Courrier du Centre international

38 | 2016 Varia

Electronic version URL: http://journals.openedition.org/ccibp/1175 DOI: 10.4000/ccibp.1175 ISSN: 2493-7460

Publisher Centre international Blaise Pascal

Printed version Date of publication: 1 January 2016 ISBN: 978-2-84516-758-2 ISSN: 0249-6674

Electronic reference Courrier du Centre international Blaise Pascal, 38 | 2016 [Online], Online since 27 November 2019, connection on 17 May 2020. URL : http://journals.openedition.org/ccibp/1175 ; DOI : https://doi.org/ 10.4000/ccibp.1175

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Centre international Blaise Pascal 1

Pour les amis de Pascal, l'année 2016 aura été à la fois une occasion de grande tristesse et un temps de grandes réalisations.

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TABLE OF CONTENTS

La Lettre à Huygens Explication de texte Claude Merker

Un admirateur de Blaise Pascal : le professeur Reijer Hooykaas Jean-Claude Parlebas

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La Lettre à Huygens Explication de texte

Claude Merker

1 Comment Pascal a-t-il eu l’idée de comparer les lignes (les longueurs) de toutes sortes de roulettes à des lignes d’ellipses ?

2 La première des trois figures de la Lettre II, à Huygens, qui réduit la question à un problème de cercle, par le moyen d’un faisceau de droites, autrement dit grâce à un objet projectif, peut nous suggérer cette vision des choses : un problème de roulette, ordinaire ou généralisée, bien réduit par ce grand simplificateur et grand organisateur de la pensée qu’est Pascal, est toujours un problème de cercle, or cette réduction, déjà opérée dans la Lettre I (Les sept traités de roulette) prend ici une coloration projective, et d’un point de vue projectif, cercle et ellipse sont équivalents. Finalement, terminer avec une ellipse en partant d’une roulette qui, au fond, n’est jamais qu’un cercle, n’est pas si étonnant.

3 Contrairement au cercle et à l’ellipse, connus depuis l’Antiquité, la roulette est une courbe du XVIIe siècle. Sa définition concrète, celle que donne Pascal au début de l’ Histoire de la roulette, dit tout, et en termes agréables : La roulette est une ligne si commune, qu’après la droite et la circulaire, il n’y en a point de si fréquente ; et elle se décrit si souvent aux yeux de tout le monde qu’il y a lieu de s’étonner qu’elle n’ait point été considérée par les anciens, dans lesquels on n’en trouve rien : car elle n’est autre chose que le chemin que fait en l’air le clou d’une roue, quand elle roule de son mouvement ordinaire, depuis que ce clou commence à s’élever de terre, jusqu’à ce que le roulement continu de la roue l’ait rapporté à terre, après un tour entier achevé ; supposant que la roue soit un cercle parfait, le clou un point dans sa circonférence, et la terre parfaitement plane1.

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Le feu P. Mersenne, Minime, fut le premier qui la remarqua, environ l’an 1615, en considérant le roulement des roues : ce fut pourquoi il l’appela La Roulette. Il voulut ensuite en reconnaître la nature et les propriétés, mais il n’y put pénétrer2.

4 Telle est la définition de la roulette ordinaire, celle pour laquelle le chemin parcouru au sol – la base – après un tour complet sera exactement la longueur de la roue ; mais il y a aussi les roulettes généralisées de Roberval, reprises par Pascal, celles dont la roue roule régulièrement moins qu’elle n’avance, et celles dont la roue avance moins qu’elle ne roule. La base des premières, qualifiées d’allongées, est plus grande que la circonférence du cercle générateur – la roue –, et vice-versa pour les secondes, qualifiées d’accourcies.

5 La Lettre I, à Carcavi, fort longue, traite magistralement des problèmes de roulette ordinaire : longueur et aire de la roulette, volume obtenu en faisant tourner la roulette autour de son axe ou de sa base, surfaces courbes délimitant ces volumes, centres de gravité de tous ces objets géométriques ; ces grandeurs s’expriment alors en fonction de grandeurs « connues » depuis l’Antiquité, aire du cercle, de la sphère, volume de cette dernière, etc. Les méthodes générales, l’extrême articulation de la Lettre I la font considérer comme le premier traité de calcul intégral3.

6 La Lettre II, à Huygens, fort courte, généralise un des problèmes de la Lettre I. Elle traite par une méthode unifiée, de la ligne des trois roulettes, ordinaire, allongée, accourcie. La ligne d’une quelconque de ces roulettes se voit égalée à une ligne pas plus « connue », celle d’une ellipse4. Bien sûr, toutes les ellipses n’ont pas la même forme, contrairement aux cercles ; une infinité d’ellipses ont la même longueur, et tout l’art consistera à donner précisément la forme d’une ellipse solution, c’est-à-dire ses axes, en fonction de ce qui caractérise la roulette : le rayon de la roue et le degré d’écart à la roulette ordinaire, bien sûr, mais surtout en fonction du cheminement démonstratif que prend Pascal ici.

7 On qualifiera le mouvement d’une roulette ordinaire de roulement sans glissement, les roulettes allongées glissent, et les accourcies patinent, régulièrement.

8 Ces quelques pages de Pascal sont d’une densité rare, même chez lui. On y retrouve son goût pour la généralité : subsumer des problèmes distincts par un angle d’approche unique ; n’en dire pas trop pour laisser les lecteurs actifs ; déployer un art d’agréer dans un texte mathématique qui a priori n’est guère fait pour plaire. Les trois figures sur lesquelles tout repose méritent d’être observées avec soin, non seulement pour leur

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lien organique, mais encore pour le soin avec lequel ont été pensées les lettres qui servent à noter les points. Je pense qu’il est nécessaire de reproduire ces figures-là qui pourraient être dues à la collaboration du graveur Abraham Bosse et du mathématicien5, car toute tentative de les rendre plus claires ne pourra que les assombrir. Elles sont un support fort utile au texte, en effet il advient plusieurs fois qu’elles disent ce que le texte d’un rare laconisme passe complètement sous silence6. Cet article propose de voir en détail ce que fait Pascal dans la Lettre II, en mettant l’accent sur la logique interne des dessins et du propos, ainsi que sur les calculs que Pascal ne fait parfois qu’effleurer. Le mode d’exposition, le sens de l’essentiel, la manière de noter et de varier les infinitésimaux, la beauté souveraine des figures, tout cela est propre à Pascal : personne n’écrit comme lui sur des sujets semblables7.

Architecture de la Lettre à Huygens

Les trois figures

9 Il y a trois figures pour cette Lettre II, notées Fig. 41, Fig. 42, Fig. 43 dans les planches8. La figure 41, plane, change une somme d’éléments de la roulette qui représente sa longueur en une autre somme, très pascalienne, qui ne fait intervenir que le cercle générateur, et un point noté H précisant comment elle est généralisée. La figure 42, spatiale, est le support d’un lemme général. Elle représente un cylindre dont on devine que c’est lui, bien coupé par un plan, qui fournira l’ellipse requise. La figure 43 est plane, mais destinée à être mentalement spatialisée. Elle assure le passage de la figure 41, née de l’expression repensée du requis, à la figure 42 qu’elle particularise pour fournir la solution. Les trois figures de Pascal forment donc un système. Regardons-les un peu plus précisément, tout en laissant provisoirement de côté les quatre démonstrations qui calculent avec des éléments infiniment petits, et concentrons-nous sur leur architecture d’ensemble.

La première figure, ou Fig. 41

10 Dans cette figure 41, le demi-cercle est découpé “en un nombre indéfini d’arcs égaux aux points M” puis les points B sont définis comme les intersections des parallèles à la base passant par M avec la roulette. Pascal suppose que

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les divisions de la circonférence [sont en si grand nombre que la somme de ces droites BB (lesquelles sont les sous-tendantes de la roulette) ne diffère de la courbe de la roulette que d’une ligne moindre qu’aucune donnée9.

11 Nous voyons là que Pascal prend ses distances avec la classique méthode d’exhaustion : pas de double encadrement, et un langage qui ressemble fort à celui, futur, des limites. Le point H est situé sur le diamètre FC, il est défini par :

12 Si la roulette est ordinaire, H est en F, sur le cercle, donc. Si la roulette est allongée, H est à l’extérieur du cercle, d’autant plus loin que la roulette comporte plus de glissement puisque celui-ci représente en quelque sorte l’excès de la base sur la circonférence de la roue. Inversement si la roulette est accourcie, H est intérieur au cercle.

13 Pascal montrera, juste avant de passer à la figure 42, que le cas H intérieur se ramène au cas H extérieur, ceci par une figure fort ingénieuse qu’il ne donne pas, qu’il décrit seulement10. Cette figure que les lecteurs peuvent dessiner eux-mêmes réalise le projet unificateur annoncé au début. Je n’ai qu’une seule méthode pour la dimension des lignes de toutes sortes de roulettes ; en sorte que, soit qu’elles soient simples, allongées ou accourcies, ma construction est toujours pareille, en cette manière. [etc.]

14 En remarquant la similitude de chaque “triangle” infinitésimal BOB avec le triangle de côtés finis HGM (MBO alignés) correspondant, Pascal transforme la connaissance du requis, à savoir la somme des BB, en celle de la somme des HM MM11.

15 Il suffira de connaître la somme des HM MM pour H extérieur au cercle générateur pour connaître la longueur de toutes les sortes de roulettes allongées et accourcies puisque le cas des accourcies se ramène au cas des allongées. Le cas de la roulette ordinaire, c’est-à-dire le cas où H est sur le cercle, est aussi réglé par la connaissance de cette même somme ; cependant la construction spatiale que Pascal va donner incessamment pour achever le calcul échouera pour la roulette ordinaire, mais ce n’est pas grave puisque ce cas particulier a déjà été traité dans la Lettre I12.

16 Pascal a réussi une double généralisation, ce par l’intermédiaire d’une de ces sommes qui lui appartiennent en propre (sommes de lignes multipliées par des infinitésimaux géométriques attenants). C’est le but du discours mathématique lié à cette première figure.

17 Arrive alors la conclusion, qui résume la métamorphose de la somme initiale en une somme pascalienne du même genre que celles qui ont fait le succès du Traité de la roulette13. Donc la courbe multipliée par le rayon est égale à la somme des représentantes HM (multipliées chacune par les petits arcs MM) ; mais le rayon est donné ; donc, si la somme des HM est donnée, la courbe le sera aussi. Donc toute la difficulté de la dimension des roulettes est réduite à ce problème : La circonférence d’un cercle donné étant divisée en un nombre indéfini d’arcs égaux, et ayant mené des droites d’un point quelconque donné dans le plan du cercle à tous les points de division, trouver la somme de ces droites.

18 Une remarque : quand Pascal parle de “la somme de ces droites”, il sous-entend “multipliées chacune par les petits arcs MM”. Il en est toujours ainsi, le mot somme inclut obligatoirement l’idée d’une telle multiplication. Cette abréviation du discours,

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et d’autres semblables, conséquences de la liberté des définitions, ont été très précisément mises en place dans le premier traité de la Lettre I.

19 En résumé : la connaissance de la ligne d’une roulette quelconque revient à celle de la somme des HM MM pour des M en nombre indéfini, également répartis sur la roue, et pour H extérieur à la roue. Voilà donc le faisceau de segments HM, de sommet H, chargé de mission pour résoudre le problème. On peut effacer la roulette, le couple (roue, point H à l’extérieur) suffit désormais.

La deuxième figure, ou Fig. 42

20 Une fois la connaissance de la ligne de la roulette rendue équivalente à celle de la somme des HM MM, Pascal construit la deuxième figure, Fig. 42 ; on voit apparaître un cercle AB14, des HL, avec L décrivant le demi-cercle AB, faisant penser aux HM avec M décrivant le demi-cercle FC, sur la première figure. Un coup d’œil rapide au texte de Pascal nous dit que cette somme des HL LL n’est autre que la surface du cylindre représenté15 (son quart, mais peu importe pour le moment), seul susceptible, semble-t- il, de faire apparaître une ellipse si on le coupe par un plan bien choisi.

21 L’idéal serait de transformer la première figure en la spatialisant par un relèvement de H, au-dessus du point F, perpendiculairement au plan du cercle FC ; la somme cherchée conduirait au cône de sommet H, puis au cylindre, représentés dans cette deuxième figure, et tout ne serait plus qu’une affaire d’achèvement de calcul.

22 Mais comme en témoignent les lettres qui ont changé, le cercle AB (Fig. 42) et le cercle FC (Fig. 41) ne sont pas les mêmes, le relèvement n’a pas eu lieu au-dessus du point F de la première figure pour l’excellente raison que les HM ne conserveraient pas leur longueur dans cette transformation. Il faut garder en mémoire ce fait, cet écueil qui est à la base de tout le dispositif des trois figures.

23 En résumé : la somme des HL LL (de la figure 42) est égale au quart de la surface du cylindre caractérisé par sa base, le cercle AC (ou 2AB) ; sa hauteur, HA ; son axe, HB. C’est ce que dit le Lemme, raison d’être de la figure 42. Pour le moment on ne voit pas comment rattacher la somme des HM MM cherchée, qui est plane, à cette somme spatiale des HL LL, malgré une ressemblance formelle certaine.

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La troisième figure, ou Fig. 43

24 Tout l’art de Pascal a été d’inventer une troisième figure qui fera que la deuxième puisse s’appliquer à la première, autrement dit que l’on puisse installer dans l’espace la première, ou une sœur presque jumelle.

25 C’est au prix d’un changement de cercle que le relèvement pourra avoir lieu, sans changer les longueurs des segments HM. Seuls les petits arcs de cercle, éléments infinitésimaux clés de tout le calcul de l’infini pascalien, vont subir une transformation. Cette transformation est innocente, car elle n’est qu’une proportionnalité.

26 Voici donc comment Pascal contourne la difficulté par une troisième figure, la plus compliquée des trois, déroutante de plus, par ses notations, puisque son cercle AB ne peut pas être le cercle AB de la deuxième figure, et qu’il en est de même a priori pour les segments HL.

