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Perspective, 2 | 2016, « Bibliothèques » [En Ligne], Mis En Ligne Le 30 Juin 2017, Consulté Le 01 Octobre 2020

Perspective, 2 | 2016, « Bibliothèques » [En Ligne], Mis En Ligne Le 30 Juin 2017, Consulté Le 01 Octobre 2020

Perspective Actualité en histoire de l’art

2 | 2016 Bibliothèques

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/perspective/6614 DOI : 10.4000/perspective.6614 ISSN : 2269-7721

Éditeur Institut national d'histoire de l'art

Édition imprimée Date de publication : 31 décembre 2016 ISBN : 9782917902325 ISSN : 1777-7852

Référence électronique Perspective, 2 | 2016, « Bibliothèques » [En ligne], mis en ligne le 30 juin 2017, consulté le 01 octobre 2020. URL : http://journals.openedition.org/perspective/6614 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ perspective.6614

Ce document a été généré automatiquement le 1 octobre 2020. 1

Ce numéro de Perspective est consacré à l’art et aux bibliothèques: il a été conçu en écho à la réouverture de la bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art et comporte un ensemble d’articles qui traitent de sujets aussi variés que la bibliothèque et l’art contemporain, les bibliothèques d’artistes, les modes de classification des livres d’art depuis la période moderne ou encore l’architecture des bibliothèques à l’ère numérique. Jean-Christophe Bailly ouvre le numéro avec Envoi (ricochets). Le bibliothécaire et historien de l’art Michel Melot nous accorde un grand entretien tandis que l’historien de l’architecture et bibliophile Werner Oechslin nous offre une contribution théorique remarquable sur la mobilité du savoir. Des articles plus brefs et fort originaux sur des collections documentaires consacrées à l’art urbain ou au cinéma, ou encore composées d’ephemera, complètent ce numéro, qui se révèle une extrapolation stimulante de cet événement institutionnel, qui voit, à la fois, l’inauguration de la salle Labrouste rénovée et l’accès démultiplié aux collections documentaires et artistiques de l’INHA.

Ce numéro est en vente sur le site du Comptoir des presses d'universités.

Comité de rédaction du volume Laurent Baridon, Ewa Bobrowska, Anne-Elisabeth Buxtorf, Penelope Curtis, Martine Denoyelle, Frédérique Desbuissons, Charlotte Guichard, Godehard Janzing, Rémi Labrusse, Michel Melot, Veerle Thielemans, Bernard Vouilloux

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SOMMAIRE

Éditorial

Naissance des collections et des bibliothèques Antoinette Le Normand-Romain et Alain Schnapp

Tribune

Envoi (ricochets) Jean-Christophe Bailly

Débats

La bibliothèque et ceux qui la mettent en mouvement Werner Oechslin

Library Users: A Virtual Debate Among Artists on How and Why Libraries Matter to Them A virtual debate between Liesbeth Bik and Jos van der Pol, Luísa Cunha, Candida Höfer, and Jyrki Siukonen, moderated by Penelope Curtis Liesbeth Bik, Jos van der Pol, Luísa Cunha, Penelope Curtis, Candida Höfer et Jyrki Siukonen

Quel avenir pour les bibliothèques d’arts décoratifs ? Un débat entre Júlia Katona, Jarmila Okrouhlíková et Lucile Trunel, animé par Julius Bryant Julius Bryant, Júlia Katona, Jarmila Okrouhlíková et Lucile Trunel

Bibliothèques de musées, bibliothèques universitaires : des collections au service de l’histoire de l’art Un débat entre Anne-Élisabeth Buxtorf, Pascale Gillet, Catherine Granger et Anne-Solène Rolland Anne-Élisabeth Buxtorf, Pascale Gillet, Catherine Granger et Anne-Solène Rolland

Entretien

Entretien avec Michel Melot par Philippe Saunier et Valérie Sueur-Hermel Michel Melot, Philippe Saunier et Valérie Sueur-Hermel

Travaux

Putting Art in its Place: the “Modern System of the Arts” in Bibliographies and Bibliothecae Cecilia Hurley

Les bibliothèques d’artistes : une ressource pour l’histoire de l’art Ségolène Le Men

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L’architecture des bibliothèques à l’ère des nouvelles technologies Laurent Baridon

Lectures

Collections et bibliothèques d’art spoliées par les nazis, deux pertes irréparables Martine Poulain

In Situ and in Cyberspace: the Art Library and Art-Historical Research in the Twenty-First Century Kathleen Salomon

Livres d’artistes et ephemera en bibliothèque Roman Koot

Les bibliothèques d’artistes au prisme des humanités numériques : la bibliothèque de Monet Félicie Faizand de Maupeou

Les documents de l’art. Réflexions à partir de quelques films de la bibliothèque Kandinsky Lydie Delahaye

L’art contemporain à la bibliothèque du Zentralinstitut für Kunstgeschichte à Munich Rüdiger Hoyer

Face à l’urbain : bibliothèques d’art, graffiti et street art Christian Omodeo

Art – Research – Library: Shaping Maps of Knowledge Jan Simane

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Éditorial

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Naissance des collections et des bibliothèques

Antoinette Le Normand-Romain et Alain Schnapp

1 Aussi loin que nous considérions l’histoire des sociétés lettrées et quels que soient les supports d’écriture qu’elles utilisaient, la question de la transmission se pose. Qui veut peser sur le présent et anticiper le futur doit prendre acte du passé, de ses traditions et des connaissances acquises. Pendant des millénaires, la tradition orale était l’unique moyen d’assurer cette transmission de générations en générations. L’invention de l’écriture au Proche-Orient ancien a changé la donne. Inscrits sur des tablettes de terre crue ou des métaux précieux, sur des monuments ou sur des papyri, les messages et les savoirs du passé sont un des outils du bon gouvernement des choses et des êtres. En langue assyrienne, le passé est un mot qui signifie « ce qui est devant nous » et le futur « ce qui est derrière nous ». Le poids de la tradition et le prestige des coutumes et des pratiques anciennes s’imposent à tous, le futur ne peut être affronté qu’après s’être mesuré avec le passé.

2 Si ce dernier est aussi prégnant, il faut bien le déchiffrer. Les scribes de la Mésopotamie comme de l’Égypte ancienne doivent maîtriser les écritures archaïques, ils les interprètent et parfois les traduisent, car au fil du temps, les pratiques du langage et de l’écrit évoluent. Pour cela il est nécessaire d’organiser l’administration et la pérennité des savoirs en ayant recours à des apprentissages complexes. Il importe surtout de gérer les supports d’informations, toujours plus nombreux, venus des temps anciens. La bibliothèque, au sens de lieu où sont conservés les livres, est un mot grec qui signifie « la boîte à livres », mais elle est née en Mésopotamie et en Égypte. Prêtres et scribes aménagent des espaces où les tablettes et les papyri sont conservés pour être étudiés, inlassablement recopiés, et réutilisés pour répondre aux nécessités du culte, de l’administration des sanctuaires et des politiques royales. On conserve dans des lieux dédiés, dans les palais et sanctuaires, autant de documents écrits que d’objets précieux et d’instruments rituels. On se doit de les posséder en tant que sources de prestige. C’est dire que le désir de savoir des rois est aussi une volonté de faire savoir, d’accumuler les instruments de connaissances et les objets précieux, symboles de la

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puissance du souverain. Dès les débuts existe donc une sorte de pacte établi par les rois et les scribes, qui associe collections royales et tradition écrite.

3 Les palais somptueux, les collections d’objets rares sont une des marques de la royauté mésopotamienne. Et tout cela ne pourrait pas être réuni, ni géré, sans le travail des scribes. Pour ceux-ci et bien sûr pour sa gloire propre, le roi – comme ses contemporains égyptiens – a besoin d’archives et de bibliothèques. Nous sommes ainsi relativement bien informés sur les bibliothèques royales de la période néo- babylonienne. Le roi Assurbanipal se flattait d’être aussi savant que ses scribes. Sa bibliothèque de Ninive contenait plus de 5 000 tablettes dont certaines étaient vieilles de six cents ans. Les tablettes étaient protégées par des figures apotropaïques, les apkallus ou « sages », qui veillaient sur leur contenu. Les travaux récents révèlent la passion bibliomane des rois de l’empire assyrien, leur volonté de préserver leur héritage culturel et de contribuer à la synthèse entre Sumer et le monde assyrien. Les bibliothèques d’Assurbanipal telles que nous pouvons les reconstituer s’enrichissent au fur et à mesure de son influence. Une riche collection de tablettes vient ainsi rejoindre le fonds juste après 648, date à laquelle Assurbanipal renverse son frère Shamash-shun- ukin et prend le contrôle de la Babylonie1. Comme la collection d’objets rares, comme la récolte d’antiquités, le développement d’une bibliothèque devient un enjeu politico- religieux qu’exprime à la perfection une tablette d’Assurbanipal : Je suis Assurbanipal, roi de l’Univers, roi d’Assyrie, que Nanu et Tashmetum ont doué d’une vaste intelligence, qui a su acquérir une finesse pénétrante pour les arcanes les plus cachées du savoir érudit, matière dont aucun de mes prédécesseurs parmi les rois n’avaient eu la moindre intelligence. J’ai écrit sur les tablettes la sagesse de Nabu, j’ai imprimé chacun des signes cunéiformes, je les ai contrôlés et collationnés. Je les ai placés pour le futur dans la bibliothèque du temple de mon maître Nabu, le grand seigneur, à Ninive, pour ma vie et le bien de mon âme, pour éviter la maladie et pour soutenir les fondations de mon trône royal. Ô Nabu, regarde avec joie, et bénis mon règne pour toujours ! Quand je traverse ta maison, garde toujours un œil sur mes pas. Quand ce travail est déposé dans ta maison et placé en ta présence, regarde-le et rappelle-toi de moi avec faveur2.

4 Le désir d’érudition, la volonté de maîtriser les complexes savoirs des scribes devient à la période néo-assyrienne une part même de l’identité royale. Le roi, pour être pleinement efficace, doit se faire scribe lui-même, approcher le dieu au plus près de son mystère en démontrant l’étendue de ses connaissances. Le texte des tablettes est une offrande qui, d’une certaine façon, entre en concurrence avec les trésors les plus rares, les objets les plus raffinés. Le roi est un « dispensateur de présents » qui s’inquiète de la pérennité de ses collections et qui les place sous la protection directe du dieu. La piété des néo-assyriens se veut un acte raisonné, un souci formaliste de la tradition, une volonté quasi obsessionnelle d’assurer la transmission des savoirs du passé.

5 Il en va autrement en Égypte. Des indices de dépôts de documents apparaissent, certes, durant l’ancien Empire. Dans l’une des tombes de Gizeh (XXVIe – XXVe siècles), le propriétaire excipe du titre suivant : « Prêtre en charge de la lecture préposé à l’écriture secrète de la Maison des livres sacrés. » Ces livres et les bâtiments qui les abritent ne sont pas à la portée de tout le monde, leur sacralité même en fait des objets de mystère, selon un papyrus de la XIXe dynastie : « La Maison des livres est secrète, elle ne doit pas être vue3. »

6 Des « bibliothèques » nous sont connues par des inscriptions murales, comme la fameuse « Maison des livres » dans le temple d’Edfou qui remonte à la période

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hellénistique et romaine. Sur les murs de cette salle se trouve la liste des écrits qui y étaient conservés4. À Philae à la même époque une inscription dit de même : « Ceci est la Maison des livres […] tous les livres sont à l’intérieur […] de toute la Maison de vie. Et aussi le plan de canton sur un document de pur cuir et tous les commandements du roi5. »

7 On a voulu voir dans les « maisons de vie » des écoles, voire des sortes d’universités. Alan Gardiner, qui a consacré un long essai à cette question, est réservé6. La mention « maison de vie » apparaît avec le règne de Sésostris, mais elle n’est vraiment intelligible qu’avec la XVIIIe dynastie (XVIe siècle av. J. C.). À El-Amarna, des briques portant l’inscription « chambre de vie » ont été découvertes dans deux constructions qui se trouvent à 400 mètres du grand temple, et à 100 mètres d’un petit sanctuaire et d’une résidence royale qui font partie du palais. La « maison de vie » est toute proche d’un autre bâtiment appelé, au témoignage des briques inscrites : « le lieu de la correspondance du pharaon ». Sur un document de la XIXe dynastie, nous voyons apparaître, dans une tombe de Thèbes qui date du règne de Ramsès II, la fonction de « scribe des livres sacrés dans la Maison d’Amon7 ». Il s’agit de la tombe d’un certain Amenwashu qui décline ses nombreux titres et insiste sur le fait qu’il est un « scribe qui a écrit les Annales des dieux et des déesses dans la maison de vie » ; il conclut l’inscription par la formule : « Cette inscription a été écrite dans cette tombe par le scribe de la Maison de vie Amenwashu avec ses propres doigts8. » La redondance des titres ne doit pas nous cacher le caractère incertain de cette fonction. Le témoignage est cependant intéressant puisqu’il atteste la relation entre l’idée d’annales, d’écritures des événements et la fonction lettrée, exercée dans ce lieu particulier qu’est la « maison de vie ». Les documents de ce genre sont cependant assez rares. Dans certains cas ils exaltent la piété des pharaons qui, comme Ramsès III, s’en vont chercher « les [annales] de Thot qui sont dans la Maison de vie9 ». Quand Ramsès IV fait édifier un monument pour commémorer sa victoire à Hammamat c’est à une commission de trois personnes, dont le scribe de la Maison de vie, Ramesseoshehab, qu’il confie le soin d’examiner les monuments déjà édifiés et de choisir avec soin le site du nouveau. Au fil des inscriptions, la Maison de vie apparaît bien comme un lieu de savoir, moins une école au sens où nous l’entendons, mais un endroit où les livres les plus sacrés sont composés. Les prêtres qui en sont membres sont des lettrés par excellence mais leur fonction est avant tout religieuse, comme le montre l’un des rares passages consacrés aux « maisons de vie » dans un papyrus du British Museum qui date de l’époque gréco- romaine10.

8 Entre ces proto-bibliothèques et celles du monde hellénistique et romain il y a un gouffre, qu’incarne le projet de bibliothèque de tous les savoirs fondé par les Lagides à Alexandrie : la connaissance et les arts s’insèrent dans les institutions de la cité11. Le souverain qui bâtit le « musée » fait de la bibliothèque et des collections qui la constituent un lieu qui attire la curiosité universelle des savants et des érudits. La proximité qui existe entre les collections de textes et d’objets du Proche-Orient ancien et celles du monde classique n’est pas sans intérêt pour qui entend penser la relation entre l’histoire de l’art et les livres. À l’aube des pratiques érudites, le lien entre le support – tablette, papyrus, monument – et l’écriture elle-même est proprement ontologique. Les textes doivent être protégés et conservés tout comme les statues, les objets précieux et les monuments qui attestent la splendeur du souverain et le savoir de ses scribes ; les uns ne vont pas sans les autres. Le grand défi de nos modernes bibliothèques et de leur rapport avec les musées est de retrouver cette connivence

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perdue. C’est d’une certaine manière le rêve de Jacques Doucet quand il imagine sa bibliothèque.

9 Tel Assurbanipal, désireux de pénétrer dans « les arcanes les plus cachées du savoir érudit, matière dont aucun de [ses] prédécesseurs parmi les rois n’avaient eu la moindre intelligence », Jacques Doucet décida de mettre à la disposition des chercheurs la bibliothèque qui était le prolongement naturel de ses collections : il avait su comprendre en effet que les spécialistes auxquels il faisait appel pour étudier celles-ci devaient pouvoir disposer de ressources qui manquaient cruellement alors. « Quel est l’archéologue ou l’historien de l’art qui ne doit rien à la Bibliothèque ? », déclarait André Joubin nommé conservateur lors de la donation à l’université de , après avoir rappelé « l’indigence des bibliothèques de l’École normale ou de la Sorbonne, aux environs de 189012 ». Au lieu de vouloir pérenniser sa collection, Doucet préféra donc assurer la survie des deux bibliothèques qu’il avait créées en les donnant, l’une après l’autre, à l’Université de Paris. Sans même parler de la générosité du geste, il s’agit là d’une démarche totalement novatrice : jamais encore un collectionneur d’une telle envergure n’avait imaginé de se mettre lui-même en retrait et de faire porter son effort sur l’aide à la recherche.

10 Il se situait ainsi dans le peloton de tête d’un élan qui donna naissance aux grandes bibliothèques d’histoire de l’art en Europe et aux États-Unis. Venant après celle du Kunsthistorisches Institut de Florence (1897), la Bibliothèque d’art et d’archéologie, dont on peut situer les débuts vers 1905, est assez proche dans sa conception des bibliothèques créées par Henriette Herz à Rome, et Henry Clay Frick et sa fille Helen à New York (respectivement ouvertes en 1913 et 1920), l’institution parisienne ayant toutefois une dimension universelle (toutes les formes d’art, tous les pays…) que n’avaient pas celles-ci. Elle est en revanche très différente de celle que constitua Aby Warburg, né la même année que Doucet. Celle-ci porte structurellement l’empreinte de la vision transdisciplinaire de son créateur. Doucet, lui, restait fidèle à une conception monographique plus traditionnelle fondée sur la juxtaposition des sources écrites et des images dont l’importance ne lui avait pas échappé. Sur le modèle italien, l’histoire de l’art en , appuyée sur les musées, avait pour objectif l’étude approfondie des œuvres afin de construire des corpus, définir des personnalités artistiques, donner un panorama des mouvements stylistiques qui se sont succédé. Il sut comprendre – et c’est là où son action fut la plus novatrice – qu’il était nécessaire d’étendre la documentation à des sources telles que les correspondances, les journaux intimes et les livres de compte, ou encore les livrets de salons et les catalogues de vente, annotés dans la mesure du possible, auxquels s’ajoutèrent les recueils d’estampes en tous genres, les cahiers de modèles, les traités d’architecture ou autres, les livres de fête, etc., sans négliger la photographie. La photothèque créée en 1912 continua à se développer après 1918 grâce à la complicité d’Helen Frick en particulier, mais devint un fonds mort après le transfert rue Michelet en 1935 tandis que, à Londres, la collection de reproductions d’œuvres d’art, de peintures et de dessins surtout, constituée, toujours à la même époque, par Robert et Mary Witt et donnée au Courtauld Institute of Art en 1952, prenait un essor considérable et devenait une ressource essentielle pour les historiens de l’art. Doucet se préoccupa également de fournir des outils bibliographiques, créant le Répertoire d’art et d’archéologie en 1910.

11 Anne-Élisabeth Buxtorf rappelle plus loin les vicissitudes que connut la Bibliothèque d’art et d’archéologie après 1918, et la longue histoire de sa renaissance, ces années

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semées de difficultés au terme desquelles son destin se lia étroitement à celui de l’INHA. Certes la bibliothèque Doucet représente pour l’institut un atout considérable : elle est l’un des fondements de sa légitimité, car elle ancre les chercheurs dans une tradition profondément enracinée en France. Mais l’inverse est tout aussi vrai : l’impulsion donnée par la création de l’INHA a permis d’y intégrer le fonds de la Bibliothèque centrale des musées nationaux, très complémentaire, ainsi que de disposer de moyens bien plus considérables. Il a surtout eu pour conséquence que soit posée à nouveau la question de sa définition qui n’est autre, en réalité, que celle du domaine de l’histoire de l’art. Celui-ci s’est considérablement élargi, prenons-en comme témoin à la fois l’exposition Made in Algeria. Généalogie d’un territoire au MuCEM à (janvier – mai 2016) et la publication du volume Histoires sociales de l’art. Une anthologie critique (Paris, 2016) qui relèvent de partis, nouveau pour l’un, longtemps rejeté en France pour l’autre, qui transforment soit la création artistique elle-même, soit l’interprétation que l’on peut en proposer. L’arrivée d’un nouveau directeur à la tête de l’établissement, Éric de Chassey, ne peut que contribuer à cet élargissement, grâce à l’élan personnel qu’il saura donner.

12 Par essence, l’INHA est ouvert à une pratique de l’histoire de l’art qui n’exclut aucune approche. Pour sa bibliothèque, c’est une nouvelle dimension à intégrer : elle devrait être facilitée par le voisinage des départements spécialisés de la Bibliothèque nationale de France et peut-être aussi par l’influence d’un public porteur de nouvelles attentes. Au service des lecteurs, comme l’avait voulu Doucet, leur donnant librement accès à ses collections et les faisant bénéficier de toutes les avancées de la technique moderne, jouissant d’un emplacement privilégié entre tous puisqu’elle occupe la célèbre salle de lecture et le magasin conçus par Henri Labrouste pour la Bibliothèque nationale, la nouvelle bibliothèque apparaît comme un pion essentiel du positionnement de l’histoire de l’art en France vis-à-vis de la communauté internationale.

NOTES

1. Allison K. Thomason, Luxury and Legitimation. Royal Collecting in Ancient Mesopotamia, Aldershot, 2005, p. 205. 2. Thomason, 2005, citée n. 1, p. 202. 3. Günter Burkard, « Bibliotheken im alten Ägypten », dans Bibliothek, Forschung und Praxis, IV, 1980, p. 79-115, p. 87. 4. Burkard, 1980, cité n. 3, p. 85 ; Émile Chassinat, Le temple d’Edfou, fasc. 3, Le Caire, 1928, p. 359-351. 5. Burkard, 1980, cité n. 3, p. 85. 6. Alan H. Gardiner, « The House of Life », dans Journal of Egyptian Archaeology, 24, 2, 1938, p. 157-179. Voir aussi Burkard, 1980, cité n. 3, p. 93-94. 7. Gardiner, 1938, cité n. 6, p. 161. 8. Gardiner, 1938, cité n. 6, p. 161. 9. Gardiner, 1938, cité n. 6, p. 162. 10. Gardiner, 1938, cité n. 6, p. 167.

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11. Christian Jacob, « Alexandrie, IIIe siècle avant Jésus-Christ », dans idem, Les lieux de savoir, espaces et communautés, Paris, 2007, p. 1120-1145. 12. André Joubin, « Jacques Doucet, 1853-1929 », dans Gazette des Beaux-Arts, 1er semestre 1930, p. 78.

INDEX

Mots-clés : bibliothèque, bibliothèque d’histoire de l’art, Institut national d’histoire de l’art, sources écrites, document, écriture, collection, tradition, passé, livre, histoire de l’art Index géographique : Proche-Orient, Mésopotamie, Égypte, France Keywords : library, art history library, written sources, document, writing, collection, tradition, past, book, art history Parole chiave : biblioteca, biblioteca di storia dell'arte, fonti scritte, documento, scrittura, collezione, tradizione, passato, libro, storia dell'arte

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Tribune

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Envoi (ricochets)

Jean-Christophe Bailly

1 L’objet se présente comme un léger mât de métal haut de 25 cm, le long duquel sont fixées six pinces permettant d’accrocher des images, et notamment des cartes postales, en les disposant dans l’espace comme si elles y flottaient. Je me souviens de l’avoir ramené de la boutique de l’, il y a déjà de cela plus de dix ans, et il est depuis ce temps-là posé au même endroit, sur une tablette placée devant une fenêtre donnant sur la rue, face au bureau où je travaille. Les cinq ou six cartes postales que j’y dispose forment un accrochage qui évolue avec le temps, mais plutôt lentement, les images y étant remplacées une à une et y restant des mois, voire davantage. Des images qui disparaissent, je ne me souviens pas, elles réintègrent simplement la réserve, ou les oubliettes – soit les quelques boîtes à chaussures où je conserve les cartes postales que je ramène systématiquement des musées, ayant, comme beaucoup je crois, un faible pour ce type de reproductions éminemment portatives. Les cinq images accrochées en ce moment à ce petit présentoir y sont depuis un bon bout de temps. Il y a la frise des têtes de cerfs de Lascaux, une photo en noir et blanc d’un chat noir vu de face, un couple de danseuses Tang gracieusement inclinées (carte provenant du musée Guimet), La Coupe bleue de Léon Spilliaert provenant de Bruxelles et une vue des toits de Naples de Thomas Jones provenant, elle, de l’Ashmolean Museum d’Oxford.

2 Ce petit assemblage d’images de provenances tellement diverses me ravit, et peut-être parce qu’il ne correspond à rien d’intentionnel – aucune volonté de montage signifiant ne l’a parcouru, il s’agit avec lui d’une pure et simple juxtaposition. Ni les coloris, ni les provenances, ni même une volonté de contraste n’ont compté dans leur élection. De chacune de ces images je pourrais bien sûr expliquer la présence : Thomas Jones parce que ce grand peintre méconnu m’obsède et que je remets depuis des années un travail sur lui, le chat noir parce qu’il me rappelle celui que nous avons eu et que j’aimais tant,

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les cerfs de Lascaux parce que la délicatesse de leurs cinq profils est extrême et emporte avec elle le chant entier de l’origine de l’art (et aussi parce qu’il s’agit avec eux, comme avec le chat anonyme, d’animaux), la coupe de Spilliaert parce qu’elle a quelque chose de radical et de doux à la fois, ressemblant à un objet volant non identifié, les statuettes Tang enfin, car j’ai pour toute leur troupe disséminée une vraie vénération et que ces deux-là, pliées et déployées à la fois, semblent, en l’honorant, remercier l’espace de son existence. Mine de rien, cet ensemble disparate couvre des milliers d’années (davantage même avec Lascaux) et des milliers de kilomètres, de la Vézère à la Chine ancienne, puis de là à Naples et à la Belgique. À titre d’information sur mes choix, je peux remarquer que celui-ci ne comporte ni violence ni même contenu narratif ou historia et qu’il fonctionne plutôt, surtout placé là où il est, comme un horizon contemplatif ou une sorte d’onde stationnaire dont je peux, à intervalles discontinus, vérifier le pouvoir d’élongation.

3 L’effet de coupe ou de césure des images dans l’écoulement du temps m’a toujours captivé et c’est en cherchant à le comprendre que je suis descendu, non à l’intérieur des images, car c’est impossible, mais dans ce qu’il faudrait appeler leur consistance – le fait, avéré, vérifié, qu’une surface sans épaisseur ait tout de même une intimité à soi et en même temps une capacité de feuilletage et de dilatation infinie étant pour moi une surprise sans fin renouvelée. Le moment de la rencontre avec l’image fonctionne comme un enclenchement : on peut décrire ce moment comme un point, mais qui résulte de la rencontre, toujours unique, de deux parcours – celui que l’image a accompli pour pouvoir être rencontrée et celui de l’individu singulier qui la rencontre. Ce point est un point d’intensité, c’est-à-dire un rapport et un nouage. Quelque chose se délie et, en se déliant, appelle quantité d’autres liaisons. Ce qui se passe alors est comparable à ce qui a lieu quand une pierre plate ricoche à la surface d’une eau tranquille : l’effleurement est l’événement à partir duquel tout commence, la rencontre entre un projectile et une surface produit sur celle-ci des éclaboussures et des ondes qui sont son émotion. On le voit, selon cette comparaison, c’est l’image qui devient projectile et le sujet (le regardeur) qui devient surface, surface d’impression. Mais comme le fait remarquer le physicien et biologiste Lazzaro Spallanzani, que le phénomène du ricochet intrigua et qui lui consacra en 1765 un petit traité, pour qu’il y ait rebond, il faut que la pierre ne heurte pas l’eau parallèlement à sa surface, mais en étant sensiblement inclinée vers celle-ci11, il faut, autrement dit, qu’il y ait un angle d’incidence. Et ce que l’on peut dire, en prolongeant cette comparaison, c’est qu’il y a aussi, pour la rencontre entre une image et un regardeur, un angle d’incidence et qu’il est à chaque fois différent, et que c’est de la détermination de cet angle que dépend toute interprétation, quels que puissent être par ailleurs les motifs que celle-ci trouve à entrecroiser.

4 Dans le droit fil de cette métaphore où l’image est la pierre et le sujet regardant la surface, la question devient : mais comment et par qui, sur quel rivage la pierre a-t-elle été lancée ? Autrement dit, c’est la totalité du parcours qu’il faut reconstituer depuis son commencement, et c’est un vertige dont chaque image, pour peu que l’on s’attache à sa provenance, peut être l’occasion. Bien qu’elle soit présente à la façon d’un dépôt immobile retiré du cours du temps, toute image contient le récit de sa provenance et de son envoi, toute image a été lancée : à la vision statique d’une simple imposition spatiale recueillie en tant que présence se substitue un roman de formation intégral où l’image, partie en voyage vers elle-même, nous conduit. Ce roman ne peut toutefois être restitué qu’en pensée : en effet, la seule expérience que nous puissions faire avec les

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images est celle qui advient quand nous les rencontrons, tout le reste étant imaginaire (devant être imaginé). Or c’est cet imaginaire que l’on appelle l’histoire de l’art, laquelle, ainsi conçue, pourrait être caractérisée comme l’ensemble des savoirs et des intuitions par lesquels peuvent être reconnus et reconstitués les envois (les lancers) ou, en des termes plus classiques, identifiés les chemins que les images ont suivi, tout d’abord pour exister, ensuite pour venir jusqu’à nous.

5 Ces chemins, que l’on ne peut reconstituer qu’en ayant l’impression de ne jamais pouvoir entièrement les connaître, sont extrêmement longs et ils en recoupent quantité d’autres. N’en suivre qu’un seul, c’est un peu comme de tenter d’extraire au mikado une baguette sans faire bouger les autres, alors qu’en vérité tout tremble continûment. Il faut en tout cas partir de très loin : par exemple, pour la frise des cerfs de Lascaux, il faut tout d’abord remonter à ce qui exista avant l’acte d’imagement lui- même, par conséquent à ce monde du paléolithique supérieur où naquirent ces images hantées par les animaux ; ce qui implique d’imaginer des cerfs de ce temps-là, puis les raisons pour lesquelles des hommes les ont peints ainsi, sur ces parois (et comme on le voit aussitôt, la problématique est si large qu’elle excède les possibilités d’une simple enquête) – puis, en laissant donc irrésolue la question de leur raison d’être, imaginer leur extravagante dormance jusqu’à ce jour de septembre 1940 où de jeunes garçons, poursuivant leur chien qui était passé par un trou dans le sol, tombèrent nez à nez sur leur mystère, puis de là, en passant par Georges Bataille et les discussions actuelles, envisager l’étrange chapitre qu’en se dédoublant intégralement plusieurs fois les grottes de Lascaux ont ouvert dans l’histoire de la reproductibilité.

6 Pour les autres images le parcours ne serait plus simple qu’en apparence : pour Thomas Jones par exemple, on pourrait utilement partir de ce qu’était Naples au XVIIIe siècle et des raisons pour lesquelles, ayant laissé une Rome saturée d’arrivisme, le peintre s’y retrouva ; mais de ce qui lui arriva vraiment quand il eut, en 1782, sur sa terrasse, l’idée de laisser choir tout l’attirail du sublime et de se mettre à peindre uniquement ce qu’il avait sous les yeux, nul ne sait rien de certain, et ses mémoires mêmes ne donnent que des pistes lacunaires. De surcroît, devant les quelques extraordinaires huiles sur papier qu’il exécuta alors, et qui après sa mort sont restées dans une malle qui ne fut rouverte qu’en 1953, chez lui, au Pays de Galles, nous sommes là aussi confrontés à une singulière dormance. Mais même aujourd’hui, alors que le travail d’interprétation a commencé et que ces images finissent par être reconnues, leur mystère reste entier, et si l’on peut dire « voilà, c’est sur la terrasse de la petite maison qu’il louait dans le quartier de la Sanità, en montant vers Capodimonte, que Thomas Jones a jeté cette pierre qui a mis près de deux siècles à rebondir et qui nous éclabousse aujourd’hui de toute sa fraîcheur », on n’en reste pas moins réduit à des conjectures auxquelles même un voyage à Naples et deux autres au Pays de Galles ne prêtent que des étais fragiles.

7 Mais je m’aperçois, chemin faisant, que ce qui relie malgré tout cette image des toits de Naples à celle des cerfs de Lascaux, bien entendu hors de toute question d’histoire, de style ou de filiation, c’est une certaine communauté de destin, c’est le fait qu’elles sont l’une comme l’autre liées à un moment inaugural (l’ouverture de l’art proprement dit dans le cas de Lascaux, celle d’une préfiguration du moderne dans le cas de Jones), et que dans les deux cas cette inauguration a été enfouie, et donc retardée – ce qui n’en rend que plus éclatant le moment – l’éclaboussure – de leur retour. Comment, ici, ne pas me souvenir des portraits du Fayoum, encore un autre cas, exemplaire, d’inauguration, de dormance – puis d’éclosion tardive ? Ce qui est certain, c’est que de

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tels retours et de telles renaissances, rendus plus émouvants encore par le fait que les images qui nous parviennent ainsi ne nous étaient pas destinées (c’est sans doute le cas aussi des huiles sur papier de Jones, qu’il semble vraiment n’avoir peintes que pour lui- même – mais qui sait ?) agissent comme une sorte de condensation de la rencontre esthétique. Et si je suis parti de cinq cartes postales, ce n’est pas seulement parce que je les ai sous les yeux et parce qu’il me fallait un point d’appui tangible, c’est aussi parce que le chemin qui commence par un envoi lointain ne s’achève pas dans l’œuvre mais se poursuit par quantité de petits rebonds que l’on peut lire comme autant de copeaux débités à partir d’un matériau inépuisable, ce qui veut dire aussi qu’il y a, oui, un bonheur de la reproductibilité.

8 Je n’ai effleuré que le parcours de deux images, mais auraient pu venir aussi le regard d’un chat noir, une coupe posée dans un atelier bruxellois, une danse de cour et des rites funéraires dans la Chine des Tang… Si l’on multiplie le vertige qui s’ouvre au récit d’une seule provenance, l’on se retrouve vite au sein d’une immense et confuse dissémination où toutes les trajectoires se dispersent et forment un inextricable réseau sans bords, à la structure indéchiffrable. Une telle masse a quelque chose d’effrayant, d’inapaisable, mais pourtant, ce qui frappe dans les lieux où elle est envisagée sérieusement – c’est-à-dire en tant qu’existence et en tant que problème, autrement dit dans les bibliothèques –, c’est qu’elle y est au repos : or c’est de la qualité de ce repos que dépend la vivacité de l’éveil, qui ne nomme au fond rien d’autre que ce que Kant visa en inventant le miroitement conceptuel de la finalité sans fin.

NOTES

1. Lazzaro Spallanzani, Lancers et rebonds de pierres sur l’eau, Marc Milon (trad. fra.), suivi de Cyril Jarton, Ricochet, histoire d’un modeste prodige, Paris, 2012, p. 65.

INDEX

Parole chiave : tempo, memoria, affetto, emozione, percorso, incontro, immaginazione, immagine, ritorno, rinascimento, riproducibilità, rete, montaggio Keywords : time, memory, affect, emotion, path, confluence, latency, waking, imagination, image, return, renaissance, reproducibility, network Mots-clés : temps, mémoire, affect, émotion, parcours, rencontre, dormance, éveil, imaginaire, image, retour, renaissance, reproductibilité, réseau, montage

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Débats

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La bibliothèque et ceux qui la mettent en mouvement Libraries and Those Who Put Them in Motion

Werner Oechslin Traduction : Emmanuel Faure

NOTE DE L’ÉDITEUR

Ce texte est paru dans le volume consacré aux Bibliothèques de la revue Perspective (2016-2) dans une version abrégée. Theoriam motus vobiscum auditores1!

1 Πάντα ῥεῑ, pánta rheî, tout s’écoule ! « Rien ne demeure en repos. Malgré leurs apparentes régressions, l’humanité et la science sont contraintes de toujours progresser, quand bien même devraient-elles en fin de compte revenir toutes deux en elles-mêmes », comme l’écrit Goethe dans l’introduction à la partie historique de sa théorie des couleurs2. Il vient d’évoquer au premier paragraphe la « jeunesse ambitieuse », pour qui l’histoire paraît « plus importune qu’agréable », qui « préfèrerait inaugurer elle-même une nouvelle époque, peut-être même un monde primitif3 ». Et nous voilà donc plongés dans l’histoire, telle qu’elle a été de tous temps : pleine de mouvement. Mais pour constater ce mouvement, elle a manifestement besoin d’un point de référence, conçu à l’inverse comme « immobile » et permettant de mieux s’assurer de son propre mouvement. Il s’instaure alors un curieux mécanisme qui se retrouve bien souvent niché dans des conceptions modernes pour lesquelles, plus qu’avant et plus qu’ailleurs, l’unique enjeu est de « progresser », à l’exclusion du reste : ce qui est là et qui y était déjà auparavant, pense-t-on, est sans mouvement, on le laisse derrière soi. Le processus continu, historique, est ainsi négligé, remplacé par l’opposition de l’ancien et du nouveau. Le mouvement est perçu exclusivement comme un progrès au sens étymologique, une marche en avant (progressus ; Fortschritt, en

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allemand), à l’image du temps qui, selon notre impression première, s’écoule de manière unidirectionnelle.

2 Pourtant, la Prudence avait été de tous temps imaginée avec un double visage, tourné vers l’arrière comme vers l’avant. Or, sous le signe de la modernité (qui a elle aussi pris de l’âge), la querelle semble désormais définitivement tranchée en faveur de la nouveauté. On va « uniquement » de l’avant. S’ajoute à cela la bonne vieille nostalgie (!) d’un regard fermement pointé vers l’avenir, nullement désireux de jeter un coup d’œil vers le passé pour y chercher la certitude. Dès 1772, dans son étude Ueber das Besondere und die Neuheit [« Sur le particulier et la nouveauté »], F. L. von Hopffgarten a reconnu l’importance de l’instant où l’on perçoit que quelque chose est « découvert ou inventé pour la première fois4 ». L’aspect aléatoire de l’irruption réelle et effective de la nouveauté dans l’histoire de notre monde en découle logiquement : « Les hommes jugent nouveau ce qu’ils perçoivent pour la première fois, quand bien même cela eût pu l’être bien plus tôt, pour peu que cela fût débusqué par la perspicacité d’un homme quelconque5. » On pourrait ajouter que c’est sans doute cette même absence de perspicacité qui nous fait oublier ce dont le monde a déjà connu mille variations, lui conférant même l’apparence du neuf. Afin d’écarter ce genre d’exigences, l’idéologie moderne a inventé le « principe de la table rase » : « Détruire le culte du passé, l’obsession de l’ancien, le pédantisme et le formalisme académique6. » Personne ou presque n’a remarqué que dans ce geste avant-gardiste et « futuriste » de 1910, la critique porte – comme c’est généralement le cas – sur le monde « contemporain », à l’encontre duquel on revendique comme allant de soi l’autorité de « l’œuvre de Rembrandt, [de] celle de Goya et [de] celle de Rodin7 ». Non, on ne se débarrassera pas si vite de l’histoire. Mais le pire est qu’on préfère l’enfermer dans des cages, la « muséifier », qu’on la déclare classifiée, archivée ou autre, en ignorant sa vitalité permanente et son mouvement perpétuel.

Histoire, changement… mouvement

... und die Geschichte macht selbst wieder Geschichten8.

3 Nous avons perdu la notion de l’histoire – et avec elle le sens de l’extension du temps et du mouvement, et fondamentalement la compréhension de la nécessité du changement. Non, rien n’est au repos ni fermement en notre possession ; et c’est uniquement à première vue et de manière fort limitée que la « nouveauté » semble être la cause et le but de ce mouvement. Le temps s’écoule inlassablement. Mais derrière lui, il laisse toujours quelque chose, des indications, le souvenir d’états momentanés, sans oublier l’incertitude et le doute, et après les délais de rigueur, ce quelque chose se mettra également en mouvement, ce qui fait dire à Goethe que « l’histoire est elle-même source d’histoires9 ». Nouvelle injustice ! Si l’on analyse l’histoire avec sérieux et qu’on pénètre pour ainsi dire à l’intérieur, il est bien souvent difficile de distinguer – à supposer qu’on le veuille – ce qui s’est passé, ce qu’on a repris à son compte et ce qui reste ainsi ancré dans notre quotidien. Une telle incertitude ne s’arrête pas non plus à ce qu’on appelle les « faits ». Ce qui distingue l’objet de la perception que nous en avons reste souvent pour nous hors d’atteinte ou échappe à notre attention. L’analyse de cette distinction serait une vaine perte de temps qui ôterait rapidité et fulgurance à l’immédiateté d’une expérience sensorielle. Nous ne voulons pas même saisir cette

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différence, encore moins lorsqu’elle nous touche et nous affecte tout particulièrement. Le regard critique que Géraud de Cordemoy porte sur notre problème du corps et de l’âme le conduit à conclure : « De sorte que l’ame appliquant toujours sa sensation à la chose, pour la perception de laquelle elle luy est donnée, il luy arrive ordinairement de la confondre avec cette chose10. »

4 Ce constat correspond à une idée philosophique omniprésente. Si l’on suppose pourtant que le « scientifique » est au-dessus de tout cela, on se trompe. En revanche, pour qui a conscience de ces difficultés et apprend à en tenir compte, le réconfort est peut-être au rendez-vous. Lazarus Bendavid est allé plus loin encore dans l’étude de ce genre d’apories, mettant en exergue de son cours de 1795 sur la Critique de la raison pure d’Immanuel Kantla citation suivante de Jean-Jacques Rousseau : « La seule chose que nous ne savons point, est d’ignorer ce que nous ne pouvons savoir11. » Retenons donc qu’il est raisonnable de montrer préalablement ses limites à notre recherche du savoir et de la connaissance. Voilà qui nous maintient en mouvement !

5 Non moins grand est cependant notre penchant à fixer les choses pour mieux les posséder – du moins en apparence. Nous nous sommes habitués à des vérités sous forme d’images et autres ; l’impression optique est la vérité. Qui se soucierait encore – dans la lignée de Vitruve, par exemple – d’envisager des corrections optiques afin de rétablir l’équilibre dans le rapport de l’image à l’objet12 ? Cela ne ferait que nous exposer le « problème » ad oculos, et il faudrait accepter des détours. Plutôt rester aveugle ! Apparemment préoccupé des seuls « faits » (historiques), l’historien contestera cette idée, mais, dès lors qu’il voudra se forger une opinion globale, il se verra lui aussi confronté aux mêmes problèmes.

6 Johann Wolfgang von Goethe y avait réfléchi dans le même passage de sa théorie des couleurs, aboutissant au constat suivant : « D’ailleurs, les hommes sont plus aptes à se mesurer à l’art qu’à la science. La plus grande partie du premier leur appartient, alors que la seconde appartient au monde13. » Ces propos appellent un complément, apporté par Goethe lui-même, pour lequel la science vise le singulier, l’art aspirant pour sa part à une totalité nécessairement suffisante à elle-même et créée par nous-mêmes : « l’art se tient tout entier en chaque œuvre singulière, alors que la science semble ne pas connaître de limites14 ». Comme le mouvement et le changement s’esquissent en permanence dans le singulier, la conception de la totalité va elle aussi changer en permanence ; ainsi devons-nous sans cesse justifier et renouveler notre approche de la conception d’un tout, à jamais entraînée dans le mouvement.

7 Les espaces humains sont finis et liés à l’expérience propre à tout un chacun. Umberto Eco disait en ce sens en 2015, au début de l’une de ses dernières interviews : « Noi siamo la nostra memoria », nous sommes notre propre mémoire. Et J. J. Hanusch déclarait d’emblée dans son premier cours magistral sur l’histoire universelle de la culture : « Le monde est l’histoire même15 ! » Et nous en faisons partie. Quelques-uns auront peut- être risqué un regard en dehors du monde, tel Empédocle, représenté par Luca Signorelli dans la cathédrale d’Orvieto en train de se pencher par la fenêtre pour jeter un coup d’œil au cours des événements de l’histoire universelle jusqu’à l’instant de l’Apocalypse, et effrayé de ce qu’il voit. Mais quelle que puisse être notre révolte, nous sommes partie prenante de l’histoire et par conséquent juge et partie dans tout ce que nous saisissons et appréhendons par nos sens. Pendant ce temps, la sage prudenza au visage double regarde « prudemment » vers l’avant et vers l’arrière… et n’en est que

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plus sage. Nous avons beau nous tourner dans tous les sens, il nous est impossible de sortir de l’histoire.

8 Avant donc d’observer le monde et de le supposer figé et statique dans le détail d’un coup d’œil bref, trop bref, tel un instantané hâtif, il nous faut nous préoccuper de notre propre mouvement. Nous sommes nous-mêmes moteur et mobile, et nous devrions nous demander comment cela est possible et comment nous en accommoder. Pour prendre arbitrairement un exemple parmi tant d’autres, on citera ici Sebastián Fox Morcillo, qui entend présenter dans De Naturae Philosophia (1554) la concordance des visions du monde platonicienne et aristotélicienne et place au début de ses « Axiomata » deux des thèses antiques sur le mouvement : 1. Tout ce qui se meut par soi-même est animé. 2. Nul corps ne peut se mouvoir par lui-même16.

9 Nous avons besoin d’une « âme » : c’est elle qui nous meut, nous et notre corps. Le corps en lui-même n’y parvient pas. Cette condition nécessaire doit être prise en compte, ce qui implique de concevoir la vie comme le mouvement issu de l’âme : « Vivre, c’est posséder un mouvement venant de l’âme17. » C’est de nous que le corps fixe d’une bibliothèque reçoit sa vie et son mouvement, nous y faisons entrer nos « âmes » et notre vie, nos questions et notre soif de savoir (encore) inassouvie, et la mettons ainsi en mouvement. Telle est la lecture du modèle dynamique appliqué à la bibliothèque.

10 Notre tradition philosophique connaît une pluralité de représentations et d’images de ce genre, avec toute une palette de nuances et de variations. Dans ses considérations sur la physique, Alessandro Achillini, médecin et philosophe originaire de Bologne, place l’accent différemment tout en avançant la même thèse, et distingue le monde mathématique abstrait des immobilia de leur métamorphose dans la réalité mobile : « mais du fait qu’ils sont matériels, ce ne sont pas des immobiles18 ». Là où les conceptions « abstraites » se fondent dans la réalité, dans la vie, c’est là qu’apparaît le mouvement. Cette idée de base n’a pas fondamentalement changé au cours des âges. Dans Matter and Motion (1877), la position développée par J. Clerk Maxwell le conduit à considérer que « l’énergie d’un système matériel est conçue comme déterminée par la configuration et le mouvement19 ». « Configuration, mouvement et force » [configuration, motion, and force] décrivent le monde physique. Voilà qui confine à des catégories et des modalités plus anciennes. En dépit de l’adaptation aux idées et connaissances nouvelles, tout reste identique à soi-même sur le principe. Le mouvement relève essentiellement de cet ancien negocium Physicum, « activité physique » consacrée à la nature, au lieu, au temps et à « l’éternité du monde20 ». Rien de surprenant donc à ce que tout cela se produise et se reflète également dans le microcosme de la bibliothèque, ni qu’un rôle important y revienne à un critère comme la « configuration » – avant et après son transfert dans le domaine des technologies de l’information (TI, le T perpétuant l’ancienne τέχνη).

11 « Pour vous, auditeurs qui abordez pour la première fois la physique, j’ai jugé qu’il fallait transmettre la théorie du mouvement de manière imagée21 », lance Johann Nepomuk Zeiller aux étudiants du cursus intitulé Theoria Motus qu’il avait instauré à Augsbourg en 1781-1782. Dans l’étude de notre monde physique, qu’y a-t-il de plus fascinant que le mouvement ?

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La (relative) constance de la bibliothèque

Die grössere Geläufigkeit, das Uebergewicht des Beständigen gegenüber dem Veränderlichen drängt zu der theils instinctiven teils willkürlichen und bewussten Oeconomie des Vorstellens und der Bezeichnung, welche sich in dem gewöhnlichen Denken und Sprechen äussert. [...] Als relativ beständig zeigt sich ferner der an einen besonderen Körper (der Leib) gebundene Complex von Erinnerungen, Stimmungen, Gefühle, welcher als Ich bezeichnet wird. [...] Allerdings ist auch das Ich nur von relativer Beständigkeit22. Bibliotheca tria significat, Locum, Armarium, Libros23.

12 Paradoxe ? La bibliothèque serait en mouvement, alors même que nous y cherchons un point fixe ? Sans surprise, nombreux sont ceux pour qui elle est moins associée au mouvement qu’à un état stable et statique : « solide comme un roc », la bibliothèque résiste manifestement au temps et semble même le braver, et c’est bien pourquoi on escompte que le savoir entreposé sera assuré et fiable. Bien sûr, il est parfaitement justifié de parler de la bibliothèque comme d’un lieu et d’un outil de « consolidation du savoir » [Verfestigung des Wissens], où l’on aimerait arrêter le cours du temps, ou au moins en réduire le débit trépidant pour le détourner vers des eaux plus calmes ; car les livres qui nous entourent depuis si longtemps nous survivront probablement s’ils sont préservés des catastrophes majeures et du vandalisme.

