LE LIEU DIT LA COUTURELLE A SAILLY-EN-OSTREVENT (PAS-DE-) : UNE POSITION STRATEGIQUE MILITAIRE ?

La mise en ligne depuis une dizaine d’années des photographies satellitaires permet la détection de nouveaux sites archéologiques non visibles depuis le sol. Cette notice présente les recherches effectuées sur un hypothétique fort et un campement militaire du XVIIème siècle, détectés sur la commune de Sailly-en-Ostrevent via cet outil.

1 Contexte géographique

La commune de Sailly-en-Ostrevent se situe dans le canton de Vitry-en-Artois, pratiquement au centre du triangle formé par les villes d’, de Douai et de Cambrai (fig. 1). Le territoire communal est traversé par le ruisseau Le Trinquise (ou en patois local, Le Trinquiche) prenant naissance plus à l’ouest dans le Marais des Places à Roeux et allant se jeter à l’est dans La Marche Navire , ruisseau plus important situé sur la commune d’Etaing.

Fig. 1 : localisation de Sailly-en-Ostrevent (étoile rouge), au centre du triangle formé par les villes d’Arras, de Douai et de Cambrai (source geoportail.gouv.fr).

2 Contexte archéologique

L’ouvrage consacré à la Carte archéologique du Pas-de-Calais sous la direction de M. Roland DELMAIRE, condense la documentation archéologique de cette commune. Ainsi il a été recensé sur son territoire deux villae gallo-romaines et des indices d’activités domestiques ou artisanales antiques1. Mais l’élément patrimonial le plus intrigant reste le mont des Sept Bonnettes. Ce monument est un tertre surmonté d’un cromlech de cinq pierres (à l’origine six pierres dressées en cercle et une septième pierre érigée en son centre). La fonction et l’appartenance chronologique de

1 R. DELMAIRE et alii , Carte Archéologique de la Gaule : Le Pas-de-Calais 62/2, 1993 ce monument restent à ce jour imprécisées. Toutefois une campagne de fouilles menée en 1877 par la Société d’Agriculture, Sciences et Arts de Douai a tenté de répondre aux nombreuses questions que soulève ce monument 2. Mais l’ensemble des hypothèses émises reste encore sujet à discussion.

En 1926, Léon DESAILLY 3 émet l'hypothèse d’un signal aux feux émis sur ce monticule qui serait à mettre aussi en relation avec un fort situé le long de l’actuel ruisseau du village.

« […] J’en arrive maintenant aux nouveaux renseignements recueillis sur ce monument. C’est spécialement l’existence d’un « fort » important érigé dans son voisinage.

Un document daté de 1607 mentionnant une vente de terrains de la seigneurie de Sailly, indique qu’ils se trouvaient près du « fort » existant dans le village. Renseignement pris, le lieu-dit le « fort » existe toujours au cadastre de cette commune.

Quant à l’emplacement du fort, j’ai pu facilement le déterminer, puisqu’il est figuré sur les cartes anciennes et se trouve encore sur celle de Lerouge, rééditée en 1702 par Frick, de Bruxelles.

Ce « fort » était bâti sur la rivière aujourd’hui appelée le Trinquige, qui coule au pied de la colline, au sommet de laquelle se trouvent les sept bonnettes. Il est assez logique d’admettre qu’il a pu exister une relation entre lui et le Signal aux feux. […] »

Notons de suite que la carte ancienne de LEROUGE, rééditée en 1702 par FRICK, avancée par Léon DESAILLY est introuvable dans les bases de données classiques, archives départementales et à la bibliothèque nationale de . De plus, après vérifications sur les feuilles cadastrales récentes et anciennes, aucune mention de lieu-dit le « fort » n’a été remarquée. Et enfin le document daté de 1607 mentionnant une vente de terrains de la seigneurie de Sailly, n’a pas été lui aussi, retrouvé à ce jour.

3 La documentation photographique

Néanmoins, riche de cette localisation approximative, un survol du ruisseau grâce l’application Google Map 4 a permis d’identifier des indices au sol d’une parcelle, situés à une trentaine de mètres du cours d’eau Le Trinquise et pouvant correspondent aux indications laissées par Léon DESAILLY (fig. 2).