27 Voici l’énoncé de la Proposition pour laquelle cette figure 43 a été créée : PROPOSITION Soit maintenant (fig. 43) le point H donné dans le plan du cercle ALB, et hors le cercle, et soient menées les HL aux points L des divisions égales. Je dis que leur somme [la somme des HL LL] est égale à la surface d’un cylindre oblique.

28 Il est question d’un cylindre oblique, la figure 43 a donc sûrement pour mission de faire passer de la figure 41 à la figure 42. D’ailleurs, elle est presque la réunion de Fig. 41 et de Fig. 43, en effet :

29 – elle recèle Fig. 41 stricto sensu : Σ HL LL est la somme requise ; au nom des lettres près, c’est exactement Σ HM MM de Fig. 41, et ce changement du nom des lettres ne comporte aucune difficulté ;

30 – en revanche, la manière qu’a Fig. 42 de se cacher dans Fig. 43 est subtile ; Pascal a dû fabriquer deux nouveaux points et élever une perpendiculaire au plan au-dessus du premier point, et surtout il s’est livré à quelques acrobaties notationnelles déconcertantes au premier abord.

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31 Ainsi Pascal construit un premier point V, défini en fonction des données initiales par :

32 BV2 = BA2 + 2 AB AH, puis un deuxième point O qui n’est plus dans le plan du cercle AB. Soit aussi élevée VO perpendiculaire au plan du cercle, et soit prise BO égale à BH, et soient menées toutes les droites OI (aux points où les droites BL coupent la circonférence BIV) : je dis que chaque droite OI est égale à chaque droite HL16.

33 C’est l’imagination qui se charge de voir VO perpendiculaire au plan du cercle, car le dessin de la figure est à deux dimensions.

34 Bien sûr, la cause finale des points V, O et I est cette égalité entre OI et HL, et l’avantage est que OI est dans l’espace.

35 En résumé : Il y a un nouveau cercle VB, découpé en un nombre indéfini de petits arcs II, chaque I étant obtenu à partir du L du cercle AB de telle sorte que B, L, I soient alignés. Les petits arcs II sont donc tous égaux entre eux, comme l’étaient les petits arcs LL dessinés sur le cercle AB. Les points V et O ont été définis par des égalités algébriques fabriquées exprès pour garder la longueur des HL, tout en passant dans l’espace afin de pouvoir appliquer le Lemme de la figure 42. À ce stade là Pascal n’a pas encore parlé d’ellipse, mais elle ne peut être ailleurs que tapie dans la figure 42.

36 Avec ce relèvement décalé par rapport au cercle initial, Pascal a gagné car la somme des HL LL est la somme des OI II, à une proportionnalité près, et cette dernière somme est exactement du ressort du Lemme de la figure 42, en imaginant O (de la figure 43) en place de H (de la figure 42) ; V (de la figure 43) en place de A (de la figure 42) ; B restant le même.

37 Il faudra se souvenir des trois égalités internes à cette figure 43 : BO = BH HL = OI VO = AH

38 La première est définitionnelle, pour O, la seconde est le but de l’opération, la troisième est parfaitement non-dite par Pascal, et je ne sais comment on peut terminer le calcul des axes de l’ellipse sans s’être aperçu, au préalable, par les bienfaits du hasard, que VO = AH17.

39 À propos de ce non-dit, tout se passe, à mon sens, comme si Pascal nous disait : « Prenez les figures, regardez-les, faites des calculs simples en plus de ceux que j’indique, vous allez bien voir où je veux en venir, et vous aurez le plaisir de l’avoir vu vous-mêmes ». J’ai envie de dire que c’est la seule façon de se repérer dans ce savant dédale laconique, dans lequel les figures explicitent à plusieurs reprises les silences du texte 18.

40 En résumé : la troisième figure est là pour créer des OI dans l’espace égaux aux HL du plan, OI = HL, chacun au sien, on a changé de cercle pour passer dans l’espace en conservant la longueur des HL. La somme des HL LL, celle que l’on veut calculer, devient la somme des OI II qui va pouvoir être prise en charge par la figure 42 du Lemme, afin de s’égaler à la surface du cylindre. Il faut alors penser le cercle AB de la deuxième figure comme étant le cercle VB de la troisième, celui sur lequel se déploient les I. Comme la troisième figure comporte aussi un cercle AB, nécessairement autre, il paraît prudent de renommer les points de la deuxième figure, quand on y transporte la troisième… mais attendons la suite qui réserve quelques surprises à ce propos.

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Les grandes lignes de la démonstration finale des axes

41 La connaissance de la longueur cherchée, la somme des BB de la roulette généralisée a été réduite à la connaissance de la somme des HM MM (ces deux sommes sont les mêmes au rayon de la roue près). C’est la raison d’être de la figure 41.

42 La connaissance de la somme des HM MM a été réduite à celle de la somme des OI II (à une constante près), avec O dans l’espace comme expliqué ci-dessus. C’est la raison d’être de la figure 43 de mettre la somme requise, celle des HL LL, sous une forme qu’accepte la figure 42.

43 La figure 42 entre alors en scène pour dire que cette somme est la surface d’un cylindre « oblique » élevé sur un cercle. Ce cylindre coupé par des plans perpendiculaires à son axe va tout de suite donner naissance à un cylindre de même surface, « droit » cette fois, mais dont la base est une ellipse (rien n’est jamais parfait). À l’avant-dernière page de la Lettre II, dans la Conclusion, alors qu’on l’avait complètement oubliée, l’ellipse vient de faire son apparition19.

44 Un cylindre élevé obliquement sur un cercle a même surface que le cylindre droit élevé sur la section plane perpendiculaire à l’axe. La section est une ellipse, l’aire de ce deuxième cylindre est évidemment égale à la longueur de sa base (l’ellipse) multipliée par sa hauteur (l’axe du premier cylindre).

45 Il ne reste plus qu’à préciser l’ellipse en question en la reliant à la roulette généralisée donnée. Ce qui caractérise une ellipse ? Son grand axe, et son petit axe. Ce qui caractérise la roulette ? Le rayon de sa roue, et quelque chose qui dise son degré d’écart à l’ordinaire : la position de H, autrement dit une expression qui fait intervenir à la fois la base et la circonférence de la roue : En suivant cette méthode, on trouvera le calcul des deux axes de l’ellipse, dont la courbe se compare à celle d’une roulette donnée. […] Soit fait comme la circonférence du cercle générateur à cette même circonférence plus la base de la roulette, ainsi le diamètre du cercle à une autre droite ; cette droite soit le grand demi-axe d’une ellipse.

46 Cet énoncé nous fait connaître le grand demi-axe comme quatrième proportionnelle dans une proportion dont trois termes sont donnés. Un nouveau rapport donne la moitié du petit axe : Soit fait comme la circonférence plus la base à la différence entre la circonférence et la base, ainsi le grand demi-axe à l’autre demi-axe.

47 Enfin Pascal égale l’arche de la roulette à la demi-ellipse qu’il vient de préciser en fonction des données, demi-ellipse qui est une sorte d’arche, si l’on veut : La moitié de la courbe de l’ellipse qui aura ces deux demi-axes sera égale à la courbe de la roulette entière, et les parties aux parties.

48 Voilà, le but est atteint…, énoncé du moins, car Pascal ne nous dit rien sur la manière de calculer ces axes. Il a juste écrit, en parlant du “calcul des deux axes de l’ellipse” : Le voici tel que je le fis envoyer à beaucoup de personnes au commencement de septembre, en Angleterre, à Liège, et ailleurs, et entre autres à Monsieur de Roberval, à Monsieur de Sluze, et quelque temps après à Monsieur de Fermat. Or le calcul des axes ne figure nulle part, on ne le trouve dans aucune correspondance, à défaut de le trouver ici… Il n’y a même pas d’indication géométrique pour exhiber ces axes. Donc quand Pascal dit qu’il a fait envoyer le “calcul des deux axes de l’ellipse”, il faut entendre par là « le résultat du calcul ». Pourtant il a nécessairement effectué des constructions géométriques menant à un

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calcul pour obtenir les formules explicitant les axes, et tout cela est plus long que d’autres calculs algébriques que Pascal a pris la peine d’écrire. Le style elliptique pascalien atteint ici un sommet inégalé dans ses autres écrits mathématiques.

Remarque

49 Les axes de l’ellipse, tels que vient de les dire Pascal, étaient lisibles sur la figure 41, tout au début, donc. Lisibles, mais non-dits. Les voici : • Grand demi-axe = 2 HC • Petit demi-axe = 2 HF

50 Ces égalités sont très faciles à vérifier 20, mais il est paradoxal de voir que les axes de l’ellipse figuraient déjà, d’avance, et de manière patente sur la première figure, sans que Pascal n’en dise rien. Il vaut mieux une deuxième fois, à l’instar de l’égalité VO = AH, s’en être rendu compte au préalable, car les axes vont apparaître sous cette forme, 2 HC, 2 HF, à la fin du calcul. Ce que l’on va voir dans le paragraphe suivant.

La démonstration finale des axes en calculs

51 Ce paragraphe peut être considéré comme une annexe, dont la place ici est justifiée par la proximité avec ce qui vient d’être dit. Il est destiné à ceux des lecteurs qui veulent avoir vraiment le calcul des axes, en quelque sorte le finale du concerto, mais après tout, on peut aussi bien faire confiance à Pascal qui n’a pas jugé bon de nous obliger à lire par le menu des intermédiaires démonstratifs.

52 Suivons l’ordre de Pascal, assez précis pour commencer, jusqu’à ce que l’auteur nous abandonne. Il s’agit de calculer Σ HL LL (qui est R/2 fois la longueur de l’arche de la roulette, cf. Fig. 41), et OI = HL, O et I, redisons-le, ont été fabriqués tout exprès dans la figure 43. Donc la somme des OI est la même que la somme des HL, (si on les multiplie chacune par les mêmes petits arcs) ; mais la somme des OI (multipliée par les petits arcs II, lesquels sont égaux entre eux, puisque les arcs LL le sont par l’hypothèse) est égale au quart de la surface d’un cylindre oblique, par le lemme, puisque VO est perpendiculaire au plan du cercle BIV.

53 Mot-à-mot : (Σ OI) II = (Σ HL) II (OI = HL, but de la figure 43).

54 Mais Σ OI II est le quart de la surface du cylindre bâti obliquement sur le cercle 2 VB, cylindre dont l’axe est OB, et la hauteur OV, c’est ce que dit le lemme, exactement, par simple transposition des lettres.

55 Écrivons ainsi cette égalité en précisant à l’intérieur de la parenthèse les éléments qui caractérisent le cylindre : Σ OI II = 1/4 Surf. cyl. (cercle 2 VB ; axe OB ; hauteur OV). Donc la somme des HL, multipliée par les mêmes arcs II, est égale au quart de la même surface. Donc la somme des HL, multipliée par les petits arcs LL, est aussi égale à une surface d’un cylindre oblique proportionnée à l’autre.

56 Précisons cette proportion :

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puisque le rapport LL/II, constant, est celui des rayons des deux cercles. Il s’agissait juste de changer d’élément infinitésimal, de passer de II à LL. Les données et l’inventivité de Pascal ont mené à un cylindre oblique dont la base est un cercle.

57 Il revient au même de multiplier le rayon du cercle par AB/BV ou de multiplier la surface du cylindre par ce même coefficient, toutes choses restant égales par ailleurs, on a donc :

58 Autrement dit, puisque nous n’avons pas quitté la figure 43, la somme des HL LL est le quart de la surface d’un cylindre oblique bâti sur le cercle de diamètre 2 AB, d’axe OB, et de hauteur OV. Ce cylindre est franchement irréel, ses éléments de construction sont épars (sa hauteur n’est pas à la verticale de A), tout est disloqué pour un bref instant. Il faudrait dire : un cylindre bâti sur un cercle de diamètre égal à 2 AB, dont l’axe est égal au segment OB et dont la hauteur est égale au segment OV.

59 Mais, puisque nous n’avons pas quitté la figure 43, la somme des HL LL est le quart de la surface d’un cylindre oblique bâti sur le cercle de diamètre 2 AB, d’axe HB, et de hauteur AH, en effet il faut se souvenir que, dans cette figure 43, OB est égal à HB, et VO est égal à AH. Finie la désarticulation. Nous sommes arrivés à cette expression remarquable du cylindre exprimé dans la géométrie de la figure 43 : Σ HL LL = ¼ Surf. Cyl. (cercle 2 AB ; axe HB ; hauteur AH)

60 Remarquable, en effet, car ce sont justement les lettres de la figure 42 ! Il n’y a besoin de changer aucune lettre, le cercle AB avait disparu, remplacé par le cercle de diamètre VB, pour garder les longueurs dans le passage du plan à l’espace, et voilà que, à la faveur d’un coefficient placé devant la surface du cylindre, le cercle de diamètre AB fait un retour (Pascal est un prestidigitateur). Après cet escamotage-réapparition digne du cinéma de Méliès (nous aurions juré que les cercles AB des figures 42 et 43 ne pouvaient pas être les mêmes, ils ne le sont pas géométriquement, mais « tout se passe comme si », grâce à une proportionnalité apparue en cours de calcul), le cercle VB qui apparaissait incontournable (et qui l’est en effet pour amorcer la démonstration) a disparu corps et biens des calculs ; Pascal a eu bien raison, a posteriori, si déroutant que ce soit, de nommer les cercles comme il l’a fait.

61 Ce cylindre « oblique » coupé par des plans perpendiculaires à son axe va tout de suite donner naissance à un cylindre de même surface, « droit » cette fois, mais dont la base est une ellipse. Pour la première fois, à l’avant-dernière page de la Lettre, alors qu’elle en est le sujet21, l’ellipse fait son apparition : Conclusion De toutes lesquelles choses il s’ensuit que la somme des représentantes HM (fig. 41), étant égale à la surface d’un cylindre oblique, elle sera par conséquent égale au rectangle qui a pour hauteur l’axe du cylindre oblique, et pour base la courbe de l’ellipse engendrée dans la surface du cylindre oblique par le plan perpendiculaire à l’axe. Or, la même somme des représentantes est déjà montrée égale à la courbe de la roulette multipliée par le rayon du cercle générateur. Donc la courbe de la roulette, multipliée par le rayon, est égale à la courbe d’une ellipse multipliée par l’axe d’un cylindre oblique donné. […] Ce qu’il fallait démontrer.

