Découverte de deux stations inédites de Calamagrostis stricta (Timm) Kœler dans le bassin du Drugeon (25)

par Max André et Yorick Ferrez

Max André, 30, rue Pergaud, F - 25300 Courriel : [email protected] Yorick Ferrez, 32b rue Plançon, F-25000 Besançon Courriel : [email protected]

Résumé - Les calamagrostides jurassiens. Historique et découverte de deux stations inédites de Calamagrostis stricta (Timm) Kœler dans le bassin du Drugeon, département du , .

Mots-clés : Bassin du Drugeon, Calamagrostis, espèce vulnérable, Natura 2000, phytogéographie, Doubs.

Le genre Calamagrostis Les Calamagrostis externe. Arête dépassant lon- Adans., Calamagrostide jurassiens guement les glumes. Feuilles à face inférieure d’un vert plus Des mots grecs « kalamos », roseau Six espèces sont présentes. La cho- foncé que celui de la face supé- et de « agrostis », herbe. rologie est établie d’après J.-F. ProSt, rieure, un peu luisantes. 2000.  Calamagrostis arundina- Ce genre de Poacées se caractérise cea (L.) Roth par des inflorescences rameuses, éta- Clé de détermination des lées ou resserrées ; les épillets uni- Calamagrostis susceptibles d’être  Arête droite de la glumelle infé- flores, longs d’au moins 4 mm, pos- rencontrés dans le massif juras- rieure ne dépassant pas l’épillet sèdent des fleurs entourées à la base sien établie d’après J. laMBinon et  par de longs poils. Ce sont des plan- al. (1999), G. Bonnier et r. douin Poils des fleurs dont la longueur tes herbacées à tiges raides, à feuilles (1990), Ch. Grenier (1865-1869), d. est légèrement inférieure à celle aeSChiMann et h.-M. Burdet (1994). des glumelles (caractère bien plates ou plus ou moins enroulées. visible à maturité). Plante sto-  Arête genouillée de la glumelle lonifère à tige raide ne formant Ce genre est très proche des Agrostis inférieure égalant ou dépassant pas des touffes. qui se caractérisent également par l’épillet  Calamagrostris stricta les épillets uniflores dont les fleurs (Timm) Koeler sont généralement dépourvues de  Poils nombreux égalant ou à poils à la base, ou à poils très courts. peine plus courts que la glu-  Poils des fleurs dont la longueur Notons par exemple que des espè- melle externe. Arête dépassant est égale ou plus grande que ces comme Agrostis agrostiflora (G. brièvement les glumes. Feuilles celle des glumelles. Beck) Rauschert (= A. schraderiana à face supérieure et inférieure Becherer) ont longtemps fait partie à peu près de la même cou-  Face supérieure des feuilles du genre Calamagrostis sous l’ap- leur, mates. munie de poils blancs plus pellation C. tenella Link., les fleurs  Calamagrostis varia ou moins épars. Glumelle étant pourvues de poils atteignant la (Schrader) Host inférieure à 5 nervures. moitié de la lemme. Ligule longue de 1 à 5 mm.  Poils peu nombreux 3-4 fois  Calamagrostis plus courts que la glumelle canescens (Weber) Roth

