Adeline BOULLAND

ELEVER ET GERER

Aspects de la vie quotidienne au Haras du Pin (1806-1844)

Maîtrise d’histoire Sous la direction de M. Eric PIERRE Université d’Angers 2004-2005 REMERCIEMENTS

Je voudrais remercier le personnel des Archives Départementales de l’ pour sa gentillesse, ses conseils et son aide, et tout particulièrement M. Jean-Claude Martin et M. Jean-Pascal Foucher, directeur des Archives Départementales de l’Orne, qui m’ont incitée à traiter ce sujet passionnant. Je remercie M. Guy Bideault, fonctionnaire au sein des haras nationaux qui m’a fourni de précieux éclaircissements et explications relatifs au fonctionnement des haras nationaux et qui m’a envoyé son ouvrage. Mes remerciements vont également à M. Eric Pierre, mon directeur de maîtrise pour son aide et sa compréhension tout au long de cette année. Je remercie M. Daniel Roche, professeur au Collège de et spécialiste de l’histoire équine, qui m’a aidé à mieux définir mon sujet de recherche. Je remercie également Isolde Pludermacher pour son aide, Estelle Dopff pour ses encouragements et tout particulièrement mes parents pour leur constant soutien et leur présence au quotidien, et enfin Bertrand.

2 AVANT-PROPOS

Depuis un millénaire, la Normandie est considérée comme une terre privilégiée pour l’élevage équin. Les sources médiévales sont riches de témoignages soulignant cet intérêt. Les travaux de Léopold Delisle1 citent notamment plusieurs haras appartenant à des seigneurs ou à des abbayes. Ceux des religieux de Bonport, celui de Jean de Mallet à Plânes ou celui de Varenguebec au milieu du XIVème siècle semblent avoir eu une grande importance. Le plus connu dans la généralité d’Alençon est sans doute celui des Montgomery2, créé sur la commune du Merlerault et qui est resté en activité depuis le Moyen Age jusque vers 1730. L’époque moderne amplifie les moyens mis à la disposition de l’élevage équin. Au XVIIème siècle, le royaume bénéficie des efforts de Sully puis de Colbert, désireux de rendre la France autonome en matière d’élevage de chevaux. Colbert procède en ce sens à la création de haras royaux en 1665. Leur système consiste à placer des étalons en dépôt chez des éleveurs. Si le fonctionnement global des haras français est assez bien connu, l’étude de ceux de Normandie s’avère difficile en raison d’un manque de renseignements relatifs à l’élevage chevalin à cette période. C’est d’ailleurs ce que déplore Jacques Mulliez3 en 1983 : « A la fin du XVIIème siècle, cette généralité, si elle produit des chevaux, n’a pas la réputation et le lustre qui sera plus tard le sien, et malaisément en peut-on parler, car ici les sources font presque complètement défaut. » Le plus remarquable de ces établissements est sans nul doute le Haras du Pin, établi dans l’actuel département de l’Orne, situé sur l’axe Argentan-, réputé pour la qualité de son l’élevage équin4. Malgré sa célébrité, son histoire reste méconnue notamment pour le XVIIIème siècle5, faute de sources. Les archives de ce haras ayant été conservées,

1 Cités dans Notes et documents, 1863 (réed. 1991), L’état des campagnes de la Haute-Normandie dans les derniers temps du Moyen Age, p.120. 2 Jean-Louis Libourel cité dans Monuments Historiques, « Le Haras du Pin », 1990, p. 11. 3 Jacques Mulliez, Les chevaux du Royaume, 1983, p.51. 4 Orne-Info, « Un monde à part ? Le cheval dans l’Orne. », n°67, mai 1989, p. 23. 5 Voir l’inventaire des sources du Haras du Pin ci-joint.

3 remontent pour la plupart au début du XIXème siècle, et il est possible de rédiger une histoire continue à partir de 1807. S’il existe apparemment bon nombre d’ouvrages sur le haras, ces Tableau I : Carte du département de l’Orne

Tableau II : Carte du canton d’Exmes

4 derniers relèvent davantage du guide touristique que de recherches historiques. Il faut attendre 1990, lorsque Jean-Louis Libourel6 publie ses recherches sur le véritable architecte du haras, Pierre le Mousseux, pour voir apparaître de vraies recherches scientifiques sur ce dernier. En 2000 paraît le mémoire de maîtrise d’architecture de Gaëlle Desrivières traitant des bâtiments du haras du Pin. Enfin en 2001, Agnès Manneheut publie sa thèse d’Ecole des Chartes sur L’Elevage des chevaux de travail dans l’Orne au XIXème siècle (1815-1900). Ce travail ne traite pas spécifiquement du haras mais étudie les rapports entre ce dernier et les éleveurs. Il permet d’avoir une idée précise de l’influence du Haras du Pin sur l’élevage local. Précisons enfin que les archives n’ayant été versées aux Archives Départementales de l’Orne qu’en 2004 et n’étant pas encore accessibles à tous, écrire l’histoire du Haras n’est pas simple.

NB : les termes de vocabulaire spécifiques au domaine équestre suivis d’astérisques sont expliqués dans le lexique placé en fin de volume. Les astérisques présents dans les sources signalent cependant les registres utilisés pour les recherches.

6 En 1990, sont parus deux articles sur l’architecte du Haras du Pin, rédigés par Jean-Louis Libourel : « Pour en finir avec Mansart, Colbert et Le Nôtre…ou la véridique histoire du haras du Haras du Pin », dans Orne-Info ; et dans Monuments Historiques, un article s’intitulant « Le Haras du Pin ». Ces deux parutions ont été suivies par une troisième en 1991, dans les Bulletins de la Société Historique et Archéologique de l’Orne : « Pierre Le Mousseux, architecte du Haras du Pin. », 1991.

5 INTRODUCTION

Le Haras du Pin7 est né du transfert du premier haras royal créé à Saint-Léger-en- Yvelines en 16658. L’exploitation de ce dernier s’avérant médiocre, il est décidé9 de le transférer en Normandie, région dont le sol est plus riche. En 1715, le roi acquiert les terres de la seigneurie du Pin, dans le pays du Merlerault, qui appartenaient au marquis de Nointel depuis 1665. Ce n’est que l’installation de ce haras qui incite la population des alentours à s’intéresser à l’élevage du cheval de selle et du cheval de race. L’année 1790 est funeste pour les haras, dont la suppression est alors décidée. Les chevaux sont vendus, les bâtiments et les terres séparés et vendus comme Biens Nationaux, afin d’abolir « le régime prohibitif des haras » car il faut laisser à chaque particulier « le droit naturel d’élever les chevaux qu’il lui plaira, car le meilleur moyen d’avoir de bons chevaux est de ne point avoir de haras. Comme pour avoir de bons arbres, il ne faut point avoir de pépinières publiques, toute distinction comme toute prohibition ruinant l’industrie. »10 Mais la qualité des élevages français pâtit rapidement de ces suppressions. Dès 1795, elles entraînent une pénurie de chevaux de qualité. La même année, la Convention rétablit les dépôts d’étalons*. Mais ce décret reste lettre morte. C’est seulement avec le décret du 4 juillet 1806 que l’avenir de l’élevage équin en France est repris en main par l’Etat. L’organisation de six arrondissements d’inspection, six haras, trente dépôts d’étalons et deux haras d’expériences joints aux écoles vétérinaires d’Alfort et de Lyon11 est alors décidée. Dans chaque département, on se met en quête de domaines pouvant accueillir des haras. Une lettre écrite le 07 mars 180612 par le Conseiller d’Etat, directeur général de l’administration de l’enregistrement et des domaines au directeur implanté à Alençon, en témoigne : « Le gouvernement désire savoir, […], s’il n’existerait pas dans votre département

7 Sous l’ancien Régime, le haras est connu sous le nom du haras d’Exmes ou d’Hyems. C’est seulement à la Révolution que le nom de Haras du Pin s’impose. 8 Jean-Louis Libourel, op.cit., 1991, p. 35. 9 Après une enquête de François Gédéon de Garsault et une hésitation avec le Pays d’auge ou la Forêt de Brotonne. Jean-Louis Libourel, 1991, p. 38. 10 Cité dans l’article de Alain Hagège, « Les haras nationaux » in Monuments Historiques, n°197, 1990, p. 6. 11 http://www.agriculture.gouv.fr/histoire/7_haras/pin.htm 12 2Q186

6 un domaine national disponible propre à l’établissement d’un haras. Je vous prie de me mettre le plutot13 possible à portée de satisfaire à sa Majesté d’une demande précise. Dans le cas où il s’en trouverait un que vous jugeriez propre à remplir cet objet, vous me feriez passer un état indicatif tant de la consistance et de la nature des terres qui le composent, ou qui étant à la disposition du gouvernement pourroient être réunies, que les bâtimens14 de leur étendue, de leur distribution. J’attend15 une prompte réponse. » Dans l’Orne, les édifices qui formaient le Haras Royal du Pin reprennent donc du service. Il faut cependant du temps pour réunir les terres de l’établissement. En effet, les parcelles ayant été vendues à des particuliers, on rédige d’abord un Etat de connaissance et d’évaluation de toutes les propriété dépendantes du Haras du Pin avec indication de celles qui ont été vendues et de celles qui sont encore dans les mains de la nation 16. Le gouvernement propose ensuite une indemnité soit en argent soit en terres17 aux particuliers propriétaires de ces Biens Nationaux et désire également récupérer les chevaux vendus à l’encan en 1790 et 1791. Cette seconde tâche est plus simple car les chevaux avaient été le plus souvent habilement vendus à des « gens de confiance » par le directeur du haras, M. Wagner18. Mais l’année 1815 détruit tous les efforts de l’Empire19 : il faut attendre 1825 pour que l’Etat rétablisse la grandeur et l’importance des haras nationaux en France.

A partir de 1825 débute une période faste pour le Haras du Pin, établissement reconnu dans la France et dans le monde au même titre que le haras de Pompadour20. Durant cette période, les besoins en chevaux sont considérables : il faut satisfaire les remontes* et les exigences de luxe de la haute société. Ces demandes variées ont un intérêt économique non négligeable et les relations que l’élevage entretient avec l’armée pour les remontes incitent l’Etat à surveiller de près cette activité21. La mission des Haras Nationaux est alors d’améliorer la qualité des chevaux de selle et de veiller à la conservation de la pureté des

13 Sic. 14 Sic. 15 Sic. 16 M2005. 17 Voir les dossiers dans le 2Q186 et le 2Q187. 18 Liste des directeurs du haras du Pin depuis sa création. Annexe. Extrait du Guy du Breil, Le haras du Pin, 1939. « Le Haras du Pin » dans Le Pays d’Argentan, par le vicomte de Poncins, 1960. 19 Duc d’Audiffret-Pasquier, « Le Haras du Pin » dans L’Illustration économique et financière- L’Orne, 1927, p. 24. 20 Situé en Corrèze. 21 Guy Bideault, Deux siècles de sélection du cheval de selle par l’Etat. Aspects sociologiques de la sélection. 2004, p. 1.

7 races de trait, mais également d’aider l’industrie particulière à se développer22. L’organisation de la vie quotidienne des haras s’articule donc autour de cette préoccupation. Le Haras du Pin est un haras national et, par conséquent, il lui incombe de surveiller la situation hippique23 dans plusieurs départements, groupés par circonscriptions. Le Pin gère l’Orne, la partie du Calvados située sur la rive droite de l’Orne, l’Eure, la Seine-et-Oise, la Seine Inférieure et les deux cantons du nord de la Sarthe. Au travers de la répartition de ces circonscriptions l’administration des haras cherche à être plus efficace comme en témoigne une lettre du Ministre de l’Intérieur du 23 décembre 181424, par laquelle il souhaite « fixer d’après d’autres bases les contrées dans lesquelles chaque haras ou dépôt aura à porter les moyens d’amélioration qui lui sont confiés. Votre établissement servira désormais les départements de l’Orne, la sous-préfecture de Falaise dans le Calvados, le département de la Sarthe, moins la sous-préfecture de la Flèche, le département de l’Eure, moins la sous- préfecture de Dreux […]. » Les chevaux sont envoyés en station de monte25 de juillet à mars chaque année afin de répondre aux besoins de la population en chevaux de qualité. Les stations permettent une relation de proximité avec les propriétaires privés de juments, désireux d’obtenir des poulains de qualité et ainsi de répondre aux demandes de l’Etat, qui souhaite améliorer l’élevage privé.

L’amélioration des races demande des moyens en amont, consistant dans le soin apporté aux précieux reproducteurs. Il faut que ces animaux puissent être au meilleur de leur performance au moment des saillies. Par conséquent, ces derniers requièrent un soin et une attention de tous les instants, ce qui demande des moyens tant en nourriture qu’en hommes. Il faut apporter une réponse la plus adaptée à chaque besoin. Cependant, la gestion d’un domaine destiné à cette fonction est mal connue, faute d’études spécifiques. Il est intéressant de savoir quels sont les besoins spécifiques d’un haras de cette envergure et quelle peut être la réponse apportée à chacun d’eux. Les besoins du Haras du Pin peuvent être regroupés en deux thèmes principaux : la nourriture, objet de toutes les attentions, et les soins non alimentaires qui nécessitent l’intervention d’un personnel qualifié et attentif. Quels sont les problèmes liés à la nourriture ? Quels sont ceux liés aux autres soins ? Quelle gestion est la mieux adaptée à

22 Agnès Manneheut, L’Elevage des chevaux de travail dans l’Orne au XIXème siècle (1815-1900), 2001, p. 461. 23 C’est-à-dire la surveillance du nombre de juments, étalons et élèves* appartenant à des éleveurs particuliers, de leur santé ; le nombre de haras privés, quelle que soit leur taille. Cette surveillance consiste en des visites chez les particuliers mais également en l’organisation de concours, de courses et de foires. 24 1ETP15. 25 Il y en a 26 en 1875, pour la circonscription. En général, il y a deux stations par arrondissement.

8 un domaine comme celui-ci ? Au XIXème siècle, l’Etat cherche la méthode de gestion la plus adaptée à un haras, de façon à le rendre indispensable par ses performances inégalables.

Les officiers à la tête du haras, tout comme l’Etat sont-ils capables de gérer un domaine d’une telle envergure ? Est-il réellement possible de rendre le haras autonome, performant et rentable ? Tel est le défi de la première moitié du XIXème siècle pour le haras. De telles questions sont susceptibles d’être traitées d’un point de vue administratif et non d’un point de vue vétérinaire. Les problèmes financiers et les solutions que l’on peut leur apporter déterminent tout le développement d’un haras. La période traitée s’étend de 1806 à 1844, date à laquelle le Haras du Pin est remplacé par la Vacherie Impériale du Pin pendant vingt-huit ans. La plupart des étalons sont vendus et le but est désormais d’améliorer les races de taureaux et de moutons. Certes, le Haras subsiste encore, mais il fonctionne au ralenti sous la surveillance de la Vacherie Impériale du Pin. Si le principe reste le même, les exigences d’un élevage de bétail sont différentes de celles d’un haras. Par conséquent, il n’est pas possible de trouver un point de comparaison et ainsi de pouvoir traiter l’un ou l’autre indifféremment. Afin de respecter une certaine cohérence, il est donc préférable de traiter la première période de vie du Haras du Pin.

9 SOURCES

Les sources utilisées sont entièrement issues des archives départementales de l’Orne. Le fonds provenant du Haras lui-même, versé en 2004, est très riche d’enseignements. Ces archives ont encore une cotation provisoire, mais leur inventaire a été mené à bien et elles recevront très prochainement une cotation définitive en ETP, les rendant ainsi accessibles à tous. Ce fonds contient une masse très importante de documents et, en une courte année de recherches, il ne m’a pas été possible de consulter l’ensemble. Il a donc fallu procéder à un échantillonnage et à un choix très strict, mais il a fallu cependant recourir à des documents postérieurs afin de pouvoir mieux comprendre les évolutions que l’établissement a connues. La correspondance ministérielle est riche de renseignements et permet de cerner les grandes orientations du Haras et les problèmes majeurs qui peuvent s’y poser. Consulter le registre d’ordres journaliers du directeur pour la période 1818-1847 nous permet de comprendre dans les moindres détails l’attention quotidienne que requièrent ces animaux de grande qualité. Même si le fonds du Haras du Pin est très volumineux, on peut déplorer des lacunes importantes pour le XIXème siècle. Il est donc difficile de suivre sans interruption l’histoire du Pin. La période 1806-1825 est souvent la mieux documentée. Pour la fin du XIXème et le XXème siècles, les renseignements font rarement défaut. La série M des Archives Départementales de l’Orne est également importante car elle contient les documents de la préfecture relatifs à l’élevage du cheval dans l’Orne. Pour ce sujet, les plus intéressants furent ceux concernant la comptabilité, l’approvisionnement et le personnel du haras ainsi que ceux concernant les locations des herbages lui appartenant. Les documents contenus dans cette série permettent de compléter les lacunes du fonds principal. Quelques documents de la série Z concernant la sous-préfecture d’Argentan contiennent des informations sur les parcelles de forêts appartenant au haras ainsi que les étangs et autres plans d’eau se trouvant dans les champs qui sont également sa propriété. Afin de permettre

10 une approche plus générale, quelques documents de la série A ont été consultés, surtout pour les fournitures faites au haras et pour les recettes et dépenses. Des documents en série Q ont été indispensables pour comprendre la reconstitution du domaine par rachat des Biens Nationaux. Liste des sources employées :

Série 1ETP : Domaine National du Pin. - 1ETP1 : Circulaires ministérielles, instructions et ordonnances. (1806-1938) - 1ETP15-23 : Correspondance ministérielle reçue. (1807-1856) - 1ETP111-112 : Lettres des Préfets. (1807-1838) - 1ETP182*-1ETP203* : Journal général des recettes et des dépenses. (1813-1840) - 1ETP254*-255* : Registres des dépenses par chapitres. (1812-1813) - 1ETP258* : Bordereaux mensuels. Recettes et dépenses par mois, états financiers divers, bordereaux de caisse, état du magasin des denrées affectées au dépôt, état des fourrages consommés. (1820-1825) - 1ETP300*-303* : Journal général du magasin, entrées et sorties. (1826-1840) - 1ETP304 : Etat général des biens affermés : baux, conventions, actes notariés, achats et échanges de terrains, inscriptions hypothécaires, procès, affermages des domaines, procès-verbaux de prise de possession, évaluation de la valeur des biens. (An X-1858) - 1ETP315 : Gestion et Etat général des bois appartenant au Haras. Correspondance, adjudications d’exploitations forestières, revenus, arpentage. (1809-1945) - 1ETP316*-318* : Journal général des recettes et dépenses du domaine du Pin. (1813- 1834) - 1ETP319 : Etat général des recettes et dépenses obtenues sur le domaine : état des recettes fixes sur les baux, état des contributions extraordinaires, état des herbagements, calculs des impôts sur le domaine, coût de l’établissement. (1809-1945) - 1ETP320 : Etat général des récoltes de foins : cahiers des charges des récoltes et charroyages de foin, quantité de foin charroyé par personne, location de regains. (1808-1868) - 1ETP321* : Registre des revenus du domaine. (1807-1811) - 1ETP322-323 : Recettes du domaine par ventes aux enchères : fruits, fumier, chevaux, mobilier, accessoires. (1838-1955) - 1ETP324 : Dépenses pour la fourniture en fourrages. (1881-1956) - 1ETP327 : Registre d’ordres journaliers du directeur. (1818-1847)

11 Série A : actes du pouvoir souverain et domaine public. - A94 : Fournitures faites au Haras du Pin. (1787-1792) - A95 : Etat du personnel attaché au Haras du Pin et leurs gages. (1749-1790) - A97 : Recettes et dépenses du Haras du Pin. (1776-1791)

Série M : fonds de la préfecture de l’Orne concernant le Haras du Pin - M2004-M2011 : Comptabilité, approvisionnement, personnel, foires, primes d’encouragement, courses : instructions, correspondance et états. (An VIII-1832) - M2012 : Travaux dans les bâtiments : instructions, correspondance, rapport et devis. (An XIII-1812) - M2013 : Rachat des biens du haras vendus pendant la période révolutionnaire : instruction, correspondance, inventaires, états de consistance. (1807-1819) - M2018 : Personnel : instruction, correspondance, enquêtes et nominations. (1825- 1936) - M2019 : Locations d’herbage et adjudication de fourrages : instructions, correspondance, affiches et procès-verbaux. (1833-1851) - M2020 : Vacherie du Pin-au-Haras : instructions, correspondance, affiches et rapports. (1844-1872) - M2021 : Rapports du directeur inspecteur général des haras au ministre de l’Agriculture sur l’administration des haras. (1849-1933) - M2002-M2024 : Elevage des chevaux et administration du haras : instruction, correspondance et affiches. (1852-1925) - M2027 : Locations d’herbages et vente d’herbes : instructions, correspondance, procès-verbaux. (1860-1923) - M2028 : travaux de restauration et d’aménagement : instructions, correspondance, devis, marchés, règlement financier et plans. (1861-1893)

Série Q : archives de l’enregistrement et des hypothèques et documents relatifs à la vente des Biens Nationaux. - 1Q1761 : Inventaire du 22 novembre 1792 - 2Q186-187 : Dossier relatif à la reconstitution du Pin

12 Série Z : archives des sous-préfectures d’Argentan, de Domfront et Mortagne - Z68 - Z70 : Location d’herbages et d’étangs (1861….) - Z79 : Ventes de coupes de bois, forêt du Pin. (1839-1846)

13 BIBLIOGRAPHIE

Les ouvrages concernant les chevaux sont très nombreux. Un choix et un tri important ont été indispensables afin de ne garder que les ouvrages généraux se rapprochant le plus du sujet traité. C’est pourquoi on ne trouvera ici que quelques ouvrages généraux sur le cheval. Le livre de Gérard Guillotel permet notamment d’avoir une vue d’ensemble sur les grands haras nationaux français, mais ne permet pas d’avoir de notion plus précise. En revanche, l’ouvrage de Jacques Mulliez traite de manière exhaustive et approfondie de la création des haras et des différentes manières d’appréhender l’élevage équin sous l’Ancien Régime. Il vient compléter l’ouvrage de René Musset qui dresse un état de l’élevage chevalin en France au XIXème siècle. Les ouvrages traitant tout particulièrement du Haras du Pin semblent à première vue très nombreux. Pourtant, la plupart d’entre eux ne permettent qu’une première approche du sujet : en obtenant les informations de bases sur l’organisation de ce domaine, son fonctionnement, ses chevaux26. Mais en aucun cas, ils n’offrent la possibilité d’approfondir le sujet. Seuls les ouvrages de Jean-Louis Libourel, Agnès Manneheut, Gaëlle Desrivières donnent des informations plus poussées sur cet établissement. Au contraire, de nombreuses études spécialisées ont été réalisées tant sur l’élevage équin que sur les haras. Elles donnent un point de comparaison pour le sujet tel qu’il est abordé ici. Il s’agit souvent de mémoires de maîtrise, ceux de Mélanie Corbé, Rémy Desquesnes, Françoise Leclerc, Corinne Leconnetable et Muriel Robert. Enfin, quelques notions de droit, essentiellement rural, ont été indispensables pour comprendre le fonctionnement du domaine du Pin.

I. Ouvrages généraux :

1. sur le cheval

DIGARD (Jean-Pierre), Le Cheval, force de l’homme, Paris, 1994. DIGARD (Jean-Pierre), L’Histoire du cheval, Paris, 2004. EDWARDS Elwyn Hartley, Les Chevaux, Paris, 1992. 26 Ce sont surtout, les ouvrages des directeurs et officiers du Haras du Pin qui donnent ces premières informations (Jean de la Varende, Pierre de Castelbajac et Guy du Breil, René de Poncins et Jean-Claude Marguerite.)

14 LAVALARD (Edmond), Le Cheval et ses rapports avec l’économie rurale et les industries de transport, Paris, (rééd. 1997), 1888-1893. LIZET (Bernadette), Le Cheval dans la vie quotidienne : techniques et représentations du cheval de travail dans l’Europe industrielle, Paris, 1982.

2. sur les haras et l’élevage

ARGUS, Suppression de l’Administration des Haras. Son remplacement par un service national d’élevage, Angers, 1889. BIDEAULT (Guy), Deux siècles de sélection du cheval de selle par l’Etat. Aspects sociologiques de la sélection, inédit, 2004. CAVAILLON (Edouard), Les Haras de France, Paris, 2001. CHEHU (Frédéric), Les Plus Beaux Haras de France, Arles, 2002. DELISLE (Léopold), Notes et documents. L’état des campagnes de la Haute-Normandie dans les derniers temps du Moyen Age, Paris, (réed. 1991), 1863, pp.120. GUILLOTEL (Gérard), Les Haras Nationaux, 3 tomes, Paris, 1985-1987. HARTMANN (Jean-Guy), Traité des Haras, 1788. LIZET (Bernadette), La Bête noire : à la recherche du cheval parfait, Paris, 1989. MULLIEZ (Jacques), Les Chevaux du royaume. Histoire de l’élevage du cheval et la création des haras, Paris, 1983. MUSSET (René), L’Elevage du cheval en France, Paris, 1917. ROBICHON DE LA GUERINIERE (François), Ecole de cavalerie contenant la connoissance, l’instruction et la conservation du cheval, tome II, Paris, 1756. ROCHE (Daniel), « Le cheval et ses élevages » dans Cahiers d’Histoire, n°3 et 4, 1997. VILLEROY (F.), « Des Haras » dans La Maison Rustique, journal d’agriculture pratique, 1850.

II. Ouvrages spécialisés : 1. Etudes sur le Haras du Pin

ANONYME, « Le Haras du Pin », dans Guide Gallimard de l’Orne, Paris, 1995, pp.170-175. ANONYME, « Préparatifs du voyage de Napoléon III au Haras du Pin d’après la correspondance officielle » dans Le Pays d’Argentan, hors-série, 1963, passim. AUMONT (Etienne), Un Haras en Normandie, Paris, 1923.

15 CHEVIGNY (Jean de), « Essais sur le Haras du Pin. Un peu d’histoire » dans Le Pays d’Argentan, 1933, passim. CHOLLET (A.), « Le Pin au Haras », Bulletin de la Société Historique et Archéologique de l’Orne, XXIII, 1904, passim. D’AUDIFFRET-PASQUIER, « Le Haras du Pin », dans Illustration économique et financière dans l’Orne, n°2, 1927, pp.23 à 26. DE CASTELBAJAC (Pierre), DU BREIL (Guy), Le Pin. Berceau des haras français, Argentan, 1939. DE LA MORICIERE, Rapport sur les travaux de la session de 1850, Paris, 1850. DESRIVIERES (Gaëlle), Le Haras du Pin et son domaine, maîtrise d’architecture, université de , 2000. DU HAYS (Jean Charles Aimé), Le Merlerault, ses herbages, ses éleveurs, ses chevaux et le Haras du Pin, 1887. LA VARENDE (Jean de), Le Haras du Pin, Argentan, 1949. LESPINASSE (André de), « Historique du Haras royal du Pin et considérations sur l’amélioration des chevaux en France » dans Le Cheval en Normandie, Paris, 1847, passim. LIBOUREL (Jean-Louis), « Le Haras du Pin », dans Monuments Historiques, n°167, 1990, pp. 9- 24. LIBOUREL (Jean-Louis), « Pour en finir avec Mansart, Colbert, Le Nôtre…ou la véridique histoire du Haras du Pin » dans Orne-Info, n°79, 1990, pp. 22-27. LIBOUREL (Jean-Louis), « Pierre le Mousseux, architecte du Haras du Pin » dans « Arts dans l’Orne », Bulletin de la Société Historique et Archéologique de l’Orne, CIX, 1991, pp. 35-48. MARGUERITE (Jean-Claude), Le Haras du Pin, Paris, 1983. OLLIVIER (F.), « L’ordonnance architecturale du domaine du Pin » dans L’Elevage du cheval au Pays d’Argentan, « Le Haras du Pin », Argentan, 1933, passim. O’NEILL (Maurice), Le Haras du Pin, Paris, 1992. PONCINS (René, vicomte de), « Le Haras du Pin » dans Le Pays d’Argentan, Argentan, 1960, passim. VOIS (André), « Le Haras du Pin » dans Congrès Archéologiques de France, CXIème session, Orne, 1953, pp. 310-313.

16 2. Etudes spécialisées sur les haras en Normandie

Annales de Normandie, série des Congrès des Sociétés Historiques et Archéologiques de Normandie, « Le Cheval en Normandie », , 1996. ANONYME, « Un monde à part ? Le cheval dans l’Orne. » dans Orne-Info, n°67, mai 1989, pp. 22-27. AUMONT (René), « Les haras du pays d’Auge » dans Revue du Pays d’Auge, 1951. BILLY (Jacques), Haras et élevage en Normandie, Condé-sur-Noireau, 1984. BLEMUS (Lionel), L’Elevage du cheval de selle français dans la Manche septentrionale, mémoire de maîtrise, université de Caen, 1976. BOUGIE (Jean), Le Cheval de sport en Normandie, Condé-sur-Noireau, 2000. DESQUESNES (Rémy), Le Cheval en Basse-Normandie hier et aujourd’hui, Caen, 1997. FREMONT (Armand), L’Elevage en Normandie, étude géographique, université de Caen, 1967. GUILLOT (Louis), « Les chevaux normands dans les Ecuries de l’Empereur. Contribution à l’étude de l’élevage du cheval en Basse-Normandie » dans les Bulletins de la Société Historiques et archéologiques de l’Orne, Alençon, 1964, pp 113-120. GUILLOT (Louis) et JOUANNE (René), Exposition Rétrospective du cheval, Catalogue d’exposition, Alençon, 1936. LECLERC (Françoise), L’Elevage du cheval dans l’Orne centrale, mémoire de maîtrise, université de Caen, 1981. LECONNETABLE (Corinne), L’Elevage du cheval dans le département de la Manche du milieu du XIXèmesiècle au milieu du XXème siècle, mémoire de maîtrise, université de Caen, 2000. MANNEHEUT (Agnès), L’Elevage des chevaux de travail dans l’Orne au XIXème siècle (1815-1900), thèse de l’Ecole Nationale des Chartes, Paris, 2001. ROBERT (Muriel), L’Elevage du cheval en Basse-Normandie, mémoire de maîtrise, université de Caen, 1993. ROBILLARD DE BEAUREPAIRE (Joseph de), « Notes et documents concernant l’ancienne administration des haras en Normandie » dans Annuaire de cinq départements de la Normandie, Caen-Paris, 1861, t.1, pp. 7-74 et t.2, pp. 1-94.

3. études spécialisées dans d’autres régions

17 BOURGEAS (Stéphanie), Les Eleveurs de chevaux en Franche-Comté, dans le département du Doubs (1870-1914), étude économiques et sociales, DEA, université de Lyon, 2000. CAILLAUD (Martial), Le Haras de La Roche-sur-Yon. Deux siècles de passion du cheval, Le Château d’Olonne, 1999. CORBE (Mélanie), Du Dépôt d’étalons d’Angers au Haras national de l’Isle-Briand (1791- 1975), mémoire de maîtrise, université d’Angers, 1999. DE SALLIER DUPIN (Guy), Le Cheval chez les Bretons des Côtes d’Armor de l’Ancien Régime à la Grande Guerre, Spézet, 1998. LE GAC (Anne-Marie), Le Haras de Langonnet : une tentative d’amélioration de la race chevaline en Bretagne (1806-1857), mémoire de maîtrise, université de Rennes, 1984. LIZET (Bernadette), « Le sang sous la masse. Enjeux de l’émergence d’une race chevaline de gros trait dans la Nièvre » dans « Des hommes et des bêtes » Terrain 10, Carnets du patrimoine ethnologique, Paris, 1988, pp. 8-22.

I. Sites Internet 4. Sur l’Orne http://www.quid.fr/departements.html?mode=detail&dep=61&style=fiche

5. Sur le Haras du Pin http://www.agriculture.gouv.fr/histoire/7_haras/pin.htm http://www.cult.gouv.fr/public/mistral/merimee_fr http://www.diplomatie.gouv.fr/label_France/48/fr/01.html

6. Sur le vocabulaire http://www.chass.utoronto.ca/epc/langueXIX/gattel/gat-1813.htm

III. Autres ouvrages : Ouvrages de droit ANONYME, Code rural de 1913, Archives Départementales de l’Orne. GUILLIEN (Raymond) et MONTAGNIER (Gabriel), sous la direction de. : Lexique des termes juridiques, 12ème édition, Italie, 1999.

18 Première partie

Le domaine du haras du Pin :

vers une autosubsistance ?

19 Le haras se compose de deux parties : le domaine et le dépôt. Tandis que celui-ci ne concerne que l’administration et la gestion des étalons, juments et poulains, celui-là ne s’occupe que des terres qui ont été attribuées au haras. Il est géré par le régisseur. La création du Haras du Pin au début du XVIIIème siècle a demandé un énorme travail de remembrement des terres. De 1717 à 1732, de nombreuses terres voisines du domaine d’Hyems ou enclavées dans son territoire se sont vues annexées. Puis en 1757, Louis XV agrandit encore ce domaine en y ajoutant notamment des pièces de terres appartenant à la commune voisine de la Cochère27. Au moment où le haras devient impérial, le 4 juillet 1806, le domaine du Pin contient plus de 953,91 hectares28 : il ne cessera plus de s’agrandir jusqu’à la Première Guerre Mondiale29. La structure du Haras du Pin devient alors de plus en plus complexe. Jusqu’au début du XIXème siècle, le haras est contenu dans les bâtiments principaux (château, cour d’honneur, écuries des ailes droite et gauche). Tout au long de ce siècle, les extensions se multiplient jusqu’à un certain éclatement de sa structure initiale. Le domaine, lorsqu’il est récupéré par l’Etat en 1806, comprend le château et les deux ailes qui l’entourent (cuisine, boulangerie, écuries, maison d’un piqueur, une auberge contenant une écurie). Les annexes les plus éloignées des bâtiments principaux sont la Ferme du Pin, la Ferme du Cazaubiel30, le Parquet de la Feuillade, le Parquet de la Belle Entrée, le Parquet de la Belle-Ecurie, les Grands Jardins. Mais les bâtiments de ces annexes sont essentiellement conçus pour abriter une partie du personnel qui a un rôle plus secondaire au Haras, tels que le jardinier, le piqueur, le taupier ainsi que quelques fermiers. Le domaine est constitué de nombreuses terres apparemment grasses et riches. En quoi est-il indispensable de doter un haras de tant d’hectares ? Quelle en est la finalité ? Ces terres sont-elles suffisamment bien exploitées pour permettre au haras de nourrir ses hôtes sans faire appel à l’extérieur ? Il est particulièrement difficile de suivre les parcelles, si nombreuses au fil du temps, car leurs noms ont très souvent varié au cours du XIXème siècle et les indications ne permettent pas toujours de les situer aisément sur les plans, d’autant que celui qui sert de référence à cette recherche est légèrement postérieur aux bornes chronologiques du sujet : il peut en effet être daté des années 1850, malgré l’absence de mention chronologique explicite.