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62 On se souvient qu’il faut multiplier Σ HL LL par 2/R pour obtenir la longueur de l’arche entière de la roulette, ainsi :

puisque l’axe du cylindre oblique devient la hauteur du cylindre droit. Voilà l’égalité simple qui relie la courbe de la roulette entière (l’arche) à la courbe d’une ellipse. Il ne reste plus qu’à faire connaître par ses axes l’ellipse en question. Je dis que l’ellipse- section a pour petit axe AC’ (C’ sur IC, tel que AC’ soit perpendiculaire à IC, C’ n’est pas noté sur la figure), et pour grand axe AC, le diamètre du cercle sur lequel est élevé le cylindre oblique. Bien sûr, ce n’est pas la position géométrique de AC’ et de AC” qui compte ici, mais leur longueur.

63 Que AC’ soit l’un des deux axes est évident, puisque AC’ est perpendiculaire à l’axe du cylindre. Pour voir que AC est l’autre axe, mener le rayon BC” perpendiculaire à AB, alors BC” est perpendiculaire à deux droites du plan ABH (à savoir, AB, par définition de C”, et AH, car AH est perpendiculaire à toutes les droites du plan de base ; en réalité, C” n’est autre que T car T est le milieu de l’arc AC 22) ; BC”, perpendiculaire à deux droites du plan ABH, est perpendiculaire à toute droite de ce plan, donc à BH, cela suffit pour que 2 fois BC”, i.e. AC, soit le grand axe de l’ellipse-section. Le rapport des deux est le quotient (triangles semblables) de HA par HB.

64 En résumé, voici les deux axes de l’ellipse visibles dans la figure clé qu’est la figure 42 :

65 Grand axe = AC,

66 Ce qui nous permet d’écrire plus précisément :

67 Bien qu’on ne connaisse pas de formule pour la longueur d’une ellipse, il est certain que multiplier la longueur d’une ellipse par un coefficient revient à multiplier ses deux axes par ce même coefficient, ainsi on peut faire entrer HB/2R à l’intérieur de la parenthèse et écrire :

Comme AC = 4 R, il vient : Longueur roulette = long. ellipse (grand axe 2 HB ; petit axe 2 HA). Traduite en lettres de la figure 41, l’égalité s’écrit : Longueur roulette = long. ellipse (grand axe 2 HC ; petit axe 2 HF).

68 Une fois le coefficient devant la longueur de l’ellipse rentré dans les axes, la figure 42 se retire, elle a joué son rôle ; nous sommes dans la figure 41, et nous découvrons avec stupéfaction que les axes étaient là, sous nos yeux, à notre plus total insu, car Pascal n’en avait soufflé mot. Mais Pascal veut égaler l’arche de la roulette, non pas à une ellipse, comme le fait le calcul, mais à une demi-ellipse, comme c’est logique, puisque c’est une demi-ellipse qui a une forme d’arche ; il faut donc prendre l’ellipse double, donc celle dont les demi-axes sont 2HC (le grand demi-axe) et 2 HF (le petit demi-axe).

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69 Ce n’est pas sous cette forme que Pascal exprime les deux demi-axes, citons-le à nouveau : Soit fait comme la circonférence du cercle générateur à cette même circonférence plus la base de la roulette, ainsi le diamètre du cercle à une autre droite ; cette droite soit le grand demi-axe d’une ellipse. Soit fait comme la circonférence plus la base à la différence entre la circonférence et la base, ainsi le grand demi-axe à l’autre demi-axe.

70 Vérifions que le grand demi-axe donné par Pascal est bien 2 HC. Pascal affirme :

et on sait (discours de la figure 41) que l’égalité de définition de H est :

71 L’identité entre le grand demi-axe et 2 HC est presqu’évidente car :

en vertu de quoi,

ou encore :

72 En comparant avec la première égalité, celle qu’énonce Pascal pour le grand demi-axe, selon Pascal, qui n’a jamais dit comment il l’avait trouvée, on voit que ce grand demi- axe est bien 2HC. On trouverait pareillement que le petit demi-axe est bien 2HF, mais il est temps de s’arrêter.

Le calcul de l’infini à la manière de Pascal : les “petits arcs”

73 Il y a quatre démonstrations mettant en jeu des éléments infiniment petits, qui sont tous dans cette Lettre des « petits arcs nés d’une subdivision de l’arc en un nombre indéfini d’arcs égaux aux points… »

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Similitude entre deux séries de triangles de nature différente

74 Tout au début, sous l’égide de la figure 4123, “[la roue est divisée] en un nombre indéfini d’arcs égaux aux points M”, puis Pascal mène des parallèles à la base qui coupent la roulette en B. La roulette se voit ainsi divisée en un nombre indéfini de divisions inégales aux points B. Pascal confond alors l’arc BB et la sous-tendante (la corde) BB, comme on fait au XVIIe siècle, et suppose, dans un langage étonnamment prémonitoire que : Les divisions de la circonférence sont en si grand nombre que la somme de ces droites BB ne diffère de la courbe que d’une ligne moindre qu’aucune donnée.

75 On remarque l’aspect à la fois potentiel et actuel de cette subdivision en un nombre indéfini (actualité) et en si grand nombre que… (potentialité).

76 La roue roule, le point C initial (le clou) engendre les points B de la roulette (voir ci- dessus, au début, ce que dit Pascal décrivant la roulette à la suite de Mersenne), et pour chaque position de la roue, MB recoupe cette position de roue en O.

77 Le point H défini par

78 exprime la manière dont la roulette s’écarte de l’ordinaire, celle qui roule sans glisser, pour laquelle la base FA serait exactement la longueur arc CF de la roue. Ce qui nous intéresse ici, c’est que ce rapport se retrouve pour chaque avancée, même infinitésimale, de la roue, c’est-à-dire que l’on a aussi le rapport :

79 En remplaçant GF par son égal GM, cette égalité exprime que les triangles infinitésimaux de côtés (arc BO, portion de parallèle OB, BB) et les triangles finis de côtés (GM, GH, HM) sont semblables, chacun au sien, puisque les angles en O et en G sont égaux (angles à côtés perpendiculaires ; la portion de parallèle OB est perpendiculaire à GH, et l’arc BO est perpendiculaire à GM, car l’arc BO est l’arc MM translaté). On a alors l’égalité :

80 et BB est “représenté” par HM puisqu’ils sont dans le rapport constant (les arcs BO étant égaux à MM) :

Il arrivera que toutes ces droites [les HM] seront entre elles comme les sous- tendantes BB de la roulette, c’est pourquoi je les appelle les représentantes24.

81 Les représentantes HM sont des segments finis harmonieusement répartis sur un objet géométrique familier, le cercle, elles remplacent agréablement ces cordes

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infinitésimales BB de roulette dont les relations géométriques internes ne sautent pas aux yeux.

82 En faisant les produits en croix, on a l’égalité R × Σ BB = Σ HM MM qui réduit le problème de roulette à un problème de cercle. Cette réduction a été obtenue grâce à la similitude d’une collection de triangles infinitésimaux à une autre collection de triangles de côtés finis, chacun à chacun.

83 Pascal a employé un triangle caractéristique dans un lemme célèbre du Traité des sinus du quart de cercle (le troisième traité de la Lettre I). Ici il s’agit d’une extension de l’idée de triangle caractéristique car tout bouge quand le nombre de subdivisions augmente, tandis que le « triangle caractéristique » au sens strict devient de plus en plus petit, mais reste semblable à un triangle fixe.

H extérieur ou H intérieur, c’est la même chose

84 Le résultat de Wren25 a tout de suite été traduit par Pascal dans son langage propre, tout de suite été généralisé à toutes les sortes de roulettes par une méthode unifiée, et il reste encore une unification à faire, savoir : le cas du point extérieur englobe le cas du point intérieur. Et si on résout ce problème quand le point donné est au dehors, il sera résolu en même temps quand le point est au dedans. Car s’il y a deux cercles concentriques, dont les circonférences soient divisées chacune en un nombre indéfini d’arcs égaux la somme des droites menées d’un point quelconque de la grande circonférence à tous les points de division de la petite sera la même que la somme des droites menées d’un point quelconque, pris dans la petite circonférence, à tous les points de division de la grande. Et chacune des droites d’une multitude sera égale à chacune des droites de l’autre multitude, parce qu’elles sont les bases de triangles égaux et semblables. Et ainsi la somme des unes sera égale à la somme des autres, pourvu qu’elles soient multipliées par les mêmes arcs. Mais si on entend qu’elles soient multipliées chacune par les arcs auxquels elles se terminent, alors la somme de celles qui sont menées aux divisions de la grande circonférence sera à la somme des autres comme la grande circonférence est à l’autre, ou comme le grand rayon au petit. Et ainsi, si la somme des unes est donnée, la somme des autres le sera aussi, les deux cercles étant donnés.

85 Pascal ne donne pas de figure, laquelle est très facile à faire.

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86 H est intérieur à à la roue : le cercle de rayon GF avec les lettres de la première figure ; Pascal trace un deuxième cercle, de rayon GH. En appelant N les points équi-répartis sur le petit cercle et M ceux du grand, comme sur le dessin, chaque droite FN est égale à chaque droite HM, chacune à la sienne, non tracées pour ne pas surcharger le dessin. F joue le rôle de point extérieur au petit cercle, lequel joue le rôle de roue auxiliaire.

87 Mot-à-mot voici ce que dit Pascal, sachant que MM/NN est le rapport du grand rayon au petit :

88 Le second membre de la dernière égalité sera connu, dès lors qu’on saura résoudre le problème pour un point extérieur, donc le requis sera connu après avoir lu la Lettre II.

89 La seconde égalité est un fugitif intermédiaire de calcul pour éviter d’écrire Σ HM = Σ FN, égalité entre deux infinis, purement formelle et explicitement interdite par le formalisme pascalien. Mais multiplier FN par MM est artificiel et tout rentre dans l’ordre à la troisième égalité, où les segments sont “multipliés chacun par les arcs auxquels ils se terminent”.

L’égalité du Lemme, sous l’égide de la figure 42

90 Dans la figure 42, il y a trois séries de “petits arcs” et un foisonnement d’égalités : les LL, sur le cercle AB, essentiellement à imaginer, puisque deux L seulement sont représentés ; les MM sur le cercle AC de rayon double, trois M sont notés et l’un des trois a deux noms, M et T ; les NN sur le cercle du haut. Tous les LL, tous les MM, tous

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les NN sont égaux entre eux ; de plus LL = MM = NN. Pascal précise ce que sont les L au début de cette figure du Lemme : Soit le cercle donné ALB, (fig. 42), dont la circonférence soit divisée en un nombre indéfini d’arcs égaux en L. et considère, sans doute, que la figure est assez parlante pour dire comment M et N se déduisent de L. S’il est évident que N se déduit de M en suivant la génératrice, il ne ressort pas immédiatement de la figure que M se déduit de L par le fait que l’angle LBM est droit. Pascal ne le mentionne qu’à la fin pour les besoins de la démonstration, en passant, comme si cela allait de soi.

91 On remarque que, lorsque L est en A, M est en T, point qui marque la moitié du demi- cercle AC ; que, quand L est en B, M est en C, puisque LB est alors la tangente en C.

92 Donc, quand les L se répartissent sur le demi-cercle AB, les M se répartissent en le même “nombre indéfini” sur le quart de cercle TC, donnant lieu à une profusion d’égalités : Mais les arcs MM sont égaux tant entre eux qu’aux arcs LL […]

93 Vrai, puisque la longueur d’un demi-cercle est la même que celle d’un quart de cercle de rayon double, et qu’on subdivise en « le même nombre indéfini d’arcs égaux ». L’égalité entre MM et LL va tout de suite servir dans la preuve du Lemme qui énonce que : La somme des droites HL, multipliées chacune par chaque petit arc LL, est égale au quart de la surface du cylindre oblique, qui aura pour base le cercle AMC, dont le rayon sera de AB, et pour axe la droite HB, menée à l’autre extrémité du diamètre AB.

94 Sur la tangente en M (la touchante), on abaisse la perpendiculaire NO, qui est la hauteur du parallélogramme infinitésimal NNMM. Ces parallélogrammes composent, comme dit Pascal, la surface oblique IVTC qui n’est autre que le quart du cylindre entier. Chacun des parallélogrammes a pour surface NO MM (imaginer MM vraiment très petit, plus que sur la figure MM et O sont alors alignés) et Pascal montre que HL = NO, de par l’égalité des triangles HLB et NOM. On se souvient que LL = MM, et du coup, ∑ HL LL=Σ NO MM

95 c’est-à-dire le quart de cylindre.

96 Le Lemme est donc démontré moyennant l’égalité des triangles HLB et NOM qui découle de : • HB = NM, de par la correspondance entre N et M le long d’une génératrice ; • Angle en B = Angle en M, car BL est parallèle à OM, BM étant leur perpendiculaire commune ; HB est parallèle à NM, c’est la structure d’un cylindre) ; • Angle en L = Angle en O = un droit (car l’Angle en O est droit par définition de O, et BL est perpendiculaire à HL, puisque perpendiculaire aux deux droites AL et HA du plan AHL).