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Jura suisse : vallée de Joux, les Calamagrostis stricta (Timm) Kœler  Face supérieure des feuilles Taillères, vallon de la Brévine. (C. neglecta Gaertn.) : cette herbe glabre. Glumelle inférieure Doubs : Remoray, , Bonnevaux, vivace, à tige très raide, atteint de à 3 nervures. Ligule longue , . 40 à 80 cm de hauteur. Les feuilles de 4 à 12 mm. Jura : Bellefontaine, l’Abbaye, sont étroites et souvent enroulées en Lemuy. long. L’inflorescence est étroite et les - Arête insérée au milieu du Savoie : Aiguebelette. épillets sont disposés sur de courts dos de la glumelle externe. Isère : plateau de Crémieu . rameaux. Sur le terrain cette inflores- Glumes égales ou presque Beaucoup plus rare en basse alti- cence rappelle, par sa couleur essen- égales entre elles. Panicule tude, dans les bois marécageux et tiellement et en fonction de sa matu- dressée. au bord des étangs de la plaine rité, celle de la molinie bleue puis,  Calamagrostis epigejos du Jura en forêt de Chaux à Eclans- en fin de saison, celle de la houl- (L.) Roth Nenon et Our et de la Bresse à Pleure, que laineuse. La fleur est entourée Biefmorin, Tassenières, Champrougier de poils à peine plus courts que la - Arête insérée entre les deux et le Villey. Lieux humides et fossés glumelle inférieure et un petit appen- dents de l’extrémité de la de la vallée de la Saône et de la dice poilu (il s’agit d’une fleur rudi- glumelle externe. Glumes partie sous-vosgienne de la Haute- mentaire) les accompagne. L’arête inégales. Panicule pen- Saône. Très rare dans la Dombes et droite de la glumelle inférieure est chée. le Sundgau. Très rare dans le pays insérée très au-dessous du milieu et  Calamagrostis pseu- de Gex à Divonne. égale au maximum son extrémité. dophragmites (Haller Les fleurs s’épanouissent depuis la fil.) Koeler Calamagrostis epigejos (L.) Roth : fin du mois de juin jusqu’au mois espèce commune à la lisière des d’août. La calamagrostide raide pos- forêts et sur les talus dans la plaine sède une souche stolonifère si bien Calamagrostis varia (Schrader) du Jura, la Bresse dans son ensem- que les sujets ne forment jamais des Host : commun dans les forêts, ble, puis dans le pays de Gex et le touffes denses. les rocailles de toute la monta- Jura suisse, en basse altitude. La gne, depuis 800 m jusqu’aux som- plante est plus disséminée dans le Cette espèce circumboréale est extrê- mités, dans toute la dition sur les pays de Montbéliard, le Vignoble, le mement rare et menacée en France deux versants. Plus disséminé en Revermont, le bas Bugey, la plaine où elle est considérée comme vulné- moyenne altitude ; vient sur les côtes et la vallée de l’Ain, le Jura savoisien, rable (J.-M. roYer, 1995 in l. oliVier du Doubs à , sur les côtes sur le plateau de Crémieu, puis dans et al., 1995). Elle était jadis signa- de la Loue dans le ravin de Valbois, la montagne à -25 et jusqu’à lée de Suisse, proche de nos frontiè- dans le Vignoble à Arbois, dans le 1100 m à Bellefontaine-39 et dans res, d’où elle a aujourd’hui disparu. Revermont sur le Mont Nivigne, les marais du Vély-01. Se retrouve D’après l’UICN (in l. oliVier et al., sur le Mont et les monts d’Ain à dans le Sundgau et le Territoire de 1995), elle est également menacée Nantua, dans la cluse de l’Albarine Belfort. dans le monde (statut vulnérable). à Tenay, sur les coteaux du Rhône à Grésin ; descend à 500 m au pied Calamagrostis pseudophragmites En France, elle n’est connue à du Grand Colombier et même à 240 (Haller fil.) Koeler : indiqué très l’heure actuelle que dans le dépar- m à Culoz. Commun sur le Salève ; rarement au 19e siècle, unique- tement du Doubs. L’unique station rare dans le Jura savoisien. ment sur le plateau suisse : Rhône, du Jura (Foncine-le-Bas) semble Thielle, Birse, Aar, Arve. Existe çà et avoir disparu suite à l’envahisse- Calamagrostis arundinacea (L.) là autour des lacs de Neuchâtel et ment du milieu par les phragmites Roth : plante des pelouses acides Bienne. Bords du Rhône en aval de (Y. F errez, J.-F. ProSt et al., 2001 ; J.-F. des Alpes, des Pyrénées, des Vosges Loyettes-01. ProSt, 2000 ; J.-M. roYer, 1995 in l. et du Plateau Central. Rare dans le oliVier et al., 1995). Une recherche Jura suisse neuchâtelois : Chasseron, Remarque : Agrostis agrostiflora (= menée en 2001 n’a pas permis de Chaumont, Gorges du Seyon, mon- Calamagrostis tenella) découvert la retrouver. tagne de Boudry, vallée de l’Areuse ; par Charles Grenier en 1868 dans descend à 650 m à Neuchâtel. la grande tourbière de Pontarlier-25 Historiquement, Calamagrostis n’a jamais été retrouvé. Cette unique stricta a été indiqué dans sept stations Calamagrostis canescens (Weber) station jurassienne a certainement dubisiennes (J.-M. roYer, 1995 in l. Roth : disséminé dans les tourbiè- disparu lors de la création de l’aé- oliVier et al., 1995) : (deux res et bois tourbeux de la montagne, rodrome de la ville. stations), Granges-Narboz, Frasne, parfois au bord des lacs. Pontarlier, Malpas, Remoray. Celle