13 En rédigeant l’avant-propos de son Analyse des sensations en 1885, Ernst Mach était convaincu que, grâce à la biologie en général, on pourrait fournir « les prochains éclaircissements sur les fondements d’une science universelle24 ». Aujourd’hui, on complèterait ces propos en mentionnant les neurosciences ; mais le questionnement fondamental que marque le sous-titre de l’ouvrage de Mach, Le rapport du physique au psychique, n’a guère changé. Bien évidemment, notre intellect ne saurait renoncer à ce que l’on appelle couramment « psychophysique », autrefois décrit comme « problème du corps et de l’âme » et touchant le rapport de mondes imaginaires avec des réalités. Or Ernst Mach, là où il avait entrepris d’« éliminer comme superflu25 » tout élément métaphysique, avait essentiellement pris comme repères les impressions sensorielles, son intérêt se portant ainsi sur les aspects constants ou fugaces de ce « réseau » [Gewebe]. Sur la base de phénomènes moins durables comme les états d’âme et les sentiments émerge « ce qui est relativement plus solide et plus constant », qui s’imprime dans la mémoire et se manifeste par le langage. Qui plus est, sans se contenter d’observer « la plus grande fréquence, la suprématie du constant sur le variable », Mach a identifié – élément crucial pour notre conception de la bibliothèque comme outil d’une telle « consolidation » – le rapport de cette dynamique du « constant » et du « variable » avec l’« économie de la représentation et de la dénomination26 » [Oeconomie des Vorstellens und der Bezeichnung].

14 La mémoire et, au terme de cette recherche de la « constance », la « consolidation du savoir » dans le langage et sa codification à l’écrit figurent pour ainsi dire à l’origine de l’histoire de la bibliothèque. Ce processus est loin d’être terminé et le problème n’est nullement éliminé ; bien au contraire, il devient de plus en plus pressant. Depuis que les

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fils de Seth, selon le récit de Flavius Josèphe, gravèrent sur des stèles de marbre et de brique les vérités divines révélées à Adam, le père du genre humain, pour les protéger de l’eau et du feu, telle est la mission première des bibliothèques : « garder » et conserver27. In extremis, on confiait les livres aux sibylles afin qu’elles les préservent et leur assurent la meilleure protection possible. C’est à elles et à Tarquin le Superbe que se rattache l’histoire de témoignages anciens de plus en plus rares et précieux. Ici aussi, l’enjeu était en fin de compte les dernières instances et les « préceptes divins » [divina testimonia], ainsi que, selon Lactance, la quête de la « connaissance de la vérité » et de la sagesse28. Or, d’après le récit de Virgile, seul un ordre immuable semblait envisageable, celui-ci s’étendant comme un legs et une ombre sur l’histoire de la bibliothèque : Illa manent immota locis, neque ab ordine cedunt29.

15 Mais l’histoire de la bibliothèque nous la révèle comme une instance bien plus « mobile ». La constance n’est pas une notion absolue : Mach évoque ce qui est « relativement plus solide et plus constant ». Ce qui « s’établit » dans le monde extérieur est négociable. Par conséquent, la bibliothèque a elle aussi trouvé les outils adéquats et pris toutes ses dispositions, aussi bien pour la préservation que pour le changement. Juste Lipse revendiquait pour la bibliothèque trois conditions minimales : un lieu, une armoire [armarium], et les livres30. Considérée en elle-même, l’armoire constitue une structure flexible adaptée à l’économie domestique. La bibliothèque et ses aménagements se caractérisent également par leur adéquation – nécessaire – à une gestion économe de l’espace et du temps. La bibliothèque-armoire, tout comme la bibliothèque-bâtiment, forme un tout « économique » dont l’espace limité impose à tous ses « usagers » de pratiquer le rangement et le classement, tâches fort exigeantes permettant de produire cet ensemble mobile.

Dispositions variées, figuratio in anima, configuratio, collocatio, et l’effet recherché : « d’un coup d’œil »

Dem Physiker muss der Körper als eine durch Raumempfindungen verknüpfte Summe von Licht- und Tastempfindungen, wenn er danach greifen will, so geläufig sein als dem Tiere, welches Beute hascht31.

16 La dimension concrète du rapport au temps et à l’espace et de son lien avec les aspects économiques se révèle dès l’apparition du lecteur-usager, sitôt que les livres doivent être mis à sa disposition le plus simplement et le plus rapidement possible. L’utilisation et l’usage transforment ce qui était censé être fixe ou immuable, voué à l’ordre conformément au but premier, en un agencement extrêmement flexible de classements et de relations en tous genres. Un « arrangement » [collocatio] raisonnable – voire un « façonnement » [configuratio] – destiné à satisfaire à de telles intrications possède ses conditions « intellectuelles », une « représentation dans l’âme » [figuratio in anima] qui résulte de l’« imagination » [imaginatio], la prolonge et la transpose en tant que « fonction ». Dans la tradition aristotélicienne, l’imaginatio est par nature liée à de telles options ; outre l’« imaginable » [imaginabile] existent aussi le « potentiel » qu’il recèle [la virtus imaginativa] et son orientation vers une « fonction » [functio] déterminée32. Cette situation confère sa validité à l’affirmation suivante : Imaginatio per intellectum in abstractis à materia semper est in actu33 ; quel que soit l’élément qui se combine aux

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représentations dans leur orientation vers le monde extérieur contingent – jusque dans l’étagère à livres ! –, il est toujours en mouvement et « oscille » entre les données abstraites et celles qui se rattachent aux perceptions sensorielles.

17 La chose est d’ailleurs impossible sans une idée précise de la dynamique du lieu ; tout agencement sert à assurer une localisation fiable – et, si tant est que cela soit possible, à la présentation et à la communication en relation avec l’ensemble. Le changement de lieu, auquel Aristote accorde une attention particulière au livre VIII de sa Physique, est qualifié par Hans Wagner dans sa traduction allemande d’« Urtyp aller Prozessualität34 ». Le lieu – selon la bonne tradition cicéronienne et mnémotechnique – assure la mémorisation de toutes les possibilités de mouvement intellectuel. La forme (normale) d’une « armoire à livres35 » [armarium], permet la « vue d’ensemble », ce meuble est associé à la clarté de la vision du point de vue de l’œil et de la distance, il est « formaté » et « configuré ». On peut – c’est là l’intention même – en embrasser le contenu « d’un coup d’œil ». Dans un souci d’économie domestique et d’efficacité du travail, l’armoire est régie par la notion d’« accessibilité » et par les conditions afférentes des perceptions sensorielles et du mouvement local.

18 D’un point de vue général, la meilleure garantie de « l’économie » d’une bibliothèque est la prise en compte de cette question d’accessibilité « physique », ou plus précisément « psychophysique », l’harmonisation de l’agencement des livres avec les moyens et le processus de saisie, dans un souci de promptitude maximale de l’expérience. C’est pourquoi proximité et clarté sont nécessaires. En 1857 encore, dans son compte-rendu d’une visite à la nouvelle British Library de Londres, qui outrepassait déjà de loin la notion habituelle de « clarté » d’une bibliothèque, Prosper Mérimée louait expressément la disposition des livres, dont un maximum d’exemplaires étaient placés dans la grande salle centrale afin de les rendre immédiatement saisissables36.

19 Le saisissable, l’haptique implique une aptitude concrète des sens (et leur interaction en conséquence), notamment lorsque dans l’idéal (et en bonne économie), de tels processus se déroulent à l’aveugle. En 1903, Theodor Beer a observé dans son commentaire sur l’Analyse des sensations d’Ernst Mach que « pour le physicien désirant l’appréhender, le corps doit être une somme de sensations lumineuses et tactiles résultant de sensations spatiales, aussi familières pour lui que pour l’animal s’emparant de sa proie37 ». Et d’ajouter : « L’échelon inférieur n’est pas rendu inutile par le supérieur, à l’instar des moyens de transports les plus grandioses qui ne rendent pas totalement superflue la marche à pied38. » Il mentionne toutefois un avantage décisif de l’être humain, supérieur aux animaux par la faculté « de choisir son point de vue en le déterminant en fonction de l’objectif considéré39 ». C’est bien là ce que l’on souhaite à tout usager d’une bibliothèque : avoir son propre point de vue et son propre intérêt cognitif ; voilà qui souligne bien que la routine (saisir « à l’aveugle »), loin d’exclure l’intelligence, la libère !

La bibliothèque en mouvement

In questo caso il Bibliotecario non deve collocare i libri immobilmente in un sito, donde non dipartansi più; ma deve disporli interinalmente come può40. …mais ce sont nos mains qui l’ont allumé volontairement41.

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20 La bibliothèque est donc en mouvement ; sans doute faut-il ajouter que cela requiert l’ anima d’un premier moteur imprimant le mouvement à la dynamique : la bibliothèque est en mouvement, mue par les intérêts et les interventions de ses usagers, en évolution et en mutation perpétuelles. Et en fin de compte, la bibliothèque engendre son propre mouvement. À propos de ce « mouvement autonome » de la bibliothèque – imposé de l’extérieur –, on signalera deux anecdotes également révélatrices.

21 La première nous vient de Paolo Maria Paciaudi qui, dans son ouvrage posthume Memoria ed Orazione [...] intorno la Biblioteca Parmense publié en 1815, décrit la procédure à suivre pour créer une bibliothèque et sa « cohésion interne » – au sens de l’ancienne chaîne d’or, la catena aurea –, quand bien même un tel ordre fixe, apparemment impossible dans l’immédiat, n’est encore qu’une vision d’avenir au vu des circonstances et des collections disponibles. La solution est justement de ne pas agencer les livres de manière définitive, une fois pour toutes, mais de tendre au contraire vers cet objectif de manière « dynamique » par un rangement provisoire l’anticipant éventuellement : « Dans ce cas, le bibliothécaire doit, non pas immobiliser les livres en un lieu dont ils ne repartent plus, mais les disposer temporairement comme il le peut42. » C’est bien parce que le but recherché est l’ordre que la bibliothèque reste en permanence en agitation et en mouvement sur le chemin qui y conduit.

22 De toute façon, les bibliothèques ne connaissent pas d’ordre définitif et cela peut aller jusqu’à affecter – de manière frappante, surprenante, voire inquiétante – la sécurité des collections : tel est l’objet de la description radicale de Louis Sébastien Mercier dans son ouvrage L’An 2440. Une visite fictive de l’ancienne « Bibliothèque du Roi » est censée lui révéler ce qui resterait valable au fil du temps43. Il s’agit là bien entendu d’une prise de position polémique, transposée de manière saisissante à une autre époque pour plaider la cause des « Anciens » et dénoncer le bavardage des « Modernes » – le tout dans un souci de contrôle bien réglé de l’économie de notre savoir. Le verdict affecte notamment Voltaire, cet « auteur prolifique ».

23 Le rêve de Mercier commence, à propos de la « Bibliothèque du Roi », par un constat mêlé d’étonnement (« mais j’eus besoin de m’en assurer plus d’une fois ») : au lieu des quatre salles en longueur renfermant des milliers de livres, il ne subsiste plus en 2440 qu’un « petit cabinet44 ». Ayant demandé si un incendie a détruit l’ancienne bibliothèque, il se voit répondre que c’est bien le cas, mais, lui précise-t-on, « ce sont nos mains qui l’ont allumé volontairement45 ». Le bibliothécaire détaille ses explications, ajoutant que la règle des temps anciens était : « on écrivoit, puis on pensoit ». Dorénavant, l’enjeu est selon lui « de réédifier l’édifice des connoissances humaines », et cela n’est possible qu’en sélectionnant rigoureusement ce qui est essentiel et valable. Aucun risque pour les anciens Grecs, pour Homère, Platon, « & surtout notre ami Plutarque » ; pourtant, même ici, il y a des victimes, ainsi Hérodote et Aristophane. Chez les Latins, Lucrèce a dû être sacrifié – à l’exception de quelques « morceaux politiques » –, car « sa physique est fausse » et sa morale « dangereuse46 ». Quintilien est réduit à un petit « volume fort mince ». Et le tri et l’élimination continuent ainsi jusqu’aux Français, Montaigne semblant fournir le critère en vigueur : « Il ne faut pas s’enquérir quel est le plus savant, mais quel est le mieux savant47. »

24 Il est question du contenu et de sa profondeur : les commentaires sur Corneille, Racine et Molière ont été brûlés, contrairement aux textes originaux48. Point de place pour le « babillage » dans les livres de la bibliothèque. Et voici qu’advient l’inévitable : « Je tombai sur un Voltaire. Ô ciel ! m’écriai-je, qu’il a perdu de son embonpoint ! Où sont

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ces vingt-six volumes in quarto, émanés de sa plume brillante, intarissable49 ? » Le bibliothécaire rétorque qu’on s’est senti obligé de brûler une grande partie de ses écrits. Le « beau génie » de Voltaire aurait « payé un tribut un peu trop fort à la foiblesse humaine ». « Il précipitoit ses idées & ne leur donnoit pas le tems de mûrir. » Il faisait passer la « hardiesse » avant la « lente discussion de la vérité » ; « rarement aussi avoit-il de la profondeur50 ». Une « hirondelle rapide », survolant à tire d’aile le vaste champ de la littérature, pour parvenir à ce constat : « Que de platitudes imprimées contre cet immortel ouvrage », Mercier opposant ici Voltaire à Rousseau, qu’il admire51. En fin de compte, le reproche s’adresse à tout ce qui est trop irréfléchi ou paraît purement fragmentaire. En 2440, on a refait l’Encyclopédie « sur un plan plus heureux » et renoncé à ce « misérable goût de réduire tout en dictionnaire ». Au lieu de « hacher les sciences par morceaux », on présente désormais « chaque art en entier » afin d’en donner une vision de la totalité52.

L’économie comme moteur

Materie ist das Bewegliche, so fern es, als ein solches, bewegende Kraft hat. Materie ist das Bewegliche, so fern es, als ein solches, ein Gegenstand der Erfahrung seyn kann53.

25 Ainsi, du point de vue de l’économie du savoir (et des livres), la profondeur de pensée, de même que la sélection et l’ordre mûrement réfléchis entrent en ligne de compte. Mercier avait complété le titre de son livre par la devise, reprise à Leibniz et tournée vers le futur comme l’année 2440 : « Le tems présent est gros de l’avenir. » La concentration sur l’essentiel et la qualité intellectuelle sont des idées d’avenir et la bibliothèque un outil permettant d’en établir un modèle ! Les attentes sont grandes. Et les mouvements (des livres) sont un moyen d’amélioration et de précision renforcée ; la bibliothèque doit y recourir sous peine de dégénérer dans les plus brefs délais pour devenir un pur lieu d’archivage de textes imprimés – voire une simple accumulation d’information. Elle est constamment en mouvement ! À condition que tout ce qui s’y rattache soit mis en mouvement avec sagesse et circonspection. Et comme la clarté de la vision d’ensemble est indispensable, l’enjeu est bien l’économie, au meilleur sens du terme, et l’ordre régnant dans un cadre donné et restreint. Celui-ci doit être – tout comme les outils afférents – adapté à l’être humain et à l’étendue de ses sens, il doit être à sa portée.

26 En 1786, dans les Metaphysische Anfangsgründe der Naturwissenschaft, Kant s’est intéressé à la nature – en cherchant à en établir les principes inhérents – dans la mesure où celle- ci et la matière « peuvent être objets de nos sens et par suite aussi objets d’expérience54 ». Son regard se porte par conséquent sur la matière en tant que « ce qui est mobile dans l’espace » ; il la considère tantôt d’un point de vue plutôt mécanique, tantôt plutôt phénoménologique : « La matière est le mobile, dans la mesure où comme tel, il dispose de force motrice », et « La matière est le mobile dans la mesure où comme tel, il peut être objet d’expérience55. » Le premier point reprend d’anciennes conditions aristotéliciennes, selon lesquelles une « force » [virtus] et une puissance sont toujours potentiellement présentes dans les objets. Le second semble viser encore plus nettement l’homme moderne et son sentiment de la réalité.

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27 La conception du mouvement de la matière s’impose en tout cas dès qu’elle est pensée dans l’espace, plus précisément dans le spatium physicum. Cela se comprend en prenant comme modèle la bibliothèque. Pour des raisons plausibles, on verra le mouvement dans la bibliothèque en relation encore plus étroite avec l’être humain qui utilise celle-ci. Il faut donc s’intéresser à nouveau à la psychologie au sens le plus large, avec les motifs et réflexions allant de pair avec la motricité du corps et de l’esprit. On rejoint là les les « affections communes du corps physique » [communes corporis Physici affectiones] analysées par Francesco Piccolomini en 1597 à la suite des explications d’Aristote au début du livre III de sa Physique, afin de mieux appréhender les critères et concepts correspondants. Harum affectionum Motus principalissima est : parmi tous les effets provoqués par les corps, le mouvement est le principal. Le lieu, le temps et leur changement, ainsi que tout ce qui relève du « processuel » (pour user d’un terme très moderne) est lié au mouvement56. La grandeur, en revanche, pertinente seulement en tant qu’elle est perceptible, non pas absolument, « mais par sa relation avec les sens », avait été classée par Piccolomini parmi le sensible au sens strict57. Peu de temps auparavant, Francesco Patrizi avait pour sa part mis en relation avec le spatium physicum, outre la dimension, les notions de distance, d’écart et d’intervalle, tout ce dont nous pouvons et devons nous servir pour préciser – de manière économique ! – le « lieu » et instaurer l’ordre58. Sur ce point, Aristote lui-même avait souligné le parallèle de l’apprentissage et d’autres activités avec la construction, à l’évidence parce que le processuel, le changement, l’augmentation et la diminution s’y manifestent de manière particulièrement perceptible. C’est bien là que réside l’enjeu, et non pas dans le résultat de la construction.

28 Tout se déroule dans l’espace et dans le temps, en cherchant à utiliser au mieux ces conditions, de manière « économique », dans les plus brefs délais entre la naissance de l’idée et la réalisation du but, et par le plus court chemin. L’économie du savoir recherche le domaine d’action dans lequel il est le plus aisé de se faire une vision d’ensemble. La référence de Juste Lipse, déjà citée, à un lieu et point de référence fixe [locus] et à un outil de classement, l’armoire [armarium], permet de déterminer quels sont les ingrédients en mesure de satisfaire à ces règles économiques et à la réalité physique existant dans la bibliothèque, avec « ses » aménagements. Ce sont des moyens simples destinés à accélérer l’ensemble du processus sans le compliquer inutilement ni le rallonger. Rien ne doit faire obstacle à la fulgurance de la pensée ni à l’accès immédiat. Le déroulement de ce commercium doit s’opérer sans entraves ; mieux cela réussit, plus la bibliothèque peut tenir sa promesse d’être un lieu d’échange vivant.

29 L’usager d’une bibliothèque se fiera donc à ses intentions pour choisir un site [Standort] – et naturellement aussi un « point de vue » [Standpunkt] – afin d’utiliser au mieux l’outil qu’est la bibliothèque et d’obtenir à coup sûr le profit escompté. L’objectif du classement de la bibliothèque, dans lequel l’armarium aide au « formatage » et les parties sont rassemblées en un tout, doit être d’apporter un soutien « économique », du point de vue de l’accessibilité comme du site.

30 On objectera sans doute aussitôt que les classements de ce genre sont trop soumis à la contingence d’un bibliothécaire. C’est pourtant là un bien mauvais bibliothécaire que celui qui s’en remet à l’arbitraire. Et les avantages issus de la fréquentation de longue date – par le bibliothécaire expérimenté ! – des structures de classement et d’assemblage sont loin d’être négligeables. En outre, on parle ici de classements résultant de processus culturels (et de leurs « contextes »), qui servent de références et

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confèrent à toute dynamique une impulsion supplémentaire. (Il est parfois étonnant de voir dans notre économie du savoir des « systèmes ordonnés » hâtivement jetés par- dessus bord sans tergiverser, alors qu’on devrait rapidement s’apercevoir de la quantité de savoir, d’entendement et de connaissance ainsi perdue, et à l’inverse, de l’absence d’esprit critique dans l’introduction et la mise en œuvre de nouveaux classements.)

31 On sous-estime l’économie de la réalité « physique », que l’on peut fort bien prolonger par la pensée en direction d’un « principe du moindre effet ». Et l’« économie de la pensée », jadis si fascinante, paraît bien obsolète à l’âge de mondes virtuels ayant depuis longtemps accumulé son contraire, une masse débordante, désordonnée et confuse de données brutes dont le dépouillement se révèle extrêmement pénible et coûteux, cet aspect n’étant d’ailleurs guère mentionné59. C’est à peine si l’on s’est aperçu que la conception de la totalité, encore revendiquée par l’être humain et la société, avait disparu de ce rapport au savoir marqué par un niveau élevé de technicité. Avec l’économie spatiale (du rangement) et l’économie temporelle de l’accès rapide et fiable, du point de vue de l’individu comme de la totalité, se pose à l’inverse une question à laquelle la bibliothèque « à l’ancienne » a toujours su répondre. Ces réponses font bien souvent défaut dans le monde actuel, grisé par la masse des données du « big data ». Et incidemment, on voit aussi disparaître ce type de mouvement qui doit nécessairement se dérouler dans ces périmètres délimités à échelle humaine en un échange immédiat. La dynamique de la bibliothèque « à l’ancienne » repose sur le commercium s’opérant dans l’édifice économique marqué par le lieu et le temps, auquel l’usager insuffle un mouvement continuel. Le « positionnement du savoir » sur les rayonnages et les étagères doit sans cesse « réagir » à la nouveauté, mais aussi à ce qui est déjà sur place, et s’accommoder – au plus vite – de la pression du principe d’économie. Tout se met en mouvement, et la vie entre dans la bibliothèque.

L’ordre de la bibliothèque et les mouvements de notre âme : ex dulcedine animi delectationem

Extruendarum Bibliothecarum quartus finis, Animi voluptas. [...] Audiamus super hac re Vitruvium, “Reges Attalici”, inquit, “magnis Philologiæ dulcedinibus inducti, cum egregiam Pergami Bibliothecam ad communem delectationem instituissent, tunc item Ptolemæus infinito zelo cupiditatisque studio incitatus, non minoribus industrijs ad eundem modum contenderat Alexandriæ comparare.” Ex quibus verbis intelligis nihil aliud in Bibliothecæ extructione fuisse propositum Attalicis Regibus, præter eam, de qua loquimur, ex Philologiæ dulcedine animi delectationem60.

32 L’ancienneté de ce commercium, et en général de l’économie de la bibliothèque et des expériences s’y rapportant, ainsi que la tradition qu’ils ont fondée sont précisément les raisons pour lesquelles on dispose de multiples conceptions et notions pour déterminer le possible déroulement de l’ensemble du processus allant de la construction jusqu’à l’utilisation, incluant la « construction » [extructio], le « rangement » [instructio], l’« administration » [cura] et l’« utilisation » [usus]. La « force imaginative » [virtus

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imaginativa], en tant qu’elle concerne tout spécialement la bibliothèque, a été formulée et façonnée dès 1635 par le jésuite Claude Clément qui, en prenant pour point de départ la bibliothèque de l’Escorial, l’exprima sous la forme d’inscriptions, d’emblèmes et de principes61. Outre l’utilitas publica et la « démonstration du savoir et de l’érudition » [eruditionis ostentatio], c’est la « la compénétration des connaissances acquises, l’échange et la comparaison » [comparanda eruditio], troisième principe sur un total de dix, qui thématise le rapport interne avec les savoirs encore à acquérir [eruditio acquirenda]62. Du mouvement lié aux livres et au savoir découle l’avantage de la bibliothèque. On suit toutes les pistes imaginables pour accéder à la sagesse. Les désignations les plus diverses – telles que myrothecium [« boîte à parfums »] ou seplasia, en référence à une place particulièrement agréable de la Capoue antique – décrivent le chemin à suivre pour connaître enfin le « plaisir de l’esprit » [animi voluptas]. Vitruve rapporte déjà que la bibliothèque de Pergame avait été bâtie par ses fondateurs dulcedinibus inducti, entraînés par la douceur [des belles-lettres], ad communem delectationem : pour la satisfaction et le divertissement de tous63.

33 La comparanda eruditio, ce mouvement naissant de la comparaison et de la mise à niveau, résulte déjà du fait que les plus anciens et les plus importants parmi les philosophes et instigateurs de savoir, les « maîtres des vertus » [Antistites bonarum artium, Pythagoras, Plato, Aristoteles, Socrates], ne se contentaient pas de transmettre le savoir, mais invoquaient eux-mêmes des indications et des connaissances antérieures ; ainsi, non seulement ils enrichissaient leur propre savoir, mais ils établissaient également un rapport et traçaient une continuité64. Il y a longtemps que la « bibliothèque » – avant la lettre – s’est établie comme « siège de la sagesse » [sedes sapientiae]. En elle, ce « savoir universel » se transforme perpétuellement, de même qu’il est sans cesse réadapté au service de la culture, pour ouvrir la voie à la sagesse. La comparatio a un rôle de lien, en fonction de la similitudo, de même qu’elle identifie et décrit la divergence à partir de la dissimilitudo. C’est là aussi un processus perpétuel, spécifique à la bibliothèque.

34 Ce processus inclut le discours latent se déployant entre les livres. Leur contenu est intégré à un « réseau » dont les trames s’entrecroisent. Or, tout conforte ce besoin « mouvementé » d’ordre, jamais au repos, afin de soumettre le rapport des parties au tout, le classement ordonné de chaque livre et de son voisinage à un contrôle permanent, et de l’exposer à une modification possible et souhaitable. Le mouvement introduit dans la capillarité des structures de comparaison requiert en retour une architecture et y cherche un appui. Plus précisément, il s’agit de l’architectonique, définie par Kant comme « l’art des systèmes » [Kunst der Systeme] ; elle est tout particulièrement sollicitée et doit contenir les mouvements de l’esprit et de l’intellect qui vont s’intensifiant au fur et à mesure de l’approfondissement de l’objet d’étude65.

35 On ne saurait les démêler. Constamment, on est ramené à l’excitation de nos sens, aux événements psychophysiques, à la relation entre mouvements sensoriels et intellectuels. La façon dont « fonctionnent » les classements correspondants est exposée dans la bonne tradition aristotélicienne par le De Sensu et Sensato, vulgarisé par les Parva Naturalia66. La vue, privilégiée, se voit attribuer non seulement la grandeur, la forme, les signes arithmétiques ou géométriques, mais aussi le mouvement, la proximité et la distance. L’œil se meut dans l’espace et le temps, accompagné de mouvements « de l’âme ». Et tout se fond indissociablement en un tout.

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36 Sur la base de telles relations, Schiller entreprendra de postuler un rapport nécessaire pour ses observations esthétiques, déclarant ainsi dans son essai Über Anmuth und Würde, publié en 1793 et dédié à Carl von Dalberg : « La grâce ne peut revenir qu’au mouvement car une modification dans l’âme ne peut se manifester qu’en tant que mouvement dans le monde sensible67. » En exergue de son étude figurait la formule empruntée à Milton : « Ce que tu vois, noble esprit, c’est toi-même. » Perception sensorielle et personnalité connaissante ne font qu’un et deviennent quasiment contiguës. Seule cette fusion permet de révéler le « véritable » objet des activités esthétiques. Selon Karl Gneiße, l’explication que donne Schiller de la beauté comme « une qualité du mouvement vrai ou apparent (objectif ou subjectif)68 » implique que « les choses situées entre la sensation et la pensée deviennent pour nous des choses qui prennent forme69 ».

37 La représentation interne n’affecte pas uniquement la réalité extérieure ; les deux mondes se rencontrent et s’entrecroisent : ils sont en échange permanent. L’ancienne figuratio in anima unissait déjà la « figure », la « forme » [ figura] et l’« image », la « vision » [imaginatio], même s’il faut en un premier temps distinguer imaginabile, virtus imaginativa et imaginabile functio : ce qui est possible comme vision, ce que l’imagination est capable de faire, et ce à quoi elle sert70. Or à présent, vitesse et proximité importent également, de toutes façons difficilement évitables au vu de la « fulgurance » de notre « intuition ». Nous désirons que les mouvements de l’âme et de la vision nous relient aux choses de façon discrète, le plus vite possible et en « accessibilité » immédiate. On pensait apprendre dans la physique et dans la République de Platon que les mouvements externes seraient intégralement transposés en mouvements de l’âme71. On comprend rapidement qu’à cet endroit précis, il n’est pas souhaitable que des délais inutiles viennent retarder ou perturber le cours des choses.

Cela brille comme l’éclair, cela pense... « Figures architecturales ramifiées » et « complexes de sensations »

Indem wir nun bald das Eine bald das Andere im Sehfelde lebhafter einbilden, scheint uns das Object selbst sich zu verändern, es ist, als ob ein Blatt über dem andern weggezogen würde, oder so wie die Kaleidoscope sich verändern. Darauf gründet sich zugleich der wunderbare Reiz, den solche auf einer gewissen Gesetzmäßigkeit beruhende vielgliederige architectonische Figuren auf den Sinn ausüben. Sie haben etwas Bewegliches, Veränderliches, Lebendiges, oder vielmehr der Sinn trägt sein eigenes Bewegtseyn, sein eigenes Leben aus dem Sehfelde auf sie über72.

38 Vitesse et fulgurance sont de mise. On désire étudier ces phénomènes le plus à fond possible. Bien sûr, il y a beau temps que nous savons comment, par l’intermédiaire des sens, les corps et les formes déclenchent des mouvements de l’âme, et de quelle nature sont ces derniers. Pourtant, on aimerait en apprendre encore davantage sur la richesse et la spécificité dans l’interaction entre expérience sensible et mouvement de l’âme. En partant de l’objet « extrême » des « phénomènes visuels fantastiques » (1826), Johannes

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Müller parle de la « sensibilité interne » [innere Sinnlichkeit] et des « stimuli organiques de la substance de la vision », et décrit comment « le nerf lumineux [optique, NdT] dans l’état de l’affection agit comme un puissant stimulus sur les organes du cerveau connaissant des formes de vie que nous appelons “spirituelles”73 ». Le mouvement est déjà inclus dans le cas de l’imagination « vivement excitée », et inversement, l’intérêt particulier pour les objets extérieurs est propre à cette même imagination, ces objets accessibles par l’expérience sensible intervenant en tant que « facteurs d’ordre et de limitation ». Johannes Müller observe de tels processus « d’imagination sensorielle dans le champ de vision » au contact de « figures architecturales ramifiées » abstraites, et il décèle le « charme merveilleux » que leur confère une « certaine régularité74 ». On est tenté d’y voir un parallèle avec le dispositif expérimental d’une bibliothèque, dans laquelle la diversité déconcertante des impressions possibles est contenue par un ordre architectural visible – au moyen de l’armarium décrit ! L’attention accrue apportée aux formes relativement régulières (géométriques ou figuratives), ainsi que le suggère Johannes Müller, a justement pour objectif de permettre une localisation plus rapide et un accès plus assuré.

39 En un mot, la concordance des mouvements physiques et spirituels laisse supposer des avantages dont l’usager de la bibliothèque peut profiter tout particulièrement. C’est d’autant plus le cas que les classements résultant de la logique de préservation sont proches de ceux de l’usager, voire totalement superposables à ceux-ci. Dans tous les cas, les systèmes de classement existants sont eux aussi, de même que les conjectures, indications et connaissances qui les sous-tendent, impliqués dans ce processus de mouvement – et de « discours ». Et, source de profit supplémentaire, ils sont partagés et circulent d’un lecteur à l’autre, permettant à celui-ci de tirer profit – grâce à ce « détour » – de la pénétration et de l’intelligence de son prédécesseur. Plus qu’ailleurs, l’image selon laquelle nous sommes juchés sur les épaules de nos « ancêtres » est de mise. Il n’y a pas de tabula rasa : nous tirons parti des connaissances déjà acquises, dans toutes leurs nuances, depuis l’erreur et la dissimulation jusqu’à la certitude établie.

40 De tels mouvements sont rapides – et ils le sont encore plus en fonction du degré et du succès de la captation d’attention. Comme souhaité, tout se passe à la vitesse de l’éclair, de manière « fulgurante ». Or, « tout ce que nous connaissons, c’est l’existence de nos sensations, de nos représentations et de nos pensées » ; et nous devrions en fait dire « cela pense », comme on dit de l’éclair « cela brille ». Lichtenberg, qui formule ces réflexions, en conclut : « Parler du cogito est déjà trop si on le traduit par Je pense75. » En commentant ces propos, Ernst Mach précise sa conception de l’interdépendance des corps et des sensations : « Ce ne sont pas les corps qui produisent des sensations, ce sont les complexes de sensations (complexes d’éléments) qui forment les corps. Si pour le physicien, les corps apparaissent comme ce qui est durable et réel, alors que les sensations seraient leur apparence passagère et fugace, c’est qu’il oublie que tous les corps ne sont que les idées symboliques de complexes de sensations (complexes d’éléments)76. »

41 Mach rappelle à cette occasion l’intérêt particulier qu’il dit avoir porté alors à Avenarius et à sa Philosophie als Denken der Welt nach dem Princip des kleinsten Kraftmasses [« La philosophie comme pensée du monde selon le principe de la moindre action »], parue en 187677. Tous deux se sentent particulièrement proches de points de vue « économiques », tels ceux qui s’imposent à propos de la bibliothèque comme forme de savoir.

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42 Des raisonnements comparables, s’intéressant spécialement à la fulgurance de la perception et de la compréhension et débouchant même sur une référence au livre, figurent également en bonne place chez Thomas Reid. Dans son Inquiry into the Human Mind (1764 ; trad. fra. Recherches sur l’entendement humain, 1768), il se penche également sur des objets qui nous accompagnent en permanence sans que nous devions disposer du temps nécessaire pour en faire « le sujet de notre réflexion78 ». C’est pourquoi dans le chapitre intitulé « Of the visible appearances of objects » [« Des apparences visibles », section III du chap. VI « De la vue »], il souligne que ce sont des signes, et que l’économie de notre pensée a tout au plus « contracté une habitude d’inattention pour ces signes : habitude forte et […] invétérée » : « Ils paraissent et disparaissent comme l’éclair ; la chose désignée leur succède promptement, et fixe toute notre attention79. »

43 Voici donc que réapparaissent dans nos perceptions sensorielles et dans notre Anschauung l’éclair et la fulgurance, qui ne portent apparemment pas de nom et nous en paraissent d’autant plus rapides et familiers ! Plus tard, tout en reconnaissant les avantages de cette « fulgurance », à savoir « la légèreté, la rapidité, l’évidence fulgurante », Helmholtz l’a sacrifiée à ce qui était pour lui l’enjeu : l’exigence de rigueur scientifique80. Dans le prolongement de ses réflexions, Thomas Reid en arrive pour sa part sans surprise à parler de l’artiste. Il voit chez le peintre un besoin similaire de transposer le plus rapidement possible ses intuitions, et reconnaît la difficulté particulière qu’il y a à satisfaire aux conditions difficiles de la vision par les moyens de l’« abstraction » ; ce processus est pour lui le plus difficile de tous81.

44 Ce qui frappera plus tard particulièrement Johannes Müller comme un avantage sensible pour la perception et l’interprétation, Thomas Reid le mettait en rapport avec les possibilités spécifiques dont dispose le peintre pour accorder à ses représentations une attention « à peu près semblable à celle que nous exigeons ici82 ». Pour exprimer le rapport idéal entre ce que nous cherchons et ce que, guidés par nos sens, nous voulons trouver le plus rapidement possible, l’objet choisi par Reid est le livre, dont il discute l’« apparence » selon la distance, la position et la dimension83. Bien des choses échappant selon lui à l’observateur normal frappent immédiatement le peintre, exercé à voir et à remarquer les moindres nuances de couleur et d’ombre. L’appearance des objets visés par notre désir de savoir met à l’épreuve notre faculté visuelle : il faut d’abord apprendre à voir ! Du point de vue des livres de la bibliothèque, tout cela sert à la deixis, la fonction de monstration et de présentation faisant appel à la mémoire ; c’est le moyen d’accéder aux livres avec un maximum de détermination et de rapidité. Cette abstraction, dont Johannes Müller, comme Thomas Reid avant lui, parlent avec admiration, est construite au milieu des réalités existantes des objets et des observateurs. Il s’agit d’un outil assurant la médiation, comme l’ armarium, la bibliothèque-meuble, ou comme le « portillon » de Dürer, treillis tendu dans le cadre d’un « tableau » et placé dans son modèle de la vision entre l’œil de l’observateur et l’objet.

Vers des « sens plus parfaits » et un « vécu ordonné à tout prix »

Der Mensch ist zu feinern Sinnen, zur Kunst und zur Sprache organisiret. [...] Ueber die Erde und Kräuter erhoben, herrschet der Geruch nicht mehr, sondern

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das Auge: es hat ein weiteres Reich um sich und übet sich von Kindheit auf in der feinsten Geometrie der Linien und Farben84. Wenn es die Ordnungslehre schafft, dann arbeitet gleichsam das Ich mit seinem Festhalten und Fordern nur für Ordnung und für nichts anderes. Es will Ordnung im Erlebten um jeden Preis85.

45 On en revient toujours au mouvement ; et « mouvement » signifie littéralement « moteur » dans l’interaction entre δύναμιϛ et ἐνέργεια selon la doctrine antique de la puissance et de l’ acte. La véritable dialectique dans l’économie du savoir de la bibliothèque naît alors de la double prétention à une consolidation du savoir (sur le long terme) et à l’occurrence immédiate, vécue à chaque moment singulier et poussée jusqu’au comble de la fulgurance, de la perception sensorielle ainsi que de l’appréhension et de la compréhension intellectuelles. Au lieu de s’affronter, ces deux intérêts s’entremêlent de diverses manières. Et la bibliothèque elle-même se présente comme un espace où s’imbriquent représentations internes et réalités externes. Aux classements préétablis venant se projeter dans la bibliothèque s’ajoute à chaque instant l’« imagination » de l’usager, auquel Hans Driesch attribue une volonté d’ordre fondamentale, ancrée dans la nature humaine (« Il veut à tout prix que le vécu soit ordonné » !) et s’opposant au hasard et à l’arbitraire86. Les classements existants ou nouvellement conçus sont « intéressés » et reliés les uns aux autres, et ainsi subtilement intriqués. Le tout, situé dans l’espace et le temps, est donc conçu et déterminé dans un souci d’économie – au sens domestique, mais aussi plus moderne, d’économie d’énergie.

46 Le ποιητικόν [« le productif »] est la force motrice ; pour la poïèsis en tant que « faculté créatrice » fondamentale, tout cela constitue une requête à satisfaire et une mission à accomplir. Ainsi est-il garanti que la recherche d’une « irrévocabilité de l’ordre » [Ordnungsendgültigkeit] au sens de Driesch reste un mouvement vivant et dynamique. Tout est fonction de la voie suivie et des moyens employés. C’est pourquoi Johann Gottfried Herder affirme en 1784 dans ses Ideen zur Philosophie der Geschichte der Menschheit que l’homme est « par son organisation un être raisonnable », mais aussi que, « doué de sens plus parfaits que les animaux, [il] est formé par son organisation pour l’art et le langage87 ». C’est là, dans l’acte de langage, voire « seulement » de pensée, que se situent ces subtilités – en quelque sorte selon le « principe du moindre effet ». Plus on y regarde de près, plus on voit apparaître nettement le mouvement et le changement et leurs répercussions sur l’économie des processus de notre connaissance. Le même terme employé dans des formes et positions différentes prend des significations différentes : Priscien s’était déjà penché sur le phénomène, parlant des verba in compositione mutantia significationem et genus ou des verba sub una voce et una significatione diversas habentia significationes88. Et il existe des moyens et des outils encore plus fins, « fulgurants », animés par la dynamique du savoir et son ordre, comme l’atteste Leon Battista Alberti dans son De Re Aedificatoria [« L’art d’édifier »], lui qui se montre par ailleurs rarement embarrassé pour apporter des précisions terminologiques ou fonder une argumentation ; on se fait, écrit-il, plus facilement (et plus rapidement !) une idée de la beauté par l’esprit que par une description laborieuse : fortassis animo apertius intelligemus, quam verbis explicari a me possit89. Il se risque ensuite malgré tout à une définition, dont l’expressivité, quasi-sibylline, tient à sa brièveté (linguistique) : est

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beau, au sens de l’harmonie des parties et du tout, ce à quoi on ne saurait rien ajouter ni soustraire90. L’économie naît d’un acte de pensée ; le mouvement en est l’essence. Ernst Mach, en se référant constamment au « rapport du physique au psychique », a mis cela en relation avec l’« économie de la représentation et de la dénomination, pour une part instinctive, pour une part volontaire et consciente91 ». Les mondes de notre économie du corps et de l’âme ne peuvent être séparés, pas plus que la matière ne peut l’être de la forme. Faisant référence à la variabilité de nos capacités intellectuelles, l’historien de l’art Heinrich Wölfflin a ajouté : « le contenu de l’univers ne se cristallise pas, au regard de l’esprit, en une forme immuable92 ».

47 Alors même que l’on entend faire porter la réflexion sur la totalité, il faut tenir compte de cette variabilité dans laquelle est plongé l’être humain. Cela vaut dès la première impression, comme le démontre l’ajout effectué par Salomon de Caus dans son traité de perspective à l’intérieur de la figure géométrique classique illustrant la perception de différentes dimensions selon les différents angles de vision. « Illusions » d’optique ! On lit sur le schéma de Salomon de Caus l’antique maxime Gnôthi sauton : « Congnois toy mesme93. » Comme s’il voulait dire que nos intuitions et nos connaissances sont nécessairement liées aux perceptions et aux mouvements !

48 Sans cette amélioration de la perspective, il n’est guère possible de réunir, dans le cas de la bibliothèque, la consolidation du savoir et la permanence du mouvement et du changement. Mais c’est justement la totalité qui est en jeu. Dans la théorie de la forme [Gestalt], l’accent est mis depuis Christian von Ehrenfels sur l’importance du « champ de conscience global » [Gesamtbewußtseinsfeld], en combinaison avec l’« expérience globale » [Gesamterlebniss]94. Loin d’amoindrir l’importance de l’acte de connaissance singulier, de la démarche déterminée et fulgurante, cela permet au contraire d’obtenir un succès plus rapide à chaque fois que l’on peut renoncer à la justification détaillée d’un cas particulier. Tout repose sur l’ancienneté de l’expérience et de la tradition. Dans ce contexte, la nostalgie, voire les lamentations sur la disparition de la perspective scientifique d’ensemble sont obsolètes. À l’occasion d’une séance publique de l’Académie des sciences de Prusse en l’honneur de Leibniz, le 29 juin 1922, Max Planck déclara, comme à regret, que Leibniz « n’avait pas besoin d’une académie, parce qu’il était à lui seul une académie », avant d’ajouter, fidèle à une conception de la totalité à laquelle la bibliothèque s’est elle aussi longtemps conformée : « Toutefois, la division du travail scientifique reste un pis-aller artificiel. En vérité, dans la totalité du savoir humain, il n’existe nulle part de ligne de démarcation qui puisse être considérée comme nette, pas même entre la nature et l’esprit ; au contraire, la science forme un tout homogène et au fond, quelles que soient les voies suivies par les différents chercheurs, tous sont au service d’une seule et même œuvre95. »

49 Tout cela repose sur l’indissociabilité de l’économie de la perception et de la connaissance, du monde interne et externe, économie incarnée de manière exemplaire par la bibliothèque et son utilisation. L’interaction qu’on y observe entre des mesures de bonne gestion, économiques, abrégées jusqu’à la « fulgurance », et la recherche inébranlable d’un ordre trouve aujourd’hui une confirmation mêlée de compréhension auprès de chercheurs en neurobiologie : « Dans le cerveau, l’enjeu est toujours la préservation de l’ordre interne avec une dépense d’énergie minimale96. » Gerald Hüther, pour le citer à titre d’exemple, combine cette affirmation à la critique de certains errements actuels et en appelle à notre créativité et à notre liberté. Ces deux valeurs ont toujours été défendues par la bibliothèque véritablement en mouvement.

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NOTES

1. Johann Nepomuk Zeiller, Theoria Motus, Augsbourg, 1782, p. iii. « La théorie du mouvement avec vous, auditeurs ! » [Lorsqu’aucune édition française n’est indiquée, les citations allemandes ou étrangères ont été traduites spécifiquement pour cet article, NdT] 2. Johann Wolfgang von Goethe, Matériaux pour l’histoire de la théorie des couleurs, Maurice Élie (trad. fra), Toulouse, 2003, p. 27 [texte original : « Nichts ist stillstehend. Bey allen scheinbaren Rückschritten müssen Menschheit und Wissenschaft immer vorschreiten, und wenn beyde sich zuletzt auch wieder in sich selbst abschließen sollten. », Johann Wolfgang von Goethe, Zur Farbenlehre, Zweyter Band. Zweyten Bandes erste Abtheilung, Vienne, 1812, p. [v]]. 3. Goethe, 2003, cité n. 2, ibid. [orig. : « einer strebenden Jugend […] eher lästig als erfreulich, weil sie gern von sich selbst eine neue, ja wohl gar eine Urwelt-Epoche beginnen möchte. », Goethe, 1812, cité n. 2, ibid.]. 4. « erstenmale entdeckt oder erfunden », F. L. von Hopffgarten, Ueber das Besondere und die Neuheit, Leipzig, 1772, p. 16. 5. « Den Menschen ist dasjenige neu, was sie zum erstenmale wahrnehmen, ob es gleich weit eher hätte wahrgenommen werden können, wenn es die Scharfsinnigkeit irgend eines Menschen aufgespüret hätte », Hopffgarten, 1772, cité n. 4, p. 17. 6. « Distruggere il culto del passato, l’ossessione dell’antico, il pedantismo e il formalismo accademico », Umberto Boccioni et al., Manifesto dei Pittori futuristi, Milano, 1910, p. [3]. 7. « L’opera di Rembrandt, quella di Goya e quella di Rodin », Boccioni et al., 1910, cité n. 6, ibid. 8. Goethe, 1812, cité n. 2, p. viii. « Et l’histoire est elle-même source d’histoires. », Goethe, 2003, cité n. 2, p. 28. 9. Goethe, 2003, cité n. 2, ibid. [éd. orig. : voir note précédente]. Voir Werner Oechslin, « Und die Geschichte macht selbst wieder Geschichte [...] Geschichtliches und Anderes zur “Historismus”- Frage », dans Hannes Böhringer, Arne Zerbst (dir.), Die tätowierte Wand. Über Historismus in Königslutter, Munich, 2009, p. 363-378. 10. [Géraud] de Cordemoy, Divers Traitez de Métaphysique, d’Histoire, et de Politique, Paris, 1691, p. 27. 11. Lazarus Bendavid, Vorlesungen über die Critik der reinen Vernunft, Vienne, 1795, p. [1], titre. 12. Voir Werner Oechslin, « “Gestaltung der Darstellung”, “optische Wahrheit” und der Wille zum Bild », dans Werner Oechslin, Gregor Harbusch (dir.), Sigfried Giedion und die Fotografie. Bildinszenierungen der Moderne, Zurich, 2010, p. 22-57, ici p. 29. 13. Goethe, 2003, cité n. 2, p. 106 [orig. : « Die Menschen sind überhaupt der Kunst mehr gewachsen, als der Wissenschaft. Jene gehört zur großen Hälfte ihnen selbst, diese zur großen Hälfte der Welt an. », Goethe, 1812, cité n. 2, II, 1, p. 118 ; à la différence de M. Élie, nous avons préféré traduire gewachsen par « aptes à se mesurer » plutôt que par « avancés » (NdT)]. 14. Goethe, 2003, cité n. 2, ibid. [orig. : « die Kunst schließt sich in ihren einzelnen Werken ab; die Wissenschaft erscheint uns gränzenlos. », Goethe, 1812, cité n. 2, II, 1, p. 119]. 15. « Die Welt ist die Geschichte selbst! », J. J. Hanusch, Vorlesungen über die allgemeine Kulturgeschichte der Menschheit gehalten an der Universität Olmütz im Jahre 1849, Brünn, 1849, p. 1. 16. « 1. Quidquid à se movetur, animatum est. 2. Nullum corpus à se moveri potest », Sebastianus Foxius Morzillus, De naturae philosophia, seu de Platonis, & Aristoteles consensione, Libri V., Paris, 1560, fo 150 vo. 17. « Vivere est, motum ab anima habere », Foxius Morzillus, 1560, cité n. 16, fo 151 ro. 18. « Sed in esse materiali non sunt immobilia », Alexander Achillinus, Opera Omnia in Unum collecta, cum annotationibus Pamphili Montij Bononiensis, Venise, 1568, p. 126.