97 Plusieurs remarques : • La figure est faite pour représenter un parallélogramme MMNN avec M et M infiniment proches, mais ce n’est pas ce qu’elle fait. Deux points M infiniment proches seraient à la fois sur le cercle et sur sa tangente en M (la droite MO) ; le point O, lui, est à distance finie de M sur la tangente, à un endroit où la tangente ne coïncide plus du tout avec le cercle. Pour un point M dessiné « très près » du point M de tangence, les trois points M, M et O seraient alignés, mais la figure ne serait plus lisible ; Pascal a donc dessiné les points M trop distants, le prix à payer, c’est que M, M et O ne sont plus alignés, mais qu’il faut les penser tels,

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autrement dit, imaginer le deuxième point M sur le cercle avant que la tangente ne s’en sépare. On a ici affaire à une vraie représentation, si l’on entend par là différente d’une simple copie, en ce sens que le dessin est partiellement déconnecté de la réalité. La logique veut que la courbe coïncide étroitement avec la tangente, le dessin l’interdit, sous peine de confusion. • Des deux termes de l’égalité qui constitue le Lemme Σ HL LL = Σ NO MM, seul le deuxième représente une aire géométrique visible sur la figure, le premier est abstrait, il ne représente rien de visible, il faudrait lui faire subir des transformations pour le voir géométriquement. Le cas est fréquent chez Pascal, et cela peut même aller très loin, comme lorsque Pascal, écrit Dominique Descotes, « n’hésite pas à traiter en mêmes termes de sommes d’arcs, de carrés, de cubes et de carrés-carrés d’arcs. De telles constructions cessent d’être soumises aux limites de la géométrie naturelle26. » • Cette démonstration qui jongle avec les infiniment petits géométriques témoigne de l’aisance de Pascal avec ces êtres qui défient la logique, qu’on ne peut pas vraiment représenter, car ou bien c’est faux (MM existe, et peut donc toujours être encore plus petit et ce que l’on en dit n’est vrai qu’approximativement), ou bien c’est juste (MM s’évanouit, mais il n’y a plus rien sur quoi raisonner : par exemple pour qu’un morceau de courbe se confonde vraiment avec la tangente, il faut qu’il n’existe plus…) Tout le monde manie cette contradiction apparente au XVIIe siècle sans faire d’erreur, mais plus particulièrement un esprit habitué à réfléchir à l’infini, et à distinguer l’esprit de géométrie de l’esprit de finesse en mettant plus haut le second. La géométrie infinitésimale sur ses débuts est à mon sens le royaume de l’esprit de finesse.

Voyage des petites portions d’un cercle à l’autre, leur autonomie

98 Dans la figure 43, il y a aussi trois séries de petits arcs, les LL, les II, les ZZ. Ne nous occupons que des LL et des II27. Les LL sont sur le cercle AB, qui est la roue de la figure 41 installée dans la figure 43 ; les II sont sur le cercle VB qui, rappelons-le, est le substitut de la roue admissible dans la figure 42. Les petits arcs LL et II sont liés par un rapport de proportionnalité :

99 On se souvient de l’égalité HL = OI (OI dans l’espace, voir le paragraphe dédié à la figure 43). En vertu de quoi Pascal écrit plus bas ce qui se traduit mot-à-mot par l’égalité :

100 (voir les deux premières citations du paragraphe dédié au calcul des axes) qui donne Σ HL LL via la figure 42, c’est le but de toute l’opération, bien sûr, mais ce qui m’intéresse ici, c’est l’écriture Σ HL II “donc la somme des HL multipliée par les mêmes arcs II” dit Pascal etc. Généralement les sommes pascaliennes, ces sommes d’éléments géométriques finis multipliés par des éléments infinitésimaux qui naissent de la division d’une ligne en un nombre indéfini de… ont toujours la forme Σ OA AA ou Σ OA OO, mais pas Σ OA TT où T n’est ni O ni A… Il y a une sorte de délocalisation étrange à séparer les HL de leurs infiniment petits naturels et de les multiplier par les II qui ne sont pas attenants. Comme si, en langage leibnizien, on rencontrait une « somme de f(z)dt ». C’est un signe de l’autonomie des “petites portions” pascaliennes (qui sont toujours dans la Lettre II issues d’un arc de cercle, c’est-à-dire des “petits arcs”).

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Il y a un véritable concept de différentielle chez Pascal

101 En quoi consiste la spécificité du calcul de l’infini chez Pascal, son timbre propre dirait Bourbaki28 ? Au XVIIe siècle, tout le monde remet en cause, ou du moins aménage, la méthode d’exhaustion beaucoup trop lourde, devant l’afflux des nouvelles « fonctions » (logarithme, roulette, conchoïde, etc) ; méthode des indivisibles avec une dimension de moins que les objets à calculer de Cavalieri, empilements de rectangles à épaisseur infinitésimale de Roberval ou Torricelli, calcul avec des proportions d’apparence euclidienne, audacieusement étendues à l’infini, de Wallis, etc.

102 Le timbre propre à Pascal est profond, Pascal dégage une idée, l’idée de différentielle ; ce n’est pas à dire que les autres, notamment Roberval29, ne fassent figurer dans leurs calculs des éléments que nous lisons aujourd’hui comme des différentielles, mais c’est Pascal qui dégage l’idée de “petites portions”, qui les nomme, les considère pour elles- mêmes. Cela se trouve dans le premier traité de la Lettre I : les “petites portions” y sont définies de manière générale comme naissant de la subdivision (en un nombre indéfini de parties égales aux points…) d’une droite (assimilable à notre axe des x ou des y) ou d’une courbe générale (pas seulement un cercle, comme c’est le cas dans la Lettre II). Les “petites portions” donnent alors lieu à tout un système d’abréviation clairement formulé – et Pascal s’y connaît en matière de définition de nom –, ainsi qu’à de multiples illustrations. Au terme de la Lettre à Carcavy, Pascal aura fait part à ses lecteurs d’un vrai concept de différentielle (géométrique)30.

103 Toutes ces “petites portions” pascaliennes que nous lisons aujourd’hui, à la fois justement et abusivement, comme des ds, des dx ou des dy donnent lieu à des échanges ; par exemple, on l’a vu dans cette Lettre à Huygens, les LL deviennent des II dans la démonstration sous l’égide de la figure 43 ; par exemple aussi, plus signifiant, dans le traité des trilignes, le deuxième de la Lettre I, toutes les propositions générales sont des égalités de “sommes” écrites avec des “petites portions” nées de lignes différentes, anachroniquement : dx dans le premier membre, dy ou ds dans le second31.

104 Nous sommes en 1658. Le concept de différentielle, invention dont on crédite de Leibniz, date de 1675 environ. En quoi les « différentielles géométriques » de Pascal, comme il me semble juste de les nommer, préfigurent-elles les différentielles analytiques de Leibniz ? En quoi en diffèrent-elles notablement ?

105 Dans Historia et Origo, Leibniz livre le cheminement de sa découverte du calcul intégralo-différentiel. Tout a commencé dans l’arithmétique : une suite donnée donne naissance à une autre suite obtenue en faisant la différence de deux termes consécutifs, rien n’empêche de recommencer avec cette deuxième suite, et ainsi ad infinitum… L’opération d qui consiste à prendre la différence est d’entrée de jeu susceptible d’être répétée.

106 Sans entrer dans les détails disons que les différences infinitésimales s’originent dans les différences finies. Traduite dans le calcul infinitésimal, cette opération d – la notation d est un immense coup de génie – se répète aussi, et on arrivera aux dérivées successives et aux innombrables développements que cela permet. Rien de tel avec MM qui nous laisse stagner au premier ordre, car l’objet MM n’est pas vu comme une différence (et encore moins comme un opérateur) puisqu’il naît d’une division indéfinie, et non pas de la soustraction entre deux éléments consécutifs – géométriques ou analytiques, peu importe ici32.

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107 La seule chose dont on peut créditer Pascal, et ce n’est pas rien puisque personne ne l’avait fait avant lui, c’est d’avoir isolé par la pensée et par une notation (du genre MM) ces “petites portions” géométriques qui sont le début, le nécessaire stade un de la différentielle leibnizienne promise à un avenir indéfectible, puisqu’elle aura finalement bravé tous les changements de statut qu’on lui a fait subir afin de la rendre compatible avec la logique33. Le seul point commun indéniable entre les différentielles de Pascal et celles de Leibniz est la manière dont elles figurent dans les intégrales (les sommes, dit Pascal), c’est un calque si l’on fait abstraction de la nature géométrique de ces sommes. Pascal est capable de répéter l’opération somme, i.e. de créer, à sa manière, des intégrales doubles ou triples, comme il le fait dans la Lettre I, mais il n’y a pas de début d’idée de différentielle d’ordre supérieur : la notation MM ne se prête pas à noter la répétition 34.

108 En revanche, jusqu’à preuve du contraire, je pense pouvoir affirmer que personne d’autre que Pascal n’a, avant Leibniz, fait usage conscient de différentielles pour calculer.

L’art d’agréer : beauté et harmonie des dessins jusque dans les notations

109 Retournons au calcul des axes effectué ci-dessus. La logique veut que ce soit le cylindre oblique bâti sur le cercle de diamètre 2 VB (Fig. 43) – celui que nous avons appelé Cyl. (cercle 2 VB ; axe OB ; hauteur OV) – que l’on transporte dans Fig. 42. Ce cylindre est facile à imaginer dans Fig. 43 avant son transport dans Fig. 42. Mais il est précédé, calculatoirement parlant, du coefficient AB/BV.

110 Deux chemins sont alors possibles, on peut :

111 (1) Continuer en calculant les axes de l’ellipse-section-droite de Cyl. (cercle 2 VB ; axe OB ; hauteur OV), grâce à la figure 42, en lui mettant de nouvelles lettres : V à la place de A, O à la place de H, B restant B ; d’autres coefficients vont apparaître, que l’on fera entrer en compagnie de AB/BV dans les axes de l’ellipse, et ce, tout à la fin. Tout ira bien, se simplifiera ; mais c’est long, et, surtout, on ne comprend pas pourquoi Pascal a mis ces lettres trompeuses à la figure 42 : pourquoi il a nommé d’un même nom AB deux cercles « nécessairement » différents. Cela ne lui ressemble guère : il ôte la confusion (un peu partout), jamais il n’en crée.

112 (2) Faire entrer tout de suite AB/BV à l’intérieur de la parenthèse pour avoir Cyl. (cercle 2 AB ; axe OB ; hauteur OV) ou (tour de passe-passe) Cyl. (cercle 2 AB ; axe BH ; hauteur AH), c’est ce qui est fait dans le paragraphe-calcul-des-axes, c’est plus court, et, surtout, c’est plus conforme à l’esprit de Pascal, étranger à la confusion. Pascal, par cette identité de notation nous informe d’avance de ce qu’il veut que nous fassions ; une fois de plus, et magistralement, les figures parlent à la place du texte qui se tait. Le deuxième est le bon chemin pour calculer les axes, inutile de renommer les points comme en (1) puisque les lettres A, B, H de la figure 42 sont, contre toute attente, pertinentes : un tour de magie qui s’est opéré spontanément sur les notations a rendu possible l’impossible. Simplement parce que, en cours de calcul – c’était difficile à deviner ! – les segments se sont affranchis de leur position géométrique, ils ne sont plus que des segments « à une égalité près ». Pascal calcule avec la géométrie comme si

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c’était de l’algèbre. L’économie du changement de notation engendre, comme toute économie de moyens, un grand sentiment d’esthétique ici.

113 Une remarque plus générale qui concerne tout le calcul infinitésimal de l’auteur : Pascal utilise toujours la même lettre pour signifier les points issus du découpage d’une ligne en un nombre indéfini de parties égales. Il est seul à faire cela, pourtant cette notation est plus claire que celle, courante, par lettres successives comme A, B, C, etc., qui laisse toujours une impression étrange née de la finitude de l’alphabet : que faire quand les vingt cinq lettres auront été utilisées? Une seule lettre, répétée, pour imaginer une infinité de points, voilà qui est simple, harmonieux à regarder, et logiquement satisfaisant.

114 Dans la figure 41, cinq points M sont marqués pour représenter l’infinité (l’indéfinéité, si l’on ose dire), ceux des extrémités recevant deux noms, M et C, M et F.

115 La figure 42 montre que Pascal a pensé tous les détails. Le point L décrit le demi-cercle AB ; seuls deux des L nés de la division en un nombre indéfini d’arcs égaux en L sont représentés ; représenter l’infini par deux est audacieux, mais Pascal a soigneusement mis un L sur chacune des moitiés du demi-cercle, pour indiquer que l’infinité s’étendait des deux côtés. En revanche, les points M marqués par Pascal sont tous sur la moitié droite du grand demi-cercle AC ; de plus on voit que le dernier point M sur la gauche s’appelle aussi T, point qui marque la moitié du demi-cercle AC. C’est une façon graphique, meilleure qu’un discours, d’indiquer la nature de la correspondance entre L et M. En effet, quand L part de A, M part de T, puisque T est le premier point M, et l’angle LBM, ou ABT, est droit au départ ; il y a toutes les chances que l’angle LBM soit droit tout le temps, et c’est bien le cas. Inutile de le dire, le dessin parle. Si on lève un peu les yeux, on voit que la même chose a lieu sur le cercle du haut, de diamètre KI, avec le point marqué V et si l’on joint VT avec une règle il apparaît que VT est parallèle à toutes les génératrices MN. Le dernier M et le dernier N sur la gauche ont deux noms (à un lapsus près, voir la note qui suit). Cette manière d’indiquer les points frontière par deux noms, un nom de point générique et un nom de point d’arrêt est propre à Pascal35. Le dessin de la figure 42 est un travail d’orfèvre ciselé dans ses moindres détails.

116 Œuvres du graveur et du mathématicien, les trois figures sont impressionnantes tant dans l’ensemble logique qu’elles réalisent que dans le choix de leurs notations. En elles se mêlent une perfection de l’architecture et une perfection de l’iconographie. Un art de persuader comme un art d’agréer.

