Franz Ackermann Voyages Parallèles ANETA PANEK

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Franz Ackermann Voyages Parallèles ANETA PANEK art press 314 vacances éternelles Franz Ackermann voyages parallèles ANETA PANEK Le Frac de Champagne-Ardenne, à Reims, présente, jusqu’au 30 octobre, la première grande exposition entièrement dédiée à Franz Ackermann en France. L’exposition montre des peintures pénétrables, à l’intérieur desquelles les grandes toiles, les plaques tournantes et les fresques se confondent avec des objets, dessins, gouaches et aquarelles – les «cartes imaginaires», sur lesquelles, depuis plus de dix ans, l’artiste transcrit ses voyages réels et imaginaires. On pourra aussi voir ses œuvres à la rentrée, à la Biennale de Lyon. Au milieu des années 1990, Hans-Ulrich Obrist (1) avait pour la première fois utilisé le terme d’«artiste migrateur» pour décrire un phénomène nouveau dans l’art contemporain : «Aujourd’hui, la plupart des artistes mènent une vie de nomade. Ils n’ont pas d’adresse fixe, ni d'atelier propre. Ils voyagent d’une exposition à l’autre, ils passent la majorité de leur temps dans les aérogares.» Franz Ackermann est assurément un artiste migrateur : depuis 1990, il est constamment en voyage. Ses travaux les plus célèbres, les Mental Maps (Cartes imaginaires), sont créés dans les chambres d’hôtel, les cafés, les avions, les aérogares, les bus ou les trains. Ce sont des cartes imaginaires, sur lesquelles, comme dans un kaléidoscope, se mélangent les souvenirs, la fantaisie et la réalité. On y reconnaît des fragments de plans, de cartes postales et de prospectus. Un bazar de Damas se confond avec un gratte-ciel de Hong-Kong, les paysages illuminés de grandes villes évoquent Metropolis, le film de Fritz Lang, et le Brasília d’Oscar Niemeyer se juxtapose à la Saddam-City de Bagdad. Rien n’est reconnaissable au premier coup d’œil, mais tout paraît étrangement familier. En 1993, Franz Ackermann, l’artiste sans attaches, loue un atelier à Berlin, «juste un pied-à-terre» qui lui sert de «base et dépôt». Installé dans l’ancienne centrale électrique Klingenberg, dans le quartier Köpenick – le plus triste de Berlin-Est –, ce n’était qu’un hangar industriel en ruines, lorsque l’artiste l’a aménagé : la pièce principale est réservée aux tableaux de grands formats (huiles sur toile), les fresques et les installations, qu'un groupe d’assistants et de métallurgistes l'aide à construire ; un petit bureau est dédié aux travaux de dessins et d'aquarelles. L’artiste y amasse les notes et les esquisses qu’il ramène de ses voyages, ainsi que les idées nouvelles et les projets de grands formats. Lui-même, toutefois, n'y séjourne presque jamais, car il est toujours en mouvement. À Berlin, lorsqu’il traverse la ville à vélo pour se rendre dans son atelier, il se croit en voyage. Cette ville est pour lui un chantier géant, un moloch chaotique et fascinant, constamment en mouvement et en transformation, une sorte de patchwork géant – comme ses dessins de métropoles. Lors de ses expéditions lointaines, Ackermann dessine, photographie, collecte coupures de journaux et cartes postales – ainsi se forment ses archives, sources des idées qu’il concrétise dans son atelier berlinois. De nombreux dessins sont réalisés sur le vif, d’autres de mémoire, à partir d’un souvenir – comme «un enregistrement rétrospectif du dynamisme et de l’énergie» des lieux qu’il a visités, ou bien de leur «ennui et mélancolie». Les tableaux et les fresques qu’il produit à Berlin sont toujours des grands formats, «avec leur propre vie». Ils se développent en fonction de l’espace d’exposition. Ils «sortent» de leur cadre et se transforment en environnements, ils occupent l’espace de l’atelier, de la galerie, ou du musée, ils s’approprient les objets environnants, les meubles, les maquettes d’architecture, les photographies, les vidéos, une grille, un sac de couchage et autres accessoires de voyage et, parfois même, une «tête de chou» (!). En général, Ackermann laisse inachevés les tableaux en préparation dans l’atelier, «afin de préserver leur vitalité». Il réserve des plages blanches sur ses toiles et ses fresques, qu’il remplit peu à peu avec de nouveaux motifs. Puis il les intègre aux environnements qu’il réalise directement dans la salle d’exposition – telle une impression sur le vif de son séjour dans la nouvelle ville où il expose. C’est ainsi qu’il a travaillé à Reims. «Ce qui est fascinant dans cette méthode de travail – explique-t-il –, c’est que jusqu’au dernier moment je ne sais pas de quoi ça va avoir l’air à la fin. Je connais juste l’idée générale qui est d’exprimer mes obsessions habituelles : la lumière, la peinture, l’illusion et le voyage, le mouvement, le temps. Le reste viendra sur place, sous l’influence de Reims, de sa cathédrale et de ses poubelles.» Le sens de son travail est dans «l’action