2 A. BREAN, Exploration du Tumulus dit les Sept Bonnettes : compte rendu, 1877 3 Léon DESAILLY, ingénieur civil des Mines, membre de la Société Préhistorique Française de 1906 à 1933, il en tient la présidence en 1926. 4 https://www.google.com/maps/place/62490+Sailly-en- Ostrevent/@50.2867317,2.982087,233m/data=!3m1!1e3!4m5!3m4!1s0x47c2b5144d4a1c09:0x40af13e8163d 7d0!8m2!3d50.289526!4d2.993226

Fig. 2 : repérage des indices par photographie satellitaire 2020 (source Google Map). Cette découverte se compose en trois éléments : un fossé rectiligne orienté nord-ouest sud-est repéré sur une longueur de 180 m, un fossé suivant le relief du terrain naturel repéré sur une longueur de 165 m et un aménagement tréflé mesurant approximativement 43x41 m dans lequel on distingue une structure cruciforme de 20x15 m.

Une recherche complémentaire par les photographies aériennes plus anciennes accessibles grâce l’application Remonter le Temps de l’IGN 5, a permis de souligner plusieurs détails non visibles sur la photographie de Google Map datée de 2020. Ainsi une photographie de 1994 (fig. 3) montre deux fossés parallèles orthonormés au fossé rectiligne. Pourrait-il s’agir d’un accès ?

Fig. 3 photographie aérienne de 1994. Entouré de rouge, un accès ? (Source remonterletemps.ign.fr). Une autre photographie de 2012, met en évidence des ruptures au niveau du fossé longeant le relief (fig. 4). Peut-on supposer la conservation d’indices architecturaux militaires caractéristiques ?

5 https://remonterletemps.ign.fr/

Fig. 4 : photographie aérienne de 2012. Entourés de rouge, des redents ? (Source remonterletemps.ign.fr). Ces observations suggèrent la reconnaissance d’un site patrimonial oublié. Il s’apparenterait à un lieu militaire délimité par des fossés et par des aménagements singuliers. Cet espace clos renfermerait une structure comparable à un fortin. Cette dernière occurrence semble comparable à la représentation du fort du Riez à dans le Pas-de-Calais 6 ainsi qu’à la fortification de la Macquenoise dans l'Aisne 7 (fig. 5).

Fig. 5 : comparaison entre le site de Sailly-en-Ostrevent (à gauche), la représentation du fort de Fruges (au centre) et la fortification de la Macquenoise (à droite).

4 La documentation cartographique

Le site se situe au lieu-dit La Couturelle, bute naturelle de limon lœssique du quaternaire, jouxtant le lieu-dit Marais de la Ville , zone d’alluvions récentes de l’holocène 8 délimité au sud par le chemin rural dit Chemin du Marais situé en contrebas d’un talus (fig. 6).

6T. BYHET-BONVOISIN, Le fort du Riez à Fruges (Pas-de-Calais) https://placesfortes.hypotheses.org/534

7F. DE QUICK, La fortification de Macquenoise (Aisne) : une maison forte ? https://placesfortes.hypotheses.org/1137

8 Données issues de la carte du BRGM

Fig. 6 : extrait cadastral (source cadastre.gouv.fr, 2021). L’étude des données cadastrales anciennes complètent aussi notre investigation. Ainsi sur le cadastre de 1825, à l’emplacement même de la structure tréflée, se trouve la parcelle quadrangulaire Section E numéro 562 (fig. 7). Cette parcelle, d’une trentaine de mètres de côté, toujours visible un siècle plus tard sur la feuille cadastrale E de 1936-1966 sous le numéro 47, pourrait délimiter l’espace du dit-fortin. Cette parcelle disparait ensuite après le remembrement de 1966.

Fig. 7 : la parcelle Section E n°562 du cadastre de 1825

5 La documentation écrite 5.1 L’ouvrage d’Alcius LEDIEU

L’ouvrage d’Alcius LEDIEU relate les événements historiques régionaux du XVIIe siècle et mentionne les épisodes du siège d’Arras en 1640, durant lequel les armées françaises et espagnoles ont établi leur quartier général à Sailly-en-Ostrevent. Voici quelques extraits soulignant ces mouvements de troupes.

« […] c'est le 26 ou le 27 mai que fut résolu le siège d'Arras. […]

[…] En même temps, Louis XIII envoyait un courrier à la Meilleraye 9 lui donnant l'ordre de se porter sur Arras. […]

[…] Les maréchaux de Chaulnes et de Châtillon, tout en conservant leur quartier général à Bruay, s'avancèrent sur les hauteurs du Mont-Saint-Eloy. En même temps, le maréchal de la Meilleraye, ayant quitté les environs de Guise, passa entre Cambrai et et alla camper aux environs de Douai, près de Vitry et de Sailly-en-Ostrevent, de sorte que les deux armées parurent le même jour et presque à la même heure en vue d'Arras (mercredi 13 juin). [...] »10