Le droit et le courbe : les idées du siècle et de Pascal, le dénouement par Fermat

117 La partie mathématique de la Lettre à Huygens s’achève lorsque Pascal donne ce qu’il appelle, bien qu’il n’effectue pas le calcul, le calcul des deux axes de l’ellipse, c’est-à-dire, les égalités que nous avons citées ci-dessus (dans les paragraphes concernant le calcul des axes). Leur réécriture en termes modernes est :

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118 Pascal va maintenant parler du devenir de l’ellipse lorsque la roulette se rapproche de l’ordinaire avant de se livrer, à la suite de Sluze, à des considérations spéculatives plus élevées sur le droit et le courbe en général. On voit aussi, par toutes ces choses, que plus la base de la roulette approche d’être égale à la circonférence du cercle générateur, plus le petit axe de l’ellipse qui lui est égale devient petit à l’égard du grand axe ; et que quand la base est égale à la circonférence, c’est-à-dire quand la roulette est simple, le petit axe de l’ellipse est entièrement anéanti ; et qu’alors la ligne courbe de l’ellipse (laquelle est toute aplatie), est la même chose qu’une ligne droite, savoir son grand axe. Et de là vient qu’en ce cas la courbe de la roulette est aussi égale à une ligne droite.

119 Jusqu’ici ce commentaire de Pascal n’a rien que de très mathématique. Avant d’aborder la suite, nettement plus métaphysique, il convient de revenir en arrière, en 1658, pour résumer un moment crucial du concours de la roulette, dont les solutions font l’objet de la Lettre I 36.

120 En août 1658, Wren envoie à Pascal un résultat non demandé dans les Problèmes de Juin (les seuls posés à ce moment), parce que Pascal n’était pas en possession de sa démonstration. La découverte de Wren fit sensation. La voici : L’arc CB de la roulette est le double de la corde CD de la roue, BD étant parallèle à la base.La roulette entière a donc pour longueur le double du diamètre de sa roue. Une ligne courbe se voit égalée à un segment de la figure.

121 Pascal en profite pour poser les Problèmes d’Octobre dont la solution dépend de la connaissance de la ligne : longueur et centre de gravité de l’arc, surface et centre de gravité des solides autour de l’axe et de la base ; neuf problèmes en tout, comme en juin, mais plus difficiles. Pascal est ravi du cadeau de Wren : c’était la seule chose qui lui manquait pour que sa méthode générale lui permette de résoudre ce nouveau groupe de problèmes. En même temps son orgueil est piqué au vif, ce n’est pas lui qui a trouvé la longueur de la roulette. Voilà donc un autre effet du cadeau, Pascal se met au travail, généralise le résultat de Wren en montrant que toutes les roulettes, allongées, ordinaire, accourcies ont leur ligne courbe égale à celle d’une ellipse. Le petit axe de l’ellipse mesure le défaut de roulement sans glissement, aussi, pour la roulette ordinaire, l’ellipse est-elle réduite à un segment. Nous voici revenus à la Lettre II, qui est un prolongement de la Lettre I.

122 Pour nous, vivant au XXIe siècle, disposant depuis longtemps d’un ensemble de nombres assez grand pour que les arcs de courbe s’y voient représentés, le résultat de Wren a perdu sa faculté de stupéfier. Mais au XVIIe siècle, rectifier une courbe, ce n’était pas trouver un nombre, c’était exhiber un segment égal à la courbe, concrètement, sur le dessin, par une construction tacitement autorisée. D’étonnantes idées à propos de ce que nous appelons aujourd’hui la rectification régnaient alors. Descartes pensait que la

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proportion entre les droites et les courbes était à jamais inconnue des hommes, au contraire de Dieu, qui pouvait y avoir accès. La découverte de Wren n’infligea pas de démenti au fantasme de Descartes. Au contraire, conjuguée avec la généralisation de Pascal, elle le renforça ; en effet, Sluze et Pascal articulèrent de façon remarquable ces trois faits : la croyance de Descartes, la rectification de la roulette ordinaire par Wren, et l’égalité des lignes de roulettes généralisées à des lignes d’ellipses démontrée par Pascal. Ce fut pour cela que je fis mander à ceux à qui j’envoyai ce calcul que les courbes des roulettes étaient toujours, par leur nature, égales à des ellipses, et que cette admirable égalité de la courbe de la roulette simple à une droite, que Monsieur Wren a trouvée n’était, pour ainsi dire, qu’une égalité par accident, qui vient de ce qu’en ce cas l’ellipse se trouve réduite à une droite. A quoi Monsieur de Sluze ajouta cette belle remarque, dans sa réponse du mois de septembre dernier, qu’on devrait encore admirer sur cela l’ordre de la nature, qui ne permet point qu’on trouve une droite égale à une courbe, qu’après qu’on a déjà supposé l’égalité d’une droite à une courbe. Et qu’ainsi dans la roulette simple, où l’on suppose que la base est égale à la circonférence du générateur, il arrive que la courbe de la roulette est égale à une droite.

123 Pour Sluze la seule manière qu’une courbe soit rectifiable est que dans sa génération même une autre courbe soit déjà égale à un autre segment ; preuve : pour la roulette ordinaire le segment AF est égal à l’arc de cercle CF et pour les autres roulettes où cette égalité n’a plus lieu, la ligne n’est plus un segment. Chez Pascal on lit entre les lignes un argument « probabiliste », cette égalité “par accident” de la ligne de la roulette à une droite n’est-elle pas un évènement de mesure nulle comme l’est l’ellipse aplatie? Descartes sort intact : la roulette n’est pas géométrique, elle est une courbe mécanique qui a déjà payé un certain prix d’incommensurabilité de par sa nature même. À ce point la croyance de Descartes est seulement affinée : aucune courbe géométrique n’est rectifiable (Sluze) et même pour les autres le risque est faible (Pascal). Grâce à l’appui d’un seul exemple la croyance primitive est à ce point d’élaboration quand Fermat intervient.

124 Le passage cité ci-dessus est la toute fin de la Lettre II, visiblement la remarque de Sluze a fait grande impression sur Pascal.

125 Qu’en est-il des deux appels à la nature dans ce passage ?

126 Lorsque Pascal écrit que les courbes des roulettes sont “par leur nature” égales à des ellipses, “par leur nature” ne rajoute rien : enlevons cette expression, cela n’empêchera pas que la Lettre II est une démonstration, articulée s’il en est, de cette égalité. Dire alors que cette égalité a lieu “par leur nature” est un commentaire extérieur à une égalité de longueurs dûment prouvée et le commentaire ne se substitue en rien à la preuve. C’est bien autre chose d’affirmer que la nature ne permet point de rectifier une courbe sauf si sa définition suppose déjà « l’égalité d’une droite à une courbe ». Où est la preuve d’une impossibilité pareille ?

127 Pascal évoque la nature à d’autres endroits de son œuvre, par exemple, à la fin de La sommation des puissances numériques, il loue “la nature éprise d’unité” qui permet que l’on néglige les degrés inférieurs pareillement dans la géométrie et dans les nombres37 : Je ne parlerai pas des autres cas ; ce n’est pas ici le lieu ; j’ai noté ces résultats en passant ; le reste est facile à pénétrer si l’on pose ce principe : dans le cas d’une grandeur continue, des grandeurs d’un genre quelconque, ajoutées en tel nombre qu’on voudra, à une grandeur d’un genre supérieur, ne l’augmentent de rien. Ainsi les points n’ajoutent rien aux lignes, les lignes aux surfaces, les surfaces aux solides, ou, pour

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employer le langage des nombres dans un traité consacré aux nombres, les racines ne comptent pas par rapport aux carrés, les carrés par rapport aux cubes, les cubes par rapport aux carrés-carrés, etc. Donc les degrés inférieurs doivent être négligés comme dépourvus de toute valeur. Ces points sont familiers à ceux qui ont étudié les indivisibles, mais j’ai cru bon de leur consacrer cette addition, afin que la liaison, digne d’une admiration inlassable, que la nature éprise d’unité établit entre les choses les plus éloignées en apparence ressorte de cet exemple, où l’on peut voir la mesure d’une grandeur continue inséparable de la sommation des puissances numériques.

128 Là non plus l’analogie ne prend pas la place d’une preuve, laquelle est faite les deux fois. Le passage du discret au continu (i.e. des puissances numériques aux intégrales de paraboles) permet de négliger certains termes qu’il fallait auparavant prendre en compte, on se retrouve alors dans la situation de la dimension en géométrie. Comme la preuve est donnée dans les premiers cas seulement, Pascal nous indique que le principe permet de prévoir que c’est vrai aussi loin que l’on veut, c’est ce qu’il dit en substance (“le reste est facile à pénétrer”), et c’est exact. L’analogie commente et prévoit, mais le fait que la nature soit éprise d’unité est un jugement philosophique après-coup.

129 On trouve dans la Préface sur le Traité du vide38 une autre sorte de relation entre la nature et les assertions en physique : C’est ainsi que, sur le sujet du vide, ils avaient droit de dire que la nature n’en souffrait point, parce que toutes leurs expériences leur avaient toujours fait remarquer qu’elle l’abhorrait et ne le pouvait souffrir. Mais si les nouvelles expériences leur avaient été connues, peut-être auraient-ils trouvé sujet d’affirmer ce qu’ils ont eu sujet de nier par là que le vide n’avait point encore paru. Aussi, dans le jugement qu’ils ont fait que la nature ne souffrait point de vide, ils n’ont entendu parler de la nature qu’en l’état où ils la connaissaient ; puisque, pour le dire généralement, ce ne serait assez de l’avoir vu constamment en cent rencontres différentes, ni en mille, ni en tout autre nombre, quelque grand qu’il soit ; puisque s’il restait un seul cas à examiner, ce seul suffirait pour empêcher la définition générale, et si un seul était contraire, ce seul…

130 Un jugement général, comme “la nature ne souffre pas de vide” a une légitimité en physique, tant que le réel n’apporte pas de démenti.

131 Revenons à la fin de la Lettre II, à la “belle remarque “ de Sluze, où il est une deuxième fois question de la nature, où il faut admirer “l’ordre de la nature qui ne permet point” (le doute n’est pas ouvert, pas plus que chez les tenants de l’horreur du vide, mais est- ce bien pareil?) “qu’on trouve une droite égale à une courbe”, le tout suivi d’une condition restrictive “qu’après qu’on a déjà supposé l’égalité d’une droite à une courbe”.

132 Résumons-nous : en physique on peut affirmer universellement tant que le réel ne s’insurge pas, mais en mathématiques, la remarque de Sluze, comme tout énoncé, exige une démonstration. Je laisse à penser la difficulté de formaliser un énoncé de ce théorème d’impossibilité avec sa condition restrictive… Heureusement ce n’est pas la peine, puisqu’il est faux, comme l’a montré Fermat en annonçant qu’il a rectifié une courbe parfaitement présentable, une vraie courbe admise par La Géométrie de Descartes : la parabole semi-cubique (“et si un seul [cas] était contraire, ce seul….”) Le segment est là, sur la figure, il est facile à construire, il ne requiert aucune égalité préalable d’une autre ligne courbe à un autre segment Jamais encore, que je sache, une ligne courbe purement géométrique n’a été égalée par les géomètres à une droite donnée. Ce qu’en effet un subtil mathématicien anglais [Wren] a récemment découvert et démontré, que la cycloïde primaire est quadruple du diamètre du cercle qui l’engendre, paraît devoir se limiter, d’après l’avis

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des plus savants géomètres. Ils pensent en effet que c’est une loi et un ordre de la nature qu’on ne puisse trouver une droite égale à une courbe, à moins de supposer d’abord une autre droite égale à une autre courbe, et prenant cet exemple de la cycloïde, ils montrent qu’il en est ainsi dans ce cas. Je ne le nie pas ; il est clair en effet que le tracé de la cycloïde suppose l’égalité d’une autre courbe avec une droite, à savoir celle de la circonférence du cercle générateur de la cycloïde avec la droite qui est la base de la cycloïde. Mais on va voir ci-dessous ce qu’il en est de cette loi de la nature qu’ils établissent, et combien il est dangereux sur un ou deux faits d’expérience de conclure aussitôt à un axiome. Je vais en effet démontrer l’égalité à une droite d’une courbe véritablement géométrique et pour la construction de laquelle on n’a à supposer aucune égalité semblable d’une autre courbe avec une droite […]39

133 Il reste étonnant que Pascal ait adhéré sans condition à la remarque de Sluze. Cette remarque est tout au plus une hypothèse, pourtant elle n’est pas dite comme telle, mais comme une propriété de la nature (qui ne permet point…). Il ne semble pas que Sluze ou Pascal aient envisagé la possibilité d’un démenti à cette assertion qui ne fait pourtant pas l’objet de la moindre démonstration. À l’intérieur des mathématiques cette remarque a seulement la légitimité d’un énoncé de physique, jamais astreint à une démonstration définitive, toujours à confronter avec le réel, énoncé auquel Fermat a apporté un démenti avec le contre-exemple de la parabole semi-cubique.