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19. « The energy of a material system is conceived as determined by the configuration and motion of that system », James Clerk Maxwell, Matter and motion, Londres, [1877] 1920, s.p. (préface de l’auteur). 20. Cela correspond aux principaux chapitres ajoutés par Thomas d’Aquin dans ses commentaires de la Physique aristotélicienne. Voir S. Thomae Aquinatis Commentaria in Octo Physicorum Aristotelis Libros... Quibus etiam sunt additi S. Thomae infrascripti libelli ad negocium Physicum spectantes, Venise, 1566. 21. « Theoriam motus vobiscum auditores! ad Physicam primo accedentibus, typis communicandam putavi », Zeiller, 1782, cité n. 1, p. iii (Praefatio). 22. Ernst Mach, Beiträge zur Analyse der Empfindungen, Iéna, 1886, p. 2-3. « La plus grande fréquence, la suprématie du constant sur le variable, nous imposent une économie de la représentation et de la dénomination, pour une part instinctive, pour une part volontaire et consciente, qui s’exprime dans la pensée et le langage courants. [...] Quant au complexe de souvenirs, d’états d’âme et de sentiments qui se rattachent à un corps particulier (le corps humain), et que l’on désigne en tant que Moi [ Ich], il se montre relativement constant. [...] Toutefois, cette constance du moi n’est elle aussi que relative », en italiques dans l’original ; la traduction française de Françoise Eggers et Jean-Maurice Monnoyer, L’analyse des sensations. Le rapport du physique au psychique, Nîmes, 1996, a été en partie modifiée pour cet article [NdT]. 23. Justus Lipsius, « De Bibliothecis Syntagma », dans Operum Tomus II., Lyon, 1613, p. 892-898, ici p. 892 : « Une bibliothèque signifie trois choses : un lieu, une armoire et des livres. » 24. « die nächsten grossen Aufklärungen über [die] Grundlagen » ; « Gesammtwissenschaft », voir Ernst Mach, Die Analyse der Empfindungen und das Verhältniss des Physischen zum Psychischen. Zweite vermehrte Auflage, Iéna, 1900, p. [v] (préface à la première édition). 25. « Als störend zu eliminiren », Mach, 1900, cité n. 24, p. VII (préface à la deuxième édition). 26. Mach, 1996, cité n. 22 [éd. orig. : « grössere Geläufigkeit, das Uebergewicht des Beständigen gegenüber dem Veränderlichen », « Oeconomie des Vorstellens und der Bezeichnung », Mach, 1900, cité n. 24, p. 2]. 27. Voir Werner Oechslin, « Die Bibliothek, die Architektur und die “Architektonik” », dans Winfried Nerdinger (dir.), Die Weisheit baut sich ein Haus. Architektur und Geschichten von Bibliotheken, Munich/Londres/New York, 2011, p. 13-92, ici p. 39-46. 28. « Cognitio veritatis », L. Coelii Lactantii Firmiani Divinarum Institutionum, Venise, 1490, Prooemium et Livre premier, chap. VI. 29. « Ils y restent immobiles sans que leur ordre varie », Virgile, L’Énéide, III, v. 447, Paris, 1965, Maurice Rat (trad. fra.), p. 82 ; voir Oechslin, 2011, cité n. 27, p. 30 (avec renvoi à Paciaudi, voir infra n. 40). 30. Lipsius, 1613, cité n. 23, p. 892-898, ici p. 892. Voir à ce sujet Werner Oechslin, « Die Bibliothek und ihre Bücher – des Menschen Nahrung », dans Scholion, 0, 2001, p. 7-39, ici p. 21. 31. Theodor Beer, Die Weltanschauung eines modernen Naturforschers. Ein nicht-kritisches Referat über Mach’s „Analyse der Empfindungen“, Dresde/Leipzig, 1903, p. 27. « Pour le physicien désirant l’appréhender, le corps doit être une somme de sensations lumineuses et tactiles résultant de sensations spatiales, aussi familières pour lui que pour l’animal s’emparant de sa proie. » 32. Cité ici selon la version de la Tabula Zimarae ; voir Marco Antonio Zimara, Tabula Dilucidationum in Dictis Aristotelis et Averrois, Venise, 1543, fo 110 ro. 33. Zimara, 1543, cité n. 32, fo 111 ro. 34. « Prototype de toute processualité », voir Aristote, Physique, cité d’après Physikvorlesung, Hans Wagner (trad. all.), Berlin, 1967, p. 263. 35. L’importance de l’armoire à livres dans l’histoire de la bibliothèque est révélée par l’exemple de l’armoire de la bibliothèque de Nuremberg, dont les avantages, reconnus et imités à Leyde, conduisirent à l’introduction d’un nouveau « système » : voir Oechslin, 2011, cité n. 27, p. 16 et suiv.

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36. Oechslin, 2011, cité n. 27, p. 76 et suiv. 37. Voir Beer, 1903, cité n. 31, p. 27 [orig. : voir n. 31]. 38. « Die niedere Stufe wird nicht entbehrlich durch die höhere, sowie auch die grossartigsten Transportmittel das Gehen nicht ganz überflüssig machen. », Beer, 1903, cité n. 31, ibid. 39. « Sich seinen jeweiligen Standpunkt zweckmässig wählend zu bestimmen », Beer, 1903, cité n. 31, ibid. 40. Paolo Maria Paciaudi, Memoria ed Orazione […] intorno la Biblioteca Parmense, Parme, 1815, p. 61, nous soulignons. « Dans ce cas, le bibliothécaire doit, non pas immobiliser les livres en un lieu dont ils ne repartent plus, mais les disposer temporairement comme il le peut. » 41. [Louis Sébastien Mercier], L’An Deux Mille Quatre Cent Quarante. Rêve s’il en fût jamais, Londres, 1772, p. 187. 42. Paciaudi, 1815, cité n. 40, p. 61 [éd. orig. : voir supra]. 43. [Louis Sébastien Mercier], 1772, cité n. 41, p. 186 et suiv. 44. Mercier, 1772, cité n. 41, p. 187. 45. Mercier, 1772, cité n. 41, ibid. 46. Mercier, 1772, cité n. 41, p. 193. 47. Mercier, 1772, cité n. 41, p. 198. 48. Mercier, 1772, cité n. 41, p. 201. 49. Mercier, 1772, cité n. 41, p. 207. 50. Mercier, 1772, cité n. 41, p. 208. 51. Mercier, 1772, cité n. 41, p. 210, note (a). 52. Mercier, 1772, cité n. 41, p. 211. 53. Immanuel Kant, Metaphysische Anfangsgründe der Naturwissenschaft, Riga, 1786, p. 106 et 138. « La matière est le mobile, dans la mesure où comme tel, il dispose de force motrice. […] La matière est le mobile dans la mesure où comme tel, il peut être objet d’expérience », voir Emmanuel Kant, Premiers principes métaphysiques de la science de la nature, Paris, 1990, Jean Gibelin (trad. fra.), p. 118 [trad. modifiée pour cet article, NdT] et p. 146. 54. Kant, 1990, cité n. 53, p. 7 [orig. : « Gegenstände unserer Sinne, mithin auch der Erfahrung seyn können », Kant, 1786, p. [iii] (avant-propos)]. 55. Voir Kant, 1990, cité n. 53, p. 25, 118 et 146 [orig. : « das Bewegliche im Raume […] Materie ist das Bewegliche, so fern es, als ein solches, bewegende Kraft hat. […] Materie ist das Bewegliche, so fern es, als ein solches, ein Gegenstand der Erfahrung seyn kann », voir Kant, 1786, cité n. 53, p. 1, 106 et 138]. 56. Voir Francesco Piccolomini, « De communibus affectionibus corporis Physici », dans id., Philosophi primi, Librorum ad Scientiam de Natura attinentium Partes quinque, Francfort-sur-le-Main, 1597, p. 299. 57. « Sed per relationem ad sensus », Piccolomini, 1597, cité n. 56, ibid. 58. Voir Francesco Patrizi, « Pancosmias Liber Primus De Spacio Physico », dans id., Panarchiae. De intellectu et intellectibus Libri Decem, Ferrare, 1591, fo 61 vo. 59. Voir Wilhelm Frankl, « Über Ökonomie des Denkens », dans Alexius Meinong (dir.), Untersuchungen zur Gegenstandstheorie und Psychologie, Leipzig, 1904, p. 263-302, ici p. 286 et suiv. 60. Claude Clément, Musei sive Bibliothecæ tam privatæ quam publicæ Extructio, Instructio, Cura, Usus. Libri IV. Lyon, 1635, p. 10-11 : « Quatrième but de la construction des bibliothèques, Plaisir de l’esprit […] Écoutons sur ce point Vitruve : “Les rois attaliques, dit-il, entraînés par le goût des belles-lettres, avaient formé à Pergame une magnifique bibliothèque, pour la satisfaction de leurs sujets, et Ptolémée, animé du même zèle et de la même ardeur, mit la même activité, le même empressement à en faire une semblable à Alexandrie.” Ces paroles te font comprendre qu’en construisant leur bibliothèque, les rois attaliques n’avaient d’autre but que cette “satisfaction de l’esprit” dont nous parlons, “née du goût des belles-lettres” » ; le texte de Vitruve est cité d’après De l’architecture, livre VII, Charles-Louis Maufras (trad. fra.), Paris, 1847 (NdT).

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61. Voir Clément, 1635, cité n. 60. 62. Clément, 1635, cité n. 60, p. 7 et suiv. 63. Cité d’après Clément, 1635, cité n. 60, p. 11 [traduction légèrement modifiée (NdT)]. 64. Voir Clément, 1635, cité n. 60, p. 9. 65. Voir Oechslin, 2011, cité n. 27, p. 25-26. 66. « Or tout ce qui est appelé sensibles communs est d’une certaine manière relatif au continu, soit en tant que mesure, comme la grandeur, soit en tant que division, comme le nombre, soit en tant que limite, comme la figure, soit en ce qui concerne la distance et la proximité, comme le mouvement », Thomas d’Aquin, Commentaire du Livre des Sens et des Sensations d’Aristote, Commentaire du traité de la mémoire et de la réminiscence d’Aristote, traité I, leçon 2, Alain Blachair (trad. fra.), disponible sur le site docteurangelique.free.fr (consulté le 20 juin 2016) [orig. : « Omnia autem haec quae dicuntur sensibilia communia pertinent aliquo modo ad continuum, vel secundum mensuram eius, ut magnitudo, vel secundum divisionem, ut numerus, vel secundum terminationem, ut figura, vel secundum distantiam & propinquitatem, ut motus. », « Expositio Libri de Sensu et Sensato Aristotelis Secundum [...] Thomam de Aquino », dans Parva Naturalia. In hoc Volumine Haec Opuscula Aristotelis continentur, Venise, 1551, fo 3 ro]. 67. Friedrich Schiller, Textes esthétiques. Grâce et dignité et autres textes, Nicolas Briand (trad. fra.), Paris, 1998, p. 23 [orig. : « Anmuth kann nur Bewegung zukommen, denn eine Veränderung im Gemüth kann sich nur als Bewegung in der Sinnenwelt offenbaren. », [Friedrich von Schiller], Über Anmuth und Würde, Leipzig, 1793, p. 141]. Schiller n’exclut pas ici que « des traits fermes et immobiles puissent également montrer de la grâce » [« auch feste und ruhende Züge Anmuth zeigen können »], car à l’origine, ils n’étaient « que des mouvements qui devinrent finalement habituels par leur fréquent renouvellement et imprimèrent des traces durables » [« nichts als Bewegungen […], die bey oftmaliger Erneuerung habituell wurden, und bleibende Spuren eindrückten »], voir Schiller, 1998, p. 23-24. 68. Schiller, 1998, cité n. 67, p. 25 [orig. « eine Eigenschaft der wahren oder anscheinenden (objektiven oder subjektiven) Bewegung », Schiller, 1793, cité n. 67, p. 144]. 69. « Dass die Dinge zwischen Empfinden und Denken für uns zu gestalteten Dingen werden » ; voir Karl Gneiße, « Bewegung als Merkmal des Schönen bei Schiller und bei neuern Ästhetikern », dans Zeitschrift für Ästhetik und Allgemeine Kunstwissenschaft, vol. XVII, no 4, Stuttgart, 1924, p. 327 et suiv., ici p. 329. 70. Voir Zimara, 1543, cité n. 32, fo 110 ro. 71. Voir Benedikt Rothlauf, Die Physik Platos, eine Studie auf Grund seiner Werke. Programm zur Schlussfeier des Schuljahres 1886/87 an der Königlichen Kreis-Realschule München, Munich, 1887, p. 23 et suiv. ; l’auteur fait remarquer qu’à son époque, Platon « est d’une certaine manière en accord avec la physique moderne » [« steht gewissermassen mit der modernen Physik im Einklang »]. 72. Johannes Müller, Ueber die phantastischen Gesichtserscheinungen, Coblence, 1826, p. 47 : « Lorsque nous nous imaginons plus vivement tantôt l’un, tantôt l’autre dans le champ de vision, l’objet nous paraît changer lui-même, comme si l’on retirait une feuille qui en couvrait une autre, ou comme les changements des kaléidoscopes. C’est là l’origine du charme merveilleux qu’exercent sur l’esprit ces figures architecturales ramifiées reposant sur une certaine régularité. Elles ont en elles quelque chose de mobile, de changeant, de vivant, ou plutôt : l’esprit transpose sur elles son propre mouvement, sa propre vie à partir du champ de vision. » 73. « Der Lichtnerve im Zustand der Affection wirkt als ein mächtiger Reiz auf die Organe des Gehirnes, deren Lebensformen wir geistig nennen », Müller, 1826, cité n. 72, p. 17 et suiv. 74. « Lebhaft erregt », « ordnend und beschränkend », « der sinnlichen Vorstellung im Sehfelde », « vielgliederige architectonische Figuren », « wunderbarer Reiz », « gewissen Gesetzmässigkeit » ; voir Müller, 1826, cité n. 72, p. 47.

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75. Mach, 1996, cité n. 22 (en italiques dans le texte) [orig. : « Existenz unserer Empfindungen, Vorstellungen und Gedanken », « Es denkt », « es blitzt », « Zu sagen cogito, ist schon zu viel, sobald man es durch Ich denke übersetzt », Mach, 1886, cité n. 22 (en italiques dans le texte)]. 76. « Nicht die Körper erzeugen Empfindungen, sondern Empfindungscomplexe (Elementcomplexe) bilden die Körper. Erscheinen dem Physiker die Körper als das Bleibende, Wirkliche, die Empfindungen hingegen als ihr flüchtiger vorübergehender Schein, so vergisst er, dass alle Körper nur Gedankensymbole für Empfindungscomplexe (Elementecomplexe) sind. », Mach, 1886, cité n. 22, p. 20. 77. Mach, 1886, cité n. 22, p. 22 (note). 78. Thomas Reid, Recherches sur l’entendement humain, D’après les Principes du sens commun, trad. fra. anonyme, Amsterdam, 1768, p. 216 [orig. : « object of reflection », id., An Inquiry into the Human Mind, On the Principles of Common Sense, Londres/Édimbourg, 1764, p. 182 et suiv.]. 79. Reid, 1768, cité n. 78, p. 216 et suiv. [orig. : « confirmed and inveterate habit of inattention », « for they no sooner appear, than quick as lightning the thing signified succeeds, and ingrosses all our regard. », Reid, 1764, cité n. 78, p. 182]. 80. « Des Blitzartigen », « Leichtigkeit, Schnelligkeit, blitzähnliche Evidenz », Hermann Helmholtz, Die Thatsachen in der Wahrnehmung, Berlin, 1879, p. 25. Helmholtz se réfère aux moyens également évoqués ici, en incluant les « constructions en perspective et les phénomènes optiques » [« perspectivischen Constructionen und optischen Erscheinungen »], dont il exige l’étude scientifique minutieuse – contre la « notion ancienne d’intuition » [« älteren Begriff der Anschauung »]. Il décrit ce processus, « dont la représentation vient aussitôt à la conscience, sans hésitation ni effort, avec l’impression sensorielle » [« dessen Vorstellung ohne Besinnen und Mühe sogleich mit dem sinnlichen Eindruck zum Bewusstsein kommt »]. « Légèreté, rapidité, évidence fulgurante » [« Leichtigkeit, Schnelligkeit, blitzähnliche Evidenz »] sont les caractérisations des perceptions correspondantes. 81. Voir Reid, 1768, cité n. 78, p. 218 : « et il faut convenir que c’est la partie la plus difficile de son art. » [orig. : « and this indeed is the most difficult part of his art », Reid, 1764, cité n. 78, p. 183]. 82. Reid, 1768, cité n. 78, p. 218 [orig. : « somewhat similar to what we here require », Reid, 1764, cité n. 78, p. 183]. 83. Reid, 1768, cité n. 78, p. 218 et suiv. [orig. : Reid, 1764, cité n. 78, p. 184 et suiv.]. 84. Johann Gottfried Herder, Ideen zur Philosophie der Geschichte der Menschheit, Erster Theil, Riga/ Leipzig, 1784, p. 216. « L’homme, doué de sens plus parfait que les animaux, est formé par son organisation pour l’art et le langage. […] Élevé au-dessus de la terre et des plantes, ce n’est plus le sens de l’odorat qui domine en lui, mais celui de la vue. Ce dernier a un champ plus vaste ; il se développe depuis l’enfance dans la géométrie la plus délicate des lignes et des couleurs », Johann Gottfried Herder, Idées sur la philosophie de l’histoire de l’humanité, Edgar Quinet (trad. fra.), Paris, 1827, p. 197. 85. Hans Driesch, Ordnungslehre. Ein System des nichtmetaphysischen Teiles der Philosophie, Neue verbesserte und grossenteils umgearbeitete Auflage, Iéna, 1923, p. 470 : « En créant la théorie de l’ordre, le moi utilise pour ainsi dire sa persévérance et son exigence en travaillant uniquement pour l’ordre, et rien d’autre. Il veut à tout prix que le vécu soit ordonné. » 86. Voir Oechslin, 2011, cité n. 27, p. 30-33. 87. Voir Herder, 1827, cité n. 84, p. 163 et 197 [orig. : « zur Vernunftfähigkeit organisiret » ; « zu feinern Sinnen, zur Kunst und Sprache organisiret », voir Herder, 1784, cité n. 84, p. 165 et 216]. 88. « Mots en composition changeant de signification et de genre », « mots ayant diverses significations sous une voix et une signification », voir Priscianus, Habes candide lector in hoc opere... [Institutiones Grammaticae], Venise, 1509, fo 101 vo (dans le commentaire du livre VIII « De quinque significationibus Verborum »).

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89. Leon Battista Alberti, L’Architettura, a cura di Giovanni Orlandi, Milan, 1966, II, p. 447 [trad. fra. : « Or entendrons nous (peult estre) mieulx […] en le ruminant en noz courages [cœurs, NdT], que ie ne le sauroye expliquer de paroles », L’Architecture et Art de bien bastir du Seigneur Leon Baptiste Albert, Jean Martin (trad. fra), livre VI, Paris, 1553, p. 102 ro]. 90. « Ita ut addi aut diminui aut immutari possit nihil », Alberti, 1966, cité n. 89, ibid. [trad. de J. Martin : « si bien que l’on n’y sçauroit rien adiouster, diminuer ou rechanger », Alberti, 1553, cité n. 89, ibid.] 91. Mach, 1996, cité n. 22, [orig. : « theils instinctiven theils willkürlichen und bewussten Oeconomie des Vorstellens und der Bezeichnung », Mach, 1900, cité n. 24, p. 2]. 92. Heinrich Wölfflin, Principes fondamentaux de l’histoire de l’art : le problème de l’évolution du style dans l’art moderne, Paris, 1952, Claire et Marcel Raymond (trad. fra.), p. 257 [orig. : « der Inhalt der Welt kristallisiert sich für die Anschauung nicht in gleichbleibender Form. », id., Kunstgeschichtliche Grundbegriffe, Munich, 1915, p. 237]. Voir à ce sujet Werner Oechslin, « Quellen », dans Scholion, 9, 2015, p. 13-51, ici p. 46. 93. Voir Salomon de Caus, La Perspective, Avec La Raison des ombres et miroirs, Francfort-sur-le- Main, 1612, planche 37. 94. Voir la synthèse de Friedrich Sander, « Zur neueren Gefühlslehre », tiré à part extrait du Bericht über den XV. Kongress der Deutschen Gesellschaft für Psychologie [Rapport du XVe congrès de la Société allemande de psychologie], Iéna, 1937, p. 7-8. 95. « Keine Akademie nötig gehabt, denn er war selber für sich allein eine ganze Akademie » ; « Freilich ist und bleibt die Teilung der wissenschaftlichen Arbeit stets ein künstlicher Notbehelf. In Wahrheit gibt es im Gesamtbereich des menschlichen Wissens an keiner Stelle, nicht einmal zwischen Natur und Geist, eine scharf zu bezeichnende Trennungslinie, sondern die Wissenschaft bildet ein einheitliches Ganzes, und die einzelnen Forscher sind, so verschiedenartige Wege sie auch gehen mögen, doch schliesslich alle nur Diener an einem und demselben Werk » ; voir Max Planck, [Allocution inaugurale], Sitzungsberichte der preußischen Akademie der Wissenschaften [Comptes-rendus de l’Académie des sciences de Prusse], 1922, p. lxxv. 96. « Es geht im Gehirn immer um die Aufrechterhaltung seiner inneren Ordnung mit dem geringstmöglichen Aufwand an Energie. », Gerald Hüther, « Mehr Hirn, bitte! », dans Neue Zürcher Zeitung, lundi 9 mai 2016, p. 10.

RÉSUMÉS

À première vue, une bibliothèque semble d’abord servir la conservation et la « consolidation du savoir ». Par son regard tourné vers une tradition grandiose, elle est sans nul doute aussi une institution cruciale de la mémoire collective. Et cependant il suffit qu’un usager, ou encore qu’un lecteur entre en jeu, pour que cette situation se voie aussitôt radicalement changée et que tout soit en mouvement ! La configuratio et la collocatio, le classement des livres et leur contenu (ordonné), tout se trouve déterminé à partir de là dans la médiation au lecteur et à son appareil de perception sensible, son savoir, sa mémoire et les formes de ceux-ci. Bibliothèque et usagers constituent un tout dans lequel les avantages de l’économie, les raccourcis les plus efficaces et les fulgurances contribuent de manière déterminante à en faire une machina dynamique, ou plus exactement une « machine intellectuelle » avec laquelle nous cherchons à saisir et à comprendre le monde.

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At first sight, a library appears to be for conservation and the “consolidation of knowledge”. With its gaze turned towards an elevated tradition, it is also doubtless a key institution of collective memory. Nevertheless, if a user or a reader joins the game, this situation is radically changed straight away and everything is in motion. The configuratio and the collocatio, the classification of books and their (organized) content – everything is determined from that point in the mediation with the reader and his or her apparatus of sensory perception, knowledge, memory and their forms. Libraries and users form a whole in which advantages of economy, the most effective shortcuts, and inspiration determine it as a dynamic machina or, more precisely, an “intellectual machine” by means of which we try to grasp and understand the world.

INDEX

Parole chiave : biblioteca, libro, movimento, conservazione, economia, dinamica, tempo, conoscenza, classificazione, percezione sensoriale, sapere, memoria, memoria collettiva, processo Keywords : library, book, motion, preservation, economy, dynamic, time, knowledge, classification, sensory perception, memory, collective memory, process Mots-clés : bibliothèque, livre, mouvement, conservation, économie, dynamique, temps, connaissance, classification, perception sensible, savoir, mémoire, mémoire collective, processus

AUTEURS

WERNER OECHSLIN Werner Oechslin a fondé la Bibliothek Werner Oechslin à Einsiedeln (Suisse, www.bibliothek- oechslin.ch). Après des études en histoire de l’art, archéologie, mathématique et philosophie, il a enseigné au MIT (Cambrige, MA), à la Freie Universität Berlin, à la Harvard University et à la Tongji University (Shanghai) ; il a été professeur ordinaire à l’Universität Bonn et à l’Eidgenössische Technische Hochschule de Zurich, où il a dirigé de 1986 à 2006 l’Insitut d’histoire et de théorie de l’architecture (gta).

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Library Users: A Virtual Debate Among Artists on How and Why Libraries Matter to Them A virtual debate between Liesbeth Bik and Jos van der Pol, Luísa Cunha, Candida Höfer, and Jyrki Siukonen, moderated by Penelope Curtis Un débat virtuel entre des usagers singuliers : comment et pourquoi la bibliothèque concerne les artistes

Liesbeth Bik, Jos van der Pol, Luísa Cunha, Penelope Curtis, Candida Höfer and Jyrki Siukonen

I was pleased to take on responsibility for this collation of views. I could have asked a lot of artists, and my choice is perhaps not the most obvious. Obvious omissions might include Dominique Gonzalez-Foerster and Douglas Gordon, to name just two recent artists who have worked a lot with books. But it seems to me that they have worked more with books than with libraries, or with private libraries rather than public. The four artists featured below have all, instead, focused much more on the form of the library and its quality as a public space. Their interest may be more architectural, or more organizational, but they all look at the physical and conceptual shape of the library and the way it represents public access to greater learning. None of them ever met each other except in this debate, which took place outside real time and place, and perhaps that is fitting for a piece about libraries, where works and authors collide and inter-mingle without their authors’ knowledge. On occasion there are unexpected rencontres; Cunha singles out the General Library in Coimbra, a mid-twentieth-century library which Höfer also photographed, alongside her photos of the much more famous sixteenth-century Biblioteca Joanina. That contrast, in this case, just across the road, highlights the fact that these artists like “plain” libraries as much as beautiful ones, if they work well. Each artist answered my questions, rather than the questions of others, and thus I am the library user whose search colors these results. [Penelope Curtis]

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Penelope Curtis. Could you describe when and how you first became interested in the library as an idea that has had relevance to your work? Jyrki Siukonen. I had a day job in a public library when I was making works for my first solo exhibition. These activities somehow overlapped and in 1985 I organized an exhibition in the library. It felt natural, but was not yet based on any methodological insight. It was only five years later in Hannover, when I was doing an installation piece and at the same time using the resources of the Leibniz-Archiv that my artistic work and the library began to link directly with each other. Leibniz, a major philosopher but also a great librarian, has inspired me over the years. I have not only done several works based on his ideas, but also translated some of his texts into Finnish for the first time. Leibniz really makes you think about the library as a kind of super tool. To enter a great library is similar to entering a computer; when seeking information you are like a small program that runs through this complex “machine”, and produces answers to something. Since artistic questions are often ambiguous the answers may not always come out as clear-cut. Among other things, libraries are great safe houses of obscurity. Luísa Cunha. This happened in 2007 when I was invited by the Portuguese curator Delfim Sardo to do a work for the library of the Museu de Arte Antiga (The Museum of Ancient Art) in Lisbon. It was a group exhibition entitled “O Espelho de Claude” (“Claude’s Mirror”). The title of my piece was Biblioteca (Library). Candida Höfer. In 1993 I had been photographing Asplund’s Stockholm Public Library and in 1994 Smirke’s Reading Room at the British Museum. Both libraries had fascinated me because of their perfect balance among order, harmony and elegance, and because of their – what I would call – theatrical approach to knowledge. And then I started looking more systematically for different kinds of balances and approaches. Liesbeth Bik and Jos van der Pol. If we understand a library as a collection of sources of information that is made accessible to a defined community (Wikipedia), The Bookshop Piece (1996) that we made in collaboration with Peter Fillingham, was the first work that we would see as a response to your question; a temporary, exact, and completely functional replica of the bookshop of the ICA in , a large collection of books made available to the art community and wider audience that we installed in the Museum Boijmans – Van Beuningen in Rotterdam. That piece for us also marked a departure from the studio. At that time, we spent a lot of time in London and the ICA bookshop was an exciting place, full of books and magazines on criticism and theory, a machine for thinking, and a place for encountering what you were not specifically looking for, or maybe did not know you were looking for. This space of discoveries was certainly more interesting than our studio. We wanted our artistic practice to be discursive, a space of experience, a crossover between actual space and thinking-space, as we observed this as a lack: art practice does not develop in a vacuum, but manifests itself in the theoretical framework of the art world, as well as in the socio-political milieu of our contemporary society, and the studio no longer sufficed. Taking a permanent leave from the traditional concept of the studio as an embodiment of authorship, inspiration, and genius, our early pieces were a way of coming to terms with the studio as a past, a relic, and replacing it with, for example, a kitchen, a shower,1 or a bookshop. With the introduction of the copy of an

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existing bookshop in a public museum, we emphasized the importance of shared knowledge and the broader context of art as practice that we understood as a dynamic process of production, of acting in, with and from the world.

Penelope Curtis. Could you differentiate between form and content, and say a bit about which is more important, and why? (E.g. how have you used the library as a tool, in terms of its organization, methodology, representation...) Luísa Cunha. In the case of the piece mentioned above, the alphabetical organization and its occasional missing elements were what attracted me immediately. I did a sound piece with recorded text spoken by me. Four audio columns placed on the floor in each corner of the room emit a voice pronouncing characters from the Portuguese alphabet. These characters are placed on top of the bookcases of that old library. They correspond to a cataloguing order. The order in which characters are pronounced follows the apprehension of the place of the documents on the shelves and of the library cataloguing and shelving systems by the viewers from the moment they enter the room up to the moment they leave it. Rhythm, speed and intonation vary according to how each viewer is getting their personal hold of the logic of the organisation and the placement of the bookcases connected to the architectural features of the room. Characters that are pronounced twice, like “GG”, are determined by the existence of bookcases placed in a “mezzanine”, that corresponds to a visible first floor. Exactly below it, on the groundfloor is a “G” bookcase. Something similar happens with hotel room numbers that are preceded by the floor number. Sometimes one notices missing letters and that correlates in the sound text with an intonation expressing a simple enunciation of a fact or incomprehension. Jyrki Siukonen. I guess I was, like so many others, first attracted to the architectural atmosphere of these traditionally silent buildings. Later I found myself inclined to Borges’s vision of the Leibnizian universal library or the encyclopedia. That is, I began to see it more as a process than a place. It has many interfaces – old reading rooms arguably being the most pleasant ones – but no form that I could describe. The same applies to the content; what does “everything” look like? Yet, I consider myself an old school formalist. In other words, I don’t believe there is content without form. So far things in the digital clouds tend to follow familiar forms: it may be an e-book, for example, but we like it to resemble other books as well. If the library is a process rather than a place, then to work with and within the library means that you build it every time anew. There are several reasons why the result is likely to remain fragmentary, of course; one of them is our own physicality. Because the process library is an abstraction, we often need something we can manage, simple things like books on a table, a reading lamp, a notebook. These things are surprisingly important and they constitute a place. One year I spent weeks in the British Library reading room researching early twentieth-century aviation. The following year I sat on the same chair, at the same desk, turned on the same lamp, and dug into something utterly different and three hundred years older. Two totally different processes and collections, yet I had this tremendous need to underline the sameness of the place. Perhaps it helped me to keep up the illusion that there really exists one library – or one me. This is one way of saying that at any moment the contents of the universal library could collapse into a fearful chaos. Perhaps my interest in librarianship grows from this fear. The order is the tool. Yet there is no rigid order for all things. Librarianship

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is always about negotiating with the material and its inbuilt links; the complex referential nature of library order also leaves plenty of room for artistic interpretation. Liesbeth Bik and Jos van der Pol. After this first knowledge archive, the “librarian approach” has become a solid part of our practice, as we have become increasingly invested in when and how a collective space “takes place” and what such collectivity possibly allows us to share or divide. We developed an understanding of relations as having an impact on (social) space, generated by dialogue and collaboration. It has developed as an explicit tool to create new questions and find new answers to site- specific or site-sensitive problems and situations with a particular focus on the public realm and the role information plays in it. We look at how public space “functions” and how it can be experienced as a form of “close-reading” and this is often a collectivist approach. Without those we talk, walk, and work with, we will not “encounter” specific knowledge; it appears through a reflective process of progressively gathering insights and inroads while looking at expectations, dynamics, communities and the way language (textual and visual) is employed as a carrier of action. What can publicness potentially mean in a particular situation? How is knowledge created and who has (or allows others to have) access? These are, we feel, crucial questions that we aim to generate through our work. If our artistic practice is a way of learning, then initially we are the ones learning. We are not interested per se in adding something “new” to the cycle of production of commodities. Instead borrowing, copying, cutting, and assembling from what already exists in the pool of the ever-growing production of commodities (which includes, of course, images and texts) seems a more apt way of dealing with this stream of information in order to enhance our imagining of what can be thought of as possible, or a departure from the premises that thinking (it) already makes (it) happen. Searching for the missing or lost by lifting stones and poking underneath; collecting cases around disappearance, perfection, excessive control, repression, compulsion, and withdrawal as well as state fiction and ambiguity, coincidental histories, preservation, and more… the almost meditative action of copying generates imagination and ideas while the material transforms into common, shared knowledge that evolves in dialogue, eventually provoking action. Candida Höfer. I think I have already alluded to what I see as attractive. It is the blending of form (basic geometric forms, for example, of the building as such, the allocation of reading spaces, the arrangement of shelves, the role of light) and function – that is the capability to find and the opportunity to explore.

Penelope Curtis. Could you describe one (or more) of the libraries that has been important to you, and in what way? (E.g. real or fictional, one you know or have seen in reproduction, one you have used, or not, one whose owner is known to you, or not?) Candida Höfer. The two libraries I have mentioned before for the reasons already given – and – in addition to them and because of its monumentality having been restrained in order to be made functional – Trinity College Library in Dublin. Luísa Cunha. I recently saw the General Library of the University of Coimbra, Portugal for the first time. I was invited to take part in the Coimbra Biennial of 2015 and I visited the Library, where Lawrence Wiener exhibited an excellent work. I was

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attracted by the files. I think I would be able to make a video, a sort of unquiet video, in an unquiet search for a precise piece of information. Liesbeth Bik and Jos van der Pol. In the early 90’s we got hold of the book L’Exposition imaginaire.2 Artists, curators, critics, writers, were invited to respond to The Artists’ Studio, a by Courbet. This painting depicts the artist, the painting he is working on, and a lot of people: the studio as a world, an archive of stuff, a gathering of people around something: a community called to order to study, chat, and hang out around artwork. Though not a library at all, we do conceive this painting as a library: a collection of sources of information that is made accessible to a defined community. After this painting, the artist’s studio could be conceived as a public space, theatrical perhaps, performative for sure, that generates public through sharing a specific experience. Jyrki Siukonen. I guess we are all haunted by the image of a burning library, be it the semi-mythical library of Alexandria or something fictional like Peter Kien’s library in Canetti’s Die Blendung (Auto-da-fé). It can be an image we have come across in memoirs, like the story of some Russian Formalists heating their rooms with books in Petrograd in the winter of 1919, or the live report shown to us in the evening news about the destruction of the National Library in Sarajevo. In Finland the first university library, founded in 1640, was lost to fire in 1827. Only about 800 books loaned to the professors and the students survived. I have used several of those books. The wildly accidental nature of that small collection that became the seed of the National Library of Finland, continues to fascinate me. NLF is of course my home library and as such the most important to me. They used to hold art exhibitions, and in 1989 I did my project The Garden of Leibniz there, which meant a lot to me. Beautiful buildings notwithstanding, libraries are collections organized following a particular system. The joy of working in libraries in different countries lies exactly here: you never find one and the same book in one and the same place. I can name no favorite, but, of course, certain uncrowded libraries have become dear during particular projects, such as the library of the Royal Society in London. Some libraries I cannot visit anymore. The Finnish Institute in Rome sits in a wonderful Renaissance villa on top of Gianicolo hill, but unfortunately their research library is located underground. Mold has affected the cellar so badly that I cannot breathe there. The idea of a lethal library is painful but rather interesting.

Penelope Curtis. How do you think of the library nowadays, in an age when so much reference work is done on-line? (E.g. Has it become more of a historic entity, more of an architectural space, or an oasis that is viewed nostalgically?) Liesbeth Bik and Jos van der Pol. Despite the increasing number of shows, biennials, museums, art centers, magazines, books, catalogues, and, of course, the Internet, it has become increasingly difficult to find one’s way through this growing jungle of data communication... this is the paradox of total availability and the lack of capacity or capability of access. Excess with no shared experience, simply because of the lack of shared, embodied space. Perhaps immediate access to everything creates this lack. Perhaps one has to experience the “heat” or the energy, the excitement of running into something, perhaps encounters have to hit to take hold, and perhaps superabundance does create spaces of abstraction without responsibility. We think

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there is a lot of wisdom in Marcel Duchamp’s idea of making it harder instead of easier to see the , in his comment on his work Mile of String (1942). He knew that “making it harder to see [the paintings]” (and, as a consequence, requiring an effort) would make us realize why we look at them. Developing formats and strategies for (self-) reflection and assessment also may help prevent processes from disappearing. Books, publications, printed matter may embody these processes. Spaces of experience created by these processes occupy a niche, a free space where one could think and feel. The consequences of making (free) choices between concept and reality can only be thought when the experience of differences is also performed and lived. Candida Höfer. The library will take new forms but will remain needed as a real world space. Reference work, as you have put it, as well as reading and writing more generally, are solitary affairs that create a latent loneliness in many people, a loneliness that needs to be compensated for by doing the solitary thing in the company of others. As soon as libraries learn that they should serve coffee, they will regain their users from the corner coffee shops that are currently addressing those needs. Luísa Cunha. Libraries exist. Work done on-line as well. Each one has its place. I consider them as tools. As I used to say, I am a slave of my ideas and emotions: what they demand from me, I have to accomplish in the sense that the means have to be the right ones, be it work on-line, sound, photography, performance, painting… even the means I have never worked with. As an artist I think I could work the concept “library” in many ways. For example I could break the idea of an oasis through something not supposed to be there, something provocative or, on the contrary, I could underline the idea of an oasis. In the same way the library as a historic entity or an architectural space would also be a possible basis for work. It all depends how I am touched by things, by thoughts, and concepts. Some of them do not interest me at all. Jyrki Siukonen. I have always been nostalgic about the library, but even then the most important aspect of it remains democracy. For a child like me, coming from a low-income working-class family, the city public library was the single most important educational tool and a springboard for social ascent. From that point of view, I should perhaps not complain about the 24/7 on-line access to information, no matter how fragmented. Yet this insomnious possibility to look for “everything” does not necessarily increase one’s capacity to work. What is missing is librarianship – and now I want to see it in a broader sense than just professional systematization of knowledge, as something that carries with it an ethics and a worldview, perhaps even a culture. Without that you can easily drown in “everything”. On the one hand, the present situation follows the ideals of humanist polymaths and promoters of Enlightenment, namely, collecting knowledge for the good of mankind and opening it for all to use. On the other, this comes with a whole new economy of mis- and disinformation. Our everyday universal library is a noisy political battleground rather than a quiet haven of learning. Perhaps such havens can exist only in a state of inertia. There is a famous library in Wolfenbüttel where both Leibniz and Lessing once worked. The collections hidden in that building, fine as they are, will hardly help us to solve the problems of our age. So yes, in some respects we

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are dealing with a historic entity and a space devoid of real life use. I remember I could not get in to the Wolfenbüttel library because I had my 4-year old daughter with me. So we went to the playground and had a good time. Some librarians clearly misunderstand their vocation as guardians of knowledge. As for myself, I am an artist who makes small things and a researcher who studies old stuff. I cannot sincerely claim that my practice will save the world. But I will try my best and I will keep doing it in the library even if it is but warm ashes.

NOTES

1. We are referring here to The Kitchen Piece (1995) and The Shower Piece (1995), by Bik Van der Pol in collaboration with Peter Fillingham. 2. Evelyn de Beer, Riet de Leeuw (eds.), L’Exposition imaginaire. The Art of Exhibiting in the Eighties, The Hague, 1989.

ABSTRACTS

C’est avec plaisir que je me suis chargée de recueillir ces points de vue. De nombreux artistes auraient pu être interrogés, et mes choix ne seront peut-être pas immédiatement évidents. J’aurais par exemple pu solliciter Dominique Gonzalez-Foerster et Douglas Gordon, pour ne citer que deux artistes qui ont beaucoup travaillé sur les livres. Les quatre participants au débat se sont plutôt intéressés à la forme de la bibliothèque et à sa dimension qualitative en tant qu’espace public. Leur intérêt porte davantage sur l’architecture, la conceptualisation et l’organisation de l’espace et la manière dont l’accès au savoir est facilité. Ils ne se sont rencontrés que de manière virtuelle, ce qui semble particulièrement à propos, puisqu’il s’agit d’un débat sur les bibliothèques, où œuvres et lecteurs se croisent et se mélangent à l’insu des auteurs. Certains croisements inopinés se sont produits. Luísa Cunha, par exemple, se penche sur la Bibliothèque générale de Coimbra, qui date du milieu du XXe siècle, et qui figure dans les photographies de Candida Höfer, à côté de la très célèbre Biblioteca Joanina, qui remonte au XVIe siècle. Le contraste entre les deux édifices (situés de part et d’autres de la même rue), démontre que ces artistes apprécient tout autant les bibliothèques « banales » que les bibliothèques d’exception, du moment qu’elles remplissent leur fonction. Chaque participant a répondu à mes questions (et non aux questions des autres artistes). Les résultats ont donc été influencés par la recherche que j’ai menée en tant qu’utilisatrice de bibliothèque.

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INDEX

Parole chiave: biblioteca, pratica artistica, collezione, classificazione, sistema di classificazione, ordine, conoscenza, spazio pubblico, architettura, architettura delle biblioteche, forma, funzione, istallazione, fotografia, processo Keywords: library, art practice, artist, collection, classification, classification system, order, knowledge, public space, architecture, libraries architecture, form, function, installation, photgraphy, process Mots-clés: bibliothèque, pratique artistique, artiste, collection, classification, système de classification, ordre, connaissance, espace public, architecture, architecture des bibliothèques, forme, fonction, installation, photographie, processus

AUTHORS

LIESBETH BIK Liesbeth Bik and Jos van der Pol [as Bik Van der Pol] have been working as a partnership for some time, and their work tends to ask questions. Questions of society, of conventions, of the established way of doing things. Although based in Rotterdam, they spend a lot of their time on the road, exploring the specific conditions of specific sites in response to which they develop their work.

JOS VAN DER POL Liesbeth Bik and Jos van der Pol [as Bik Van der Pol] have been working as a partnership for some time, and their work tends to ask questions. Questions of society, of conventions, of the established way of doing things. Although based in Rotterdam, they spend a lot of their time on the road, exploring the specific conditions of specific sites in response to which they develop their work.

LUÍSA CUNHA Luísa Cunha lives and works in Lisbon, where she is an established figure within the Portuguese art scene, having taught many of the younger artists who are creating that scene today. Her work is fundamentally based in language, in the practiced use of her voice, of time and space, making for a gentle but insistent enquiry that may unsettle the listener/viewer.

PENELOPE CURTIS Penelope Curtis is a recent arrival in Lisbon, after working in London, Leeds and Liverpool. Many of the artists she has met over her career have found the library a fascinating subject, and in the Henry Moore Institute in Leeds her work, and the program she led there, were regularly based in the library itself.

CANDIDA HÖFER Candida Höfer is particularly well known for her photographs of libraries all over the world. Based in Cologne, she may well be seen as one of the Dusseldorf School of photographers in the line of the Bechers. She has photographed many libraries, famous or not, and these interior views play a substantial part in an œuvre which focuses on public space and its impact on its user or viewer.

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JYRKI SIUKONEN Jyrki Siukonen loves libraries, and is deeply informed by them in many ways, as his answers below clearly indicate. Generally based in Finland, north or south, he also spends time abroad, especially now in Berlin. He is as much a library-user as a viewer, and has worked on pioneering translations into Finnish, including works by Leibniz, Swedenborg, and Horace Walpole.

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Quel avenir pour les bibliothèques d’arts décoratifs ? Un débat entre Júlia Katona, Jarmila Okrouhlíková et Lucile Trunel, animé par Julius Bryant Which Future for Decorative Arts Libraries?