27 In Monuments Historiques, « Le Haras du Pin » de Jean-Louis Libourel, 1990, p. 13. 28 M2007. Etat de la valeur ancienne et des revenus actuels des biens du haras du Pin. 04 décembre 1811. 29 Dans « Le Haras du Pin », Guide Gallimard de l’Orne, 1995, p. 84. 30 Ce nom s’orthographie également Cazobiel.

20 1. Un domaine vaste et riche, mais capable de nourrir les chevaux ?

a. Pourquoi s’installer ici ?

Les principes régissant l’établissement d’un haras sont depuis fort longtemps définis. François Robichon de la Guérinière les expose longuement dans son Traité des Haras31 paru en 1756. La préoccupation principale est le bien-être des chevaux. Il faut donc un terrain approprié pour obtenir les meilleurs équidés : « on choisit pour cela un terrein32 peu élevé, composé de quelques hauteurs et de petites collines, dont la terre ne soit ni grasse, ni forte. Ce terrein33 ne doit absolument pas être aride : il faut qu’il soit capable de produire une herbe douce, tendre et odoriférante, ce qu’on éprouve en y semant de la graine qui renferme ces qualités ; il faut aussi pour cela qu’il soit exposé au Midi ou à l’Orient. » Or, le Haras du Pin possède les qualités décrites ici. En effet, il est installé dans la région la plus irriguée de Normandie, dans le terroir du Merlerault, à dix kilomètres au nord- ouest du bourg de ce nom, sur un plateau calcaire propre à renforcer l’ossature des chevaux qui y sont élevés. Les herbes y sont grasses et réputées depuis longtemps pour leurs qualités nutritives. Ainsi, Ollivier34 décrit en 1933 le terroir du Merlerault comme étant « un groupe de vallées herbagères dont le centre est occupé par le gros bourg de ce nom ». Il y a douze vallées principales, chacune possédant son propre cours d’eau, et Ollivier ajoute que la température y est douce et la végétation abondante. Le sol possède donc une constante uniformité : il est formé de calcaire argileux. En 1960, le vicomte de Poncins constate dans son livre consacré au Haras du Pin que la qualité des herbages y est excellente. Ce facteur détermine la qualité des étalons reproducteurs et donc la renommée de l’établissement. Cette réputation n’est d’ailleurs sans doute plus à faire. Les plaintes récurrentes du haras concernant des exactions commises sur ses terres tendent à le prouver. C’est pour cette raison que le Général Songin35, conservateur des forêts du département de l’Orne, délègue à partir de 1807 deux gardes dépendant de son administration, devant être « exclusivement employés à la surveillance des domaines du haras du Pin […] relativement aux délits qui se

31 Dans Ecole de cavalerie contenant la connoissance, l’instruction et la conservation du cheval, tome II, Paris, 1756, pp. 259 à 281. 32 Sic. 33 Sic. 34 F. Ollivier, « L’ordonnance architecturale du domaine du Pin » dans L’Elevage du cheval au Pays d’Argentan, « Le Haras du Pin », Argentan, 1933, p. 44. 35 M2006. Lettre du 29 novembre 1807, du Ministre de l’Intérieur au directeur du Haras du Pin, M. d’Avaugour.

21 commettent journellement dans les clôtures et aux anticipations faites par quelques particuliers sur les propriétés du haras ; je crois à propos d’établir le plutôt possible les gardes sur le pied où ils doivent être. En conséquence vous les ferez recevoir et assermenter dans les formes prescrites afin qu’ils puissent exercer leurs fonctions dans toute l’étendue des domaines qui dépendent de votre établissement. Je vous autorise à les faire habiller conformément à leur état. Quant à leur traitement, je pense qu’ils doivent être assimilés à celui des palefreniers. » Ainsi, les terrains du haras sont très précieux et procurent procurant au domaine une source importante de revenus. Le nombre des exactions commises tend à prouver cette qualité. Leur nature ne semble pas vraiment définie : cependant, au travers de ce texte et grâce aux renseignements récoltés dans plusieurs autres documents, les délits paraissent être essentiellement des vols de clôtures ainsi que du bétail introduit frauduleusement sur les terres du Pin. Il semble que l’on ne puisse plus douter de la qualité et la richesse de ce domaine, qui possède par ailleurs une vaste forêt, qui accroît encore sa valeur.

b. La particularité de la forêt

La grande qualité de la terre permet de diversifier les emplois qui en sont faits. Ainsi le haras compte de nombreux prés, pâtures et herbages destinés à produire du foin, mais également à « mettre au vert » les chevaux en dehors des périodes de monte. Il possède également des terres de labours, des étangs ainsi qu’une portion de forêt gérée avec l’ensemble du Domaine jusqu’en 1818. A partir de cette date, la gestion de cette dernière est confiée à l’administration des Eaux et Forêts, chargée de rationaliser son exploitation. Ainsi, la forêt d’Exmes est répartie en vingt coupes de taillis36 et possède une réserve de vingt-cinq hectares de parquets de futaies aux abords du dépôt. Mais les bénéfices de cette exploitation reviennent toujours au haras37 et le procès-verbal de remise spécifie que « seront maintenues hors exploitation les parties de futaie pleine et les cordons de futaies en bordures des allées et des grandes avenues réservées à l’établissement public au point de vue de l’hygiène et dans l’intérêt de l’élevage. »38 Au total, en 1809, le Haras du Pin possède 271,42 hectares39 de forêts40 composées pour l’essentiel de chênes et de hêtres de grande qualité, comme en témoigne la réponse à une 36 F. Ollivier. 37 Les coupes de bois sont vendues chaque année aux enchères publiques et le fruit de ces ventes revient au domaine. 38 Z70. 39 1ETP315. Et non 266ha59, comme il est écrit.

22 lettre du préfet de l’Orne au sous-préfet d’Argentan qui souhaite s’informer en 1811 de la manière dont est exploitée la forêt41 : « les bois du haras sont en nature de taillis, leur essence est de chêne et de hêtre, on les coupe à 25 ans. […]. On ne peut assigner cette différence dans le prix des diverses coupes d’autres causes que celle qui existe entre la force et la quantité des bois qui s’y trouvent. […]. Je ne connais d’ailleurs aucun bois exploité dans mon arrondissement par des particuliers, qui puissent être comparés à ceux du haras sous les rapports de la nature, de l’essence et de l’âge. Mais je puis vous assurer que ces derniers, ont cette année, comme dans les années précédentes, été vendus à un prix très élevé, auquel les besoins de la verrerie voisine ont pu que les faire porter, et que si pendant quelques années ils n’ont pas atteint le même prix, c’est parce qu’ils n’étaient ni aussi forts et aussi grands. » Mais il semble que le nombre d’hectares de forêts possédés par le haras ait légèrement augmenté entre l’inventaire de 1806 et celui effectué en 1809 afin de reconstituer le domaine. En effet, en dépit des difficultés liées à l’évolution de la dénomination des parcelles, il est possible de calculer le nombre d’hectares possédés avant la suppression des haras de 1790. Après conversion des arpents en hectares, on parvient à un résultat de 235,98 hectares environ, ce qui représente un écart de 35,44 hectares environ, soit la taille moyenne d’une parcelle de forêt pour le Pin. L’étendue la plus importante avant la Révolution, celle du Fouet de Courgeron42 correspond à 136,80 hectares. Sa taille diminue quelque peu par la suite pour ne représenter que 114,33 hectares à partir de 1809. Cette portion de forêt appartient à la forêt originelle au sein de laquelle le haras a été bâti43. D’une manière générale, il apparaît que le nombre d’hectares de forêt appartenant au haras diminue sensiblement au cours du XIXème siècle. En effet, vers 1850, les quarrés de la Bergerie ne comptent plus que 22,42 hectares, soit une diminution presque de moitié, tandis que les quarrés d’Echauffour44 perdent dix hectares et que les quarrés de l’Hermite, du Chaux-Moulins45 et des Parcs Chevaliers46 ne connaissent aucune diminution.

40 1ETP315. Elle se compose du Fouet de Courgeron (114ha33a), des Parcs chevaliers (9ha19a), des quarrés d’Echauffour (40ha83a), des quarrés de la Bergerie (41ha83a), du Chaux-Moulins (15ha31) et des quarrés de l’Hermite (49ha93). 41 M2007. Le 16 novembre 1811. « […] de quelle nature sont les bois ? Quelle est leur essence ? À quel âge les coupe-t-on ? Quel est le prix moyen auquel se vend les bois de même nature et de même âge exploités par des particuliers dans votre arrondissement ? […]. » Réponse du 18 novembre 1811. 42 Ou Faÿ de Courgeron, (1ETP315). Son nom n’évolue plus au cours du siècle et se fixe à Fouet du Courgeron. 43 M2005. Inventaire de 1806. 44 Devenus La Couleuvre et La Tête au Loup 45 Ou Chaud-Moulin. 46 Ou Parc Chevallier.

23 c. Les étangs

Les terres du haras sont irriguées par des étangs entre lesquels sont creusés des canaux destinés à alimenter en eaux les champs, dans le double objectif de permettre aux chevaux et au bétail de s’abreuver et d’obtenir une herbe riche en toute saison. Le livre d’ordre indique clairement que ces canaux posent des problèmes récurrents. En effet, il est souvent demandé au régisseur d’ordonner leur curage. Ainsi, sur une période de six ans, cet ordre est donné cinq fois, sans compter les curages réguliers que doivent effectuer les fermiers dans les parcelles qui leurs sont louées. La nécessité de ce travail d’entretien est stipulée dans les clauses de leur contrat : il doit être effectué tous les six mois dans chaque parcelle. L’affaire la plus révélatrice de cette préoccupation est évoquée dans la lettre du 29 août 1818, retranscrivant les déclarations des gardes forestiers des propriétés du haras47 (Joseph Dumazel et Jacques Simon) : « Lors de leur visite ordinaire sur les propriétés du haras, ils sont arrivés sur le bord du fossé faisant partie du haras et qui sépare l’herbage de la Briqueterie avec la pièce de Monsieur Le Comte nommée les Many (aujourd’hui affermée par le sieur Louis Leclerc père). Ce fossé avait été dernièrement curé à vif fond dans une dimension de vingt-deux mètres et que les terres en provenant avaient été rejetées sur les propriétés du dit comte. Connaissant que ce curage n’avait pas été ordonné par le haras, ils ont interpellé le dit comte qui leur a déclaré qu’il était l’auteur de cette usurpation. Travail commencé le deux de ce mois par le sieur Jean Briquet dit Lacouture (demeurant sur la commune de la Cochère) pour la somme de trois francs et devant continuer le 26 parce que le dit comte lui avait exprimé son désir d’y faire charroyer de l’eau le même jour et il avait été surpris de le trouver le même jour absolument plein d’eau ce qui l’avait empêché de continuer son travail. Ils ont ensuite rechercher48 d’où venait cette eau de ce dit fossé et ils ont reconnu que le roc de l’étang des grands champs avait été ouvert et que les eaux qui en avaient été sorties avaient remplis le dit fossé. C’est pourquoi ils ont rédigé ce présent Procès-verbal aux fins d’être dirigés par Monsieur le directeur du haras pour les poursuites qu’il jugera convenable tant contre les auteurs de l’entreprise commise sur le fossé appartenant au haras que contre les auteurs de l’ouverture du roc des grands champs […]. » Le haras protège donc sa propriété de manière très importante. Les étangs sont d’une importance capitale pour lui, car ils permettent une irrigation constante des prés et un approvisionnement permanent en eau pour les chevaux qui en ont besoin d’au moins trente

47 M2008 48 Sic

24 litres par jour49. C’est pourquoi le directeur du haras peut prendre la décision de lever les bondes des étangs lorsqu’il juge le niveau des abreuvoirs insuffisant. De plus, les chevaux, s’ils sont placés sur les herbages où se trouvent les étangs, peuvent s’y abreuver directement. Ainsi l’eau n’est jamais un sujet d’inquiétude pour le haras qui possède d’importantes réserves, surveillées étroitement. Enfin, un bon entretien du domaine permet également de donner une bonne image du haras auprès des fermiers et nombreux propriétaires de terrains voisins. Ainsi, le Pin peut apparaître comme un modèle d’agriculture auprès des exploitants. Le nombre exact d’étangs que possède le haras n’est jamais précisément spécifié et il apparaît difficile d’en définir le nombre exact. Cependant, d’après le plan et diverses indications, il est possible de distinguer trois étangs importants, ceux du Pied Mouillé, du Pont du Mesnil50 et de l’Hermite, ainsi qu’une marre au Cazaubiel. L’importance de cette dernière est loin d’être négligeable, les documents indiquant une superficie de quatre ares. Bien qu’il soit difficile de connaître la contenance des ces plans d’eau, il est possible d’en faire une estimation. Il est certain que ces étangs sont artificiels, puisqu’ils doivent être curés très régulièrement, tout comme les canaux. En effet, seuls les étangs et canaux artificiels doivent être curés car des herbes folles poussent rapidement et empêchent une bonne irrigation des terres. Cette contrainte explique donc le soin particulier qui leur est accordé. Or, la profondeur moyenne des étangs artificiels ne dépasse pas traditionnellement 1,50 mètres. Puisque leur superficie est connue51, il est possible d’évaluer leurs volumes52. Ainsi pour l’étang du Pied Mouillé, qui mesure 2,91 hectares, on obtient une contenance approximative de 43 650m3 ; pour le Pont du Mesnil, dont la superficie est de 1,18 hectares, on obtient une contenance de 17 700m3 ; enfin, pour l’étang de l’Hermite53, la contenance est de 6 600m3. Au total, le haras possède une réserve d’eau avoisinant les 67 950 m3. Cette réserve permet au haras de garder constamment une humidité relativement importante afin de procurer aux animaux une herbe riche et nourrissante pour ne pas donner trop de compléments alimentaires, mais surtout de ne jamais avoir d’inquiétude quant à l’alimentation en eau des chevaux. Ainsi le domaine possède, à côté des terres proprement dites, une grande variété de possessions propres à enrichir les terres et à accroître leurs qualités et à vivre en autonomie.

49 Z70. 50 A noter que les noms employés pour désigner ces endroits sont la preuve de la présence d’eau tout comme pour la parcelle du Gué d’Amour, ou l’herbage des Marres. 51 On s’appuie sur le plan des années 1850. 52 Après conversion des hectares en mètres². 53 Qui mesure 44 ares, soit 4 400m².

25 d. les jardins

Les jardins sont peu nombreux et il semble que leur exploitation a peu importé au haras, davantage préoccupé de la bonne santé des chevaux que de celle des hommes. Ainsi, ils sont divisés en nombreux petits lots loués d’abord à des fermiers, puis donnés ensuite à des employés du haras pour leur autosubsistance. Une lettre du 20 novembre 1807 54 évoque une résiliation du bail de « huit petites portions de jardin55 affermées moyennant 25 Francs. » Dans le même document, le directeur propose de les distribuer entre l’artiste vétérinaire, le Premier Piqueur et les palefreniers domiciliés au haras. Cette solution sera acceptée par le ministre de l’Intérieur. Il convient de noter que le prix de location de ces parcelles de jardins est minime, ce qui traduit bien le manque d’intérêt dont elles font l’objet. Leur importance est si mince qu’on en arrive à préférer les confier à des employés directs du haras, qui pourront en faire une exploitation personnelle. Sans doute le haras ne peut-il guère exiger de fermages de ces parcelles, mais on ne connaît pas la productivité de ses jardins. On peut supposer que les jardins étaient au départ destinés à produire des « compléments alimentaires »56 pour les équidés. Il est presque impossible d’arriver à une supposition valable du fait du manque d’informations au sujet de ces jardins ; mais il est presque certain que leur intérêt est minime.

e. la variété de ces terres

Le haras possède 76 parcelles de terres, souvent réparties entre le labour et les pâtures. Elles sont en général de bonne qualité, mais certaines se distinguent particulièrement. Ainsi, en 1887, Charles du Haÿs57 établit une classification des terres du haras. Les meilleures sont celles nommées le Parquet, les Genêts, la côte de l’Isle, le Chaumoulin58, les Grands-Champs, le Pin, les Grandes Bourdonnières, les Petites Bourdonnières, le Parc Saint Martin, les Mottes, le Paddock de Borculo59 et les Charmettes. Les autres terres de très bonnes qualités sont le Pied Mouillé (parcelle du haut et parcelle du bas), la Couleuvre, le Cazaubiel, l’herbage de Chedouït, la Belle Entrée, la Verrie,

54 M2006. 55 Sans doute les jardins sur la parcelle nommée la Cochère. 56 Carottes, vesces, févéolles. 57 Dans Le Merlerault, ses herbages, ses éleveurs, ses chevaux et le Haras du Pin, 1887, p. 56. 58 Soit le Chaux-Moulins 59 Du nom du célèbre haras hollandais, évacué en 1815 vers le Haras du Pin.

26 la Hautbois, le Pont du Mesnil et l’Hermite. On remarquera que parmi ces très bonnes terres, celles où se trouvent les étangs sont répertoriées comme étant d’excellence qualité. La plupart de ces parcelles sont vendues à la Révolution comme Biens Nationaux et elles trouvent facilement acquéreur. En 1807, le Préfet de l’Orne, assisté du nouveau directeur du Pin, M. d’Avaugour, est chargé de réunir ces terres et de proposer aux acquéreurs des ces anciens Biens Nationaux soit d’autres terrains60 de valeur équivalente, soit de l’argent. La plupart des propriétaires choisissent l’indemnisation en numéraire, leur évitant certainement de recevoir des champs trop éloignés de chez eux. Plus probablement, de nombreux héritiers des acheteurs de Biens Nationaux veulent se débarrasser de ce qu’ils considèrent comme des biens d’une gestion difficile, ces héritiers vivant davantage à Paris que dans l’Orne. Il convient en outre de préciser que les nombreuses terres du haras ont été réunies par un nombre restreint d’acheteurs, ce qui a permis de ne pas trop éclater la structure initiale de la propriété et de pouvoir ainsi la reconstituer sans peine. Le coût final de cette opération est de 80 000 Francs61. Dans cette manœuvre, l’Etat a rencontré peu de difficultés. Seule la résistance du sieur Jouau provoque des difficultés : ses terres ne sont récupérées qu’en 1810, après maintes négociations. Ainsi, en une année seulement, la quasi totalité des terres du haras sont de nouveau réunies.

Les possessions du domaine sont très variées et permettent en théorie de vivre sans avoir recours à l’extérieur. La diversité des productions est clairement visible dans la répartition évoquée dans le précieux inventaire du 4 décembre 181162. Les terres dont dispose le haras peuvent être groupées de la sorte : - les prés fauchables (52 hectares) sont l’Isle, le Petit Parc des Mottes et le Parc aux Daims - les herbages (562,86 hectares) sont le Parc du Haut Bois, le Pont du Mesnil, le Pied Mouillé, le Parc Saint Martin, la Côte de Chaufour, l’Hermite, les Petits Grands Champs, le Perchaut, la Petite Vignette, la Grande Vignette, les Petites Bourdonnières, la Grande Pâture, la Grande Bourdonnière, le Cazaubiel, les Genêts, la - Briquetière, le Grands Parc des Mottes, les Petits Genêts, la Bigotière, la Belle Entrée, les Grands Champs. - les terres de labours (230,50 hectares) sont la Ferme du Pin, la Côte de l’Isle, la Vignette ainsi que la Couleuvre.

60 Egalement Biens Nationaux 61 http://www.agriculture.gouv.fr/histoire/7_haras/pin.htm 62 Voir le tableau en annexe.

27 On peut donc remarquer que la majorité des terres sont des herbages, justifiant bien ainsi la vocation d’élevage du Pin. Mais l’information la plus marquante réside dans les commentaires concernant la qualité des terres du haras, pourtant réputées pour être bonnes. Or, on s’aperçoit ici que la plupart des terrains sont considérés comme mauvais. L’une des explications les plus plausibles consiste à chercher les origines de ce problème dans un manque d’entretien des terrains par les acquéreurs de l’époque révolutionnaire. En effet, la qualité des terrains devait être assez réputée pour que ces derniers soient achetés rapidement comme Biens Nationaux. Sans doute ont-elles manqué de soin et d’engrais durant quelques années, ce qui aura déprécié leur valeur. Par la suite, le haras s’attache à améliorer la qualité des terres afin de faire progresser du même coup la qualité des chevaux à sa charge. C’est pourquoi ces commentaires disparaissent par la suite et sont remplacés par des observations élogieuses de la part des observateurs tels Charles du Haÿs. Sans doute les clauses drastiques des contrats et leur observation la plus stricte ont- elles permis au domaine de retrouver sa qualité. Peut-être l’utilisation constante des engrais (naturels puis chimiques) et l’exploitation raisonnée des terrains ont-elles aidé à la revalorisation des parcelles du haras.

f. une double gestion

Les terres en fermage* sont plus nombreuses que les terres en régie*. En effet, ce système permet au haras d’obtenir de l’argent plus rapidement, tout en évitant les écueils de l’exploitation directe, génératrice de pertes et de déficits. En fermage, les locataires63 doivent payer un loyer qui représente un revenu fixe pour le domaine. Ils doivent l’acquitter au début de chaque mois tout au long de leur bail, dont la durée peut être de trois, six ou neuf ans. La plupart des baux sont conclus en décembre et prennent effet entre janvier et mars de la nouvelle année. En général, le haras conclut des baux pour trois ans, empêchant ainsi une constante mise en valeur des terres et donc une meilleure production sur celles-ci. En effet, une exploitation sur une longue durée permet de ne jamais laisser les terres en friches et de sans cesse chercher à en améliorer les qualités. Le haras se réserve en effet le droit de résilier le bail avant sa date d’expiration s’il veut récupérer les terres pour y placer des animaux ou, chose fréquente, s’il ne s’estime pas satisfait des prestations de l’exploitant. Les consignes

63 Les fermiers.

28 pour ce dernier sont très strictes : il doit entre autres respecter le calendrier d’exploitation défini par le régisseur du haras, mettre des engrais64 tous les six mois, laisser les prés libres à certaines époques de l’année afin que le haras puisse y placer des bêtes et laisser les regains à d’autres65 exploitants. Il doit enfin faire les réparations nécessaires sur les terres louées ; mais la prise en charge de ces frais n’est pas bien définie. La direction hésite à les supporter ou bien à les laisser aux fermiers. Pour savoir quelle est la méthode la plus économique, le haras fait coexister les deux solution, comme en témoigne une lettre du 11 juin 1823 : « Vous proposez d’affermer les deux premiers66 avec la charge à imposer au preneur de faire toutes les réparations, et les deux derniers sans cette condition. Les réparations de ceux-ci seroient67 effectuées par les soins du régisseur ainsi que cela avait lieu pour tous les bien affermés appartenant au haras. Vous proposez cette mesure comme essai pour reconnaître l’avantage qu’il peut résulter de ce mode comparativement à l’autre. » Il semble que la régie fut préférée au début du XIXème siècle. Toutefois, elle apparaît peu à peu comme un mode de gestion peu économique, tous les frais demeurant à la charge du haras. Au contraire, avec le fermage, les frais d’exploitation pour le haras sont diminués et la plupart sont supportés par le fermier qui assume tous les risques de faillite que cela peut entraîner. Ainsi, à partir de 1811, le Ministre de l’Intérieur68 décide de « simplifier et de rendre plus économique l’administration du haras du Pin. […]. La régie du haras doit être diminuée ; elle sera réduite désormais aux domaines suivant, savoir : 1°) La Grande Pâture qui est actuellement louée, mais en mesure que le nouveau fermier est disposé à résilier le bail 2°) Les Genêts 3°) Le Parc aux Daims 4°) Le Parc de la Feuillade 5°) La terre labourable de la Vignette Les juments et les poulains et pouliches seront retirés de la Grande Ecurie et remis au Haras. Les bâtiments de la Grande Ecurie formeront un corps de ferme auquel seront rattachés le Parquet de la grande écurie, la Côte de l’Isle, le Pré de l’Isle. Il sera réservé dans les bâtiments un logement pour des palefreniers du haras. Il sera formé une autre petite ferme, des écuries de la Couleuvre qui seront disposées pour recevoir un fermier, de la pièce de terre de la

64 Engrais qu’il doit acheter au fournisseur décidé par le domaine. 65 En effet, les regains sont attribués par enchères publiques à d’autres personnes étrangères au service habituel du haras. 66 Herbages. 67 Sic. 68 M2007. Lettre du 20 avril 1811 au directeur du Haras du Pin.

29 Couleuvre, et du droit de passage dans l’avenue de la Tête au Loup. Ces deux fermes seront affermées le plutôt possible, suivant les formes requises. Le Petit Parc des Mottes, les Petites Bourdonnières et une petite maison située dans l’herbage de la Belle-Entrée, seront mis en location séparément. Il en sera de même de l’herbage des Grands-Champs, si toutefois celui de la Grande Pâture est laissé au haras, dans le cas contraire les Grands-Champs feront partie du domaine en régie. (…) Il en résultera de cette diminution dans la régie, que le haras ne pourra plus par la suite de se fournir de foin, ainsi qu’il l’a fait depuis trois ans et que l’adjudication des fourrages aura dorénavant à fournir cette denrée pour les chevaux du haras, lorsque la provision qui en existe dans le magazin69 de l’établissement, sera épuisée. Le fournisseur devra être prévenu à l’avance et j’ai chargé de ce soin le directeur du haras. (…). » Mis à part quelques changements de moindre importance, cette nouvelle configuration restera identique jusqu’en 1844. Elle apparaît certainement comme l’organisation la plus apte à optimiser les rendements du domaine et à rendre l’exploitation du haras plus économique, ce qui n’était pas le cas jusque-là et ce dont se plaint régulièrement le Ministère de l’Intérieur 70. Malgré tout, le haras supporte les impositions sur toutes les terres. Le Haras du Pin a également pour habitude de diviser les plus grandes parcelles de ses terres en plusieurs lots. C’est pourquoi, lors des ventes aux enchères ainsi que dans diverses lettres, on remarque une importante quantité de lots, jusqu’à huit ou dix pour une seule parcelle. Ces divisions sont surtout très importantes dont les dépendances qualifiées « fermes ». C’est ainsi que lors de la résiliation du bail de la ferme dite de la Grande Ecurie71 en 1815 après trois années de fermage, il est décidé que « les différentes parties de cette ferme » seraient louées « en détail ». Pour diverses raisons, souvent pour l’accueil d’un plus grand nombre de chevaux, certaines terres changent de statut ou voient leur organisation remaniée. Ainsi, en 1829 72, le haras se voit contraint d’accueillir un plus grand nombre de juments, ce qui rend nécessaire d’avoir plus d’herbages où les placer. C’est pourquoi « la Ferme du Pin telle qu’elle se compose aujourd’hui ne sera pas relouée. L’herbage dit de la Grande Vignette sera repris pour le service du haras au 31 décembre prochain. La Vignette en labour sera également reprise le 1er mars 1830, époque de l’échéance du bail. La Vignette en labour et la Grande Vignette seront en régie. L’herbage sera successivement divisé en quatre parties égales au moyen de fossés. La Ferme du Pin (la totalité des bâtiments et ses dépendances) sera réservée pour sa

69 Sic. 70 1ETP15. 71 M2008. Le 22 décembre 1815. Bail souscrit le 8 avril 1812. 72 M2011. Lettre du 12 juin 1829.

30 nouvelle destination qu’est la jumenterie. L’herbage dit le Petit Verger et celui dit les Grands Hazets lui seront attachés ; on y ajoutera les prés nommés le Grand Verger, le Pré aux Chevaux et le Sain Foin et enfin les terres de labour dites les Petites Molles Terres et une portion des Grandes Molles Terres. Ces différentes pièces faisant partie de la ferme, sont d’après un état remis au duc d’Escars, de la contenance d’un peu plus de 25 hectares. Les autres terres dépendantes de cette ferme pourront être louées en les divisant en plusieurs lots : cette location aura lieu dans les formes voulues ; vous vous entendrez à cet effet avec M. le préfet. Il paraît que les bâtiments auront besoin de quelques réparations pour les rendre propres à leur nouvelle destination, je vous prie d’en faire dresser le devis et de me l’adresser. » Cette lettre permet de mieux comprendre l’organisation des baux et des régies du haras, toutes deux assez fluctuantes. La régie apparaît intéressante à partir du moment où le haras doit placer dans les champs une quantité suffisamment importante de chevaux. Sinon, il préfère laisser le soin à des fermiers d’entretenir les terres en y plaçant leurs propres bêtes73, souvent des vaches à lait* ou à graisse* ainsi que des veaux. Apparemment, les fermiers ne placent pas ou peu de taureaux et de bœufs sur les terres du domaine, sauf sur une parcelle nommée les Grands Hazets, sans doute est-ce pour éviter des problèmes avec les juments du haras. Parfois, le statut des champs évolue, la terre passe d’un pré à une terre de labour. Mais cela est rare et nécessite une autorisation74.

Malgré ces essais de valorisation, il apparaît, au travers d’une lettre postérieure75 (1873) contenant les observations du Directeur des Domaines sur les modifications à apporter dans le Domaine du Pin, que l’exploitation du domaine du Pin n’a jamais été optimale, hormis durant la période où la Vacherie y a été installée. « […] L’administration des domaines, lorsqu’il s’agit de biens affectés à un service public, ne fournit qu’un concours passif. Par suite, elle se borne, pour l’établissement du Pin, à provoquer l’adjudication sur la demande de l’autorité compétente, et à recouvrer le prix des fermages (article 7 du règlement du 28 novembre 1837). On ne peut donc que constater la situation actuelle, sans avoir capacité pour l’améliorer ou qualité pour la modifier. Jusqu’en 1873, les herbages du Pin ont été loués par adjudication, pour un an, avec réserve spéciale ils pouvaient être repris, par le service des haras, sans indemnités pour le preneur, lorsque ce service le jugerait convenable. La courte

73 Etude de 1828 à 1833. 74 M2013. Exemple en 1807, dans la lettre du Ministre de l’Intérieur au Préfet de l’Orne, le 27 mars, autorisant le labour et l’ensemencement de l’herbage de la Côte de l’Isle. 75 M2023. Lettre du 20 décembre 1873.

31 durée du bail, l’incertitude d’une jouissance paisible et l’absence de toute surveillance sérieuse du mode d’exploitation ont produit des résultats fort préjudiciables au Trésor, tant au point de vu du prix de location qu’à celui de l’entretien de la propriété. Les locations, en effet, n’avaient d’autres buts que la spéculation ; ils tiraient du sol tout ce qu’il pouvait produire sans se préoccuper du rendement postérieur. Les immeubles se détérioraient et s’appauvrissaient au profit des exploitants pendant que les mêmes causes influant sur l’adjudication, l’Etat ne retirait pas de son domaine les revenus qu’il pouvait produire. Le tableau suivant fait ressortir ce résultat. ANNEES CONTENANCE PRIX MOYENN TOTAL DES OBSERVATIONS TOTALE DES TOTAL DE E PAR MOYENNES HERBAGES LOCATION HECTARE AFFERMES 1863 331h 17100 51,50 653 Report du total des 1864 473 33545 71 1/10 moyennes : 653 1865 561 4695 63 1866 561 35370 71 65,30 A déduire la plus 1867 570 40718 72 forte : 74,50 et la 1868 570 41215 62,50 1869 590 36825 74,50 plus faible : 50 ; 1870 590 45080 50 soit 124,50. 1871 460 23165 66,50 1872 470 31280 Reste : 528,50 Dont le 1/8ème est de 66

Il résulte de ce tableau que la moyenne des revenus de l’hectare, en herbage, n’est que de 66, plus les impôts, toutefois qui sont payés par les locataires, aux termes des cahiers des charges. Le revenu moyen de l’hectare d’herbage, dans le canton d’Exmes où est situé le Domaine du Pin, n’est guère inférieur à 100F, il arrive qu’il dépasse cette moyenne. La grande disproportion résultant des chiffres qui précèdent a frappé l’Administration compétente ; on a cru pouvoir y remédier en prolongeant la durée de bail et l’adjudication, en 1873, a été faite pour 3, 6 ou 9 ans. Mais ce mode de procéder n’a pas produit ce qu’on espérait. Les 570 hectares mis en adjudication n’ont été affermés que 35765F. Si l’on déduit 33 hectares qui n’ont pu trouver d’amateur, on voit que 537 hectares loués 35765F ne donnent qu’une moyenne de 66F par hectare, c’est-à-dire que le résultat est resté exactement le même. Les terres en labour

32 atteignent dans leur location triennale une moyenne de 40 à 45F l’hectare. Ainsi 28h ont été affermés en 1863, moyennant 1140F ; en 1863, le prix s’est élevée à 1360F. Par exception deux hectares 61 ares ont été loués, en 1870 moyennant 330F, amis il convient de remarquer que c’était la terre des Fanfares, au milieu de laquelle on venait de construire une église et un petit village et que l’élévation du fermage provenait uniquement de la situation exceptionnelle des biens amodiés. En 1872, plusieurs parcelles du Domaine de Corbon ont été mises en adjudication avec les terres du Domaine du Pin ; la location totale a donné le chiffre de 6050 Francs pour 165 hectares ; ce qui fournit une moyenne de revenus d’environ 43 Francs par hectare de terre labourable. Le revenu moyen des propriétés voisines varie de 50 à 55 Francs l’hectare. Dans cette situation, il semble que si l’administration des Haras ne songe pas au rétablissement prochain des jumenteries et poulinières, il y a un parti à prendre en ce qui touche la gestion du Domaine. Mais en attendant la décision à intervenir et pendant la durée de location d’herbages qui vient d’être consentie, ne conviendrait-il pas de déléguer en Agent de l’établissement des Haras spécialement chargé de surveiller la scrupuleuse observation des clauses du cahier des charges et de porter particulièrement son attention sur les points suivants : 1°) fermage des terres : La nature argileuse de quelques fonds de terres réclame un fumage fréquent qui pourraient être obtenu à l’aide du fumier provenant du Haras et vendu à vil prix, conformément aux articles 16,17 et 18 du règlement du 28 novembre 1837. L’engrais se trouve aussi sur le Domaine lui-même et il n’y aurait qu’à l’utiliser. Depuis longtemps, paraît-il, les fossés, les mares et les étangs qui existent sur la propriété n’ont pas été curés. Les terres et détritus qu’on pourrait en tirer s’élèveraient à plusieurs centaines de tombereaux et cette matière mélangée avec de la chaux forme un composé puissant. Son extraction pourrait se faire sans grands frais, en temps utile, car parmi les fermiers il s’en trouverait certainement beaucoup qui se chargeraient, leur intérêt personnel étant en jeu, de la transporter gratuitement où il serait nécessaire de l’étendre. 2°) Obligation aux locataires de couper les joncs et bruyères, de déraciner les épines, de curer les rigoles. 3°) suppression de la faux dont l’emploi dans les herbages est fâcheux et interdiction autant que possible de l’entrée des herbages aux juments suitées. Il semble aussi que l’établissement de quelques bouveries est indispensable à travers le domaine, car à part l’herbage du Pont du Mesnil et celui de l’Hermite qui ont chacun un bâtiment en ruine et inhabitable, il n’existe pas de local pour abriter les gardiens et remiser le

33 bétail malade. Ce serait tout à la fois une garantie pour l’éleveur, une surveillance pour la propriété et par la suite, une cause de plus-value de location pour l’Etat. En résumé, si la décision d’intervenir ne modifie pas d’une manière radicale l’exploitation actuelle, il paraîtrait nécessaire de créer un agent spécial pour veiller à la stricte observation des clauses du cahier des charges, pour proposer de faire exécuter les améliorations dont il serait à même d’apprécier l’opportunité. L’exploitation intelligente qui serait la conséquence de cette création ne pourrait manquer de donner un résultat des plus satisfaisants et l’Etat usant de son droit de résilier le bail de 1873 à l’expiration de la première période aurait à mettre en adjudication, pour l’année 1876, des immeubles en parfait état de culture, d’un revenu assuré et dont la valeur locative assurerait la progression générale. »

Ainsi, malgré une bonne volonté, de très nombreuses recommandations et son objectif d’autosubsistance, le Haras du Pin ne parvient à cultiver que des produits de piètre qualité, qu’il est obligé de vendre pour en racheter ensuite de meilleurs susceptibles de répondre aux exigences dictées par l’élevage des meilleurs chevaux du pays.