Conclusion : longueur des ellipses et nouvelles fonctions

134 Un autre théorème d’impossibilité – pressenti bien avant une preuve –, qui déborde notre sujet tout en lui étant lié, est celui qui affirme que la longueur de l’arc général d’ellipse ne peut pas s’exprimer à l’aide des fonctions élémentaires. Tout d’abord remarquons que cet herbier que constitue la collection des fonctions élémentaires n’a de définition qu’arbitraire, mais assez immuable, et qu’ainsi tout le monde est à peu près d’accord sur ce qui s’y trouve enclos. Ensuite, on connaît les formules donnant l’aire du disque, la longueur du cercle, l’aire de l’ellipse : , 2πR, πab, mais on ne donne nulle part de formule semblable pour la longueur de l’ellipse entière, ce qui trouble les esprits, pourquoi est-ce si facile d’avoir l’aire et pas le périmètre? Plus généralement, si l’on s’intéresse à la longueur de l’arc quelconque d’ellipse, l’intégrale qui la donne est fonction de sa borne supérieure x (qui représente le point qui borne l’arc), appellons la I(x) ; elle contient un coefficient k qui redonne le cas du cercle (de la longueur de son arc) s’il est nul. Comme on n’arrivait pas, aux XVIIe et XVIIIe siècles, à l’exprimer à l’aide des fonctions habituelles, à défaut on s’est contenté (Wallis, et d’autres) de développements en série qui fournissaient des approximations. Puis on s’est mis, à la fin du XVIIIe à étudier les propriétés de cette intégrale de longueur d’arc, I(x), comme une nouvelle fonction, pour elle-même, on lui a même donné un nom : « intégrale elliptique » ; mais toujours sans savoir si elle pouvait ou non s’exprimer à l’aide des fonctions élémentaires. Ne pas y arriver ne prouve pas que c’est impossible…

135 Un grand pas a été accompli au début du XIXe siècle, indépendamment, par Abel et Jacobi qui ont eu deux idées fécondes : inverser le point de vue (voir la borne supérieure comme fonction de l’intégrale au lieu du contraire, bien plus naturel) et passer dans le champ complexe ; cette fonction inverse de l’intégrale elliptique, le « sinus elliptique », est un être nouveau ne faisant pas partie des fonctions consignées dans l’herbier et de ce que l’on peut en faire par les opérations autorisées. Comme tout

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théorème d’impossibilité, cette assertion est difficile à montrer, cela a été fait peu après par Liouville. La théorie des fonctions elliptiques s’est, depuis, tellement envolée dans les hautes sphères de l’abstraction qu’elle en a oublié ses origines, à tel point que le nom de Liouville, qui a montré l’impossibilité d’exprimer l’intégrale elliptique en fonction des fonctions élémentaires, n’est pratiquement jamais mentionné, et que c’est encore plus difficile de savoir où cela se trouve dans ses écrits 40.

136 Il y a beaucoup d’analogies entre les sinus elliptique, cosinus elliptique, et les habituelles fonctions circulaires sinus, cosinus : • Toutes sont périodiques, les premières doublement (deux périodes et leurs combinaisons entières), les secondes simplement (une période, 2π, et ses multiples). • L’intégrale elliptique I(x) contient un coefficient k qui redonne le cas du cercle s’il est nul : I(x) est l’analogue de la fonction « élémentaire » arc sinus (inverse du sinus) qui s’exprime aussi par une intégrale. I(x) et sinus elliptique sont dans le même rapport que arc sinus et sinus : inverses l’une de l’autre. • Elles ont des formules d’addition qui se ressemblent formellement.

137 La recherche d’analogies avec les fonctions circulaires a beaucoup guidé les travaux mathématiques sur ce sujet, et je voudrais conclure en disant que Pascal a, par ce profond traité du cercle qu’est au fond la Lettre I, fait entrer les fonctions circulaires dans le champ du calcul intégral, cela ne se sait pas assez. Il a réussi à calculer un grand nombre de sommes comme par exemple la somme curviligne de sinus multiplié par cosinus-carré et encore multiplié par l’arc, sans recourir à la primitive. Qui pourrait encore faire cela aujourd’hui? On a peut-être trop tendance à penser que les méthodes géométriques de Pascal ne sont qu’un archaïsme en 1658, à une époque où les méthodes analytiques sont arrivées sur le devant de la scène. Employer la géométrie est peut-être archaïque, mais le faire comme Pascal est manifestement très abstrait, puisqu’il crée des solides irreprésentables, hors des sens. Renvoyons à ce que dit Dominique Descotes : De telles constructions [comme les sommes de carrés-carrés d’arcs qui ont cinq dimensions] cessent d’être soumises aux limites de la géométrie naturelle. En d’autres termes la figure se retourne pour ainsi dire contre elle-même : ses éléments ne fournissent plus qu’un matériel géométrique élémentaire, qui ne sert au lecteur que de point de départ visuel, pour parvenir à un degré de réflexion où l’imagination devient aveugle 41 : son caractère figuratif ne sert plus que d’adjuvant provisoire.

138 Pascal refuse le calcul algébrique, il écrit tout en langue française, sans employer jamais aucun signe autre que des lettres pour désigner les points, comme Archimède ou Euclide. Mais ce caractère aveugle qui fait la force du calcul algébrique, Pascal le transfère à la géométrie. C’est une sorte d’abstraction différente de celle qui consiste à soumettre la géométrie aux nombres, mais c’en est une aussi, et, à mon sens, lointainement annonciatrice de nouvelles manières de considérer la géométrie. La figure ne représente plus les objets : elle sert de modèle pour effectuer des calculs sur des corps difficilement concevables, comportant un nombre virtuellement infini de dimensions, sans chercher à les réduire aux objets visibles de la géométrie élémentaire.42.

139 Aujourd’hui le pouvoir expressif reconnu à la géométrie, – même quand les figures sont nécessairement fausses – fait que l’on n’hésite pas à représenter l’irreprésentable : des droites inclinées qui se courbent pour ne pas rencontrer leur parallèle (géométries non euclidiennes) ; une surface de Riemann ou une bouteille de Klein qui se recoupent elles-

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mêmes malgré leur définition abstraite laquelle n’avait pas à s’astreindre aux trois dimensions dans lesquelles a nécessairement lieu la représentation.

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NOTES

1. Ci-dessous, le dessin est ajouté pour faciliter la compréhension ; il en sera de même des autres dessins aisés à distinguer des trois figures de Pascal. Dans le mouvement ordinaire l’arc CD est constamment égal au segment BD ou FΦ. 2. Pascal, Œuvres complètes, IV, éd. J. Mesnard, Paris, Desclée de Brouwer, 1992, p. 214. Cette édition sera désignée dans la suite par le signe OC suivi du numéro du volume. 3. À la suite de ce qu’en a dit Émile Picard, « On trouve, écrit Émile Picard, dans l’ouvrage de Pascal sur la roulette, sous des formes géométriques extrêmement ingénieuses, les résultats fondamentaux se rapportant à ce que les géomètres appellent aujourd’hui les intégrales curvilignes et les intégrales doubles, et il suffit pour indiquer la puissance de ces méthodes, de rappeler le beau théorème sur l’égalité à un arc d’ellipse d’un arc de cycloïde allongée ou accourcie… C’est le premier Traité de calcul intégral », Pascal, Œuvres complètes, éd. Jacques Chevalier, 1964, Pléiade, p. 175. 4. La Lettre II se trouve dans OC IV, pp. 524-530. Son titre complet est « Lettre de A. Dettonville à M. Huygens de Zulichem en lui envoyant la dimension des lignes de toutes sortes de roulettes, lesquelles il montre être égales à des lignes elliptiques ». Émile Picard (note précédente) considère que le premier traité de calcul intégral est l’ensemble des Lettres I et II. 5. OC IV, p. 391. 6. Comme les trois figures forment un système, elles seront reproduites (une deuxième fois) sur une même page à la fin du texte, de manière à pouvoir passer facilement de l’une à l’autre. 7. La partie de l’œuvre mathématique de Pascal qui traite de géométrie infinitésimale – les quatre Lettres – se trouve dans OC IV de même que les écrits afférents au concours lancé par Pascal et aux nombreuses péripéties qui ont suivi. 8. OC IV, p. 565. 9. Les citations de Pascal seront toujours données ou bien sous cette forme, ou bien si elles sont plus courtes, entre des guillemets anglais qui leur sont réservés. Les guillemets français serviront donc dans tous les autres cas. 10. Cette démonstration infinitésimale est donnée ci-dessous, en compagnie de trois autres, dans le paragraphe « Le calcul de l’infini ». 11. Voir la note précédente. 12. OC IV, p. 517. 13. Traité de la roulette, Sept traités, ou même Traité, tout cela sera synonyme pour désigner ce pur joyau du calcul infinitésimal qu’est la Lettre I divisée en sept petits traités. 14. Un cercle sera désigné ici par son diamètre ; un demi-cercle pareillement. 15. Voir la note 10. 16. Calcul algébrique sans difficulté, Pascal l’explicite cependant, cf. OC IV, p. 528. 17. Écrire BA + AH = BH, élever au carré et utiliser les égalités définissant V et O. 18. Cela rappelle ce que dit Gilberte de son frère : « Mais il concevait l’éloquence comme un moyen de dire les choses d’une manière que tous ceux à qui l’on parle les puissent entendre sans peine et avec plaisir, et il concevait que cet art consistait dans de certaines dispositions qui doivent se trouver entre l’esprit et le cœur de ceux à qui l’on parle, et les pensées et les expressions dont on se sert ; mais que les proportions ne s’ajustent proprement ensemble que par le tour qu’on y donne. C’est pourquoi il avait fort étudié le cœur de l’homme et son esprit ; il en savait tous les ressorts parfaitement bien. Quand il pensait quelque chose, il se mettait à la place de ceux qui devaient l’entendre », La vie de Pascal (deuxième version), OC I, p. 617. Et aussi « […] On trouve dans soi-même la vérité de ce qu’on entend, laquelle on ne savait pas qu’elle y fût, de

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sorte qu’on est porté à aimer celui qui nous la fait sentir, car il ne nous a point fait montre de son bien, mais du nôtre. » Pensées, éd. Ph. Sellier, fr. 536. 19. Voir Dominique Descotes, Blaise Pascal : Littérature et géométrie, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2001, spécialement III Poétique et dramaturgie géométriques, p. 85-109. 20. Il s’agit simplement de transformer la forme d’une proportion ; voir la fin du paragraphe suivant. 21. Comme le dit son titre, voir la note 4. 22. Voir ci-après, beauté et harmonie des dessins jusque dans les notations. 23. Voir ci-dessus Les trois figures. 24. Ce n’est sans doute pas par hasard que Pascal emploie ce mot de représentantes qui évoque le théâtre. À propos de la dramaturgie dans les Lettres, voir l’ouvrage de Dominique Descotes cité n. 19. 25. Voir ci-après le paragraphe Le droit et le courbe. 26. Voir Dominique Descotes Les images dans les œuvres scientifiques de Port-Royal, Actes du colloque de Port-Royal et les images, CÉRÉdI, Rouen. http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php? id=600, spécialement p. 22-26. 27. Mes efforts pour apercevoir un quelconque intérêt aux ZZ ont été vains. Je ne leur vois pas d’intérêt en eux-mêmes, ni ne vois en quoi ils servent au propos ou aux démonstrations de Pascal dans cette Lettre. 28. « […] Et à vrai dire, tandis qu’à la même époque d’autres créations mathématiques, l’arithmétique de Fermat, la dynamique de Newton, portent un cachet fortement individuel, c’est bien au déroulement graduel et inévitable d’une symphonie, où le « Zeitgeist », à la fois compositeur et chef d’orchestre, tiendrait le bâton, que fait songer le développement du calcul infinitésimal au XVIIe siècle : chacun y exécute sa partie avec son timbre propre, mais nul n’est maître des thèmes qu’il fait entendre, thèmes qu’un contrepoint savant a presque inextricablement enchevêtrés. » Nicolas Bourbaki, Éléments d’histoire des mathématiques, Paris, Hermann, 1960, p. 186. 29. Il y a même des infinitésimaux courbes dans la démonstration de la PROPORTION de la circonférence du cercle à son diamètre. Gilles-Personne de Roberval, Traité des indivisibles, réédité par IREM de Paris VII, janv. 1987 30. La Lettre à Carcavy, premier traité de la Lettre I, se trouve dans OC IV ; voir spécialement p. 423-426 et 433-434. 31. Il y a quinze telles propositions dans ce Traité des trilignes et de leurs onglets dont la splendeur a souvent été remarquée. Il se trouve dans OC IV, p. 442 et sq ; on pourra jeter un coup d’œil rapide sur les notes des pages 450 et 451 qui réécrivent les “sommes” pascaliennes en langage leibnizien. 32. Signalons tout de même qu’il arrive pour des raisons de commensurabilité que Pascal re- subdivise les MM dans le second traité de la Lettre I, OC IV. 33. Cet objet à la fois nul et non nul en fonction de sa place dans le calcul heurte, certes, le principe de contradiction, mais l’intuition s’y retrouve, car elle sait très bien ce qu’il faut négliger, et quand ; tandis que résoudre l’aporie logique, comme cela a été fait après, laisse à désirer du côté de la compréhension profonde, de l’esprit de finesse, en un mot. 34. Remarquons, d’ailleurs, que les sommes de Pascal sont nées de sommes arithmétiques, et que d’entrée de jeu, comme Leibniz, Pascal pouvait faire des sommes de sommes, etc., et c’est ce qu’il a fait en fabriquant (dans la Lettre à Carcavy) les sommes triangulaires et les sommes pyramidales. Chez Leibniz, sommes et différences du calcul infinitésimal s’originent toutes deux dans l’arithmétique et sont donc toutes deux, dès le départ, susceptibles d’être répétées ; il s’ensuit qu’elles gardent ce caractère lorsque leur auteur les fait entrer dans le calcul différentiel et intégral. 35. V est aussi un N, au vu du reste (figures de la Lettre I comprises), je pense que c’est un oubli de Pascal de ne lui avoir donné que son nom de point d’arrêt.

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36. La suite de ce paragraphe est en partie reprise de Claude Merker Le Chant du cygne des indivisibles : le calcul intégral dans la dernière œuvre scientifique de Pascal, Besançon, Presses Universitaires Franc-Comtoises, 2001, début du chap. VI. 37. OC II, p. 1271. 38. OC II, p.784. 39. Fermat, De la comparaison des lignes courbes avec les lignes droites. Dissertation géométrique, in Fermat, Œuvres, éd. Paul Tannery et Charles Henry, Paris, Gauthier Villars, 1896, T. III, p. 181. 40. Joseph Liouville, Mémoire sur les Transcendantes elliptiques de première et de seconde espèce, considérées comme fonctions de leur amplitude, Journal de l’École Royale Polytechnique, Vingt-troisième cahier, tome XIV, 1834. 41. Je souligne. 42. Voir l’article cité dans la note 26, sur les images dans les œuvres scientifiques de Port-Royal, p. 22.