Julius Bryant, Júlia Katona, Jarmila Okrouhlíková et Lucile Trunel

NOTE DE L’ÉDITEUR

Les contributions de Julius Bryant, Júlia Katona et Jarmila Okrouhlíková ont été traduites de l’anglais par Françoise Jaouën. Les bibliothèques publiques des musées se trouvent aujourd’hui à un carrefour, littéralement et figurativement. Dans leur majorité, les lecteurs réguliers sont des membres de l’équipe du musée ou des historiens de l’art. Le public du musée, quant à lui, ne sait trop s’il est le bienvenu. Le renouvellement périodique des pièces exposées à l’entrée, dans le hall d’accueil ou sur les paliers, permet de partager les trésors de la bibliothèque et d’inciter les visiteurs à devenir des lecteurs, mais l’approche est le plus souvent timide des deux côtés. À l’ère du numérique, la bibliothèque de musée tient sans doute un peu moins du club fermé, car les lecteurs potentiels ont peut-être eu l’occasion de consulter son site internet. Mais l’impression demeure d’avoir affaire à deux institutions distinctes logées sous le même toit : deux bases de données, l’une pour les collections, l’autre pour la bibliothèque ; l’une alimentée par les conservateurs, l’autre par les bibliothécaires. Pour les directeurs de musées soucieux d’attirer un large public, la gestion des bibliothèques n’est pas une priorité manifeste. Au Victoria and Albert Museum, la National Art Library abrite des fonds d’une richesse exceptionnelle ; elle est également le département le plus ancien du musée, précédant même la création de celui-ci, puisqu’elle était à l’origine rattachée à la Government School of Design (fondée en 1837), d’où est issu le Victoria and Albert Museum, après le succès remporté par la première Exposition universelle, organisée à Londres en 1851. Les collections d’estampes et de dessins de la bibliothèque ont été rassemblées dans une section distincte en 1909, avant de rejoindre en 2003 le département Word and Image, dont les visées intellectuelles ne se résument

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pas à la mise à disposition d’espaces de lecture et d’étude. Tout comme le Victoria and Albert Museum est né dans le sillage de la première Exposition universelle, les Jeux olympiques de Londres en 2012 ont permis la création d’un parc public destiné à accueillir de nouvelles institutions. Le musée a ainsi saisi l’occasion d’y installer un nouveau lieu d’exposition et un centre de recherche, le « V&A East » et le « VARI » (V&A Research Institute). L’heure est désormais aux décisions concernant le choix des collections et des services qui quitteront le vieux musée encombré de South Kensington pour être transférés dans les nouveaux bâtiments construits dans un quartier au public différent. L’invitation à participer à un débat sur la fonction et l’avenir des bibliothèques d’arts décoratifs est donc tout particulièrement opportune. Quatre questions stratégiques viennent immédiatement à l’esprit pour lancer le débat, car elles sont souvent posées, avec plus ou moins de bienveillance. Tout d’abord, la question de l’achat et du stockage des livres (ces objets lourds, désuets et encombrants), alors qu’on ne cesse de répéter que tout ce dont on a besoin est disponible sur Internet, ou le sera bientôt. Aujourd’hui, les subventions de recherche s’accompagnent souvent de l’obligation de publier les résultats en ligne afin de les rendre accessibles à tous. Pourquoi envoyer quelqu’un chercher des recueils de périodiques dans les rayons, puisque nombre d’entre eux sont disponibles en ligne ? Si les revues commerciales et scientifiques présentent le même aspect en ligne et en version papier, en ce qui concerne le graphisme et les illustrations, la qualité de la page imprimée est souvent bien meilleure que celle offerte par la résolution de l’écran d’un ordinateur moyen. Les images en ligne sont parfois moins précises que l’original en ce qui concerne les informations secondaires telles que l’arrière-plan d’une décoration d’intérieur, ou les détails du contenu. De surcroît, s’agissant d’arts décoratifs, les annonces publiées dans les périodiques présentent parfois un grand intérêt, et peuvent avoir été omises de la version numérique. Les lecteurs des périodiques du XIXe siècle doivent donc parfois consulter plusieurs exemplaires d’un même magazine, car certains sont incomplets. Un autre aspect de la question concerne le hasard de la découverte. Une fois que les collections d’ouvrages rares auront été numérisées, les bibliothécaires seront-ils capables de les cataloguer de telle sorte qu’ils pourront être retrouvés par un moteur de recherche utilisé par des lecteurs qui ne savent pas exactement ce qu’ils cherchent ? La seconde question concerne l’aménagement d’espaces de lecture appropriés. La bibliothèque du V&A offre un cadre exceptionnel ; elle a conservé le mobilier qui équipait les nouvelles salles ouvertes en 1884, et elle donne sur le beau jardin intérieur du musée. Mais à l’ère du numérique, quand les recherches peuvent se faire n’importe où à partir d’un ordinateur, la bibliothèque doit- elle occuper autant de place dans un musée où les mètres carrés sont sans cesse sollicités pour de nouvelles expositions, de nouveaux cafés, des espaces éducatifs, des ateliers pour les artistes invités, des salles réservées aux amis du musée et des aménagements divers destinés aux visiteurs ? Si l’on veut toucher un plus large public, doit-on installer la bibliothèque sur la rue, voire dans un centre commercial ? Placée au sein d’un musée, elle présente l’avantage de permettre à la fois l’étude des pièces rares et de donner accès aux documents numérisés et aux ressources des rayonnages. La bibliothèque du V&A se trouve au cœur du musée, dans la zone centrale, un emplacement qui convient aux conservateurs, et met en avant la mission éducative et la fonction de recherche du musée. Mais elle constitue un obstacle pour certains visiteurs, qui n’y voient qu’un espace conçu pour les étudiants, qui disposent par ailleurs de leurs propres bibliothèques universitaires. Une troisième question essentielle concerne le public des bibliothèques publiques des musées. Les bibliothèques « ouvertes à tous » répondent à une généreuse intention démocratique, mais lorsqu’il s’agit d’acquérir des ouvrages avec un budget limité, la priorité est souvent donnée aux conservateurs du musée. Lors de sa création, le South Kensington Museum, comme il s’appelait alors, a donné la priorité aux artistes, aux artisans et aux créateurs, et ouvert ses galeries et sa

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bibliothèque en soirée afin qu’elles soient accessibles aux ouvriers. Dans l’Angleterre post- industrielle, l’industrie de la création redevient une cible pour le musée. La bibliothèque de musée doit-elle adapter ses collections pour servir avant tout les étudiants des écoles d’arts appliqués et de design, et les documentalistes travaillant pour l’industrie de la mode, du cinéma et de la télévision, et moins les futurs conservateurs et historiens de l’art ? La quatrième grande question concerne les compétences requises du bibliothécaire de musée du XXIe siècle. Traditionnellement, celui-ci a pour tâche de faciliter l’accès aux collections. Dans un musée qui s’adresse à un public spécialisé, son travail consiste parfois à dresser un catalogue comportant des informations plus détaillées que celles fournies sur les pages de titre, ou qui ne se contentent pas de reproduire celles de la Bibliothèque du Congrès. La concurrence entre distributeurs fait que les ouvrages comportent toujours davantage de données directement assimilables par les bibliothèques. Les ressources en ligne – notamment OCLC et COPAC – facilitent la copie des informations disponibles. Les bibliothécaires doivent-ils donc ressembler davantage à des conservateurs en se consacrant au catalogage des publications anciennes, tout en développant une expertise particulière ? À mesure que les musées élargissent leurs collections afin d’attirer un nouveau public, comment les bibliothécaires parviendront-ils à rester suffisamment informés sur ces nouveaux domaines d’intérêt, tels que l’art et le design contemporains à travers le monde ? La National Library restera au V&A, contrairement à ce que l’on avait craint en 19971. Mais l’aménagement du nouveau centre destiné aux collections et de l’institut de recherche dans l’est de Londres est l’occasion de transférer certaines des ressources de South Kensington et de redéfinir les services qui y sont proposés. Dans la conjoncture actuelle, quelle qu’en soit l’issue pour la bibliothèque du musée, l’objectif idéal demeure : faire en sorte que chaque lecteur soit aussi un visiteur, et que chaque visiteur puisse devenir un lecteur. [Julius Bryant] Julius Bryant. Les bibliothèques d’arts appliqués ont-elles encore un rôle à jouer dans l’univers éducatif numérique du XXIe siècle ? Peuvent-elles par exemple définir les paramètres du sujet par le biais de leurs collections, alors que les étudiants et les créateurs sont en quête d’informations sur des thèmes plus larges tels que l’urbanisme, le design à dimension sociale et les produits numériques ? Jarmila Okrouhlíková. Les bibliothèques d’art continuent indubitablement à jouer un rôle majeur à l’ère du numérique, même si l’on n’a sans doute pas totalement exploré les possibilités qu’elles offrent, contrairement à ce qui a été fait pour les bibliothèques consacrées aux technologies ou à la médecine. Quel que soit le domaine, l’information est clef. Les étudiants seront toujours à la recherche de documents sur les thèmes les plus divers, correspondant au sujet de leurs mémoires, de leurs dissertations ou de leurs thèses. Cela vaut également pour les historiens de l’art, les journalistes, les artistes, les marchands d’antiquités et les chercheurs. La technologie moderne permet d’accéder beaucoup plus rapidement à des informations toujours plus complètes. Les catalogues en ligne des bibliothèques d’art fournissent des données bibliographiques sur les monographies et les articles de revues, mais aussi sur les anthologies et les catalogues d’exposition ou de ventes. Certaines bibliothèques ont par ailleurs incorporé dans leurs catalogues des fonds particuliers : recueils d’ornements et de modèles2 ( pattern books), gabarits, documents iconographiques, photographies, affiches etc. Les logiciels utilisés par les bibliothèques permettent de créer des bases de données spécialisées qui fournissent des informations détaillées sur ces fonds. Si l’on s’intéresse par exemple à un artiste particulier, elles permettent non seulement de retrouver les ouvrages et les articles de revue le concernant, mais aussi des

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catalogues d’exposition et diverses publications illustrées ou préfacées par cet artiste, ou encore sa correspondance. Elles facilitent également les recherches sur des sujets marginaux. Si la saisie des données est effectuée avec soin par un bibliothécaire compétent, notamment celles concernant le contenu, il devient beaucoup plus facile de trouver le document recherché. Cela dépend, bien entendu, de la précision des glossaires et du champ qu’ils recouvrent, et du degré de détail fourni par les identifiants de l’Universal Decimal Classification (ou des autres systèmes utilisés). Outre les catalogues, on dispose également de bases de données concernant les publications sur l’art – monographies ou articles – telles que JSTOR ou Art Source. En fonction de leur budget, les universités et les bibliothèques peuvent s’abonner à diverses bases de données (ou se regrouper afin de tirer le meilleur parti de leurs ressources), ce qui affecte l’étendue du champ de recherches pour leurs utilisateurs. En République tchèque, diverses grandes bibliothèques d’art permettent d’accéder à ces bases de données spécialisées.

Au début du XXIe siècle, les catalogues de plusieurs bibliothèques d’art de la République tchèque ont été progressivement rassemblés dans un catalogue virtuel accessible à tous ceux qui cherchent un ouvrage précis et veulent savoir où en trouver un exemplaire papier. Ce projet collectif, qui concerne actuellement pas moins de huit bibliothèques d’art (ainsi que plusieurs autres possédant des ouvrages sur l’art dans leurs collections), a permis de créer un « portail spécialisé » qui fournit aux utilisateurs des informations supplémentaires (actualités des expositions, nouvelles publications de catalogues, notamment ceux concernant les petits musées qui ne figurent pas toujours chez les grands libraires, etc.). Ce portail, baptisé Artlib3, est principalement destiné aux utilisateurs tchèques. Il semble aujourd’hui peu judicieux de lancer une collaboration internationale, compte tenu du nombre restreint d’utilisateurs potentiels parlant la langue tchèque. Júlia Katona. Mes commentaires s’appuieront sur l’exemple de deux institutions éducatives de Budapest qui possèdent de remarquables collections d’imprimés et d’estampes sur les arts décoratifs des XIXe et XXe siècles, car elles étaient chargées, durant cette période, de l’enseignement des métiers de l’industrie et des arts appliqués4. La situation est toutefois différente pour ce type d’institution et pour les bibliothèques rattachées à des musées. En l’espèce, il serait sans doute plus pertinent de renverser la question. Quel rôle la recherche numérique joue-t-elle dans les bibliothèques d’arts appliqués au XXIe siècle ? Concernant les recueils d’ornements et de modèles, les estampes ornementales, les photographies et les moulages en plâtre des XIXe et XXe siècles conservés à la Schola Graphidis Art Collection et à l’Université hongroise des Beaux-Arts, la numérisation pourrait donner une nouvelle vie à ces objets, ouvrir de nouvelles perspectives et, d’une certaine manière, les rendre à leur fonction première. Les imprimés, les estampes, les photographies et les moulages en plâtre de la Budapest Metropolitan Industrial Drawing School et du Royal Hungarian College of Art étaient à l’origine essentiellement des outils d’enseignement permettant de familiariser les étudiants avec les formes artistiques du passé, qui ont connu une nouvelle vogue dans les dernières décennies du XIXe siècle. Ils étaient donc essentiellement des sources visuelles destinées à l’enseignement du dessin, et à la formation des artistes, designers, architectes, apprentis et artisans, en suivant la méthodologie du South Kensington Museum5. À la fin de la période de renouveau des styles anciens et avec la disparition de l’art nouveau, ces objets ont perdu leur

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fonction initiale d’outil d’enseignement. Ils sont devenus des objets passifs avec le déclin des arts de l’ornement, entamé dès le tournant du siècle, comme en témoigne le manifeste d’Adolf Loos, Ornament und Verbrechen, publié en 19086. Redonner vie à ces objets en les réinscrivant dans un cadre d’enseignement grâce à la numérisation permettrait de leur rendre leur fonction d’origine et d’en faire des ressources visuelles dans le processus de création – en tenant compte, bien entendu, des nouvelles orientations de l’architecture et du design. Lucile Trunel. L’une des missions principales des bibliothèques d’arts appliqués a pour objet la valorisation numérique des collections. L’accessibilité aisée et immédiate aux images, dans un monde digital et visuel dans lequel l’interaction avec nos usagers, chercheurs, étudiants, professionnels ou amateurs, devient prépondérante, permet de mieux faire connaître des collections exceptionnelles, qui ne sont pas toujours bien inventoriées mais que nous sommes les seuls à détenir, et d’enrichir nos savoirs sur ces dernières. La numérisation des fonds, lorsqu’elle est assortie de leur valorisation par le biais d’une présentation adéquate, constitue ainsi une véritable possibilité de diffusion pour nos documents, mais aussi une opportunité magnifique pour toutes les communautés d’utilisateurs. Ainsi, à la bibliothèque Forney7, la visibilité donnée à nos nombreuses images numérisées permet d’accroître notre audience autour de nos fonds spécialisés autant que de faire redécouvrir certains documents précieux, davantage empruntés pour des expositions. En effet, depuis plusieurs années, le réseau des bibliothèques spécialisées de la Ville de Paris, auquel appartient Forney, spécialisée en arts décoratifs, appliqués, arts graphiques et métiers d’art, mène une importante politique de numérisation8. Fondée en 1886, la bibliothèque est notamment réputée pour ses fonds d’affiches et d’imageries publicitaires (chromolithographies notamment), de dessins textiles ou d’ameublement, de papiers peints9 : longtemps publiés très partiellement sur papier, leur numérisation permet désormais une diffusion élargie, à destination de nouveaux publics qui s’intéressent parfois davantage au « motif » qu’au document support, au-delà de notre cercle habituel d’érudits, collectionneurs et professionnels. D’autres fonds, moins connus, tels les catalogues commerciaux des XIXe et XXe siècles, ou les périodiques anciens, deviennent, une fois diffusés en ligne sur notre portail ou de façon ciblée sur les réseaux sociaux, de nouvelles sources pour la recherche, ouvrant des perspectives renouvelées à l’histoire de la mode, du design, de l’industrie et du commerce, ou encore à l’histoire culturelle. Néanmoins, convenons que la numérisation coûte cher et progresse lentement, malgré l’ampleur des moyens qui lui sont accordés par nos institutions. Ainsi, il nous reste encore de nombreux documents précieux et fragiles à numériser et à mettre en ligne, comme par exemple les albums d’échantillons textiles détenus par la bibliothèque Forney, précieux outils de la connaissance de l’histoire de la mode en Europe du XVIIIe au début du XXe siècle. Notre choix de les numériser entraînera probablement de nouvelles découvertes pour le public, mais d’autres documents passionnants et méconnus devront attendre leur tour... L’influence des bibliothèques et les choix documentaires des bibliothécaires restent donc primordiaux dans le contexte d’un univers numérique qui sert la recherche.

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Julius Bryant. Les bibliothèques d’arts appliqués doivent-elles fournir des espaces de lecture ? Dans ce cas, quel serait leur emplacement idéal ? Les musées et les universités, ou bien les centres commerciaux ? Lucile Trunel. Les bibliothèques d’arts appliqués sont fréquemment situées dans des lieux chargés d’histoire, des musées, des monuments historiques, ou bien au contraire dans des créations architecturales contemporaines, témoins de gestes artistiques qui mettent en valeur la nature de leurs collections. Il est difficile d’imaginer qu’elles n’accueillent plus de public dans ces lieux auxquels nous sommes attachés. C’est le cas de la bibliothèque Forney, bibliothèque populaire implantée à son origine dans une école du faubourg Saint-Antoine, le quartier des artisans parisiens. Elle doit son sort à la Ville de Paris qui, reconnaissant son utilité et sa valeur, décida en 1919 de démarrer des travaux de rénovation très importants dans l’ancien hôtel des archevêques de Sens, sis dans le quartier historique du Marais, afin de l’y établir plus confortablement. Depuis 1961, les usagers de Forney bénéficient donc d’un cadre historique classé exceptionnel, rare vestige de l’architecture civile parisienne du XVe siècle, offrant un mélange des styles médiéval et Renaissance, mais aussi la saveur vintage de son mobilier des SIXTIES… et ils ne s’en lassent pas !

Les bibliothèques d’art ne sont pas toujours installées dans des musées, mais parfois, leurs locaux mêmes constituent donc un intérêt historique, artistique et patrimonial pour certains, une curiosité voire une « attraction touristique » pour d’autres, que nous nous devons de mettre en valeur, ouvrant grandes les portes de la bibliothèque et de son bâtiment. Ainsi, la rénovation actuelle de l’hôtel de Sens comprend un volet culturel essentiel destiné au public des visiteurs, qui projette d’ouvrir une grande partie du bâtiment, offrant la découverte de sa beauté intrinsèque, mais donnant à voir aussi la bibliothèque et ses collections, au cours d’un parcours libre et très visuel10. Par ailleurs, il convient sans doute de réaffirmer l’importance des bibliothèques comme espaces physiques d’échanges entre bibliothécaires et lecteurs d’une part, et le nécessaire accès au document original d’autre part, tout à fait indispensable pour certaines recherches à caractère scientifique, pour lesquelles le document numérisé n’est absolument pas suffisant pour restituer toutes les informations nécessaires (surtout pour des collections artistiques)11… Enfin, rappelons que les étudiants ont absolument besoin de lieux de travail, où s’imprégner du savoir, échanger avec leurs pairs et bénéficier de l’aide de professionnels de l’information, quelle que soit leur implantation, à proximité d’un musée, dans une université ou dans la ville. Júlia Katona. S’agissant des collections des deux institutions éducatives de Budapest, il est important de fournir des lieux permettant l’accès direct aux publications et aux objets. Je crois en outre que ces espaces doivent être situés au sein de l’institution elle-même, car cela a une incidence au niveau local, institutionnel. Lorsque les écoles aménagent dans leurs locaux des espaces destinés à l’étude de leur passé grâce à la consultation de leurs bibliothèques ou de leurs collections d’œuvres d’art, elles contribuent non seulement à définir leur identité propre, mais servent également de catalyseur au processus créatif de leurs étudiants12. Séparer les bibliothèques ou les collections de leur environnement d’origine reviendrait à briser le lien entre les écoles et leur passé.

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La question de l’accessibilité concerne à la fois la recherche et l’exposition des objets. Il serait plus difficile d’étudier l’histoire des institutions et de leurs collections si les objets étaient dispersés dans différentes collections publiques. Par exemple, dissocier les dessins exécutés par les étudiants au XIXe siècle des modèles, des recueils de motifs, des estampes ou des moulages en plâtre serait un frein pour l’étude comparée. L’exposition des ouvrages et des objets soulève également une question importante, car les universités et écoles d’art de Budapest ne possèdent pas d’espaces réservés à l’exposition permanente des objets de leurs collections. La seule option est donc d’organiser des expositions temporaires afin de présenter les livres et les estampes dans leur contexte. La toute première exposition ciblée de pièces issues du fonds de la bibliothèque d’arts décoratifs a eu lieu en 2010 ; organisée par la bibliothèque de l’université et installée dans une salle temporaire de l’université, elle avait été baptisée « The Allure of Ornaments and Ideas13 », et présentait une sélection de recueils de motifs et d’estampes ornementales français et allemands datant des XIXe et XXe siècles. En 2015, une sélection de dessins architecturaux de la même période réalisés par les apprentis, artisans et artisans d’art de la Budapest Metropolitan Industrial Drawing School ont été présentés au Centre d’Architecture de Budapest ; l’exposition avait été baptisée « Those Who Built Budapest14 ». Ces dessins étaient accompagnés d’ouvrages d’architecture, de recueils d’ornements et de modèles, de photographies, ainsi que de moulages architecturaux et décoratifs utilisés comme outils de formation. Jarmila Okrouhlíková. Je crois que les bibliothèques d’art doivent conserver leurs salles de lecture, dont la fonction première est de fournir un environnement propice à l’étude : calme et tranquillité favorisant la concentration, ouvrages spécialisés à disposition, accès plus rapide aux sources primaires. D’autres services sont souvent proposés sur le même site, et sont donc facilement accessibles. On pourrait également mettre en avant le fait que les bibliothèques d’art ont longtemps eu une vision très étroite de ce qui constitue une collection d’ouvrages sur l’art. Leurs fonds se composent également de pièces diverses telles que plans et cartes, recueils d’ornements et de modèles, affiches, photographies, correspondances, etc. Certaines sont trop précieuses pour que l’on puisse envisager le prêt à domicile, et doivent être réservées aux salles de lecture. Les bibliothèques rattachées à des musées collectent des ouvrages concernant leurs propres collections, ainsi que des textes d’intérêt régional rarement disponibles dans les bibliothèques universitaires (à moins qu’elles ne soient particulièrement bien fournies). Dans les pays où les universités se sont dotées d’un musée propre, les bibliothèques de ceux-ci disposeront sans doute de ce type de littérature spécialisée. Ce n’est pas le cas en République tchèque, où les musées ne sont rattachés à aucune université. Pour cette raison, les étudiants travaillant sur des domaines précis doivent avoir recours aux bibliothèques des musées, des écoles ou des universités. Les espaces de lecture aménagés dans ces institutions fournissent sans aucun doute un environnement plus propice à la recherche qu’un centre commercial. En outre, les musées sont généralement situés à proximité des centres urbains, et sont donc plus accessibles aux usagers.

Julius Bryant. Puisque les utilisateurs de bibliothèques d’arts appliqués peuvent effectuer leurs recherches en ligne, où qu’ils soient dans le monde, et compte tenu du fait que les ressources s’amenuisent, les bibliothèques doivent-elles prioritairement donner accès à un

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certain type d’utilisateurs – artistes, designers, enseignants – au détriment de chercheurs non professionnels tels que les collectionneurs d’antiquités ? Jarmila Okrouhlíková. Les bibliothèques sont avant tout destinées à servir leurs utilisateurs. Cela s’applique également aux bibliothèques d’art à l’ère de l’information mondialisée et en période de restrictions budgétaires. La République tchèque est un petit pays qui ne compte que deux ou trois grandes bibliothèques d’art et quelques douzaines d’autres plus modestes abritant quelques milliers de volumes. Toutes sont ouvertes au public, mais leurs fonds recouvrent des spécialités différentes. Les utilisateurs choisissent la bibliothèque en fonction des possibilités qu’elle offre. Les bibliothèques de musée sont essentiellement destinées à un public spécialisé (conservateurs, employés de musées, etc.) et disposent d’un plus large éventail d’ouvrages régionaux ou ayant directement trait à leurs collections ; les bibliothèques universitaires composent leurs collections en fonction des étudiants et des enseignants en art (ou, selon le cas, des architectes, des verriers, des céramistes, etc.). Les grandes bibliothèques d’art conservent les catalogues d’exposition et de vente recherchés par les collectionneurs et les marchands d’art. Elles se diversifient de manière croissante, accordant la priorité à telle ou telle catégorie d’utilisateur, et la tendance ne fera sans doute que s’amplifier. Mais je crois aussi qu’il serait contre- productif de créer des bibliothèques uniquement axées sur des sujets très ciblés, car même le plus grand spécialiste a parfois besoin de consulter des ouvrages de type plus généraliste. On verra sans doute apparaître dans peu de temps des bases de données spécifiques concernant des champs de recherche hautement spécialisés. Lucile Trunel. Ce n’est pas parce que les budgets se réduisent qu’il faut nécessairement donner la priorité à certains usagers. Bien au contraire, à la demande de nos tutelles, la condition de notre survie passe plutôt par un élargissement de nos publics. Même si nos utilisateurs à distance voient leur nombre s’accroître, il n’est pas question de délaisser le public qui continue à venir sur place, ou un nouveau public… attiré précisément par la mise en valeur à distance de nos collections ! En tant que bibliothécaires d’art, nous sommes amenés à faire notre travail dans un contexte budgétaire en réduction, ce qui signifie plutôt que nous priorisons les acquisitions, que nous faisons des choix documentaires. Notre politique documentaire en devient plus exigeante, affinée, car il s’agit de satisfaire néanmoins tous nos usagers. Nous travaillons donc peut-être encore mieux, et davantage en coopération avec nos pairs : les acquisitions, la conservation et la numérisation se font désormais de manière concertée au plan local, national voire international, comme c’était déjà le cas pour le signalement des collections, qui depuis longtemps a visé la création de catalogues collectifs et de formats interopérables. Chercher à ne plus satisfaire qu’un ou deux types d’usagers signerait la mort de nos bibliothèques. À Forney, nous cherchons à nous appuyer sur ce qui fait notre force, au contraire : la multiplicité de nos publics. Située au cœur du vieux Paris, la bibliothèque est ouverte aux chercheurs et aux étudiants, mais aussi au grand public, car elle est à la fois bibliothèque spécialisée, municipale et publique : elle prête des documents depuis toujours, car dans la mouvance des bibliothèques populaires de la fin du XIXe siècle, elle visait à l’origine à fournir des modèles et de la documentation aux ouvriers du Faubourg, ébénistes, tapissiers, orfèvres… Elle leur était ouverte gratuitement, jusque tard le soir, et prêtait des documents à domicile. Elle offrait aussi des conférences gratuites, ce qui

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l’a amenée à développer progressivement son caractère de bibliothèque de recherche. Puis, au fil des années, ses collections de prêt et de conservation se sont développées au gré des goûts du public, désormais largement constitué d’étudiants en mode et en design, et non plus seulement de spécialistes de la faïence ancienne ou du mobilier du XVIIIe siècle. Forney est très active sur les réseaux sociaux, de nombreux usagers suivent ses coups de cœur, le récit qu’elle construit à partir de l’actualité artistique et de ses collections. Il ne s’agit pas de donner la priorité à un type de public, mais plutôt d’offrir à tous des services appropriés, différenciés, depuis les recherches sur mesure pour les chercheurs jusqu’aux brèves sur Twitter, en passant par le prêt à domicile à tous, les expositions temporaires15, les conférences culturelles dans nos domaines de prédilection, ou le parcours-découverte de nos richesses architecturales et documentaires.

Julius Bryant. S’agissant des arts appliqués, l’expertise des bibliothécaires est-elle encore nécessaire, notamment en ce qui concerne le catalogage des publications, alors que l’on peut trouver en ligne quantité d’informations émanant des éditeurs, des distributeurs et des utilisateurs ? Júlia Katona. Je répondrai brièvement par l’affirmative. Il y a eu de nombreuses avancées : l’énorme quantité d’informations et de données fournies par les éditeurs et les utilisateurs ; les plateformes collaboratives, de plus en plus utilisées (pas toujours à bon escient) ; l’accès aux données bibliographiques détaillées concernant différents exemplaires d’une même publication grâce à certains catalogues en ligne, tels que artdiscovery.net ; les versions numérisées d’ouvrages entiers disponibles sur archive.org ou gallica.bnf.fr. Mais l’expertise des bibliothèques d’arts appliquées reste indispensable, qu’elles soient rattachées à une université, une école d’art ou un musée. C’est tout particulièrement le cas des bibliothèques d’arts décoratifs qui souhaitent ouvrir leurs collections spécialisées à la recherche scientifique. Les ouvrages et les objets concernés ne peuvent plus alors être traités comme de simples éléments de bibliographies généralistes, et leur description doit répondre à des critères précis de recherche.

Les recueils d’ornements et de modèles publiés en Europe aux XIXe et XXe siècles sont conservés dans les grandes bibliothèques d’arts décoratifs, mais on en trouve également dans les petites collections des universités et des écoles d’art, et leur étude pourrait s’avérer extrêmement instructive à de multiples égards. Si l’on veut étudier de manière scientifique ces recueils ou ces portfolios d’estampes, il faudrait sans doute les considérer comme des pièces de musée, et pas seulement comme des objets de bibliothèque. En les classant dans la catégorie « estampes », on fournit de précieuses informations additionnelles sur l’histoire de la lithographie et de la chromolithographie16, ainsi que sur les autres processus d’impression à plat de la période, ou encore sur l’histoire de la formation en arts et métiers au XIXe siècle en Europe17, en mettant par exemple en évidence les réseaux d’écoles, ou encore les personnalités de premier plan. Au niveau local, dans le microenvironnement des écoles d’arts et métiers, une description plus détaillée des objets favoriserait l’étude de l’histoire de ces écoles, comme c’est le cas pour les estampes ornementales et recueils d’ornements et de modèles français, allemands et anglais utilisés à la Budapest Metropolitan Industrial

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Drawing School à la fin du XIXe siècle et dans les premières décennies du XXe siècle. Les données bibliographiques sont fondamentalement les mêmes pour ces estampes et ouvrages et pour ceux conservés, par exemple, à la bibliothèque de l’INHA ; mais elles incluent également quantité d’autres informations concernant, par exemple les professeurs et les bienfaiteurs des écoles, ou encore les grands noms de la formation en arts et métiers en Hongrie au temps de la monarchie austro-hongroise. Une description plus minutieuse des ouvrages18 fournirait ainsi de précieuses indications sur l’histoire des formations en arts et métiers à l’échelle nationale durant la période. Tous ces objectifs scientifiques exigent l’expertise des bibliothécaires spécialisés dans les arts décoratifs. Jarmila Okrouhlíková. Le catalogage des publications à partir des données fournies par les bibliothèques nationales ou les éditeurs constitue certainement une aide précieuse pour tous les bibliothécaires. L’adoption de catalogues déjà existants leur facilite grandement la tâche. Les comptes rendus et les commentaires sont également d’une grande utilité, et viennent s’ajouter aux données existantes. Mais l’expertise des bibliothécaires reste indispensable, notamment en ce qui concerne le contenu des publications. Les informations fournies par un tiers ne couvrent pas l’intégralité du champ concerné, et ne sont pas suffisamment détaillées (elles ne peuvent pas l’être) pour certains utilisateurs. Les bibliothécaires des bibliothèques d’art sont à même d’inclure des données supplémentaires présentant un intérêt pour une catégorie particulière de lecteurs. Ils peuvent ajouter des données biographiques sur les créateurs de la publication – photographes, illustrateurs, artistes typographes, graphistes, etc. –, ou encore des informations concernant des artistes mentionnés de manière incidente par rapport au sujet principal de l’ouvrage. De même, l’information concernant les dates, les lieux et les sites, les entreprises, etc., pourrait être plus détaillée. Dans le cas des publications récentes, les lois sur le copyright ne permettent pas l’accès au texte intégral, et le catalogage présente donc des mérites certains. Comme on l’a vu, les fonds des bibliothèques d’art se composent d’une grande diversité de pièces imprimées publiées par les musées, les lieux de mémoire, etc., qui échappent aux catégories traditionnelles du catalogage, et constituent cependant une source précieuse d’information. On songe notamment aux catalogues d’exposition, aux guides et brochures touristiques, aux manuels et autres ouvrages destinés à l’enseignement. De même, les collections spécialisées et privées sont elles aussi source d’information. Enfin, les données sur les articles de revues ou d’anthologies, accompagnées d’information sur leur contenu, présentent également un grand intérêt. Pour toutes ces catégories, le catalogage reste indispensable. En outre, les publications plus anciennes, dont le catalogage n’était pas centralisé, pourraient, après avoir été répertoriées de manière détaillée, fournir d’intéressantes informations aux utilisateurs des bibliothèques d’art. L’expertise des bibliothécaires me semble donc toujours nécessaire. On aura sans doute de plus en plus fréquemment recours aux catalogues des bibliothèques nationales, comme aux banques de données centralisées, et à l’importation de données en provenance de bibliothèques possédant des collections similaires, et qui ont déjà traité les publications concernées. Les bibliothécaires de bibliothèques spécialisées connaissent le plus souvent le domaine couvert par les

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collections, et sauront anticiper les besoins des lecteurs et compléter ainsi les données importées depuis un autre catalogue. Si l’ouvrage n’a pas encore été répertorié, une nouvelle notice sera alors créée, adaptée au public particulier de la bibliothèque (en suivant, bien entendu, les règles usuelles de catalogage). On verra sans doute aussi s’accroître les pratiques collaboratives entre les bibliothèques d’art, qui continueront à échanger leurs données et collaboreront à la création de bases de données spécialisées et de portails destinés aux « experts » ou « spécialistes » dans tel ou tel domaine. Pour la plupart, les catalogues des bibliothèques sont accessibles en ligne, et peuvent donc être consultés partout dans le monde. En combinant les mots- clefs de recherche de manière adéquate et en réduisant le champ des critères requis, on peut ainsi trouver aisément les ouvrages portant sur un sujet précis, ce qui est, après tout, la mission première des catalogueurs professionnels. Lucile Trunel. À l’heure de la nécessité d’une visibilité accrue des collections des bibliothèques via le web sémantique, plus que jamais, l’expertise des bibliothécaires d’art est de mise. En effet, derrière les mots-clefs et les ontologies19 qui qualifient et permettent d’identifier des documents sur la toile, se cache le travail de signalement et d’indexation des bibliothécaires, qui retrouve une signification nouvelle, davantage encore qu’à travers nos catalogues traditionnels, peu aisés à manipuler et qui étaient destinés à une audience plus réduite. En effet, les efforts de nos bibliothèques dans la recherche de normes adaptées au web sémantique permettent d’évoluer vers un meilleur référencement de nos catalogues par les moteurs de recherche, et d’établir des ponts entre notices bibliographiques, documents, textes, images fixes ou animées, sons, et contenus éditoriaux qui enrichissent l’information autour de ces documents. Or seule la description initiale, document en main, et la connaissance fine des normes internationales de description, au-delà de la connaissance des collections elles-mêmes, permettent de transmettre les informations lisibles et utiles à nos usagers. Une description bibliographique rapide par les éditeurs ou les enrichissements divers apportés par les usagers via des plateformes collaboratives constituent un complément bienvenu, mais tout à fait insuffisant lorsqu’on évoque des fonds patrimoniaux anciens, très spécialisés, dont la description exacte nécessite non seulement un travail de recherche scientifique approfondi, mais également une maîtrise à jour des normes bibliographiques. Ainsi, les bibliothécaires de Forney s’attachent aujourd’hui comme hier à la précision de leurs descriptions catalographiques, et s’ils n’ont pas encore pu mettre en œuvre de nouveaux formats bibliographiques à travers les outils informatiques dont ils disposent, ils envisagent de les appliquer dans un proche avenir, pour certains fonds iconographiques très spécialisés par exemple. À travers leur collaboration numérique avec la bibliothèque numérique Gallica, produite par la Bibliothèque nationale de France, ils bénéficient déjà de l’outil data.bnf.fr, qui utilise les règles du web sémantique pour décrire et enrichir, via des retours d’utilisateurs, des documents sur tous supports. Enfin, rappelons l’irremplaçable expertise de certains de nos collègues, véritables experts scientifiques de leurs fonds, qui, par leur contact avec le monde de la recherche, accomplissent un travail d’identification et de description irremplaçable par ailleurs. C’est le cas, par exemple, à la bibliothèque Forney, du conservateur chargé du fonds d’affiches publicitaires, le troisième en France pour son importance, ou bien de la bibliothécaire en charge du fonds des papiers peints et des toiles

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imprimées, ainsi que des tissus. Les bibliothèques d’art constituent un réel vivier d’expertise, que les chercheurs et le monde professionnel connaissent bien, et il est difficile d’imaginer pouvoir s’en passer, quelles que soient les avancées technologiques dans le futur, ou la collaboration active de certaines communautés d’usagers amateurs.

NOTES

1. Roman Watson, Elizabeth James, Julius Bryant (dir.), Word and Image: Art, Books and Design from the National Art Library, Londres, 2014, p. 24. 2. La collection d’ornements et de modèles du musée des Arts décoratifs de Prague est publiée, voir : Frantisek Borovsky, Katalog sbirky predloh, Praha, Umeleckoprumyslove museum [Catalogue of the Collection of Patterns. Prague, Museum of Decorative Arts], Prague, 1897. 3. Voir http://artlib.eu. 4. J’ai choisi ces deux institutions parce que je les connais bien. De 1998 à 2012, j’ai participé en tant que chercheuse invitée à divers projets liés à l’histoire de l’Université hongroise des Beaux- Arts de Budapest, et financés par le Fonds hongrois pour la recherche scientifique (OTKA) et le Fonds national pour la culture (NKA). Je dirige aujourd’hui la Schola Graphidis Art Collection, où sont conservés tous les objets qui appartenaient autrefois à la plus ancienne institution hongroise consacrée à l’enseignement de l’art (la Schola Graphidis Budensis, fondée en 1778), aussi appelée Lycée des arts visuels, également rattachée à l’Université hongroise des Beaux-Arts. 5. Rafael Cardoso Denis, « Teaching by Examples: Education and the Formation of South Kensington’s Museums », dans A Grand Design: The Art of the Victoria and Albert Museum, Londres, 1997, p. 107-117. 6. Adolf Loos, Ornement et crime, et autres textes, Sabine Cornille, Philippe Ivernel (trad. fra. et présentation), Paris, 2003 [éd. orig. : Ornament und Verbrechen, Vienne, 1908]. 7. La bibliothèque a été fondée grâce à un legs testamentaire fait à la Ville de Paris par un industriel philanthrope, Aimé Samuel Forney, à charge pour celle-ci de créer une institution d’éducation populaire à destination plus particulière des ouvriers artisans des métiers d’art, dont il souhaitait revaloriser la situation. Inaugurée le 27 février 1886, la bibliothèque fut d’abord installée dans les locaux d’une école, rue Titon, en plein faubourg Saint-Antoine, avant de rejoindre, en 1961, l’ancien hôtel des archevêques de Sens. 8. Le nouveau portail des bibliothèques spécialisées de la Ville de Paris, ouvert en septembre 2016, offre un accès facilité et de qualité au catalogue commun de la dizaine de bibliothèques patrimoniales municipales, ainsi qu’à leurs documents numérisés. Certains fonds spécifiques étaient déjà en ligne dans l’ancien portail, comme des affiches ou des papiers peints célèbres de Forney. Mais le nouveau portail valorise désormais aussi les documents numérisés dans le cadre de marchés de numérisation mis en place à partir de 2014, qui concernent les imprimés comme les images. 9. Très tôt, les premiers conservateurs de Forney (Henri Clouzot notamment, futur directeur du musée Galliera), ont mené une politique d’acquisitions de fonds spéciaux, en lien avec l’histoire des techniques des métiers d’art, pour « illustrer » ces dernières, et les étapes de la fabrication. C’est le cas par exemple des albums d’échantillons de tissus, qui portent les marques et indications manuscrites des fabricants, et permettent de mieux comprendre comment ils ont été

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fabriqués. De même, si Forney possède des dessins originaux, ce sont en majorité des « maquettes » de dessins permettant de réaliser des tissus d’ameublement, des papiers peints, des affiches… Beaucoup de ces documents spécialisés nous sont parvenus aussi par le biais de grands dons. Cette approche en fait une bibliothèque assez unique, avec des collections presque muséographiques parfois (ainsi par exemple des bois de poirier servant à l’impression des tissus que nous conservons). 10. Après une année de fermeture pour travaux de mise en sécurité, de restructuration et d’embellissement, la bibliothèque rouvrira le 26 février 2017 avec une véritable ambition en matière d’action culturelle, outre les services rendus à ses lecteurs. Hors expositions temporaires (l’exposition de réouverture portera sur « Mode et femmes, 14-18 »), un parcours libre de visite sera offert aux simples visiteurs, qui seront à même de découvrir les beautés architecturales du bâtiment (ils pourront admirer la grande salle de lecture à travers une vitre, par exemple), comme des échantillons de ses collections (originaux, facsimiles, documents numériques à travers un dispositif multimédia, matériel pédagogique tactile…). 11. La bibliothèque Forney couvre ainsi de multiples spécialisations : beaux-arts, arts décoratifs (céramique, costume, décoration intérieure, mobilier, orfèvrerie, tapisserie, tissu, reliure, verre…), arts graphiques (arts du livre, de l’affiche et de la publicité), arts appliqués (mode, design…), métiers d’art (travail du bois, du fer, de la terre, du verre, des textiles…). Ses collections reflètent la même diversité de supports et comportent plus de 230 000 livres imprimés du XVIIIe siècle à nos jours, 4 000 titres de périodiques (et almanachs anciens), des catalogues commerciaux (des anciens grands magasins à toutes sortes de fournisseurs, y compris des catalogues de caractères typographiques), catalogues d’expositions, de musées, de ventes d’art, 30 000 affiches anciennes et contemporaines, 9 000 papiers peints, 400 toiles imprimées anciennes, échantillons textiles (75 albums, XVIIIe et XIXe siècles), 7 000 dessins originaux, 500 000 cartes postales anciennes, des milliers d’imageries publicitaires sur supports divers… 12. Les deux collections sont, encore aujourd’hui, conservées dans leur bâtiment d’origine, datant du XIXe siècle. Le bâtiment de l’université date de 1875, et les imprimés sont encore conservés dans la même salle, et dans les mêmes armoires. Les locaux de l’école de dessin industriel, construits en 1893, abritent maintenant la Bibliothèque d’arts appliqués et de formation des artisans et artisans d’art, ainsi que les outils utilisés pour l’enseignement. Cette continuité historique présente cependant de nombreux désavantages, notamment la pénurie d’espaces de stockage dans les bâtiments de l’école, et les difficultés posées par la préservation des objets culturels. 13. « The Allure of Ornaments and Ideas. The Pattern Book Collection of the Library of Hungarian University of Fine Arts », 20 octobre – 15 novembre 2010, Aula, Université hongroise des Beaux- Arts de Budapest. L’exposition coïncidait avec la parution de la bibliographie annotée de la collection ; voir Júlia Katona, Judith György, Díszítmények és ideàk vonzásában [L’Attrait des ornements et des idées]. A Magyar Képzömüvészeti Egyetem Könyvtárának díszítömüvészeti könyvritkasággyüjteménye [La collection de recueils de motifs et modèles de la bibliothèque de l’Université hongroise des Beaux-Arts], Budapest, 2010. 14. « Ceux qui ont bâti Budapest. Architecture et goût dans la formation des apprentis et des artisans aux XVIIIe et XIXe siècles », Schola Graphidis Art Collection, 27 octobre – 15 novembre 2015, Centre d’architecture de Budapest, FUGA, Budapest ; http://www.scholagraphidis.org/ those-who-built-budapest.html. 15. Quelques exemples récents : en 2015, exposition « Indigo », en 2014, expositions « Bijoux contemporains » et « Cuillères », en 2013 « L’histoire de France racontée par la publicité », ou encore, antérieurement, les séries sur les grands affichistes… 16. Michael Twyman, The History of Chromolithography: Printed Colour for All, Londres, 2013. 17. Dietrich Schneider-Henn, Ornament und Dekoration: Vorlagenwerke und Motivsammlungen des 19. und 20. Jarhunderts, Munich/New York, 1997.

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18. Júlia Katona, « Towards Complexity: Case Study to the Experiment of “Visualization and Indexing of Museum Content”: The Context of the 19th-Century Ornamental Prints », dans Uncommon Culture, vol. 6, no 2 (12), 2015, Creative Digital, p. 122-129, en ligne : http:// uncommonculture.org/ojs/index.php/UC/article/view/6211/5061 (consulté le 9 novembre 2016). 19. L’ontologie est une notion issue de la logique mathématique et de la linguistique, qui traite des termes utilisés pour désigner les êtres (du grec : on, ontos) qui constituent la réalité. Dans le monde du web sémantique, on utilise le terme d’ontologie pour désigner des ensembles de termes reliés entre eux, par leur nature et leurs relations qualifiantes, qui permettent ainsi de « naviguer » sur Internet, à la recherche de liens entre des notions ou des objets.

RÉSUMÉS

Public libraries in museums stand at a cross road, both figuratively and literally. Within a museum most of the flow of regular readers comes from the museum staff and art historians, while the general visitor looks on, uncertain whether they are welcome. Changing displays around the threshold, in the lobby and on landings, share the treasures and so tempt museum visitors to enrol as readers, but it can be a shy courtship on both sides. In the digital age, that sense of a museum’s library as a closed club room is less intimidating as potential readers may have visited already, on line in the museum’s web site. But even there the sense of two institutions under one roof may continue, with two databases, one for the museum collections and one for the library, one fed by curators, the other by librarians. For museum directors reaching out to the widest public, running an art library as well is not the most obvious priority.

INDEX

Mots-clés : bibliothèque, arts décoratifs, éducation, éducation artistique, modèles, recueil, ressources, ressources numériques, numérisation, recherche, catalogue, base de données, bibliothèque numérique, publics, artiste, artisans, bibliothèque de musée Keywords : library, decorative arts, education, artistic education, models, pattern book, resources, digital resource, digitization, research, catalogue, database, digital library, audiences, artist, craftspersons, museum library Parole chiave : biblioteca, arti decorative, educazione, educazione artistica, modelli, libro di modelli, risorsa, risorse digitali, digitalizzazione, ricerca, catalogo, base di dati, biblioteca digitale, pubblichi, artisti, artigiani, biblioteca di museo

AUTEURS

JULIUS BRYANT Julius Bryant est le conservateur du département Word and Image au Victoria and Albert Museum, où il a la charge des peintures, dessins, photographies, affiches, aquarelles et des arts du livre. Il dirige également les Archives of Art and Design et la National Art Library. Il était auparavant conservateur en chef et directeur des musées et des collections de l’organisation

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English Heritage. Il a été commissaire de plusieurs grandes expositions, parmi lesquelles : Art and Design for All: The Victoria and Albert Museum (Bonn, Budapest, 2011) et William Kent: Designing Georgian Britain (Londres/New York, 2013). Il a également co-dirigé l’ouvrage Word and Image: Art, Books and Design from the National Art Library (Londres, 2015). Il prépare actuellement une exposition sur John Lockwood Kipling (père de l’auteur) qui aura lieu au Victoria and Albert Museum en 2017.

JÚLIA KATONA Júlia Katona, historienne de l’art, chercheuse et conservatrice, dirige les collections de la Schola Graphidis Art Collection de Budapest, a travaillé au Musée national de Hongrie (1995-2014). Ses domaines de recherche incluent notamment les arts décoratifs, la théorie de l’ornement, les recueils d’ornements et de modèles, les collections de livres rares, l’histoire de l’architecture aux XIXe et XXe siècles, l’enseignement de l’histoire de l’art, l’art hongrois, ainsi que la muséologie : informatique appliquée aux musées, systèmes intégrés de gestion des collections et traitement des données.

JARMILA OKROUHLÍKOVÁ Jarmila Okrouhlíková travaille à la bibliothèque du musée des Arts décoratifs de Prague depuis 1963. Elle a obtenu son diplôme de bibliothécaire à l’université Charles de Prague en 1963, et un doctorat en histoire de l’art en 1971. Elle a dirigé la bibliothèque du musée des Arts décoratifs de Prague de 1991 à 2012.

LUCILE TRUNEL Conservateur en chef des bibliothèques, docteur en langue et littératures anglophones, Lucile Trunel dirige la bibliothèque Forney, l’une des bibliothèques spécialisées de la Ville de Paris, depuis janvier 2015. Auparavant, elle a occupé divers postes de responsabilité à la Bibliothèque nationale de France, notamment au département Littérature et art. Elle est membre de la section Bibliothèques d’Art de l’IFLA.

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Bibliothèques de musées, bibliothèques universitaires : des collections au service de l’histoire de l’art Un débat entre Anne-Élisabeth Buxtorf, Pascale Gillet, Catherine Granger et Anne-Solène Rolland Museum Libraries, University Libraries: Collections at the Service of Art History

Anne-Élisabeth Buxtorf, Pascale Gillet, Catherine Granger et Anne-Solène Rolland

Des bibliothèques en regard

1 En s’installant dans la salle Labrouste, la bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art rendra visible des années de préparation, réflexion, débats qui ont rythmé sa longue gestation. Héritière de la bibliothèque d’art et d’archéologie de Jacques Doucet, sa filiation avec l’université est vivace et prégnante aujourd’hui. Depuis le 1er janvier 2016, l’arrivée de la Bibliothèque centrale des musées nationaux, auparavant installée au Louvre, inscrit les musées au cœur des collections de l’INHA. Pour les trois entités concernées, ce changement a obligé et oblige encore à s’interroger sur les orientations et missions des bibliothèques qu’elles représentent. Le musée du Louvre a lancé un vaste chantier de valorisation et de coordination de ses bibliothèques. Après un travail préparatoire de grande ampleur, la Bibliothèque centrale des musées nationaux a physiquement intégré l’INHA, entraînant une nécessaire réflexion au sein de l’Institut sur son histoire, mais également son projet. En effet, pour la bibliothèque de l’INHA, cette pierre fondatrice qu’est la BCMN consolide ce moment d’ouverture dans des espaces entièrement rénovés : ouverture d’une salle de lecture de 400 places, mais également du magasin central en libre accès riche de 150 000 documents sur trois niveaux, ouverture avec la Bibliothèque nationale de France et en particulier le département des Estampes et de la photographie, mais également avec l’École nationale des chartes.

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2 Les trois textes qui suivent doivent donc se lire en miroir comme autant d’échanges sur les sources de l’histoire de l’art. [Anne-Élisabeth Buxtorf]

La bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art

Anne-Élisabeth Buxtorf

3 Une bibliothèque est souvent un acte fondateur d’une discipline, d’un pouvoir ou d’une politique. Comme le note Jean Sirinelli1, les exemples les plus évidents sont les bibliothèques nationales dont les créations ou les évolutions sont liées à l’histoire d’un pays. Ainsi le projet de salle de lecture d’Henri Labrouste conçu pour la Bibliothèque impériale, outre le fait d’être un projet monumental est également un projet « national2 ». Il fallait comme l’écrit Prosper Mérimée à Henri Labrouste que « la France montrât qu’elle est toujours la nation artiste, qui donne des modèles au monde, que la France montrât aussi qu’elle est devenue une nation pratique. Ce n’est point à un artiste de votre mérite qu’on donne des conseils. La commission ne vous dira pas : servez-vous de briques, de fer, de verre. Construisez une vraie bibliothèque, et qu’on voit au dehors, comme on sentira au-dedans, que c’est la maison des livres3. »

4 Mais Jean Sirinelli souligne que le processus peut être le même pour des cas moins monumentaux et prend l’exemple du cinéma : « il est intéressant que le cinéma, par exemple, pour prendre un champ disciplinaire réduit au moment de se constituer en art, de se patrimonialiser, passera aussi par la création d’une bibliothèque4 ».

5 Dans cette perspective, il est frappant de noter que, pour l’histoire de l’art, la nécessité de bibliothèque, jalonne également l’histoire de la discipline. Comme d’autres bibliothèques d’histoire ou d’historien de l’art5, la bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collections Jacques-Doucet se développe à l’aune de la discipline qu’elle accompagne. Il ne s’agira pas ici d’en retracer l’histoire, qui reste certainement à écrire, mais davantage d’en souligner, aux principales étapes, les éléments constitutifs de ce qu’elle est aujourd’hui à un moment charnière de son développement.

La bibliothèque et l’histoire de l’art selon Jacques Doucet

6 Le rôle de Jacques Doucet et de sa bibliothèque d’Art et d’Archéologie (BAA) est à ce titre fondamental. Figure tutélaire, énigmatique6, le grand couturier et mécène réussit cette œuvre étonnante de constituer une bibliothèque quasi parfaite de 100 000 volumes en moins de dix ans. Cette création, souvent décrite comme exemplaire7, habite encore aujourd’hui la bibliothèque de l’INHA.

