissage du ainsi accessibles à la population sans verser piano, l’absence du père en tournée, homme dans le jargon. Aurélien Boivin « lumineux, passionné et inspirant » (p. 32), qui dérange la fillette en classe, refusant Nathalie Leclerc tout travail pour se concentrer à regarder La voix de mon père par la fenêtre et de rêver le retour ce celui Montréal, Leméac, 2016, 153[1] p. qui l’a en quelques sorte ensorcelée. L’ajout d’un paon à la ferme, le premier voyage en uatre-vingt-dix courts textes souvent train, un nouveau séjour en Suisse pour Qde moins d’une page, sans doute écrits marquer la fin de la tournée du chanson- à divers moments de l’existence de l’au- nier qu’est son héros de père, l’évocation teure, Nathalie Leclerc, la fille de…, depuis de son premier amoureux Lionel, un petit son enfance et son adolescence jusqu’à l’âge Suisse, qui lui rendra visite un jour dans son adulte, constituent la trame de La voix de île et qui l’aimera toute sa vie, la création mon père. Cet ouvrage se veut une véritable des trophées Félix remis aux artistes lors du lettre d’amour adressée à celui qu’elle appelle Gala de l’ADISQ, sont autant de souvenirs et plus d’une vingtaine de fois son héros, cet quelques autres encore souvent fort heureux, homme plus grand que nature qu’elle élève, qu’elle évoque avec une économie de mots tout au long de sa narration, au rang de et non sans émotion et sentiment. Certains géant, de demi-dieu. Il peut aussi être perçu sont pour le moins traumatisants, tel celui comme un hommage que la directrice de qu’elle consacre, sans doute pour se libérer