2. La variété des productions du Haras

Grâce à ses nombreuses terres, même mal exploitées, le haras parvient à produire beaucoup et à pouvoir ainsi récupérer suffisamment d’argent pour acheter des produits de première qualité. C’est certainement pour cette raison que le domaine diversifie autant ses produits et tente d’en tirer le meilleur parti en les vendant aux enchères publiques.

a. les arbres fruitiers

Les productions du haras sont nombreuses. Hormis le foin et les grains, le domaine récolte de nombreux fruits76 grâce aux arbres disséminés un peu partout sur le domaine. Ainsi, le Pin récolte des pommes à cidre ou à couteau issues du Parquet de la Feuillade (26,6 hectares), de la Grande Vignette (16,2 hectares), du Cazaubiel (3,62 hectares), de la Vignette (12,32 hectares) et de la Côte de l’Isle (16,40 hectares).

76 Z68. Vente aux enchères publiques du 4 sept 1838.

34 Le domaine possède également des poiriers et des pruniers ainsi que des cerisiers, cités à plusieurs reprises dans le registre d’ordres journaliers du directeur 77 de 1818 à 1847. Ces arbres demandent un soin particulier dû à leur fragilité. Ils nécessitent une attention importante, perceptible dans les ordres donnés au régisseur. En effet, ces directives reviennent constamment dans le registre : elles chargent un jardinier de récolter les fruits, de scier les branches cassées, de les protéger des animaux mis en pâture dans les champs. On comprend ainsi que les arbres soient placés dans le jardin du château, où ils sont plus à l’abris. Mais pour l’essentiel, ils ne se situent pas dans des vergers appropriés, mais sur les talus des herbages. Cette situation constitue un danger potentiel puisque le bétail des fermiers risque à tout moment de venir les endommager. Ceci se produit d’ailleurs de temps à autre, comme peut en témoigner l’ordre donné au régisseur le 18 juin 182178 : « Les arbres fruitiers plantés sur le jet du fossé qui borde la Grande Vignette et l’herbage dont jouit le fermier du Pin sont ébranlés par les animaux qu’y viennent s’y frotter. C’est plus particulièrement dans cette dernière pièce que les arbres souffrent davantage parce qu’ils sont plus jeunes. Les jours derniers les bœufs de M. Chauvin ont cassé entièrement deux petits pommiers, il serait important d’éloigner les plus jeunes ou leur mettre de forts talus […] ». Les arbres sont remplacés régulièrement, soit parce qu’ils sont vieux et qu’ils ne produisent plus rien, comme cela est évoqué le 27 janvier 1822 (« Il serait aussi je crois à propos de remplacer peu à peu les poiriers, pruniers et autres arbres vieux qui ne portent plus rien, le long des murs du grand jardin. On pourrait commencer par arracher les poiriers qui sont le long de la muraille du côté du Parc aux Daims […] »), soit parce qu’ils ont été endommagés par le bétail ou par le vent. Ce dernier danger menace surtout les cerisiers, arbres très fragiles comme en témoigne l’ordre du même jour : « Il me paraîtrait nécessaire de faire arracher les cerisiers cassés ou abattus par le vent dans le grand jardin et de faire faire des trous afin de pouvoir les remplacer au printemps. Les cerisiers arrachés seront mis en corde ainsi que les troëns […]. » Sans doute les fruits récoltés peuvent-ils servir en partie au haras pour la consommation du personnel, comme peuvent le laisser supposer diverses recommandations79. Mais ces récoltes80 sont principalement vendues chaque année lors d’enchères publiques annoncées dans tout le département, c’est ce qui explique que le régisseur soit chargé de

77 1ETP327. 781ETP327. 791ETP327. Ordre du 11 octobre 1820 : « M. Duhamel voudra bien faire acheter à Argentan un panier pour ramasser les pommes et les transporter dans le lieu où elles seront provisoirement placées avant d’être transportées au château. » 80 Elles sont exécutées par les palefreniers du haras, pour des raisons d’économie.

35 prendre si soin d’elles. Le domaine songe également à la facilité des ventes 81 en transportant les pommes et autres fruits au château, lieu plus attractif que n’importe quel autre bâtiment.

b. les légumes et autres menues productions

Grâce à ses jardins, le haras produit pour sa propre consommation des légumes et d’autres produits, sans doute jugés trop négligeables pour être cités et surtout vendus. En effet, dans les années 1850 le domaine produit également des carottes, des navets, des betteraves, du trèfle, de l’orge, des féveroles* et des vesces. Certains de ces produits sont notés dans le journal général et les états de situation du magasin82 de mars 1823 à décembre 182583. Cependant, les entrées dans le magasins sont alors rarement utilisées et peuvent rester stockées ainsi plusieurs mois, voire plusieurs années consécutives. Pourquoi ces denrées ne sont-elles pas vendues ? Pourquoi ne sont-elles pas consommées plus régulièrement ? En l’absence d’éléments de réponse tangibles, plusieurs hypothèses sont envisageables. Il est possible que le domaine fasse des économies afin de distribuer des rations supplémentaires d’alimentation lors des hivers trop froids ou lors d’étés trop secs, et pour constituer un complément assez conséquent pour maintenir les chevaux en bonne forme. Ces denrées peuvent aussi être gardées à l’abri jusqu’à ce que la direction du haras estime bon de les vendre, afin de gagner de l’argent dans des moments un peu plus difficiles sur le plan financier.

c. le fumier

Les chevaux sont eux-mêmes sources de revenus. Le haras tire un bénéfice des déjections que produisent les chevaux. En effet, au XIXème siècle, le fumier est le principal engrais connu, avec la chaux. Il permet en premier lieu de fertiliser les terres du domaine du haras. Par conséquent, une grande partie est distribuée aux fermiers du Pin. Le fumier se fabrique avec du foin, de l’avoine et des déjections des chevaux84. Des expériences semblent tentées sur la composition du fumier afin de le rendre plus fertilisant pour les terres qui en ont

811ETP327. Ordre du 5 octobre 1820 : « Après la foire, M. Duhamel emploiera les palefreniers à abattre les pommes qui se trouvent murs dans la cour de Cazobiel, dans le parquet de la Feuillade et dans le pré de l’Auberge(…) Elles seront transportées au haras où elles seront vendues plus facilement. » 82 1ETP300*-303*. Entrées et sorties. (1826-1840) 83 1ETP258*. Bordereaux mensuels. Recettes et dépenses par mois, états financiers divers, bordereaux de caisse, état du magasin des denrées affectées au dépôt, état des fourrages consommés. (1820-1825) 84 D’où l’importance des fosses à fumier que le haras fait construire et se préoccupe de leur entretien constant.

36 besoin. Ainsi, on décide de mettre « une petite quantité de fumier chaud comme expérience » dans la partie basse du parce du Haut Bois85. Les terres sont généralement fertilisées avant le repos hivernal, c’est-à-dire vers le mois de novembre, et avant les regains, c’est-à-dire vers la fin du mois d’août. Mais les engrais sont en priorité distribués sur les terres de très mauvaise qualité telles la Couleuvre, le Cazaubiel ou le Parc aux Daims. Les tableaux établissant l’état des redevances des baux à fermes86 indiquent régulièrement, que les fermiers sont chargés de charroyer du fumier depuis la gare de Paris jusqu’au Pin. Ce charroi de fumier fait partie de la redevance en nature, évitant au haras une dépense supplémentaire pour le transport de cet engrais naturel. Cette observation nous amène à formuler deux hypothèses : soit le haras a trop de terre à fumer pour pouvoir récolter suffisamment, soit il ne parvient pas à produire assez d’engrais malgré de nombreux animaux en herbage. Les herbages du haras contiennent presque tous des animaux, comme le montre le graphique ci-dessus. Le haras laisse ses fermiers placer des bêtes sur les différentes parcelles, après se les être partagées87. Souvent, le haras partage les parcelles afin de pouvoir lui-même placer des chevaux. Ce choix sert également de dédommagement aux fermiers qui, dans leurs redevances en nature, se voient dans l’obligation d’herbager une à deux juments accompagnées de leurs produits. C’est pourquoi les terrains sont le plus souvent divisés en nombreux lots permettant d’obtenir davantage de revenus. Les juments cohabitent souvent avec les vaches ainsi que leurs petits.

d. les foins

Grâce aux nombreux terrains qu’il possède, le haras peut organiser de grandes récoltes de foin chaque année. Un calcul très précis des quantités de foin rentrées est entrepris durant quelques années mais est vite abandonné. On le trouve de 1806 à 1815, puis ce système disparaît complètement avec la réorganisation des haras après cette date et peu de renseignements sont donnés au sujet des récoltes. Malgré tout, il semble que le système conservé soit le même : des journaliers88 sont employés pour couper les foins à la faux et sont

85 1ETP317. Ordre du 14 novembre 1819. 86 Souvent en nature et en argent. 87 39 agriculteurs ont placés du bétail sur le terrain nommé la Grande Pâture, c’est un maximum. 88 Ou surnuméraires.

37 chargés des les transporter jusqu’au haras. Leur salaire est proportionnel au nombre de bottes de foin transportées. Etant donné la qualité des terrains, ces récoltes semblent destinées à être vendues au cours d’enchères publiques situées à Argentan ou sur la commune du Pin. Cette situation n’est pas systématique et semble varier en fonction des années et des directives reçues du gouvernement. En effet, à partir de 1820, le foin est bien plus souvent conservé et distribué aux chevaux du haras que vendu. Il est possible que la qualité soit finalement jugée suffisante pour être distribuée au sein du domaine. Il est également probable que la qualité des sols s’améliore au fur et à mesure. Peut-être préfère-t-on par souci d’économie89 consommer ce qui peut être produit sur place. Aucune des hypothèses ne peut être écartée, mais la plus plausible est sans doute la préoccupation financière, impératif sans cesse rappelé au directeur du haras par son Ministère de tutelle. Sans doute le haras choisit-il de compléter ses propres ressources par du fourrage de première qualité fourni par l’extérieur. Notons que la qualité des sols appartenant au haras paraît largement suffisante pour n’importe quel exploitant, comme en témoigne la rapidité avec laquelle les parcelles se vendent à la Révolution. Mais pour un haras toujours tourné vers une constante amélioration des races, vers un soin constant et de première qualité accordé aux meilleurs reproducteurs du pays qu’il abrite, se contenter d’une qualité moyenne ou tout juste satisfaisante n’est pas suffisant : il faut le meilleur pour l’élite des chevaux. Une telle attention portée à cette ressource est tout à fait justifiée puisque c’est l’aliment principal des équidés. L’inquiétude est donc très vive s’il n’y a pas suffisamment de foin en réserve.

e. les regains

Après avoir effectué les récoltes de foin, fin août, vient la période des regains, appelée également seconde herbe, permettant de remettre les animaux en pâture. Les fermiers ne bénéficient pas automatiquement des regains. Ces derniers sont mis en vente en enchères publiques. Certes, les fermiers locataires de pièces de terres peuvent les acheter, mais ils sont le plus souvent attribués à d’autres exploitants. Les acquéreurs doivent signer un contrat qui les engage pour une période de trois mois à placer leurs animaux sur les terres du domaine du Pin. En décembre, ils doivent quitter leurs terres et laisser leur place aux fermiers du haras90. Les clauses de leurs contrats sont très souvent proches des exploitants

89 Idée récurrente tout au long du XIXème siècle. 90 1ETP327. Ordre du 27 octobre 1822 : « M. Duhamel n’oubliera pas que les fermiers des seconde herbes ou regains doivent faire partir leurs animaux des herbages le 1er décembre prochain (…). »

38 habituels du domaine. De nombreuses exigences sont incluses : ils sont notamment obligés d’entretenir correctement les parcelles dont ils ont la responsabilité durant trois mois et doivent le rendre en bon état. Si tel n’est pas le cas, le haras peut recourir à la justice et exiger une amende plus ou moins importante selon l’étendue des dégâts.

3. Les apports extérieurs : les fournisseurs de fourrages

a. L’alimentation des équidés

Malgré la variété de ses productions et sa grande superficie, le haras souffre de nombreuses faiblesses : terrains de qualité souvent moyenne, mauvaise gestion qui entraîne un faible rendement, production souvent inappropriée à la nourriture des équidés. L’alimentation d’un cheval se compose à 90% de foin, de paille et d’avoine. Il y a peu d’évolution dans cette composition des rations, la seule modification concernant les « compléments alimentaires ». Ce n’est qu’à partir de mars 182391 qu’apparaissent des mentions de carottes, de son, d’orge, de trèfle, de vesces (en grains, battues ou en gerbes) et de féveroles. Il est cependant fort possible qu’ils aient déjà été distribués auparavant, mais qu’ils n’aient pas été mentionnés du fait de leur apparence fort secondaire voire inutile. Le haras reçoit des consignes strictes quant à la nourriture des animaux, et l’administration du Pin se voit dans l’obligation de respecter ces consignes sous peine de « réprimandes sévères ».

91 Dans le tableau des composition des rations, mais également dans les tableau de situation de magasin de fourrages.

39 Tableau I : Diagramme de l'alimentation du cheval au XIXème siècle

Trèfle Orge Vesces en gerbe Vesces battues Foin Paille de froment Avoine Paille Farine d'orge Vesces en grains

40 A titre de comparaison, l’alimentation d’un cheval consiste aujourd’hui en un mélange équilibré « à gros grain » composé pour l’essentiel d’orge, d’avoine et de maïs et complété par d’autres ingrédients tels que le son, distribué à raison de 900 grammes par jour en moyenne, les granulés et les graines de lin. Il est possible de rajouter de l’ail, des minéraux, du calcaire en poudre, de la mélasse et de l’huile de foie de morue ainsi que des racines et des fruits.92 La base de l’alimentation équine au XIXème siècle demeure bel et bien le foin. Le haras en récolte chaque année entre 200 000 et 360 000 kg. Ces productions demeurent toutefois insuffisantes93, d’autant qu’elles sont diminuées par d’importantes pertes : l’administration évoque régulièrement des problèmes de conservation94 ainsi que des bottes de foin avariées95 vendues à très bas prix. Le haras ne peut donc être autosuffisant et doit faire appel à l’extérieur pour assurer aux chevaux une alimentation d’excellente qualité. Interviennent alors ceux que l’on nomme les « fournisseurs de fourrage ».

b. les demandes du haras

Afin de répondre aux exigences de qualité des fourrages censées permettre de faire progresser les performances tant physiques que physiologique des chevaux de races, le haras ne transige pas sur la qualité et surveille de très près les fournisseurs de fourrages auxquels il fait appel. Une lettre du Ministre de l’Intérieur au Préfet de l’Orne datée du 4 septembre 180796 témoigne de cette préoccupation : « Comme il s’agit ici de la nourriture d’animaux précieux, qui ne peut pas être confié à tout fournisseur indistinctement, le choix du conseil ne devra pas être déterminé seulement par l’avantage des conditions offertes par les concurrents mais encore, et principalement, par la manière connue, ou présumée de s’acquitter de la fourniture. Le tout sera soumis à mon approbation (…). Il sera bon que vous vous concertiez avec M. d’Avaugour, Directeur du Haras du Pin pour la rédaction du Cahier des Charges, dans lequel il faudra prévoir le cas où, comme à présent, l’administration du haras aurait des approvisionnements déjà faits et provenant de ses récoltes, lesquels elle aura la faculté de consommer de préférence, et l’adjudicataire n’aura à fournir que le surplus de ce qui sera

92 Hartley Edwards Elwyn, Les Chevaux, Paris, 1992, pp. 206-207. 93 D’autant que le haras doit également nourrir les chevaux de service. 94 1ETP111. L’administration préconise d’asperger le fourrage avec de l’eau salée et acidulée avec du vinaigre, «la dose étant « d’un kilo de sel marin et de quatre litres de vinaigre par quinstat métrique. » 95 De l’ordre de 1000 à 2500 bottes de foin avariées chaque année, ce qui représente jusqu’à 18750Kg de perdus. 96 M2006.

41 nécessaire. Le marché peut-être conclu pour trois ans. » Ainsi, le haras doit en principe veiller à la qualité des intervenants extérieurs, afin que ces derniers ne desservent pas l’établissement. L’Etat et le haras ne semblent pas avoir confiance en ces personnes : cet appel apparaît comme un aveu d’échec par rapport à l’idée d’autonomie, censée apporter plus de réussite à l’amélioration des races. La tâche principale de l’adjudicataire est de fournir le haras en alimentation dite « de base », c’est-à-dire fournir le foin, la paille et l’avoine. Celui-ci obtient son marché au cours d’enchères publiques, qui se tiennent en septembre, peu de temps après la fin des récoltes du domaine. Le fournisseur se charge ensuite de trouver des fourrages auprès de divers sous- traitants, les paie à l’avance et se rembourse grâce au haras, qui le rémunère à chaque livraison dans l’établissement. Pour être choisi, il est nécessaire d’être solvable, de présenter un garant et d’accepter un cahier des charges très strict dont voici quelques extraits97 : « Article IV : Pour la fourniture à l’établissement, la quantité en poids ou en mesures métriques de chaque espèce de denrées à livrer sera indiquée tous les jours au fournisseur qui devra les délivrer ou les faire délivrer exactement et assurer leur transport sans diverses succursales et sans aucun concours des gagistes ou des chevaux du dépôt. Article V : L’administration se réserve le droit de faire consommer par les étalons, les pailles, foins, graines et carottes qu’elle pourrait récolter sur son domaine et d’utiliser les litières de toutes pièces qui pourraient être tirées des pièces en cultures. Article VI : (…) L’avoine et les grains doivent être sans aucune poussière et sans graine étrangère. L’avoine devra peser au moins 48Kg par hectolitres (…). Article VII : L’approvisionnement doit être fait au maximum pour dix jours. Article VIII : (…) Si l’approvisionnement n’est pas de première qualité, l’administration se réserve le droit le refuser (…). Les arrivages doivent s’effectuer entre 9 heures du matin en hiver à 3 heures de l’après-midi ; de 6 heures du matin à 4 heures de l’après-midi en été ; sauf pour les jours fériés ainsi que les jours des principales solennités hippiques qui seront regardés comme des jours fériés Article XII : L’adjudicataire sera tenu de pourvoir à la nourriture des étalons détachés pour la monte depuis le moment du départ jusqu’à leur retour, et de s’arranger à cet égard, avec les personnes auxquelles la garde des étalons sera confié, sans que le prix de son adjudication puisse augmenter ou diminuer. »

97 1ETP324.

42 Comme le montre cet extrait, les clauses sont nombreuses et détaillées. Elles ont pour but d’éviter tout problème avec les fournisseurs. Par souci d’économie, le haras précise bien qu’il peut se passer de leurs services s’il peut consommer ses propres produits, préoccupation récurrente au cours du XIXème siècle. Cette offre publique de marché est très prisée dans le département et même dans la région. Beaucoup de monde se propose pour fournir le haras en pensant que cela les enrichira et leur offrira du prestige. Les quelques listes des participants aux enchères publiques d’adjudication de fourrage montrent que la plupart des offrants résident dans un rayon de 25 à 30 kilomètres autour du haras, notamment à Sées ou à Argentan. Mais on peut également noter la présence de quelques hommes venus du Mans, de la Mayenne et du Calvados. Cependant pour des raisons de prudence, le haras et le Préfet de l’Orne préfèrent accorder le marché aux plus proches. Deux hommes (M. François Chauvin et M. Pierre René Charles Pichon) seulement se partagent la fourniture de fourrages en 38 ans. La concurrence pour garder son marché est rude et les convoitises menant à des dénonciations calomnieuses ne manquent pas, comme en témoigne la lettre que le Ministère de l’Intérieur reçoit le 25 octobre 181698, peu de temps après l’adjudication : « Monseigneur, de l’adjudication qui vient d’avoir lieu ici pour la fourniture des fourrages au Haras du Pin, l’on a cherché à écarter tout le monde excepté à celui à qui on voulait la donner. Il sera facile de vous en convaincre en vous faisant représenter le cahier des charges. Il faut que celui qui en est le rédacteur soit ou imbécile ou fripon. Pour y avoir insérer des clauses aussi préjudiciables aux intérêts du gouvernement et il faudrait être aveugle pour ne pas s’apercevoir qu’il y a eu de la manigance. Le motif de la présente est pour vous mettre à portée de réprimer des abus qui ne sont pas sans doute à la connaissance de M. Le Préfet, car il est présumable qu’il ne les eut pas tolérés. L’amour de ma Patrie et de mon Roi m’impose l’obligation de vous les faire connaître. Je connais ici des personnes qui se seraient chargées de cette fourniture à un quart de moins que celui qui doit la faire si le cahier des charges eut été rédigé suivant les principes de l’équité. Je suis avec respect, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur, (Signé) Louvel. »

98 M2008. Il n’y a pas de trace de l’enquête qui devait être menée par le Ministère de l’Intérieur et le Préfet de l’Orne à la suite de cette dénonciation.

43 c. les rapports avec les fournisseurs de fourrages

En réalité, le Haras du Pin tend à choisir toujours les candidats proposant les prix les moins chers, ce qui n’est pas sans poser régulièrement problème : livraisons de mauvaise qualité et retards dans les approvisionnement ne sont pas rares. L’établissement lui-même est instable dans ses adjudications. En effet, les marchés peuvent être conclus pour trois ans, mais comme pour les fermages, le haras, se réserve le droit de résilier le contrat s’il n’est pas satisfait. Le Pin semble quelque peu abuser de ce droit : malgré les contrats signés, les marchés sont pour la plupart renouvelés tous les ans et ce souvent au désavantage des fournisseurs. Ainsi, en 1813, le fournisseur René Pichon voit son contrat résilié, malgré un service satisfaisant. Cela représente pour lui un manque à gagner très important et provoque sa ruine, car il a engagé pour trois ans des frais mais qui ne seront pas remboursés par le haras. M. Pichon en vient alors à supplier le haras99 de respecter le contrat, afin de ne pas le mettre « dans l’embarras ». Mais dans cette affaire, le haras n’est pas toujours responsable de ses décisions. En effet, le Préfet de l’Orne et le Ministre de tutelle du haras peuvent prendre des mesures presque indiscutables lorsqu’il s’agit d’économies. Dans ce cas, le haras intervient en faveur de M. Pichon. Le Ministre de l’Intérieur accorde alors de lui laisser le marché100, mais les prix lui sont fixés arbitrairement et sont moindres par rapport à son offre. Cela ne semble pas convenir au Sieur Pichon qui semble résigné à perdre le marché. Au nom de l’économie, le haras change très souvent de fournisseur et peut revenir à des individus évincés quelques années auparavant. C’est notamment le cas de René Pichon, qui signe de nouveau un contrat pour les années 1820 à 1822101, puis à partir de 1846. Mais en choisissant le plus offrant, sans prêter attention aux prestations que les personnes peuvent proposer, le haras se trouve parfois confronté à des problèmes importants, mettant en danger la santé des chevaux. L’affaire la plus révélatrice des problèmes qu’a rencontré le haras est celle du Sieur Louvet, dit Jardin. Celui-ci devient fournisseur de fourrage du haras à partir de 1810102. Quelques mois plus tard le haras se montre très mécontent de son service. Débute alors une longue bataille. La première plainte significative du haras date du 22 juillet 1812, dans une lettre au Préfet de l’Orne : « Depuis plus d’un an, l’approvisionnement en avoine n’a jamais été bien fait, soit en qualité soit en quantité suffisante pour ne pas craindre voir manquer cette

99 M2008. Lettre du 25 juin 1813. 100 M2008. Lettre du 02 octobre 1813. 101 M2009. 102 M2007.

44 partie du service. Les tenus malheureux qui se sont faits payés m’ont souvent fait fermer les yeux sur cette fourniture et j’espérais au moins que ces fournisseurs feraient preuve de bonne volonté, ils ont au contraire montré la plus grande insuffisance à tel point que depuis quelques temps, la fourniture d’avoine a été abandonnée à de pauvres blatiers qui en sont venus à me fournir que de la paille d’avoine et qui ont fini par n’en plus vouloir livrer, parce qu’ils ne sont pas payés. Déjà plusieurs fois, je me suis vu à la veille de faire acheter, pour ne pas laisser manquer le service ; hier enfin, j’ai été obligé, vu qu’il ne reste pas d’avoine pour la consommation d’aujourd’hui, ainsi que vous le verrez par le PV que j’en ai fait rédiger, laquelle ne présente au magasin que 6 hectolitres 25 litres, lorsqu’il en faut 8 hectolitres. Forcé à cette mesure de rigueur par l’insouciance et le silence des fournisseurs, j’ai fait acheter de l’avoine et du son pour huit jours afin de vous donner le temps d’assurer le service d’une manière à m’ôter toute inquiétude d’ici au 1er novembre. C’est M. Pichon que j’ai chargé de cet approvisionnement provisoire, le zèle qu’il y a mis pour me tirer d’embarras jouit à la bonne réputation dont il jouit, me fait espérer que j’aurais lieu d’être satisfait de son service et je vous demande même si cela entre dans vos arrangements, que ce soit lui qui fut chargé de finir l’année des fournisseurs actuels, parce que je les considère comme hors d’état d’en venir à bout vu le discrédit. » Le Haras se trouve ici face à une situation difficile : en effet, il doit faire appel à un second fournisseur, suppléant les insuffisances du premier qui s’est désisté et se cache derrière de pauvres « blatiers » qu’il emploie afin de ne pas faire face à ses responsabilités. Cette double dépense est contraire aux préceptes d’économie qui régissent l’établissement. Cependant, le haras ne semble pas comprendre les causes de ce dérèglement. S’agit-il simplement de malhonnêteté de la part du fournisseur ou le Pin a-t-il des responsabilités dans cette situation ? En effet, le Sieur Louvet porte plainte auprès du Ministre de l’Intérieur les prix de fourniture exigés par le haras lui semblent trop inférieurs par rapport à ceux du marché alors en cours et que, par conséquent, Monsieur Louvet ne peut rentrer dans ses frais : il doit vendre à perte. De plus, le haras semble appliquer des mesures abusives. Il ne suffit pas seulement de fournir de l’avoine nette, le fournisseur a l’obligation de la « revanner » avant de la livrer, ce qui augmente encore les frais à sa charge sans qu’il puisse augmenter ses prix. Cette mesure de précaution est-elle vraiment indispensable ? Le Sieur Louvet semble en douter et justifie ses réclamations et son comportement par une ignorance des conditions exactes de service. Comment peut-on les ignorer alors qu’il y a beaucoup de candidats au marché, alors que le haras est célèbre dans la région ?

45 Sans doute les propos de Monsieur Louvet sont-ils abusifs, sans doute est-il un peu malhonnête, mais cette affaire révèle l’instabilité décisionnaire du haras et sa recherche de l’économie à tout prix, qui n’apporte pas toujours d’ailleurs les résultats escomptés. Il est normal que le haras, qui n’est pas autosuffisant, réclame une qualité irréprochable aux intervenants extérieurs, mais il est étonnant d’observer des clauses si minutieuses. Ces exigences parfois démesurées desservent finalement l’établissement qui se retrouve ainsi dans des situations difficiles. Par exemple, malgré une dotation conséquente, l’établissement ne parvient pas à fournir aux chevaux suffisamment de nourriture de qualité. L’objectif premier d’un grand domaine attaché à un haras est de permettre à ce dernier d’être le plus performant tout en coûtant le moins cher possible à l’Etat. Du fait de la qualité souvent moyenne des terres et d’une mise en valeur un peu faible, le haras se voit dans l’obligation de faire appel à l’extérieur. Mais il le fait de manière méfiante, ce qui génère des relations tendues avec les fournisseurs de fourrages auxquels ils n’accordent guère leur confiance.

Pour obtenir des chevaux de qualité, aux performances toujours meilleures, il ne suffit pas d’avoir un bon domaine et d’exiger une nourriture parfaite. Il faut également apporter à ces équidés de nombreux soins et posséder suffisamment de personnel pour leurs prodiguer une attention de tous les instants.

46 Deuxième partie

Les autres besoins du haras

47 Pour rendre un élevage équin performant, il ne suffit pas d’avoir un domaine riche et de qualité. Il faut également avoir suffisamment de moyens pour apporter des soins constants et attentifs aux animaux. Le domaine doit employer des hommes bien formés et sachant s’occuper des chevaux, dans une autonomie relative, pouvant leur prodiguer des soins de première nécessité. Les économies dans les dépenses du domaine permettent de dépenser plus d’argent pour le bien- être des hôtes du Pin. Le nombre d’étalons et de juments dépend de la qualité d’élevage et de soin du haras. Ses résultats sont examinés de très près chaque mois par le Ministère de tutelle103. Les appréciations déterminent les crédits alloués à l’établissement, le nombre de chevaux qui lui sont confiés. Le haras désire maintenir une réputation de qualité et de performance afin de garder la confiance de l’Etat et celle des éleveurs de la région.

1. L’attention portée aux chevaux demande des moyens…

a. les rations alimentaires

Non seulement pour des raisons d’économie, mais aussi pour des raisons de santé des chevaux, l’Etat impose au haras des réglementations très strictes quant aux rations de fourrages qui doivent être distribuées chaque jour aux animaux. Dans chaque état de situation du haras104 , il doit être fait état des stocks de fourrages qui sont en magasins et qui conditionne le fonctionnement de l’approvisionnement. Le Ministre ainsi que le Préfet sont chargés de veiller au respect des instructions données et à la bonne tenue de ce livre. En théorie, ce dernier permet au haras de planifier ses dépenses en approvisionnement et de pouvoir ainsi prévoir un budget. De plus, il permet au Ministre d’empêcher les abus. En effet, certains haras utilisent à des fins privées les fourrages qui leur sont attribués et déclarent en consommer plus que réellement et font donc supporter à l’Etat des dépenses supplémentaires. C’est pourquoi les remarques concernant l’état mensuel sont toujours très pointilleuses, voire contraignantes quand il s’agit des finances publiques. Les calculs sont alors très précis. Chaque erreur105 est notée et fait l’objet d’une longue argumentation auprès du régisseur et du directeur du haras, afin de bien leur montrer leurs erreurs. C’est ce que l’on

103 Le Ministère de l’Intérieur. 104 Qui s’effectue tous les mois. Il est soumis à l’approbation du Ministre de tutelle. 105 En trop ou en moins.

48 peut remarquer dans diverses lettres et notamment celle du 10 août 1821 : « L’état de situation du magasin aux fourrages porte la sortie de 11 700Kg de foin vendus en février dernier et provenant de la récolte de 1819. Il y a ici double emploi, cette quantité de fourrage se trouve déjà déduite dans l’état de magasin de février ; ainsi le restant en magasin au 30 juin dernier doit s’augmenter de cette quantité, c’est-à-dire il doit être de 98 368Kg. Le même état indique le déficit sur la récolte de 1819. ce déficit serait de 73 439kg. La récolte s’étant élevée à 367 282,50Kg, il en résulte que le déchet est d’environ le 5ème ou 20%, ce qui paraît bien considérable. » Les rations distribuées aux chevaux sont très strictes. Dès 1814, la réglementation impose les chiffres suivants106 :

Tableau IV : Rations réglementaires distribuées aux étalons dans les haras.

rations Avoine Foin Paille ordinaires 8 Litres 5 Litres 6 Kg monte 10 Litres 5 Litres 6 Kg

Les rations ne varient guère entre le temps ordinaire que les étalons passe au haras et celui de la monte qu’ils passent en station. La seule différence tient dans la ration d’avoine, qui augmente de deux litres durant la monte. Cette augmentation est certainement due au fait que l’avoine est un excitant qui permet de maintenir les chevaux en forme. Cette fixation des quantités tient particulièrement à cœur des gouvernants, comme en témoigne une circulaire du 9 février 1818 : « Monsieur le Chevalier, la nourriture des animaux que le gouvernement entretient dans les établissements de haras me paraît devoir fixer d’une manière toute particulière l’attention de l’administration, tant par rapport aux mesures qui peuvent paraître les plus convenables pour assurer ce service de la manière la plus avantageuse sous le rapport de l’économie, que relativement à l’influence que les subsistances alimentaires, ordinairement employées pour ces usages peuvent avoir sur la santé des animaux dont il s’agit et sur le développement de leur qualité génératives et autres. C’est en raison de ces considérations, qui doivent varier relativement aux différentes localités, que j’ai cru devoir vous demander les renseignements que comportent les questions suivantes :

106 1ETP111. 23 septembre 1814, Information sur les rations des chevaux.