7 N’étant lui-même ni universitaire, ni bibliothécaire, Jacques Doucet s’entoure des meilleurs spécialistes dans les différents champs de l’archéologie et de l’histoire de l’art alors émergente. La liste des professeurs, savants, archéologues, agrégés, archivistes- paléographes, normaliens et critiques d’art qui œuvrent à la création des collections est significative8. L’exigence scientifique et le savoir sont au rendez-vous de la constitution des bibliographies et des acquisitions qui fondent les collections de la bibliothèque. Les différents témoignages de cette période convergent et la qualité remarquable des fonds en est un signe encore prégnant aujourd’hui : « Pas un livre nouveau qui ne paraît qui ne soit immédiatement acquis pour la Bibliothèque », note Le Journal des savants9 alors que la bibliothèque est en pleine activité et expansion en mai 1912. Ce souci scientifique

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s’accompagne d’une importante activité de publications, et de financements de travaux divers ou encore d’expéditions. L’objectif est alors de tendre à l’exhaustivité. Tous les champs de la discipline, toutes les langues, tous les supports, toutes les ressources documentaires sont envisagés.

8 Cette ouverture d’esprit, cette soif de connaissance sont le résultat de ce réseau extrêmement investi, et également la marque de Jacques Doucet qui ne semble manifester ni apriori ou jugement personnel, mais tient avant tout à la concrétisation du dessein général : couvrir tous les arts, de tous les temps et tous les continents accessibles à tout érudit qui en exprimerait le besoin.

9 Car l’autre point saillant de cette bibliothèque dès sa création, est sa facilité d’accès et de fonctionnement. Entièrement en accès libre, elle se développe pièce par pièce dans les appartements de Jacques Doucet. Le classement thématique permet aux lecteurs de retrouver aisément ce dont ils ont besoin. Les souhaits d’achats sont pris en compte. Et très vite la bibliothèque est un modèle. « Partout où se portait l’activité de Doucet, elle se manifestait immédiatement par des résultats pratiques ou des créations utiles, qui ont depuis été imitées partout. Quel est l’archéologue ou l’historien de l’art qui ne doit rien à la Bibliothèque ? », écrit André Joubin, alors directeur de la BAA, dans la Gazette des beaux-arts en 193010.

10 Dans cette fièvre d’activité, Jacques Doucet est d’abord intéressé par les collections, les ressources, les contenus. La question du lieu ou d’un projet architectural pour accompagner cet essor n’est alors pas dans ses préoccupations.

11 Si la bibliothèque se développe selon des critères scientifiques et une méthodologie efficace, le rapport de Jacques Doucet à sa bibliothèque reste dans le même temps très personnel. Contrairement à sa collection d’œuvres du XVIIIe siècle ou plus tard, son studio de la rue Saint-James, parfaitement mis en scène et connu, il ne nous reste pas à ce jour d’images de la bibliothèque de la rue Spontini. Entreprise plus secrète, plus intime, dans les rares courriers de Jacques Doucet dans lesquels il y fait allusion, il en parle comme de sa « fille ». Dans une lettre qu’il adresse à Auguste Rondel11 (1858-1934), autre collectionneur et fondateur privé de bibliothèque, il l’évoque et associe son attachement au développement de cette bibliothèque à une maladie propre au collectionneur12. Ce rapport particulier et intime se retrouve encore aujourd’hui. Certains lecteurs considèrent toujours qu’ils se rendent « chez Doucet », même si la bibliothèque n’habite plus chez son mécène depuis des décennies, comme si l’empreinte passionnelle et privée primait, à travers le temps, sur les aléas administratifs et institutionnels de la bibliothèque.

12 Après cette période fondatrice, marquant d’une certaine aura les collections, Jacques Doucet donne, par un courrier du 15 décembre 1917, sa bibliothèque à l’Université de Paris. Il y restera attaché toute sa vie, tout en entreprenant d’autres collections tout aussi remarquables13. Sa bibliothèque reste encore aujourd’hui marquée par son créateur.

Vers le rapport Chastel et la nécessité d’un renouveau

13 Hébergée plusieurs années dans l’hôtel de Rothschild (1923-1935), la BAA s’installe, non sans difficulté, dans les locaux de l’Institut d’art et d’archéologie de la rue Michelet inauguré cinq ans plus tôt. Plusieurs universitaires, dont en particulier Henri Focillon, jouent un rôle déterminant dans cet épisode14. L’apport d’une bibliothèque aussi

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prestigieuse pour consolider une discipline qui, au sein de la Sorbonne, devient autonome et indépendante de l’histoire15, leur semble essentiel16. En traversant la Seine, les collections Jacques-Doucet se rapprochent des lieux d’enseignement et de recherche. L’influence du mécénat privé ainsi que celles des critiques d’art décroit au bénéfice du monde académique17. La bibliothèque s’inscrit alors dans l’histoire des bibliothèques universitaires. Leur situation reste difficile durant la première moitié du XXe siècle18. En 1945, on crée une direction des Bibliothèques et de la Lecture publique au ministère de l’Éducation nationale. Julien Cain puis Étienne Dennery cumulent les fonctions d’administrateur général de la Bibliothèque nationale et de directeur des Bibliothèques. La BAA, de son côté, est dirigée par Suzanne Damiron19 de 1946 à 1977. Outre le développement des collections et les échanges avec la communauté des historiens de l’art en France et à l’étranger, un des éléments moteurs de cette période est également la poursuite du Répertoire d’art et d’archéologie, désormais financé par le CNRS. Malgré les faibles ressources en particulier en personnel, la bibliothèque développe une importante activité et parvient à maintenir son rayonnement international.

14 Mais dans le sillage des bouleversements du monde universitaire des années 1970, la bibliothèque connaît des évolutions peu favorables. Les bibliothèques universitaires de Paris sont réorganisées20 et deviennent interuniversitaires pour certaines. La BAA rejoint le groupe B dans lequel se trouvent la Bibliothèque de la documentation internationale contemporaine (BDIC) et l’Institut national des langues orientales (INALCO). Dès 1971, sa subvention est amputée, puis entre 1972 et 1978 est reconduite d’année en année sur la même base. En 1978, nouvellement nommée directrice de la bibliothèque, Denise Gazier s’alarme de la situation et rédige plusieurs notes et rapports. Elle y souligne le manque de place pour des lecteurs de plus en plus nombreux (quatre-vingt-quinze places à l’époque), l’insuffisance de personnel dont le nombre est moins élevé qu’à l’époque de Doucet (vingt contre vingt-cinq), et surtout l’asphyxie des collections. Malgré les palliatifs classiques (refoulement, rayonnages supplémentaires etc..), la place pour l’accroissement est nulle et, à la fin des années 1980, les livres sont stockés par terre. Le manque de fonds empêche aussi les acquisitions et les travaux de reliure ou de restauration. Face à cette situation dégradée, Denise Gazier rappelle l’importance de la donation Doucet et les projets que portent alors la bibliothèque : un catalogue collectif des périodiques en art, une exposition « Jacques Doucet », un projet de constitution de bases de données à partir du dépouillement des catalogues de vente et un projet de centre audio-visuel. Et elle conclue : « La BAA ne cherche pas à survivre pour elle-même : ce n’est pas du confort d’une bibliothèque qu’il s’agit mais de l’avenir d’une discipline21. »

15 Et de fait, les historiens de l’art s’inquiètent très tôt de l’état d’abandon de la BAA22. Dans une note de Jacques Thuillier sans doute de 197223, se dessine déjà deux préoccupations : l’absence d’un organisme de recherche en histoire de l’art à la hauteur des institutions étrangères, et d’autre part, l’inexorable dépérissement de la BAA. La Bibliothèque est ainsi à la croisée de l’évolution des bibliothèques d’un côté et de la discipline qui la constitue de l’autre.

16 Dès 1978, Denise Gazier alerte toutes les composantes de la BAA : l’Unité d’enseignement et de recherche (UER) de Paris I et de Paris IV, la Société des Amis de la Bibliothèque d’art et d’archéologie (SABAA), le CNRS, les associations professionnelles (CFHA, APAHAU, la société des Antiquaires de France…), la presse ; le tout soutenu par

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une pétition de lecteurs. En 1980, la SABAA à son tour tente une démarche auprès des tutelles de la BAA. Élie de Rothschild, président de la SABAA, déplore auprès de la ministre des Universités, Alice Saunier-Seïté24, l’état de déliquescence de la bibliothèque.

17 En 1983, la bibliothèque devient l’un des premiers centres d’acquisition et de diffusion de l’information scientifique et technique (CADIST), apportant un léger sentiment de soutien. Mais la situation ne s’améliore guère et Denise Gazier poursuit son travail de sensibilisation des tutelles et envoie des notes aux différents rapporteurs susceptibles d’œuvrer pour la BAA : note à Georges Dupuis (1981), note pour le rapport Orsenna (1983), pour la Commission Miquel (1988), pour le rapport Attali25 (1988)…

Le rapport Chastel et les fondements de la bibliothèque de l’INHA

18 À la même époque, André Chastel prépare le texte qui allait jouer un rôle moteur dans la création de la bibliothèque de l’INHA. Publié en 1983, le rapport d’André Chastel26 constate le déclin des « humanités classiques » et regrette en France l’absence d’une institution capable de fédérer et d’accompagner l’essor de l’intérêt pour l’art et le patrimoine dont les grandes expositions et leur succès sont un marqueur évident. Tandis qu’à l’étranger se créent ou existent des instituts d’histoire de l’art, la France manque d’un outil efficace. Si ce rapport a pour objectif de défendre l’histoire de l’art, la situation alarmante de la BAA est largement décrite. Dans le même temps, Chastel y pose, dans la continuité de Jacques Doucet, les éléments fondateurs de la bibliothèque de l’INHA d’aujourd’hui.

19 Le premier élément qui y apparaît est l’importance du livre dans l’atelier ou le laboratoire de l’historien de l’art. De même que pour les mathématiciens, la bibliothèque est la paillasse du chercheur27, pour l’historien de l’art, la bibliothèque est le lieu de la ressource et du travail. L’écrit et son corollaire l’imprimé – ou le support de lecture quel qu’il soit – reste le cadre d’élaboration de l’historien de l’art. André Chastel et Jacques Thuillier, dont les réflexions se répondent et se rejoignent au travers de leurs archives sur ce sujet, envisagent cette question dès ces années-là avec une claire conscience des évolutions possibles des supports. Ce qui compte dans cette nécessité de transmission n’est pas tant le livre comme objet mais davantage comme fonction de transfert et de diffusion. Ils définissent ainsi fondamentalement le besoin d’une bibliothèque non pas comme un lieu de conservation d’œuvres, mais bien comme un lieu de communication, d’échanges et d’élaboration d’idées. Plus de vingt ans plus tard, et dans le contexte de l’évolution numérique, la particularité du livre en histoire de l’art est confirmé par une étude américaine de 201428. « Cette spécificité, écrit Jacques Thuillier, tient essentiellement au fait que l’histoire de l’art s’occupe d’objets en même temps que d’idées, et qu’elle a donc besoin conjointement du texte et de l’image. Elle se manifeste aussi bien à propos des fonds que des utilisateurs29. »

20 Lié au contexte et à la situation de la BAA, l’autre apport de Chastel est de considérer qu’il n’est pas nécessaire de créer ex nihilo une nouvelle bibliothèque mais qu’il est préférable de favoriser la réunion de collections existantes. Trois bibliothèques sont alors concernées : la BAA qu’il convient de sauver, mais également la Bibliothèque centrale des musées nationaux (BCMN) qui paraît complémentaire des collections Jacques-Doucet et également certains fonds de l’École nationale supérieure des beaux- arts. Ce triptyque présente l’avantage de réunir trois composantes majeures de

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l’histoire de l’art : le monde universitaire, les musées, les écoles d’art. Cette vision est aujourd’hui l’une des originalités de la bibliothèque de l’INHA30. Elle s’est concrétisée au 1er janvier 2016 avec l’intégration des collections et des équipes de la BCMN. Ce changement est trop récent pour en mesurer les conséquences. Mais de ce fait, la bibliothèque de l’INHA n’est plus uniquement l’héritière de la BAA, mais devient véritablement un outil à la destination de l’ensemble des composantes de l’histoire de l’art.

21 Un autre élément, différent, mais tout aussi fondamental du rapport de Chastel pour la bibliothèque, est le libre accès. Comme « chez » Jacques Doucet, cette idée est constamment reprise dans la genèse de la bibliothèque de l’INHA. Marqué par les grandes bibliothèques américaines souvent entièrement accessibles aux chercheurs et aux étudiants, Thuillier prône également l’« open stack » comme il le note dans ses brouillons. « L’accès direct aux rayons, écrit-il, est considéré partout comme une condition sine qua non d’un travail efficace 31. » À l’époque en France, seuls les enseignants ont l’autorisation de se rendre directement dans les magasins. Mais ce mode de fonctionnement tient lieu davantage de l’exception et la plupart des documents doivent être demandés sur bulletin. La Bibliothèque publique d’information, qui ouvre en 1977, est alors un modèle entièrement nouveau : tout y est en libre accès. Il n’y a ni réserve, ni magasins fermés. Les ouvrages ne sont pas destinés à la conservation et sont désherbés une fois passé leur temps d’usage. Le modèle de libre accès de Chastel a sa propre originalité. Il s’agit davantage de magasins laissés ouverts en permanence afin d’accélérer et d’alimenter le travail de recherche plutôt que de répondre à des missions de lecture pour tous et d’organisation ou de transmission du savoir. Chastel, et à sa suite Thuillier, sont conscients de certaines difficultés posées par une bibliothèque conçue entièrement en magasin ouvert. L’espace et la sécurité des collections sont les principaux freins au libre accès total. Ainsi, du projet initial du libre accès, sont assez rapidement exclus les documents rares et précieux. Mais l’ambition reste élevée : 900 000 puis 400 à 500 000 ouvrages. Le nombre d’utilisateurs est aussi l’un des éléments limitant le libre-accès. « On remarque qu’une bibliothèque de relativement grande fréquentation, comme celle du Metropolitan Museum of Art, ne permet justement pas d’accès direct32 », note encore Thuillier. Plus le nombre de lecteurs est important, plus il est difficile de concevoir un libre accès sous peine de ne jamais retrouver un ouvrage. Le libre accès s’arrête donc là où commence la nécessité de conserver ou celle de communiquer à un plus grand nombre.

22 C’est pourquoi le libre accès, composé à l’ouverture de la nouvelle bibliothèque de l’INHA dans la salle Labrouste et le magasin central de 150 000 volumes, constituera un modèle très particulier, « une bibliothèque dans la bibliothèque33 » alliant un accès sans limite au magasin central, le respect des contraintes de conservation et de sécurité des personnes et des ouvrages, mais aussi l’accueil d’un public beaucoup plus important que ce que Chastel imaginait sans doute à l’époque de son rapport. Les espaces Labrouste offrent 400 places tandis que la BAA en offrait 96. Et, à la conception intellectuelle des corpus et de la classification viendra s’ajouter la force architecturale du cadre conçu par Henri Labrouste.

Vers un dessein national, les atermoiements des années 1990

23 Le rapport de Chastel, suivi du rapport non publié de Marc Fornacciari34, aboutit à la création en mars 1986 d’une association de préfiguration d’un Institut national

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d’histoire de l’art destiné à la fois à doter la communauté scientifique d’un instrument fédérateur et à sauver la bibliothèque d’art et d’archéologie Jacques-Doucet. Des études complémentaires viennent étoffer le projet de bibliothèque. La question du lieu se pose, mais il n’est pas envisagé de construction nouvelle. En 1986, François Gauthier, architecte, est mandaté par l’association de l’INHA pour établir une première programmation pour « une » bibliothèque d’histoire de l’art35. Dans les différentes notes présentes dans les archives de la bibliothèque de l’INHA, sont esquissés plusieurs pistes : des aménagements au sein de l’Institut d’art et d’archéologie, soit en déménageant les unités d’enseignement et de recherche, soit en déménageant la bibliothèque, soit en creusant le sous-sol de la rue Michelet36. D’autres scénarios, repris dans la presse de l’époque37, sont évoqués : créer une bibliothèque d’art au sein du musée du Louvre38 et même déménager la BAA au Grand Palais.

24 En 1989, l’association de l’INHA est dissoute et la situation de la bibliothèque s’est concrètement peu améliorée. Mais la naissance d’un projet de Très Grande Bibliothèque nationale modifie l’horizon. Denise Gazier voit alors deux espoirs possibles pour sauver sa bibliothèque : le rattachement de la BAA à l’INHA ou à la « Très Grande Bibliothèque » (TGB), comme s’appelait à l’époque le projet de grand établissement qui aboutirait à la création de la BnF. La question d’un lieu pour la BAA allait donc prendre une direction nouvelle.

25 La décision politique de construire un nouveau bâtiment pour la Bibliothèque nationale oriente en effet définitivement le projet de future bibliothèque de l’INHA. L’histoire de la bibliothèque devient alors « nationale » et rejoint celle de la BN et de son site historique : Richelieu. Pour autant les projets et les vœux des historiens de l’art prennent encore plusieurs années à se concrétiser. Le 30 janvier 1990, Jack Lang, ministre de la Culture, annonce la décision du président de la République de privilégier le site Richelieu pour en faire un haut lieu de l’histoire de l’art. Le transfert de la BAA à la BN, avant même le départ des imprimés à Tolbiac, est acté.

26 Plusieurs rapports se succèdent dont l’objectif est alors de définir les articulations entres les différentes institutions, collections, missions, publics susceptibles de cohabiter ou de fusionner sur le site Richelieu et la galerie Colbert39. Après une étude non publiée demandée à Michel Melot40, existent à la même époque (1992-1993) un projet de Bibliothèque nationale des arts et un projet d’Institut international des arts ou d’histoire des arts et du patrimoine41. Malgré la complexité administrative de l’ensemble, la Bibliothèque nationale des arts semble vouée à un bel avenir. Lors d’une conférence de presse donnée par Jack Lang, le 30 janvier 1990, sa création est annoncée. Des éléments du rapport Chastel y sont repris en particulier la réunion de trois collections : la BAA, la BCMN et les fonds de l’ENSBA42.

27 Une première pierre de l’édifice est posée avec le déménagement de certaines collections de la BAA sur le site Richelieu. Un transfert a lieu en mars 1991 en banlieue pour soulager le site de la rue Michelet. Dans un article paru en 199243, Denise Gazier détaille les modalités de l’opération. Sont alors prévues trois phases de transferts et l’ouverture de la consultation au public dès 1993 dans la salle Ovale qui abrite à l’époque la consultation des périodiques de la BN. Celle-ci entreprend les travaux nécessaires. Si le scénario permet de concrétiser une première étape du sauvetage de la BAA, il est censé être provisoire et repose sur l’achèvement rapide du transfert des imprimés de la BN afin que la BAA puisse se déployer dans des locaux à sa mesure. En réalité, l’installation dans la salle Ovale est progressive. Il faudra attendre le départ des

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imprimés de la BN (1998) pour que la bibliothèque soit plus au large dans la salle Ovale (1999).

28 Si du côté des historiens de l’art, le sujet est débattu44, le monde des bibliothèques s’intéresse aussi de près au projet naissant. Au sein de la sous-section des bibliothèques d’art de l’Association des bibliothécaires français (ABF)45 ou lors du Congrès des bibliothèques d’art nord-américaines tenu en 1990 à New York46, l’idée de bibliothèque nationale des arts est examinée. Certains y voient une opportunité de « décentralisation » et de développement d’un travail en réseau, d’autres pointent les contradictions et difficultés. Les Français s’interrogent sur la disparité des bibliothèques d’art en France, mais également sur l’articulation entre historiens de l’art et professionnels des bibliothèques et peinent à voir comment une bibliothèque nationale pourrait fédérer ces spécificités. À l’étranger, où existent parfois déjà des bibliothèques nationales des arts, plusieurs responsables soulignent la limite, voire l’impossibilité de ce type de bibliothèque. Il y a en effet une contradiction à vouloir rendre nationale une bibliothèque qui par définition aurait des difficultés à poser des frontières. Comme le dit Jan van der Walteren, en charge à l’époque de la National Art Library à Londres : « Il me semble tout d’abord que si une BN est délimitée par le concept de nation et par des géographies nationales, la mémoire collective de l’histoire de l’art ne peut de toute évidence être assumée par une seule bibliothèque. » Les contraintes pratiques sont aussi détaillés : espace, moyens, formation, publics, périmètres, coûts47…

29 Au-delà de ces limites et des débats, plusieurs éléments ralentissent la naissance d’une bibliothèque nationale des arts : peut-être la complexité des scénarios proposés mais surtout, le souhait de la Bibliothèque nationale de ne pas créer une césure au sein de ses collections et départements.

30 En 1993, Jacques Toubon, nouveau ministre de la Culture et de la Francophonie, confie à Philippe Bélaval une double mission concernant le projet de la « Bibliothèque de France » d’une part, et « la réutilisation du site de la rue de Richelieu et de la rue Vivienne » d’autre part. Les deux rapports sont diffusés lors de la conférence de presse du ministre le 21 juillet 199348. À leur suite, la BnF est créée tandis que la BNA cherche encore sa définition. L’avenir de la BAA et du cadre administratif susceptible de la pérenniser paraît encore incertain.

31 En 1994 puis en 1995, les premiers ministres successifs confient à Michel Laclotte le soin de « préciser les orientations définitives » du nouvel Institut d’histoire de l’art toujours en cours de création49. Michel Laclotte propose à son tour de réunir des bibliothèques existantes – la BAA, la BCMN, les imprimés de l’ENSBA et la bibliothèque de l’ENC – selon le modèle de la fédération, pour « enfin constituer la documentation dont l’absence handicape fortement la recherche en histoire de l’art dans notre pays50 ».

32 Si ces années apparaissent administrativement complexes, elles contribuent à poser les problématiques de ce que peut être une bibliothèque d’art. Jacques Thuillier, dans une Note sur la spécificité d’une bibliothèque d’histoire de l’art51 dans la lignée du rapport Chastel présente dans ses archives, tente d’en dresser une synthèse. Considérant qu’il existe une spécificité du travail de l’historien de l’art, il en découle pour une lui une spécificité des collections. Outre le rapport essentiel à l’image, le plurilinguisme est un des fondements d’une bibliothèque d’histoire de l’art : « Échappant aux barrières des langues, l’art est par nature un langage universel. » Le travail de recherche ne peut être

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pour lui que sans frontière et il prend pour exemple l’art français de 1890 qui ne peut se comprendre sans s’intéresser aux artistes de « Dresde, Budapest, Tokyo… » Il souligne encore : « Toute bibliothèque doit être fondamentalement internationale. » Jacques Thuillier considère également qu’une bibliothèque d’histoire de l’art ne peut être que cumulative : « Bien des usuels irremplaçables remontent à plus d’un siècle et demi… », écrit-il encore en soulignant : « ouvrages anciens et récents sont consultés à propos des mêmes sujets et par les mêmes lecteurs ». Il rappelle aussi que l’historien de l’art s’attache à des types de publications très divers : revues savantes pour les textes, de vulgarisation pour les images, pièces, recueils, catalogues de ventes, « toute une série de publications qui ne passe pas par les circuits commerciaux ». Il insiste également sur le fait que le livre d’art est cher, rendant d’autant plus utile une bibliothèque. Enfin, il constate que les bibliothèques d’histoire de l’art possèdent généralement des fonds patrimoniaux avec une limite parfois difficile à trouver entre la ressource et l’œuvre et il choisit un exemple particulièrement significatif pour la bibliothèque de l’INHA puisqu’il a finalement rejoint ses collections en 2016, un catalogue de vente illustré par Gabriel de Saint-Aubin52.

33 L’autre versant de l’analyse de Jacques Thuillier concerne les utilisateurs d’une bibliothèque d’histoire de l’art. Il s’agit pour lui d’accueillir un public « formé de spécialistes » mais aussi international. Jacques Thuillier note que c’est aussi un public qui travaille dans l’urgence, en raison par exemple des publications ou des expositions, d’où l’importance du libre accès, pour gagner du temps, mais également des possibilités de reproduction. Ce dernier point rejoint également le fait que la discipline se construit autour de l’image. À cet égard, le rôle des départements spécialisés de la BnF comme ressources et liens avec « une » bibliothèque d’histoire de l’art lui paraît un « prolongement direct » avec la plupart des recherches en art.

Vers l’ouverture en salle Labrouste

34 L’année 1998 marque un nouveau tournant. Le déménagement des imprimés de la BN vers le site de Tolbiac est achevé tandis que la salle Labrouste est attribuée au futur INHA afin qu’il puisse y déployer ses collections et particulièrement le libre accès. Ces quelques années très denses aboutissent à la création en 2001 de l’INHA. En 2003, les collections de la BAA rejoignent le nouvel institut. Tout semble prêt pour que la bibliothèque de l’INHA puisse enfin devenir la grande bibliothèque d’histoire de l’art souhaitée par la communauté des chercheurs. S’ouvre alors un nouveau chapitre, celui du projet de rénovation du site Richelieu porté par la BnF53. Dans les premières études de programmation (1998-2000), 15 618 m2 sont attribués à l’INHA et 28 742 m2 à la BnF hors services généraux. Mais dès 2001, la programmation détaillée révèle un déficit de 4 400 m2 due à la révision à la hausse des besoins de circulation et de locaux techniques. L’INHA doit revoir à la baisse son programme. Il diminue son libre accès, réduit le périmètre des collections de l’ENSBA qui, par ailleurs, souhaite conserver ses collections, et abandonne les projets d’espace d’exposition. De son côté, la BnF réévalue également ses besoins et constate un manque de 5 100 m2. Le ministère de la Culture demande alors à l’INHA de céder des surfaces. La situation est critique. Dans ce contexte, l’EMOC54 conduit une étude sur l’avenir de la salle de lecture de l’INHA en envisageant deux scénarios en quatre versions (Labrouste 1 et 2 et Ovale 1 et 2). C’est finalement le scénario d’une installation de l’INHA dans la salle Labrouste qui est retenu, le seul permettant de déployer un libre accès à la hauteur des ambitions du

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projet. Martine Poulain, nouvellement directrice, peut alors en décrire les grandes orientations dans un article paru dans le Bulletin des Bibliothèques de France de 2004 55. Il s’agit à la fois d’un projet de rénovation architecturale mais aussi d’un projet de modernisation de bibliothèque : chantiers documentaires, acquisitions rétrospectives, informatisation, création d’une bibliothèque numérique et développement de collaborations avec le département des Études de la recherche, autre pilier encore jeune du nouvel Institut national d’histoire de l’art.

35 Un nouveau chapitre s’ouvre : celui du projet de rénovation du site Richelieu porté par la BnF56. De cet immense chantier conçu en deux phases, piloté par l’OPPIC et les cabinets d’architectes Gaudin et Lagneau (architectes des Monuments historiques), un aspect constituera désormais un élément fort de l’identité de la bibliothèque de l’INHA : l’installation dans la salle Labrouste.

36 Or, comme on l’a vu, la bibliothèque de l’INHA s’est construite d’abord autour de la discipline et non autour d’un projet architectural. L’appellation « salle Labrouste » est récente. L’entrée de la salle nous rappelait qu’elle était avant tout « une salle de travail », pour reprendre l’inscription sur son imposte, et le « Département des imprimés », pour reprendre l’inscription de son entablement, du temps de la BN. La bibliothèque Sainte-Geneviève possède également une « salle Labrouste » antérieure à celle du site Richelieu. L’une comme l’autre ont servi de modèles à de nombreuses salles de lecture dans le monde, et ont donné lieu à de nombreuses études et analyses57.

37 Ainsi, dans la salle Labrouste, la bibliothèque de l’INHA s’installe dans un monument de l’architecture du XIXe siècle. Labrouste conçoit sa salle de lecture séparée des magasins de livres. Le magasin central est pensé comme le saint des saints, le cœur du bâtiment, qui n’a aucun accès sur l’extérieur. Seul le personnel de bibliothèque peut y pénétrer. Pourtant la bibliothèque de l’INHA y installera son libre accès, ouvrant donc à ses lecteurs un passage vers ce qui autrefois était strictement inaccessible, ou plus exactement mis en scène comme devant l’être. Le grand défi, pour les nombreux corps de métiers concernés par cette rénovation, a été de rendre possible ce renouveau. Or, si Labrouste avait conçu ces deux espaces comme deux mondes, leur rénovation révèle que ces deux mondes ont été pensés en miroir, en continuité, et ne peuvent se comprendre l’un sans l’autre. Les travaux de rénovation permettent de restituer cette impression particulière de pénétrer dans un lieu à part, renouant avec l’imaginaire si fort des bibliothèques. Allant de la salle au magasin, le lecteur sera certainement projeté dans ce qui pourrait être le décor idéal d’une bibliothèque.

38 Comme si le contenu trouvait le cadre parfait de sa signification, la nouvelle salle de lecture de la bibliothèque de l’INHA, collections Jacques-Doucet, devrait y donner la pleine mesure du dessein d’une bibliothèque d’histoire de l’art. L’avenir dira si le travail conjugué des architectes, des ouvriers, des historiens de l’art et des bibliothécaires y est parvenu.

La Bibliothèque centrale des musées nationaux

Catherine Granger

39 La constitution des collections de la Bibliothèque centrale des musées nationaux au sein du Louvre remonte à la fin du XVIIIe siècle : les premiers conservateurs du Museum central des arts demandèrent dès 1794, un an après l’ouverture du musée, la création

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d’une bibliothèque pour faciliter leur travail sur les œuvres et la rédaction de catalogues58. Il leur paraissait également « indispensable que le citoyen soit mis à la portée, lorsqu’il considère un tableau, une statue, un antique, d’en connaître le caractère et la description en recourant à la source sans sortir du lieu qui l’attache59 ». Ils obtinrent seulement l’attribution, en 1797, d’un petit ensemble d’ouvrages provenant de la bibliothèque des Menus Plaisirs du roi. Ils avaient insisté sur le besoin de descriptions de monuments, de galeries, de musées, d’antiquités.

40 Les fonds, dont l’usage était en fait réservé au personnel, se développèrent lentement dans la première moitié du XIXe siècle : les budgets d’acquisitions étaient maigres et irréguliers. En 1848, aux débuts de la Deuxième République, le nouveau directeur des musées nationaux, le peintre Philippe-Auguste Jeanron (1808-1877), créa au sein du musée du Louvre, pavillon des Arts, le service de la bibliothèque et des archives60, et nomma pour la première fois un responsable de ces fonds, un historien de la gravure, Eduard Kolloff (1811-1879). Jeanron faisait alors le constat qu’il n’existait pas à Paris de bibliothèque destinée aux artistes, et entendait créer au sein du palais du Louvre une bibliothèque, à la fois ouverte au personnel du musée, aux artistes et aux savants. Mais le manque de moyens, puis les évolutions politiques, ne lui donnèrent pas la possibilité de mener à bien ce projet. Le poste d’Eduard Kolloff fut supprimé, et Jeanron remercié. Kollof fut remplacé par Gaétan de Maussion (1805-1881) en 1861, mais la priorité fut alors donnée aux archives.

41 Ce n’est qu’à partir de la fin du XIXe siècle que la bibliothèque du musée se développa. Un cadre de classement fut créé, qui suivait dans ses grandes lignes l’organisation du musée en départements ou grands domaines : une cote pour les peintures (H), une pour les dessins (HD), les arts graphiques (I), les objets d’arts (M), les différents domaines archéologiques... Les budgets d’acquisitions de livres étaient également répartis par départements, et jusqu’aux années 1990, la plupart des commandes étaient mises en œuvre d’après les listes établies par les conservateurs.

42 La véritable naissance de la bibliothèque des musées nationaux remonte à l’entre-deux- guerres. En 1926 fut nommé un nouveau directeur des musées nationaux, Henri Verne (1880-1949), qui lança un grand plan de rénovation du musée du Louvre. Un an plus tard entra en fonction une archiviste-paléographe, Lucie Chamson-Mazauric (1900-1983), placée à la tête de la bibliothèque et des archives. Cette nomination faisait suite à un rapport de l’Inspecteur des bibliothèques Pol Neveux, rapport défavorable, mais qui critiquait principalement la gestion des archives. Lucie Chamson, formée à l’École nationale des chartes, est à l’origine de la création de la salle de lecture et des magasins de la porte des Arts, à côté des bureaux du personnel des différents départements du musée, et de la salle de lecture des archives des musées nationaux. C’est Albert Ferran (1886-1952), architecte en chef du palais du Louvre de 1930 à 1943, qui fut chargé des travaux. L’ouverture au public eut lieu après la seconde guerre mondiale. La conservatrice créa un atelier de reliure, et développa les collections grâce à des augmentations de budgets et à la mise en place d’une importante politique d’échanges. La bibliothèque recevait des exemplaires gratuits des catalogues d’expositions de la Réunion des musées nationaux. Cette politique permit de développer tout particulièrement le fonds de publications de musées français et étrangers (catalogues de collections permanentes et d’expositions, bulletins, rapports annuels). La bibliothèque s’enrichit également de nombreux dons, provenant en particulier du personnel du musée du Louvre : fonds de tirés à part d’Alfred Merlin,

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ancien conservateur du département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, bibliothèque de Paul Jamot, conservateur au département des Peintures... Et la bibliothèque accueillit en dépôt le fonds de la Société nationale des Antiquaires de France61.

43 La bibliothèque était destinée en priorité au personnel des musées nationaux, qui avait librement accès à toutes les collections, usuels de la salle et livres et périodiques placés en magasins, à l’exception de la réserve, et avait le droit d’emprunt sur la quasi-totalité du fonds.

44 C’est aussi au sein de la bibliothèque centrale qu’étaient gérés les budgets d’acquisition des bibliothèques de musées nationaux, qui deviennent plus nombreuses au fil du XXe siècle. Ces bibliothèques fonctionnaient en réseau et elles bénéficiaient souvent d’une partie les dons faits à la BCMN, en fonction des spécialités de chacune et des fonds existants. Certaines bibliothèques reversaient parfois aussi des ouvrages à la bibliothèque centrale. La création du musée d’Orsay entraîna également une redéfinition de la politique documentaire de la BCMN et une évolution de ses fonds : une partie des ouvrages concernant l’art de la seconde moitié du XIXe et le début du XXe siècle sont transférés à la bibliothèque créée au sein du nouveau musée.

45 De nouvelles améliorations sont apportées par le successeur de Lucie Chamson, Louis Carolus-Barré (1910-1993) : la création d’une réserve distincte pour les « manuscrits » (inventaires, lettres d’artistes...) jusque-là disséminés dans les départements et à la bibliothèque, l’augmentation du personnel...

46 Dans un rapport sur les bibliothèques et archives daté de 196962, Louis Carolus-Barré évoque le principal problème auquel était confrontée la bibliothèque, qui perdura jusqu’à son déménagement vers l’INHA : le manque d’espace. Il avait déjà procédé au transfert de la photothèque créée par Lucie Chamson vers les départements du musée. Même s’il y voyait des inconvénients, la création d’une nouvelle salle de lecture pour les peintures et les arts graphiques, dans le pavillon de Flore, à la demande de Michel Laclotte, allait permettre de désengorger les magasins de la porte des Arts. Carolus- Barré proposait, dans un second temps, de déménager les archives des musées nationaux dans un autre espace au sein du Louvre, ce qui permettrait un accroissement de la bibliothèque. Enfin, il envisageait, à plus longue échéance, un déménagement de la bibliothèque, « en un même bâtiment, situé nécessairement au palais du Louvre (peut-être dans les locaux préalablement libérés par le ministère des Finances) » afin de la regrouper avec d’autres bibliothèques d’histoire de l’art : la bibliothèque de l’École du Louvre, la bibliothèque des Arts décoratifs, les documentations des départements. Chaque service conserverait son régime propre : « à l’instar de la Mazarine vis-à-vis de la bibliothèque de l’Institut ». Ce projet ne vit pas le jour. En 1988, un autre projet de déménagement de la bibliothèque et des archives des musées nationaux au pavillon de Flore fut élaboré, avec des magasins distants, en sous-sols, et ne fut pas réalisé.

47 Le projet de rattachement à l’Institut national d’histoire de l’art63 conduisit à un travail de réflexion sur la composition des fonds, et des comparaisons avec celui de la Bibliothèque d’art et d’archéologie. L’une des particularités de la BCMN était l’importance des collections dans le domaine de l’archéologie, qui représentait presque la moitié des fonds. L’archéologie égyptienne, orientale et les arts de l’Islam ne faisant alors pas partie des domaines spécialisés des collections de l’INHA, il fut décidé que ces fonds seraient attribués au musée du Louvre : cela correspondait à trois cotes particulières, B, BC, CA. Le reste des collections devait rejoindre l’INHA.

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48 À partir des années 1990, la place et le rôle de la bibliothèque au sein du musée évoluèrent. Les départements du musée qui étaient installés à proximité de la salle de lecture déménagèrent pour rejoindre de nouveaux espaces au sein du Louvre (Objets d’art, Antiquités grecques, étrusques et romaines, Antiquités égyptiennes), et des bibliothèques dites de proximité furent créées par le musée du Louvre pour les départements. Toutefois, il n’était pas possible de racheter tous les documents utilisés régulièrement par le personnel du musée du Louvre pour ses recherches.

49 En 2010 fut créé un groupe de travail qui avait pour mission de proposer des solutions permettant de concilier le transfert de la BCMN à l’INHA, et les besoins du personnel du musée du Louvre. Ce groupe réunissait des représentants du Louvre, de l’INHA, de la BCMN, du Service des musées de France, de l’Inspection générale des bibliothèques. Il fut décidé64 que le musée pourrait garder les ouvrages et périodiques présents en double au sein des collections de la BCMN et de l’INHA, et les documents ayant un caractère patrimonial pour le musée. Cela comprenait les catalogues des collections permanentes du musée du Louvre, publiés à partir de 1793, et souvent annotés. Tous les volumes publiés avant 1920 avaient été numérisés, et sont désormais consultables sur la bibliothèque numérique de l’INHA. Le Louvre conserve également les archives privées et documentations de conservateurs, entrés par dons, par l’intermédiaire des départements du musée : ainsi les dossiers constitués par Germain Bazin (1901-1990), qui fut conservateur du département des Peintures et dessins, pour ses cours de muséologie donnés à l’École du Louvre. Les nombreux tirés à part, souvent dédicacés, entrent également dans cette catégorie de documents patrimoniaux.

50 Après cette étape, eut lieu un important travail d’identification des doublons, et de choix par les départements. D’autres opérations, préparatoires au déménagement, furent également menées, en particulier le récolement des ouvrages et périodiques en dépôt dans les départements, avec réintégration d’une partie des volumes au sein de la BCMN. La Bibliothèque centrale des musées nationaux a fermé ses portes en décembre 2015, et le transfert des collections et des services vers l’INHA a eu lieu début 2016.

Les bibliothèques au musée du Louvre

Anne-Solène Rolland et Pascale Gillet

51 Le départ vers l’INHA, au printemps 2016, de la Bibliothèque centrale des musées nationaux, hébergée au sein du palais du Louvre et principale bibliothèque des conservations du musée pendant une grande partie du XXe siècle, a représenté un changement important pour le musée du Louvre. L’ouverture fin 2016 de la bibliothèque de l’INHA dans sa configuration définitive permettra à la communauté des historiens de l’art et archéologues, à deux pas du Louvre, de disposer de l’un des plus grands fonds d’ouvrages dans le domaine en Europe. C’est ainsi l’opportunité pour le Louvre de repenser le positionnement de ses bibliothèques et de définir les usages spécifiques des bibliothèques d’un musée.

52 Depuis 2015, le Louvre, en accompagnement du déménagement de la BCMN et en lien étroit avec les équipes de la bibliothèque et celles de l’INHA, a ainsi entamé une réflexion sur sa politique en matière de bibliothèque et sa complémentarité, tant en termes de fonds que de publics, avec la future bibliothèque de l’INHA mais aussi avec l’ensemble des bibliothèques spécialisées dans les domaines de compétence du musée.

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53 C’est une nouvelle ère qui s’ouvre pour les bibliothèques d’histoire de l’art en France, en particulier pour le musée du Louvre, et ce à plusieurs égards : en tant que musée, il sera l’un des principaux partenaires de cette nouvelle bibliothèque ; les équipes du Louvre seront des usagers fréquents de la bibliothèque ; avec le départ du Louvre des fonds de la Bibliothèque centrale des musées nationaux, créée à la fin du XIXe siècle, installée porte des Arts en 1927, dans ce qui était alors le « couloir de la conservation », et qui constituait depuis la principale bibliothèque des équipes de conservation du Louvre, le musée se doit de repenser complètement l’organisation des fonds et leur consultation.

54 Si le départ, prévu de longue date, de la BCMN vers l’INHA constitue une rupture, elle est également et surtout une véritable opportunité pour les deux institutions de redéfinir leurs complémentarités et pour le Louvre, notamment, de définir la nature et les spécificités de ses bibliothèques. En effet, plusieurs questions se sont posées pour préparer les suites du déménagement de la bibliothèque centrale : que faire des fonds non transférés à l’INHA, notamment pour les collections spécialisées dédiées à l’archéologie égyptienne, orientale et aux arts de l’Islam ? Comment définir les ouvrages indispensables au musée du Louvre et qui, parce que présents en double entre les fonds de la BMCN et de la BINHA, peuvent, conformément aux décisions ministérielles de 201065, rejoindre les bibliothèques des départements du musée ? Quel projet développer au sein du lieu historique de la BCMN, pour conserver cet espace ouvert au public ?

55 C’est pour répondre à ces questions qu’ont été définis, dans le cadre du projet scientifique et culturel du musée du Louvre rédigé en 201566, plusieurs axes de travail : la création d’une bibliothèque de recherche de référence pour accueillir les fonds dédiés à l’archéologie orientale, égyptienne et aux arts de l’Islam ; la création au sein des espaces libérés par la BCMN d’un centre de ressources et de recherche consacré au Louvre et aux musées ; le renforcement, à travers une réflexion sur la gestion des fonds des bibliothèques au musée et la refonte du système intégré de gestion des bibliothèques (SIGB), des bibliothèques dites de « proximité » des départements, outils de travail des conservations du musée et ressources essentielles pour la recherche.

56 L’enjeu de la reprise de la gestion des ouvrages et de leur référencement, à travers le projet de refonte complète du SIGB du Louvre, incarne bien l’évolution du musée. D’une part, parce qu’il a choisi, avec le soutien de la Direction générale des patrimoines, de rejoindre en 2016 le réseau des bibliothèques des Musées nationaux à travers leur catalogue commun, administré scientifiquement jusqu’alors par la BCMN, et désormais repris par le C2RMF. À travers ce choix, c’est la continuité du réseau des musées nationaux si longtemps porté par la BCMN qu’a choisie le Louvre, qui n’était pas, alors, membre du réseau. D’autre part, parce qu’avec ce changement de catalogue, à l’horizon 2017, c’est aussi une meilleure visibilité des fonds du Louvre qui sera assurée, renforçant à la fois le service à la communauté scientifique concernée par les domaines de compétences du Louvre et l’articulation, dans les catalogues en ligne, entre les fonds du Louvre, par essence liés aux collections du musée, et ceux de l’INHA.

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Les bibliothèques au Louvre en 2016 : différents lieux, différents usagers

57 En 2016, à l’issue d’une évolution de plusieurs années, les bibliothèques du Louvre s’organisent en quatre pôles, correspondant à différents fonds et à différents usages. Une bibliothèque patrimoniale, de référence, destinée à la communauté des chercheurs, dite « Lefuel67 », a vocation à se développer à partir des collections restées au Louvre car « non socles » dans le projet d’origine de l’INHA : elle rassemble les collections liées aux départements des Antiquités orientales, des Antiquités égyptiennes, des Arts de l’Islam, auxquelles s’ajoutent certains domaines spécialisés des Antiquités grecques, étrusques et romaines. Des bibliothèques dites « de proximité68 », spécialisées, pour les autres départements, sont regroupées en deux pôles : Arts graphiques et Peintures, d’une part, dans l’aile de Flore, Objets d’art et Sculptures, d’autre part, au sein de l’aile Rohan. Un centre de ressources, le Centre Dominique- Vivant Denon, qui occupe depuis le 6 juillet 2016 les espaces historiques de la BCMN, et dont la vocation principale est d’offrir le maximum de ressources sur le Louvre aussi bien aux chercheurs qu’à un plus large public désireux de découvrir le musée.

58 Avec ces différents types de bibliothèques et la redéfinition de la gestion des fonds d’ouvrages, c’est donc dans une refonte complète des outils de la recherche que constituent les bibliothèques que s’engage le musée du Louvre.

La bibliothèque Lefuel

59 Le déménagement de la BCMN vers l’INHA a conduit les départements des Antiquités orientales, des Antiquités égyptiennes, des Arts de l’Islam et des Antiquités grecques, étrusques et romaines à ouvrir au Louvre, autour des fonds du musée et des fonds de la BCMN restés au Louvre sur ces domaines, une bibliothèque de référence. Ce projet, baptisé à ce jour bibliothèque Lefuel en raison de son implantation autour de la cour Lefuel du palais, est un projet stratégique pour la valorisation des fonds d’ouvrages sur des domaines de spécialité du Louvre.

60 Il faut en effet rappeler que, si l’INHA devient la bibliothèque de référence dans une très grande majorité de domaines, l’archéologie égyptienne, orientale et les arts de l’Islam ne font pas partie des domaines socles de ses collections tels qu’ils ont été définis dans le projet d’origine de la bibliothèque, ce qui ne les exclut pas pour autant ni totalement de la bibliothèque ni des domaines de recherche de l’institution : c’est ainsi que les cotes B, BC et CA de la BCMN69 ont été attribuées au Louvre par arrêté du 8 juin 2016. Cette affectation au Louvre de fonds historiquement liés à la constitution des collections de trois départements répond pleinement aux missions scientifiques, de niveau international, du musée ; elle prend tout son sens avec la définition en cours du projet de la bibliothèque Lefuel qui s’articulera étroitement avec les quelques bibliothèques scientifiques existantes dans ces domaines très spécialisés que sont l’égyptologie, l’archéologie orientale et les arts de l’Islam.

61 En 2016, la première étape du projet a été de rassembler les fonds de la future bibliothèque en fusionnant les fonds du Louvre et ceux restés de la BCMN, lesquels sont d’ores et déjà disponibles en ligne depuis le 25 novembre 201670 et consultables sur rendez-vous auprès des bibliothécaires. L’étape suivante est de définir plus précisément la place de cette bibliothèque au sein d’un réseau d’établissements de recherche, et

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d’asseoir la spécificité de cette bibliothèque : les fonds sont étroitement liés aux collections du musée et au patrimoine matériel en général, ce qui les rend complémentaires de ceux des grandes bibliothèques partenaires. L’enrichissement en cours permettra, dans les années qui viennent, d’ouvrir à un large public spécialisé une bibliothèque de référence, insérée dans le réseau international des bibliothèques de ces domaines et en même temps de renforcer l’identité scientifique du Louvre.

62 Le socle du fonds initial de la bibliothèque Lefuel est constitué des fonds des bibliothèques de trois départements – Antiquités orientales, Antiquités égyptiennes, Arts de l’Islam –, auxquels s’ajoute une partie des fonds des Antiquités grecques, étrusques et romaines pour certains domaines très spécialisés dans lesquels les fonds du Louvre restent une référence. La finalisation du projet de la bibliothèque Lefuel dans les années à venir nécessitera un travail d’approfondissement de la cohésion de ces fonds initiaux des départements, d’enrichissement progressif du fonds et de recherche de complémentarités de cette nouvelle bibliothèque avec celles des partenaires académiques du musée.

Les « bibliothèques de proximité » des départements du Louvre

63 Si les « Trois antiques » et le département des Arts de l’Islam ont constitué une bibliothèque de référence, accessible aux chercheurs et à vocation scientifique large, les autres départements du musée ont conservé, en complémentarité des fonds de la BINHA, des bibliothèques dites « de proximité ».

64 La Bibliothèque centrale des musées nationaux, située dans le Palais dès la création du musée, a longtemps été considérée comme « la bibliothèque du Louvre » et, de ce fait, enrichie régulièrement par les conservateurs. La création des premières bibliothèques dites « de proximité » découle directement du projet de déménagement de la BCMN.