L’AMOPALIEN DU QUÉBEC • 13 Notes de lecture qu’elle a eue, de « [c]réer un endroit pour le Société d’histoire des Filles du Roy elles signent plus d’une dizaine de biogra- souvenir de l’homme qu’il est et de l’œuvre Les Filles du Roy, pionnières phies : Irène Belleau (12), Marie Royal (12) qu’il écrit. Inventer un lieu de rencontre entre de Montréal et Lise Hébert (10). Yves Chevrier (11) est l’artiste et le public. Un lieu qui touche à l’in- Québec, Septentrion, 2017, 679[3] p. aussi très prolifique. À eux quatre, ils signent temporalité du poète » (p. 57). Elle tiendra 45 biographies, soit un peu plus de 63 % de sa promesse en créant, en haut de la côte qui ublié dans le cadre du 375e anniversaire l’ensemble. assure l’entrée dans son île, l’Espace Félix- Pde la ville de Montréal, Les Filles du Roy, Ces textes dépassent la simple biographie Leclerc, au début de ce siècle. pionnières de Montréal présente 71 de ces ou le travail du généalogiste. Ils se présentent Les quatorze textes de la section « Devenir femmes aussi courageuses que déterminées à peu près tous de la même façon, selon sans vieux », la quatrième partie, sont consacrés qui, entre 1663 et 1673, ont choisi de venir doute un canevas bien arrêté. D’abord chaque exclusivement au père vieillissant, forcé conquérir ce que l’on a appelé la Nouvelle- biographe présente rapidement les origines d’arrêter de chanter, en raison d’un souffle France, ce nouveau pays qu’elles ont contribué de la fille du Roy avec, quand il est possible, trop court causé par l’asthme et par l’appa- à développer, sans toutefois recevoir la recon- la date et le lieu de naissance, les noms des rition d’une note grave « venue s’ajouter naissance des historiens, tant ceux de la petite parents, parfois même du parrain et marraine, au registre de sa parole » (p. 66) jusqu’à que de la grande Histoire. Publié sous la direc- la date de son départ en identifiant quand il la mort implacable de celui qu’elle croyait tion de la Société d’histoire des Filles du Roy, est connu le nom du bateau qui l’a amenée indéracinable. L’arbre qu’elle croyait éternel dont notre collègue Irène Belleau est la prin- en Nouvelle-France, et la date de son arrivée (p. 38), a fleuri (p.49), puis a grandi (p.62), cipale animatrice, comme on le sait au sein à Québec d’abord puis son arrivée à Ville- puis a mûri (p.67), maintenant il a vieilli de l’AMPOA Québec, cet ouvrage veut avec Marie ou Montréal. Toujours sont précisés (p. 81), avant de tomber (p. 86), le 8 août raison rendre hommage aux fondatrices de aussi la date du ou des mariages (plusieurs en 1988, ce qui marque, pour la mémorialiste, Montréal et reconnaître une fois pour toute ont contracté au moins deux, parfois jusqu’à désormais « Seule » (cinq textes), dans le l’héritage qu’elles ont laissé. Car sans ces quatre) de même que le nom de l’heureux cinquième volet, sa propre « fin du monde ». femmes uniques qui ont rendu possible l’im- élu avec, souvent, les noms de ses parents, la Mais comment désormais « Vivre ? » (dix- possible, serais-je tenté d’ajouter, la société date de son arrivée le métier qu’il a exercé ici. huit textes) quand le guide n’est plus là. québécoise que nous connaissons avec les Comme ces femmes ont travaillé sans relâche Comment « apprivoiser le vide » ? (p. 90). valeurs qu’elle présente ne se serait jamais à remplir la mission que leur avait confiée le Comment survivre à ce « grand coup de développée telle qu’on la connaît aujourd’hui. roi Louis XIV de peupler la Nouvelle-France, poing en plein visage » ? (p. 91). Comment C’est à un véritable travail de généalogie les historiennes et historiens en herbe ont vivre « [s]on quotidien vide du père » (p. 99). que se sont consacrées les quelque seize colla- poussé leurs recherches pour livrer pour Se tourner intensément vers la musique, puis boratrices et collaborateurs, quatorze femmes chacune les noms des enfants qu’elles ont mis la lecture, celle d’À la recherche du temps et deux hommes seulement. Certaines d’entre au monde, avec les dates et lieu naissance, la perdu, pour brouiller son désespoir (p. 96), date des décès dans plusieurs cas, car le pays voyager en Europe avec une amie, avec n’était pas de tout repos. Ces chercheur-e- arrêt en Suisse pour visiter le village qu’elle s ont encore dépouillé les actes de notaires a habité et l’école qu’elle a fréquentée… pour documenter les diverses activités que ces Elle doit apprendre à vivre sans lui et pionnières et pionniers ont menées : achats de s’accroche, comme le démontrent les trente terres ou de concessions, de matériel, d’ani- textes de la dernière section, « Vie », puisqu’il maux, etc. On y trouve même, à l’occasion, faut pourtant continuer à vivre malgré l’ab- quelques malversations qui en ont conduit sence de celui qu’elle a toujours admiré, en quelques-uns en justice, voire en prison pour rappelant des souvenirs, des anecdotes, des vols ou viols. gestes, qui montrent que la fille de Félix a Voilà certes un ouvrage qui se lit tout de apprivoisé les mots et a su maîtriser sa colère même bien, malgré les redondances ou les et donner libre cours à ses sentiments pour répétitions d’une notice à l’autre. Les histo- rappeler à ses lecteurs et lectrices un père riens, les amateurs d’histoire, comme moi, vivant, un véritable géant. sauront y trouver de belles heures de loisirs et Il faut souligner la qualité de l’écriture garderont ce livre à portée de la main, heureux de Nathalie Leclerc et l’encourager à pour- qu’ils seront d’y retourner pour y trouver une suivre dans cette voie pour notre plus grand foule de renseignements précieux et souvent bonheur, malgré, parfois, quelques images inédits. Quelle utilité que la Société des Filles poétiques un peu forcées. Aurélien Boivin du Roy ! Aurélien Boivin

14 • L’AMOPALIEN DU QUÉBEC Le saviez-vous ? Jacques Mathieu Un autre anniversaire étonnant

Canadensium Plantarum Historia, Jacques Philippe Cornut, Paris, 1635. Source : www.museum-requien.org/

anadensium Plantarum Historia, le premier livre la publication de La vie méconnue de Louis Hébert et Marie de plantes du Canada, a été publié en latin à Paris Rollet, où le rôle joué par l’apothicaire dans le transfert de en 1635. Samuel de Champlain vivait encore. Il ces plantes canadiennes d’abord au jardin de l’École de Ccontient 45 plantes du Canada, décrites, magnifiquement médecine à Paris, puis au Jardin du Roi dès sa création en illustrées et inconnues jusque-là en Europe. Or, en 1967, 1635 et enfin par toute l’Europe au cours des décennies soit il y a précisément 50 ans, comme thèse de maîtrise, le suivantes est mis en évidence. latiniste André Daviault, Amopalien, a traduit cet ouvrage Enfin, cette traduction a favorisé l’introduction en français. Monsieur Daviault est devenu professeur à d’éléments nouveaux dans la célébration du l’Université Laval et a même agi comme doyen de la Faculté 400e anniversaire de l’installation de la famille Hébert- des lettres vers la fin de sa carrière. Rollet à Québec. Elle a donné lieu à de nombreuses activités Cette traduction cinquantenaire a connu un destin et réalisations. Une exposition sur l’histoire de la pharmacie remarquable. Elle a été intégrée à une recherche publiée se tient de juin au 22 décembre dans deux locaux de la par Jacques Mathieu en 1998. Par la suite, elle a en quelque bibliothèque de l’Université Laval. Début juin, des centaines sorte constituée l’amorce des trois tomes d’un ouvrage à de pharmaciens venus du Canada et de partout dans le son tour de qualité remarquable : Curieuses histoires de monde se sont réunis à Québec. Une exposition itinérante plantes du Canada, par les auteurs Alain Asselin, Jacques a été conçue et réalisée. Un carré de l’apothicairesse, en Cayouette et Jacques Mathieu. Récemment, elle a permis guise de legs de Louis Hébert a été aménagé au Monastère des Augustines de Québec. Comme quoi une démarche scientifique fondamentale peut avoir des retombées extraordinaires dans le temps !