« […] La Meilleraye établit son quartier général au château de Bellemotte à Blangy-lès-Arras ; c'est là que plus tard on conduisit les otages et que l'on y convint des articles de la capitulation. Son armée, protégée par un marais et par la Scarpe, fut divisée en quatre corps ; les régiments étrangers à la solde de la France, qu'il destinait pour la réserve, s'établirent près de la contrevallation. [...] 11 »

La ville d’Arras est donc assiégée, prise en tenaille par deux grandes armées françaises et des travaux de circonvallation sont entrepris. Afin d’apporter du secours et des renforts aux assiégés, le cardinal- infant, Ferdinand d’Autriche 12 , envoya le général Guillaume de Lamboy 13 (fig. 8) avec pour mission de rentrer dans Arras mais surtout d’interrompre les travaux des assiégeants. Celui-ci prit position près de Sailly-en-Ostrevent.

« […] Lamboy s’était retranché près du village de Sailly-en-Ostrevent. Son dessein était de faire entrer du secours dans Arras, et, à cet effet, il envoyait souvent reconnaître les lignes. […] »14

9 Charles II de La Porte (né en 1602 à Paris, mort le 8 février 1664 à Paris), fils de Charles Ier de La Porte (fils de François de La Porte et de sa deuxième femme Madeleine du Plessis-Piquet) et de Claude de Champlais, marquis puis 1er duc de La Meilleraye, duc de Rethel et pair de France, baron de Parthenay et de Saint-Maixent, comte de Secondigny, seigneur du Boisliet, de La Lunardière, de La Jobelinière, de Villeneuve, est un gentilhomme et militaire français du XVIIe siècle. Il est fait maréchal de France en 1639.

10 LEDIEU page 124

11 LEDIEU page 127

12 Ferdinand d’Autriche (en espagnol, cardenal-infante don Fernando de España ; en allemand, Ferdinand von Österreich), appelé don Fernando ou encore cardinal-infant, né en 1609 ou en 1610 au palais de L’Escurial, mort le 9 novembre 1641 à Bruxelles est un gouverneur des Pays-Bas espagnols, cardinal, infant d’Espagne, archevêque de Tolède (1619-1641) et un chef militaire de la guerre de Trente Ans.

13 Guillaume de Lamboy (né probablement en Flandre vers 1600, mort le 12 décembre 1659 à Dymokury en Bohême) fut un chef de guerre au service du Saint-Empire romain germanique, officier général pendant la guerre de Trente Ans.

14 LEDIEU page 131

Fig. 8 : le général Guillaume de Lamboy, portrait gravé en 1649

5.2 L’ouvrage d’Achmet D’HERICOURT

Sailly-en-Ostrevent situé à une quinzaine de kilomètres seulement d’Arras, est une position stratégique qui permet au général Lamboy d’envoyer régulièrement des raids soit pour pénétrer dans la ville, soit pour déstabiliser l’avancement des travaux de circonvallation. L’un de ses raids a été à l’origine d’une confrontation sanglante sur les terres saillysiennes comme l’explique Achmet D’HERICOURT dans son ouvrage paru en 1844 15 .

« […] Lamboi prévit cette manœuvre, et alla établir son camp à Sailly, à trois petites lieues d’Arras, dans des marais où il était difficile de l’attaquer. De là, il envoyait continuellement des détachemens soit pour pénétrer dans la ville, soit pour arrêter les travaux de circonvallation. Mais jusqu’à ce que les lignes fussent finies, une forte garde veillait chaque nuit. Lamboi, voyant qu’il avait déjà échoué plusieurs fois, et sachant combien il était important de faire entrer un secours dans la ville, résolut de mettre tout en œuvre pour une attaque décisive. Il prit avec lui deux mille cavaliers, et ses coureurs s’avancèrent jusque dans le camp Français, afin de savoir de quel côté il pourrait plus facilement secourir la place. Les cornettes 16 , sous la conduite du lieutenant-colonel Rab, leur opposèrent une vigoureuse résistance, et les forcèrent de se replier, après avoir perdu beaucoup de monde, et laissé vingt-cinq ou trente des leurs au pouvoir de l’ennemi. Sur ces entrefaites le régiment de cavalerie du