49 1°) quelle est l’époque la plus convenable pour renouveler les marchés pour la nourriture des animaux de votre établissement et celle où ces nouveaux marchés doivent commencer à s’exécuter ? 2°) de quelle contrée tire-t-on ordinairement les fourrages qui y sont consommés ? Quel est communément leur prix courant sur les lieux ? A combien évalue-t-on les frais de ces transports de ces contrées à l’établissement ? 3°) quelles sont les facilités ou les difficultés que ce service peut présenter, soit en raison de l’abondance ou de la rareté des denrées, dans les qualités exigées, du voisinage ou de l’éloignement des lieux d’où l’on doit les tirer, de la nature des communications, aussi soit relativement au nombre plus ou moins grand d’individus qui auraient les facultés nécessaires pour entreprendre cette spéculation, ou qui aient l’habitude de s’y livrer soit enfin ce qui regarde le service des stations ? 4°) est-il plus avantageux de faire des marchés à long terme, ou seulement pour une deux ou trois années ? 5°) quelles seraient les modifications dont le cahier des charges aujourd’hui vous paraîtrait susceptible soit dans les dispositions qui peuvent s’appliquer généralement à tous les haras et dépôts d’étalons, soit par rapport aux circonstances particulière à votre circonscription, ou à la situation de l’établissement ? Outre la réponse à ces questions, sur lesquelles j’attire toute votre attention, je vous serai obligé de me faire aussi parvenir les observations que vous avez pu recueillir sur les contrées de votre circonscription où se trouvent les fourrages les meilleurs et les plus abondants, sur la qualité de ces denrées dans les différentes localités de cette circonscription ; sur les effets que le plus ou moins de substance nutritive qu’elles contiennent peuvent avoir, opèrent sur les animaux qui s’en nourrissent et particulièrement sur la santé des étalons et leurs facultés génératives. Enfin, je désirerai savoir si les bonnes qualités d’une espèce peuvent compenser les mauvaises d’une autre, dans quelle proportion il faudrait les donner chacune à raison des qualités nutritives qu’elles contiennent respectivement, pour que les étalons fussent nourris convenablement, et s’il ne serait pas avantageux de suppléer, sinon habituellement, au moins dans quelques circonstances, par d’autres denrées qui entrent ordinairement dans la composition de la ration, aux qualités mauvaises ou insuffisantes de ces dernières. Il vous sera sans doute facile de répondre dès à présent à ces différentes questions et de me transmettre dans un court délai, tous les renseignements qu’elles peuvent exiger. Vos propres observations jointes aux indications que vous avez pu obtenir pendant vos tournées et dans vos rapports multipliés avec les principaux cultivateurs de votre arrondissement vous ont

50 sûrement mis à même de faire ce travail. Si cependant il vous restait encore à cet égard quelques faits à reconnaître ou à vérifier, je préférerai, pour avoir un travail plus exact et plus complet sur cette matière, attendre que vous ayez complété vous-même les infos qu’ils vous resterait à recueillir. » Ainsi, le haras n’est pas le responsable des décisions concernant la nourriture des étalons : les rations sont décidées par le Ministère après une consultation de tous les haras nationaux. Alors que la préoccupation principale demeure la santé des reproducteurs et leur « qualité générative », les soins apportés aux juments et à leur produit semblent moins importants. En effet, ce sont les saillies des étalons qui peuvent faire la richesse de l’Etat puisque le prix de la saillie dépend de la réputation de l’animal.

Les tableaux de consommation de fourrage permettent d’estimer le nombre de chevaux présents au haras de 1806 à 1844. En effet, chaque jour, le régisseur doit noter le nombre de rations ayant été distribuées, ce qui permet de suivre l’évolution du nombre d’étalons présents au haras au cours de l’année. Le nombre de rations distribuées n’est pas stable et le haras mélange jeunes chevaux et étalons. Les compositions de fourrage pour les juments suitées sont différentes. Elles sont surtout plus fortes en foin. Quant aux produits élevés sur les terres du haras, leurs rations varient en fonction de leur âge. Elles augmentent considérablement lorsqu’ils commencent à être sevrés107. Auparavant, le lait de leur mère leur suffit et les fourrages ne sont que des compléments.

Tableau V : Composition des rations de juments, poulains et pouliches.

Rations Foin (Kg) Paille (Kg) Avoine (Litres) Juments suitées 10 6 6 (en deux fois chaque jour)108 Poulains/Pouliches 7,5 6 5 Poulains/Pouliches 6 3 4

Lorsque les juments et les jeunes chevaux sont mis au vert109, ils sont répartis dans les nombreux prés du haras, par deux à trois. Ils y sont emmenés vers neuf heures du matin et y

107 Vers les six mois. 108 1ETP327. 109 Cette méthode permet au poulain de mieux se développer.

51 restent en moyenne une demi-journée110. Les poulinières et les poulains sont répartis par race avant d’être envoyés dans les pâtures, sans doute pour faciliter le travail des palefreniers. Les calculs effectués au XIXème siècle permettent de savoir que le haras peut accueillir jusqu’à cent juments sur ces terres sans que cela nuise « aux intérêts pécuniaires du gouvernement » et sans que les terres du haras ne soient appauvries par une exploitation trop intense. Au XIXème siècle, dans une lettre adressée au directeur du Pin, le Ministère de l’Intérieur se préoccupe de la question suivante111 : « les compositions des rations devraient- elles être composées pour chaque cheval d’après son espèce et ses forces ? […] Ainsi on a laissé à part ce qui concerne la nourriture des juments poulains et pouliches ; les règlements n’ayant rien déterminé de positif par rapport à la ration que chacun de ces animaux peut consommer. Vous verrez par le tableau ci-joint qui est le résumé du travail que j’ai ordonné et qui présente en outre les quantités des fourrages qui auraient seulement été consommés si on s’était tenu aux quantités prescrites, que le mode que vous avez adopté, a occasionné un excédent de dépense sur la nourriture de 3579,77 Francs pour l’année. Si d’après l’expérience que vous venez de faire, vous vous êtes convaincu que les proportions que vous avez établies doivent être nécessairement maintenues pour la santé des chevaux et aussi par rapport à leurs facultés génératives, j’y donnerai volontiers les mains, mais comme il en résulte un excédent de dépenses comparativement aux proportions qui avaient été précédemment déterminées, je désire avant de rien arrêter définitivement à cet égard que vous examiniez avec attention les renseignements que je vous transmets et que vous me fassiez des observations sur leur objet. »

110 1ETP327 : Ordre du 14 novembre 1819 : « Tous les jours à moins que le temps ne soit très mauvais les poulains limousins et navarrais seront mis dans le Parc aux daims. Ils ne partiront qu’à neuf heures. Les poulains et pouliches de Cuil seront mis à la même heure dans le parc du Hautbois jusqu’à la fin de décembre. Après cette époque, ils seront tous mis successivement dans le parc aux Daims. Les limousins après les navarrais y resteront depuis neuf heures jusque midi et les petits depuis midi jusqu’à 4 heures.Les jumens limousines partiront seulement après 10 heures. Bien entendu que lorsque le temps sera très mauvais et rigoureux elles ne partiront pas. Elles seront mises dans les Petits Genêts. » 111 1ETP16. Lettre du 14/04/1820 : rapport de la consommation des fourrages en 1819.

52 Tableau VI : Commentaire au sujet des rations distribuées aux étalons du haras.

Commentaires nombre des rations Foin en Kg Paille en Avoine en Kg litres - Ordinaires De monte - - - Du 01/01 au 31/12, il 19 676 8839 154 159 192 638 261 202,50 a été consommé… Ces 28 515 rations 142 575 171 090 245 798,50 d’après la composition arrêtée par l’administration, savoir : 5 Kg de foin, 6 Kg de paille, 8 litres d’avoine en temps ordinaire. Et 10 litres d’avoine en monte ne donnent ces différentes denrées que Ainsi il y a un 11 584 21 548 15 404,50 excédent de consommation de

Il apparaît donc que le Ministère estime ces rations distribuées au sein du haras trop importantes, mais qu’il est prêt à approuver cette méthode si l’établissement ornais apporte la preuve tangible qu’il est indispensable de donner autant de nourriture aux chevaux afin de maintenir leur forme au meilleur niveau. Tout peut donc être accepté. Notons une fois encore que les rations et le bien-être des juments et de leurs produits importent peu. Ils sont laissés à l’écart puisqu’ils coûtent moins cher à l’Etat, en consommant prioritairement de l’herbe fraîche. Les quantités sont différentes pour les animaux dits de « service »112. En effet, la robustesse est la principale qualité demandée à ces chevaux, qui ne sont pas destinés à la reproduction et qui sont considérés comme des chevaux de travail.

112 Chevaux servant pour les déplacements du personnel dirigeant (directeur, régisseur…) et ceux utilisés pour les travaux à effectuer sur le haras.

53 Tableau VII: Composition des rations des chevaux de travail.

Rations Foin Paille Avoine Quantités 6Kg 7Kg 9 Litres

Afin de leur donner plus d’énergie leur nourriture est plus riche en paille et en avoine que celles des étalons. En effet, ces chevaux sont employés à l’entretien du domaine et au transport du personnel dirigeant du haras.

Les rations semblent calculées en fonction de plusieurs critères, notamment la valeur de l’animal, sa santé et sa taille. Mais il n’est pas indiqué si les repas sont fractionnés au cours d’une journée113 ou s’ils sont distribués en une seule fois. De plus, les quantités distribuées varient entre l’été et l’hiver, saison durant laquelle elles sont plus importantes. La bonne santé des chevaux passe par une alimentation adaptée au milieu dans lequel ils vivent. Par conséquent, il est fondamental de les augmenter lorsqu’il fait froid afin de les protéger d’un rhume ou de toute autre maladie114 qui pourrait leur être fatale.

Quelques documents indiquent les types d’équidés présents au Pin : chacune des nombreuses races produites est destinée à un usage spécifique. La production, jusqu’au début du XXème siècle, est divisée en deux groupes : les chevaux pouvant servir de remonte à la cavalerie et les chevaux plus lourds, aptes au trait léger. C’est pour cette raison que l’établissement possède autant de chevaux de traits (cauchois, carrossiers anglais, navarrins, boulonnais, percheron, carrossiers normands115) que des chevaux de selle (les selle et les chevaux de chasse anglais, les Turcs, les Arabes, les Espagnols, les Polonais, les Prussiens, les chevaux du Mecklenburg, les Hanovriens). Chaque race présente des particularités indispensables à l’amélioration de l’espèce chevaline. De nombreux croisements sont expérimentés116 lors des montes, souvent avec succès. Le cheval Arabe117, présent dans tous les haras, est un élément indispensable à l’amélioration de toutes les autres races de chevaux, même des percherons. C’est la plus pure et la plus ancienne de toutes les races et est la première dans l’Histoire à avoir fait l’objet d’un élevage sélectif très rigoureux. Il joue un rôle essentiel dans la création du Pur-Sang Anglais. Le cheval Barbe118 joue également un rôle 113 Comme cela est préconisé aujourd’hui. 114 Car les chevaux sont des animaux très fragiles. 115 Ou cheval du Cotentin. 116 Après avoir été longuement étudiés. 117 Cheval préféré de l’Empereur Napoléon 1er , son élevage est encouragé dans les haras nationaux. 118 Comme l’Arabe, le Barbe est originaire d’Afrique du Nord et est un cheval très résistant.

54 essentiel dans l’amélioration des élevages : il contribue à la création du Pur-Sang ainsi qu’à une douzaine d’autres races européennes. Le cheval dit « espagnol » est en réalité un Andalou : après l’Arabe et le Barbe, son influence est très importante dans la race équine119. Les chevaux dits « portugais » sont sans doute des Lusitanos120 : ils sont très proches des Andalous, mais ont plus de sang arabe. Le Pur-Sang Anglais121, créé au XVIIIème siècle, est le cheval le plus rapide et le plus onéreux du monde. Objet d’une rigoureuse sélection, c’est autour de lui que l’industrie des courses de chevaux s’est développée. Le Trotteur Français, également appelé Trotteur Normand, tient une place importante au Pin et dans le paysage des courses122. Le Hanovrien123 est une race créée en 1735 par le roi Georges II dans le haras de Celle (Basse-Saxe) afin de créer un cheval lourd, apte aux travaux agricoles. Il est difficile de déterminer le nom exact de la race des autres chevaux de selle cités, les noms «génériques» étant trop imprécis. Le Pin124 est l’un des haras les plus importants en matière de chevaux de trait avec deux vedettes : le Percheron et le Cob normand. Ce dernier est également appelé « carrossier normand », car le XIXème siècle l’utilise pour tracter les voitures postales125. Il n’est pas considéré comme une race à part entière mais fait l’objet au Haras du Pin d’un élevage sélectif basé sur les nombreux étalons du domaine et ses performances sont régulièrement testées. Quant au Percheron, il est le plus connu des chevaux de traits lourds français et a été amélioré dès le XVIIIème siècle par du sang de chevaux Arabes et Andalous. Ces chevaux développés par l’établissement sont réputés depuis l’Ancien Régime et leur qualité ne faiblit pas au XIXème siècle. C’est grâce à l’intervention du haras, à des croisements judicieux que les Percherons et les Cobs normands ont acquis une telle réputation. Le Pin possède également des Boulonnais dont les caractéristiques sont très proches du celles du Percheron. Le Navarrin126 est un cheval trait qui peu à peu disparaît au XIXème siècle, mais dont la qualité s’améliore. Il est rare d’en trouver hors de la Navarre. Le haras fait preuve ici d’une grande présence d’esprit.

119 Beaucoup de chevaux européens descendent de l’Andalou : le Lippizzan, le Frison, le Hackney, le Kladruber, le Frederiksborg, l’Oldenburg, le Holsteiner, le Trotteur d’Orlov… 120 Ou Lusitaniens. 121 Appelé « Thoroughbred » en anglais, littéralement « élevé dans la pureté », le Pur-Sang Anglais a été créé grâce au croisement de juments anglaises de courses avec des étalons de sang oriental. 122 Les premières courses de trot (monté ou attelé) ont lieu sur l’hippodrome de Cherbourg en 1836. Leur but est d’améliorer les performances des Trotteurs Normands. 123 Ou Hanovre. 124 Et le Haras de Saint-Lô dans la Manche. 125 Il est suffisamment robuste pour affronter les routes mal empierrées et soutenir un trot régulier sur de longues distances, comme il lui est possible de rester de longue à l’arrêt sans être dételé. 126 Cheval de valeur en Béarn, Bigorre et Navarre, sous l’Ancien Régime.

55 Au XIXème siècle, les haras nationaux créent également des races aujourd’hui considérées comme incontournables dans le monde de l’élevage. C’est le cas de l’Anglo- Arabe, créé en 1836 dans les haras nationaux de Pau, de Tarbes et de Pompadour127. Le Selle Français, quant à lui, est créé au XIXème siècle en Normandie128 par un croisement de Selle Anglais importé et de juments normandes.

Les rapports de consommation sont complexes. Il est difficile de calculer de manière exacte le nombre d’animaux présents par mois au haras. En effet, ces documents détaillent les mouvements de chevaux et isolent certaines rations129. Il semble également que les quantités alimentaires dépendent de la race du cheval. Cependant, les quantités de foin consommées par mois permettent de parvenir à une estimation du nombre moyen par an de chevaux présents au haras durant la période étudiée : il y a entre 80 et 160 chevaux au Pin chaque année. Durant quelques années, il y a même jusqu’à 300 équidés, mais cela reste exceptionnel 130. Grâce aux états de situations de magasins, il possible d’évaluer le nombre de chevaux présents aux haras sur trois ans131. En effet, la consommation mensuelle de foin132 permet de déterminer le nombre de chevaux que le haras abrite par mois. A partir de ces chiffres, il possible d’obtenir une vision de l’évolution sur quelques années.

Tableau VIII: Evolution de la population chevaline du Pin de 1823 à 1825.

127 Sous la direction d’Emile Gayot, vétérinaire et directeur d’un haras. Ce cheval sert à améliorer le Selle Français. 128 Essentiellement au Pin. 129 Certainement pour signifier les animaux malades. 130 Surtout entre 1824 et 1825. 131 Entre 1823 et 1825, années durant lesquelles les renseignements sont complets. 132

56 Evolution de la population chevaline du Pin de 1823 à 1825.

109 3 1825

143 nombre 2 1824 année

96,3 1 1823

Ces chiffres laissent apparaître un nombre d’équidés assez stable, malgré une augmentation significative en 1824. Durant cette même année, le haras peut avoir hébergé plus de chevaux qu’habituellement puisque les Inspecteurs des Haras Nationaux responsables de l’achats de chevaux ont fait beaucoup d’acquisitions.

De nombreuses données permettent d’étudier l’évolution au cours de quelques années, par exemple 1816. La population chevaline du Pin a pu être étudiée pour cette année précise sauf pour les mois de juin à octobre, au sujet desquels ne subsiste aucun renseignement. Peut- être ce manque de source correspond-il environ à la période où les étalons sont en station de monte. Mais les poulains133 et les juments restent au haras, or rien n’est dit à leur sujet : ceci incite donc à penser que les documents sont perdus.

Tableau IX : Population chevaline au Pin en 1816134.

133 Par poulains, il faut comprendre poulains et pouliches. 134 Sur le graphique, l’axe des abscisses représente les mois. Pour simplifier la représentation, des numéros ont été donnés à chaque mois. Le numéro 1 est le mois de janvier, le numéro 2 celui de février, le numéro 3, mars, le numéro 4, avril, le numéro 5, mai, le numéro 6, novembre et le numéro 7, décembre.

57 Population chevaline au Pin en 1816

120 100 80 étalons e

r juments b 60 m

o poulains N 40 pouliches 20 0 1 2 3 4 5 6 7 Mois

Le nombre de chevaux présents au haras reste à peu près stable. Les étalons sont environ de 90 toute l’année, sauf en mars où ils sont plus de cent135. La quantité de juments est nettement inférieure, puisqu’elle oscille entre 2 et 12. Elles semblent rester moins longtemps au haras et la population paraît souvent changer. La plupart du temps, elles sont envoyées dans d’autres haras136, mais il arrive aussi qu’elles soient vendues en enchères publiques sur la région. La population de poulains est plus élevée que celle des juments. En effet, si certains sont des produits du haras, l’établissement achète également de nombreux poulains qui ont été sevrés137. De plus, semblent considérés comme poulains de jeunes chevaux qui ont un an138, d’où une population qui ne correspond pas au nombre de poulinières. La population de pouliches suit l’évolution de la courbe des juments. Leur quantité varie entre 1 et 10. Elles sont souvent vendues dès l’âge de six mois à des privés ou sont réparties dans d’autres haras, à l’instar des juments.

Le graphique suivant permet de voir l’évolution normale de la population d’étalons au cours d’une année, comme 1824, qui peut être un bon exemple, puisque l’on possède les chiffres complets sur les douze mois :

Tableau X : Evolution du nombre d’étalons en 1824.

135 En l’occurrence, 105. 136 Notamment le Haras de Pompadour. 137 Vers les six mois. 138 Les yearlings.

58 Evolution du nombre d'étalons en 1824

350 300 250 e r 200 b nombre

m 150 o

n 100 50 0

r il i t e e rs r a in e re re r vi a v u ll b b b n a m j i o a m ju m t m j te c e p o v e o s n mois

Le nombre d’étalons logés au haras diminue nettement entre mai et juillet, mois qui correspondent à la pleine période de monte. Un maximum d’étalons est alors envoyé dans les différentes stations gérées par le Haras du Pin. Mais surveiller l’alimentation des chevaux n’est pas suffisante pour conserver toutes leurs qualités : encore faut-il veiller à leur assurer tous les soins vétérinaires qu’ils nécessitent.

b. les médicaments, les ferrures

Après les dépenses en alimentation, les dépenses en médicaments et en ferrure sont sans doute les plus importantes. Un principe immuable prévaut en effet dans l’univers du cheval : « qui veut voyager loin ménage sa monture ». Le cheval est un animal extrêmement fragile et peut souffrir de nombreuses maladies. La meilleure manière de les prévenir est d’offrir aux équidés des conditions de vie et d’hygiène susceptibles de leur assurer un équilibre physique et psychique. Au début du XIXème siècle, les vaccins139 n’existent pas encore, mais il existe de nombreuses manières de déceler des maladies. Ainsi, l’expérience montre qu’un cheval en forme se reconnaît à son pelage lisse et légèrement brillant, à sa peau propre et souple, à ses membres lisses, exempts de toute boursouflure. Ces principes sont connus depuis longtemps, comme le montrent les divers manuels des XVIIème et XVIIIème siècles. La surveillance étroite de la santé des chevaux permet également d’obtenir de meilleurs produits.

139 Pour prévenir le tétanos, la grippe équine et la rage.

59 Malheureusement, la liste des médicaments employés par le haras est rarement détaillée et l’on peine à savoir ceux qu’il emploie. Le nombre est probablement très restreint. Les plantes semblent être régulièrement utilisées. Les moyens chimiques de traitement sont limités et « le saindoux, vinaigre, sel et cire »140 ainsi que le miel, les céréales, le beurre frais, l’alun, l’eau-de-vie, autant de produits qui ne sont pas spécifiques à un traitement médicamenteux, paraissent les plus usités. La prévention paraît être le premier remède employé. Les employés du haras doivent faire en sorte que dans les herbages ne se trouve aucune plante toxique pour les équidés. Si les chevaux sauvages reconnaissent les plantes dangereuses, ce n’est plus le cas des chevaux d’écurie. Par conséquent, les palefreniers doivent veiller à ce que les chevaux ne puissent ingérer ni belladone141, ni jacobée142, ni fougère143, ni gland144, ni if145. C’est pour cette raison que les essences d’arbres et de haies bordant les pâturages sont choisies avec minutie. Il est possible que seuls les juments, les poulains et les jeunes chevaux soient mis dans les herbages parce qu’ils sont considérés comme moins précieux et que leur perte éventuelle provoquerait un dommage moins grave. Si au contraire les étalons étaient placés dans les herbages, leur mort serait une grande perte. En les laissant dans les écuries, le risque de mort ou seulement de maladie est bien inférieur. On prévient également les risques de rhumes, de grippes, de coliques et de morve146 en protégeant les étalons et parfois les poulains de couvertures en hiver et parfois même en été. Mais la confection de couverture ne doit pas être trop chère et il n’y en a jamais autant que le nombre d’équidés. Il existe deux sortes de couvertures : celles en laine pour l’hiver et celles en grosse toile de Mamers pour l’été. Il semble que les couvertures, à la différence du harnachement, soient confectionnées localement. Mamers, ville située dans la Sarthe, ne se trouve qu’à 80 kilomètres du Pin. La toile est achetée là-bas, mais les couvertures sont le plus souvent confectionnées à Argentan ou au Merlerault. Au contraire le harnachement147 est en très grande partie commandé à Paris.

La plupart des problèmes de santé des chevaux sont bénins et le vétérinaire148 exerçant ses fonctions quotidiennes au haras y suffit. Ils sont pour la plupart très bien connus depuis

140 1ETP17. 141 Ce sont les baies de cet arbuste qui sont toxiques. 142 Plante aux fleurs jaunes, ressemblant à des petits pissenlits entraînant chez les chevaux de graves lésions du foie, qui peuvent être mortelles. 143 Elle provoque des troubles neurologiques pouvant entraîner une paralysie. 144 Consommés en grande quantité, ils peuvent entraîner la mort. 145 Il peut provoquer le mort d’un cheval en quelques minutes. 146 Toutes ces maladies peuvent être contagieuses. 147 Licols, selles, longes, mors. 148 Ou « artiste vétérinaire»

60 longtemps et de nombreux livres d’hippiatrie149 servent de référence durant une grande partie du XIXème siècle. Mais lorsque les ennuis sont plus graves, surtout lorsqu’il s’agit de déformations physiques ou de stérilité, l’établissement fait d’abord appel à des praticiens privés ou au vétérinaire du haras de Saint-Lô. Cependant, lorsque ces derniers s’avèrent impuissants, les chevaux sont envoyés150 à l’Ecole Vétérinaire de Maisons-Alfort, située en région parisienne. Cet établissement est en lien étroit avec le Haras du Pin : la plupart des vétérinaires qui viennent y exercer leurs fonctions sont issus de cette école au sein de laquelle s’appliquent les derniers traitements découverts. Les soins prodigués à Maisons-Alfort sont plus poussés qu’ailleurs et l’on parvient à y soigner des chevaux boiteux ou encore des juments stériles. Un ordre du 10 octobre 1808151 témoigne de cet échange : « il faut envoyer à l’Ecole de Maisons-Alfort l’étalon Eléphant reconnu cornard152 pour des expériences sur les causes, les progrès et les moyens curatifs de cette maladie. » Ainsi, les chevaux de ce haras national153 servent à faire progresser la science et l’art vétérinaire : si ces expériences sont concluantes, le Pin ne peut qu’en tirer un bénéfice supplémentaire. En effet, s’ils guérissent, ses hôtes peuvent être connus de la France entière et leurs saillies sont ainsi susceptibles de prendre de la valeur. Le vétérinaire fait une inspection quotidienne154 de tous les chevaux du haras et établit un rapport qu’il transmet au directeur du Pin. Chaque journée connaît son lot de problèmes mineurs très vite soignés et guéris. Cependant, il n’a pas été possible de retrouver une liste des maux les plus fréquents au Haras du Pin. Il est difficile d’étudier le taux de mortalité chez les équidés du Haras du Pin155. Il n’existe pas de carnet où seraient notés les décès des équidés et, le plus souvent, les registres matricules des chevaux sont très incomplets et les dates de disparition n’y sont pas inscrites. Par ailleurs, à partir des années 1830, de plus en plus d’étalons sont réformés au bout de quelques années de service. Au début de ce phénomène, ils sont vendus à des privés156 puis, à la fin des années 1840, le sont majoritairement à des bouchers. Il n’existe presque plus de

149 Tel que Le Parfait Mareschal. 150 Accompagnés d’un palefrenier. 151 1ETP326. 152 Affecté par le cornage, affection respiratoire qui se manifeste fréquemment par des bruits de sifflement caractéristique à l’effort. Ces bruits sont dus à une paralysie du larynx. Le cheval peut alors présenter un déficit respiratoire important avec une intolérance à l’effort, due au rétrécissement des voies respiratoires. Cette déficience est le plus souvent génétique. 153 Comme ceux des autres établissements ayant le même statut. 154 Accompagnés des palefreniers, qui sont chargés d’administrer aux chevaux les soins quotidiens. 155 On sait qu’en France, au début du XIXème siècle, un sixième de l’effectif des chevaux disparaît. 156 L’usage qu’ils en font n’est pas précisé. Sans doute certains les achètent-ils pour le plaisir d’avoir de beaux chevaux et d’autres les acquièrent-ils pour les faire travailler (transport pour les chevaux de selle ou travaux agricoles pour les chevaux de trait).

61 documents157 témoignant de ces ventes : leur étude est par conséquent très difficile. Néanmoins, il semble que le haras n’ait pas à déplorer beaucoup de morts prématurées chez ses hôtes, ce qui n’aurait pas manqué d’alarmer le Ministre de l’Intérieur. Cependant, il est probable que le taux de mortalité suive la moyenne nationale et diminue à partir du moment où des normes sur l’hygiène dans les écuries158 sont établies. Le nombre de médicaments acquis par le haras semble pourtant laisser le Ministère soupçonneux. Celui-ci estime souvent que ces dépenses sont trop fréquentes et trop importantes, mais il semble songer davantage à un détournement d’argent à des fins privées qu’à une dépense excessive de médicaments, ainsi qu’en témoigne une lettre du 5 mai 1813159 : « je crois devoir rejeter entièrement l’article 1er, chapitre 3 de 100,50 Francs pour saindoux, vinaigre, sel et cire. Rien ne me prouve que ces articles aient trait aux médicaments donnés aux chevaux. Vous aurez à expliquer cette dépense […]. » Les abus au sein des haras nationaux semblent être fréquents, ainsi qu’en témoignent cette méfiance mais également le nombre grandissant de circulaires abordant ce sujet. Le soupçon n’est pas forcément fondé, mais il est du devoir du Ministre160 de ne rien laisser au hasard. C’est pourquoi toute dépense non justifiée suscite la méfiance. Il semble que la charge des dépenses en soins n’ait pas été toujours bien fixée. L’Etat, au travers du Pin, en est le plus souvent responsable, mais il arrive parfois que le Ministre de l’Intérieur décide que cette dépense incombe aux palefreniers responsables des équidés. Dans ce cas, la solde de ces derniers est augmentée en conséquence. Ce mode de gestion semble avoir été choisi en vue de responsabiliser les palefreniers chargés d’administrer les soins. En effet, ceux-ci semblent ne pas songer à l’économie et donc ne pas utiliser les remèdes avec parcimonie : cette attitude augmente les dépenses du haras. Cette gestion paraît pourtant avoir été rapidement abandonnée. Sans doute les palefreniers prêtent-ils moins d’attention à la santé des chevaux qu’ils ont en charge. Cependant, cela reste la méthode pour les chevaux de travail161 dont la santé, bien que primordiale, n’est qu’une préoccupation secondaire aux yeux des dirigeants. Les juments, les poulains et les pouliches semblent eux aussi ne pas être la principale préoccupation du haras. Leur santé est certes capitale162, mais leur valeur est moindre en comparaison de celle des étalons.

157 Souvent fort incomplets eux aussi. 158 Longtemps insalubres. 159 1ETP17. Du ministre de l’Intérieur au Directeur du Haras du Pin. 160 Mais aussi du Préfet de l’Orne. 161 Qui sont également à la charge des palefreniers. 162 Déjà pour éviter toute propagation d’une maladie.

62 Le bien-être des chevaux passe également par une ferrure propre et soignée. Celle-ci est indispensable dans un climat tempéré tel que le connaît la France. Le climat humide ramollit ou fend la corne du sabot, entraînant des boiteries et des déséquilibres locomoteurs. Le but du ferrage de chevaux est demeuré le même depuis sa généralisation au début du Moyen Age : il s’agit d’empêcher que l’usure de la corne soit plus rapide que sa croissance naturelle et d’améliorer les allures du cheval au travail en augmentant l’adhérence des sabots. La tâche du maréchal-ferrant163 est de ferrer les pieds du cheval en leur garantissant leur fonction naturelle, sans altérer l’action de l’animal et en corrigeant éventuellement certains de ses défauts164. En cas d’affection des pieds, des fers correctifs spéciaux permettent aux chevaux de rester en bonne santé, de travailler jusqu’à un âge plus avancé et d’améliorer leurs performances. Sur un pied ferré, la corne, qui ne s’use plus, grandit de un à deux centimètres par mois. Aussi les fers doivent-ils être changés à intervalles réguliers165 afin que l’excédent de corne soit limé. Les chevaux du haras semblent être régulièrement ferrés. Ce type de soin est rarement répertorié, mais son existence est certaine puisque le haras emploie à temps plein un maréchal-ferrant ainsi qu’un apprenti. Cet emploi prouve que la ferrure des chevaux est l’objet d’un soin constant. Cependant, nul document n’en indique les bénéficiaires. Il est certain que les étalons sont étroitement surveillés, mais en est-il de même pour les poulinières et leur suite ainsi que pour les chevaux de travail ? Il est probable que leur ferrure soit également bien entretenue, comme tend à le prouver la présence permanente d’un maréchal. Pour ferrer un cheval, deux techniques sont possibles : le ferrage à chaud utilisé en France ou le ferrage à froid dit « à l’anglaise »166. Bien entendu, le haras emploie la première méthode dite « à la française » : le fer doit être chauffé au rouge avant d’être appliqué167 sur le sabot pendant quelques secondes durant lesquelles il brûle une zone de corne ensuite cautérisée. Puis la forme du fer est modifiée au marteau jusqu’à ce qu’elle épouse exactement le bord du pied, sans être trop large, trop courte ou trop longue. Une fois ajusté, le fer est fixé à l’aide de clous à ferrer qui doivent être le moins nombreux possible. De nombreuses formes de fers existent. Le maréchal-ferrant du haras les connaît probablement toutes. Il semble que même les chevaux mis en pâture soient ferrés. L’artisan

163 Longtemps considéré comme le vétérinaire des campagnes. 164 Notamment la boiterie. 165 Tous les 30 à 40 jours. 166 Plus économique mais nettement mois précis. 167 Ou « porté ».

63 leur applique probablement un fer dont les branches sont très courtes et qui est utilisé pour les poulains et les chevaux en pâture. Les dépenses en ferrures sont réunies sous le même chapitre que les médicaments. Il ne semble pas y avoir de raison particulière à ce système. Jusqu’en 1826 subsiste une totale confusion entre les médicaments et les fers. A partir de cette date, les frais occasionnés par la ferrure sont séparés des médicaments bien qu’ils soient toujours enregistrés sous le même chapitre de dépense. Cette distinction montre que les frais relatifs à l’achat de fers à cheval s’effectuent tous les deux mois, soit tous les soixante jours. En théorie, les fers doivent être changés tous les quarante-cinq jours168 et il est fort probable que cette prescription soit respectée. Cependant, il n’existe pas de document établissant une liste des chevaux à ferrer pour chaque mois. Par rapport aux coûts établis chaque mois, il semble que les ferrages soient étalés et que les chevaux qui sont ferrés ne soient pas toujours les mêmes. Il est probable que l’on applique en priorité des fers aux chevaux de travail, puis aux étalons et aux poulains. Il semble également que les juments ne soient ferrées que si elles sont emmenées dans d’autres établissements.

Ces attentions qui peuvent paraître minimes au premier abord sont d’une importance capitale pour préserver les performances des équidés au meilleur niveau. De plus, la saillie d’un étalon n’a de la valeur que s’il est en bonne santé et ne présente aucune faiblesse : moins il présente de problème, plus le prix de la monte augmente. Quant aux juments, elles sont choisies comme poulinières s’il est prouvé qu’elles sont exemptes de toute tare. Les conditions de vie des équidés influent donc sur leur santé. C’est pourquoi l’entretien des haras est primordial.

c. L’entretien

La vie du haras semble tourner autour de l’entretien des bâtiments et du matériel. En effet, tout est sujet au nettoyage, au changement ou à l’amélioration. Cet entretien est

168 Au XIXème siècle. Actuellement, les fers sont changés tous les trente à quarante jours.

64 indispensable à la bonne santé des chevaux comme celle des hommes mais il est également important pour maintenir la réputation du Pin.