INDEX

Keywords: Huygens, roulette, geometry, mathematics, axes, circles Mots-clés: Huygens, roulette, géométrie, mathématiques, axes, cercles

AUTHOR

CLAUDE MERKER Professeur agrégée au Département de mathématiques de l’université de Franche-Comté

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Un admirateur de Blaise Pascal : le professeur Reijer Hooykaas

Jean-Claude Parlebas

1 Parmi de très nombreuses études pascaliennes à l’étranger, celle du défunt professeur Reijer Hooykaas a l’avantage d’offrir un point de vue très documenté sur l’apport original et diversifié de Pascal. Dans le présent article, j’aimerais tout d’abord donner quelques éléments sur la personne d’Hooykaas, sur son œuvre en général, puis rendre compte de ses écrits sur Blaise Pascal en particulier, enfin tenter d’expliquer les raisons de son intérêt pour l’œuvre et la vie de Pascal.

Introduction

2 S’il est couramment admis que Blaise Pascal a été à la fois un scientifique de renom et un penseur chrétien, doté d’une foi personnelle, tout n’a pas été dit sur le sujet. Il vaut donc la peine de continuer à être attentif aux divers travaux, nationaux ou internationaux, centrés sur lui et ses contributions majeures, tant à la science moderne qu’à l’apologétique chrétienne. L’étude sur Pascal du défunt professeur néerlandais Reijer Hooykaas, peu connu du public francophone, a l’avantage d’offrir un point de vue très documenté sur l’apport original et diversifié de Pascal. Ce point de vue me semble encore tout à fait actuel de nos jours. Dans le présent article, j’aimerais tout d’abord donner quelques éléments sur la vie d’Hooykaas qui a été, lui aussi, à la fois scientifique et penseur. Ensuite, je résumerai son œuvre en général et je rendrai compte de ses écrits sur Blaise Pascal en particulier. Finalement, j’essaierai de comprendre les raisons de son intérêt pour l’œuvre et la vie de Pascal qui sont, comme on le sait, intimement liées.

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Quelques éléments sur la personne d’Hooykaas et sur son œuvre en général

3 Nous donnons ci-dessous une très courte biographie de Reijer Hooykaas, puis nous présentons succinctement divers travaux qu’il a laissés dans la littérature.

Courte biographie

4 Reijer Hooykaas (1906-1994) a été l’un des premiers universitaires de l’histoire des sciences dans son pays. De plus, comme nous allons le montrer, il n’a pas craint de faire le lien entre science et foi, contribuant ainsi à l’apologétique chrétienne. Il est né dans une famille calviniste d’orfèvres à Schoonhoven (Pays-Bas). Il a d’abord fait des études de chimie et de physique à l’Université d’Utrecht et y a obtenu sa licence en 1933. Il est ensuite devenu professeur de chimie dans l’enseignement secondaire, tout en préparant sa thèse de doctorat. En même temps, il a commencé à publier certains articles concernant la corrélation entre l’histoire des sciences et la pensée religieuse. Ceci lui a valu à terme d’être remarqué par ses collègues (ref [1] & ref [2]).

5 En 1946, il est le premier diplômé (doctorat) des Pays-Bas à obtenir une chaire d’histoire des sciences à l’Université Libre d’Amsterdam. À cette époque-là et dans cette université, on demande à tous les étudiants des sciences de la nature, et même des mathématiques, de suivre les cours de Hooykaas. Plus tard, il a continué d’enseigner l’histoire des sciences à l’université d’Utrecht, et cela, depuis l’année 1967, jusqu’à sa retraite en 1976. Ensuite, Hooykaas s’est adonné à ses activités d’écrivain, de penseur et de conférencier. Durant de nombreuses années, il a œuvré au sein de la Société Chrétienne des Scientifiques et Médecins aux Pays-Bas. Il a souvent été invité comme orateur par l’association des Chrétiens en Science du Royaume Uni et, à ce titre, il est aussi intervenu aux États-Unis.

Bibliographie générale

6 En plus de sa parfaite maîtrise de l’anglais et de beaucoup d’autres langues (néerlandais, bien sûr, mais aussi allemand, latin, polonais et portugais) Reijer Hooykaas est à la fois francophone et francophile. J’en veux pour preuve, entre autres, une conférence qu’il a donnée au Palais de la Découverte de notre capitale, dans les années cinquante[3], ainsi qu’une publication sur Pierre de la Ramée (1515-1572)[4]. Une bonne partie de son œuvre résulte d’une analyse faite à partir de la foi chrétienne réformée dont il était convaincu (ref. [5] à ref. [7]). Dans le même ordre d’idées, il est arrivé à Reijer Hooykaas de s’emporter intérieurement à l’encontre de quelques historiens. Ceux-là prétendaient en effet que certains pionniers de la science moderne devaient forcément avoir des déficiences mentales, vu leurs fortes convictions religieuses. Au nombre de ces pionniers, Hooykaas s’est fait le défenseur, entre autres, de Blaise Pascal, et .

7 Dans son livre : Religion and the Rise of Modern Science[6], c’est-à-dire La religion et la montée de la science moderne, Hooykaas utilise une métaphore : « tandis que les ingrédients du corps de la science ont pu être grecs, ses vitamines et ses hormones étaient bibliques », affirmant par là l’apport indéniable de la foi judéo-chrétienne à la science de l’Occident. Il a aussi montré comment l’état d’esprit du protestantisme

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naissant, essentiellement sous l’influence de Calvin, a servi au développement de la science moderne.

8 Il s’est également demandé pourquoi et comment des savants réformés comme Kepler, Boyle, Newton… ont cru devoir s’adonner à la science. Hooykaas nous en donne trois motivations : 1. Pour la gloire de Dieu et au bénéfice de l’humanité. 2. De façon empirique et malgré les idées reçues. 3. En utilisant leurs mains, donc en recourant à l’expérimentation.

9 Cet état d’esprit et cette attitude sont évidemment très proches de ce qu’a vécu et pensé Blaise Pascal lui-même, comme nous le redirons plus loin. À une époque qui est la nôtre, où beaucoup de personnes pensent que la science et la religion sont des ennemis irréductibles, ce livre phare de Hooykaas[6] a le mérite de présenter un autre point de vue, à savoir : la science moderne est, pour une bonne part, un produit de l’influence du judéo-christianisme sur la pensée occidentale.

Écrits de Hooykaas sur Blaise Pascal

10 S’il y a bien « une sorte de héros » qui ressort de l’œuvre de Reijer Hooykaas, c’est assurément Blaise Pascal avec son essai d’unifier la science et la foi chrétienne. Ce travail de Hooykaas a été publié dès 1939, dans un article, écrit d’abord en néerlandais[8] puis traduit en anglais : ref [9] & ref [10]. L’objectif de cette publication a été de montrer que les pensées scientifique et religieuse de Pascal forment en fait un tout, quoique Pascal lui-même les ait rigoureusement placées à des niveaux différents ! En fait, la science pascalienne, plus que toute autre science de la même époque, peut être dite « science chrétienne ». Hooykaas nous explique que les attentes de Pascal vis- à-vis de la science sont tout-à-fait modestes : Pascal est conscient que les mathématiques et la physique sont simplement des activités humaines, et comme telles, elles ne peuvent pas donner lieu à des espérances exagérées ! Cette façon pascalienne de concevoir la science est fortement d’inspiration chrétienne. Dans le même ordre d’idées, Pascal a souligné que les sciences historiques et théologiques sont, quant à elles, fondées sur des autorités qui nous ont précédées, en particulier en ce qui concerne la Révélation par les Écritures pour la théologie. Il en va différemment des mathématiques et de la physique qui sont des sciences, connues par la raison, avec, dans le cas de la physique, un apport nécessaire dû à l’expérimentation. Nous rappelons succinctement ci-après comment Pascal considérait les mathématiques, toujours selon l’analyse qu’en fait Hooykaas[9]. C’est à dessein que nous avons repris ci-dessous les mêmes titres, adoptés par cet auteur pour plusieurs développements[9], qui nous ont parus significatifs, mais que nous avons beaucoup résumés.

Mathématiques et limites des mathématiques

11 Au sens strict, le terme géométrie est une branche des mathématiques qui traite des points, lignes, angles, surfaces et solides. Cependant Pascal utilise le concept de géométrie pour plusieurs branches des mathématiques : non seulement la géométrie proprement dite, mais aussi l’arithmétique et la mécanique. Voici ce qu’a relevé Hooykaas :

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La meilleure méthode pour trouver la vérité, selon Pascal, est la méthode géométrique. Pourtant, ce n’est pas encore la méthode idéale ! Et de poursuivre avec cette méthode idéale : « La vraie méthode…serait de définir tous les termes utilisés et de prouver toutes les propositions avancées. » Mais une telle méthode est impraticable, car « ce qui transcende la géométrie nous dépasse ». Définir et prouver toutes choses est « absolument impossible », toujours selon Pascal, parce que les concepts fondamentaux sur lesquels est fondé le raisonnement humain sont inexplicables[9].

12 Dans la pensée pascalienne, la raison joue un rôle clef en mathématiques. Pourtant, même cette science, essentiellement logique, atteint, elle aussi, ses limites et se trouve confrontée à des concepts de base indéfinissables. « Par exemple, la divisibilité à l’infini pose problème à l’échelle humaine et l’homme tend à rejeter ce qui est incompréhensible. Mais dans ses Pensées, Pascal a souligné que tout ce qui est incompréhensible ne cesse pas d’exister pour autant9. »

13 Avec Hooykaas, nous constatons que : même quand Pascal est dans des dispositions d’esprit tout-à-fait rationnelles, il montre finalement aussi son caractère empirique et réaliste. En effet, selon Pascal, la raison humaine ne peut pas vraiment comprendre l’infini, mais nier l’infini conduirait à l’absurde. Ainsi, l’infini est-il au-dessus de la raison, mais le nier est contre la raison[9].

14 En réalité, comme nous le précise Hooykaas : Pascal a une très haute idée de la « raison ». Il ne la rabaisse que lorsqu’elle s’érige en autorité absolue pour elle-même. Il y a trois causes qui contribuent ensemble à notre connaissance : notre expérience sensorielle, notre raison et le siège de notre cœur, mais la raison n’a pas la suprématie. Pour Pascal, la réalité concrète est toujours supérieure à la raison abstraite…Il est un des pionniers à défendre l’incontournable réalité, face à la méthode de l’abstraction scientifique que Descartes a mise en valeur…Pascal, au contraire, réintègre la validité de l’expérience immédiate, avec son interprétation, à côté de la conception abstraite et purement intellectuelle du monde[9].

15 Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne la physique expérimentale. À ce sujet, faut-il le rappeler, Pascal est l’un des tous premiers savants, à la fois théoricien et expérimentateur. Dans les paragraphes suivants, nous continuons à nous référer brièvement à quelques citations pascaliennes au travers l’œuvre de Hooykaas[9]. C’est aussi une façon de voir ce qui a le plus marqué Hooykaas dans l’analyse qu’il a faite des écrits de notre grand penseur français.

Contribution de Pascal à la physique

16 Nous rappelons d’abord très brièvement une fameuse controverse scientifique qu’a connue Pascal dans la première moitié du XVIIe siècle, puis nous citons Hooykaas à ce sujet. Un exemple typique d’une nouvelle approche de la science, et par conséquent une des premières contributions à la science moderne sont donnés par les expériences de Pascal sur le vide.

17 Celles-ci ont définitivement confirmé et complété les résultats du physicien italien Torricelli.

18 Il faut se souvenir que du temps de Pascal, il existait une interprétation pseudo- scientifique, répandue, mais erronée, comme quoi « la nature a horreur de vide ». Même Descartes niait l’existence du vide. Quand Torricelli a publié ses premiers

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résultats sur ce thème, Descartes a prétendu qu’une certaine « matière subtile » restait présente dans le tube utilisé pour cette expérience, ce qui revenait à maintenir l’impossibilité du vide !

19 Soulignons que c’est à ce moment qu’intervient Pascal en proposant de résoudre cette controverse, non par une argumentation rationnelle, mais uniquement par des expériences complémentaires. Pour Pascal, la physique est d’ailleurs essentiellement une science empirique. Voici ce qu’en rapporte Hooykaas : En physique, les expériences ont un meilleur pouvoir de persuasion que le pur raisonnement…Ce sont les expériences qui montrent la voie à suivre en physique[9]. Hooykaas précise encore : Des lettrés du Moyen-Âge et également Descartes ont bien affirmé formellement que l’expérience était décisive. Mais, dans leur cas, on peut souvent s’apercevoir que des idées préconçues ont obscurci la pure et bonne interprétation de l’expérience en question. Au contraire, Pascal s’en tient à sa position empirique stricte et est un exemple en la matière[9].

20 Ainsi, comme il est bien connu, Pascal a définitivement prouvé l’existence du vide. Hooykaas nous rapporte la définition pascalienne de ce vide : Par ce mot vide, dit Pascal, je désigne toujours un espace qui est vide de tous objets sensibles[9]. Et aussi : Cette expérience (réalisée par Pascal en escaladant le sommet du Puy-de-Dôme) a révélé que l’eau monte dans le tube en question à des hauteurs différentes qui varient en fonction des déplacements dans le temps, et ceci proportionnellement au poids de l’air…l’effet étant proportionnel à la cause[9].

21 Hooykaas nous rappelle en outre que Pascal a été le premier à faire le lien entre différents fluides, gazeux ou liquides. Il cite ces paroles du savant qu’il admire : Pour expliquer sereinement quelles sont les conséquences du poids de l’air, je montre quelles sont les conséquences équivalentes quand il s’agit du poids de l’eau[9].

22 Soulignons aussi cette remarque importante de Hooykaas : D’une part, Pascal donne à l’usage du raisonnement toute la place qu’il mérite, mais d’autre part, il insiste pour que ce raisonnement s’en tienne aux exigences d’une stricte logique. Pascal n’emploie aucun terme sans l’avoir bien défini au préalable[9].