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de Pontarlier a certainement disparu tainement suite à la modification des l’objet, depuis 2002, d’un suivi bota- suite à la destruction de la célèbre milieux qui l’hébergeaient. Celle de nique. « grande tourbière de Pontarlier » Frasne qui n’a pas été revue depuis où était signalée outre cette grami- très longtemps est aussi considérée C’est au cours de l’automne 2002, née : Minuartia stricta (disparue de comme disparue. Le tableau I résume dans le cadre de l’inventaire des France et de Suisse), Saxifraga hir- l’ensemble des données concernant plantes patrimoniales du bassin du culus (en danger en France et en les stations disparues. Drugeon (25) réalisé par la Société Suisse) et Agrostis agrostiflora (dispa- botanique de Franche-Comté (SBFC) rue de Franche-Comté)1. La localité Les localités de Chaffois, Granges- pour le compte du Syndicat mixte de de Remoray qui a fait l’objet d’une Narboz et Malpas existent toujours, la vallée du Drugeon et du plateau active prospection en 2001 est égale- celle des Granges-Narboz faisant de Frasne que nous avons eu l’oc- ment considérée comme éteinte, cer-

Tab. I : localités historiques de Calamagrostis stricta (Timm) Kœler considérées comme disparues.

Département Commune Causes probables de disparition Remarque Jura Foncine-le-Bas Modifications du milieu. Envahissement Objet d’une recherche en 2001. par les phragmites certainement suite à un assèchement (drainage). Doubs Pontarlier Destruction de la grande tourbière de Première observation de l’espèce en France, Pontarlier lors de la construction de très certainement juin 1863 par Charles l’aérodrome de Pontarlier. Grenier.2 Doubs Frasne Non revue depuis longtemps. N’a pas fait l’objet d’une recherche spécifique. Doubs Remoray Modification du milieu engendrée par la Objet d’une recherche en 2001. gestion du niveau du lac de Remoray.

Dompierre-les-Tilleuls

La Grande Tourbière

La Rivière-Drugeon

La Corne du Marais

Frasne

Bouverans

0 1250 m

Voies ferrées Limites communales

Route Calamagrostis stricta

Fig. 1 : localisation des deux stations de Calamagrostis stricta (Timm) Kœler découvertes en 2002 dans le bassin du Drugeon (25)

1 Le 12 juillet 1869 lors de la session extraordinaire de la Société botanique de France, les plantes suivantes sont notées : Carex heleonastes, Carex dioica, Carex chordorrhiza, Carex x turfosa, Saxifraga hirculus, Minuartia stricta, Calamagrostris stricta, Calamagrostris tenella, Cicuta virosa, Senecio helenitis. 2 D’après des parts d’herbiers conservés au Muséum de Paris : Ch. Grenier s. n., 28 juin 1863, tourbières de Pontarlier (Doubs) ; Ch. Grenier s. n., in Billot, 14 juillet 1868, tourbières de Pontarlier (Doubs) ; Ch. Grenier S.N., 12 août 1867, tourbières de Pontarlier. Nous remercions Marc Pignal, responsable de l’Herbier National de Paris, pour la transmission de ces informations. 92 Les Nouvelles Archives de la Flore jurassienne, 1 - Société Botanique de Franche-Comté

Tab. II : localités actuellement connues de Calamagrostis stricta (Timm) Kœler dans le département du Doubs.

Commune Dernière Estimation des populations Remarques année d’observation Malpas 1995 Entre 10 et 100 pieds Station inscrite dans le périmètre du site Natura 2000 (estimation) du lac et tourbière de Malpas, les prés Partot et le Belin. Chaffois 1993 Entre 100 et 1000 pieds Station inscrite dans le périmètre du site Natura 2000 du (estimation) bassin du Drugeon. Site protégé par arrêté de protection de biotope. Granges- 2002 Environ 40 pieds (comptage Station inscrite dans le périmètre du site Natura 2000 du Narboz des tiges fleuries) bassin du Drugeon. Site protégé par arrêté de protection de biotope. Suivi des populations mis en place en 2002. 2002 Environ 100 pieds (comptage Station inscrite dans le périmètre du site Natura 2000 du des tiges fleuries) bassin du Drugeon. Site protégé par arrêté de protection de biotope. Dompierre- 2002 Environ 40 pieds (comptage Station inscrite dans le périmètre du site Natura 2000 du les-Tilleuls des tiges fleuries) bassin du Drugeon. Site protégé par arrêté de protection de biotope.

casion d’observer deux stations iné- un aspect très semblables à celui de dites de cette plante. la molinie.