15 A. D’HERICOURT, Les Sièges d’Arras, Histoire des expéditions militaires dont cette ville et son territoire ont été le théâtre, 1844 16 Sous l'Ancien Régime, étendard d'une compagnie de cavalerie. maréchal de la Meilleraie poursuivit les fuyards, et tomba dans l’embûche dressée par Lamboi. Néanmoins il se défendit si vaillamment que les Espagnols, quoiqu’ils eussent tué cinq ou six capitaines et un grand nombre d’autres officiers, ne purent jamais l’entamer. Le maréchal de la Meilleraie, ayant appris ce qui se passait, monta à cheval et réunit autour de lui deux mille cinq cents cavaliers avec lesquels il attaqua vivement les Espagnols. Ceux-ci plièrent d’abord, mais quand ils furent en plaine, ils se rallièrent et opposèrent une vigoureuse résistance. […]

[…] L’attaque fut rude ; les Espagnols renversés furent culbutés sur leurs propres retranchements. Alors l’impétuosité Française ne put être arrêtée ; plusieurs officiers se précipitèrent à la suite des fuyards avec une bravoure qui leur fut funeste. L’artillerie ennemie, en effet, fit un feu si nourri sur les bords de la rivière, où les hommes étaient dans l’eau jusqu’au ventre, que les Français furent contraints de se retirer après toutefois avoir tué beaucoup de monde, à tel point que les fossés étaient pleins de corps ennemis ; ils emmenaient avec eux quatre cornettes et autant de drapeaux. […] »17

6 Eléments de synthèse

L’accès en ligne des images satellites et des photographies aériennes anciennes, permet de nos jours de découvrir de façon simple de nouveaux sites archéologiques. Le repérage de ces sites, couplé à une recherche bibliographique, pouvant se faire elle aussi en ligne via Google Book, peuvent parfois nous amener à redécouvrir une histoire locale ou un patrimoine oublié. Il semble que ce soit le cas ici à Sailly-en-Ostrevent. Toutefois cette méthodologie a ses limites. Pour la découverte de Sailly-en- Ostrevent elle soulève un certain nombre de questions demandant des recherches approfondies.

La structure tréflée trouvée sur le site de Saillly-en-Ostrevent est-elle le fort mentionné par Léon DESAILLY ou, heureux hasard, s’agit-il d’un autre fort ? La question se pose car les documents et arguments avancés par l’auteur sont soit introuvables soit invérifiables.

Un phasage du site ne peut être établi uniquement avec les données issues de l’imagerie et de la bibliographie. Le fort (s’il en est un !) semble avoir été érigé bien avant l’arrivée des troupes d’une quelconque armée comme le suggère le document daté de 1607 énoncé par Léon DESSAILLY. Mais existait-il encore en 1640 ?

On pourrait penser que le dit fort, ait perduré dans le temps et dans ce cas, nous devrions retrouver sa trace (mention, représentation…) dans d’autres documents cartographiques. Pourtant il n’en est rien. Des recherches approfondies, sont restées stériles. Il semble toutefois que le terrain soit resté marqué pendant un certain temps, créant ainsi une parcelle cadastrale.

Pour finir, le relief favorable à position deffensive et la présence de redents sur le réseau fossoyé semblent confirmer l’emplacement d’un campement de troupes. Il est impossible en l’état de la recherche d’affirmer avec certitude que les troupes de la Meilleraye aient stationné à cet endroit de Sailly-en-Ostrevent, les textes étant imprécis à ce sujet. Cependant, la description d’Achmet d’Héricourt est concordante à la description actuelle du site (zone de marais, rivière coulant à proximité…) laissant entrevoir la possibilité d’un campement espagnol dirigé par le général Lamboy.

Tout ceci doit rester bien sûr, sous forme d’hypothèses qu’ils seraient bon de confronter à des méthodes archéologiques classiques comme la prospection pédestre, les sondages ou la prospection archéo-magnétique. Ceci afin de compléter la documentation et d’ouvrir de nouveaux champs d’investigations.

17 D’HERICOURT, pages 178 à 180

Bibliographie

R. DELMAIRE et alii, Carte Archéologique de la Gaule : Le Pas-de-Calais 62/2, 1993

A. BREAN, Exploration du Tumulus dit les Sept Bonnettes : compte rendu, 1877

Léon DESAILLY, Les Sept Bonnettes de Sailly en Ostrevent (Pas de Calais), Bulletin de la Société Préhistorique de France, 1926

A. LEDIEU, La guerre de trente ans en Artois, 1890

A. D’HERICOURT, Les Sièges d’Arras, Histoire des expéditions militaires dont cette ville et son territoire ont été le théâtre, 1844

Ressources en ligne

https://www.geoportail.gouv.fr/carte https://www.google.fr/maps https://remonterletemps.ign.fr/ https://placesfortes.hypotheses.org/534 https://placesfortes.hypotheses.org/1137 https://books.google.fr/?hl=fr