Le château a besoin de constantes rénovations, bien qu’il ne soit pas habité avant les années 1840. Les nombreuses annexes du haras sont elles aussi l’objet de multiples restaurations afin qu’elles puissent accueillir des juments et leur suite. Les fermes autant que les abris qui peuvent se trouver dans les champs sont également rénovés au fur et à mesure. Il est demandé que chacune des succursales du haras puisse accueillir des juments et que ces dernières aient suffisamment de place pour pouliner. Cela nécessite l’aménagement de boxes plutôt que de stalles169. L’écurie principale, composée de stalles, se trouve dans la cour d’honneur du côté est du château170 et peut contenir jusqu’à 150 chevaux. C’est la seule pour laquelle un chiffre de contenance est connu. Toutes les autres sont composées de boxes destinés aux étalons puis aux poulinières171, au printemps. A l’ouest de la cour d’honneur, des écuries sont construites172 dans la seconde moitié du XVIIIème siècle : leur contenance n’est pas connue pour le XIXème siècle. Elles sont probablement composées de stalles permettant d’augmenter la capacité d’accueil du haras. Il est possible d’estimer qu’elles peuvent alors contenir une centaine d’équidés. L’auberge qui se trouve à l’entrée du domaine du Pin comprend également une écurie pouvant abriter 30 chevaux. Celle-ci est rénovée en 1810, lorsque l’auberge revient dans le giron du haras173. La Ferme du Pin ne comprend une écurie qu’après restauration en 1823 : elle semble, d’après les informations, être réservée aux juments qui vont pouliner et, par conséquent ne contient probablement qu’un à deux boxes. L’herbage de la Côte de Chaufour comprend une écurie, qualifiée de « belle ». Ce terme est sans doute à interpréter dans le sens de « grande » : elle doit certainement pouvoir accueillir une trentaine de chevaux. Le Borculo, rattaché tardivement au domaine, peut abriter jusqu’à 60 équidés. Il semble également qu’un certain nombre de prés qui accueillent des juments, suitées ou non, soit équipés d’abris. En effet, un cheval qui n’a pas l’habitude d’être au pré toute l’année doit obligatoirement pouvoir trouver un abri, sous peine de tomber malade. Il semble que les chevaux et les juments soient logés au haras par race et par gabarit. En effet, la restauration des écuries est évoquée dans de nombreux documents parlant des « écuries des grands et des petits étalons » ainsi que celles de telle ou telle race. Les

169 Les stalles ne permettent pas à un cheval de se coucher ; or une jument doit se coucher pour pouliner. 170 Utilisée dès 1717, elle sert actuellement de local d’accueil et de musée. 171 Lorsque les étalons sont en station de monte. 172 Par le Prince de Lambesc, alors directeur du Haras. 173 Au moment de la Révolution, l’auberge du Tournebride (qui abrite sous l’Ancien Régime le sellier) est occupée par une brigade de gendarmerie. Elle n’est libérée qu’en 1810, dégradée.

65 réparations sur et dans les bâtiments sont fréquentes : il faut « resuivre » de chaux ou de ciment les murs afin d’éviter les infiltrations d’eau. Les toitures sont souvent réparées. Chaque jour comporte donc son lot de travaux. Les réflexions sur la meilleure façon de construire des écuries est très importante au XIXème siècle. On estime qu’il faut un espace vital important aux chevaux. Dans les années 1820, des règlements sont fixés quant à la construction des écuries174. La taille et la disposition des stalles175 sont probablement les mêmes que dans la caserne de Tournon176, puisque les normes touchent tout l’univers équestre. C’est probablement pour cette raison d’importants travaux de restauration sont entamés que en 1823 dans les écuries du haras177 : « Il faut reprendre en sous-œuvre les murs de l’écurie dite des Charretiers, relever le pavé de l’écurie dite de la Chaîne pour en adoucir la pente qui, tel qu’il est, fatigue les jarrets des chevaux. Les loges des écuries des grands et petits étalons sont à renouveler au plafond. A ces écuries, il faut y remettre des portes neuves, si les anciennes ne sont pas susceptibles d’être réparées ; y placer des mangeoires en pierre et des râteliers d’une forme soignée. Il faut relever le pavé des loges, mettre deux largeurs de madrier sous les jambes de devant pour la mieux conserver. Il faut remplacer le pavé des corridors par une aire en terre glaise battue, peindre les portes. NB : en principe on ne doit pas négliger dans nos établissements de peindre à l’huile toutes les portes fenêtres et contrevents exposés aux injures du temps et de renouveler cette peinture quand elle est sapée au point de ne plus défendre suffisamment les boiseries sur lesquelles elle est appliquée. Les loges mangeoires et râteliers qu’on ne retirera des écuries devront servir autant que possible à réparer les autres. Les juments devront être transportées à la grande écurie. Il y aura dès lors à faire les dispositions convenables pour approprier les bâtiments et les dépendances de ce domaine à cette destination. Telles entre autres que de relever les fossés, conduire du gravier dans la cour, établir une pompe et des compartiments entourés de lippes autour des écuries. Il faut pratiquer dans l’écurie dite des jumelles, six grandes loges pour y mettre six chevaux en liberté. »178 Ces directives, surgissant peu après l’établissements des premières normes, il est certain qu’elles en sont l’application directe. En effet, les normes édictées sont fidèlement appliqués : l’espace laissé aux chevaux

174 Ce règlement est d’abord décidé pour les casernes. Willesme (Jean-Pierre), « Hubert Rohault de Fleury (1777- 1846), le cheval et la caserne autour de 1820. » in Le cheval dans ses architectures, Paris, 2003, pp. 109-115. 175 Ils sont ici à bas-flancs fixes permettant plus d’aisance aux chevaux, mieux séparés les uns des autres. Il y a plus d’espace vital. 176 Dans la caserne de Tournon, construite en 1820, Rohault de Fleury établit des stalles d’1,10 mètres de largeur et de 2,40 mètres de longueur. D’après Jean Pierre Willesme. 177 Ainsi que dans le château et tout le domaine sous la direction du responsable des Haras Nationaux, M. Strubberg. 178 M2010.

66 est plus large notamment pour les juments pour lesquelles sont construites « six grandes loges », soit six boxes. Grâce à l’organisation actuelle des stalles du haras dans le musée, il est possible de voir qu’elles sont organisées selon les principes de Rohault de Fleury : l’écurie se déploie autour d’une circulation par une allée centrale. La hauteur sous plafond doit être de 3,50 mètres. Cependant, les écuries principales ayant été construites antérieurement, il n’est pas possible de tout modifier et la hauteur reste identique. On pense également à la santé physique des chevaux puisque l’on décide d’adoucir la pente d’une écurie qui « fatigue les jarrets. » On cherche donc à combattre une certaine insalubrité ambiante.

L’aération et l’isolation sont également revues en rénovant les boiseries. Ce sont les principales préoccupations hygiénistes de ce siècle, au cours duquel on découvre que « la respiration et la fermentation des excréments contribue à vicier l’atmosphère des écuries par le dégagement d’oxyde de carbone […]. »179 Néanmoins, les écuries du Pin étant percées de nombreuses fenêtres, le problème d’une aération insuffisante ne semble pas se poser, mais le problème des courants d’air est évoqué. Les palefreniers doivent fermer les portes latérales des écuries afin de garder une chaleur constante, les chevaux supportant mal les courants d’air vifs. L’orientation des greniers à fourrages est également modifiée dans les années 1840. L’ouverture ancienne orientée à l’ouest provoquait des pertes importantes car le fourrage était au froid, au vent et à l’humidité. Il est alors décidé de percer une ouverture dans le flanc sud afin de mieux protéger le foin et les autres aliments. En 1849180, on décide même de construire un nouveau magasin à fourrage respectant entièrement les prescriptions puisque l’on fait fermer « les deux extrémités du magasin pour mettre le fourrage à l’abri des intempéries. » Le haras rencontre souvent des problèmes d’infiltration d’eau aussi bien dans le château que dans les écuries. En effet, le sol y est plus bas que dans les cours et l’eau s’écoule alors à l’intérieur. Ce problème est notamment évoqué dans l’ordre du 11 mai 1823181 : « M. Hiaumette-Parfondy a fait jeter de la balle de blé et d’avoine dans la cour intérieure de la grande écurie probablement en vue d’y faire du fumier. Cet amas retient les eaux et l’humidité au pied du mur et les fait filtrer dans l’intérieur de l’écurie quand le sol est plus bas que celui extérieur. M. de Montfaucon voudra bien requérir le sieur Hiaumette-Parfondy de faire retirer ces fumiers qui en outre rendent la cour mal propre et endommage les murs. » Ainsi, les problèmes d’insalubrité deviennent une préoccupation majeure du XIXème siècle et le directeur

179 Willesme (Jean-Pierre), p. 109. 180 M2019. 181 1ETP326.

67 veille au parfait entretien du haras dont il a la charge : la propreté permet de faire diminuer le taux de mortalité chez les chevaux, mais également chez les hommes qui y logent. Dans le même ordre d’idée, les palefreniers doivent ratisser et sabler les cours dans lesquelles on ne doit jamais voir de l’herbe et « le portier est chargé de les balayer, d’en enlever le ratissage afin qu’elle fussent toujours dans un bel état de propreté. » Cette propreté permet, en plus de l’hygiène, de créer une sensation d’ordre qui peut influencer favorablement les visiteurs. Les entretiens en charpente et en maçonnerie sont très fréquents. Des poutres et des planchers sont souvent changés. La possession de parcelles de bois importantes permet de faire des économies conséquentes. La propreté concerne également les pompes et toutes les installations qui touchent à l’eau. Tout d’abord, celle qui alimente les abreuvoirs des écuries est pompée182 deux fois par jour183. De même les réservoirs sont nettoyés quotidiennement184. Les bassins dans lesquels l’eau s’écoule sont nettoyés tous les huit jours en été185 et tous les quinze jours en hiver186. Enfin, les mangeoires* et râteliers* sont nettoyés et réparés régulièrement187. L’éclairage est également très important. Puisque l’éclairage naturel est souvent insuffisant, les palefreniers ont recours à des lanternes et à des chandelles. Ces dernières sont un combustible qui coûte cher et dont le Ministère surveille étroitement l’utilisation. Les chandelles doivent être essentiellement utilisées pour les écuries. Le Ministre semble souvent soupçonner une utilisation détournée de celles-ci au profit des logements des palefreniers. La consommation mensuelle moyenne est de 80 kilogrammes, ce qui paraît considérable. Le Ministre interroge plusieurs fois le directeur du Pin afin de connaître la consommation de ce combustible, mais la réponse de celui-ci n’est pas connue. Même s’il est possible que cette lacune soit due à une perte d’archives, il est également plausible que le directeur n’ait pas répondu, sachant très bien que sa consommation de chandelle est trop élevée. Sans doute veut-il tenter de régler le problème par un biais interne.

La propreté est également maintenue grâce aux soins que l’on accorde aux équidés quotidiennement. Le pansage188 des chevaux doit être effectué plusieurs fois par jour189.

182 Le haras possède deux pompes : celle du Pin et celle de Paris. Le pompage dure deux heures pour chacune. 183 Matin et soir. 184 Le portier est chargé de ces deux tâches. 185 Le risque de maladie par l’eau augmente avec la chaleur. 186 ½ heure de travail pour chacun. 187 Généralement, une fois par mois. 188 Egalement appelé « pansement ». 189 Le plus souvent, deux fois par jour.

68 Chaque palefrenier reçoit un matériel adéquat pour effectuer ce soin : un seau d’écurie, une étrille, une éponge, une brosse et un cure-pied. Mais un certain nombre d’employés ne semble pas en prendre soin et le Ministre estime ces achats de matériels trop fréquents. Cette remarque est récurrente dans les observations liées aux états des dépenses mensuelles. Ce dernier propose alors d’« aviser un moyen de les régulariser en chargeant un palefrenier de l’entretien de son sac, moyennant une somme fixe par an. » Cette solution permet, semble-t-il, de responsabiliser les employés du haras. De la même manière, les articles de sellerie et de bourrellerie semblent revenir trop souvent dans les dépenses. Un harnachement en bon état et neuf permet au haras de montrer sa puissance. Par conséquent, un changement régulier des selles, mors et filets peut se justifier. Cependant, l’établissement emploie à temps plein un sellier, chargé de réparer et de restaurer le matériel tant que cela est possible. Il possède à cet effet un atelier et les produits nécessaires190 à ce travail. Mais le directeur semble y faire rarement appel et préfère acheter de nouveaux harnachements. L’emploi du sellier-bourrelier semble donc être inutile.

Pour l’entretien qui est exigeant, le haras emploie beaucoup de personnes. Mais se pose alors la question de l’utilité de toutes les personnes présentes.

2. …et des hommes

a. Le personnel dirigeant

Le haras emploie de nombreuses personnes divisées en deux groupes : les dirigeants, qui sont les moins nombreux, et les employés, dits « gagistes ». Les officiers sont moins nombreux que les gagistes. La catégorie des officiers est composée d’un directeur, d’un régisseur, d’un comptable191, d’un inspecteur de l’arrondissement et du haras, d’un vétérinaire, d’un surveillant et de deux piqueurs. Ces personnes appartiennent à la première ou à la deuxième

190 Notamment de l’huile de poisson afin de graisser le cuir. 191 Le haras du Pin ne semble pas en employer un. Le régisseur fait office de comptable.

69 catégorie. Le directeur du haras est toujours un officier de première classe, tout comme l’inspecteur. Les autres officiers peuvent de l’une ou de l’autre catégorie. Lorsqu’ils passent en première catégorie après avoir passé un concours, ils deviennent souvent régisseur, directeur ou inspecteur. Leur formation est donc plus poussée afin qu’ils soient polyvalents. Les officiers du haras bénéficient de plus d’avantages que les gagistes, mais sont soumis également à davantage de contraintes. Au contraire des employés, les responsables du haras peuvent être mutés : leur poste n’est donc pas stable. Afin de ne pas les habituer à un seul endroit et sans doute pour éviter trop de fraudes et d’abus, le Ministère décide des mutations très régulières. Tous les trois ans environ, on procède au changement de l’ensemble du personnel dirigeant du haras, principalement le directeur, le régisseur et le vétérinaire. Ces derniers sont confinés à leur poste si leur travail est satisfaisant aux yeux de l’administration. Il est rare qu’un vétérinaire soit destitué, mais ce cas s’est produit en 1807 lorsque M. Beauvais est destitué au profit de M. Damoiseau. Bien qu’aucune raison ne soit donnée, on peut néanmoins supposer qu’il ne donne pas satisfaction au Ministère ainsi qu’au directeur. Le poste de surveillant paraît être le plus exposé aux changements. En effet, en 1809, M. Beaurepaire démissionne, puis dans l’année 1820, le poste change quatre fois de titulaire. M. de Balby-Montfaucon est d’abord nommé pour deux mois, puis est remplacé sans raison apparente par M. de Rigoult192, mais quelques jours plus tard, le haras reçoit une nouvelle missive nommant M. Philippe de Salinis à ce poste. Ce dernier n’y reste que quatre puis mois M. de Balby-Montfaucon, d’abord nommé, occupe le poste. Notons que les mêmes noms reviennent régulièrement pour des fonctions identiques ou voisines. Il semble que les échanges de postes se fassent essentiellement avec le haras de Langonnet193 et avec le haras de Strasbourg ; cependant aucune explication précise ne semble motiver ces choix.

Les officiers du haras sont rémunérés par mois, à la différence des gagistes qui sont rémunérés à la journée.

Tableau XI : Rémunération des officiers du haras du Pin.

Poste Rémunération par mois Retenue Total annuel Directeur 500 Francs 15 Francs 6000 Francs Inspecteur 250 Francs 7,50 Francs 3000 Francs Régisseur 250 Francs 7,50 Francs 3000 Francs

192 Garde du corps du roi. 193 Situé dans les Côtes-d’Armor.

70 Vétérinaire 1ère classe 166 Francs 5 Francs 2000 Francs Vétérinaire 2ème classe 150 Francs 4,50 Francs 1800 Francs Surveillant 125 Francs 3,75 Francs 1500 Francs Piqueur 125 Francs 3,75 Francs 1500 Francs

La rémunération des officiers semble plus importante que dans les dépôts d’étalons 194 et l’établissement n’emploie que des personnes de première ou seconde classe et jamais de personne appartenant à la troisième classe. A titre de comparaison, dans un dépôt d’étalons tel que celui d’Angers195, les traitements annuels sont inférieurs de 40 à 50% :

Tableau XII : Rémunération des officiers du dépôt d’étalons d’Angers.

Poste 1ère classe 2ème classe 3ème classe Chef de dépôt 3000 Francs 2700 Francs 2400 Francs Agent comptable 1800 Francs 1500 Francs 1200 Francs Vétérinaire 1200 Francs 1000 Francs 900 Francs

La retenue mensuelle de 3% exprimée dans les salaires des employés du haras permet de financer une partie des retraites. Les officiers sont logés au haras, dans des annexes, puis dans le château à partir de 1874196. De nombreux travaux d’assainissement et de réparations sont entrepris dans les logements des officiers, durant les années 1820. Le vétérinaire possède une habitation indépendante, agrandie « de manière à donner deux chambres de plus au vétérinaire. » L’inspecteur des haras délégué à la circonscription du Pin possède une chambre qu’il occupe lorsqu’il se rend dans l’établissement197. Le logement du directeur ne se trouve pas dans le château jusqu’en 1874, date à laquelle la tradition de l’Ancien Régime est reprise. Avant cette date, le directeur possède un appartement dans l’une des annexes du domaine, dans le même bâtiment que les autres officiers, mais sa localisation précise est inconnue. L’ensemble de ces appartements nécessite de nombreux entretiens : les toitures sont restaurées une fois par an, les cheminées sont régulièrement ramonées, les matelas doivent être confortables et la laine qui les garnit doit être changée afin qu’ils ne soient jamais durs. De plus, le directeur et les autres officiers ont la possibilité de se meubler comme ils le désirent.

194 Corbé (Mélanie), Du Dépôt d’étalons d’Angers au Haras national de l’Isle-Briand (1791-1975), mémoire de maîtrise, université d’Angers, 1999. 195 Idem. 196 Desrivières (Gaëlle), Le Haras du Pin et son domaine, maîtrise d’architecture, université de Rennes, 2000, p. 54. 197 Selon le décret de 1808.

71 Les officiers ont davantage de liberté de mouvements et sont autorisés à s’absenter plusieurs jours voire plusieurs semaines198 sans suspension de rémunération. C’est ainsi qu’en 1809, des congés sont accordés à l’inspecteur du haras199 « pour rétablir sa santé » et ses « appointements ne sont soumis à aucune retenue. » Lorsque le directeur doit s’absenter, c’est à l’inspecteur qu’incombe cette responsabilité. Si ce dernier n’est pas présent, le régisseur en prend la charge. Cependant, le directeur doit toujours s’assurer que l’établissement ne « souffrira pas de son absence. » Mais il semble qu’il y ait eu des abus et en 1809200, le Ministère émet une circulaire traitant des « règles établies pour les absences de Messieurs les Employés des haras » : il est « jugé nécessaire d’établir une règle générale, au sujet des absences que pourroient201 faire à l’avenir, Messieurs les employés des haras et en conséquence décide de ce qui suit. Aucun chef d’établissement ne peut s’absenter sans un congé de moi, si ce n’est pour les besoins du service. Les autres employés ne peuvent, soit pour les besoins du service, soit pour toute autre cause quelconque, s’absenter sans l’agrément de leurs chefs. Dans certains cas qui devront être très rares, les chefs pourront accorder aux employés de leur établissement, pour affaire urgente, des permissions de s’absenter. Ces permissions ne pourront pas excéder le terme de 20 jours, et il en sera rendu compte sur le champ ; toute absence plus longue devra être autorisée par un congé de moi. Les chefs et autres employés absents pour congés et permission, et dont l’absence aura dure plus de huit jours seront soumis à une retenue de la moitié de leur traitement pour le temps que durera leur absence. Cette retenue sera de la totalité au traitement pour tout employé de quelque grade qu’il soit, qui s’absenteroit202 sans autorisation. Au bout de trois mois d’absence non autorisée, l’emploi de la personne absente sera considéré comme vacant et il sera pourvu. Il vous recommandera expressément la stricte exécution des dispositions ci-dessus. Vous aurez en conséquence à m’accuser de suite réception de cette lettre et à m’envoyer en même temps la note de ceux des employés de votre établissement qui seroit203 absent avec mention de l’époque depuis laquelle dure cette absence et de ses motifs. » Ainsi, même les dirigeants des établissements tels que le Haras du Pin sont soumis à plus d’obligations à partir de 1809. La discipline imposée aux employés permet d’augmenter les performances du haras et de maintenir une bonne réputation. En effet, au XIXème siècle, l’idéologie du travail est très forte et l’absentéisme est mal perçu. Le Pin étant un haras national de renom, il est alors important

198 Pour des raisons de santé ou personnelles. 199 1ETP15. M. Pichard. 200 11ETP15. Circulaire du 08 juin 1809. 201 Sic. 202 Sic. 203 Sic.

72 qu’il soit l’un des premiers à appliquer cette règle. Malgré tout, les déplacements ne cessent pas et le Ministre de tutelle fait souvent remarquer l’existence de déplacements abusifs et non autorisés qui sont tout de même comptés dans les frais du haras. Une fois encore, la politique de rigueur économique n’est pas respectée.

Chaque haras possède son propre uniforme qui est adapté à chaque grade et à chaque poste. Ainsi à partir de 1825, le règlement204 du Pin impose pour les officiers et employés « un habit gros bleu avec boutons d’argent ou argentés, ayant un cheval en relief, autour duquel il sera écrit « Haras Royaux » et avec collets et broderies en argent, suivant les grades ainsi qu’il suit : - Inspecteurs généraux : collet écarlate, broderie de 27 mm de large tout le long de la bordure de l’habit, sur le collet, les parements et les poches. - Agents généraux des remontes : collet bleu de ciel, broderie comme pour les inspecteurs généraux. - Directeurs de haras : collet écarlate, broderie de 27 mm de large sur le collet les parements et les poches. - Directeurs de dépôts d’étalons et de poulains : collet bleu de ciel, broderie comme pour les directeurs de haras. - Chefs de dépôts d’étalons : même broderie mais seulement sur le collet et les parements ; collet écarlate. - Agents spéciaux : collet bleu de ciel, broderie de 15 mm de large sur le collet et les parements, pour les agents spéciaux régisseurs, et sur le collet seulement pour les autres. - Vétérinaires : collet de velours cramoisi avec une broderie aussi de 15 mm de large. - Surveillants : broderie de pareille largeur sur un collet vert. - Piqueurs : collet rouge debout, avec quatre boutonnières brodées en argent. » Cet uniforme permet de reconnaître les grades de chacun et permet de donner de l’importance et du prestige aux haras nationaux205. La présence d’un uniforme donne du poids à cette institution qui semble alors plus organisée.

Chaque officier a des tâches bien définies. En premier lieu, le directeur du haras est chargé de la surveillance générale de l’établissement qu’il a en charge, décide des montes,

204 1ETP17. Cet uniforme ne changera pas jusqu’en 1856. 205 Ou royaux, ou impériaux, suivant les époques.

73 entretient une correspondance presque quotidienne avec le Ministre et le Préfet. Il décide également de la politique générale du haras et des dépenses à faire. C’est à lui que revient la charge d’appliquer les décrets, circulaires et autres décisions prises par le Ministère. C’est le poste le plus exposé lors des changements de régime ou s’il y a insatisfaction. Ainsi, sur la période étudiée, les directeurs se succèdent en moyenne tous les trois ou quatre ans. La direction en est plus ou moins satisfaite. M. de Grimoult qui dirige le haras de 1797 à 1807 est souvent critiqué pour ses dépenses excessives, tout comme son remplaçant, M. d’Avaugour, souvent rappelé à l’ordre et régulièrement soupçonné d’abus. Au contraire, le Chevalier d’Abzac, qui prend le poste en 1811 et, plus encore, le baron de Bonneval qui prend sa succession, sont loués pour leur respect des règles et pour leur tentatives d’économie, constamment encouragées. Il est intéressant de noter que ces deux directeurs restent longtemps en poste, puisque le chevalier d’Abzac reste sept ans et le baron de Bonneval, quatorze. L’inspecteur des haras surveille les étalons de l’établissement ainsi que ceux des privés. Il décide des placements des chevaux dans les différents dépôts et haras et est également responsable des distributions des prix aux différents concours et courses qui ont lieu sur la circonscription du haras. Il est également responsable des orientations dans l’élevage des chevaux et décide de l’amélioration à apporter dans chaque race. Il arrive que les inspecteurs soient deux à trois pour surveiller une circonscription, surtout lorsque la population chevaline est importante, comme cela se produit en 1816. Le régisseur est chargé de la gestion du domaine appartenant au Pin. Il s’occupe donc de l’administration des terres, des cultures et des fermiers. Il doit aussi rendre compte des dépenses mensuelles du haras. Pour cela, il dresse un état mensuel ensuite supervisé par le directeur puis par le Préfet, avant d’être lu par le Ministre. Le poste de régisseur est également instable et les changements fréquents. Le plus souvent, cette situation est due à une gestion jugée défectueuse par le Ministère. De plus, cette responsabilité comporte des risques financiers importants puisque la personne chargée de la régie est responsable sur ses biens en cas de faillite. Grâce à une lettre ministérielle du 17 janvier 1823206, les responsabilités du régisseur sont connues : « Par un arrêté du 10 de ce mois, je viens de nommer régisseur du Pin, M. de Balby-Montfaucon qui remplit aujourd’hui les mêmes fonctions à celui de Langonnet où il sera remplacé par M. Duhamel.[…]. Je l’incite à se rendre immédiatement à sa nouvelle destination et à se mettre promptement en règle relativement au supplément de cautionnement nécessaire pour compléter celui des 40 000F auquel il sera tenu pour garantir

206 1ETP17.

74 de sa gestion au haras du Pin. M. Duhamel ne partira qu’après l’arrivée de M. de Balby- Montfaucon et après lui avoir fait la remise de la caisse et des objets divers appartenant au haras dont il est dépositaire. Vous assisterez à cette remise qui se fera sur un inventaire dont un double signé des parties qui y auront concouru, me sera ensuite adressée. » Ainsi, le régisseur doit non seulement mettre en garantie une somme minimale obligatoire, mais également assurer un surplus dont le montant ne semble pas fixé. Son poste est l’un des plus risqués et des plus surveillés. Comme le précise cette missive, les deux parties doivent être présentes lors de la prise de fonction du nouveau responsable : l’ancien régisseur doit alors lui remettre la caisse ainsi qu’un inventaire de ce qui lui est remis. Cette méthode est sans doute adoptée afin d’éviter les vols et autres fraudes lors des changements de poste, d’autant que cela se passe sous le contrôle du directeur du Pin, qui devient alors également responsable en cas de problème. Le poste de vétérinaire est beaucoup plus stable, car il y a moins d’enjeu autour de cette responsabilité. La plupart des « artistes-vétérinaires » sont issus de l’Ecole vétérinaire de Maisons-Alfort207. La personne chargée de cette tâche doit surveiller l’état de santé des hôtes du Pin et dresser un état de santé qu’il remet à l’inspecteur. Il doit également surveiller la santé des chevaux des privés au moment des montes et décider des étalons aptes à l’effectuer208. Il doit dresser un bilan de la situation hippique dans la circonscription du Pin et remettre un rapport à l’inspecteur. La tâche des piqueurs est moins bien définie. Ces hommes sont répartis en deux classes d’employés dont les fonctions sont distinctes : « les uns doivent spécialement dresser les jeunes chevaux et instruire les palefreniers à monter à cheval. Les autres, au nombre de deux seulement, un dans chaque haras, sont particulièrement attachés au service de la monte. Des derniers rempliront aussi les fonctions de palefreniers chefs dans leur établissement respectif, si ce n’est qu’ils ne panseront pas de chevaux. Les piqueurs de l’une et l’autre classes sont d’ailleurs à la disposition des directeurs, qui veilleront à ce que le temps que les fonctions dont ils sont spécialement chargés pourraient leur laisser, soit utilement employé dans l’intérêt du service. » Ainsi, les piqueurs constituent une catégorie intermédiaire, mais leur mission, qui n’est créée qu’en 1825, paraît floue. Il semble que cette fonction soit en partie équivalente à celle de palefrenier chef, ce qui pourrait expliquer l’absence de

207 Qui travaille en partenariat avec le Pin. 208 Les étalons sont alors classés en plusieurs catégories : « approuvés » pour les meilleurs, « autorisés » pour ceux sont porteurs de défauts non rédhibitoires pour l’amélioration des races, « aptes à la monte publique » pour les étalons ne présentant aucune qualité et enfin « inaptes » pour ceux qui ont trop de défauts.

75 l’inscription d’une quelconque rémunération de deux piqueurs, mais d’un seul. Ils ne semblent pas être hébergés au haras.

Tous ces officiers sont responsables des employés et gagistes du haras, puisque chacun d’eux peut remplacer le directeur si ce dernier doit partir.

b. Les employés et les gagistes

Le haras emploie un nombre stable de personnes : il y a toujours entre 29 et 35 personnes. Ces employés se divisent en deux catégories : les employés proprement dit et les gagistes, essentiellement des palefreniers, qui sont payés à la journée. A ces personnes s’ajoutent les « surnuméraires », ou journaliers, employés pour seconder les palefreniers titulaires surtout au moment des foins ou des montes. La plupart de ces employés logent au haras. Soit ils bénéficient des maisons réparties sur les différents terrains du haras, soit il sont logés dans des chambres au-dessus des écuries comme dans les casernes. Une réglementation est mise en place à partir de 1809209 à la demande du directeur du Haras du Pin, qui estime la plupart de ses employés mal logés et par conséquent, peu enclins à venir travailler : « […] parmi les frais relatifs à l’entretien des haras et dépôts d’étalons, [se trouve] une dépense qui par sa nature a fixé plus particulièrement mon attention ; elle concerne la fourniture dans chacun de ces établissements des lits nécessaires aux palefreniers. Il m’a paru utile de régler d’une manière générale et uniforme un article qui sans les précautions convenables pourroient210 devenir trop dispendieux et prêter à l’arbitraire. Les palefreniers se composent de deux classes, d’hommes mariés et de célibataires ; il sera pris pour les uns et pour les autres des mesures différentes suivant les circonstances ci-après expliquées. Les palefreniers célibataires seront mis en chambrées et il sera donné pour d’eux de ces gagistes un lit composé d’une couchette, d’une paillasse, d’un matelas, d’un traversin, d’une couverture, et deux paires de draps. Dans les haras et dépôts d’étalons où cette fourniture ne serait pas complète ou manquerait en totalité, les chefs m’adresseront un état des objets dont ils peuvent avoir besoin. Cette note indiquera les prix approximatifs des achats à faire. J’examinerai cette dépense qui ne pourra en aucun cas s’effectuer sans mon autorisation. A l’égard des palefreniers mariés ceux qui n’habitent point avec leur femme seront considérés et traités comme célibataires. Ceux au contraire qui

209 1ETP15. Circulaire ministérielle du 29 avril 1809 : mesures générales relatives aux lits à fournir aux palefreniers dans les haras et dépôts d’étalons. 210 Sic.

76 désireront avoir le logement pour eux et pour leur famille pourront l’obtenir mais seulement en vertu de mon approbation spéciale qui sera provoquée par le chef de l’établissement. Cette approbation accordée, il sera donné au palefrenier marié une chambre pour lui et sa famille, à la condition cependant et sans laquelle il ne pourrait être fait droit à sa demande, de se fournir d’un lit et autres meubles de ménage […]. » Ainsi, on accède à une demande particulière, celle du Pin, où le problème semble se poser de manière cruciale, et l’on applique la décision à tous les haras nationaux. A première vue, il semble que les palefreniers mariés et désirant vivre avec leur épouse sont mieux logés que ceux qui vivent seuls. Cependant, le seul avantage est la possession d’une chambre un peu plus vaste pour eux et leur famille, alors que les célibataires ou ceux considérés comme tels doivent vivre à plusieurs par chambre. Quelques années après, cette situation semble avoir évolué et les palefreniers vivant en couple possèdent des petites maisons, qui sont évoquées dans le livre d’ordre en 1819211. En effet, le 27 juillet 1819, le directeur du Pin donne l’ordre de remplacer les carreaux cassés par « les enfans212 des palefreniers domiciliés au haras [qui] jettent par malice des pierres et en [des carreaux] cassent journellement un grand nombre ». Et ce dernier menace : « que tous les carreaux de vitres cassés seront payés par tous les pères des enfans213 qui demeurent au haras ou dans les petites maisons qui en dépendent, si toutefois les coupables ne sont pas pris sur le fait. Je saisis cette occasion pour observer aux palefreniers qui ont des enfans mal élevés et sans principes qu’ils dévastent tout. Je préviens que si les enfans continuent à donner de trop justes sujets de plaintes, j’ôterais le logement aux parents qui leurs permettent de donner de si mauvais exemples. » Les petites maisons évoquées se situent probablement dans le domaine, en bordures de pâturages. Mais il faut remarquer que la surveillance est étroite et stricte et que les méfaits des enfants ne sont pas tolérés, au point de menacer les parents d’expulsion. Ces logements sont certainement prêtés à titre gracieux. La possibilité de se loger sur place et dans des locaux où l’hygiène est meilleure qu’ailleurs représente un progrès énorme. Cela facilite également la tâche de tous, puisque les retards ne peuvent plus être justifiés et la fatigue étant moindre, les palefreniers travaillent vraisemblablement de manière beaucoup plus efficace. Néanmoins, le nombre de maison et de chambrées ainsi que la taille de ces habitations sont inconnues : il est donc difficile de définir le nombre de gagistes habitant au haras. Les employés non gagistes sont également logés sur place et leurs maisons sont rénovées en priorité. Ainsi, l’un des premiers travaux de rénovation se porte sur le maison du garde. Cette décision est aisément compréhensible car le garde assure une surveillance des

211 1ETP327. Ordre du 27 juillet 1819. 212 Sic. 213 Sic.