L’AMOPALIEN DU QUÉBEC • 15 Vie de nos membres

Irène Belleau. A collaboré, avec Décès de Madame Nadia Assimopoulos douze biographies, à l’ouvrage Les Filles C’est avec regret que nous avons appris la triste nouvelle de la du Roy, pionnières de Montréal publié disparition, le 11 octobre, de Madame Nadia Assimopoulos (née chez Septentrion. Constantine Bredimas), membre de l’AMOPA Québec depuis sa Robert Boily. A été nommé à la So- fondation. Elle était âgée de 73 ans. Pour ceux et celles qui la ciété royale du Canada (septembre 2017). connaissaient peu, Madame Assimopoulons, diplômée de la Sorbonne Aurélien Boivin. A été nommé et de l’Université de Montréal, a été présidente du Conseil national du membre honoraire du Centre de re- Parti Québécois, vice-présidente et présidente par intérim de ce parti. cherche interdisciplinaire sur la littérature Elle a été nommée, en 1996, présidente du Conseil supérieur de la langue et la culture québécoises (CRILCQ). Il a française, poste qu’elle a occupé jusqu’en 2005. Outre le grade de Chevalière dans l’Ordre de plus été nommé membre du Conseil Palmes académiques, elle a reçu le même grande dans l’Ordre du Mérite décerné aussi par la d’administration du Salon internatio- République française. nal du livre de Québec. Il a publié deux À sa famille, parents et amis, les membres de l’AMOPA Québec présentent leurs plus comptes rendus dans no 15 de la revue sincères condoléances avec l’assurance de leurs meilleures pensées. Rabaska. Cécile Dubé. Publiera au printemps Les membres de l’AMOPA Québec souhaitent un prompt rétablissement à Madame 2018 un nouveau roman intitulé Aux Françoise Bayle, responsable du protocole signé avec le Guatemala auquel participe la brumes de la mémoire, aux Éditions GID. section. Ils l’assurent que toutes leurs bonnes pensées l’accompagnent. Simon Langlois. A été nommé Prompt rétablissement aussi à notre collègue et ami Yvan Grégoire avec également nos (septembre 2017) professeur émérite meilleures pensées. de l’Université Laval. Il a publié Le Qué- AURÉLIEN BOIVIN bec change. Chroniques sociologiques, chez Del Busso éditeur à Montréal. Il en a fait paraître un résumé dans La Presse du dimanche 10 septembre sous le titre « La nouvelle polarisation gauche- droite ». Jacques Mathieu. A publié chez Septentrion, avec la collaboration d’Alain Asselin, La vie méconnue de Louis Hébert et Marie Rollet. Il a donné plusieurs confé- rences sur le même sujet un peu partout au Québec. Lionel Meney. A publié aux Presses de l’Université Laval Le français québécois entre réalité et idéologie : Un autre regard sur la langue. Étude sociolinguistique. Denis Monière. A prononcé une conférence intitulée « Le sens gaullien de la nation exprimé dans les discours Réception chez Madame prononcés lors de la visite au Québec du Général de Gaulle », au colloque com- la Consule générale de France mémoratif « Vive le Québec libre ! Les à Montréal retombées de la visite du Général de Gaule au Québec en juillet 1967 », les 26 et 27 mai 2017. Il a publié un article inti- Le 28 mars dernier, plusieurs membres de l’AMOPA Québec, comme en tulé « Québec solidaire et l’indépendance témoignent les photos, ont répondu à l’invitation de la Consule générale de du Québec », dans l’aut’journal, le 15 août France à Montréal, Madame Catherine Feuillet, qui désirait rencontrer nos 2017. membres. La réception a été de grande et de belle qualité. Elle a été l’occasion Rémi Quirion. A été élu président du d’intensifier nos liens avec les autorités françaises à Montréal et de préparer comité Art et Santé au Musée des Beaux- d’éventuelles collaborations. Soyez remerciée, Madame la Consule, pour votre Arts de Montréal. invitation.

16 • L’AMOPALIEN DU QUÉBEC