65 Ces bibliothèques ont ainsi vu le jour dans les conservations dès 1990 au sein des centres de documentation. Elles ont été créées successivement : la première, celle des Peintures et Arts graphiques, dite « bibliothèque de Flore », est située en lien direct avec l’ancienne annexe Flore de la BCMN ; la bibliothèque de l’aile Rohan, consacrée aux Objets d’art et aux Sculptures a été créée ensuite. La troisième, qui devait être commune aux « trois Antiques » (Antiquités égyptiennes, Antiquités grecques, étrusques et romaines, Antiquités orientales) ainsi qu’aux Arts de l’Islam n’avait pas été créée à l’époque, chaque conservation ayant développé sa propre bibliothèque de proximité – finalement rassemblées dans la bibliothèque Lefuel. À ces bibliothèques au sein du palais du Louvre s’ajoute celle du musée national Eugène-Delacroix, axée sur le peintre et ses contemporains.

66 Constituées d’un fonds spécialisé centré sur les collections du musée (usuels, monographies dont nombreux catalogues de musées et d’expositions, périodiques), ces bibliothèques sont étroitement liées aux centres de documentations des départements : c’est donc principalement aux usagers des documentations, menant des recherches centrées sur les collections du musée du Louvre, qu’elles sont destinées ; là où la bibliothèque de l’INHA propose des fonds de référence sur l’histoire de l’art dans tous ces domaines, ces bibliothèques permettent d’approfondir des recherches menées dans les dossiers d’œuvres des collections du musée. Elles développent par conséquent une politique d’acquisition axée sur les collections, et avec un enrichissement des fonds par achats sur un budget dédié, mais aussi à travers des dons et des échanges. Cette

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politique d’acquisition ainsi que l’activité des bibliothèques ont été particulièrement marquées ces dernières années par le travail engagé auprès de la BCMN avant son déménagement, notamment par le rachat de titres, des unica destinés à être transférés (collections socles, faisant partie du libre accès de la BINHA) et dont le musée ne saurait se passer.

67 Divers chantiers ont été entrepris depuis 2015 en collaboration étroite avec la BCMN : la restitution d’anciens emprunts, le récolement des dépôts et surtout l’identification de doublons (présents à la fois dans les fonds de la BCMN et de l’INHA) ayant pour vocation à rester au musée71. Ainsi ce sont environ 5 000 doublons qui rejoignent ces bibliothèques et seront donc disponibles à la consultation. Ces travaux ont ainsi amené les responsables de documentation et les bibliothécaires à analyser en détail les fonds actuels et les besoins des équipes de recherche après le départ de la BCMN, afin de mettre en œuvre une politique d’acquisition cohérente et partagée avec la bibliothèque de l’INHA pour ne pas doublonner les acquisitions. C’est ainsi une nouvelle complémentarité, au bénéfice de la communauté des historiens de l’art, qui pourra se développer. Pour ces bibliothèques comme pour la bibliothèque Lefuel, le changement de SIGB et l’intégration dans le catalogue commun des bibliothèques des musées nationaux permettront d’accroître la visibilité des ressources.

Le centre Dominique-Vivant Denon, une bibliothèque pour les amateurs du Louvre

68 Le Centre Dominique-Vivant Denon a été préfiguré en 2015 et a ouvert en juillet 2016 au sein du palais, dans la salle centrale de consultation de la Bibliothèque centrale des musées nationaux rénovée à cette occasion72. À travers l’ouverture du Centre dans ces espaces, le Louvre souhaitait en effet préserver la vocation première de cette bibliothèque, et continuer d’ouvrir au public cet espace historique et qui a marqué plusieurs générations de professionnels de musées.

69 Le Centre, consacré au Louvre comme objet de recherche, répond à un triple enjeu pour le musée : renforcer l’accueil des chercheurs, proposer un accès facilité pour tous les publics à ces ressources, favoriser les projets de recherche académiques consacrés au Louvre à travers le développement de partenariats et/ou l’accueil d’événements (séminaires, conférences…). Il se concentre sur quatre axes de recherche transversaux et interdisciplinaires : l’espace architectural et urbain, l’espace muséal et la présentation des collections, les missions du musée et leur traduction dans son organisation, le musée dans la société. Le Centre propose aux professionnels des musées, aux chercheurs, aux amateurs mais aussi à tous ceux qui souhaitent en savoir plus sur le Louvre et les musées, un accès à une grande diversité de fonds documentaires : 5 000 titres de monographies, 544 titres de périodiques, 811 titres de documents iconographiques et plus de 5 000 documents audiovisuels. Depuis 2015, son fonds s’enrichit, notamment grâce à des donations de fonds de références sur la muséologie. Comme pour la bibliothèque Lefuel, ces ressources sont accessibles depuis l’ouverture du Centre en ligne73.

70 Avec le centre Vivant Denon, c’est donc un troisième type de bibliothèques que propose le Louvre : une bibliothèque ouverte à un large public, permettant une introduction au musée, et qui s’inscrit dans la continuité de l’ancienne Médiathèque ouverte avec le Grand Louvre sous la Pyramide. Espace de ressources variées et facilement consultables, particulièrement appréciée des enseignants et des médiateurs, la

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Médiathèque proposait, à l’époque de l’inauguration de la Pyramide en 1989, une offre nouvelle dans les musées ; dans le cadre de la rénovation des espaces de la Pyramide, entamée en 2014 et achevée en 2016, le déménagement des fonds de la Médiathèque s’avérait nécessaire. Ils retrouvent ici un public large, conformément au projet initial.

71 Profitant de la dynamique de l’ouverture de la bibliothèque de l’INHA, le Louvre a entrepris depuis quelques années une mutation importante de ses bibliothèques, qui reste encore à parachever. C’est à cette ambition que le musée a consacré des moyens importants depuis les années 2000, tant matériels (aménagements d’espaces, achats d’ouvrages, catalogage…) qu’humains, le musée ayant recruté plusieurs bibliothécaires de métier, acteurs quotidiens de cette mutation.

72 Tout l’enjeu, pour le plus grand musée du monde, est de proposer aujourd’hui des bibliothèques, quels que soient les publics auxquels elles sont destinées, qui soient à la hauteur des collections du musée et des attentes des publics. Le Louvre s’y est doublement engagé : d’une part, à travers une meilleure valorisation des ressources disponibles, la reprise du catalogage et la mise en ligne des fonds disponibles ; d’autre part, par le biais de son insertion pleine et entière dans un réseau régional, national et international de bibliothèques de référence en histoire de l’art et archéologie, au sein duquel chaque institution peut proposer des ressources complémentaires. Ainsi rendues plus accessibles, les bibliothèques du Louvre pourront continuer de jouer leur rôle essentiel d’outil au service de la recherche en histoire de l’art et en archéologie, et renforcer leur identité spécifique de bibliothèques de musée, proposant une approche de l’histoire de l’art, de l’histoire et de l’archéologie au prisme si particulier des collections et du patrimoine conservé et présenté par le musée.

NOTES

1. Jean Sirinelli, « Un regard sur la Bibliothèque d’Alexandrie », dans Entre Égypte et Grèce (Cahiers de la Villa Kérylos, 5), actes de colloque (Beaulieu-sur-Mer, 5e colloque de la Villa Kérylos, 1994), Paris, 1995, p. 82-93. 2. Voir Marc Le Cœur, « La Bibliothèque nationale entre rationalisme et illusionnisme », dans Corinne Bélier, Barry Bergdoll, Marc Le Cœur (dir.), Labrouste, 1801-1875, architecte : la structure mise en lumière, cat. exp. (Paris, Cité de l’Architecture et du Patrimoine, 2012-2013), Paris/ New York, 2012. 3. Citation donnée par Le Cœur, 2012, cité n. 2, p. 141. 4. Sur ce sujet, voir les publications de Christophe Gauthier. 5. Un autre exemple en histoire de l’art est la bibliothèque d’Aby Warburg. 6. Voir François Chapon, principal biographe de Jacques Doucet. 7. Sur l’histoire de Jacques Doucet et de la BAA voir, entre autres, Antoinette Le Normand- Romain, « Jacques Doucet et l’histoire de l’art », dans Chantal Georgel (dir.), Jacques Doucet, collectionneur et mécène, Paris, 2016, p. 182-195, et Élodie Bertrand, La Bibliothèque d’art et d’archéologie, de sa fondation à sa donation à l’Université de Paris, diplôme de l’ENSSIB, 2007. 8. Liste présentée au Festival de l’histoire de l’art 2014, à l’occasion d’une table ronde qui réunissait Anne-Élisabeth Buxtorf, Michaël Decrossas, Chantal Georgel et Marie-Dominique

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Nobécourt Mutarelli, autour de « Jacques Doucet, collectionneur et mécène », le 1er juin 2014. Voir https://www.canal-u.tv/video/institut_national_de_l_histoire_de_l_art/ jacques_doucet_collectionneur_et_mecene.16011 (consulté le 5 octobre 2016). 9. Jules Guiffrey, « La Bibliothèque d’Art et d’Archéologie », dans Le Journal des savants, année 1912, vol. 10, no 5, p. 225-230. 10. André Joubin, « Jacques Doucet 1853-1929 », dans Gazette des beaux-arts, 1930/01, p. 78. 11. La collection d’Auguste Rondel est la collection fondatrice du département des Arts du spectacle de la BnF. 12. BnF, département des Arts du spectacle, Archives Auguste Rondel, Lettres de Jacques Doucet à Auguste Rondel des 3 et 6 septembre, et 18 octobre 1912. 13. Voir Georgel, 2016, citée n. 7. 14. Dominique Morelon, « La Bibliothèque d’art et d’archéologie à l’Institut d’art », dans Simon Texier (dir.), L’Institut d’Art et d’Archéologie, Paris, 1932, Paris, 2005, chap. IX. 15. Denise Gazier, « La Bibliothèque d’art et d’archéologie Jacques Doucet », dans Bulletin d’informations de l’Association des bibliothécaires français (ABF), 154, 1er trimestre 1992, p. 38-39. 16. Christian Hottin, « L’Institut d’Art et d’Archéologie », dans Universités et grandes écoles à Paris : les palais de la science, cat. exp. (Paris, mairie du Ve arrondissement, 1999), Paris, 1999, p. 121-125. 17. Marie-Édith de La Fournière, La Bibliothèque d’art et d’archéologie de l’Université de Paris (Fondation Doucet) 1918-1958, mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 1994-1995. Sont également abordées dans ce travail les années de la seconde guerre mondiale. 18. Martine Poulain (dir.), Histoire des bibliothèques françaises, IV. Les bibliothèques au XXe siècle, 1914-1990, Paris, 1992. 19. Suzanne Damiron (1910-1977), avait aussi assuré l’intérim de la direction de la BAA en 1941-1942. 20. Décret n o 70-1267 du 2 décembre 1970 relatif aux bibliothèques universitaires, modifié en mars 1976. 21. Notes de Denise Gazier, Archives administratives de la BAA, en cours de classement. 22. Antoinette Le Normand-Romain, « Pour une nouvelle bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art », dans Christine Mengin, Aurélien Conraud (dir.), Richelieu. Quatre siècles d’histoire architecturale au cœur de Paris (titre provisoire), Paris, 2017 (à paraître). 23. Bibliothèque de l’INHA, fonds Jacques Thuillier, archives 051, 131, 01, « Création de l’INHA ». 24. Alice Saunier-Seïté (1925-2003), femme politique française, ministre des Universités de 1978 à 1981. 25. Archives administratives de la BAA, en cours de classement. 26. André Chastel, « La création d’un institut national d’histoire de l’art », rapport au Premier ministre, Paris, 1983, voir aussi Bibliothèque de l’INHA, fonds André Chastel, archives 090, 178, Institut national d’histoire de l’art (1979-1989). 27. Julie Janody, « Le Réseau national des bibliothèques de mathématiques », intervention aux 7e Journées professionnelles du CTLES, « Partenariats, initiatives et services : nouveaux défis pour les bibliothèques », Paris, Bibliothèque universitaire des langues et civilisations, 24-25 mai 2016. 28. Roger C. Schonfeld, Matthew P. Long, « Supporting the Changing Research Practices of Art Historians », 30 avril 2014, DOI : http://dx.doi.org/10.18665/sr.22833 (consulté le 5 octobre 2016). 29. Bibliothèque de l’INHA, fonds Jacques Thuillier, archives 051, 132, 10, Jacques Thuillier, « Note sur la spécificité d’une bibliothèque d’histoire de l’art », 1992. 30. Cette idée de réunion de collections a été renforcée par la création du GIS (groupement d’intérêt scientifique) des Archives de la critique d’art dont les collections demeurent à Rennes mais sont destinées à devenir propriété de la bibliothèque de l’INHA. 31. Bibliothèque de l’INHA, fonds Jacques Thuillier, archives 051, 131, « Création et fonctionnement de l’Institut national d’histoire de l’art » (1972-2001).

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32. Ibidem. 33. Voir Olivier Mabille, Philippe Vuillemet, « Le libre accès de la nouvelle bibliothèque », publié sur le blog de la bibliothèque de l’INHA, collections Jacques-Doucet : http:// blog.bibliotheque.inha.fr/fr/posts/libre-acces.html (consulté le 6 octobre 2016). 34. Marc Fornaciarri, maître des requêtes au Conseil d’état, secrétaire général de l’INHA. Bibliothèque de l’INHA, fonds Jacques Thuillier, archives 051, 131, « Création et fonctionnement de l’Institut national d’histoire de l’art » (1972-2001). 35. Bibliothèque de l’INHA, fonds Jacques Thuillier, archives 051, 132, 5, François Gauthier, « Bibliothèque et Institut d’histoire de l’art, proposition de programme », 1986. 36. Ibidem, archives 131, et 132. 37. Le Monde du 5 mars 1989. 38. Denise Gazier, « Une bibliothèque à sauver d’urgence : la BAA », note du 26 octobre 1988, Archives administratives de la BAA, en cours de classement. 39. Voir Jacqueline Sanson, « Rénover le Quadrilatère Richelieu », dans Christine Mengin, Aurélien Conraud (dir.), Richelieu. Quatre siècles d’histoire architecturale au cœur de Paris (titre provisoire), Paris, 2017 (à paraître). 40. Michel Melot, « Projet pour une réunion de bibliothèques d’art à la Bibliothèque nationale », décembre 1990, Archives administratives de l’INHA. 41. Françoise Benhamou, Pour une bibliothèque nationale des arts, Paris, 1993 ; Pierre Encrevé, Emmanuel Hoog, L’Institut international d’histoire des arts, Paris, 1993. 42. Bibliothèque de l’INHA, fonds Jacques Thuillier, archives 051, 131, 15, Conférence de presse et dépliant sur la Bibliothèque nationale des Arts. 43. Gazier, 1992, citée n. 15. 44. Le Normand-Romain, 2017 (à paraître), citée n. 22. 45. Ibidem. 46. Version inédite d’une contribution présentée le 7 février 1990 au congrès ARLIS/NA (Art Libraries Society of North America), voir Catherine Schmitt, « Bibliothèques d’art et art des bibliothèques. Quelques réflexions inspirées d’une expérience au sein d’une bibliothèque de musée », dans Bulletin des Bibliothèques de France, no 1, 1993, p. 16-23. 47. Voir Cécil Guitart, Les Enjeux périphériques au centre de la Bibliothèque nationale d’art, synthèse bibliographique, mémoire de DEA de Sciences de l’information et de la communication, ENSSIB, janvier 1994. 48. Rapport confié par Jacques Toubon, ministre de la Culture et de la francophonie à Philippe Bélaval, maître des requêtes, remis le 30 juin 1993, Archives administratives de l’INHA. 49. Michel Laclotte, « L’Institut national d’histoire de l’art, rapport à Monsieur le Premier ministre », 1996, Archives administratives de l’INHA. 50. Ibidem, p. 21. 51. Bibliothèque de l’INHA, fonds Jacques Thuillier, archives 051, 132, 10, « Note sur la spécificité d’une bibliothèque d’histoire de l’art avec pages manuscrites », 1993. 52. La Bibliothèque de l’INHA a acquis en vente publique, 22 avril 2016, grâce au mécénat de la SABAA, un recueil de trois catalogues de vente illustrés par Charles Germain de Saint-Aubin datant des années 1780-1783, contenant des dessins de Gabriel de Saint-Aubin. 53. Voir Sanson, 2017 (à paraître), citée n. 39. 54. Établissement public de maîtrise d’ouvrage des travaux culturels, devenu OPPIC (Opérateur du Patrimoine et des projets immobiliers de la Culture). 55. Martine Poulain, « Une grande bibliothèque d’art en préparation », dans Bulletin des bibliothèques de France, no 3, 2004, p. 67-78. 56. Voir Sanson, 2017 (à paraître), citée n. 39. 57. Sur la rénovation de la salle Labrouste, voir Mengin, Conraud, 2017 (à paraître), cités n. 22.

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58. Un mémoire de l’École du Louvre a été consacré aux débuts de l’histoire de la bibliothèque centrale des musées nationaux : voir Janine Régeasse-Dragomir, La bibliothèque du musée du Louvre, histoire et organisation des origines à 1926, mémoire de l’École du Louvre, 1969. Voir également l’article de Françoise Petitou, Bénédicte Verny, « Bibliothèque », dans Geneviève Bresc-Bautier et al. (dir.), Histoire du Louvre, Paris, 2016, vol. 3. 59. Rapport de 1795, cité par Régeasse-Dragomir, 1969, citée n. 58, p. 4. 60. Sur l’action de Philippe Jeanron, voir Madeleine Rousseau, La vie et l’œuvre de Philippe-Auguste Jeanron (1808-1877), thèse de l’École du Louvre, 1935, mise à jour du catalogue par Marie-Martine Dubreuil, La vie et l’œuvre de Philippe-Auguste Jeanron : peintre, écrivain, directeur des musées nationaux, Paris (Notes et documents des Musées de France, 35), 2000. 61. En raison du manque d’espace, ce fonds fut plus tard transféré au département des Objets d’art. 62. Louis Carolus-Barré, « Rapport sur les bibliothèques et archives du Louvre et des musées nationaux », novembre 1969, dactylographié, archives de la Bibliothèque centrale des musées nationaux, versement à venir aux Archives nationales. 63. Voir à ce sujet la contribution d’Anne-Élisabeth Buxtorf à ce débat. 64. Françoise Petitou (dir.), Martine Poulain, Geneviève Bresc-Bautier, « Le transfert des collections de la Bibliothèque centrale des musées nationaux : du palais du Louvre à l’Institut national d’histoire de l’art, Rapport du groupe de travail commun au musée du Louvre, à l’Institut national d’histoire de l’art et au Service des bibliothèques, des archives et de la documentation générale des Musées de France », mai 2010, Archives de la bibliothèque de l’INHA. La BCMN était une entité du Service des bibliothèques, des archives et de la documentation générale (SBADG). 65. Voir Petitou, 2010, citée n. 64. 66. Projet scientifique et culturel du musée du Louvre, validé par la commission scientifique nationale des musées nationaux en mai 2015. 67. Par référence à sa localisation autour de la cour Lefuel, dans l’aile Denon. 68. Par référence à leur proximité avec les bureaux des conservations du Louvre. 69. Cote B : Antiquités égyptiennes ; cote BC : Antiquités orientales ; cote CA : Arts de l’Islam. 70. http://Bibliolefuel.louvre.fr. 71. Petitou, 2010, citée n. 64. 72. http://www.louvre.fr/centre-dominique-vivant-denon/presentation#tabs. 73. http://ressourcesvivantdenon.louvre.fr/.

RÉSUMÉS

By moving into the Labrouste reading room, the library of the Institut national de l’histoire de l’art will fulfill years of preparation, reflection, and debates that have punctuated its long gestation. As a descendant of the Bibliothèque d’art et d’archéologie Jacques Doucet, its affiliation with the university is today lively and meaningful. The incorporation of the Bibliothèque centrale des musées nationaux, formerly at the Louvre, on January 1, 2016 has invited museums into the heart of INHA’s collections. For the three entities concerned, this change has involved – and still involves – a questioning of the orientation and missions of the libraries they represent. The Louvre museum has launched a vast project of promotion and

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coordination of its libraries. After extensive preparatory work, the Bibliothèque centrale des musées nationaux (BCMN) has been physically absorbed into the INHA, requiring a necessary examination at the INHA, not only of its history, but also of its project. Indeed, for the INHA library, the foundation stone that is the BCMN consolidates this inauguration in completely renovated spaces: a reading room with four hundred seats, together with open-access stacks containing 150,000 documents on three levels, opening with the Bibliothèque nationale de France and in particular its département des Estampes et de la photographie, but also with the École nationale des chartes. The three texts that follow must therefore be read interactively as exchanges relating to what makes writing the possible.

INDEX

Parole chiave : pubblichi, biblioteca, biblioteca di museo, biblioteca universitaria, università, ricerca, collezione, storia delle collezioni, storia dell'arte, fonti scritte, accesso libero Mots-clés : publics, bibliothèque, bibliothèque de musée, bibliothèque universitaire, université, recherche, collection, histoire des collections, histoire de l'art, sources écrites, Institut national d'histoire de l'art, accès libre Keywords : audiences, library, museum library, university library, university, research, collection, history of collections, art history, written sources, free access

AUTEURS

ANNE-ÉLISABETH BUXTORF Anne-Élisabeth Buxtorf est directrice de la bibliothèque de l’INHA depuis 2013. Auparavant adjointe en charge de l’ouverture de la bibliothèque en salle Labrouste, elle a occupé différents postes de conservateur de bibliothèque à l’étranger, au département des Arts du spectacle de la BnF et à la bibliothèque universitaire de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.

PASCALE GILLET Pascale Gillet est coordinatrice des bibliothèques au musée du Louvre au sein du Service des Ressources Documentaires et Éditoriales de la direction de la Recherche et des Collections depuis 2015. Bibliothécaire de formation et antiquisante, elle a d’abord exercé son métier dans la fonction publique territoriale pendant de nombreuses années, puis au musée du Louvre, où elle est entrée en 2008 pour gérer la bibliothèque du département des Antiquités grecques, étrusques et romaines.

CATHERINE GRANGER Catherine Granger est conservatrice en chef des bibliothèques, directrice adjointe du département de la bibliothèque et de la documentation de l’INHA. De 2013 à 2015, elle était chef du Service des bibliothèques, des archives et de la documentation générale des musées de France, et à ce titre elle a été directrice de la Bibliothèque centrale des musées nationaux.

ANNE-SOLÈNE ROLLAND Anne-Solène Rolland est conservatrice du patrimoine, directrice de la recherche et des collections au musée du Louvre. La direction de la recherche et des collections est notamment en charge de la coordination des bibliothèques du Louvre et, à ce titre, a organisé pour le Louvre et avec les deux autres partenaires concernés le déménagement de la BCMN vers l’INHA.

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Entretien

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Entretien avec Michel Melot par Philippe Saunier et Valérie Sueur- Hermel

Michel Melot, Philippe Saunier et Valérie Sueur-Hermel

À sa sortie de l’École nationale des chartes en 1967, avec une thèse sur l’archéologie de L’Abbaye de Fontevrault de la réforme de 1458 à nos jours, Michel Melot entre à la Bibliothèque nationale comme conservateur au département des Estampes et de la photographie, département qu’il dirige de 1981 à 1983, première étape d’une carrière scientifique et institutionnelle riche. Secrétaire du Centre national de la photographie, fondé en 1982 par Jack Lang, jusqu’à son départ de la Bibliothèque nationale, Michel Melot dirige, de 1983 à 1989, la Bibliothèque publique d’information du Centre Georges Pompidou. En 1989, il est nommé vice-président, puis à partir de 1993, président, du Conseil supérieur des bibliothèques. Sa curiosité, son ouverture d’esprit, son questionnement sur les frontières de l’art, mais aussi sa connaissance des arcanes administratives, lui valent d’être l’auteur de plusieurs rapports. En 1982, le ministre de la Culture lui commande un rapport sur la conservation et l’exploitation du patrimoine photographique, qui aboutit à la création des Archives du Fort de Saint-Cyr. Six ans plus tard, en 1988, il est chargé avec Patrice Cahart, alors directeur de la Monnaie et président du conseil d’administration de la Bibliothèque nationale, du premier rapport sur la « Très Grande Bibliothèque ». En 1990, il est chargé par les ministres de l’Éducation nationale et de la Culture d’un rapport sur la création d’une « bibliothèque des arts » dans les emprises du quadrilatère Richelieu de la Bibliothèque nationale. Enfin, en 1996, c’est un rapport sur l’avenir des « maisons d’écrivains » qui lui est commandé. Le 15 octobre 1996, il est chargé de la sous-direction de l’Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France, à la Direction du patrimoine (ministère de la Culture). Le 9 août 2003, il fait valoir ses droits à la retraite mais il reste très actif : de 2003 à 2007, il est président de la commission « recherche » à l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques, ainsi que du comité d’acquisition du patrimoine cinématographique. À titre privé, il est l’auteur d’une cinquantaine d’articles, d’une dizaine de livres d’archéologie et d’histoire de l’art, dans lesquels l’histoire de l’estampe tient une place prépondérante, ainsi que de deux romans1.[Philippe Saunier et Valérie Sueur-Hermel]

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Valérie Sueur-Hermel. Comment votre carrière de conservateur de bibliothèque vous a-t-elle amené à vous intéresser au projet de la future bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art ? Michel Melot. Avant de devenir bibliothécaire, je voulais étudier l’histoire de l’art. À ma sortie de l’École nationale des chartes, j’ai eu la chance d’obtenir d’emblée un poste au département des Estampes à la Bibliothèque nationale, ce qui était pour moi idéal. J’y suis resté de 1967 à 1983. À cette période, l’accès aux images était essentiel en raison du développement de l’audiovisuel : le cabinet des Estampes ne désemplissait pas, confronté aux problèmes d’accès massif à l’iconographie, d’une part pour les expositions et d’une autre, pour nourrir les écrans de toutes sortes. L’accès libre aux images était l’une des originalités du projet de la Bibliothèque publique d’information. La Bpi fonctionnait à merveille, sauf pour la communication des images, annoncée dès avant son ouverture. Les carrousels de diapositives étaient trop fragiles et les postes vidéo étaient posés là comme des pots de fleurs. Par ailleurs, le Centre Pompidou reprochait à la Bpi de prendre une part insuffisante aux expositions du musée. La bibliothèque était un îlot et le président du Centre, Jean Maheu, attendait un directeur de la Bpi qui puisse l’intégrer davantage dans les activités du Centre. L’autre raison qui m’a conduit à la Bpi fut le fait du ministère Lang qui m’avait commandé un rapport sur la gestion et la mise en valeur des archives photographiques. Jacques Sallois, directeur de cabinet, cherchait un conservateur jeune, en prise avec les musées, pour organiser des expositions, et ouvert aux nouvelles technologies. Mon profil était bon, mais je n’en étais pas moins inquiet parce que je venais d’une bibliothèque de conservation patrimoniale. J’ai avoué à René Fillet, directeur de la Bpi qui prenait alors sa retraite, que je ne connaissais rien à la lecture publique. C’est lui-même qui avait proposé mon nom. Il m’a rassuré : « Ne vous inquiétez pas, tout fonctionne bien à la Bpi : acquisitions, catalogage, service public, classification, tout est réglé, même l’informatique. Ce que je vous demande c’est de trouver un système pour communiquer les images fixes ou animées et que la Bpi tienne sa place dans les événements et les expositions du Centre Pompidou. » Comme Jean-Pierre Seguin, le créateur de la Bpi, il croyait à l’avenir des images dans les bibliothèques et aux animations destinées à un large public. C’était pour moi un formidable programme. La Bibliothèque publique d’information ayant connu le succès que l’on sait, j’ai été appelé, en juillet 1988, à faire des propositions pour la Très Grande Bibliothèque. Le rapport qui en est issu n’a plu ni aux historiens, ni au grand public, ni à l’Élysée2. Patrice Cahart et moi avions en tête le modèle d’une bibliothèque centrale à Paris avec des pôles associés. Je m’inspirais du modèle allemand, partant du principe que les spécialités sont nombreuses et qu’aujourd’hui aucune bibliothèque ne peut se dire exhaustive. Le système avait l’avantage d’une part de préserver l’avenir du site Richelieu dont on craignait l’abandon, et surtout, de redonner vie au réseau des bibliothèques universitaires qui étaient dans le triste état que venait de dénoncer le rapport Miquel3. Nous avons proposé de créer autour d’une bibliothèque patrimoniale à Paris, accessible à tous, des pôles spécialisés dans les universités et les grands centres de recherche. Cela ne cadrait pas avec le projet présidentiel d’une grande bibliothèque, une seule. La polémique architecturale a très vite submergé celle suscitée par notre rapport. Il avait pourtant le soutien du ministre de

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l’Éducation nationale, Lionel Jospin, et du Premier Ministre, Michel Rocard, qui ne souhaita pas s’opposer sur ce point au président de la République. Lorsque le rapport Cahart-Melot a été enterré, Jack Lang exprima auprès de Patrice Cahart et de moi- même quelques remords. Il n’était pas question que j’aille à la Bibliothèque nationale de France et par ailleurs j’avais déjà quitté le Centre Pompidou, m’étant consacré totalement pendant six mois à ce rapport. J’avais un excellent remplaçant à la Bpi, mon adjoint, Jacques Bourgain. Il fallait me donner un nouveau poste. L’Éducation nationale, inquiète de la création de cette grande bibliothèque qui allait peser financièrement sur les bibliothèques universitaires, avait imposé, dans le décret fondateur de la BnF, la création d’un Conseil supérieur qui veillerait à l’équilibre et à la coordination des bibliothèques françaises. On m’a proposé d’en être le vice- président, auprès du président André Miquel, ancien administrateur de la Bibliothèque nationale. J’étais le seul permanent, aidé d’une excellente secrétaire, Marie-Dominique Nicolas. En 1991, lorsqu’André Miquel s’est retiré, j’en ai été le président. C’est dans ce cadre-là que, en 1990, l’on m’a appelé pour travailler au projet d’une grande bibliothèque des arts. J’ai le souvenir de Jack Lang dans son bureau, me lisant des lettres de professeurs d’histoire de l’art qui se plaignaient de la situation des bibliothèques d’histoire de l’art, en particulier de la bibliothèque d’art et d’archéologie. Il me disait être « harcelé » par ces professeurs qui l’appelaient au secours. Malheureusement ils dépendaient de l’Éducation nationale. Jack Lang a dicté une lettre, devant moi, à Lionel Jospin, son homologue, pour plaider la cause des bibliothèques d’art. Il se sentait concerné. Il brûlait de se mêler de l’histoire de l’art ! Et puis il avait à résoudre le problème de l’avenir de la rue de Richelieu oubliée par le projet de la BnF. Dans notre rapport, en proposant de conserver une grande bibliothèque à Paris, centrale mais non exhaustive, nous avions surtout pensé à assurer le maintien du quadrilatère Richelieu que le projet de la TGB avait sacrifié. L’idée d’André Chastel de créer un institut d’histoire de l’art était dans l’air depuis très longtemps. Le déclencheur me semble avoir été la bonne entente entre Jack Lang et Michèle Gendreau-Massaloux, recteur-chancelier des universités de Paris. L’idée d’origine était d’intégrer aux départements spécialisés, qui restaient rue de Richelieu, la bibliothèque d’art et d’archéologie et la bibliothèque du musée du Louvre pour en faire la grande bibliothèque en histoire de l’art qui manquait en France. J’ai été chargé de faire un premier tour de table pour vérifier quels candidats pourraient s’intégrer au projet. J’ai remis un rapport très positif en décembre 19904.

1 Mon travail a été de comprendre si les institutions concernées (l’université Paris- Sorbonne et le musée du Louvre) étaient d’accord avec ce projet. Personne ne pouvait s’y opposer. La bibliothèque universitaire d’art et d’archéologie ne pouvait qu’en bénéficier. L’un des premiers chantiers a été de voir dans quelle mesure les fonds se recoupaient. D’après mes calculs et leurs catalogues respectifs, ils ne se recoupaient que très peu et étaient étonnamment complémentaires. La bibliothèque du musée du Louvre était paradoxalement plus riche que la bibliothèque universitaire, et de manière générale l’une était plus riche dans les domaines où l’autre était plutôt pauvre. Par exemple, nous avions constaté que les abonnements de périodiques ne se recoupaient que très peu.

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Philippe Saunier. Comment l’expliquez-vous ? Michel Melot. C’est difficile à dire. J’en ai été le premier étonné. Les champs couverts étaient différents : la bibliothèque d’art et d’archéologie était plus riche en art classique, le musée du Louvre, en archéologie.

Philippe Saunier. En proposant ces rapprochements, aviez-vous en tête les possibles difficultés à accorder des pratiques hétérogènes ? En effet, la bibliothèque du musée du Louvre, par exemple, est d’abord une bibliothèque de travail destinée aux conservateurs et au personnel du Louvre, alors que les bibliothèques universitaires s’adressent à un public plus large de professeurs et d’étudiants. Valérie Sueur-Hermel. Les réticences au musée du Louvre venaient surtout des conservateurs qui perdraient un outil de travail à portée de main tout en étant proche des collections. Michel Melot. Il n’y avait pas d’incongruité dans l’idée de les rassembler. Au contraire, elles y gagnaient l’une et l’autre. Le principe me semblait vraiment bon. Les réticences qui existaient de fait n’ont pas été formulées parce que personne n’avait rien à perdre dans ce projet. Mais la Bibliothèque des musées nationaux, plus riche que la bibliothèque universitaire, traînait des pieds. Je crois que chacun aurait voulu conduire seul ce chantier. L’idée d’un institut qui avait vocation à accueillir d’autres institutions (par exemple d’autres universités que Paris IV, des centres spécialisés dans le design, le cinéma, etc.) inquiétait quelques-uns ! Il y avait l’idée, bien ancrée, qu’une bibliothèque d’art devait s’occuper d’Antiquité et des arts dits « majeurs ». Le cinéma, le costume, la bande dessinée, l’architecture industrielle, etc., étaient considérés comme des arts marginaux et pour certains, encombrants. Le projet n’impliquait pas de déplacer les fonds très loin. Mais oui, il y avait au Louvre un attachement pragmatique à sa bibliothèque que l’on peut comprendre. Avec le nouveau projet, les conservateurs auraient perdu la proximité.

Valérie Sueur-Hermel. Quel était votre point de vue sur ces disciplines qui entretiennent des liens étroits avec l’histoire de l’art sans y être pour autant intégrées ? Michel Melot. L’idée était de faire une bibliothèque qui ne se limite pas aux arts plastiques. Il fallait trouver les frontières de ce domaine. C’est tout le problème du musée imaginaire. On sait ce que doit contenir une bibliothèque de médecine ou de droit. Mais l’art est un champ ouvert à toutes les sciences humaines et l’ignorer tournerait le dos à toute l’évolution de l’histoire de l’art, indissociable de l’anthropologie et des sciences exactes. Comment exclure de la recherche en art l’histoire des religions ou l’optique, l’esthétique ou l’histoire des techniques ?

Valérie Sueur-Hermel. Si l’art est difficile à définir, l’histoire de l’art est-elle, selon vous, une discipline plus facile à cerner ? Michel Melot. Non, pas vraiment. En France, quand on parle d’histoire de l’art on pense d’abord à l’histoire de la peinture et de la sculpture. Mais si vous allez en Russie, en Amérique du Sud ou en Afrique, l’histoire de l’art concerne d’abord la littérature, la musique et la danse. Or, c’était bien le but de l’INHA : rassembler toutes ces spécialités, et toutes les époques de l’Antiquité à l’art contemporain. Il y avait une cohérence entre les noyaux des deux grandes bibliothèques, mais il fallait penser aux ramifications. À l’INHA, la question pouvait se réduire à offrir à chacun un bureau (qui faisait souvent défaut à l’université !) et quelques salles de cours pour tenir des cours et des colloques. C’est plus difficile lorsqu’il s’agit de réunir une bibliothèque : une collection, c’est un édifice complexe et délicat.

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Philippe Saunier. Comment imaginiez-vous la mise en réseau des fonds pouvant intéresser l’histoire de l’art ? Cette problématique des réseaux, est-elle présente dans le rapport ? Est-ce que vous l’envisagiez par ailleurs sans l’écrire, et comment ? Michel Melot. Oui, c’était déjà dans l’esprit du rapport Cahart-Melot pour la TGB. Mais Internet n’était pas encore ouvert au public. L’idée d’un catalogue commun fonctionnait mal mais était bien envisagée. Je commençais à élargir le fonds, en consultant les Arts décoratifs et l’École nationale supérieure des beaux-arts, qui possédaient les deux autres grandes bibliothèques d’art à Paris. Aux Arts décoratifs, on était plutôt inquiets – peut-être à cause de leur statut privé, bien que leurs collections soient publiques (les collections sont en dépôt). À l’École des beaux-arts, le directeur de l’époque, Yves Michaud, était très enthousiaste : il souhaitait conserver une bibliothèque pédagogique dans ses murs mais pas nécessairement le fonds patrimonial – magnifique d’ailleurs – qui n’a pas inévitablement sa place dans l’École. Il créait une médiathèque d’art contemporain et il pensait que les fonds anciens seraient mieux à leur place dans une bibliothèque nationale des arts. Son successeur n’était plus du même avis.

Valérie Sueur-Hermel. Diriez-vous que les choix d’orientation des fonds d’une bibliothèque d’histoire de l’art tiennent beaucoup à la personne du directeur et à sa propre perception de l’histoire de l’art ? Michel Melot. Oui, car il ne s’agissait pas d’imposer une formule. Ce rapport a permis de faire un premier tour de table. Pour mettre en œuvre le projet, Jack Lang a demandé à Michel Laclotte de travailler et, avec Pierre Encrevé, Emmanuel Hoog et Philippe Sénéchal, il a fait preuve de tact et d’efficacité.

Philippe Saunier. Dans votre rapport, vous prônez le maintien sur le site Richelieu du département des Manuscrits, d’une part pour conserver une occupation aux bâtiments l’abritant et d’autre part parce qu’ils sont susceptibles d’éclairer la discipline. Vous allez jusqu’à écrire que « les manuscrits […] sont à part entière du domaine de l’histoire de l’art ». Pouvez-vous préciser votre pensée ? Michel Melot. Cela recouvre le problème que connaissent bien les archéologues ou les antiquisants, de la place des objets rares, anciens et précieux, assimilés à des œuvres d’art. Prenez les estampes : s’agit-il d’objets d’art ou d’objets éditoriaux ? Les estampes ne sont pas que des imprimés, les manuscrits ne sont pas non plus que des textes. Pour moi leur statut artisanal, leur caractère d’unicité en font de plus en plus, pour le bibliothécaire, des objets particuliers qu’on va classer dans la réserve, avec les œuvres d’art. Mais leur destination n’est pas écrite d’avance. Le cabinet des Estampes doit sa richesse au fait qu’à son origine, au XVIIe siècle, il contenait des objets rares mais aussi de « l’imagerie ». On reprochait à Michel de Marolles, fondateur de la collection de faire « des ramas » et les autres cabinets d’estampes au monde, fondés au XVIIIe siècle, ont sélectionné ce qui à leur époque avait déjà été consacré comme œuvres d’art, et ils se sont, de ce fait, assimilés à des musées plus qu’à des bibliothèques. J’ai connu ce dilemme au Centre Pompidou où la Bibliothèque publique d’information côtoyait la bibliothèque Kandinsky, sur l’art moderne. La bibliothèque Kandinsky se posait la question à propos des journaux dadaïstes : sont-ils des documents qui auraient leur place dans la bibliothèque ou des objets d’art destinés au musée ? Les manuscrits de la Bibliothèque nationale ne sont pas que des archives. En ethnologie la question se pose de la même façon. Les grands problèmes que la bibliothèque d’art aura à affronter sont d’une part l’éclatement du champ de l’art – avec les arts dits « modestes » multiples, éditoriaux et industrialisés, ou « à l’état

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gazeux » comme dit Michaud et, d’autre part, la diversité des supports audiovisuels et électroniques. Il faut avoir des points d’appui pour chacun d’eux et conserver des marges de liberté pour décider des politiques d’acquisition et de conservation.

Valérie Sueur-Hermel. L’orientation patrimoniale de la future bibliothèque d’art du site Richelieu était liée aussi à l’idée de départ du projet, qui était d’intégrer les départements spécialisés de la BnF déjà sur place (Manuscrits, Estampes et photographie, Monnaies et médailles, Cartes et plans, Musique) ou destinés à s’y installer (Arts du spectacle). Michel Melot. À la Bibliothèque publique d’information nous avions décidé en revanche de ne rien « patrimonialiser » : tout ce qui entrait pouvait être désherbé pour que les fonds soient en permanence mis à jour. C’était une révolution réservée à la lecture publique, totalement inappropriée pour une bibliothèque de recherche en histoire de l’art qui doit préserver et prendre en compte tous les genres de documents. Les différents systèmes de bases de données, entre bibliothèques et musées, n’étaient pas compatibles. J’avais travaillé à la rédaction de la norme Z44-077, grâce à laquelle on peut cataloguer sur une même fiche un tableau de David, une carte postale ou une photographie de presse. Après cinq ans de débat, on y est parvenu. Cette fiche pouvait être très érudite pour des objets uniques, et capable de traiter des images en lot pour des objets de série, et de distinguer les différents types de séries : collections, éditions, reproductions.

Valérie Sueur-Hermel. Pour revenir à la bibliothèque des arts, pensez-vous que sans le contexte du maintien des départements spécialisés sur le site Richelieu votre réflexion aurait été différente ? Michel Melot. Oui sans doute, mais la question ne s’est pas posée. Tout le monde était attaché au fait de jouer sur cette symbiose entre les départements spécialisés de la BnF et la nouvelle bibliothèque des arts qui restait à inventer. Il était bon pour chacun qu’elle soit environnée des Médailles, des Estampes, de la Musique et des Manuscrits, quatre départements qui faisaient déjà partie de la Bibliothèque nationale. J’étais très attaché à cette idée qui respectait l’histoire et l’esprit des collections pour une occupation et une utilisation nouvelle de ce site.

Philippe Saunier. Au même moment, comment se présentait le projet de la grande Bibliothèque nationale, à Tolbiac ? Michel Melot. Elle était sur les rails, mais les débats à propos de la place des livres pour enfants, des manuscrits, duraient et rien n’était établi. Le périmètre de cette grande Bibliothèque a été âprement discuté.

Philippe Saunier. Est-ce que les discussions sur la création d’un Institut national d’histoire de l’art ont eu des répercussions sur le traitement des collections d’ouvrages d’histoire de l’art à Tolbiac ? Y a-t-il eu un partage des rôles ? Michel Melot. La question de doubler le fonds s’est posée, mais il paraissait indispensable d’avoir un fonds d’histoire de l’art conséquent aussi à la grande Bibliothèque, en plus de celui de la bibliothèque spécialisée.

Valérie Sueur-Hermel. Vous avez une vision très ouverte de la bibliothèque d’histoire de l’art idéale. La bibliothèque conçue par Aby Warburg à Hambourg, transférée à Londres, est-elle un modèle pour vous ? Autrement dit, les passerelles entre l’histoire de l’art et d’autres disciplines des sciences humaines sont-elles, selon vous, indispensables au travail de recherche de l’historien de l’art ? Michel Melot. Tout à fait. Il serait désolant qu’une bibliothèque d’histoire de l’art se limite à une collection de monographies de peintres ou de mouvements artistiques.

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Ce serait une erreur. Mais la multiplication des champs et la diversification du domaine de l’histoire de l’art, avec les extensions aux autres disciplines, complique les choses. Il faut rester mesuré : il ne s’agit pas d’avoir une bibliothèque d’anthropologie ou de psychanalyse… Il faut cependant qu’il y ait les fondamentaux – c’est le rôle du bibliothécaire de les choisir. Il y a des ouvrages de psychiatrie présentant des travaux de « fous » dessinateurs qui doivent être dans une bibliothèque d’art.

Valérie Sueur-Hermel. La mise en place d’une telle politique d’acquisition supposerait des budgets d’acquisition importants. Quels sont pour vous les domaines connexes indispensables à une bibliothèque d’art ? Michel Melot. Plusieurs secteurs des sciences doivent être présents : l’esthétique et la philosophie, l’histoire des religions, mais je pense aussi au domaine juridique, à la propriété intellectuelle, aux traités techniques de construction ou de chimie… Il existe un système nommé Conspectus [« vue d’ensemble », NdlR], une méthode simple qui permet à une bibliothèque de définir sa politique d’acquisition pour chaque domaine selon différents niveaux. On note de 1 à 5 les ouvrages, du niveau 1 (peu d’acquisitions), au niveau 5 (exhaustivité). Cette gradation permet de guider le bibliothécaire et le public. C’est ce qui s’est produit à la bibliothèque de la Cité de l’architecture, dont j’ai pu m’occuper avec Renée Herbouze conservatrice responsable de la documentation à la Direction du patrimoine. Renée Herbouze a procédé de manière remarquable, titre par titre. Il existait une bibliothèque des Monuments historiques, mais elle avait été mise en cartons et reléguée on ne sait où. On nous a demandé d’intégrer cette bibliothèque dans celle de la Cité de l’architecture. Nous n’en voulions pas, parce que cette bibliothèque était axée sur l’histoire de l’architecture et non sur l’architecture elle-même. Elle avait sa place à la Bibliothèque des arts. Au Trocadéro au contraire, il s’agit d’une bibliothèque pour ceux qui pratiquent l’architecture, étudiants, maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre, actualisée et non patrimoniale. On y trouve de l’histoire bien sûr mais pas au niveau de la recherche, en revanche elle traite de tous les types d’architecture actuels, du camping aux complexes industriels, et de manière internationale.

Philippe Saunier. On aurait pu avoir un cas de figure comparable à l’École des beaux-arts… Michel Melot. Je voyais ça comme ça, de même qu’Yves Michaud.

Philippe Saunier. Quel était le public visé par cette bibliothèque des arts ? Devait-elle être une bibliothèque avec un public d’historiens de l’art ou une bibliothèque publique ouverte à tous ? Michel Melot. La question ne se posait pas : elle est ouverte à tous mais pas destinée à des non spécialistes. Un des grands débats a été de savoir s’il fallait caler les collections au niveau de la maîtrise ou à celui du doctorat. L’hypothèse haute impliquait d’acquérir beaucoup à l’étranger quelle que soit la langue. L’université voulait que l’on intègre les maîtrises. J’étais plutôt partisan de créer une bibliothèque de haut niveau sur le plan international, avec des ouvrages spécialisés et des thèses dans des langues étrangères. L’Éducation nationale, débordée par les étudiants en maîtrise aurait voulu pouvoir rediriger une partie de son public dans cette bibliothèque. Pour moi ce rôle incombait aux bibliothèques universitaires.

Valérie Sueur-Hermel. La question se poserait sans doute différemment aujourd’hui dans un contexte où les bibliothèques universitaires peuvent mieux répondre aux attentes des étudiants. Michel Melot. Les bibliothèques universitaires ont heureusement beaucoup évolué en effet.

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Valérie Sueur-Hermel. Depuis 1990, année de la rédaction de votre rapport, votre point de vue a-t-il changé ? Michel Melot. Oui, la consultation des livres engrangés sur des rayonnages n’est plus le rôle majeur des bibliothèques même s’il faut toujours y satisfaire. Les bibliothèques sont devenues des lieux de travail. Ce constat doit se traduire en projet pour les bibliothèques. Il faut réaménager les espaces en conséquence pour permettre aux usagers de travailler seuls ou en groupe, avec leurs propres outils. Elles doivent aussi développer leurs espaces d’activités pour accueillir séminaires et colloques distincts des sites universitaires. Même si l’INHA joue aussi ce rôle, il reste une place laissée à la libre initiative des étudiants. Il faut aussi ménager des espaces de projection, de spectacles et d’expositions. Le succès des expositions traduit un désir de se rapprocher des pièces originales, contrepartie heureuse de leur accès généralisé sur écrans. L’audiovisuel se passe de la présence des artistes, mais les spectacles vivants en ont d’autant plus de succès. Je pense au département des Estampes et de la photographie qui a perdu une grande partie de ses lecteurs, mais devrait compenser cette perte par des salons permanents d’expositions et des lieux d’animations, qui manquent cruellement aux artistes.