La première observation a eu lieu sur la commune de Bouverans au lieu- Protection et dit la Corne du Marais (voir figure 1). perspectives de gestion Un peu plus de cent tiges fleuries ont des populations été repérées. La deuxième a eu lieu sur la commune de Dompierre-les- Calamagrostis stricta est stricte- Tilleuls au lieu-dit la Grande tour- ment protégé en Franche-Comté. bière (voir figure 1) et comptait plus L’ensemble de ses stations actuel- d’une quarantaine de tiges fleuries. lement connues (voir tableau II) s’inscrivent dans le périmètre de Compte tenu de la date de prospec- sites Natura 2000. Celles du bassin tion, nous n’avons pas réalisé de rele- du Drugeon bénéficient également vés floristiques complets ; cependant, d’un arrêté de protection de biotope. d’après nos premières constatations, Enfin, un suivi botanique des popu- les milieux hébergeant l’espèce sem- lations (cartographie précise, comp- blent très « ordinaires ». Il s’agit en tage, état…) du Drugeon engagé par effet de bas-marais à molinie assez la SBFC a débuté en 2002. denses et peu diversifiés. Ce type de végétation est très répandu dans le bassin du Drugeon et plus géné- ralement dans le Haut-Doubs et le Haut-Jura. Dans les années à venir, Calamagrostis stricta pourra donc  Remerciements être recherché assez tardivement à P. Millet, M. Pignal, J.-F Prost. en saison (mi-septembre) dans ces milieux lorsque les chaumes raides aux inflorescences blanchâtres se détachent assez nettement sur le fond fauve des molinies. Il est nette- ment plus problématique de repérer la Calamagrostide raide avant cette Max André date car elle présente une teinte et Calamagrostis stricta (Timm) Kœler ; aspect de l’inflorescence à la fin de l’été

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Références Ferrez y., Prost j.-F., andré M., Carteron et des régions voisines, 4e édition, M., MiLLet P. et VadaM j.-C., 2001. 2e tirage, Meise, édition du Jardin bibliographiques Atlas des plantes rares ou protégées botanique national de Belgique, aesChiMann d. et Burdet h.-M., 1994. de Franche-Comté, Besançon, société 1092 p. Flore de la Suisse et des territoires d’horticulture du Doubs et des amis du Prost j.-F., 2000. Catalogue des plantes jardin botanique / Turriers, Naturalia limitrophes. Le nouveau Binz, deuxième vasculaires de la chaîne jurassienne, Publications, 312p. (707 cartes, 420 édition, Neuchâtel, éditions du Griffon, Lyon, édition Société linnéenne de illustrations couleur, 12 tableaux). 603 p. Lyon, 428 p. Bonnier G. et douin r., 1990. Flore Grenier Ch., Flore de la chaîne jurassique. oLiVier L., GaLLand j.-P., Maurin h. complète illustrée en couleurs de Mém. Soc. Emul. Doubs, série 3, 10 et roux j.-P., 1995. Livre rouge de la [1865] : [1]-346 p. ; [1869] : 347-1001, la France, Suisse et Belgique. 13 flore menacée de France, t.1 : Espèces Besançon. Rééditée (1875) en un vol. vol., 1912-1935. Une réédition avec prioritaires, Paris, Muséum national mise à jour de la nomenclature et LaMBinon j., de LanGhe j.-e., deLVosaLLe d’histoire naturelle, 486 p. compléments bibliographiques pour la L. et duViGneaud j., 1999. Nouvelle Corse principalement a été récemment flore de la Belgique, du Grand-Duché publiée, éditions Belin, 1400 p., 729 de Luxembourg, du Nord de la France planches, 8000 illustrations.

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Découverte de deux stations inédites La Centaurée de Lyon(Centaurea triumfetti All. de Calamagrostis stricta (Timm) Kœler subsp. lugdunensis [Jordan] Dostál) découverte dans le bassin du Drugeon (25). dans le Jura central (Doubs) Max André

Calamagrostis stricta (Timm) Kœler Max André

Contributions à la connaissance de la flore du massif jurassien et du département de la Haute-Saône Max André Max André

Epipactis x pupplingensis Bell. Centaurée de Lyon, aspect général et capitule.

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