77 allers et venues du personnel et de toute personne susceptible de s’introduire ; il permet en outre d’éviter toute intrusion malsaine. Le chef palefrenier est également logé au haras à un endroit non précisé. Cependant il probable qu’une maison au cœur du domaine lui est attribuée. Enfin le maréchal-ferrant ainsi que le sellier logent sans doute au-dessus de leur atelier. Le terme de palefrenier regroupe en réalité plusieurs fonctions, en premier lieu ceux qui pansent les chevaux et leur administrent les principaux soins aux chevaux. Mais derrière cette fonction, se cachent également les taupiers, chargés d’éliminer les taupes sur le domaine. Ils sont considérés comme des gagistes et sont logés sur place, dans de petites maisons situées en bordure de certains champs appartenant au Haras. Leur paie correspond à celle d’un palefrenier de deuxième classe. Ainsi, il semble que les hommes inscrits en tant que palefreniers de deuxième classe ne s’occupent pas directement des chevaux. Il existe peu d’indications sur les surnuméraires employés par le haras. Il est néanmoins probable que ces personnes soient originaires des villages des alentours. Ces hommes sont soit des ouvriers agricoles, venus au haras pour aider comme ils le feraient dans des fermes, soit des fermiers indépendants du domaine venus pour augmenter leurs revenus. Les surnuméraires sont certainement composés de ces deux catégories. Il est probable que les ouvriers agricoles soient les plus nombreux au haras en été et au début de l’automne, quand arrive le temps des récoltes ; mais en hiver, sans doute les fermiers des alentours doivent-ils venir au haras. En tout cas, ils ne sont jamais hébergés au haras. Mais les surnuméraires peuvent être également des palefreniers lorsque les titulaires de cette charge sont malades et doivent être remplacés pour quelques jours. La rémunération des employés et des gagistes est bien inférieure à celle des officiers et se fait à la journée de travail.

Tableau XIII : Rémunération des employés et gagistes du haras du Pin.

Fonction Salaire journalier Salaire mensuel retenue Chef palefrenier 2F 60F 1,80F Palefrenier de la 1ère 1,50F 45F 1,35F classe Palefrenier de 2ème 1,10F 35F 1,05F classe (taupier, portier, …) Maréchal 1,50F 45F 1,35F

78 Surnuméraire 1,25F 0F 0F Pensionnaire 0,75F 0F 0F

Seuls les employés réguliers sont payés au mois et se voient imposer une retenue de 3% qui servira à financer leur retraite. Contrairement aux directives, le Pin confond sous le terme de palefreniers des hommes ayant des tâches bien différentes les unes des autres. En effet, si certains sont bien employés pour panser les chevaux ainsi que leur administrer les premiers soins, beaucoup d’autres ne s’occupent pas d’animaux. Sous la fonction de palefrenier, le haras emploie un cocher, un employé à la forge, un garçon maréchal214 ainsi qu’un portier. Ces abus sont régulièrement dénoncés par le Ministre qui écrit le 18 mars 1809 qu’« il est abusif d’admettre ainsi dans l’établissement sans divers prétexte des hommes à gages fixes ; il le serait plus encore de les faire passer comme palefreniers ou surnuméraires ceux dont les fonctions sont toutes différentes. Il ne doit y avoir de gagistes attachés au haras, que le nombre de palefreniers proportionné à celui des chevaux, d’après les bases que j’ai fixé215, et les hommes dont j’aurais cru devoir en outre autoriser l’admission sur votre demande. Vous voudrez bien avec votre état de mars me transmettre un état nominatif de tous les employés subalternes du haras avec la désignation des fonctions qu’ils remplissent ; vous relaterez mon autorisation pour admettre ceux qui ne sont pas palefreniers ou les motifs qui vous portent à me la demander. » Ainsi ces hommes employés de manière fixes ne devraient être considérés que comme des surnuméraires et le haras ne devrait les employer qu’à titre extraordinaire de temps à autre. Le Ministre fait cependant une concession et accorde au directeur du Pin d’employer à temps plein un portier et un garçon maréchal dont les tâches sont importantes pour le bonne tenue du haras.

De la même manière, les hommes employés en tant que surnuméraires sont très souvent rémunérés bien plus que ce que prévoient les texte. En effet, ils ne sont rémunérés qu’à la journée, mais le haras emploie chaque mois entre quatre et six surnuméraires, qui possèdent alors un salaire équivalent à celui des palefreniers de deuxième classe. A la différence des palefreniers, leur rémunération leur est versée à la fin de chaque journée. Ainsi un pompier216employé chaque jour est recensé parmi les surnuméraires, de même qu’un menuisier et un conducteur de tombereaux. Et le Ministre de juger « convenable [de conserver] un menuisier à l’année pour le service de l’établissement. » Aussi la confusion

214 C’est-à-dire un apprenti maréchal-ferrant. 215 Sic. 216 C’est-à-dire un homme chargé chaque jour de pomper l’eau pour les abreuvoirs.

79 entre diverses fonctions semble-t-elle être totale. Le haras commet-il cette confusion de façon consciente ou ne voit-il pas la différence entre les diverses fonctions ? De ce point de vue l’établissement paraît philanthrope puisqu’il rémunère des personnes bien plus qu’elles ne le seraient ailleurs. Mais sans doute est-ce aussi son intérêt de ne pas se voir contraint à diminuer de beaucoup un effectif dont il semble satisfait. Enfin, le Pin emploie quelques pensionnaires, qui sont des apprentis palefreniers, nourris et logés à la charge du haras, ce qui explique leur faible rémunération. Le Pin ne forme pas de palefreniers de manière régulière et qui sont peu nombreux à la fois217.

Le ministère considère le nombre mensuel d’employés trop important. Le haras emploie une trentaine de personnes par mois, soit un chef palefrenier et une vingtaine de palefreniers, composée de deux tiers de palefreniers de 1ère classe, d’un tiers de deuxième classe et de quatre à cinq journaliers en basse saison et d’une dizaine au moment des récoltes. Presque chaque mois, le directeur du Pin reçoit des reproches de la part du Ministre de tutelle. En effet, le Pin est le domaine qui coûte le plus cher à l’administration des haras, car il emploie plus de palefreniers que ce que préconisent les textes et décrets, qui sont d’ailleurs rappelés chaque mois à la direction. Ainsi, le 25 février 1809218, on constate que « le haras du Pin n’est pas un des établissements qui contient le plus d’animaux, et cependant, c’est celui qui occasionne la plus forte dépense. Il faut s’occuper des moyens de la réduire. » En premier lieu, le Pin reçoit l’ordre de réduire le nombre de ses palefreniers. En théorie, un palefrenier doit se voir attribuer le soin de quatre chevaux. Il s’agit donc d’employer un nombre d’hommes en proportion du nombre de chevaux. Or, le directeur du Pin ne se préoccupe pas d’économie et fait rarement coïncider le nombre de palefreniers à celui du nombre d’animaux. Le 20 mars 1813, le Ministre de l’Intérieur écrit au Pin : « je suis mécontent de voir qu’à la fin du dit mois de février dernier où vous avez le même nombre d’animaux qu’à la fin de novembre précédent, vous ayez cinq palefreniers surnuméraires de plus qu’à la fin du dit mois de novembre. Vous voudrez bien à la réception de cette lettre réduire le nombre des palefreniers dans la proportion à celui des animaux. J’espère n’avoir plus d’observation à vous faire sur cette partie du service dans laquelle on ne saurait trop apporter d’économie. Chaque palefrenier doit panser quatre chevaux et lorsque trois ou quatre palefreniers sont momentanément occupés ailleurs qu’aux écuries, les chevaux qu’ils ont à soigner doivent être répartis entre les autres palefreniers qui, au lieu de quatre en ont alors cinq. » Le haras

217 Il faut attendre la fin du XIXème siècle pour voir apparaître de manière régulière dans les comptes du haras de nombreux élèves palefreniers. 218 1ETP15.

80 n’optimise pas le rendement de ses employés et ne répartit pas correctement les tâches : trop de palefreniers s’occupent d’autres choses que des chevaux puisque les effectifs sont réduits. L’Etat recommande alors de réformer les palefreniers inutiles, ce qui n’est jamais appliqué au haras du Pin. Afin de convaincre le directeur du Pin que le nombre de palefreniers est trop élevé au haras, le Ministre en vient même à démontrer le bien-fondé de son décret. En 1811219, il écrit : « Quant au nombre des palefreniers que possède actuellement le haras et qu’il a employé pendant le mois de novembre dernier, je vais vous donner preuve qu’il excédait la proportion que j’ai établie. Vous avez eu jusqu’au 19 novembre 129 animaux, dont 24 juments, poulains et pouliches. Ils ne doivent pas employer plus de quatre palefreniers. Il vous restait donc trente deux palefreniers pour 108 étalons ou chevaux de service. Or la proportion que j’ai établie ne permettait d’employer pour 108 étalons que 28 palefreniers ; il y a donc eu de trop pendant dix-huit jours, huit palefreniers220. Depuis le 19 jusqu’au 30, le nombre de chevaux est diminué de treize ; il fallait encore pendant cet espace de temps n’employer que 24 palefreniers, puisque les étalons et chevaux de service se trouvaient réduits à 94. Lorsque les palefreniers sont par maladie ou pour toute autre cause, absents momentanément de l’établissement, ils ne doivent pas être remplacés ; mais leur service doit être réparti sur les palefreniers restants. Cette marche est suivie dans tous les établissements et j’exige que vous ne vous en écartiez pas. Au surplus, quand bien même le motif pour lequel vous n’avez pas réformé de palefrenier en novembre, serait fondé, il n’existait pas en octobre, mois pendant lequel le nombre d’animaux a été réduit de 154 à 129, sans que pour cela vous ayez réduit le nombre des palefreniers. Je pense que d’après ces observations il ne vous restera aucun doute sur l’économie considérable que vous auriez pu faire sur les gages des palefreniers pendant les mois d’octobre et de novembre. Je vous préviens qu’à l’avenir j’allouerai pour le haras 4 palefreniers pour le service des 24 juments poulains et pouliches et seulement le nombre exact de palefreniers que comportera la quantité des étalons et des chevaux de service à raison de quatre chevaux pour chaque homme. Il sera passé de plus un palefrenier en sus de cette proportion ; mais les gages des hommes soit palefreniers en pied, soit palefreniers surnuméraires qui excéderont la proportion ci-dessus, seront rejetés de vos Etats. Lorsqu’il y a des réformes à faire parmi les palefreniers, il n’est pas douteux qu’elles doivent tomber d’abord sur les surnuméraires et ensuite sur les palefreniers les moins anciens en service. » Le ton employé par l’Etat n’est plus celui du conseil mais de l’ordre qui traduit sans doute un certain agacement à voir que le haras ne suit aucun des décrets, contrairement à la plupart des

219 1ETP16. Lettre du 31 janvier 1811. 220 Sic.

81 haras nationaux qui semblent plus enclins à obéir. Le directeur du Pin n’applique sans doute pas cette règle de proportionnalité pour des raisons de facilité. En effet, cela lui évite de faire constamment des comptes et des démarches afin de réformer ou d’employer des hommes. Ce nombre fixe lui permet une gestion simplifiée, mais plus coûteuse. Le Ministre prescrit également la règle à appliquer lors des réductions de personnels : les surnuméraires et les palefreniers employés le plus récemment sont le plus exposés aux risques de réformes. Cette recommandation semble rester lettre morte, puisque les mêmes principes sont rappelés au directeur ainsi qu’au régisseur presque tous les mois. Les choses semblent s’améliorer lorsqu’un nouveau directeur est nommé à la tête de cet établissement. Jusqu’à l’arrivée du Baron de Bonneval en 1818, la gestion semble être le point noir de l’établissement. Dès sa prise de fonction, bon nombre de récriminations envers la gestion du personnel disparaissent et le Ministre est plus enclin aux compliments et encourage cette gestion saine et raisonnée. Le Baron de Bonneval reste suffisamment longtemps pour parvenir à rétablir un juste équilibre dans l’économie du haras. Ainsi, en 1818221, le directeur reçoit cette lettre du Ministre : « vous m’informez des dispositions que vous avez faites par suite de celle que je vous ai communiquées le 8 du courant, relativement aux palefreniers du haras du Pin. Ces dispositions me paraissent être dans le sens des intentions que je vous ai manifestées à cet égard, je ne puis que les approuver et vous inviter à tenir la mains à ce qu’elles soient strictement exécutées. » Cela marque la fin d’une gestion considérée comme désastreuse par les autorités. Les directeurs successifs du Pin semblent également être en avance sur l’administration et réclament des augmentations de salaires pour leurs employés. Ainsi, le 27 août 1809, M. d’Avaugour dénonce un supplément de gages, insuffisant à ses yeux, payé aux palefreniers chargés de conduire les étalons à la monte. Le 23 septembre 1809222, le Ministre lui répond : « Vous réclamez contre l’insuffisance de la somme de 1,50 Francs à laquelle j’ai fixé le supplément de gages à payer par jour aux palefreniers des établissements de haras lorsqu’ils sont chargés de conduite de chevaux soit dans d’autres établissements, soit pour le service de la monte. Vous m’invitez à porter ce supplément à 3 Francs et vous ajoutez que de cette manière les palefreniers seront encore moins bien traités que les hommes employés à conduire des étalons de Paris dans les dépôts ou haras. Cette mesure reçoit son exécution par tout et je suis étonné que ce soit au haras du pin seulement qu’elle ait donné lieu à des réclamations, cet établissement n’étant pas situé dans un des pays où les objets de première

221 1ETP16. Lettre du 29 juillet 1818. 222 1ETP15.

82 nécessité soient les plus chers. La comparaison que vous faites entre les palefreniers attachés à l’administration des haras et les hommes que j’emploie à conduire des étalons de Paris dans les établissements, n’est pas exacte. Les derniers, quoique recevant un salaire plus élevé, sont beaucoup moins favorisés que les premiers en ce qu’ils ne sont ni logés, couchés, ni habillés. En outre, si les palefreniers tombent malades ou sont blessés en service, ils ont droit à des secours, et le gouvernement s’occupe des moyens de leur assurer des pensions lorsque après un certain temps de service l’âge ou les infirmités les empêcheront de continuer. Ces motifs me déterminent à maintenir ma décision et je vous recommande expressément de continuer à en assurer l’exécution ainsi que vous l’avez fait jusqu’à ce jour. Quant aux palefreniers qui ont été blessés par les étalons pendant la monte de manière à exiger des soins dispendieux, il est juste qu’ils soient indemnisés. Je suis d’autant plus disposé à accueillir les demandes qui me seront faites à cet égard, lorsqu’elles seront fondées, que j’ai expressément défendu que les palefreniers exigent ou même reçoivent de pourboire de la part des propriétaires de juments présentées pour être saillies. Mon intention est que ceux qui n’observent pas rigoureusement cette défense soient renvoyés sur le champ. » Cette lettre est particulièrement intéressante puisqu’elle montre que l’Etat cherche à donner une certaine protection sociale à ces employés : ils sont nourris, logés, habillés et leurs soins sont pris en charge lorsqu’ils ont été blessés en service. Le Ministre semble ouvert à des réclamations de ce type, même si le Haras du Pin semble en réclamer trop puisqu’il n’est pas placé dans une région où le coût de la vie est particulièrement chère, mais qu’il réclame tout de même des augmentations conséquentes pour ses employés.

De même, le Directeur du Pin et le Ministre semblent être souvent en désaccord sur le montant de la rémunération accordées aux palefreniers malades et aux surnuméraires employés pour les remplacer. La méthode du Pin n’est pas celle préconisée par l’Etat, mais elle ne semble pas toujours être désapprouvée. Ainsi, dans une lettre adressée au directeur du Pin le 18 mars 1809223, le Ministre de l’Intérieur écrit que « l’article des gages en janvier comprend en outre trois autres [palefreniers] malades à demie paye et dix surnuméraires à un franc par jour. […] Je trouve assez bonne la mesure de mettre à demie paye les hommes qui ne peuvent pas servir et de les faire provisoirement remplacer par des surnuméraires à un franc par jour. »

223 1ETP15.

83 L’Etat n’apprécie cependant pas que les absences répétées de certains palefreniers restent sans conséquence sur leur rémunération. Ainsi en 1811224, le Ministre écrit au directeur du Pin de congédier deux palefreniers dont les absences sont considérées comme abusives, et décide donc de statuer sur les absences pour maladies des palefreniers : « […] Si ces deux palefreniers sont en état de continuer le service, vous pouvez les conserver en supposant toutefois que la date de leur entrée au haras ne les mettent pas dans le cas d’être réformés à l’occasion de la diminution survenue dans le nombre de chevaux. Je n’approuve pas au surplus que vous mettiez des palefreniers à la demie paye pour cause de maladie, et afin d’éviter qu’ils ne faignent225 d’être malades pour être exemptés de service. Dans le cas de maladie réelle, il n’est pas juste de les priver d’une portion de leurs gages, dans l’autre cas c’est paresse ou mauvaise volonté et alors les palefreniers qui se conduisent ainsi doivent être renvoyés. » L’Etat semble ne pas admettre que les palefreniers puissent être malades et attirés plus volontiers vers l’oisiveté. Cependant, afin de ne pas pénaliser ceux qui sont réellement malades, il est demandé au Directeur du Pin de décider lui-même si l’absence relève d’une maladie réelle ou de la paresse. Ce fonctionnement semble être d’abord créé pour le Pin puis étendu à tous les haras. C’est pour cette raison que le haras va être amené à s’octroyer un médecin chargé de délivrer des certificats médicaux et des ordonnances. Les palefreniers et tous les employés du haras sont contraints de consulter le même médecin. Dès lors les abus semblent disparaître. Cependant, il faut attendre la fin des années 1840 pour voir cette mesure apparaître. Cela permet d’administrer de meilleurs soins aux palefreniers blessés puisque leurs frais sont pris en charge par l’Etat, qui leur verse une pension provisoire ou définitive en échange, nommée indemnité226. Celle-ci est versée directement à l’intéressé lorsqu’il est blessé ou, s’il décède en service, est reversée à sa veuve ou à ses enfants. Les accidents ne sont pas rares et les palefreniers sont les plus touchés. En effet, les chevaux sont racés et donc nerveux. Souvent, des coups de pieds fatals sont recensés dans les lettres envoyées au préfet ou au Ministère de tutelle. Les cas les plus fréquents sont des bras ou des jambes cassés, des os fêlés nécessitant une immobilisation partielle ou totale. Mais il arrive que des palefreniers soient tués net par des coups de pieds à la tête, ou suite à des blessures qui n’ont pas guéri. Quant aux motifs d’absences, l’administration tente très tôt de réfréner des abus. Pour cela, elle établit dès 1809227 une circulaire, «au sujet des absences que pourroient228 faire à

224 1ETP16. Lettre du 31 janvier 1811. 225 Sic. 226 Cette indemnité est proportionnelle au dommage subit. Mais elle réduite de moitié lorsqu’elle est versée à une veuve ou des enfants, en cas de décès. 227 1ETP15. 08 juin 1809 (circulaire, règles établies pour les absences de Mrs les employés des haras). 228 Sic.

84 l’avenir, Mrs les employés des haras et en conséquence décide de ce qui suit. Aucun chef d’établissement ne peut s’absenter sans un congé de moi, si ce n’est pour les besoins du service. Les autres employés ne peuvent, soit pour les besoins du service, soit pour toute autre cause quelconque, s’absenter sans l’agrément de leurs chefs. Dans certains cas qui devront être très rares, les chefs pourront accorder aux employés de leur établissement, pour affaire urgente, des permissions de s’absenter. Ces permissions ne pourront pas excéder le terme de 20 jours, et il en sera rendu compte sur le champ ; toute absence plus longue devra être autorisée par un congé de moi. Les chefs et autres employés absents pour congés et permission, et dont l’absence aura duré plus de huit jours seront soumis à une retenue de la moitié de leur traitement pour le temps que durera leur absence. Cette retenue sera de la totalité au traitement pour tout employé de quelque grade qu’il soit, qui s’absenteroit229 sans autorisation. Au bout de trois mois d’absence non autorisée, l’emploi de la personne absente sera considéré comme vacant et il sera pourvu. Il vous recommandera expressément la stricte exécution des dispositions ci-dessus. Vous aurez en conséquence à m’accuser de suite réception de cette lettre et à m’envoyer en même temps la note de ceux des employés de votre établissement qui seroit230 absent avec mention de l’époque depuis laquelle dure cette absence et de ses motifs. » Les absences répétées et de longue durée sans justification semblent être généralisées dans de nombreux établissements, qui ne sont dès lors plus rentables et deviennent mal exploités. L’Etat veut lutter contre ce genre d’abus. Bien sûr, dans certains cas précis et justifiés, les employés sont autorisés à s’absenter, mais ils sont beaucoup moins libres que les officiers dont les absences prolongées entraînent rarement une diminution de leur salaire. L’idée de paresse chez les employés est commune au XIXème siècle et transparaît ici. C’est pour cette raison que leur surveillance est très étroite et que des registres de gagistes sont mis en place très rapidement. Ces registres permettent de donner une appréciation personnelle des palefreniers, mais également de noter leur zèle et leur assiduité. Ils permettent de protéger les palefreniers exemplaires et de leur accorder des gratifications personnelles et exceptionnelles ainsi que de calculer le montant de leur retraite au prorata de leur présence, ce qui permet également de réprimander ceux dont les services laisseraient à désirer. Ainsi, les employés ne dépendent plus seulement des directeurs de haras, mais également de l’Etat, auquel ils doivent rendre des comptes. Mais ces registres ne semblent pas être mis à jour régulièrement au Pin. A la vue du seul registre de gagistes qui subsiste encore pour cet

229 Sic. 230 Sic.

85 établissement, on remarque que seuls quelques noms sont inscrits durant plusieurs mois, sans que ne soit instauré un réel suivi.

Mais il arrive également que ce soit le Ministère ou le bureau de finances qui demande au haras d’être plus clément. L’affaire la plus révélatrice est celle évoquée dans la lettre adressée par le bureau des finances au haras en 1830231. Le haras veut mettre à la retraite le garde général du domaine : « M. Dupavillon, garde général au haras du Pin a 74 ou 75 ans et est menacé de perdre sa place et d’être mis à la retraite ; or il ne compte que 14 années de service et son traitement n’étant que de 1000F par an, il aurait droit qu’à une pension de 220 ou 230 Francs, qui serait insuffisante pour le faire vivre et assurer aussi l’existence de sa femme et d’un enfant. On m’a rapporté qu’il n’était peut-être pas très utile au haras mais c’est une inutilité dont le temps fera naturellement justice avant quelques années et sur laquelle on peut fermer les yeux sans troubler sa conscience d’administrateur au moins jusqu’à ce que son enfant ait atteint l’époque où ses services pourront être payés. En attendant, je verrai avec plaisir qu’il pût entrer dans vos arrangements de conserver le père à sa place qui paraîtra peut- être une sinécure devant une appréciation rigoureuse mais qui au fond ne doit être envisagée que comme un acte d’humanité de la part de l’administration. Je vous serai en conséquence obligé, Monsieur, d’avoir égard à ce recommandement232 et de m’informer au surplus de ce que vous aurez décidé par rapport à M. Dupavillon. » Ainsi, le haras semble parfois peu à l’écoute de son personnel, malgré les apparences. La retraite semble un sujet prioritaire pour tous et il convient d’assurer une indemnité décente aux anciens employés.

L’administration veille à ce que les personnes employées soient suffisamment occupées, ce qui constitue également un sujet de reproches. En effet, il semble que les gagistes du Pin n’aient pas assez de travail. Les palefreniers sont trop nombreux au haras par rapport au nombre de chevaux, ce qui semble alors les inciter à une certaine paresse, remarquée par l’Etat, qui dresse de nombreuses comparaisons avec les autres établissements ayant le même statut. Le ministre fait du reste remarquer dans une lettre adressée au directeur du Pin en 1809233 que « ces soins qui se bornent pour une grande partie de l’année à une surveillance peu pénible ne me paraissent par de nature à employer trois hommes faits qui doivent rester disponibles. Je vois avec peine que le service de la pompe emploie constamment un homme et deux chevaux. Ce travail ne doit durer qu’un temps donné dans

231 1ETP19. Lettre du 30 juin 1830. 232 Sic. 233 1ETP15. Lettre du 13 mai 1809.

86 chaque journée et l’homme qui y est attaché pourrait au moins panser deux chevaux ou être employé à un autre ouvrage utile. » Le rendement du haras n’est pas optimisé et les tâches prennent plus de temps qu’elles ne le devraient. Tout semble fonctionner au ralenti. Malgré les recommandations, l’oisiveté semble être bien présente au haras, alors que les circulaires stipulent bien qu’aucun employé ne doit rester inactif. De la même manière, le livre d’ordre 234 qui subsiste stipule bien que le régisseur doit s’assurer que la journée des ouvriers et palefreniers soit bien employée et que personne ne reste oisif. Ainsi, chaque jour, chacun doit avoir des tâches bien définies qui l’occupent suffisamment pour ne pas susciter le vice qu’est l’oisiveté. Cependant, le haras tente d’inciter chaque employé à être sérieux, puisqu’il essaie de donner des promotions aux plus méritants, comme le prévoient les lois. C’est ainsi qu’en 1818235, par une lettre du Ministre au directeur du Pin, au sujet des surnuméraires passés palefreniers de deuxième classe, écrit : « vous m’informez en même temps du mode adopté au haras en ce qui concerne les surnuméraires et d’après lequel vous avez cru pouvoir admettre cet individu comme palefrenier de 2ème classe. Le service que vous obtenez de cet individu ne remplit point les conditions prescrites par l’article 24 du règlement du 9 février 1816 d’après lequel on ne peut passer au rang des palefreniers de 2ème classe qu’après avoir servi comme surnuméraire pendant deux années consécutives. Il résulte de cette disposition qu’avant d’être admis à la 2ème classe des palefreniers en pied, il faut avoir fait pendant deux ans un service non interrompu comme palefrenier surnuméraire chargé effectivement du pansement de quatre chevaux, et avoir compté dans le nombre des gagistes que l’établissement peut comporter, en raison de la quantité des animaux qui y sont entretenus. Le service momentané que le sieur Rault et autres ont rendus, et qui ne sont que des services d’apprentis, ne peuvent donc leur donner droit au grade auquel vous les aviez admis. » Ainsi, les surnuméraires peuvent accéder à un grade supérieur et peuvent devenir des employés du haras à temps plein. Mais les conditions pour y arriver sont strictes et le directeur du haras, probablement très satisfait de ces hommes, désire les employer à temps plein alors que cela n’est possible qu’après deux de service complet, chose rare lorsque en étant surnuméraire. Ceci constitue cependant une preuve des possibilités d’avancement, qui ne sont toutefois réservés qu’aux employés.

234 1ETP17. Ordre du 27 octobre 1822 : « M. Duhamel voudra bien s’assurer si la journée des ouvriers est employée, en un mot, s’ils s’occupent, et si le nombre de ceux employés est nécessaire. » Ordre du 24 mars 1823 : « M. de Montfaucon prendra les moyens pour que les palefreniers qui chaque jour seront mis à sa disposition soient suffisamment occupés. Il voudra bien s’assurer que le charretier et les chevaux ne restent pas oisifs. » 235 1ETP16. Lettre du 17 juin 1818.

87 L’engagement moral des employés et des gagistes est aussi primordial que celui des officiers. Dans l’ensemble, la réputation des hommes du haras paraît être satisfaisante, étant donné le faible nombre de problèmes recensés. Cependant, une affaire secoue le haras en 1818. En effet, un palefrenier est suspendu après avoir commis un délit sur un herbage appartenant au haras, comme le rapporte une lettre du 10 décembre 1818 : « le palefrenier Louis Dupuy a été suspendu comme ayant été compromis dans un délit de commis sur un des herbages du haras. » Peu de renseignements nous sont parvenus sur cette affaire, mais il semble que cet homme ait commis du braconnage sur les terres du haras. La sentence est alors sans appel, tout employé du haras ayant participé ou ayant organisé un délit commis sur le domaine du haras étant immédiatement renvoyé. L’établissement, comme il lui est demandé, veille à la bonne tenue et à la bonne moralité de son personnel, sur lequel il doit rendre un rapport régulier. Il semble d’ailleurs que le Pin n’applique pas réellement cette méthode, à moins que les documents en témoignant aient disparu. En général, les délits commis sur le domaine du Pin sont plutôt le fait de fermiers ou de grands propriétaires fonciers dont les terres jouxtent celles du haras.

Comme les officiers, les gagistes du haras ont un uniforme qui les distingue des employés des autres haras nationaux, mais il n’existe pas de description de ce vêtement dont on sait seulement qu’il est fait de coutil236 et qu’il est composé d’une veste et d’un pantalon. Malgré une confection robuste, ce vêtement s’use bien plus rapidement que celui des officiers et les dépenses alors occasionnées sont reprochées par le Ministère, car elles ne vont pas dans le sens de l’économie. Les règles concernant cet uniforme sont souvent rappelées. Ainsi, dans une lettre adressées au directeur du Pin en 1811237, le Ministre de tutelle écrit : « Dès qu’un palefrenier cesse d’être employé, [son uniforme] doit lui être retiré. On doit en même temps lui faire la remise de la retenue qui lui a été faite pour subvenir à l’entretien de cet habillement, en supposant toutefois que cet habillement soit dans l’état où il doit être d’après le temps fixé pour la durée de chaque partie de l’habillement. Si donc, un palefrenier congédié rend la redingote hors de service, lorsque d’après l’époque à laquelle elle lui a été livrée, il devrait la rendre en état de servir encore deux ans, alors on doit retenir sur sa masse d’entretien d’habillement ou même sur ses gages, si sa masse n’est pas suffisante la valeur de la moitié du prix de la redingote, puisque d’après le règlement cette partie de l’habillement

236 Le coutil est une toile de coton robuste. 237 1ETP15. Lettre du 31 janvier 1811.

88 doit durer quatre ans. Vous me mandez qu’il serait impossible de reprendre les vestes et pantalons de coutil qui on été donnés cette année parce qu’elles sont hors de service. Si cela est, vous devez obliger les palefreniers à les remplacer à leur compte. Le règlement porte que ces parties d’habillement doivent durer deux ans, conséquemment les vestes et pantalons de coutil qui ont été donnés en 1810 ne seront remplacés au compte de l’établissement qu’en 1812. » Il semble que les vêtements soient faits pour être portés entre deux et quatre ans. Néanmoins, le tissu ne semble pas assez solide pour résister à un port quotidien prolongé, à moins que certains palefreniers ne soient pas suffisamment précautionneux, comme semble le sous-entendre le ministre. L’administration cherche pourtant à responsabiliser ses employés en exigeant une caution destinée à garantir le bon état des uniformes. De plus, chaque employé est chargé, durant le temps de son service, d’entretenir lui-même ses vêtements, ce qui devrait les inciter à en prendre soin. Mais il semble que cela ne soit pas le cas au haras, puisque le directeur accepte de changer facilement les uniformes. Ainsi, le directeur semble laxiste avec les règlements. Mais ce dernier évoque des difficultés à maintenir les vêtements en bon état alors qu’ils sont utilisés par les palefreniers pour des travaux d’entretiens extérieurs, même en plein hiver. Mais cette réclamation du directeur n’est pas estimée recevable par le Ministre qui écrit le 29 juillet 1818238 : « Les regrets que vous exprimez de ce que la tenue des palefreniers, à raison de ce qu’ils seront employés à des travaux extérieurs, et souvent dans la mauvaise saison, ne présentera pas, dites-vous, la même propreté qu’auparavant, ne me paraissent pas fondés. Il me semble qu’il sera facile d’établir, par rapport à la tenue de ces gagistes, dans les diverses circonstances de leur service, un ordre tel qu’ils puissent paraître décemment mis toutes les fois qu’il le faudra. Je n’ignore pas d’ailleurs que plusieurs d’entre eux emploient, pour leur compte, et à des travaux de la nature de ceux qu’on sera dans le cas d’exiger d’eux dans l’intérêt du haras, le temps que leur laisse le service d’écurie. » Ainsi, le Ministre propose de ne faire porter l’uniforme que lorsque les palefreniers sont à l’entretien des chevaux et seulement dans ce cas, et que l’on doit leur interdire de le porter chez eux lorsqu’ils ne sont pas en service. L’utilisation de cet uniforme semble abusive. Il faut également remarquer que le haras semble être dispendieux lorsqu’il s’agit de confectionner des uniformes. Ainsi, en 1808239, le Ministre remarque que la dépense « pour habillement de sept palefreniers et du portier le 07 août 1808 est très chère : 70 Francs de plus par personne comparé au prédécesseur. » Il est alors demandé au directeur de réutiliser les uniformes qui peuvent l’être avant d’en faire confectionner de nouveaux.

238 1ETP16. 239 1ETP15. Lettre du 2 septembre 1808.

89 Les ouvriers agricoles chargés d’entretenir le domaine du Pin semblent représenter la seule catégorie d’employés qui soit occultée. En effet, de nombreuses lettres ne les évoquent pas ou très peu. Ils ne paraissent pas être protégés de la même manière, semblent avoir un emploi beaucoup plus précaire et être écartés de la vie du haras. La considération à leur égard paraît probablement bien moindre étant donné qu’ils ne s’occupent pas des chevaux alors que toute la vie est organisée autour de ces derniers. Néanmoins, ils sont indispensables au bon fonctionnement pratique du haras et au bon entretien du domaine. Il semble qu’ils soient embauchés suivant les besoins du haras, leur situation s’apparentant plus à celle des surnuméraires qu’à celle des gagistes. Mais le montant de leur rémunération est inconnu. La gestion de ce personnel est placée sous les frais de gestion du domaine placé en régie et non du haras, or il ne reste presque rien au sujet de la gestion et des comptes du domaine. Il semble que le nombre de ces ouvriers paraisse souvent trop important aux yeux de l’administration. Ainsi, en 1809240, il semble au Ministre de tutelle que « vingt ouvriers employés pendant tout le mois […] c’est beaucoup pour le peu de terres que le haras fait valoir. » Les tâches qui leur sont assignées sont mal définies. On peut seulement supposer qu’ils sont chargés des diverses réparations qui sont décidées sur le domaine, soit réparer les murs des étables, les ponts, les clôtures, les toitures, curer les fossés et abreuvoirs des chevaux et des vaches, planter de nouveaux arbres. Le manque d’informations vient de l’absence de renseignements suffisants sur la comptabilité du domaine en régie.