Valérie Sueur-Hermel. Le département des Estampes et de la photographie de la BnF a perdu une grande partie de son public, qui se contente souvent de consulter les images sur Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF, et ne vient plus voir les originaux. Que pensez-vous de cette évolution ? Michel Melot. C’est, je crois, un progrès. Nous avons perdu en effet au cabinet des Estampes le public des documentalistes et des curieux à la recherche d’informations qui se satisfont aujourd’hui d’Internet. Cela épargne de sortir des originaux fragiles et précieux pour illustrer une conférence, un dictionnaire ou un article. Une partie des collections est d’ailleurs en ligne. Le problème de leur usage est devenu plutôt d’ordre juridique. Devant la débauche d’images accessibles en ligne, il faut, comme le dit mon amie médiologue Louise Merzeau, apprendre d’abord à choisir et ensuite à éditer. Ces deux exercices ont complètement changé de dimension depuis vingt ans. Internet permet de répondre à la majeure partie des usages de l’image, mais il ne satisfait complètement ni à la recherche et ni à la délectation. Les lecteurs ont besoin des originaux pour y trouver tout ce que la reproduction ignore : le verso du document par exemple, souvent riche d’informations, sa dimension, son état de fraîcheur, toute sa matérialité qui prend de plus en plus d’importance dans les recherches. Le plus important, c’est que le recours aux originaux a relancé la notion de collection et de collectionneur. Pour appréhender une collection, son intégrité et son conditionnement, il faut avoir accès à l’objet lui-même. C’est pourquoi je suis pour adopter dans les bibliothèques, pour les acquisitions et les dons, la règle du respect des fonds, comme le veut la loi des archives. L’insertion qu’occupe un document dans une suite, qu’il s’agisse d’un album ou d’une enveloppe, n’apparaît pas sur l’écran. L’homogénéité matérielle des documents réunis doit être palpable ainsi que la façon dont ils sont conservés, collés, assemblés, légendés. La numérisation est une momification. Elle informe sur le contenu de l’image mais ne dit rien de l’image elle- même. Il faut respecter non seulement le document, mais son environnement qui fait partie de son histoire.

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Valérie Sueur-Hermel. Cette approche des fonds par collection est très intéressante en effet mais contraire aux pratiques historiques du département des Estampes et de la photographie. Michel Melot. La doctrine des bibliothécaires est différente de celle des archives ou des archéologues. Le bibliothécaire insère son livre dans un cadre préconçu. La numérisation permet d’échapper à ce cadre, qui porte sa propre signification. Dans la doctrine des archives, la collection a un sens. Ce sens se perd dans la bibliothèque lorsque l’on disperse les ouvrages provenant d’un même fonds. Il faut conserver les documents dans leur contexte d’origine. L’informatique se charge de lui en inventer d’autres, à l’infini, au gré du chercheur.

Valérie Sueur-Hermel. Que pensez-vous du libre accès dans une bibliothèque spécialisée en art ? Vous semble-t-il intéressant de pouvoir se promener dans les rayonnages et d’être ainsi amené à faire des découvertes fortuites ? Michel Melot. Oui, c’est essentiel. Rien n’est plus efficace pour le chercheur que l’accès libre au document, mais il faut être prudent. Les livres d’art sont souvent des volumes lourds. À la Bpi, le secteur « Arts » n’était pas beau à voir. D’autre part, les catalogues d’exposition, les plaquettes, les cartons d’invitation aussi sont importants dans une bibliothèque d’histoire de l’art. Les petits fascicules sont difficiles à gérer en bibliothèque, mais nécessaires. J’ai eu à étudier une collection de livres d’art un peu folle d’environ 200 000 ouvrages parmi lesquels se trouvaient des collections complètes de fascicules de vulgarisation de l’histoire de l’art (« Les classiques pour tous », « Les chefs d’œuvres de l’art »…), très en vogue entre 1920 et 1960. Cette « collection de collections » d’ouvrages de vulgarisation remplissait une pièce entière. J’avais déconseillé de mettre un tel ensemble en libre accès, car elle intéressait plus l’histoire de l’édition d’art, des techniques et des styles de reproduction, de la pédagogie, que l’histoire de l’art elle-même.

Valérie Sueur-Hermel. Je pensais aussi au plaisir du « butinage » sur les rayonnages susceptibles d’ouvrir des portes vers des disciplines connexes à l’histoire de l’art. Michel Melot. C’est une idée admirable, comme celle de la bibliothèque d’Aby Warburg, mais elle est personnelle, privée. C’est une démarche subjective. Pour une bibliothèque publique, elle est difficile à concevoir et à réaliser, mais la virtualisation permet de le faire.

Philippe Saunier. Est-ce que l’essor des catalogues collectifs en ligne signe la péremption de la logique de fonds ? Michel Melot. La logique du fonds se justifie et s’impose souvent. Conserver toute la collection d’un éditeur – Maeght, Skira ou les éditions du Zodiaque, par exemple, ou d’un chercheur (voyez le fonds Chastel à l’INHA) – au même endroit a du sens.

Philippe Saunier. Ce serait pousser à son terme la logique d’autonomisation du champ de l’histoire de l’art, comme celui d’une discipline qui serait capable de produire sa propre histoire. Michel Melot. Le respect du fonds a un sens : une époque, un collectionneur… La bibliothèque de Chaumont a hérité la collection d’affiches, de journaux et d’estampes de Gustave Dutailly5. C’était un fils d’une grande famille, qui, après une éducation religieuse, avait milité pour l’extrême gauche. Il fut élu député dans sa région ouvrière. La collection de Chaumont est l’une des plus grosses collections d’affiches en France. Dans cette collection, on trouve des œuvres devenues des « œuvres d’art » (Toulouse-Lautrec) et des images populaires. Dutailly s’est battu contre les superstitions, contre la colonisation, sur lesquelles il avait réuni une grosse documentation, reliée dans des registres avec les coupures de journaux de l’époque

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où l’on retrouve des Daumier pliés en huit. C’est pour moi un témoignage important pour l’histoire de l’art. À Chaumont, cette collection disparate a été dispersée sous différentes cotes. Je trouve cela dommage : elle aurait dû être conservée dans son ensemble, œuvre d’art ou pas !

Philippe Saunier. L’enfer est pavé de bonnes intentions. Dans bien des services de documentation des musées on a jugé utile de piocher dans des fonds d’archives pour documenter des objets. Michel Melot. L’étude matérielle revient à la mode : « le médium, c’est le message » a dit Marshall McLuhan66. L’intérêt de garder l’original est précisément de le garder « dans son jus » comme on dit aux Monuments historiques. La dispersion se fera sur Internet au gré de chacun.

Philippe Saunier. Autrement dit Internet pourrait avoir cette vertu paradoxale de recentrer les bibliothèques sur la matérialité de leurs collections. Michel Melot. Absolument. Le contenu des œuvres plastiques, la reproduction en rend compte plus ou moins. Dans une approche superficielle, elle peut suffire, mais pour distinguer les papiers ou les techniques de l’estampe même, l’écran n’est pas suffisant. Internet fait perdre aux bibliothèques les trois quarts de lecteurs qui n’ont pas besoin de manipuler l’original, mais nous oblige à distinguer ce que seul l’original peut nous apprendre et à mieux apprécier le plaisir qu’il nous procure.

Philippe Saunier. Ne s’achemine-t-on pas vers un usage « classique » de la bibliothèque déporté sur Internet à travers les ressources en ligne, et, de l’autre côté, vers un usage hyperspécialisé au sein de la bibliothèque elle-même ? Michel Melot. C’est possible mais il faut faire attention, il ne faut pas lier l’accès aux documents à un niveau d’étude. Aux Estampes il y a le public des spécialistes, mais aussi celui des artistes ou des artisans. On n’a pas besoin d’un doctorat pour apprécier les originaux. De plus leur consultation est nécessaire à la formation ainsi qu’à une approche sensible, voire sentimentale, de l’œuvre. Il ne faut pas en priver les étudiants. Défendre une bibliothèque très spécialisée et très haut de gamme ne veut pas dire que l’on y admet les lecteurs sur présentation de leurs diplômes.

Valérie Sueur-Hermel. Une telle ouverture suppose pour les lecteurs de savoir ce qu’ils cherchent et d’avoir identifié les objets au préalable grâce aux ressources offertes sur Internet. Michel Melot. Dans les bibliothèques aujourd’hui, les gens viennent travailler : ils s’installent auprès des fonds et ne les touchent pas nécessairement. La Bpi a été constituée comme une bibliothèque d’information, dont on a de moins en moins besoin aujourd’hui. Cela n’empêche pas aux étudiants de venir y travailler, non seulement par ce qu’il y a des collections qu’on peut embrasser dans leur ensemble, mais parce que c’est un lieu riche en informations, calme, neutre, convivial et si possible agréable. Les usages d’Internet dans les années 1990 ont été une rupture. Les bibliothèques les plus modernes suivent cet exemple. La BnF a été conçue trop tôt et n’a pas intégré cette dimension du « troisième lieu ». Elle devait être « la première bibliothèque d’un genre entièrement nouveau », je pense qu’elle est la dernière d’un genre ancien. À Lausanne, le Learning Center que les architectes de l’agence japonaise SANAA ont construit, est extraordinaire. À l’intérieur les étudiants sont assis un peu partout, par terre : il leur suffit d’avoir des prises de courant. Ils s’installent avec leurs ordinateurs.

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Valérie Sueur-Hermel. Consultent-ils encore des livres ? Michel Melot. Oui, bien sûr, il y a encore une bibliothèque et un usage traditionnel, dans un espace équipé en fonction de la consultation des livres. Certains fonds spécialisés sont mis dans une réserve ouverte au public avec des rayonnages compacts auxquels chacun a accès. Ce sont des idées d’avenir : de grands espaces disponibles, des collections serrées accessibles, et la possibilité de numériser soi- même les documents.

Valérie Sueur-Hermel. La multiplication des colloques et des journées d’études organisées par l’INHA contribue à une vie intellectuelle foisonnante. Michel Melot. Le fait d’avoir lié l’INHA à la bibliothèque est remarquable. Je trouve que l’INHA est une réussite. On y vient, on y rencontre des gens, on se croise. Il s’y passe beaucoup de choses. On y organise beaucoup de réunions, de colloques. On peut y trouver des salles de différentes dimensions. L’Institut sera, comme à Alexandrie, complémentaire de la bibliothèque. S’il y avait un hébergement à bas prix à côté pour des chercheurs lointains ce serait parfait.

Philippe Saunier. Il reste la difficile question, qu’on ne peut pas trancher, des frontières de l’art face à des contraintes budgétaires qui imposent des choix... Michel Melot. Il faut qu’elle reste ouverte, c’est sa nature même.

Valérie Sueur-Hermel. Pourquoi avoir choisi à l’époque l’appellation « bibliothèque des arts » plutôt que « bibliothèque d’art » ? Michel Melot. J’avais opté pour le pluriel. J’ai un peu changé d’avis là-dessus. En effet, il y a une pluralité d’arts. Maintenant, personnellement, je m’intéresse moins au contenu, mais au phénomène de l’art. On parle du fait religieux, il y a aussi un fait artistique. Régis Debray avait lancé cette formule pour son Institut européen des sciences des religions : étudier non « les religions » mais « le fait religieux » comme un phénomène universel. Aucune religion n’est universelle. Aucun art non plus. Il n’y a que des arts dominants et des arts dominés. Pour l’art, on ferait moins d’erreur si l’on distinguait « le fait artistique », universel (plus encore que le fait religieux, car il n’y a pas d’athées en art !), des œuvres, qu’on ne peut arracher ni à leur temps ni à leur sol. La diversité des arts, comme des religions, est une fatalité. Elle suppose une « laïcité » de l’art qui est une acceptation des autres, fût-elle critique. C’est ce que nous apprend le patrimoine de l’Unesco qui accepte des œuvres qui, pour beaucoup, ont perdu leur signification. Je suis pour une bibliothèque qui rende compte du fait artistique dans sa totalité et son intégralité, « de la cathédrale à la petite cuillère », comme l’a dit André Chastel à propos de l’Inventaire général des richesses artistiques de la France, où j’ai appris et pratiqué cela avec bonheur.

Philippe Saunier. Une telle bibliothèque, qui aurait une visée anthropologique sur les conditions et les motivations de la création quelle que soit la longitude sous laquelle on travaille, serait encore plus large finalement… Michel Melot. Oui, quel beau programme !

Valérie Sueur-Hermel. Nous n’avons pas abordé la question des frontières géographiques. Michel Melot. Elle revient à poser la même question : tout est possible. L’art, comme l’a dit Durkheim du sacré, se pose où il veut. Au bibliothécaire de le saisir au vol.

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NOTES

1. Michel Melot, L’abbaye du Val-sans-Retour, Paris, 1990 et L’écriture de Samos, Paris, 1993. 2. Patrice Cahart, Michel Melot, Propositions pour une Grande Bibliothèque : rapport au Premier ministre, 30 novembre 1988, Paris, 1989. 3. André Miquel, Les bibliothèques universitaires : rapport au ministre d’État, ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, Paris, 1989. 4. Michel Melot, Projet pour une réunion de bibliothèques d’art à la Bibliothèque nationale, décembre 1990, rapport inédit. 5. Gustave Dutailly. Les plaisirs d’un collectionneur d’affiches, Joël Moris (dir.), cat. exp. (Chaumont, les Silos, maison du livre et de l’affiche ; Clefmont, Foyer des jeunes, 2006), Chaumont, 2006. 6. Marshall McLuhan, Pour comprendre les média : les prolongements technologiques de l’homme, Jean Paré (trad. fra.), Paris, 1968 [éd. orig. : Understanding Media: The Extensions of Man, New York, 1964].

INDEX

Index géographique : France Keywords : library, university library, art history library, preservation, art history, aesthetics, collection, readers, museum, university, story, discipline, geography of art, database, free access, access Mots-clés : bibliothèque, bibliothèque universitaire, bibliothèque d’histoire de l’art, conservation, histoire de l’art, esthétique, collection, lecteurs, musée, université, fonds, histoire, discipline, géographie de l’art, base de données, accès libre, accès, Bibliothèque nationale de France, Bibliothèque publique d’information Parole chiave : biblioteca, biblioteca universitaria, biblioteca di storia dell'arte, conservazione, storia dell'arte, estetica, collezione, lettori, museo, università, fondi, storia, disciplina, geografia dell'arte, base di dati, accesso, accesso libero

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Travaux

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Putting Art in its Place: the “Modern System of the Arts” in Bibliographies and Bibliothecae Mettre l’art à sa place : le « système moderne des arts » dans les bibliographies et les Bibliothecae

Cecilia Hurley

1 In the preface to his Bibliotheca realis universalis (LIPEN, 1685), the German pedagogue and bibliographer, specialist in theology and philosophy, Martin Lipen offered an elegant and succinct survey of the various meanings of the term bibliotheca when it appeared in book titles. It could, he explained, refer to a bookshop or a book auction (the Bibliotheca Cordesiana), to an institution (public or private) in which books were kept and read, to a printed collection of shorter works (Voellius’s Bibliotheca juris canonici) or to a collection of excerpts (for example Photius’ Bibliotheca or Myriobiblion). Having excluded these possibilities, Lipen informed his reader that he had employed the word bibliotheca to designate a catalogue of books whose entries would consist of the author’s name, the book’s title, its place and date of publication and its format. In other words, he proposed a bibliography. Furthermore, he stated, this was a bibliotheca realis as opposed to a bibliotheca nominalis because the references were here organized alphabetically by subject and not by author’s name. Lipen was not innovative either in his use of the term bibliotheca or in his decision to organize references thematically, since more than one century earlier, the Swiss theologian and natural historian Conrad Gesner had published a Bibliotheca universalis which he had then completed with the Pandectae, in which the references were arranged by subject (GESNER, 1545 and 1548; BALSAMO, 1984; SERRAI, SABBA, 2005). Lipen does however, by means of his brief survey of the various meanings of bibliotheca, encourage us to ponder the status of bibliography.

2 The idea of an encyclopaedic, exhaustive library, assembling all humanity’s literary and intellectual endeavours has haunted human imagination since the time of the great Ptolemaic institution in Alexandria (VANDENDORPE, 1999; Tous les savoirs…, 1996; BARATIN, JACOB, 1996). In the absence of an actual collection of books, other solutions are

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conceivable, in the form of “Libraries without walls” (CHARTIER, 1993; WERLE, 2007). These virtual libraries, vast catalogues or lists of all the books ever published, offered the illusion of the “infinite universe of all the texts ever written” (CHARTIER, 1993). As such they are reminiscent of the utopian vision proposed by Borges and his imagined “Library [which] contained all books” (BORGES, [1941] 2000). The bibliotheca in its role as a non-place in which references to books could be assembled, thus offering access to all the knowledge of the world in a circumscribed and even (relatively) portable fashion, could be universal or select (ZEDELMAIER, 1992), national or international, restricted to one subject or one field of learning: bibliographies of bibliographies and bibliothecae reveal the rich variety of these compilations (LABBE, 1664; PETZHOLDT, 1866; TAYLOR, 1955; BESTERMAN, 1980). Our understanding of the semantic richness of the word bibliotheca has been broadened as a result of the attention recently paid by scholars to Renaissance and early modern concepts of space and its perception, and more particularly to the visualization of architectural space as a metaphor for a variety of intellectual activities and endeavours (FINDLEN, 2001; GALISON, THOMPSON, 1999; FELFE, WAGNER, 2010).

Art history and books

3 Art historians differ little from their colleagues in other subjects in the humanities, the social sciences or literature: books represent an essential tool on which we rely in order to ply our trade. This comment should by no means be taken as an attempt to minimize our reliance on other sources, such as the works of art themselves, nor to debate the relative merits of visual and textual sources, essential as that debate may be for our discipline (SCHLOSSER, 1924; SCHLOSSER, [1924] 1984; TIETZE, 1913; WOOD, 2013; ELKINS, 2000). Increasingly, over the past decades, books, and more particularly art books, have not been merely an instrument for our research, but have often become the object of our research. Forty years ago, a pioneering exhibition at the Bodleian Library presented a series of printed books offering engravings after Italian paintings with a thought- provoking introductory essay (Art and its Images…, 1975). Some years later it was the difficulties associated with the production of books of this kind, more particularly the Recueil Crozat, that were highlighted (HASKELL, 1987). The role that this and other printed illustrated books played in the emergence of art history as a discipline has also been examined (VERMEULEN, 2010). In parallel, there have been innumerable studies of important writings, landmarks in art-historical thought, and also re-editions and translations of major texts with lengthy, scholarly introductions and copious scientific apparatuses. This research has no doubt led to increased awareness of the importance of the book, of the vagaries of its production and dissemination.

4 When seeking information on these and all the other publications in our field and in related fields one can visit a specialized bookshop, leaf through publishers’ catalogues, peruse the shelves in the library, consult the catalogues and meta-catalogues (both printed and computerized) or turn to a bibliography or database (again both printed and computerized). Many of these instruments were already familiar to our forebears – with the obvious exception of the computerized versions – as was also the lament that we hear all too often, concerning the fact that it is too difficult to master all of the information available (BLAIR, 2010; WAQUET, 2015; CHATELAIN, 2009). Bibliographies – including the bibliothecae – were one of the answers to this fear of too much information. By assembling, recording, and organizing information, bibliographers

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attempted to ensure against loss and to offer an accurate, comprehensive, and also comprehensible record of the intellectual productions available (BRUNI, PETTEGREE, 2016; GOULEMOT, 1996). However, these often massive and imposing collections of material should not be considered as a natural phenomenon but as an artificial construction; they are shaped by a series of choices concerning the range of material to be included, the chronological limits to be established, and the organizational structure to be imposed (PETRUCCI, [1995] 1997). To these deliberate gestures should also be added some fortuitous elements, especially the accessibility (or otherwise) of texts at different times in history. We may often be lulled into the impression that bibliography is a perfect science, marred by no flaw, but this is far from being the case. It is a reflection not only of the textual production known or readily available to a bibliographer, but also of the intellectual world and scholarly circles within which that compiler moved and in whose tradition he had been working.

Putting art in its place

5 A study of these bibliographical systems – and of the place that the arts occupied within them – should thus permit another glimpse into the history of our discipline. Given the limits of an essay, this survey can be little more than a preliminary sketch of the way in which the visual arts have been taken into account in a number of selected bibliographical systems, and the questions that this raises. Seeing how art was “put in its place” implies seeing not only how the arts were organized and articulated, but also how they were inserted into a wider framework – that of human knowledge (Tous les savoirs…, 1996; KELLEY, POPKIN, 1991; SANTINELLO, 1979; WERLE, 2007). The bibliothecae – manifestations of “libraries without walls” – will be at the heart of this study, which will also draw upon the evidence that can be gleaned from other documents, such as classification systems – the skeletons, so to speak, of bibliographies – or trade and book-fair catalogues, library and sale catalogues, and specialized art bibliographies. These documents offer vital comparative material concerning how the “system of the arts” functioned in a wider context. Emphasis will be laid not just on the “headings” – the various classes, divisions, and sub-divisions that are to be found in the bibliographies – but also on their contents – the books that are listed under each heading. This should permit an understanding of the contours of art as delineated by the early bibliographers and classifiers.

6 Before beginning this rapid survey, we should ask what exactly we mean by art. In a seminal essay published almost seventy years ago, the concept of the “modern system of the arts” was analysed, and its historical development – from antiquity to the late eighteenth century – studied by drawing on a vast array of authors and texts, and with considerable emphasis on the eighteenth century and its theoretical contribution (KRISTELLER, 1951-1952). Research since has largely confirmed and expanded Kristeller’s findings (SHINER, 2001; MATTICK, 2003; BOURDIEU, 1979 and 1992; FARAGO, 1991). Few have really revised or opposed his fundamental thesis and proofs (PORTER, 2009). Kristeller identified five main arts: painting, sculpture, architecture, music and poetry, and felt that certain other art forms could from time to time be added, namely, “gardening, engraving and the decorative arts, the dance and the theatre, sometimes the opera, and finally eloquence and prose literature.” He opened his study by stating that the eighteenth century was widely recognized as a particularly important period in terms

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of art criticism and aesthetics; his hypothesis was that a “system of the arts”, representing an area or domain of human activities distinct from others, also first took shape fully during this same period. In order to prove his theory, he proposed a survey of the history of the “systematic grouping of the arts” from Plato and Aristotle to Kant. He therefore examined ancient attitudes to the arts, the exclusion of the visual arts from the seven liberal arts (and hence from the trivium and the quadrivium during the Middle Ages), the recognition of seven mechanical arts during the twelfth century, the changes made to the trivium and the quadrivium by the Renaissance studia humanitatis (although not to the extent of incorporating the visual arts), the increasing tendency to link the visual arts with the mathematical sciences and with literature throughout the Renaissance, the emancipation of the sciences and thus their separation from the arts during the seventeenth century, and then the full flowering of a system of the arts during the eighteenth century.

7 Throughout the present survey of the arts and the bibliothecae, the five main arts as identified by Kristeller will be referred to. It will however become increasingly evident that within the field of bibliography this is far from representing a “system”. In fact, the five arts are rarely grouped together within the same class in a bibliography or bibliotheca – which still proved to be the case even as late as the beginning of the twentieth century. It will also become clear that the main stages identified by Kristeller in the development of a system of the arts are not quite as easily discerned and distinguished when we take into account texts from other domains, more particularly the bibliographical classifications and the bibliothecae. The visual or fine arts found themselves in varied company over the decades and centuries: sometimes with the mechanical arts, sometimes with one of the liberal arts – arithmetic or poetry; at times they were even omitted entirely. The reasons are multiple, and we here attempt to sketch out some of the principal causes and factors.

8 Over recent decades, art bibliography has been the subject of a number of studies: a bibliography of the genre (BESTERMAN, 1971), a discussion of art bibliographies and the cataloguing of the graphic arts (COCHETTI, 1997), a study of early art bibliographies (STEINITZ, 1972) and a lengthy and detailed historical survey tracing their development from the late fifteenth to the early nineteenth centuries offering an interesting and valuable contextualization (SORENSEN, 1986). This last work will be frequently drawn upon here, as will the results offered in the monumental survey of bibliography published recently, a veritable summa which covers the entire field (SERRAI, 1988-2001). One striking fact emerges from these surveys and studies, namely that art and art history were relative latecomers into the bibliographical arena. The arts do not figure to any meaningful extent in a bibliographical classification or catalogue before the mid- sixteenth century. If the earliest independent bibliography in art is generally identified as being the one added by Raphaël Trichet du Fresne to his Italian edition of Leonardo da Vinci’s Trattato in 1651, it is nonetheless true that this was merely a list of thirty-five titles included in a book (VINCI, 1651; SORENSEN, 1986; STEINITZ, 1972). More than one century later, in 1788, Angelo Comolli published his bibliography including architecture and the subordinate arts (COMOLLI, 1788-1794; SORENSEN, 1986). Ten years earlier, a very lengthy art bibliography had appeared as the twelfth section of Christian Friedrich Prange’s introduction to the arts (PRANGE, 1778). The first autonomous art bibliography covering all of the visual arts was published in 1821; it was in effect the catalogue of a private library, owned by Leopoldo Cicognara (CICOGNARA, 1821; SORENSEN,

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1986). Later in the same century, the union catalogue co-ordinated by the South Kensington museum appeared (Universal Catalogue…, 1870; Supplementary…, 1877; WATSON, 2001; HURLEY, 2008a). Almost at the same time, Ernest Vinet was compiling his work (VINET, 1873 and 1874; HURLEY, 2008a). This stands in stark contrast to, for example, philosophical, theological, and medical bibliography that can all trace their roots back to the sixteenth century (PETZHOLDT, 1866; JASENAS, 1973; FULTON, 1951; BRODMAN, 1954).

Contested affinities: the arts between mathematics and poetry

9 Despite this rather late coming-of-age, the arts were not entirely absent from the great bibliographical endeavours of the past. When Conrad Gesner published his Bibliotheca in 1545, a few titles on the arts featured among the twelve thousand references by more than five thousand ancient and modern authors patiently assembled and presented (according to the medieval tradition) in alphabetical order, by the author’s first name rather than surname (GESNER, 1545; LEU, 2016a). Three years later, no doubt in an attempt to render consultation of his work slightly less laborious, Gesner proposed a second volume of his bibliography; here the same material was organized thematically into twenty-one books (libri), which were in turn divided into sections (tituli) (GESNER, 1548; LEU, 2016b). Gesner’s work was in many ways remarkable and pioneering, and has earned him the sobriquet “Father of bibliography” (BAY, 1916); certainly bibliographies and classifications had existed before his time (NEBBIAI, 1989; BESTERMAN, 1935; TAYLOR, 1945; SERRAI, SABA, 2005), but the scope of Gesner’s work and the innovations he introduced do set his efforts in the field apart from those of his predecessors.

10 While Gesner’s classification was clearly inspired by the trivium and quadrivium, it went far beyond it, incorporating not only the university subjects of law, theology, medicine and philosophy but also the results of other intellectual debates and conquests over the preceding centuries (LE GOFF, [1957] 2014). Earlier classifications, particularly those of the later Middle Ages, and essentially those developed for use by private individuals or in university contexts, had already integrated many of the “new” subjects into their classificatory frameworks (NEBBIAI, 1989), although the arts, crafts and allied trades and techniques did not seem to find a place. In this context, and doubtless inspired by the ideas of Hugh of St. Victor, an early-twelfth-century scholastic theologian who had in his Didascalicon, a guide to the essential studies for all good Christians, included the seven liberal arts and alongside them the seven mechanical arts (hunting, commerce, agriculture, medicine, theatrics, wool-making, and architecture), Gesner devoted his thirteenth book to the non-verbal, mechanical, and useful arts (De diversis artibus illiteratis, mechanicis et aliis humanae vitae utilibus) (PANTI, 2011). Architecture, painting, and sculpture all found a place here, represented by the most important texts of antiquity and of the author’s own time (DALY DAVIS, 1989; GESNER, [1548] 2007): Vitruvius (in several editions), Diego de Sagredo, Leon Battista Alberti, Sebastiano Serlio, Raffaelo Maffei, Albrecht Dürer, Procopius for architecture and Dürer, Alberti, Angelo Decembrio, Perspectiva (an anonymous treatise published in Frankfurt in 1546) and Heinrich Vogtherr for painting. Gesner also included references to the most relevant passages in some of the large reference works – Pliny, Tzetzes, Caelius Rhodiginus

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(Lodovico Ricchieri). As promised in the title, Gesner preferred works written in the classical languages, although he did take into account works written in vernacular languages that he felt to be significant contributions (Serlio and De Sagredo). But the readers who wished to find all the references to books related to art in the Bibliotheca needed to arm themselves with patience and considerable powers of detection, consulting various other sections of the classification such as optics (for books on perspective), history and antiquity (Philostratus, archaeology)... (GESNER, [1548] 2007). Gesner considered that both poetry and music, on the other hand, should each be afforded their own, individual book (four and eight).

11 The struggle by humanists and artists alike to ensure greater recognition for the visual arts alongside the liberal arts, and to confer a more exalted status upon the practitioners of those arts is well documented (KRISTELLER, 1951-1952; FARAGO, 1991; PUTTFARKEN, 2005; HÉNIN, 2003; KEMP, 1990; FIELD, 1997; SHINER, 2001). The attempts by scholars, authors and artists as varied as Alberti, Leonardo, Baldassare Castiglione, Giovanni Paolo Lomazzo and Giorgio Vasari to ennoble the visual arts generally centred on their affinities with two of the liberal arts, namely arithmetic (because of the importance of perspective) or poetry (relying on Horace’s ut pictura poesis). In this context, Gesner’s position would seem to mark a regression for the visual arts: they were not, as Italian Renaissance artists and humanists would have wished, allied with intellectual pursuits but relegated to the mechanical arts. But in fact the situation is rather more complicated than it would at first appear. For in the section on optics, Gesner informed the reader that he had decided not to include painting and sculpture alongside the science of perspective but rather with the non-literate arts. His reasoning is striking: this is not because the arts themselves are per se mechanical, but because their practitioners – the artists – are more likely to be uneducated than educated. This may reflect northern prejudices about art and its lowly status, known for example through Dürer’s infamous complaint (BARKER, WEBB, WOODS, 1999). Gesner’s decision to insert this comment in the optics section, part of the geometry book, does however suggest that in his view if the visual arts were to seek advancement, they would win it because of their connection with the mathematical disciplines rather than poetry.

12 The next bibliotheca to appear adopted the opposite view. For in 1593 the Italian Jesuit scholar Antonio Possevino published his Bibliotheca selecta, an attempt to select from the rapidly expanding field of human learning only what was deemed edifying and useful for good and moral Catholic readers in post-Tridentine Europe (POSSEVINO, 1593; BALSAMO, 2006; ZEDELMAIER, 1992). In this large treatise, one chapter was devoted to the arts of poetry and painting (including sculpture); it was then to appear separately the next year (POSSEVINO, 1594). Possevino thus offered in his bibliographical treatise an endorsement of the theorists’ discussion of the affinities between painting and poetry, a lengthy exegesis on Horace’s famous dictum ut pictura poesis (LEE, [1940, 1967] 1991). Music and architecture on the other hand were incorporated by Possevino into the chapter on mathematics. As has been shown, the number of authors cited is limited (DEKONINCK, 2009). Alongside Plato, Aristotle, Vitruvius, Pliny and Philostratus are to be found Pierre Grégoire, Julius Cesar Scaliger, Dürer, Pomponius Gauricus, Giovanni Battista Armenini, Bartolomeo Ammannati, Gregorio Comanini, Giovanni Andrea Gilio and Gabriele Paleotti. These authors – the ancients and the moderns alike – had all written texts which the Catholic Church could cite in support of its Counter- reformation artistic doctrine; the last five mentioned had actually been involved in

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redefining art and its role after the Council of Trent (DEKONINCK, 2009; BONFAIT, 1994; PRODI, 2012).

13 Gesner sided with Leonardo; Possevino with Lomazzo. But the arts were not always to be afforded this privileged position on the fringes of the artes liberales. In the final decade of the sixteenth century the director of the Vatican library and press, Bishop Angelo Rocca, published his account of the recently constructed Vatican library. Rocca penned a lengthy and detailed description of the sumptuous iconographic program displayed on the walls of the library’s rooms, recently characterized as an excellent example of “text and image” (FRASCARELLI, 2012a and 2012b). He had participated in the preliminary planning of this cycle, which was intended to show the importance of the visual arts for the Catholic Church and the use to which they could be put. He had to this end collaborated closely with the cycle’s main architect, Silvio Antoniano, an advocate of the use that could be made of images in education (ANTONIANO, 1584; PATRIZI, 2010). Nonetheless, the power of images, the dense web of literary and erudite references created on the walls of the library did not, apparently, instil any great respect for the arts and their practitioners into Rocca. In his strictly hierarchical organization of a library into ten classes, painting, sculpture and architecture feature in the eighth class – mechanical arts – in the company of warfare, agriculture, hunting, wildfowling and fishing. Admittedly, Vasari’s three arti del disegno are at last united in one class, but Rocca consigned them to the mechanical and not the liberal arts (ROCCA, 1591), below music (in the third class, mathematics) or poetry (in the sixth and seventh classes, in company with the classical languages). Unlike Gesner, he neither apologized for this decision nor attempted to offer any affiliation between the visual arts and one of the liberal arts.

Early seventeenth-century reticences

14 Bibliographical practice and theory had not necessarily always been very receptive and welcoming to humanist theories of the visual arts. The seventeenth century was not to bring much relief. Throughout this period, attempts to organize human knowledge were common, bibliographical catalogues and treatises multiplied, and some important innovations were to see the light of day; within the main classificatory systems the visual arts were, however, to remain largely marginal. This in turn raises the question of the arts’ relative position: is their marginal position in the classification systems merely motivated by bibliographers’ disdain for these “illiberal” arts, or does it reflect a reality, namely that texts on the arts were not particularly well-known or widely disseminated at this time?

15 As has been shown by Kristeller, the visual arts remained closely tied to the sciences in Francis Bacon’s Advancement of learning, although the English polymath glossed over them rather quickly (KRISTELLER, 1951-1952; BACON, 1605; [1605] 2000; 1620 and [1620] 2004). Christofle de Savigny omitted them entirely from his ornate trees of knowledge first published in 1587 (SAVIGNY, 1587). Much the same can be said of Gabriel Naudé, librarian first to the cardinal Barberini and then to the cardinal Mazarin, both important patrons of the arts. He claimed in his Advis – a guide to the perfect library for a gentleman – that all arts and sciences should find a place in a library, backing his assertion by reference to Angelo Poliziano’s all-encompassing scheme of knowledge, the 1490 Panepistemon (POLIZIANO, 1491; JUŘEN, 1975). Poliziano had indeed included the visual arts

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within a section called mechanical arts (in turn part of philosophy). But Naudé made no mention of either the visual or the mechanical arts in his scheme, which was based on the model of the university faculties and divided knowledge between seven classes: theology, medicine, law, history, philosophy, mathematics, humanities (NAUDÉ, 1627 and [1627] 2008). Frustratingly, Naudé suggested few titles to illustrate his distribution of books into the various classes. One document which does offer some possible clues is the sale catalogue of Jean de Cordes’s library, generally attributed to Naudé himself. Here there are very few texts on the arts, and far from being assembled in one group they are scattered across a number of classes; the treatises by Gauricus and Franciscus Junius are placed in the literature class, architectural treatises come under the heading of philosophy and mathematics, whereas Vasari’s Vite feature in the section on lives of famous men (CORDES, 1643). Only four years after Naudé’s Advis appeared, Francisco de Araoz published in Madrid a text on the ideal library for a gentleman. Fifteen classes are here proposed. Poetry occupies the fifth class, and in the following class, mathematics, are to be found books on music, perspective, painting and the mechanical arts (ARAOZ, 1631; GÉAL, 1999). Araoz offered no precise references to the books that should be included here, and proposed only vague indications of a certain number of authors (ARAOZ, [1631] 1997).

The circulation of knowledge: libraries and book fairs

16 Certainly recent studies would seem to suggest that there were relatively few texts on the visual arts in private libraries during this period (CHATELAIN, 2003). They may have featured on the bookshelves from time to time, but their number was limited, and they could often be classed with texts on philosophy and mathematics, the lives of great men or – more rarely – literature, much as was the case in the Cordes library. The situation evolved gradually over the course of the century, and it is likely that a close examination of private library catalogues and sale catalogues would reveal increased ownership of these texts during the second half of the seventeenth and the early decades of the eighteenth century. A number of reasons for this can be adduced, and they have been studied over the past decades. As Kristeller pointed out in his study of the “system of the arts”, academies were being established (PEVSNER, [1940] 2014; BOSCHLOO, 1989; GOLDSTEIN, 1996). In parallel, aided by stability and economic growth, the art market was blossoming (TRENTMANN, 2012; MONTIAS, 1996; DE MARCHI, VAN MIEGROET, 2006). New markets opened up, collecting and connoisseurship became more important (PEARS, 1988; MACGREGOR, 2007; MICHEL, 2014; KENNY, 2004; GRIENER, 2010). It is surely telling, for instance, that the arts were excluded from the plans for and indeed from the first edition of the French Academy’s dictionary (published in 1694 after sixty years of planning), but this was quickly to be remedied by the publication of Thomas Corneille’s dictionary in the same year (Dictionnaire…, 1694; CORNEILLE, 1694; CONSIDINE, 2014). André Félibien had already led the way when publishing his dictionary of art terms in France, and Filippo Baldinucci’s Vocabolario had also appeared ( FÉLIBIEN, 1676; BALDINUCCI, 1681; GERMANN, 1997).

17 Despite this increased interest in the arts and a steady number of publications destined for both practitioners and more particularly laymen, bibliographers and theorists still seemed reluctant to accord much attention to the visual arts. When Claude Clément, a French Jesuit, wrote his treatise on libraries, he made no mention of the visual arts

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(CLÉMENT, 1635; ROVELSTAD, 2000). Once again this omission may surprise us since Clément was all too aware of the power of images: he actually developed a plan for a pictorial catalogue – a series of emblems to be placed around the library which would guide the reader around the shelves (ROVELSTAD, 1991). Likewise, thirty years later, Johann Heinrich Hottinger, the Zurich theologian and professor of Oriental languages who was also a passionate and talented bibliographer, published a treatise on bibliographical problems in which he emphasized the primordial role of the classification system in the organization and development of a library (HOTTINGER, 1664; LOOP, 2013). But in this treatise, the arts of painting, sculpture and architecture were not included in the five classes of knowledge as defined by Hottinger (theology, philology, law, medicine, philosophy), or their subdivisions. Music, however, was included in the section devoted to mathematics in the philosophy class, and poetry in philology.

18 Book historians and intellectual historians have long emphasized the importance of trade catalogues and more particularly the book-fair catalogues for estimating book production and for evaluating the distribution and circulation of texts and ideas (TAYLOR, 1945; WITTMANN, 1991). In the Frankfurt book-fair catalogues for the late decades of the sixteenth and the early decades of the seventeenth century, the books are not listed alphabetically, but appear under a number of rubrics: generally, “Lutheran theology”, “Catholic theology”, “Reformed theology”, “Law”, “Medicine (and chemistry)”, “History, philosophy and the other humanities”, “Music”. This is also the case with the cumulative editions of these catalogues (CLESS, 1602; DRAUD, 1611). When books on painting, sculpture, architecture and the various mechanical arts were on sale, they were included in the rather indiscriminate class “History, philosophy and other humanities”. In 1625, in the second of his cumulative editions of the Frankfurt book-fair catalogues, the bibliographer, pastor, and former proofreader, Georg Draud, offered a more detailed classification, maintaining the main classes and within them offering a myriad of sub-headings. In the philosophy class we thus find sections on painting and engraving, sculpture, perspective, emblems, optics, physiognomy, architecture and Delineatoria ars. Poetry and Music, on the other hand, each have their own class (DRAUD, 1625). There are, however, disappointingly few titles under each of the above-mentioned art headings, with for example only six titles for “painting”, including Dürer, Alberti and Jost Amman. Similar results are also obtained from a study of the later catalogues, extending well into the eighteenth century. However, before accusing Draud and his colleagues of deliberately minimizing the place of the arts, we must exercise caution. The conclusions that can be drawn from these catalogues can only ever be partial. The catalogues may have been an essential tool for seventeenth- century scholars and book-lovers, but their relevance for the market in art books at that same period must be questioned. In part this must be because, despite the importance of the fairs, Italian publishers and booksellers throughout the sixteenth and even into the early decades of the seventeenth centuries hesitated to bring too many vernacular books (NUOVO, 2003). The rise of the vernacular tradition and the gradual decline of the Latin text may have encouraged many publishers to modify their practices mid-seventeenth-century – although, as has been shown, the rise of the vernacular and the decline of Latin were by no means entirely simultaneous, and the two literary traditions co-existed for several decades; Latin texts still represented two thirds of the books on sale at Frankfurt in 1650 (BURKE, 2004; MACLEAN, 2012). Furthermore, close examination of their inventories suggests that many sixteenth-century publishers

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tended to privilege law, philosophical, and ecclesiastical or religious texts when preparing their wares for the Frankfurt fair (NUOVO, 2003; MACLEAN, 2009 and 2012). The relevance of this type of market for the art book during both the Renaissance and the early decades of the early modern period must be called into question and other possible channels of distribution investigated. In this context, recent work carried out on agents and their role in selling art – and related merchandise – is interesting (KEBLUSEK, 2004; COOLS, KEBLUSEK, NOLDUS, 2006; KEBLUSEK, NOLDUS, 2011).

Art, mathematics, and philosophy

19 On the occasions when the visual arts did feature in classificatory systems or bibliographies during the later decades of the seventeenth century, they were generally associated with mathematics and thereby integrated into the philosophy class. This would seem surprising given on the one hand Kristeller’s insistence on the emancipation of the natural sciences and the increasing separation between arts and sciences during the closing decades of the seventeenth century (KRISTELLER, 1951-1952), and on the other the importance which art history has accorded to the close links between painting and poetry, exemplified by the ut pictura poesis paradigm (LEE, [1940, 1967] 1991). The affiliation with mathematics and philosophy can, for example, be observed in the Leibnizian Idea leibnitiana bibliothecae publicae, probably elaborated circa 1693 (LEIBNIZ, 1718). In his slightly earlier Entwurf for a library, in which he offered a list of appropriate titles for a princely intellectual library, the philosopher indicated three books on perspective, four on art, nine on architecture, and one general work, Félibien’s Principes. Music featured in the same class as the visual arts; poetry in literature. Leibniz also cited an impressive number of titles of books on numismatics and antiquity in the history class (LEIBNIZ (1689), 1954).

20 During the same years, Martin Lipen was working on a large-scale bibliography, published in four parts: law, medicine, philosophy, and theology. Lipen was determined to offer a bibliography arranged by subject rather than by author’s name, and he therefore exploited a system very similar to the one employed by Draud some fifty years earlier. Once he had established his lengthy list of subject headings, he set about organizing the thousands of bibliographical references that he had assembled. The visual arts are mainly to be found in the Bibliotheca philosophica ( LIPEN, 1682), encompassing more than forty thousand references, and covering languages, antiquity, history, philology, poetics, rhetoric, etc., or, as Lipen indicated, polymathia or pansophia. Polymathia, which had been theorized at the beginning of the seventeenth century (WOWERN, 1603; DEITZ, 1995), was understood as a “general science”, a branch of human knowledge that encompassed all the liberal arts (GRAFTON, 1985; WESTERHOFF, 2001). Lipen’s classification remained fairly rudimentary, since there was no attempt to regroup the various branches of the visual arts into one coherent whole, or to understand how these arts and their constituent parts function together as a system. It was, however, a remarkably erudite enterprise, and it is interesting – particularly in the light of the other libraries, bibliographies and systems examined above – to observe quite how many and how varied are the references to artistic literature that he included. Under the heading Pictura: pictorial ars, he listed sixty-six titles, in French, German, Latin, Italian and Dutch. Handbooks for artists, books of models, treatises on practical and theoretical elements of painting, historical texts, and biographies are all

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found here. Lipen began with collective works, or works whose author he had not been able to identify – the Conférences de l’Académie royale (1669), the Descriptions de divers ouvrages (1671), the Ars pictoria (1672) – before proposing a list of the others in alphabetical order, by author. Many of the names are familiar: Amman (six works), Armenini, Giovanni Baglione, Francesco Domenico Bisagno, Michelangelo Biondo, Vincenzo Borghini, Abraham Bosse (two works), Carlo Dati, Roland Fréart, Samuel Hoogstraten, Carel Van Mander, Carlo Ridolfi, Lomazzo, and Federico Zuccari. But much less well-known works such as Jules César Boulenger’s 1627 treatise, Joseph Boillot’s 1604 Neu Termis-Buch, Gabriel Krammer’s handbook published in Prague in 1602 are also to be found here. Under the heading “sculpture”, Lipen proposed ten titles, and for “engraving” only two. For “perspective” he identified thirty-eight works, whereas for “architecture” he found ninety-five and for “antiquities and archaeology” eighty-six. There are also books related to the arts in the sections entitled “Icones, imagines et effigies”, “Emblemata” and “Musaeum”. For works on anatomy the reader has to turn to the bibliography of books on medicine (LIPEN, 1679), and for the cult of images and the use of images, to the theology bibliography – somewhat misleadingly entitled the Bibliotheca universalis ( LIPEN, 1685). Lipen’s work must count as the first significant bibliographical contribution to art history, while at the same time offering a highly eloquent illustration of the problem that we face when studying the place of the arts in the early modern bibliographies and classification systems; there exists a considerable difference between our comprehension of art bibliographies and that of the early modern bibliographers. This results in part from a different understanding of the system of the arts, but also – and more significantly – from very different opinions concerning the nature of the books to be included.

Early art bibliographies and the problems of readership

21 These differences become more evident when we start examining the first art “bibliographies”, published as lists in art books. The earliest example of an independent list of this type occurs in Trichet du Fresne’s 1651 Italian edition of Leonardo da Vinci’s Trattato (VINCI, 1651); it was followed soon after by a similar list in Luigi Scaramuccia’s Finezze (SCARAMUCCIA, 1674). Trichet du Fresne offered a list of thirty-five works; Scaramuccia forty. These bibliographies have been studied in considerable detail (SORENSEN, 1986; STEINITZ, 1972; BIAŁOSTOCKI, 1988). In the context of an inquiry concerning the place of art in bibliographical systems they are important for three main reasons. First, the two lists betray a wish to ensure a wide linguistic range. Italian texts are in the majority, but there are also two texts in German (Amman and Valentin Boltz), one in French (Bosse), one in Dutch (Van Mander) and even one in English (Henry Peacham’s Complete Gentleman). This last work was by no means an art- historical text, containing only thirty-four pages on art, its practice, its theory and its history, but it was the only text in English at that time incorporating some, albeit rudimentary, details on art (OGDEN, OGDEN, 1947; HURLEY, 2011a). Second, they reveal differing attitudes towards the organization of this type of list. Trichet preferred a thematic grouping. The practical and theoretical texts are at the head of the list, followed by biographies, and historical and topographical works come at the end. Scaramuccia opted for a straightforward chronological order. This formal difference

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has been attributed to the fact that the two works were aimed at different readerships (SORENSEN, 1986). This in turn leads to the third point since it raises the question of whether we can identify an author’s readers, albeit implicit readers (GERMER, 1997). Studies of the sociology of readers and work on reading practice have tended to hesitate between two main positions (KALIFA, 2005). Earlier work identified strong fault lines between what were sometimes identified as high and low reading cultures, savant and popular texts (MANDROU, 1964; BAKHTINE, [1965] 1970). More recently this distinction has been called into question and the focus placed on the way in which texts were read and appropriated rather than by whom (CHARTIER, 1986 and [1995] 1997).

22 The bibliographies do in fact raise questions concerning readership, the possible identification of multiple audiences, and also the appropriation of texts by various individuals and groups, more particularly laymen and practitioners. These questions are in turn important for our comprehension of the arts’ integration into larger, less specialized systems. Trichet’s bibliography stood apart, as an independent list, in the book; earlier texts had already offered guides to recommended reading, but these simple lists were found in the main body of the text (ARMENINI, 1586; LOMAZZO, 1590; BIAŁOSTOCKI, 1988). Armenini offered two series of texts, one of the Libri che son connessi con la Pittura, where he enumerated Vitruvius, Serlio, Alberti, and Daniele Barbaro. The other, longer list was of Libri necessarii al Pittore. Here are to be found works that could offer the artist inspiration (or inventio), a selection of classical authors, sacred texts, contemporary literary texts. Lomazzo followed the same path, proposing a section on Scrittori diversi di pittura, and citing – among others – Alberti, Gauricus, Andreas Vesalius, Vignola, Dürer, Sebald Beham, Vasari, Antonio Francesco Doni, Lodovico Dolce, Biondo, Paolo Pino, and Benedetto Varchi. Lomazzo’s second list, on Libri necessarii ai pittori is, by comparison, highly deceptive, amounting to no more than a list of disciplines with which the artist must familiarize himself: holy texts, mathematics, poetry, hieroglyphics, history, architecture, anatomy, and many other sciences and arts. Trichet’s bibliography is entitled an Indice de gli altri libri che trattano della pittura e del disegno, comme ancora di quelli dove sono descritte le vite de’ pittori e le opera loro. Scaramuccia’s main list of forty books is entitled Catalogo degl’autori c’hanno scritto di Pittura. But he did not stop there. In a second list, this time incorporated into the main body of the text, he presented the names of a number of important authors, mainly from antiquity, but also some sacred, historical and literary texts. This list is designated Quali i libri più necessarii per gl’elevati pittori (BIAŁOSTOCKI, 1988). The same phenomenon can be observed in Orlandi’s Abecedario (ORLANDI, 1704), where a number of lists of books are appended to the main dictionary. The first is of books on painting, drawing, and sculpture, the second of books on architecture. Thereupon follows a list entitled De libri servibili, necessarii ed utili ai pittori e scultori. Here, under a series of headings such as anatomy, costumes, capriccios, mythology, bible, ancient history are a number of important works. Orlandi then concluded this list by saying that some of the works in the first bibliography might also be important for artists, indicating fifteen of them, including Dürer, Charles-Alphonse Dufresnoy, Bosse and Armenini.