23 Il nous faut mentionner un dernier aspect qui a retenu l’attention d’Hooykaas. Je m’explique : Parfois, les données empiriques recueillies sur une question posée n’ont pas été suffisantes, selon Pascal, pour permettre une conclusion définitive, mais, toute autorité, venue d’ailleurs est d’office disqualifiée pour légiférer en la matière. Blaise Pascal s’est non seulement opposé à toute autorité venue de l’Antiquité, mais aussi à celle issue de la hiérarchie ecclésiastique. De ce point de vue, même une bulle pontificale peut être source de confusion. Voilà pourquoi Pascal s’adresse ainsi aux Jésuites de son temps : C’est en vain que vous avez obtenu à l’encontre de Galilée ce décret romain qui condamne son opinion sur le mouvement de la terre. Ce n’est pas ce décret qui prouvera que la terre est fixe. De plus, si des observations ultérieures arrivaient à prouver que c’est la terre qui tourne (autour du soleil), même si tous les hommes se mettaient ensemble, ils n’empêcheraient pas qu’elle tourne, ni qu’eux-mêmes tournent avec elle[9].

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24 Il faut reconnaître que cette réaction de Pascal sur un sujet, encore controversé à son époque, est tout-à-fait moderne !

La Physique et les limites de la science empirique

25 Hooykaas nous rapporte l’aversion grandissante de Pascal concernant l’idée ci-après, à savoir que la Raison serait a priori capable d’édifier une science empirique : Les notes de Pascal intitulées Vanité des sciences ainsi qu’une lettre sur la folie de la science de l’homme nous apportent la preuve qu’il avait l’intention de s’exprimer sur les prétentions d’une fausse science. Et cela probablement dans son Apologie de la Religion Chrétienne[9].

26 Pour Pascal, Descartes était un cas d’école pour expliquer jusqu’où la Raison peut aller afin de fournir des arguments plausibles sur tout et n’importe quoi. Mais des arguments non vérifiables ! Hooykaas précise ceci : La nièce de Blaise Pascal, Marguerite Perier, écrit à ce sujet que Pascal ne pouvait pas supporter cette façon d’expliquer comment toute chose se forme. Il disait assez fréquemment: « Je n’arrive pas à pardonner à Descartes la chose suivante : C’est qu’il aurait pu facilement imaginer toute sa philosophie, sans faire intervenir Dieu »… Pascal a qualifié le système de Descartes de « Roman de la Nature » et Descartes lui-même de « Docteur de la Raison »…En fait, le seul but de Pascal et d’observer le monde tel qu’il est, et d’établir autant de lois possibles pour décrire comment il est régi… Par conséquent, l’esprit humain va toujours considérer l’exploration de la nature comme une tâche inachevée. La nature avec ses variétés infiniment riches ne nous laisse aucun repos. L’esprit humain se lassera de concevoir, avant que la nature ne cesse d’offrir de nouvelles facettes à explorer. Pour Pascal, la première chose à faire, dans les sciences, c’est d’accepter les données expérimentales, même si parfois elles paraissent incompréhensibles. Or, comme déjà cité plus haut, ce qui est incompréhensible ne cesse pas d’exister pour autant : C’est la ferme conviction de Pascal[9].

Pourquoi Hooykaas s’est-il intéressé à l’œuvre et à la vie de Pascal ?

27 Je vais essayer d’énumérer plusieurs raisons.

28 La première est que Hooykaas est aussi un scientifique (physique-chimie), doublé d’un homme de lettres. De plus, il est un croyant personnellement convaincu, même s’il n’est pas forcément passé par une expérience de conversion subite, comme ce fut le cas pour Pascal. À ces titres, il a pu facilement s’identifier à Blaise Pascal. Nous avons déjà signalé plus haut sa francophonie, voire sa francophilie. Les Pays-Bas ont été historiquement une terre de refuge pour les huguenots français qui ont fui la Révocation de l’Édit de Nantes à la fin du XVIIe siècle. Ils ont donc aussi été une terre d’accueil pour la culture française et pour une certaine dissidence catholique (jansénisme, vieux-catholicisme).

29 J’évoquerais une deuxième raison. C’est toujours contraignant de renfermer de grands esprits dans des « boîtes particulières ». Cependant, pour des besoins de clarifications, on peut dire que Reijer Hooykaas se rattache au protestantisme calviniste, tandis que Blaise Pascal s’apparente au catholicisme janséniste. Même si, à l’époque de Pascal, les jansénistes tenaient à se démarquer des réformés, probablement pour des raisons

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autant politiques que spirituelles, il est indéniable qu’il y a eu des influences tacites de la foi calviniste vers le jansénisme. Rappelons aussi que la famille Arnauld, colonne vertébrale du jansénisme français au XVIIe siècle, vient d’une origine réformée, avant d’avoir plus tard adhéré à la doctrine de l’évêque d’Ypres (Pays Bas) : Cornélius Jansen. Entre minorités, qu’elles soient calviniste ou janséniste, il y a forcément certaines affinités.

30 Je donnerais une troisième raison qui rapproche beaucoup Hooykaas de Pascal, c’est leur commun recul critique par rapport à certaines formes de leur « religion d’origine ». Je citerais ces mots de Hooykaas qui s’en prend à la dégénérescence de la théologie réformée, de vivante qu’elle était en un dogmatisme sec et rationaliste, et, après la réaction piétiste contre ce dessèchement de la religion, la dégénérescence du même piétisme en une technique de conversion[4].

31 Je pense que Blaise Pascal pourrait tout-à-fait souscrire à une conclusion que tire Hooykaas : En un mot, l’esprit scolastique, la tendance à la sclérose, est général et n’est pas inhérent au caractère de la philosophie scolastique proprement dite. Il est partout où l’esprit qui affranchit et donne la vie est étouffé par la lettre qui tue. C’est une leçon de l’histoire[4].

32 Une quatrième raison. En tant que scientifique chrétien, Hooykaas lui-même était imprégné de la pensée suivante : La vérité et le respect de la réalité environnante (dont nous faisons partie) sont les deux éléments qui nous motivent dans notre travail scientifique et qui nous servent de garde-fou dans toutes nos frêles prétentions et spéculations humaines. Cette humilité et ce respect n’auraient certainement pas déplu à Blaise Pascal ! Je me rends compte à ce propos que Blaise Pascal et Reijer Hooykaas reconnaissent un même cadre général pour leur entreprise de recherche scientifique.

33 Cinquième raison. Hooykaas, comme Pascal, avait horreur de tout ce qui ressemblait à une construction idéologique, qu’il s’agissait de dogmes cléricaux ou de différents systèmes philosophiques. C’est ainsi que Hooykaas aimait citer cette pensée de Pascal : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. » Ceci est une manière de remettre la raison humaine à sa place, ainsi que toutes les constructions idéologiques qui en découlent.

34 Sixième raison. En ce qui concerne le lien entre science et foi judéo-chrétienne, je pense que Hooykaas se sentait proche de Pascal. Voici la boutade qu’a écrite Hooykaas et qui est rapportée dans un article en sa mémoire, in memoriam[11]. S’il nous fallait essayer de construire une science « chrétienne », nous ressemblerions à un homme à la recherche de ses lunettes, mais qui les a déjà sur le nez ! La science moderne et la technologie sont en grande partie les fruits du christianisme…Les fondateurs de la science moderne se sont efforcés de trouver une séparation méthodologique de la science et de la religion. Avec Kepler, un chrétien remarquable, l’astronomie a pris son indépendance par rapport aux textes bibliques, mais les notions métaphysiques sont toujours présentes dans sa méthode. Avec Pascal et Boyle, deux apologètes du christianisme, la séparation science – religion devient complète. Dans leurs œuvres respectives, on ne trouve pas un mot de religion, même si leur méthode strictement rationnelle et empirique forme un tout avec leur foi chrétienne…L’histoire des sciences nous démontre clairement que ce qui caractérisait l’œuvre de Pascal, de Boyle, de Newton, de Faraday, etc., c’était le respect des faits empiriques ainsi que de l’indépendance par rapport à la

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théologie et la philosophie. Par conséquent ces scientifiques ont apporté des fruits durables, contrairement aux spéculateurs et faiseurs de systèmes idéologiques.

35 Bien-sûr, les six raisons précédentes ne sont pas exhaustives, mais elles nous aident à comprendre un peu mieux pourquoi le professeur Hooykaas s’est intéressé à ce point à l’œuvre et à la vie de Pascal.

Conclusion

36 Dans l’article in memoriam[11] apparaît une citation de Hooykaas qui aborde encore une question très importante : L’esprit de la Réforme et l’esprit de la science vraie, dit le professeur néerlandais, ont beaucoup en commun. C’est un esprit de liberté, quoique soumis à la révélation divine[11] [c.à.d. aux Écritures].

37 Une telle position engendre une liberté certaine par rapport aux systèmes idéologiques, qu’ils soient philosophiques ou théologiques. Redisons ici que le jansénisme aussi bien que la Réforme se sont heurtés dans notre pays de France, au XVIIe siècle, à un courant catholique romain majoritaire et que ces deux confessions minoritaires ont été officiellement exclues du Royaume de France : le premier en 1661 et le second en 1685, au mépris de la liberté de conscience et de religion, en invoquant de façon autoritaire, la raison d’État. À leur manière, Hooykaas, et aussi Pascal avec la publication (sous un pseudonyme) des Provinciales, se sont faits les champions de la libre expression, toutefois dans le cadre de la révélation biblique.

38 Reijer Hooykaas reste une référence d’actualité. Il est par exemple cité par Lydia Jaeger[12], docteur en philosophie et théologie, de la façon suivante : On doit remarquer la fâcheuse tendance, chez bon nombre d’auteurs modernes d’investir les lois de la nature d’attributs divins. Alors que le chrétien (protestant) Robert Boyle insista sur le fait que la « Nature » n’est pas un « agent indépendant », mais un « système de règles » [12].

39 On sait par ailleurs que Boyle a reconnu avoir beaucoup reçu de Blaise Pascal ! L’interrogation sur le rôle que jouent aujourd’hui les convictions religieuses en philosophie des sciences peut paraître une démarche surprenante, car trop souvent la religion est rejetée hors du champ de l’enquête philosophique. Lydia Jaeger, entre autres, a osé au contraire se demander dans quelle mesure les options religieuses influencent sa conception de l’ordre cosmique. J’ai moi-même mentionné Hooykaas et sa fameuse publication[10] sur Pascal dans une courte communication écrite en anglais[13]. J’ai d’autre part mentionné Pascal dans un court article de synthèse sur la neutralité ou non de notre science actuelle[14].

40 À la suite de Hooykaas et de bien d’autres admirateurs, je dois reconnaître que Blaise Pascal, à la fois scientifique de renom et chrétien « né de nouveau »[15], a été pour moi, depuis le début de ma carrière de recherche, une authentique source d’inspiration ainsi qu’un encouragement en ce qui concerne l’apologétique évangélique. Dans la préface de mon doctorat d’Etat, j’ai tenu à écrire ces quelques mots : « En hommage à la grande figure de Blaise Pascal, homme de foi et de génie »[16]. Je suis très fier qu’un esprit aussi brillant que Reijer Hooykaas se soit ainsi passionné pour Blaise Pascal, et cela tout en étant a priori extérieur à notre culture française !

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BIBLIOGRAPHY

1. OSTER M., The British Journal for the (1999) Vol. 32, N°3, 366-368

2. COHEN H.F., The : Science and Religion in the English Speaking World, Chicago, University of Chicago Press, 2001, p. 61.

3. HOOYKAAS R., La naissance de la cristallographie en France au XVIIIe siècle, Les conférences du Palais de la Découverte, Université de Paris, 1953, Série D, N°21.

4. HOOYKAAS R., Humanisme, science et Réforme : Pierre de la Ramée, Leyde, E. J. Brille ed., 1958, p. 123.

5. HOOYKAAS R., “Science and Reformation”, Journal of World History, 1956, 3, p. 109-139.

6. HOOYKAAS R., Religion and the Rise of Modern Science, Vancouver, Regent College Publishing, 2000, 162 p.

7. HOOYKAAS R., “The Christian Approach in Teaching Science”, Science & Christian Belief, 1994, 6, p. 113-128.

8. HOOYKAAS R., “Pascal: His science and his religion”, Orgaan van de Christelijke Vereeniging van Natuur- en Geneeskundigen in , 1939, p. 147-178.

9. HOOYKAAS R., “Pascal: His science and his religion”, Free University Quarterly, 1952, 2, p. 106-137.

10. HOOYKAAS R., “Pascal: His science and his religion”, Dutch Classics Tractrix, 1991, p. 115-139.

11. LEEGWATER A., “Reijer Hooykaas: A Modern Advocate for Philosophia Liberia”, Perspectives on Science and Christian Faith, 1996, 6, p. 96-105.

12. JAEGER L., Lois de la nature et raisons du cœur. Les convictions religieuses dans le débat épistémologique contemporain, Bern, Peter Lang, coll. « Publications Universitaires Européennes » 2007, 360 p.

13. PARLEBAS J.-C., “Science and Christian Faith in the France of Pascal and Today”, Perspectives on Science and Christian Faith, 2015, 67, p. 223-228.

14. PARLEBAS J.C., « Quelles conditions pour une science en bonne santé » in JAEGER L. (dir.) La science peut-elle être neutre ?, Lognes, Éd. Farel, Lydia Jaeger, 2010, p. 43-55.

15. PATIER X., Blaise Pascal : La nuit de l’extase, Paris, Les Éditions du Cerf, 2014, 175 pages.

16. PARLEBAS J.C., Effets des interactions entre impuretés sur la structure électronique des métaux de transition, Thèse de Doctorat, Université de Strasbourg, 1976, 192 pages.

INDEX

Mots-clés: Hooykaas (Reijer), mathématiques, physique Keywords: Hooykaas (Reijer), mathematics, physics

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AUTHOR

JEAN-CLAUDE PARLEBAS

Jean-Claude Parlebas est maintenant Directeur de Recherche honoraire du CNRS. Il était autrefois rattaché à l’Institut de Physique et Chimie des Matériaux de Strasbourg. Il a aussi été récemment l’un des vice-présidents de l’Association des Groupes Bibliques Universitaires de France (AGBUF).

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