Economie et rentabilité sont des termes qui ne s’appliquent pas seulement à la gestion du domaine, mais également à ses employés. La bonne organisation de la vie du haras passe également par un strict respect des règles établies afin que chaque animal, dont la valeur est précieuse, puisse recevoir les meilleurs étalons et dans les meilleures conditions possibles. Une bonne communication entre officiers et employés semble indispensable au bon fonctionnement du haras et ne paraît pas poser de problème au Pin. L’entretien et les soins apportés aux chevaux du haras restent l’objectif principal qu’il ne faut pas perdre de vue. Chacun à son niveau tend à l’amélioration des conditions de vie des animaux. Tous doivent y contribuer.

240 1ETP15. Lettre du 13 mai 1809.

90 Troisième partie

Comment gérer le haras ?

91 La gestion du haras est complexe. En effet, la comptabilité du domaine mis en régie est séparée du reste du haras lui-même, c’est-à-dire les chevaux. Tout au long du XIXème siècle, les différents ministère ayant la charge des haras nationaux cherchent la meilleure manière de gérer ces établissements afin qu’ils soient rentables sans rien perdre de leur qualité. Cette question se pose de manière très générale au sujet de tous ces établissements nationaux. Cependant, il faut adapter chaque mesure aux particularismes de chaque région et par conséquent de chacun des haras. De plus, le haras du Pin est le fleuron de l’élevage national et l’Etat met un point d’honneur à ce qu’il soit un exemple. Mais la gestion interne faite par plusieurs directeurs successifs est loin d’être à la hauteur des espérances de l’administration. Il convient d’ajouter que la situation des haras nationaux est très instable durant toute la première moitié du XIXème siècle, en raison des événements de politique intérieure. Chaque nouveau régime instaure de nouvelles règles aux haras nationaux, ce qui rend la compréhension du fonctionnement de ces établissements nationaux complexe. Les décrets régissant ces établissements se suivent mais sont souvent contradictoires. Certes, les règlements instaurés par Napoléon lorsqu’il décide de rétablir un élevage national de chevaux restent la base. Mais il apparaît impossible de mener une politique d’élevage cohérente à cause des changements trop fréquents, laissant trop rarement le temps d’appliquer une quelconque mesure. Ainsi, l’instabilité politique et gouvernementale entraîne une faiblesse des haras, qui semblent alors livrés à eux-mêmes, d’où une gestion souvent difficile à comprendre et à suivre. Dans les haras nationaux se pose toujours la question du mode de gestion. Mais, au Pin, cette question prend une tournure encore plus cruciale étant donnée l’importance de cet établissement. Il semble que les hommes mis à sa tête n’aient pas toujours un réel respect de leur fonction et une idée vraiment claire de ce qu’est la gestion. D’après les documents qui nous sont parvenus, la gestion du haras du Pin paraît plus difficile que dans n’importe quel autre établissement de même nature. Les constantes comparaisons avec l’ensemble des autres établissements et qui sont en défaveur du Pin sont-elles un moyen de pressions destinées à amener ce dernier à toujours s’améliorer plus ou sont-elles

92 toujours justifiées. Le haras du Pin est-il le mauvais élève ? L’intervention de l’Etat est- elle réellement nécessaire afin de veiller à la bonne marche de cet établissement ?

1. Les différents modes de gestion : la grande préoccupation du XIX ème siècle

Afin d’assurer une gestion transparente, l’Etat décide de faire superviser les dépenses des haras nationaux par le Ministère de tutelle mais également par la Préfecture. Ainsi, le haras doit rendre compte de sa gestion et de ses dépenses chaque mois au Ministre et au Préfet de l’Orne, qui doivent lui faire des observations en retour. En principe, ce système de double vérification doit permettre d’éviter toute fraude et malversation. Cependant, le préfet est souvent plus laxiste que le Ministre. Cela vient probablement du faut que le Préfet connaît mieux les difficultés de la région et laisse donc plus de marge d’adaptation que le Ministre, qui souhaite voir les décrets appliqués de façon stricte. Mais le plus souvent, préfet et Ministre sont d’accord. Le principal problème de la gestion d’un domaine aussi important que le haras du Pin au XIXème siècle réside dans l’instabilité ministérielle. En effet, le haras n’est pas toujours géré par le service compétent. De 1806 à 1830, le Ministère de l’Intérieur en a la charge. De 1831 à 1835, il passe sous la tutelle du Ministère du Commerce et des Travaux Publics, à partir de 1836 et jusqu’en 1839, il est géré le Ministère des Travaux Publics, de l’Agriculture et du Commerce. En 1839, il échoit au Ministère de l’Agriculture et du Commerce, ce qui rend la situation plus cohérente jusqu’en 1851. De 1852 à 1859, ce Ministère devient celui de l’Intérieur, de l’Agriculture et du Commerce. Enfin de 1860 à 1870, les haras nationaux reviennent au service de la Maison de l’Empereur et des Beaux-arts, sous la direction du Grand Ecuyer de Napoléon III. Ces changements successifs et brutaux empêchent une gestion à longue échéance. Mais le plus problématique est la personnalité du Ministre responsable de ces haras. De lui seul dépend leur avenir. Or, les hommes à qui revient cette charge ne sont pas toujours véritablement intéressés par l’élevage équin. Alors s’ensuit une inexorable diminution des moyens, entraînant une fraude fiscale généralement couverte par le Préfet très souvent sensible à l’avenir du fleuron de l’Orne que représente le domaine du Pin.

a. Une surveillance étroite

93 La vie du haras, son organisation et sa gestion sont étroitement surveillées par l’Etat qui fait intervenir plusieurs acteurs et modes d’action. En effet, rien n’échappe en principe à la surveillance étatique. En premier lieu, la communication avec les hauts responsables chargés des haras nationaux est un mode de surveillance qui se déroule en deux temps. Presque toute la correspondance passe par le bureau du Préfet de l’Orne qui se charge ensuite de la transmettre au Ministre. Aussi le Préfet sert-il d’intermédiaire et peut-il prendre certaines décisions sans attendre l’accord du Ministère. Cette méthode permet d’augmenter la rapidité d’intervention et de décision en cas de problème majeur qui pourrait survenir au haras241. La présence du Préfet permet de montrer aux dirigeants du Pin que l’Etat n’est pas un appareil distant, permettant du même coup d’éviter des abus et d’obliger une application assez stricte de ses décisions. Le directeur du Pin ainsi que le régisseur doivent rendre compte des décisions prises au sein du haras ainsi que de chaque dépense effectuée. Pour ce faire, le régisseur doit constituer un dossier complet comprenant les tableaux des dépenses et des recettes, celui des employés du haras, les consommations de fourrages, le nombre de chevaux au haras ainsi que les mouvements d’effectifs. Une fois ce dossier constitué, il est signé du régisseur et du directeur qui supervise la constitution du dossier. Ce dernier est ensuite envoyé au Préfet de l’Orne, qui émet des remarques et des critiques à son sujet puis envoie l’ensemble au Ministère. A son tour, le Ministre examine minutieusement les rapports envoyés et rédige ses remarques détaillées tout en tenant compte de l’avis du Préfet, avant de envoyer ceci à la Préfecture et au haras. En général, le Ministère n’est pas avare de compliments, mais les reproches sont souvent durs et les ministres se montrent souvent intransigeants, sauf pour les erreurs minimes. De plus, l’inspecteur délégué à la circonscription du Pin est également chargé du contrôle des registres242 que le directeur et le régisseur du Pin doivent remplir. La mission de l’Inspecteur est de vérifier que tout est à jour et ne comporte aucune erreur. Ce dernier envoie également un rapport régulier sur la tenue des registres et livres que tient la direction du haras. Ces registres doivent être également signés du régisseur, du directeur et de l’inspecteur, lorsqu’il est entamé puis lorsqu’il est achevé. Malgré tout, il semble que les registres ne soient

241 Par exemple, si l’approvisionnement en fourrage est insuffisant, si des dégâts ont été commis sur les terres appartenant au haras, le Préfet peut se rendre sur place et mettre en œuvres des moyens d’action provisoires qui, le plus souvent, reçoivent l’accord du Ministre sans que ce dernier n’ait à se déplacer. 242 Les registres tenus au haras sont très nombreux. Ils concernent toute la vie du haras : comptabilité, personnel, santé des chevaux, nombre de chevaux, numéros de matricules des étalons, juments, poulains et pouliches.

94 pas toujours tenus de manière irréprochable. En effet, certains ont disparu243 et bon nombre sont entamés, sans être jamais finis ou encore se chevauchent244. Cette multiplicité des contrôles, des registres et de formulaires est censée prévenir tout abus et toute fraude de la part des employés des haras nationaux. Dans l’ensemble, ces multiples moyens de contrôles permettent d’éviter un trop grand nombre d’abus. Cependant cette étroite surveillance ne se limite pas à une correspondance et un contrôle des registres. En effet, pour chaque décision importante que le haras doit prendre245, le Préfet, ainsi que de nombreux agents de l’Etat sont présents physiquement.

b. Une constante intervention de l’Etat

Dès lors qu’il s’agit d’argent, l’Etat se doit d’intervenir puisqu’il est celui qui octroie toute somme aux haras nationaux. Ainsi, lors des ventes aux enchères concernant les récoltes, la présence du receveur du domaine est indispensable. En effet, ce dernier perçoit directement le produit des ventes et doit dresser le procès-verbal de la vente. De même, le receveur du domaine reçoit les revenus246 des biens affermés sur les fermiers « en vertu des baux dont une expédition doit être remise à ces comptables. Les receveurs des domaines interviennent dans la passation des baux. Ils se chargent en recettes de leurs recouvrement, à titre des produits des biens affermés appartenant aux haras et aux dépôts d’étalons. » Ce receveur du domaine n’est pas considéré comme un employé du haras. Il est délégué par l’Etat lors de ventes et de recettes à percevoir. Cependant, il n’est pas présent toute l’année sur le domaine du Pin et s’occupe de tout un département et siège donc à la préfecture de l’Orne qui se situe à Alençon. Il gère les produits du domaine et non du haras, dont les comptes sont séparés tout au long de la première moitié du XIXème siècle. Cette distinction dans la comptabilité ne semble pas très claire. En effet, les finances allouées au haras et au domaine semblent être dans une seule et même enveloppe lorsque le Ministre prend sa décision, puis les sommes semblent être réparties en interne. La quasi totalité des sommes semblent aller au haras tandis que le domaine paraît vivre dans une relative autonomie financière grâce aux recettes venant des fermages et des ventes des produits des récoltes. Mais même s’il existe deux livres de comptes différents au Pin pour le

243 Ces disparitions sont probablement postérieures. 244 Ils regroupent en effet, un certain nombre de dates en commun et pourtant les informations ne sont pas toujours identiques, or il n’a pas été possible de trouver une raison à ces chevauchements. 245 Surtout les décisions financières. 246 1ETP20. Circulaire du 28 novembre 1837 : Arrêté du ministre des travaux publics, de l’agriculture, du commerce, du ministère des finances.

95 domaine et le haras, le directeur et le régisseur de cet établissement doivent présenter au Ministre un seul et même bordereau de compte mensuel. La présence du Préfet est indispensable lors des adjudications de marchés aux enchères, notamment pour les adjudications de fourrages. Cet acte, s’il est réalisé en l’absence de ce représentant de l’Etat, n’est pas légal et doit donc être annulé. Mais ce cas de figure n’est jamais arrivé. Pour toute demande de travaux ou de réparations devant être réalisés sur le bâtiments du haras ou du domaine, ou sur les terres, le Préfet doit donner son accord et rédiger un rapport préalable qu’il doit envoyer au Ministre, lequel donne l’accord final. Le Ministre suit généralement l’avis du Préfet. Cependant, il arrive que le Ministre trouve que ces dépenses dépassent largement le budget alloué au haras du Pin, surtout lorsqu’il s’agit de l’habillement des employés, du harnachement des chevaux, des chandelles pour la lumière ou encore des fournitures de bureau. C’est donc au sujet de dépenses moins importantes que les reproches sont les plus réitérés. De plus, l’avis de l’inspecteur de la circonscription du Pin est indispensable à tout type de travail à effectuer, d’autant qu’il prend la décision finale lors de l’adjudication des marchés. En effet, l’inspecteur est avec le directeur le premier à dresser un bilan des réparations à faire sur le domaine du Pin : il doit ensuite en faire part au Ministre ainsi qu’au Préfet. Aux vues des rapports et des constatations effectués par l’Inspecteur, le Ministre définit des priorités. Mais l’attribution du marché ne se fait que par un « appel d’offres », et la décision finale appartient à l’Inspecteur.

2. Les problèmes posés par la gestion au haras du Pin

a. Quelle gestion financière ?

Le mode de surveillance du haras peine à être bien défini. En effet, en fonction des gouvernements mis en place et des régimes politiques, la vigilance des ministres en charge des haras nationaux n’est pas la même. Selon leur intérêt pour l’élevage équin, si indispensable au XIXème siècle, les ministres sont plus ou moins exigeants face à ces établissements. Par conséquent, les contrôles des bordereaux de comptabilité ou des registres sont envoyés plus ou moins fréquemment. Ainsi, sous Napoléon, dès 1806, chaque pièce nécessaire au contrôle de la gestion du haras du Pin est envoyée mensuellement. Au contraire, sous Charles X, les contrôles sont plus relâchés. Les bordereaux sont certes rédigés de façon mensuelle, mais les envois se font tous les trois mois. Grâce à une lettre du 21 février 1815 adressée par le Ministre au Directeur du haras du Pin, on apprend qu’une circulaire royale du

96 13 décembre 1814247 décide que les haras nationaux doivent « adresser seulement un aperçu des dépenses. Le motif de cette mesure avait pour objet de pouvoir faire figurer dans le compte du dernier mois de 1814, tant les dépenses qui n’avaient pu encore être acquittées, ou qu’on avait cru devoir ajourner par une raison quelconque que celles de l’administration pouvait avoir à vous signaler. L’état de situation de caisse ne présente pas les renseignements […]. Vous deviez énoncer séparément les fonds du trésor et ceux appartenant aux produits accidentels. Au lieu de suivre la marche que je vous ai tracée, vous portez en un seul et même article toute votre recette. De là, résulte que je ne puis avoir la certitude si tous les fonds que vous avez reçus du trésor ont été absorbés par les dépenses. Je vous invite à vous faire représenter ma circulaire du 13 décembre et à m’adresser un nouvel état de caisse rédigé dans la forme indiquée. Au surplus, vous voudrez bien ne clore les registres de comptabilité de l’exercice qui vient d’expirer, que lorsque vous aurez reçu les instructions que je vous transmettrai ultérieurement à cet égard. » Cette circulaire permet ainsi de donner un simple aperçu des finances durant plusieurs mois. Les états détaillés sont transmis tous les trois mois au Ministre. Cependant, si les états sont moins surveillés, la situation financière tend à être éclaircie et simplifiée. En effet, les recettes et dépenses tenaient jusqu’alors en une seule et même liste souvent désordonnée. Au contraire, la circulaire de décembre 1814 exige davantage de rigueur. La notion de gestion progresse : on distingue enfin le trésor des bénéfices248. En effet, à l’image de tous les haras nationaux, le haras du Pin reçoit un fonds théoriquement adapté à ses besoins et calculé sur les dépenses de l’année passée. Mais afin d’avoir l’idée la plus précise possible et de pouvoir faire des économies, il faut que les résultats communiqués à l’Etat soit clairs et précis. Il peut arriver qu’il reste de l’argent sur les fonds alloués l’an passé : dans ce cas, l’Etat peut réaliser quelques économies en versant un peu moins d’argent. Mais les notions de gestion et de comptabilité ne sont pas encore bien ancrées dans l’esprit de beaucoup d’hommes du XIXème siècle. Par conséquent, si l’Etat se préoccupe beaucoup de ces notions, ce n’est pas toujours le cas chez les directeurs des haras nationaux, qui mélangent les différents comptes et ne se préoccupent guère de lier économie et qualité de l’élevage. Toutefois, dès les années 1820, face aux plaintes de nombreux notables de l’Orne249 qui déplorent le manque de suivi dans la gestion du haras du Pin250, le Ministre décide de

247 1ETP16. Lettre concernant l’état de décembre 1814. 248 Ces bénéfices sont appelés tout au long de la première moitié du XIXème siècle « produits accidentels », sans doute parce que le chiffre est aléatoire suivant les ventes et les années. 249 Ces notables sont appuyés par le Préfet et de nombreux éleveurs. 250 Cette mauvaise gestion entraîne une dégradation de la qualité de l’élevage. Cette dégradation, à son tour, une dégradation des produits issus des saillies. Par conséquent, les éleveurs se détournent du Pin et préfèrent faire

97 rétablir un contrôle plus strict. Il exige ainsi que les bordereaux de gestion soient à nouveau envoyés chaque mois. Néanmoins, si le haras a des obligations très strictes vis-à-vis de l’Etat, ce dernier n’hésite pas à envoyer ses commentaires au sujet des états mensuels de plus en plus tard au fil du temps : si au début des années 1820 les états mensuels sont étudiés dans le mois et les commentaires envoyés au directeur du haras du Pin à un rythme mensuel, les commentaires concernant les états mensuels reçus sont envoyés en groupe tous les trois à quatre mois, à la fin des années 1830.

Le mode d’approvisionnement financier du haras connaît de nombreuses modifications au cours de la première moitié du XIXème siècle. Le point qui pose le plus de problème à l’administration, d’autant que cette notion commence seulement à apparaître durant ce siècle mais peine à être rigoureux en matière de gestion et de comptabilité. Si Napoléon définit avec minutie chaque point pratique de l’élevage national équin, l’aspect financier de ces établissements reste plus flou. Durant cette période l’économie des haras nationaux est mixte : d’une part, l’Etat verse une somme définie en début d’année251, s’élevant en moyenne à 600 000 Francs252 ; d’autre part, le haras perçoit des dividendes sur les ventes des produits du domaine253, qui sont fortement aléatoires. Le montant moyen de ces ventes n’est pas connu et n’est pas enregistré dans des registres durant le première moitié du XIXème siècle254 : il est par conséquent impossible de connaître le montant des sommes perçues par le haras. Mais la correspondance avec le Ministère et le bureau des finances montre que le produit de ces ventes ne doit pas être très élevé puisque le régisseur du Pin demande très souvent un supplément aux sommes allouées initialement, afin de pouvoir terminer une année. Ces demandes sont surtout fréquentes dans les années 1800-1810. Il est probable que la remise en état d’un tel établissement coûte cher et que les fonds donnés ne soient pas suffisants. Mais il se peut également que ce surcoût soit dû à une mauvaise gestion du régisseur et du directeur, souvent critiqués pour leur gestion trop approximative et leur manque de souci d’économie. Ainsi, vers le mois de septembre, le directeur du Pin reçoit très souvent une lettre du Ministre de tutelle255 lui accordant « 10000 Francs pour faire face aux couvrir leur jument par des étalons appartenant à des particuliers. 251 La somme allouée est définie suivant les besoins de l’année passée. 252 La somme doit couvrir tous les frais du haras (nourriture, médicaments, réparations, frais de bureau, sellerie, bourrellerie, rémunération des employés, frais de réparations). 253 Les produits du domaine sont les fruits, les ventes de selles, harnachements usagés, les ventes de mobilier et enfin les ventes d’étalons réformés. 254 Le montant de ces ventes est enregistré à partir des années 1860, lorsque les notions de gestion et de comptabilité sont plus ancrées dans les esprits. 255 1ETP15. Lettre du 23 septembre 1808. Cette somme varie rarement, elle oscille toujours entre 10 000 et 30 000 Francs. Il est plus fréquent qu’elle s’élève à 10 000 Francs.

98 dépenses du Pin jusqu’à la fin de l’année. » Généralement, cette somme accordée en surplus est accompagnée d’une lettre de reproches concernant des dépenses inutiles, surtout relatives aux de frais de bureau, de harnachement ou de déplacements réalisés par les officiers du haras, jugés superfétatoires.

Ces dépenses superflues, cette gestion considérée comme médiocre amènent le Ministère à étudier une autre possibilité de financement dans les années 1820. Dès lors, le haras du Pin256 possède une réserve d’argent qui ne doit servir qu’en cas d’extrême besoin et qui doit être alimentée par les bénéfices que l’établissement peut réaliser avec les ventes des productions du domaine. Dès le 7 mars 1823, la décision est prise : le Ministre se permet de rappeler que tous les établissements doivent prendre connaissance de la circulaire du 31 janvier 1823257, stipulant qu’ « il serait formé dans chaque haras ou dépôt d’étalons, au moyen des fonds restants en caisse provenant des recettes particulières (produits accidentels) de ces établissements, une réserve permanente dont je vous ferais connaître ultérieurement la quotité. Il serait superflu que j’entrave ici dans de nouvelles explications sur l’objet de cette mesure qui a été autorisée par une ordonnance royale du 29 janvier dernier la circulaire précitée vous l’aura suffisamment fait connaître. Je me borne donc à vous informer que la somme formant la réserve dont il s’agit et dont la quotité arrêtée en masse pour tous les établissements des haras par l’ordonnance que je viens de vous citer doit être déterminée annuellement par le ministre pour chacun des établissements, a été fixée, pour l’année courante le 7 février dernier par son excellence à 20 000 Francs pour ce qui regarde le haras du Pin dont la direction vous est confiée. Ainsi que vous en avez été prévenu par la circulaire du 31 janvier dernier, les fonds qui vous seront désormais fournis sur le trésor seront strictement limités à la somme nécessaire pour acquitter vous dépenses. La compensation des ressources particulières que vous aurez pour y subvenir en sorte que votre reliquat de caisse au 31 décembre de chaque année sera toujours réduit à la somme formant la réserve permanente. » Cette somme correspond à la moyenne du surplus demandé chaque année au Ministre. Cette nouvelle méthode de gestion258 doit permettre d’assainir les finances du haras en incitant les officiers à faire preuve d’économie, puisqu’ils deviennent responsables d’une partie de l’argent du haras. ils doivent aussi être sensibilisés aux notions de comptabilité, de gestion et d’économie. De plus, le haras doit présenter au terme de chaque année une somme de réserve toujours

256 Mais ce changement dans le financement ne concerne pas seulement le haras du Pin : il concerne tous les haras nationaux. 257 1ETP17. 258 Ce changement dans la gestion s’accompagne d’un changement de personnel au haras du Pin.

99 identique, soit 20 000 Francs, nécessitant une attention encore plus soutenue au sujet de l’économie du haras. Cette nouvelle méthode permet à l’Etat de réaliser une économie apparemment substantielle puisqu’il verse seulement aux établissements une somme minimale servant aux dépenses courantes259. Tous les frais qui sont refusés par le Ministère lors de l’envoi des états mensuels doivent alors être reportés sur cette réserve d’argent. Par conséquent, il s’agit de ne plus faire de dépenses inutiles afin de faire face aux imprévus que l’Etat ne couvrirait pas, comme des réparations mineures sur les bâtiments du haras ou sur son domaine, l’achat de chevaux de service ou de chariots destinés à récolter les foins, ou encore l’emploi de surnuméraires que le Ministre refuserait de rémunérer.

En 1823, en plus de la création de cette réserve d’argent, l’Etat décide que « les produits à consommer en nature sont évalués en argent, ce qui nécessite l’ouverture d’un crédit dans le budget du ministère. » Cette évaluation permet à l’Etat d’avoir une autre possibilité d’économie supplémentaire. En effet, si le haras a besoin d’argent supplémentaire, le Ministère peut alors lui conseiller de vendre une partie des produits à consommer en nature260. La richesse foncière du haras semble importante. Certes, ces chiffres ne sont pas connus261, mais à travers la correspondance que le haras entretient avec le Ministère de tutelle262, il semble que cette richesse en produits provienne des productions nombreuses et variées du haras : « le compte raisonné du domaine contient la valeur pour ordre des 600 gerbes d’hivernage, les 800 gerbes de vesces, les 11 hectolitres d’orge et les 1251Kg de paille d’orge.[…] La valeur pour ordre des foins qui ont été récoltés est portée à raison de 50 centimes le myriagramme* qui est aussi le prix de l’adjudication de M. Sourdaux pour la fourniture des fourrages. J’ai lieu de présumer que cette évaluation est forcée : il me paraît que dans un compte raisonné, il faut indiquer les denrées au prix qu’on en retirerait si on les vendait, c’est-à-dire au prix courant du marché. C’est le vrai moyen de connaître le produit réel des biens. Dans les dépenses relatives au bois, on n’a nullement fait mention des impositions dont cette partie du domaine est chargée et qu’il est cependant important de connaître. En me donnant ce renseignement, je vous serai obligé d’y ajouter les contenances en hectare, de chaque coupe réglée. Vous voudrez bien m’indiquer aussi la valeur des 1408Kg

259 Les dépenses courantes sont principalement la rémunération des employés, l’alimentation et les soins aux chevaux (sellerie, bourrellerie, médicaments, harnachement), ainsi que l’éclairage. 260 Ces produits doivent bien évidemment ne pas empiéter sur la nourriture destinée aux chevaux. Si du foin était prélevé pour une vente, cela signifierait que ce foin n’aurait pas été consommé par les chevaux du haras, d’autant que les productions du domaine doivent être consommées en priorité. 261 Les documents évaluant cette richesse foncière ont disparu. 262 1ETP17. Lettre du 10 mars 1823.

100 de vesces provenant de la récolte de l’année précédente et qui ont été consommées par les animaux. » Bien qu’aucune évaluation chiffrée de manière précise ne soit donnée dans cette lettre, il est possible de connaître le mode d’évaluation de cette richesse en nature. Chaque année la valeur des productions du haras est évaluée selon le cours du marché. Le régisseur, assisté d’un responsable du bureau des finances, doit quantifier les récoltes, évaluer leur qualité et enfin la chiffrer en fonction des taux du marché. Il faut noter que cette évaluation ne doit jamais être faite par rapport au prix des adjudications de fourrage que le haras réalise annuellement. En effet, lors de ces adjudications, le haras accorde le marché au plus offrant. Cependant, il demeure difficile de tenter une évaluation chiffrée de cette richesse, aucun document ne contenant des informations exactes concernant les récoltes annuelles. Les chiffres mêlent l’évaluation des récoltes et des fournitures effectuées par le fournisseur de fourrage263.

Cette nouvelle méthode de gestion, plus rigoureuse et impliquant de manière plus importante les officiers du haras, semble porter ses fruits : la situation s’améliore et le Ministre semble être enfin satisfait de la gestion du haras. Les reproches laissent place à des félicitations. Les premiers progrès apparaissent dès l’année 1823 et le ministre écrit le 22 juillet 1823 : « J’ai vu avec plaisir, en analysant les dépenses qui rentrent dans le régime économique, que cette partie du service a éprouvé depuis quelques années une amélioration sensible. Je crois avoir tout sujet d’espérer que cette amélioration deviendra d’année en année plus remarquable, sans cependant qu’aucune partie du service qui vous est confiée soit négligée. Les comptes raisonnés du domaine ne me semblent pas présenter les résultats qu’ils devraient donner. Leur examen fourni matière à quelques observations que je crois devoir vous communiquer. Les comptes de cette espèce arrêtés au 31 décembre de chaque année offrent à cette époque le résultat des recettes et dépenses soit effectives, soit présumées. La balance donne les bénéfices qui résultent des produits. Cette balance est définitive pour les biens affermés lorsque la totalité du prix des baux est recouvrée parce qu’alors il n’est plus possible d’avoir des non-valeurs pour l’année dont on rend compte. Mais il n’en est pas de même pour ce qui concerne les biens en régie : ceux-ci ne donnent des produits en nature qui ne peuvent pas être employés en totalité dans l’année où ces produits ont été recueillis, il en reste une quantité plus ou moins considérable dans l’année suivante et même quelquefois plus

263 Il faut ajouter que si les circulaires ministérielles précisent que les fournisseurs de fourrage ne doivent livrer que les compléments aux récoltes effectuées au sein du haras (qui doivent être consommées en priorité), celles-ci ne semblent pas être appliquées. L’imbrication étant trop grande, il est difficile de savoir quelle proportion provient du domaine du Pin.

101 tard. Cette portion restée en nature se trouve comprise dans l’évaluation en argent de la totalité des produits ; or cette année est susceptible de variation soit en raison du prix des denrées d’une année à l’autre soit en raison de la diminution des quantités ou altération de qualités des denrées restées sans emploi. Dans ces circonstances doivent faire varier la valeur primitive fixée. Il en résulte que les bénéfices qu’avait d’abord présentés le compte raisonné ne sont plus les mêmes, conséquemment que ces derniers doivent être modifiés par une compensation dans le compte subséquents. Sans cette compensation en plus ou en moins on n’a jamais de résultats exacts, tel est l’inconvénient. » La satisfaction du Ministre s’accompagne certes de reproches, mais la gestion est enfin éclaircie et les problèmes liés à la mise en valeur du domaine ou à la gestion apparaissent vraiment et peuvent donc être résolus. C’est ainsi que la confusion entre dépenses et recettes supposées et effectives est soulignée par le ministre : pendant longtemps les comptabilités du domaine et du haras ont été traitées de la même manière, c’est-à-dire avec une clôture des comptes et un bilan à la fin de chaque année. Or, comme l’explique le ministre, il est impossible de clore le compte des biens en régie264, car les produits qui en sont tirés ne sont pas consommés de manière similaire chaque année. En effet, tout dépend de la qualité des récoltes et du nombre de chevaux que le haras abrite annuellement. De légers disfonctionnements de ce type peuvent entraîner des approximations financières et par conséquent des achats inutiles, surtout en achats de fourrage, l’une des principales dépenses du haras.

L’Etat exige depuis longtemps une gestion plus rigoureuse de la part du haras, qui ne respecte pas vraiment ces exigences. Grâce à ce manque de rigueur, il est possible de comprendre le fonctionnement de la comptabilité au sein des haras nationaux265. En effet, le ministre rappelle régulièrement dans sa correspondance régulière avec le directeur du haras les décisions qui sont prises266. Ainsi, grâce à une lettre de 1817267, il est possible de comprendre le mode de gestion adopté lors du rétablissement de l’élevage équin national : « le premier examen que j’ai fait de ce compte m’a présenté beaucoup d’irrégularités dans la justification des recettes et dépenses, et plusieurs inexactitudes qu’il eut sans douté été facile d’éviter si M. le Régisseur avait mis plus d’attention dans la réunion des pièces justificatives. Recettes : 1°) le produit fixe des baux aurait dû être appuyé d’un état sommaire de ces baux

264 Ces biens en régie, que sont les différentes parcelles de champs louées à des fermiers, produisent toutes sortes de denrées consommées ou consommables par les chevaux du haras. 265 En effet, de nombreux documents ayant disparus, il est difficile de savoir comment s’organise la comptabilité (encore à ses débuts) dans la première moitié du XIXème siècle. 266 Ces décisions ont disparu la plupart du temps. 267 1ETP16. Lettre du 13 mars 1817 concernant le compte général des recettes et dépenses de 1811.

102 qui aurait présenté trois colonnes (sommes dues sur les exercices précédents et touchées en 1811/ sommes reçues et échues dans le même exercice de 1811/ enfin, le montant, s’il y a lieu, des sommes qui resteraient dues sur cet exercice et qui devraient être par conséquent portées en recettes dans le compte de 1812.) 2°) l’état des animaux herbagés dans les prairies du haras constate une recette en espèce de 2161 Francs. Le relevé des sommes portées sur le compte général pour le même objet ne présente qu’une recette de 1951 Francs ; ce qui donne une différence en moins de 210F. Ce même état offre des noms et des sommes qui ne se trouvent point sur le compte et le compte présente également des noms et des sommes qui ne sont point mentionnées dans le dit état. (…). » Ainsi, en théorie, tout doit être organisé de manière claire et chaque somme perçue doit être présentée en colonne bien distincte, afin de savoir exactement où en sont les comptes pour chaque chapitre de la gestion du haras du Pin. Sans une gestion raisonnée et organisée, il est impossible de gérer le Pin d’une manière saine et efficace, comme le souhaiterait l’Etat. Ce manque de rigueur dans l’économie du haras amène l’Etat à rappeler régulièrement au haras du Pin les principes de gestion et de comptabilité.

b. Le besoin de rappels à l’ordre fréquents

Dès le rétablissement des haras nationaux, la notion de gestion est très importante aux yeux de l’Etat, même si le concept lui-même reste flou. Cette notion s’affine au fil du temps et les rappels à l’ordre deviennent de plus en plus fréquents à l’égard du haras du Pin. A la fin des années 1810 et au début des années 1820, les reproches s’intensifient. Presque chaque mois, lors des commentaires concernant les états mensuels, les reproches sont plus nombreux que les félicitations. La première source de critiques concerne le manque de sérieux dans la rédaction des états mensuels du haras. Ainsi en 1821268, le ministre écrit au directeur du Pin : « je me disposais à vous renvoyer les bordereaux mensuels d’août lorsque j’ai reçu la lettre de M. de Tilly qui me fait connaître pourquoi ce bordereau n’est pas revêtu de votre visa ou de celui de l’inspecteur. J’ai lieu d’être surpris que le régisseur se soit empressé de faire partir les comptes pendant l’absence momentanée de M. de Tilly, d’autant plus que cet officier avait plusieurs jours avant son départ, cru devoir faire des observations sur quelques articles de dépenses. Observations qui pour la plupart me paraissent fondées et doivent être prises en considération par M. Duhamel, qui devait d’ailleurs donner à M. de Tilly qui vous remplaçait les explications qu’il doit à son chef. Les observations de M. de Tilly me portent à croire que

268 1ETP17. Lettre du 20 octobre 1821

103 les dispositions de l’article 12 du titre II du règlement qui fait suite au décret organique du 4 juillet 1806 ne sont pas observées. En effet, si les bons avaient été rapportés à l’appui des dépenses, le vérificateur aurait pu s’assurer si ces dépenses étaient telles qu’elles devaient être réellement. Vous êtes donc suffisamment autorisé à n’admettre, dans les comptes qui vous seront représentés dorénavant que les articles qui auront préalablement autorisés par vous. Je vous renvoie ci-joint le compte mensuel d’août, pour que vous donniez, aux observations dont il a déjà été l’objet, telle suite que vous jugerez convenables. Vous me les ferez parvenir ensuite avec les explications qui vous auront été fournies, et avec de nouvelles observations si elles sont nécessaires. » Cette lettre montre que la rédaction des états mensuels n’est pas assez surveillée et, d’une manière plus générale, que le régisseur n’est pas assez surveillé non plus. En effet, il ne rend pas compte des états avant de les envoyer et ne laisse pas le temps aux officiers d’apposer leur signature269 afin que ces actes soient valables et validés. Ainsi, le problème du haras semble concerner le régisseur, qui ne semble pas respecter les règles édictées pour les haras.