spontanée». Quant aux petits formats, Ackermann les transporte toujours avec lui, dans son bagage à main. Les travaux de grandes dimensions (projets de peintures murales et huiles sur toile), sur lesquels il a commencé à travailler à Berlin, il se les fait envoyer à l'hôtel. C’est le matériel de base à partir duquel il construit une installation ou monte une exposition. Une telle méthode de travail lui laisse la liberté de réagir spontanément ou de tout changer face aux nouvelles situations, lieux et paysages. Quand il quitte Berlin pour préparer une exposition, il n’emporte qu’une boîte de peinture contenant les quatre couleurs primaires, une bouteille de térébenthine et quelques pinceaux, afin de travailler sur les tableaux jusqu’au dernier moment, juste avant l’ouverture de l’exposition. C’est en voyage, en mouvement, qu’Ackermann travaille le mieux. «Les voyages lointains, pour lesquels il fallait trois ans, aujourd’hui nous pouvons les faire en deux semaines, grâce à la mondialisation, aux nouveaux médias et à la circulation extrêmement rapide de l’information, le monde a rétréci jusqu’aux dimensions d’un village ! » Son travail est toutefois un commentaire sarcastique des effets de la modialisation, de la culture de masse et du tourisme. Ackermann est en même temps observateur critique de ces phénomènes et participant conscient. Voyage en Asie Tout commence très tôt, après ses études. En 1990, dans le cadre d’une bourse du Deutscher Akademischer Austausch Dienst (DAAD), Ackermann part pour Hong-Kong et, fasciné, il y reste beaucoup plus longtemps que prévu. Pour gagner un peu d’argent, il distribue des prospectus dans le quartier financier, travaille dans une galerie d’art ou fait de la figuration pour le cinéma. C’est alors qu’il crée ses premières Mental Maps. Pour des raisons pratiques (et financières), ce sont des petits formats, dessinés sur des feuilles de bloc de papier chinois bon marché de 13 x 19 cm. Ackermann dessine tout le temps et partout. Les chambres d’hôtel qu’il peut payer à cette époque ont «en moyenne» (sic !) 5 m2 de superficie, «niche de toilette» incluse. L’adaptation à de telles conditions de vie lui prend six mois. Mais aujourd’hui, il dit pouvoir se passer du strict minimum et, avec un peu d’imagination, même la chambre d’hôtel la plus étroite peut se transformer en un atelier et la table de nuit peut servir de planche à dessin. Lors de ce premier séjour en Asie, il est déjà constamment en mouvement, toujours en voyage. Depuis Hong-Kong, il part pour Manille, le port principal des Philippines, de là il prend le bateau pour Sumatra, puis visite l’Indonésie, Jakarta, Singapour, la Malaisie, Bangkok, et le Vietnam, qui vient d’ouvrir ses frontières. Il rentre à Hong-Kong par le Cambodge et le sud de la Chine aux métropoles pittoresques. Un bateau le conduit à Shanghai et de là à Pékin, où il reste encore un mois. Pour entrer en Europe, il prend le transsibérien et multiplie les escales : un mois à Ulan Bator, une semaine à Irkouk, un autre mois à Moscou, quelques jours à Minsk, deux mois à Varsovie, ses arrêts devenant de plus en plus courts et furtifs, jusqu’à son retour «à la maison». Depuis, Ackermann ne cesse de voyager – c’est ainsi qu’il travaille aujourd’hui. En voyage, il préfère s’arrêter dans des petits hôtels au confort rudimentaire. Ainsi, pendant son séjour à Buenos Aires, il a séjourné dans un vieil hôtel postcolonial en ruines, aux vérandas envahies de végétation sauvage et aux cours négligées. «Il fallait faire le ménage soi-même, en revanche je pouvais mettre une grande table supplémentaire dans ma chambre, et plaquer tous les meubles contre le mur créant ainsi un atelier temporaire idéal pour quatre semaines.» Ackermann voyage aussi bien dans des grands centres de tourisme, comme Majorque ou Rimini, que dans des lieux de conflits culturels et sociopolitiques : Shanghai, Lagos, le Liban, la Syrie… Après les attentats terroristes et le massacre de touristes européens à Louxor, Djerba et Bali, il décide de voyager muni d’un gilet pare-balles portant une inscription en lettres blanches : «TOURIST». Après le 11 septembre 2001, tout a radicalement changé : «Tout à coup, on ne pouvait plus se déplacer librement. Voyager était devenu un acte politique. Et on a dû subitement se rendre à l’évidence que, constamment, quelque part dans le monde on mène des guerres pour des territoires, un fait qu’on avait presque oublié dans la folie de la modialisation.» Dans son œuvre, ces événements ont influencé le choix des thèmes – les nouvelles Mental Maps portent des titres comme Just More Riots (Des nouvelles émeutes) ou Incredible Terrible Beautiful (Incroyable terrible magnifique). Une nuit sous les tropiques Franz Ackermann est aujourd’hui un artiste reconnu, qu’on compte parmi les plus importants de sa génération.
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