Les rappels à l’ordre les plus fréquents portent sur les retards dans les envois des états mensuels au ministre de tutelle. Le 22 novembre 1821270, le ministre adresse une lettre au directeur du Pin : « M. le préfet de l’Orne m’a transmis le bordereau pour le mois de septembre qui lui a été adressé le 19 octobre dernier par M. Duhamel. Cet officier m’a écrit le même jour pour justifier le retard qu’a éprouvé l’envoi de l’état mensuel qu’il attribue à l’envoi de quelques pièces comptables mais principalement à la difficulté d’établir l’état de la consommation de fourrages, attendu qu’il a été fait dans le mois, le décompte des denrées qui ont été fournies aux étalons dans les stations. Je remarque que quelques pièces à l’appui et qui portent les dates de 2 et 17 octobre ont été signées par vous. Parmi celles-ci se trouve l’état de consommation tandis que le bordereau et les autres pièces qui sont signées du 19 ne sont signés que par M. Duhamel. Il en résulte que ces dernières n’ont été soumises ni à votre vérification ni à celle de M. l’Inspecteur. Il paraît qu’à cette dernière époque vous étiez absents l’un et l’autre. Je ne vois pas pourquoi on n’a pas pu rédiger le 17 et les bordereaux et les autres pièces qui restaient à joindre puisque celle qui avait principalement causé du retard, c’est-à-dire l’état de consommation avait été terminé à cette époque. Je vous renvoie le tout pour que vous l’examiniez et que vous me communiquiez les observations auxquelles cet examen aura donné lieu. Au surplus, l’article n°320 devra être modifié dans le sens des

269 La signature du directeur ou de l’inspecteur est indispensable afin de montrer l’accord de tous sur la comptabilité. 270 1ETP17.

104 instructions du 25 juin 1819, c’est-à-dire que le régisseur n’a droit qu’à une indemnité de 6 Francs pour le voyage qu’il a fait à Argentan si son absence a été de deux jours ». La rédaction des états mensuels ne semble pas être une préoccupation majeure de la direction du haras : en effet, ni le directeur ni l’inspecteur ne sont présents lors de la signature des états mensuels. Il semble également que l’organisation au sein du haras laisse à désirer car aucun des deux principaux responsables n’est présent dans l’établissement, et puisque les comptes ne semblent pas être à jour ou organisés de manière claire (en effet, le retard naît en partie de la difficulté à établir un état de la consommation de fourrages). Il semble qu’en réalité qu’il n’y ait aucune justification réelle à apporter à ce retard, malgré les tentatives du régisseur. Il apparaît ainsi que la gestion du haras du Pin et surtout sa communication avec l’Etat ne sont pas les priorités de ses dirigeants.

L’année 1821 semble être l’une des plus émaillées de reproches et de retards. En effet, dans une lettre au directeur du Pin de mars 1822271, le ministre fait exactement les même reproches que six mois auparavant au sujet de l’état de décembre 1821 : « je remarque que ce bordereau n’a été rédigé par le régisseur que le 12 février tandis qu’il aurait dû être envoyé à M. le Préfet dans les premiers jours de janvier. J’ai déjà eu lieu d’observer plusieurs fois que les comptes du haras du Pin sont généralement envoyés beaucoup trop tard pour se conformer aux dispositions que les règlements prescrivent à ce sujet. Je vous invite à me faire connaître positivement les causes de ces retards afin que je puisse prendre les mesures que je jugerai convenables pour les faire cesser. » Ainsi, il apparaît que le régisseur doit rédiger le plus rapidement possible les états du mois échu. Or, au haras du Pin, le régisseur semble prendre énormément de temps, ce qui laisse supposer que les comptes et les registres ne sont pas tenus à jour. Or une rédaction et un envoi rapides des états mensuels supposent une tenue irréprochable de toute la comptabilité et de la gestion du domaine et du haras. Ce manque de rigueur semble être de plus en plus flagrant. En effet, les reproches de ce genre sont toujours réguliers à partir la prise de fonction de M. Duhamel au poste de régisseur du domaine du Pin. Par conséquent, de plus en plus de soupçons se portent sur la direction du Pin et notamment sur le régisseur. C’est pour cette raison que les changements dans les postes des officiers sont très nombreux en 1823.

c. Quelques abus

271 1ETP18. Lettre du 24 mars 1822.

105 Lors d’un changement de poste pour M. Duhamel272 en 1822, les abus que celui-ci a commis sont découverts et la « faillite du régisseur du haras M. Duhamel et M. Restout (régisseur des bois du haras) débiteurs ayant perçus illégalement des sommes dues au haras du Pin »273 est annoncée. Par ses retards et le flou dans la tenue de la comptabilité au haras du Pin, M. Duhamel est soupçonné de laxisme puis, sans doute pour assainir l’économie du Pin, le Ministère décide d’importants changements au sein de la direction. C’est au cours du transfert de responsabilité que l’ampleur de son abus est découverte. Cette affaire a de profondes répercussions sur le haras : le 21 avril 1823274, le Ministre transmet à M. Duhamel par le biais du directeur une lettre prononçant sa révocation : « comme il serait possible que M. Duhamel ne fut pas encore parti pour la nouvelle destination qui lui avait été assignée par arrêté du 10 janvier dernier, j’ai l’honneur de vous adresser ci-joint pour que vous vouliez bien le lui faire tenir, un duplicata de la lettre que je lui écris aujourd’hui et que je fais parvenir à Langonnet où je dois présumer qu’il est rendu. Il m’a paru d’ailleurs convenable que vous prissiez communication de cette lettre que je vous envoie ouverte à cet effet par rapport aux dispositions ou précautions, que vous croiriez peut-être nécessaires de prendre dans cette circonstance, pour la garantie des intérêts du gouvernement tant par rapport au déficit laissé par M. Duhamel que relativement aux divers faits et actes de cet officier comme régisseur. [Duplicata de la lettre adressée à M. Duhamel] : « Monsieur, son Excellence, après avoir pris connaissance du Procès-verbal qui a été dressé le 21 mars dernier de la remise de votre dossier à votre successeur comme régisseur du haras du Pin ainsi que des observations et dires que vous y avez fait consigner, a pris le 17 de ce mois un arrêté qui prononce votre révocation. En conséquence, vous avez cessé d’appartenir au service des haras à partir de la date de cet arrêté. Conformément à votre demande et aux droits que le trésor en avait d’ailleurs, il a été fait des dispositions pour la vente au profit du haras du Pin de l’inscription de 900 Francs que vous aviez déposé au trésor faisant partie de votre cautionnement, le tout sans préjudice aux droits et actions que le gouvernement peut avoir encore à exercer ultérieurement contre vous pour la garantir de ses intérêts tant par rapport au déficit de 21 684,15 Francs constaté par le Procès-verbal précité, que relativement aux différents de votre gestion comme régisseur. (…). » La dette laissée par le régisseur est probablement découverte par son remplaçant. En effet, lorsque l’officier responsable de la régie d’un tel établissement doit laisser sa place, il est chargé de remettre à son successeur tous les bordereaux de caisse et les papiers qu’il a rédigés et qui concernent la gestion du domaine. Ce transfert de

272 Régisseur du haras. 273 1ETP18. 274 1ETP18.

106 responsabilités et de documents se fait de manière très officielle devant le directeur du haras, l’inspecteur et le Préfet. Le nouveau régisseur, peu après sa prise de fonction, doit présenter un état des caisses et doit par conséquent étudier en détail les comptes que lui laisse son prédécesseur. C’est probablement de cette manière que le problème a été découvert. Le régisseur est responsable sur ses finances : M. Duhamel laisse le haras en déficit et doit donc rembourser avec la somme qu’il a laissée en caution lors de sa prise de fonction. C’est dans ce sens que le haras reçoit le 29 octobre 1823275 une lettre du Ministre, accompagnée d’une ordonnance : « ci-joint une ordonnance de 14 400 Francs expédiée au nom de Monsieur le régisseur de votre haras, sur le payeur de l’Orne, pour remboursement de pareille somme retenue sur la vente d’une inscription retenue que M. Duhamel avait affecté à son cautionnement et à la décharge du débit laissé par ce comptable. Dès que cette ordonnance sera réalisée, je vous serai obligé de dresser le décompte de M. Duhamel pour établir la somme dont il restera en définitive débiteur. Il me paraît que ce compte devra d’un côté présenter les diverses sommes qui sont prises dans le Procès-verbal arrêté le 21 mars dernier, somme étant à la charge de cet ex-comptable et de l’autre celles qui auront été réalisées depuis. Enfin la balance entre les uns et les autres, vous y ajouterez telles observations et éclaircissement que vous jugerez convenables. Je désire que ce compte me soit adressé dans les premiers jours du mois prochain afin que je puisse le mettre sous les yeux de son Excellence avant la clôture de l’exercice courant. » La caution que le régisseur avait laissée n’est donc pas suffisante pour éponger toute la dette qu’il laisse au haras. Assez rapidement, le haras reçoit une première partie du remboursement d’un montant de 14 400 Francs, ce qui semble ne représenter qu’une infime partie de ce que l’ancien régisseur doit au Pin. Au travers de la lettre, on comprend également que M. Duhamel a maintenu une certaine opacité sur toute la gestion du Pin, sans doute pour éviter que l’on découvre ses actes. Par conséquent, le directeur assisté du nouveau régisseur et d’un responsable du bureau des finances doivent reprendre l’ensemble de sa comptabilité depuis des années, afin d’éclaircir et de connaître le montant exact que l’ancien régisseur doit au Pin. Il reste difficile de savoir exactement ce qu’a fait M. Duhamel pour en arriver à la faillite. On sait seulement qu’il a détourné illégalement des sommes dues au haras, mais sans doute a-t-il détourné de l’argent pour lui ou pour le prêter à d’autres personnes ou bien a-t-il fait des placements hasardeux. Les remboursements s’étalent sur plusieurs années, durant lesquelles le haras reste en faillite. Il ne semble pas que l’Etat prête de l’argent au haras pour de renflouer temporairement ses caisses.

275 1ETP18.

107 La mauvaise gestion de l’ancien régisseur est depuis longtemps notoire et les remarques sont fréquentes. Déjà en 1818276, une lettre du ministre est adressée au directeur du Pin afin de lui faire part de son mécontentement au sujet de M. Duhamel : « je vois par la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, le 23 septembre dernier que vous n’avez pas bien saisi le sens de celle que je vous ai adressée le 11 du même mois et qui renfermait quelques observations que la manière dont le régisseur avait cru devoir établir en 1816, l’état comparatif et raisonné des produits et des frais du domaine dépendant de l’établissement que vous dirigez. Je vous prie de rappeler à M. Duhamel que ce dernier état est tout à fait différent du compte général de l’exercice qui doit en effet ne présenter que les recettes effectives en argent, ainsi que les seules dépenses autorisées mensuellement, tandis que l’état du domaine doit offrir exactement la valeur des différents produits de l’année dont on rend compte. Ainsi, ce régisseur a bien fait de ne pas porter en recette dans le compte général d’exercice que les 3/5ème qu’il a reçu sur la coupe du bois, mais il aurait du comprendre dans l’état comparatif du domaine, la valeur réelle de cette coupe. Il en est de même pour les biens affermés. Il ne doit porter dans le compte général d’exercice que les sommes qu’il a effectivement touchées sur le montant des baux, au lieu que dans l’état comparatif du domaine, il ne doit comprendre en recette, c’est-à-dire dans les produits, la valeur annuelle de ces mêmes baux. J’espère qu’au moyen de ces explications l’état comparatif de Monsieur le Régisseur a à établir pour l’année 1817, sera plus régulier que celui de 1816. Quant aux observations que vous me faites relativement aux délais qui ont été accordés jusqu’à présent aux adjudicataires des coupes de bois, pour le payement des lots qui leurs sont échus, je ne crois pas pouvoir y donner suite, attendu que les inconvénients dont vous vous plaigniez tiennent aux usages adoptés par l’administration forestière, par rapport aux adjudications de cette nature, usages, qui sans doute sont d’une application générale et n’admettent pas d’exceptions. (…). » Cette lettre prouve que le régisseur n’a jamais réellement respecté les exigences du ministre sur la gestion et la comptabilité. Il semble que les circulaires à ces sujets ne soient souvent que partiellement appliquées, puisque le ministre est souvent obligé de le rappeler à l’ordre. Ces reproches s’adressent également au directeur qui ne semble pas avoir suffisamment d’autorité pour faire appliquer de manière stricte les lois décrétées par le ministère de tutelle.

D’autres abus moins graves sont repérés par le ministère et sont généralement étendus à plusieurs établissements nationaux. C’est ainsi qu’en 1823277, le ministre fait remarquer dans

276 1ETP17. Lettre 02 novembre 1818. 277 1ETP17. Lettre 20 décembre 1823.

108 une lettre adressée à tous les haras nationaux qu’« au mépris de la circulaire du 20 février 1820, il se ferait encore dans certains établissements des haras des économies qui ne seraient pas accusées dans les bordereaux ni dans les états de consommation des fourrages et dont les chefs se réserveraient les produits pour en disposer à leur gré et que ces économies auraient lieu ni avec la participation des agents spéciaux, là sans le concours de ces agents, les chefs tenant pour ce qui regarde les denrées dont il s’agit, ces officiers éloignés du contrôle qu’ils sont appelés à exercer sur les mouvements des objets de consommation de toute nature et réglant seuls les comptes avec les fournisseurs. Ainsi les abus que la circulaire que je viens de rappeler avait principalement en vue de faire cesser, se seraient renouvelés dans ces établissements. Ces renseignements m’ont d’autant plus peiné que je me complaisais dans la confiance que j’avais, qu’après les avertissements donnés par cette circulaire l’administration pouvait être apurée, que désormais elle n’aurait plus à reprendre rien de semblable. J’aime encore à me persuader que ce n’est que dans un très petit nombre d’établissement que ces abus se sont reproduits. Quoiqu’il en soit comme j’ai très à cœur qu’ils disparaissent tout à fait, je crois devoir déclarer, en rappelant en tant que de besoin les dispositions de la lettre du 20 février 1820, que dorénavant tout chef d’établissement qui sera reconnu avoir fait ou autorisé des économies peu nettes, tout régisseur ou agent spécial qui y aura participé, seront forcés à en restituer le montant en totalité de leurs propres deniers et quel que soit l’emploi qu’ils auront pu avoir des fonds provenant de ces économies et que je regarderai même comme un devoir de proposer la révocation de ces officiers qui auraient ainsi manqué à la confiance de l’administration. » Ainsi les officiers du haras du Pin, ainsi que d’autres établissements se permettent-ils sans doute de détourner une partie des produits réservés en principe aux chevaux des haras nationaux. Ils abusent de l’argent de l’Etat par un biais indirect puisqu’ils détournent des fourrages payés par le Ministère. Ces abus ne paraissent cependant pas être très fréquents. Il semble également qu’il s’agisse de mauvaises habitudes prises au début de la restauration des haras nationaux, lorsque la législation des haras commençait à peine à se mettre en place et que la surveillance des officiers était moins étroite. En 1823, il semble que le ministre en place cherche à faire place nette et à effacer toutes les mauvaises habitudes. C’est sans doute pour cette raison que l’année 1823 est la plus chargée en affaires difficiles : c’est pourquoi les seules affaires d’abus de la première moitié du XIXème siècle datent de l’année durant laquelle tous les scandales éclatent au grand jour.

109 Le problème le plus épineux du haras du Pin demeure son coût. En effet, comme le souligne le ministre de tutelle dans une lettre de 1809278 : « le haras du Pin n’est pas un des établissements qui contient le plus d’animaux, et cependant, c’est celui qui occasionne la plus forte dépense. Il faut s’occuper des moyens de la réduire. » Or le ministre fait remarquer en 1823279 qu’ « en affectant aux établissements des haras des propriétés de la nature de celles que vous tenez en régie, l’administration a eu pour objet de rendre l’entretien des chevaux moins onéreux à l’état. » Depuis les années 1810, l’Etat songe à rendre l’exploitation du haras plus économique ; pour cette raison, l’inspecteur est chargé d’étudier toutes les possibilités de réaliser des économies au haras du Pin. Ces propositions sont transmises au directeur du haras dans une lettre du 27 mars 1811280 : « Monsieur Le Normant d’Etioles, inspecteur général des haras en me transmettant, Monsieur, le procès-verbal de la remise qui vous a été faite du service du haras du Pin par Monsieur d’Avaugour, m’a indiqué un grand nombre de changements et de réformes dont cet établissement est susceptible et qui ont pour but d’apporter une plus grande économie dans son administration. Je vous transmets ci-joint la lettre très détaillée de cet inspecteur général contenant les diverses propositions dont il s’agit et je vous invite à m’adresser votre opinion motivée sur chacune de celles qui ont pour objet le service dont vous êtes chargé. Je conçois qu’en réduisant l’exploitation à peu de choses, c’est mettre le directeur du haras à portée de donner plus de temps et de soins à la surveillance de l’établissement, sous le rapport des chevaux et de l’amélioration des races ; mais aussi, on s’expose peut-être à tirer un parti moins avantageux des domaines qui composent la dotation du haras. Il faut donc concilier à cet égard les intérêts de l’établissement et sous le rapport du bien qu’il doit produire relativement à l’amélioration des races et sous celui du produit qu’on peut tirer du domaine. » Ainsi, dès les années 1810, l’éventualité de diminuer le domaine du haras est évoquée afin de rendre l’élevage plus performant et de permettre au directeur de régler les disfonctionnements internes qui sont déjà bien présents.

278 1ETP16. Lettre du 25 février 1809. 279 1ETP17. Lettre du 22 juillet 1823. 280 1ETP16.

110 CONCLUSION

L’amélioration est l’une des idées directrices du haras du Pin. L’Etat est à l’origine de cette volonté et de cette politique de constante amélioration de l’élevage. Cette évolution permanente vers une meilleure performance de l’élevage du Pin est le fait de plusieurs

111 facteurs : une mise en valeur efficace du domaine, une bonne qualité de la nourriture et des soins prodigués aux chevaux, une gestion saine et pertinente du domaine et du haras. Cet effort constant vers un meilleur élevage est indispensable pour être reconnu des éleveurs privés, afin que les étalons et juments poulinières du haras soient sollicités pour des saillies. Il faut que la notoriété du haras ne soit jamais démentie et bien au contraire, toujours renforcée. En effet, la confiance des éleveurs face à l’élevage national n’est pas très importante et ils se tournent plus volontiers vers des éleveurs privés, souvent de riches propriétaires de la région.

Toutefois, la qualité du haras n’est pas reconnue à sa juste valeur et, malgré tous les efforts du ministère et des différents directeurs pour assainir les finances du haras, le plus coûteux des établissements nationaux281, ce dernier est considéré comme trop déficitaire et une ferme est crée en lieu et place du haras du Pin (la Vacherie du Pin282), en 1844. L’Etat décide alors de réduire l’élevage du haras au strict minimum. La jumenterie est supprimée en 1832, pour des raisons d’économie et en 1844, la plupart des étalons sont vendus et aucun poulain et pouliche ne sont gardés. Le domaine du haras est alors réduit au strict nécessaire : « Considérant que la réduction de l’élevage, au haras du Pin, rend inutile, pour cet établissement, la gestion de toute l’étendue du domaine qui lui avait été affectée ; que la plus grande partie de ce domaine peut être avantageusement employée par la Vacherie du Pin, et voulant régler la division du service entre le directeur du Haras et l’administration du Domaine, ARRETĖ : Titre premier : Haras Article 1 er : Le domaine affecté au Haras se composera d’environ 12 hectares de terres labourables et 50 hectares de pâturages. Article 2 : Les bâtiments réservés pour le haras seront : le château, toutes les constructions de l’aile gauche jusqu’à la grille, les écuries et boxes d’étalons dans l’aile droite, les bâtiments, écuries et boxes de la Cour du Naissant. Les bâtiments dits la ferme du Pin ; le Cazobiel ; les jumenteries de Borculo, des Charmettes et de la Couleuvre ; les écuries des chevaux en exercice ; l’hippodrome ; le Tournebride ; la maison du vétérinaire ; les logements des

281 Le plus coûteux, selon les dires du ministère. 282 La vacherie du Pin devient une ferme modèle.

112 palefreniers à la Tête au Loup, à la Pâture et à la Grande Vignette ; le jardin du château, les jardins des officiers et les jardons de palefreniers près de l’étang du Tournebride, seront compris dans les dépendances du Haras. Article 3 : Le domaine affecté au Haras sera exploité, sous la surveillance du Directeur, par l’agent spécial qui remplira, à cet égard, les fonctions de l’agent spécial de Pompadour. Article 4 : A dater du 1er juin 1844, le Haras achètera les foins et autres denrées qui lui seront nécessaires en outre de celles qui pourront lui être fournies par son domaine. Article 5 : Pour l’exploitation du Domaine, il sera délivré au Directeur par l’administrateur des chevaux les chevaux et instruments aratoires qui seront désignés par le Ministre et qui deviendront ainsi la propriété du Haras. Article 6 : La quantité de fumiers nécessaire au Domaine du Haras devra être prévue et réglée dans le budget annuel que le Directeur soumettra à l’approbation du Ministre. L’administrateur disposera de tous les fumiers excédants la quantité accordée au haras ; et, à cet effet, l’administrateur s’entendra avec le directeur pour les époques et le mode de livraison. Article 7 : Le Haras entretiendra, à ses frais, l’avenue dite de la Jumenterie, jusqu’aux écuries d’exercice ; les deux avenues de Borculo et des Charmettes, le chemin conduisant à la ferme du Pin et au Cazaubiel, l’avenue du Château jusqu’au rond point.

Article 8 : Les constructions nouvelles pour le haras et les réparations des bâtiments affectés à son service, seront exécutées par l’agent spécial, sous la surveillance du Directeur, suivants les plans et devis adoptés et autorisés par le Ministre. Article 9 : Le haras aura son chantier particulier et fera lui-même les coupes et rentrées de bois dont il aura obtenu la délivrance pour son service. Article 10 :

113 A dater du 1er janvier 1844, la caisse du haras ne supportera plus aucune dépense relative à la Vacherie ou à l’Administration du Domaine. En conséquence, l’agent spécial ne tiendra aucun registre ou journal étranger à la comptabilité du haras et à celle de l’Ecole. Article 11 : A dater de la même époque, le traitement de l’administrateur, du secrétaire, des gardes et des employés du Domaine seront soldés par le Chapitre V du budget, à l’exception toutefois des indemnités accordées à l’administrateur comme Professeur d’Agriculture, et au secrétaire, comme Professeur de Comptabilité agricole à l’Ecole Royale des Haras, lesquelles seront portées aux dépenses de l’Ecole. (…). »

Le Haras apparaît alors comme secondaire et est soumis au strict contrôle de l’Etat et du Directeur du Domaine et de la Vacherie Impériale du Pin. La gestion, au travers de ce texte, semble être soumise à un contrôle plus strict. Ce nouveau mode de fonctionnement permet d’assainir les finances de cet établissement, qui vingt-huit ans plus tard, retrouve son indépendance, avec plus de stabilité.

Ainsi, il semble que le Haras ait échoué. Il ne lui a pas été possible de relever les défis imposés lors du rétablissement des haras nationaux. Le domaine n’est pas rentable et autonome. Malgré tout, il paraît performant, à condition que l’Etat s’y intéresse et lui verse une somme suffisamment importante afin d’acquérir des étalons de qualités. Mais cet échec est-il dû au manque de discernement des dirigeants du Pin, ou plus globalement à une législation inadaptée ?

ANNEXES

Annexe I : Directeurs du Haras du Pin au XIX ème siècle

114 Grimoult (De) 1797-1807 Avaugour (D’) 1807-1811 Abzac (Chevalier d’) 1811-1818 Bonneval (Baron de) 1818-1832 Bony (Comte de) 1832-1833 Coetdihuel (Baron de) 1833-1835 Perrot de Thamberg 1835-1839 Strubberg 1839-1840 Gayot 1840-1843 Lespinats (De) 1843-1847 Houel 1847-1850 Cormette (De) 1850-1861 Houssaye (Comte de la) 1861-1870 Pardieu (Comte de) 1870-1879 Ganay (Comte de) 1879 Fargue-Tauzia (De la) 1879-1885 Lanney (De) 1885-1887 Ollivier 1887-1893 Pontavice de Heussey (Vicomte du) 1893-1911

Annexe II : plan du domaine du Haras du Pin dans les années 1850.

115 Annexe IV : planche n°7 de fers à cheval issue du livre s’intitulant Guide du maréchal, M. Lafosse, maréchal des Petites Ecuries du Roi, 1756.

116 Annexe V : inventaire et classification des terres appartenant au haras (4 décembre 1811)

117 Nom des Nature Leur Détail sur Produits en Prix des Prix des objets des objets contenance leur grains biens fermages fermages depuis qualité ou nombre actuels quinze ans des bestiaux qui y sont nourris Parc du Haut Herbage 13 ha. 2ème et 3ème 20 vaches à 820F et une Bail du 17 Bois classe 90F jument et frimaire an 9, un poulain 635F, du 3 vendémiaire an 12, 950F. Pont du Id. 54 ha. 1/8ème de 80 petites 2320F et 1500F et la Mesnil 2ème vaches à 25F deux nourriture d’un qualité et juments cheval par bail les 7/8ème commencé le 1er des 3ème janvier 1798. classe La Bergerie283 Landes et 96,67 ha. Dernière 120 génisses et 1200F et les Id. marais qualité petites vaches impôts à 15F. Pied Mouillé Herbage 39,53 ha. 2ème et 3ème 60 vaches à 1820F et 1600F en 1791 classes 30F. deux juments Parc Saint Id. 14 ha. 1ère classe 20 bœufs à 1160F et Id. Martin 70F. deux juments avec leurs poulains 1ère moitié de Herbages 5 ha. Dernière Rien Id. Id. la Côte de et genêts classe Chaufour 2ème moitié de Herbage 5 ha. Id. Rien Id. Id. la Côte de Chaufour

283 A noter que ces marais et landes n’apparaissent plus par la suite.

118 L’Hermite Herbages 94 ha. Dernière 120 petites 2300F Le prix du bail du et landes qualité et vaches à 20F. 25 avril 1806 était pourtant de 1050F. moins mauvaise que la Bergerie Les Petits Herbage 5 ha. Id. Id. 260F. Id. Grands Champs Le Perchaut Id. 25 ha. Id. Id. 650F et les Id. impôts Petite Herbage 11 ha. Id. Id. 500F Le prix du bail du Vignette 25 avril 1808 était de 254F Grande Id. 16,88 ha. Id. Id. 720F et une Le prix du bail du Vignette jument 25 avril 1808 était de 560F Petites Id. 24,25 ha. Id. Id. 130 F et 4 Id. Bourdonnières juments, la récolte en herbage de 1811 a été vendue 2100F plus les regains Grande Pâture Id. 28,86 ha. Id. Id. 1330F et 2 Le prix du bail du juments 25 avril 1808 était de 900F Grandes Id. 27 ha. Id. Id. 1450F et Id. Bourdonnières deux juments Ferme Maison, 21 ha. Id. Id. 1600F et Id. Cazaubiel prés et deux herbages juments Ferme du Pin Id. et terres 179,50 ha. Id. Id. 4600F Id.

119 labourables Les Genêts Herbage 91 ha. Id. Id. 900F et les Id. impôts Côte de Lille Terres 21 ha. Id. Id. La récolte Le prix du bail au labourables de 1811 a 3 brumaire an 11 été vendue était de 760F 770F La Vignette Id. 14 ha. Id. Id. La récolte Id. de 1811 a été vendue 2200F La Couleuvre Id. 16 ha. Id. Id. La récolte Id. de 1811 a été vendue 510F La Briquetière Herbage 7,20 ha. Id. Id. 700F Id. L’Isle Pré 8 ha. Id. 3300 bottes de La récolte 700F, il y a fauchable foin de 7 de 1811 a environ 10 ans hectolitres ½ été vendue du prix 730F commun d’environ 24F Grand Parc Herbage 34 ha. Id. 52 vaches à 2350F, 1800F, il y a des Mottes 35F deux environ six ans juments et leurs poulains Petit Parc des Pré 39 ha. Id. Id. La récolte Id. Mottes fauchable de 1811 a été vendue 2560F et deux juments au regain Les Petits Herbage 4 ha. Mauvaise 6 génisses à 135F Id. Genêts qualité 24F La Bigotière Id. 14 ha. Id. Id. 760F Id.

120 La Belle Id. 24 ha. Id. Id. 800F et une Id. Entrée jument et son poulain Les Grands Id. 22 ha. Id. Id. La récolte Id. Champs de 1811 a été vendue 1500F et deux juments au regain Le Parc aux Pré 5 ha. Id. Id. La récolte Id. Daims fauchable de 1811 a été vendue 410F Auberge du Auberge 5 ha. Id. Id. Tournebride

Annexe VI : liste des fournisseurs de fourrages 284

- 18 août 1818 : adjudication de fourrage à François Chauvin pour un an. - 13 août 1819 : adjudication de fourrage pour 1820, 1821, 1822 à M. René Pichon - M. Pierre René Charles Pichon (habitant à Sées) pour 1835-1837 (doit fournir foin, paille, avoine, farine et son) - M. François Chauvin (habitant à Perrière dans le Calvados) pour 1842 (doit fournir avoine, son, farine d’orge, foin, paille de blé, paille d’avoine) - M. Pierre René Charles Pichon (habitant à Sées) pour 1843-1845 - M. Beauvalon (habitant Almenèches) pour 1847-1852 - M. Pierre René Charles Pichon pour 1846

284 M2009.

121 LEXIQUE

Bail à ferme : Bail ayant pour objet un fonds rural, conclu pour une période de trois, six ou neuf ans, renouvelable.

Dépôt d’étalons : Etablissement d’Etat ou privé destiné à recevoir les étalons hors période de monte (d’août à février)

Elève : Produit d’une saillie, soit un poulain, soit une pouliche.

Ferme : Mode de gestion des services publics dans lequel une personne privée (fermier), physique ou morale, traite à forfait avec la collectivité publique qui reçoit une somme fixée à

122 l’avance, le fermier conservant le surplus des recettes qu’il réalise ou supportant les pertes éventuelles.

Haras : Etablissement d’Etat ou privé abritant des étalons, mais également des juments et des poulains.

Haras National : Etablissement d’Etat dont le but est de proposer des étalons nationaux pour assurer la reproduction au sein d’une région dont il assure le contrôle de l’élevage et des activités hippiques.

Herbe (vente d’) : Convention entre propriétaire d’un pâturage et preneur, selon laquelle le preneur n’a qu’un droit de jouissance généralement saisonnier, et ne supporte aucune obligation d’entretien du terrain (Code Rural, art. L.411-1 et L.411-66).

Myriagramme : Mesure de pesanteur égale à 10,000 grammes ; elle remplace le poids de 25 livres et pèse environ 20 livres ½285.

Paille : En fait ici, de la paille d’avoine. Mélangée au foin et hachée, elle permet d’occuper le cheval en calmant son appétit.

Regain : Herbe qui repousse dans une prairie après la première coupe.

Régie : Mode de gestion d’une entreprise publique par les fonctionnaires d’une collectivité publique. Ici, on parlera d’une régie simple ou directe puisqu’elle est organisée et dirigée entièrement par les fonctionnaires.

Vache à graisse : Vache destinée à la boucherie.

Vache à lait : Vache destinée à donner naissance à des veaux et à produire du lait.

285 M. Cl. M. Gattel, Dictionnaire universel portatif de la langue française. Vocabulaire des mots introduits dans la langue depuis la Révolution Française, Paris, 1813.

123 INDEX DES PERSONNAGES HISTORIQUES

Abzac (Jean-François, Chevalier d’) : 47, 72. Avaugour (d’) : 20n, 25, 40, 72, 81, 109. Beauvais : 68. Beauvalon : 118. Bonneval (Gabriel, baron de) : 72, 80, 81. Briquet (Jean, dit Lacouture) : 22. Charles X : 95. Chauvin (François) : 33, 41, 118. Colbert (Jean-Baptiste) : 3. Damoiseau : 68. De Balby-Montfaucon : 68, 73. De Grimoult : 72. De Rigoult : 68. De Salinis (Philippe) : 68.

124 De Tilly : 102, 103. Duhamel : 34n, 37n, 73, 86n, 103, 104, 105, 106, 107. Du Haÿs (Charles) : 25, 26. Dumazel (Joseph) : 23. Dupavillon : 84, 85. Dupuy (Louis) : 86. Escars (duc d’) : 29. Gayot (Emile) : 54n, 114. Georges II (roi de Hanovre) : 53. Hiaumette-Parfondy : 66. Jouau : 25. La Robinière (François Robichon, duc de) : 19. Lambesc (Charles Eugène de Lorraine, duc d’Elbeuf, prince de) : 63n. Le Normant d’Etioles : 109. Leclerc (Louis) : 22. Le Mousseux (Pierre) : 4. Louvel : 41. Louvet (dit Jardin) : 42. Mallet (Jean de) : 2. Napoléon 1er : 53n, 91, 95, 97. Napoléon III : 92. Nointel (Louis de Béchameil, marquis de) : 5. Pichon (Pierre René Charles) : 41, 42, 43, 118. Rault : 86. Restout : 105. Rohault de Fleury (Hubert) : 64n, 65. Simon (Jacques) : 23. Songin (général) : 20. Sourdaux : 99. Strubberg : 64n, 114. Sully (Maximilien de Béthune, duc de) : 3. Wagner : 6.

125 TABLEAUX

- Tableau I : Carte du département de l’Orne. p.3 - Tableau II : Carte du canton d’Exmes. p.3 - Tableau III : Diagramme de l’alimentation du cheval au XIXème siècle. p.38 - Tableau IV : Rations réglementaires distribuées aux étalons dans les haras. p.47 - Tableau V : Composition des rations des juments, poulains et pouliches. p.50 - Tableau VI : Commentaire au sujet des rations distribuées aux étalons du haras. p.51 - Tableau VII : Composition des rations des chevaux de travail. p.52 - Tableau VIII : Evolution de la population chevaline du Pin de 1823 à 1825. p.55 - Tableau IX : Population chevaline au Pin en 1816. p.56 - Tableau X : Evolution du nombre d’étalons en 1824. p.57

126 - Tableau XI : Rémunération des officiers du Haras du Pin. p.69 - Tableau XII : Rémunération des officiers du dépôt d’étalons d’Angers. p.69 - Tableau XIII : Rémunération des employés et gagistes du Haras du Pin. p.77

TABLE DES MATIERES

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