23 These various examples – Armenini, Lomazzo, Scaramuccia, and Orlandi – do raise several interesting questions concerning readership and the use made of texts on art. When Orlandi offered two different lists is it because he envisaged two distinct readerships, one of laymen and one of practitioners? Is it because he wished to inform non-specialists of the artists’ approach to creation? One striking fact does become clear

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after a careful examination of the bibliographies and more especially the bibliographical theories and bibliothecae: the books which Armenini, Orlandi, Lomazzo and Scaramuccia identified as essential reading for artists are never included alongside books on the visual arts in the general classification systems. They do feature, but elsewhere – in the literature, history, science, or theology classes. We are left with the impression of two distinct bodies of texts – one aimed at laymen and the other at practitioners. The main classification systems do not seem to have sketched out the contours of an art world that could associate practical knowledge and historical or theoretical expertise and judgement. It was to be another century before these “auxiliary sciences” were at last to take their place alongside art books; the first steps were in any case taken in the specialized art bibliographies and not in the more general classifications or bibliographies.

24 These bibliographies and their alternative lists also cast some light on a question that has interested art historians over recent decades, namely the artist as reader. Which books were artists reading, and how were they reading them? If we are forced to concede that the artist did not correspond entirely to the image of a doctus artifex, we can still question the use made by the artist of the various titles quoted by Armenini, Scaramuccia, Lomazzo, Orlandi and others. We can also analyse the evidence available in various archives and inventories (BIAŁOSTOCKI, 1988; AMES-LEWIS, 2000; GOLAHNY, 2003; DAMM, THIMANN, ZITTEL, 2013). Of equal significance, clearly, is to understand the importance of texts in academic teaching, and the weight that the academies accorded or not to their collections and libraries (PEVSNER, [1940] 2014; BOSCHLOO, 1989; GOLDSTEIN, 1996). The evidence available from, for example, the Parisian Conferences can add some useful information (LICHTENSTEIN, MICHEL, 2006-2015), although we should maybe not imagine that the entire artistic community shared the apparent lack of interest in or disdain for textual sources expressed by those who participated in the infamous discussion in 1653 in the Paris Academy (COJANNOT-LE BLANC, 1997). Comparisons can also be drawn with the use and the possession of books by architects and – by extrapolation – by the academies of architecture, although Białostocki observed that architects tended to possess larger and better-stocked libraries (GIUMANINI, 1995; SCHÖLLER 1992; MEDVEDKOVA, 2009; LENIAUD, BOUVIER, 2002; HURLEY, 2008b; 2011b and 2012).

The Parisian booksellers’ system: sciences and arts on an equal footing

25 By the turn of the eighteenth century, the union between mathematics and the visual arts (and thus philosophy) in the main classificatory systems was becoming commonplace. When the Jesuit Jean Garnier, who was the librarian at the Collège de Clermont, published his proposal for a bibliographical scheme in 1678, he organized all human knowledge into four main classes – theology, philosophy, history and jurisprudence (GARNIER, 1678). By dint of dividing and subdividing these classes he managed to create four hundred and sixty-one separate subdivisions. The second division in the philosophy class was mathematics; the fourteenth and fifteenth subdivisions of mathematics were for music and musical instruments, the eighteenth was for painting, the nineteenth for sculpture and the twenty-second to twenty-fifth for architecture. Poetry occupied the sixth division.

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26 The simplicity of this system allied with its admirable flexibility ensured that it was to remain in favour for many decades. It was to undergo two significant modifications at the beginning of the eighteenth century, at the hands of booksellers and essentially for the purposes of sale catalogues that they were producing. Prosper Marchand modified the order of the classes, placing law before philosophy, and also split philosophy into two sections, philosophy and humaniores literae, thus separating poetry from the other arts (MARCHAND, 1706; BERKVENS-STEVELINCK, 1978). Marchand placed the books on the arts at the very end of the mathematics section, which was in turn the last section in the philosophy class. Five years later, Gabriel Martin then renamed philosophy sciences et arts when preparing the Bibliotheca Bultelliana ( MARTIN, 1711). The classification that Martin established came to be known as the système des libraires de Paris (PORTES, 2011). It was described at length in the article “catalogue” in the Encyclopédie ( DIDEROT, D’ALEMBERT, 1751-1780). Martin’s system of knowledge was organized around five classes: theology, law, sciences and arts, literature and history. Within his third class there were four groups, namely philosophy, medicine, mathematics, and the arts. These last were in turn organized in seven divisions: the arts of memory; writing, printing, and hieroglyphics; painting, drawing, sculpture, and engraving; architecture; warfare; mechanical arts; gymnastics, equitation, and games. Music, however, was left in the mathematics class, and poetry was classed with literature. As had so often been the case in the past, this was a fragmented view of the literature on or relating to art. The lives of the artists were placed with other biographies at the end of history; the works of Ovid were to be found in poetry, Vincenzo Cartari in antiquities and Vesalius in medicine.

27 The longevity of this system becomes quite clear when we consider that almost one hundred and sixty years later, in the fifth edition of his Manuel du libraire, Jacques- Charles Brunet was still largely faithful to it (BRUNET, [1810] 1860-1865; STODDARD, 2007). Certainly he had not left the system exactly as he had inherited it, but had made some important modifications. In the very first edition of his Manuel ( BRUNET, 1810), he presented a new version of the class sciences et arts. He divided this into two main groups, sciences on the one hand and arts et métiers on the other. Within this second group, the fine arts occupied the second division, after mnemonics but before arts et métiers and sports. This was the system that Brunet followed until 1842 when he published the fourth edition. Here the groups have been abolished, and sciences et arts is composed of one continuous sequence of nine divisions (BRUNET, [1810] 1842-1844). Philosophy and the natural sciences and mathematics occupy the first divisions, followed by the fine arts, the arts et métiers, and sport. The fine arts have here at last been liberated from their subordination to the arts et métiers, a very important step taken by Brunet. The fine arts as he defined them include drawing, painting, sculpture, engraving, architecture, and music. The next (and final) edition of his magnum opus once again proved his modernity, since he had rapidly assimilated the new art of photography into the category of the fine arts (BRUNET, [1810] 1860-1865; ROUILLÉ, 1982; KEMP, AMELUNXEN, [1839-1912] 1980).

28 In one respect, nonetheless, Brunet proved to be resolutely opposed to change. As late as 1860, the reader who wished to find information on the biographies of artists had to turn to the biography section at the end of history (BRUNET, [1810] 1860-1865). The same reader who wanted information on anatomical treatises used by artists needed to turn to the medical sciences section, and would find most of the books on iconology and

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emblems in the literature section. Brunet’s reaction was all the more surprising, given that important bibliographies published in Germany, France and England had already decided to integrate the “ancillary disciplines” into art bibliographies; the earliest steps in this direction had in fact been taken almost exactly one century before Brunet’s last edition of his Manuel.

The growth of art bibliography and the recognition of the ancillary disciplines

29 Throughout the closing decades of the eighteenth and the opening decades of the nineteenth century important work had been done in art bibliography in Germany, Italy, and England. Probably the most important feature of all these bibliographies is their inclusion of the “ancillary disciplines”. In 1770, Christophe Théophile von Murr published his Bibliothèque ( MURR, 1770). This two-volume work offers a wide-ranging survey of the arts of painting, sculpture and engraving – architecture is excluded, as are music and poetry – organized in twenty-five chapters. The wealth of references offered by Von Murr is impressive, as is his decision to include the works that, as we have seen, may have been included in reading lists for artists, but were not traditionally placed alongside the theoretical and practical treatises on the fine arts in the large bibliographical systems. Von Murr thus devotes a chapter to anatomy, and one to mythology, costume, and allegory. Eight years later, Christian Friedrich Prange published a two-volume theoretical, practical and historical treatise on art (PRANGE, 1778; DILLY, 2005). The twelfth chapter constituted a lengthy bibliography: seventy-seven pages containing over eight hundred references. The bibliography is organized into five sections – general works, works dealing with one art, historical descriptions and accounts, the history of the arts and “manuals for artists in ancillary disciplines”. Here the reader finds works on sacred and profane history, mythology, emblems, numismatics, perspective, and science. A few years later, in Rome, Angelo Comolli published his four-volume architectural bibliography (COMOLLI, 1788-1794; SORENSEN, 1986). Here the first two volumes are devoted to general works on the fine arts, to the history and theory of the fine arts, and to artists’ lives. In the third volume Comolli includes works that are relevant to architectural practice, on law, literature, perspective, mathematics, history, philosophy, music, medicine, astrology, and mechanics. It is only, as he admits himself, in the fourth and final volume that he actually discusses architectural books.

30 Many of these bibliographies were of course being produced and published during a period that was marked by significant contributions to art theory and history, most especially Johann Georg Sulzer’s epochal article (adapted from his Allgemeine Theorie) on the fine arts (SULZER, 1772; DELOCHE, DÉCULTOT, 2005). What is interesting in these works is their great modernity – their insistence on opening up the field of the arts to include mention of the allied or ancillary disciplines – combined with methods that are decidedly conservative. Both Von Murr and Comolli (Prange managed to resist the temptation) produced bibliographies which remain rooted in the scholarly enterprises associated with historia literaria (GRUNERT, VOLLHARDT, 2007): they added copious notes, judgements, lengthy descriptions, discussions of the relative merits of a work, and – especially in the case of Von Murr – anecdotes on artists and on works of art. The boundaries between the bibliography and the art lover or connoisseur’s personal

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textual instrumentarium are here blurred, to such an extent that the work can become difficult to use as a bibliography (GRIENER, 2004).

31 That the battle had not been won, despite the work carried out by, on the one side, the Parisian booksellers and, on the other, the authors such as Prange, Von Murr and Comolli, becomes clear when we turn to the weighty and important treatise on bibliography published in Vienna by Johann Nepomuk Cosmas Michael Denis in 1777 (DENIS, 1777-1778); a second edition appeared twenty years later. Denis organised a library into seven classes – theology, jurisprudence, philosophy, medicine, mathematics, history, and philology. Poetry is in the last-named class, while the other arts are all to be found in the fifth class – mathematics. Here, architecture stands alone, in a division entitled “Baukunst”. Music however is placed at the end of the section on Acoustics, and painting and sculpture at the end of Optics. Almost two hundred and fifty years after Gesner, the visual arts are still subordinated to perspective and optics. Furthermore, Denis’s understanding of the arts offers a frustrating mix of conservatism and . Much as had Prange and Von Murr, Denis included a wide range of texts in his list of books on the visual arts – treatises, manuals, dictionaries are all to be found here, as are museum catalogues and travel accounts. But, faithful to the sixteenth and seventeenth-century bibliothecae, he still consigned the lives of artists to the biography section in the history class, works on antiquities and antiquarianism to archaeology (in the philology class), mythology and fables to literature, and anatomy to anthropology. Interestingly, Denis made no mention of the relatively new science of aesthetics in his 1777 edition; it was not until 1795 that he indicated that art’s “soul” (Geist) is dealt with under the heading “Aesthetics”, to be found in “Literature – Criticism”, citing a wide range of texts including those by Alexander Baumgarten, Longinus, Henry Home, Charles Batteux, August Wilhelm Schlegel, Alexander Gerard, Jean-Pierre de Crousaz, Yves-Marie André, and Immanuel Kant (DENIS, [1777-1778] 1795-1796).

The nineteenth-century bibliographical systems

32 It was not until the early nineteenth century that the fragmentary bibliographical tradition at last gave way to a more all-embracing approach. In 1812, Johann Samuel Ersch published the first volumes of his bibliography of German books from the mid- eighteenth century until his time (ERSCH, 1814; SORENSEN, 1986; HURLEY, 2008a). The seventh part of this vast undertaking was devoted to the fine arts. Ersch offered a system of arts that was far wider than that presented by any of his predecessors: drawing, painting, engraving, sculpture, engraved stones, architecture, gardens, poetry, rhetoric and literature, and music. Ersch also integrated into the body of artistic literature works that in earlier bibliographies had been assigned to other classes. Thus he included aesthetics, artistic biography, archaeology, perspective, travel accounts, and anatomy. In order to accommodate this wide range of subjects and genres, he applied a huge and highly intricate multi-branched classification system, multiplying the classes, the divisions, the sections, and the subsections, which he indicated by means of a complex annotation, employing numbers, parentheses, upper and lower case letters, single and double letters, and even Greek letters. The major drawback of this bibliography becomes clear at a glance. Ersch opted for an octavo format: the small pages render it impossible to do justice to such a complicated classification with so many branches.

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The reader rapidly loses his way in what seems more like a labyrinth than a logical organization of art books. It was an ambitious classification, and one that was not to win many admirers. The next important art bibliography – which was in effect the catalogue of a private library – was in some ways very different from Ersch’s. Leopoldo Cicognara opted for a much simpler system (SORENSEN, 1986; CICOGNARA, 1821; FEHL, 1999; STEINDL, 2014) whereby he organized almost five thousand bibliographical references into only forty-two classes. Cicognara also believed that the “ancillary” subjects should be integrated into his collection and thus his catalogue; on the other hand, the only works on music and literature found here are closely related to the visual arts.

33 But what remained of the dream of exhaustiveness, of a “library without walls” that could encompass all literature on art and, better still, organize it rationally? In 1864, Henry Cole, director of the South Kensington Museum, suggested that a universal catalogue should be made of all books on art that had appeared in any language (BONYTHON, BURTON, 2003; HURLEY, 2008a; WATSON, 2001). The team working on the project pored over both printed and manuscript catalogues of all the big private and public collections in the United Kingdom and in Europe; foreign scholars were questioned and a public consultation launched via the national press. Ninety-five thousand references were assembled and the editorial team published in 1870, in one long alphabetical sequence, a bibliotheca nominalis. The project was vastly ambitious and further volumes were planned – including one with the books organized by subject – but apart from one supplementary volume published seven years later, the other planned works unfortunately never came to pass.

34 The classification scheme that could have been used to sort and organize all these references but was sadly wanting in the British project was nonetheless being elaborated in Paris at the same time. Ernest Vinet, an archaeologist who was engaged on building up the library at the École des Beaux-Arts, published not only the library’s catalogue, but also a scheme for a classification of the literature on the fine arts (VINET, 1873 AND 1874; HURLEY, 2008a). Vinet’s premature death in 1878 effectively brought the project to an end after only two parts had been issued, the second of which did nevertheless contain a six-page plan of his classificatory structure. Most of the previous century’s conquests are integrated into this plan: the “ancillary” disciplines are present, and so too are the artists’ lives. The arts are defined as drawing, architecture, sculpture, painting, engraving, lithography, photography, and – more surprisingly, but a result of the International Exhibitions and of increasing industrialization – the industrial arts (furniture, ceramics, tapestry, gold and silverware). Poetry and music are thus excluded, gardening is however included.

35 While Vinet was working on his art classification, a new universal classification scheme encompassing all human knowledge was being drawn up by a librarian working at Amherst College Library, Melvil Dewey. Dewey divided human knowledge into ten classes, among which is to be found one class for the “Useful arts” (class 600) and one for the “Fine arts” (700) (DEWEY, 1876). The fine arts had at long last been awarded the long coveted prize of occupying a class of their own in a bibliographic system. Vasari’s arti del disegno are here accompanied by gardening, drawing, engraving, photography, music and amusements. Poetry finds a place in the next class, Literature (class 800). Many of the ancillary disciplines – such as anatomy, numismatics, iconography – feature in the fine arts class; others, albeit ostensibly closely related, such as emblems

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and symbolism, mythology and fable, are placed in other classes. Artistic biography is to be found with other biographies in the history class, the final class of the series.

36 Putting art in its place proves to have been a lengthy and often contradictory process. The status of the arts in early bibliographies and classification systems was, as this rapid survey indicates, far from stable. Moreover, from the bibliographical (or the classificatory) point of view it is anything but easy to identify a “system of the arts”, or even a straightforward and linear emancipation of the arts, allowing them to exist as an autonomous field of study. Vasari’s three arti del disegno were not always grouped together in one class or cluster of knowledge – architecture was often separated from painting, sculpture, and the allied arts of drawing and engraving. As for poetry and music, they were rarely classed with the visual arts, even in the eighteenth- and nineteenth-century bibliographies; Ersch represents the one notable exception to this rule. It is equally difficult to identify one subject or class of knowledge with which the visual arts were always or even most usually associated. From time to time – and even for relatively lengthy periods – the arts were overlooked and omitted entirely. When they were included, they found themselves allied with various other disciplines, generally the mathematical sciences, more rarely poetry and the mechanical arts. Intellectual skirmishes of this type were sometimes won, but this was no guarantee that the conquests were permanent; the visual arts could be “ennobled” in one classificatory system, only to see themselves relegated to a less exalted position some years later. Most striking of all, perhaps, in this respect, is that well into the eighteenth and the nineteenth centuries the visual arts were far more often associated with the mathematical subjects than with poetry; this in turn raises the question of to what extent the ut pictura poesis paradigm had been fully appreciated and assimilated outside the domain of art theory and artistic writings. None of this negates or contradicts directly the conclusions reached in earlier studies on the position of the arts, most notably those by Kristeller and Lee. What it does do, however, is to add an interesting complement to those studies. The system of the arts as defined and expressed by a determined, maybe sometimes apologetic, art literature is very different from the various systems of arts that feature in large-scale bibliographies, bibliographical classifications or bibliothecae. Furthermore, close analysis of the bibliothecae and of the titles that they include hint at the considerable gap that at times existed between two art worlds and two bodies of artistic literature, one consulted by scholars and connoisseurs, the other by the artists themselves. Many of the titles familiar to and used by the artists – if we are to believe authors such as Orlandi and Armenini – do not feature in the universal bibliographies under the heading “art”. If they are to be found, it is in many distinct classes, and much skill, luck and patience are required to locate them. The contours of art were less clearly defined and often shifting in the early bibliothecae – and it was not until the nineteenth century that, under the impact of Sulzer’s vision of art as a system, they began to be mapped out more clearly and more permanently.

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– WATSON, 2001: Rowan Watson, “Adding Effectively to the National Resource on Art, Craft and Design: A View from a Museum Library,” in Liber Quarterly, 2001, p. 307-314.

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ABSTRACTS

The desire to gather, organize and classify knowledge has long manifested itself. In a library the books are arranged on the shelves in order to facilitate their retrieval. Similarly, in the large catalogues of books and bibliographies compiled over the centuries (“libraries without walls”), references are organised alphabetically or thematically (or using a combination of both). This article attempts to identify and examine the position of the arts within the major bibliographical systems, bibliographies and bibliothecae that have been published since the mid-sixteenth century. It therefore asks which arts were included, and questions how far we can identify a “modern system of the arts”. It also identifies the disciplines with which the arts were most frequently identified and connected (mechanical arts, sciences, literature and poetry). Careful reading and analysis of the bibliographies also raises related questions concerning the readership of artistic literature.

Le désir de collecter, organiser et classifier le savoir est très ancien. Dans une bibliothèque, les ouvrages sont disposés sur les rayonnages de façon à faciliter leur localisation. De même, dans les grands catalogues de livres et dans les bibliographies dressées au fil des siècles (les « bibliothèques sans murs »), les références sont classées par ordre alphabétique ou thématique (ou un mélange des deux). Cet article s’efforce de déterminer la place qu’occupent les arts dans les grands systèmes bibliographiques, les bibliographies et les bibliothecae publiées depuis la moitié du XVIe siècle. Il s’agit donc de savoir quels arts précis sont inclus et de déterminer si l’on peut identifier un « système moderne des arts », mais aussi d’identifier les disciplines auxquelles les arts sont le plus fréquemment rapportés ou assimilés (arts mécaniques, sciences, littérature, poésie). Un examen attentif des bibliographies soulève également des questions apparentées concernant le lectorat des textes sur l’art.

INDEX

Mots-clés: bibliothèque, bibliothèque virtuelle, bibliographie, classification, système de classification, catalogue, histoire de l'art, art, système moderne des arts, discipline, ordre, livre, librairie Geographical index: Europe Parole chiave: biblioteca, biblioteca virtuale, classificazione, sistema di classificazione, catalogo, storia dell'arte, arte, sistema moderno delle arti, disciplina, ordine, libro, libreria Keywords: library, virtual library, bibliography, classification, classification system, catalogue, art history, art, modern system of the arts, discipline, order, bool, bookshop Chronological index: 1500, 1600, 1700, 1800

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AUTHORS

CECILIA HURLEY Cecilia Hurley teaches museology and the history of museography at the École du Louvre and art history at the University of Neuchâtel. She is currently completing a book on masterpiece rooms in European museums during the nineteenth and early twentieth centuries, and preparing a study on Maximilien de Meuron.

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Les bibliothèques d’artistes : une ressource pour l’histoire de l’art Artists’ Libraries: A Resource for Art History

Ségolène Le Men

1 Les bibliothèques d’artistes1 représentent en histoire de l’art un terrain d’enquête relativement récent (LEVAILLANT, GAMBONI, BOUILLER, 2010), comme le sont en littérature celles des écrivains qu’a mise en évidence la génétique littéraire (D’IORIO, FERRER, 2001 ; LECLERC, 2001 ; MARTEL, 2004 et 2008), notamment à l’Institut des Textes et Manuscrits Modernes (ITEM), où est conduit en 2015-2016 le projet de mise en ligne de la bibliothèque de Nietzsche2. Notre proposition sera ici d’en considérer la collecte et l’étude comme une ressource pour l’histoire de l’art d’aujourd’hui. En effet, le choix des livres détenus ou lus par les artistes exprime leur personnalité, leurs goûts, plus largement leur culture intellectuelle, leur prise en compte des débats contemporains, leurs engagements politiques, leur connaissance de l’histoire de l’art et de l’art contemporain. L’identification des titres d’une bibliothèque d’artiste permet d’en suivre les évolutions, lorsque les dates d’acquisition ou de lecture sont connues ; de plus, souvent, ces livres et imprimés entrent en jeu dans la genèse artistique, qu’ils soient sources d’inspiration, de sujets littéraires, de transpositions stylistiques, ou deviennent, à l’atelier, un matériau artistique quand le papier couvert de signes n’est plus seulement lu, silencieusement ou à haute voix, mais que son espace typographique est appréhendé, ou bien qu’il jonche le sol, froissé, collé, ou découpé (chez Picasso, ou Bacon). Le point de départ de notre enquête a porté, à partir du fonds de l’Institut conservé à Giverny, sur la bibliothèque de Monet (LE MEN, MAUPEOU, MAINGON, 2013), qui n’avait guère été exploitée, en dehors des livres sur le Japon dont les éléments avaient été commentés en lien avec sa collection d’estampes japonaises3, tant la légende du peintre impressionniste, qu’il avait lui-même cautionnée, le plaçait du côté de la sensibilité optique plutôt que des mondes intellectuels et littéraires. Le savoir « liseur » déplace les perspectives sur son art qui redevient lettré ou engagé, non sans résonances imprévues4. Il détient des guides de voyages qu’il annote, des livres d’art et des catalogues de ventes, il est un fidèle abonné de La Revue blanche et de revues de jardinage, il lit Hugo, Flaubert, Baudelaire, Zola, Goncourt, Huysmans, Maupassant,

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Taine, Duret, Geffroy, Mirbeau, Rollinat, Mallarmé, Dostoïevski et enfin Proust. Ce panorama de lectures conduit à le situer face aux courants littéraires depuis le naturalisme jusqu’au symbolisme auquel font écho les Nymphéas5, et enfin à signifier son inscription dans l’actualité de son époque, aux côtés des Dreyfusards ou de l’académie Goncourt. Ce corpus reste l’échantillon significatif d’un projet plus ample, conduit avec le labex Les Passés dans le présent, de mise en ligne, proposée à leurs détenteurs, des fonds de bibliothèques d’artistes. Après un état de recherches sur la question en vue d’en indiquer les enjeux, nous proposerons ici des pistes méthodologiques de travail dans la perspective de la mise en place d’un réseau de recherche en lien avec les maisons d’artistes et les musées littéraires, dans un contexte où les apports du numérique permettent de traiter ces ensembles, et d’en percevoir les interactions.

Questions préliminaires

2 Qu’appelle-t-on bibliothèque d’artiste ? Pourquoi et comment s’y intéresser ? Ce sont là des questions à poser d’emblée. Une bibliothèque d’artiste est un ensemble de titres (de livres, de revues, de fascicules...) ayant appartenu à un artiste, quel que soit son domaine d’expression, et susceptibles d’avoir été lus, feuilletés ou consultés par ce dernier. Dans le cas d’ouvrages illustrés de reproductions, leurs images permettent en outre de mieux connaître les références visuelles des artistes considérés, en concrétisant, au moins en partie, leur musée imaginaire. Elle inclut généralement aussi les ouvrages reçus en hommages, les publications (catalogues d’exposition, essais ou autres éléments de littérature artistique) traitant de l’œuvre de son détenteur et témoignant de sa réception et de son public, et enfin les éditions illustrées, les livres de peintre ou « de création », les livres-objets, les multiples, les revues d’artistes dans lesquels il est lui-même intervenu... : de tout temps les artistes ont été impliqués dans la chaîne de la mise en livre (manuscrit ou imprimé), ce qui témoigne de leur relation à la littérature et aux savoirs ; avec les multiples, ils se sont eux-mêmes saisis du médium du livre, de l’imprimé, de l’écrit, des pratiques de lecture (extraits, fiches), voire de la bibliothèque, pour les intégrer à leur démarche de création, selon un rapport qui lie théorie et pratique, de manière souvent militante.

3 Pourtant, à peine cette définition est-elle posée que surviennent les difficultés : ne convient-il pas également de prendre en compte, en plus des livres ayant appartenu à un artiste, les livres prêtés par d’autres, les consultations faites en bibliothèque, les lectures de volumes non conservés ou la circulation orale des idées dans les conversations, et bien sûr aujourd’hui la lecture en ligne? Comment s’assurer qu’un livre a été lu ou non ? Comment juger de son importance pour l’artiste-lecteur ? Comment, surtout, prendre en compte non seulement les usages du livre mais aussi la temporalité dans laquelle ont pris place les lectures, appréhender les relectures, déterminer leurs regroupements différents selon les projets ? C’est par l’analyse de toutes sortes d’indices – tels les marques et traces portés sur les exemplaires possédés, les dates d’acquisition, les témoignages de lecture ou relecture livrés par les correspondances et les journaux personnels, et aujourd’hui les blogs –, et la confrontation de sources, que l’on tentera de répondre à ces questions, tout en reconnaissant que le projet d’étudier une bibliothèque d’artiste ne saurait prétendre à l’exhaustivité, puisque toute liste suppose un état figé, et ne saurait rendre compte de

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la dynamique temporelle des lectures effectives ni de leur impact sur la création. Enfin, dernière question, cela vaut-il la peine d’entreprendre une enquête inévitablement laborieuse ? Quel en est l’apport pour la connaissance de l’artiste et pour l’histoire de l’art ?

4 Beaucoup de ces questions resteront sans réponse, bien qu’elles méritent d’être posées. Ainsi le cas d’Isidore Isou, acteur et théoricien du lettrisme, reste une aubaine sans équivalent, dont la trouvaille a été publiée (FLAHUTEZ, MORANDO, 2014, p. 51, ill. p. 184), alors que l’on préparait l’entrée du fonds au Centre Pompidou : Isou conservait les souches de ses bordereaux de consultation – souvent à la place 140 de l’hémicycle ! – et d’emprunt à la Bibliothèque nationale. Il dressait son programme de lectures en les remplissant à l’avance : 500 bulletins, classés par domaines dans des enveloppes (« médecine », « philosophie », « physique-chimie »), furent retrouvés, avec 540 autres documents, livres et feuilles volantes, dans le tout petit appartement de la rue Saint-André-des-Arts qu’il occupa de 1965 à son décès en 2007 où se trouvaient également des notes bibliographiques, par bribes, sur près de 400 petits bouts de papier épars (FLAHUTEZ, MORANDO, 2014, p. 29-30).

5 Face à un ensemble, même fragmentaire, de « bibliothèque d’artiste », il conviendra d’en saisir les caractéristiques, et d’en préciser la période de constitution, en tenant pour acquis que l’on n’accède jamais qu’à une estimation et que l’expérience de la lecture reste intime. De plus, les modalités de lecture sont variables, selon les types de livres et leurs usages, et selon les circonstances : chez soi, à l’atelier, en voyage, dans un train... Les portraits de lecteurs et de lectrices peuvent livrer des indications sur les façons de lire, dans l’absorbement, selon la formule de Michael Fried, ou la distraction, dans l’étude ou le loisir. Cela étant dit, le résultat obtenu peut s’avérer substantiel et passionnant malgré tout. Ainsi le fonds conservé pour Monet à Giverny, probablement lacunaire comme en témoignent des allusions à des titres absents de ce fonds dans sa correspondance, n’en demeure pas moins une source très précieuse pour les recherches à venir sur le peintre. Il a été possible d’en délimiter la période d’acquisition ou de réception des ouvrages au séjour à Giverny (de 1883 à la mort de Monet), et de composer un histogramme des acquisitions en tenant compte de la datation des 700 exemplaires et des envois6. L’ensemble réuni s’est avéré suffisamment significatif pour permettre d’établir une typologie des genres de livres et des pratiques de lectures de Monet, qui, s’il avait alors pratiquement abandonné la figure pour le paysage, avait souvent peint sa première femme Camille en lectrice attentive dans les années 1870, et pris la lecture pour thème de ses portraits d’artistes ou de ses autoportraits. Enfin, l’étude, en cours, des reproductions illustrant les ouvrages fait apparaître un répertoire d’images disponibles à l’artiste.

De l’archipel des enquêtes monographiques à la constitution d’un champ de recherche

6 L’ouverture d’un chantier de recherche sur les bibliothèques d’artistes a été encouragée dans le contexte de l’étude des relations entre l’art et la littérature conduite en Angleterre autour de Jean Seznec (SEZNEC, 1972), l’éditeur des Salons de Diderot. Dans les mêmes années, commençaient les enquêtes monographiques menées sur les livres de Degas (REFF, 1960) puis de Cézanne (REFF, 1972) par Theodore Reff, historien de la peinture impressionniste, qui, plutôt que de présenter comme John Rewald le groupe

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ou comme Robert Herbert ses enjeux socio-politiques, s’intéressait aux sources, aux copies et aux reprises, ainsi qu’à la pensée des peintres de la génération de la nouvelle peinture, comme l’indique le titre de l’un de ses ouvrages ultérieurs : Degas, The Artist’s Mind (1976).

7 La recherche sur la sémiologie du texte et l’image s’est poursuivie en Grande-Bretagne, notamment à Dublin, autour de Barbara Wright, spécialiste (comme Anne-Marie Christin7) du peintre-écrivain Eugène Fromentin, et de son collègue David Scott, auteur d’un livre sur la « poétique pictorialiste » des poètes du XIXe siècle, des Parnassiens à Mallarmé (SCOTT, 1988 ; CONROY, GRATTON, 2005). C’est en travaillant à sa monographie sur Fromentin chez les descendants de l’artiste que Barbara Wright découvrit un fonds de livres conservés dans la maison familiale et put analyser la bibliothèque de Fromentin dans une revue d’histoire du livre (WRIGHT, 1985 et THOMPSON, WRIGHT, 2008, p. 26 et p. 438, D 135-138). Tout en précisant que ce fonds réunissait des livres ayant appartenu à différents membres de la famille et en indiquant comment les lectures avaient pu s’entrelacer d’un ensemble à l’autre8, elle prit le parti de circonscrire son étude aux exemplaires indiquant une marque de possession du peintre-écrivain dont elle publia la liste, et proposa un classement de la bibliothèque en commençant par les livres de classe, aux marges ornées de caricatures. On peut rapprocher cet article pionnier, mais peu cité par les historiens de l’art, du livre de Marc Décimo, pataphysicien, linguiste et sémioticien, entièrement consacré à l’étude de la bibliothèque de Marcel Duchamp (800 titres), non sans allusion à celle de la fratrie des Duchamp, et notamment à celle de Jacques Villon (DÉCIMO, 2002). Dans une longue préface, l’auteur s’intéressait aux états successifs de cette bibliothèque avant d’en proposer une liste en plusieurs sections : « 1. Les livres d’enfants et les livres de classe ; 2. La bibliothèque littéraire et ses alentours ; 3. Marcel Duchamp et le Collège de Pataphysique ; 4. La bibliothèque d’art ; 5. Les livres d’échecs ». Par l’ampleur de son enquête, ce livre revêt un caractère fondateur pour le domaine, et s’est prolongé dans un autre livre (DÉCIMO, 2004) sur le processus créatif chez Marcel Duchamp où sont cités, entre bien d’autres références, l’ Ève future de Villiers de l’Isle-Adam et l’Essai sur l’imagination créatrice de Théodule Ribot.

8 C’est encore dans la mouvance des recherches sur le texte et l’image que se situent les approches de Peter Cooke sur l’art et la littérature chez , artiste féru de sources littéraires (COOKE, 2003) et de Françoise Levaillant, qui, s’intéressant depuis les années 1970 aux relations des artistes à l’écrit, eut l’initiative des journées d’études du Centre André Chastel9 sur les bibliothèques d’artistes aux XXe et XXIe siècles. Ces journées étaient co-organisées avec Dario Gamboni, auteur d’un livre inspiré par la sociologie de l’art sur Odilon Redon et la littérature (GAMBONI, 1989), et Jean-Roch Bouiller qui s’intéressait aux écrits d’un peintre-écrivain d’art, André Lhote (BOUILLER, 2007). Riche d’une trentaine d’articles et complété par une bibliographie thématique très nourrie qui inclut l’histoire du livre et de la lecture ainsi que celles des représentations picturales du livre et des lecteurs (LEVAILLANT, GAMBONI, BOUILLER, 2010, p. 477-493), également abordées dans les essais et dans leur iconographie, les actes de ces journées restent l’ouvrage de référence sur la question (JAKOBI, 2010b et MELOT, 2010). La plupart des auteurs ayant travaillé sur des bibliothèques d’artistes y présentent leurs corpus respectifs, notamment à partir des fonds du Centre Pompidou : ainsi, y figurent, outre les essais d’introduction et de synthèse, la bibliothèque d’Albert Gleizes au MNAM – CCI (BRIEND, 2010, p. 67-80) ; celle de Wassily Kandinsky dans une étude enrichie par la connaissance des fonds de la Lenbachhaus de Munich conservant

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la bibliothèque partagée avec Gabriele Münter (PODZEMSKAIA, 2010, p. 81-105) ; celle de Victor Brauner, déjà inventoriée (Victor Brauner..., 1996), et mise en parallèle avec la bibliothèque d’André Breton (FLAHUTEZ, 2010, p. 107-127).

9 L’historiographie des bibliothèques d’artistes s’est ainsi développée en lien avec des travaux monographiques donnant lieu à des publications de sources et d’archives, comme l’inventaire après décès d’Eugène Delacroix indiquant 734 volumes (BESSIS, 1969 [1971]) et complétant ainsi les informations du Journal et de la correspondance. En multipliant les études de cas, ces travaux ont progressivement contribué à la constitution d’un champ d’étude, à travers ouvrages et articles portant sur la période contemporaine et plus rarement la période moderne, par exemple sur Durante Alberti (PANOFSKY SOERGEL, 1996) et Cornelis Dusart (ANDERSON, 2010), mais aussi études de fonds muséaux et catalogues d’expositions. De plus, l’étroite articulation entre les fonds conservés et les maisons-musées conduit à situer les recherches sur les bibliothèques d’artistes dans ce cadre. Ainsi, la bibliothèque de Georgia O’Keeffe, conservée chez celle-ci à Abiquiu, son dernier domicile au nouveau Mexique devenu un lieu de visite ouvert au public, a donné lieu à une exposition en 1997 (The Book Room…, 1997) présentant les centres d’intérêt de cette femme-peintre, depuis les ouvrages d’histoire de la photographie jusqu’aux livres de peintre qu’elle avait reçus ou qui avaient été envoyés à Alfred Stieglitz, le photographe fondateur de Camera Work et marchand d’art, qu’elle avait épousé en 1924. Pour s’en tenir à deux exemples de publication récents, Patrice Béghain et Gérard Bruyère évoquent, à défaut des titres d’une bibliothèque non conservée, les lectures du peintre troubadour Fleury Richard à partir des Souvenirs émaillés de citations, et des notes conservées dans le fonds Richard du musée des Beaux-Arts de Lyon (BÉGHAIN, BRUYÈRE, 2014, p. 319). Il est tentant de rapprocher le genre anecdotique, propre à cette peinture, des illustrations des ouvrages publiés par les libraires d’éducation dans le même registre. L’exposition et le catalogue de la rétrospective Miquel Barceló (Sol y Sombra…, 2016) à la Bibliothèque nationale de France et au musée Picasso consacrent de larges sections aux façons dont l’artiste intègre la bibliothèque, le livre et la lecture à son travail créateur.

10 L’intérêt pour de telles thématiques est inséparable de l’essor, dans les mêmes années, de disciplines connexes dans les sciences humaines et sociales et de recherches portant sur les croisements entre les domaines d’expression, ainsi que sur les interactions entre savoirs dans la théorie et la pratique artistique : histoire de l’illustration (GEORGEL, 1979 ; MELOT, 1984 ; CHAPON, 1987, et de nombreuses publications depuis), de l’iconotexte (MONTANDON, NEHRLICH, 1990), du livre (immense bibliographie, dont l’ouvrage fondateur est CHARTIER, MARTIN, 1984-1986, voir aussi PARINET, 2004), des bibliothèques (POULAIN, 1992), de la lecture et de ses pratiques (CHARTIER, 1985 et 1995 ; CAVALLO, CHARTIER, [1995] 1997 ; MANGUEL, 1998 ; MOLLIER, 2001 et 2005 ; LYONS, 2008), de ses espaces (CHRISTIN, 1988) et de ses représentations (NIES, [1991] 1995), histoire des relations entre les arts (et notamment entre art et littérature, voir les références ci-dessus, la revue Word and Image, et PREISS, RAINEAU, 2005), de la vie intellectuelle (CHARLE, JEANPIERRE, 2016, notamment les introductions aux sections « Esthétiques », LE MEN, 2016 et SHERMAN, 2016), esthétique (LICHTENSTEIN, 2003) et, particulièrement, histoire des écrits de peintres sur la couleur (ROQUE, 1997), sociologie de l’art et de la lecture, génétique artistique (LE MEN, 2005 ; BIASI, 2009) et littéraire, arts et savoirs (LAFONT, 2007), histoire et philosophie des sciences, sans parler des différentes sciences humaines et sociales, voire des sciences et techniques,

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convoquées au gré des corpus... De manière réciproque, toutes ces recherches permettent d’étoffer les enquêtes sur les bibliothèques d’artistes.

Bibliothèques attestées et bibliothèques reconstituées

11 L’émergence de ce champ de recherches est liée à la mise en œuvre d’une méthodologie commune : il s’agit d’un aller-retour entre la liste de titres (ou le catalogue des livres) et l’analyse interprétative des groupements de livres et des ensembles catalogués, sans que l’on puisse nécessairement consulter les exemplaires eux-mêmes ni préconiser d’approche interprétative générale, compte tenu de la singularité des situations et des contenus. Le fait de travailler à partir de listes, c’est-à-dire d’énumération d’éléments classés, rend possible la multiplicité des traversées ou des regroupements proposés selon les recherches : toute bibliothèque est ainsi du côté de l’« œuvre ouverte », elle peut être mobilisée de différentes manières comme l’indique Alberto Manguel dans le chapitre introductif à son Histoire de la lecture (« La dernière page », dans MANGUEL, 1998, p. 14-43). Son autobiographie de lecteur y a valeur d’autoportrait, selon un thème que l’on retrouve chez Walter Benjamin dans Je déballe ma bibliothèque (BENJAMIN, 2000), et rappelle sa relation au livre et à la bibliothèque, en insistant sur les pratiques de classement qui peuvent se transformer d’un âge à l’autre, sur le souvenir durable de l’exemplaire particulier d’un livre dans la mémoire visuelle, ainsi que sur le caractère cumulatif de la lecture. Qu’il s’agisse des bibliothèques d’écrivains (D’IORIO, FERRER, 2001), d’artistes (LEVAILLANT, GAMBONI, BOUILLER, 2010) ou d’architectes (GARRIC, ORGEIX, THIBAULT, 2011), tous ont souligné la rareté des bibliothèques attestées – dites « matérielles » –, qui renvoient aux fonds repérés et susceptibles d’être inventoriés, en les distinguant des bibliothèques reconstituées – dites « virtuelles10 » –, dont le rêve d’exhaustivité reviendrait à recenser « tous les livres lus par un artiste » (GAMBONI, 2010, P. 171).

12 Les premières peuvent être conservées en mains privées (comme celles de Fromentin, de Maurice Denis et de Signac), appartenir à des fondations11 ou faire partie des collections publiques, qu’il s’agisse de bibliothèques (la bibliothèque Kandinsky, déjà signalée, ou celle de Montreuil pour la bibliothèque de Masson) ou de musées (parmi lesquels les maisons-musées et les musées-ateliers12), occupent une place de choix, ou d’autres institutions encore (comme l’IMEC à Caen et les Archives de la critique d’art à Chateaugiron13, consacrés à la collecte d’archives). À l’université Paris Ouest, où Marianne Jakobi a soutenu son habilitation, plusieurs travaux universitaires ont été engagés sur ce type de fonds ou à partir d’eux : la bibliothèque d’André Masson a été inventoriée à la bibliothèque Robert-Desnos de Montreuil en y ajoutant le fonds familial d’Aix-en-Provence (2 500 titres, PARANT, FLAHUTEZ, MORANDO, 201114), de même qu’ont été étudiés, à la Fondation Le Corbusier, les ouvrages portant sur le XIXe siècle de la bibliothèque de Le Corbusier (80 titres, CHARON, 2013) ou le pan extrême-oriental de la bibliothèque de Soulages (GAUTRON, 2015) récemment entrée au musée Soulages de Rodez. Sabrina Dubbeld a abordé la bibliothèque d’Étienne Martin dans sa thèse sur le sculpteur, dirigée par Thierry Dufrêne. La thèse d’Anne Théry sur les écrits de Matisse s’appuie sur la connaissance préexistante des livres et des lectures de celui-ci15 ; celle de Valérie Clerc aborde quatre bibliothèques d’artistes en Suisse restées sur place dans leur domicile (Albert Anker, Gustave Jeanneret, Louis de Meuron et Cuno Amiet16) ; celle de Milan Garcin sur les sources de Francis Bacon recourt à la bibliothèque du peintre, mise en ligne à Dublin par la Hugh Lane Gallery avec l’ensemble des éléments de

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l’atelier du peintre, légué en 1998 et déplacé de Londres à Dublin en 2001 (570 livres et catalogues, 1 300 feuillets arrachés de livres, 1 500 photographies17), d’autant plus que la Fondation Francis Bacon Monaco Art Foundation, qui lui accorde sa bourse, a recomposé en partie cette bibliothèque à Monaco, à partir d’autres exemplaires des livres conservés dans le fonds de Dublin18.

13 Les secondes, les bibliothèques reconstituées, sont obtenues à partir d’un catalogue de vente comme ceux de Rossetti, de Warhol ou de Renoir (Pierre-Auguste Renoir..., 2005, no 136, p. 115-124), ou d’une source d’archives telle qu’un inventaire après décès – comme celui de Picasso réalisé à Notre-Dame-de-Vie dont l’ampleur contraste avec la modeste sélection de 31 livres inclus dans la dation Picasso de 1973 et présents dans la bibliothèque du musée Picasso (MADELINE, 2010, p. 249 et p. 267-281). Cet inestimable document est à la fois complété et corroboré par l’humoristique photographie de Brassaï, dont il fit lui-même le récit de la prise de vue19, dans un coin de l’atelier de Picasso, qui devient un portrait arcimboldesque de l’artiste en homme-livre. Plus fréquemment, elles procèdent d’un croisement de sources imprimées ou manuscrites et d’indices variés, en faisant appel aux allusions trouvées dans les écrits d’artistes et les correspondances, à des listes de livres incluses dans des catalogues de ventes d’ateliers ou des catalogues de ventes publiques de bibliothèques après décès : citons par exemple les catalogues de ventes de la bibliothèque de l’architecte Joseph-Jean-Pascal Gay en 1833 (DUFIEUX, 2014), ou de celle du peintre Édouard Detaille en 1903, en 131 pages et 712 numéros, qui, par son répertoire de livres (belles-lettres, beaux-arts, histoire) souvent illustrés, mais aussi d’autographes et de gravures et lithographies (recueils, caricatures, costumes civils et militaires), fait apparaître un profil de peintre- bibliophile, grand amateur de Gustave Doré (Bibliothèque Detaille…, 1913). La bibliothèque d’Eugène Delacroix (qui avait décoré celle du Palais Bourbon), dont certains exemplaires peuvent être localisés, peut en partie être reconstituée à partir des 734 volumes mentionnés dans l’inventaire après décès (BESSIS, 1969 [1971]) et de la vente posthume, ainsi que d’une partie de la bibliothèque mise en vente par Riesener, tandis que ses lectures peuvent l’être à partir de la correspondance et enfin des nombreuses mentions contenues dans le Journal20 (DELACROIX, 2009 ; HANNOOSH, 2011). Elles constituent aussi des ensembles plus larges, qui s’ajoutent au catalogue des ouvrages conservés quand il existe, comme l’a montré ci-dessus l’exemple d’Isidore Isou. On peut y inclure s’il y a lieu la liste des livres illustrés par l’artiste, prise en compte par exemple par Dario Gamboni pour Redon (GAMBONI, 2010, p. 171-189) dans un essai approfondi qui a pour point de départ l’inventaire des titres publié antérieurement (BACOU, 1990). On peut aussi considérer le cas des artistes écrivains et, par les envois autographes des livres qu’ils ont écrits, apprécier leurs relations avec les galeristes ou les critiques : c’est ainsi qu’est passé sur le marché, dans la vente des archives du critique Albert Kahn, le précieux exemplaire de D’Eugène Delacroix au néo- impressionnisme (Paris, La Revue blanche, 1899) donné à Félix Fénéon par Signac avec envoi autographe : « à Félix Fénéon / en reconnaissance, /amicalement / P. Signac21 ».

14 Que les bibliothèques existent physiquement à partir d’exemplaires réunis en un ou plusieurs fonds, ou qu’elles doivent être reconstituées à partir de listes et de catalogues ou d’indices dispersés, elles donnent lieu à des listes, qui se décomposent en notices bibliographiques pour chaque livre présentant l’ouvrage, et si possible l’exemplaire (ses marques, sa localisation). Les éléments de ces notices permettent d’alimenter les champs d’une base de données destinée à traiter les ensembles obtenus, qui peuvent

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représenter plusieurs centaines d’item22. L’analyse statistique de la liste ou du catalogue rendue possible par le recours à cette base débouche sur la phase interprétative puisqu’elle fait ressortir, en les hiérarchisant, les spécificités du corpus étudié par diverses possibilités de tris : secteurs de l’édition (arts, lettres, histoire, sciences, etc.), catégories d’ouvrages et collections, centres d’intérêt des artistes, répartition des auteurs, des genres littéraires, présence ou non de traductions, datation des exemplaires, présence ou non des envois... Des bibliothèques d’artistes se dégagent ainsi des profils de lecteurs qui peuvent être rapportés aux indications fournies par l’histoire du livre et de la lecture, comme à celles de la littérature artistique de la période, et qui, les corpus se multipliant, permettent de faire apparaître, à travers le retour des occurrences, quelles références sont partagées par des groupes, ou par toute une génération, et comment les bibliothèques particulières s’inscrivent dans les cultures collectives. Ce champ de recherche intervient à la jonction du singulier et du collectif, de l’individuel et du social, ce qui en est l’une des particularités. Il est bien connu que l’Histoire des peintres de toutes les écoles de Charles Blanc, – tout comme la Grammaire des arts du dessin (1867), du même auteur, diffusé par le ministère de l’Instruction publique et lu par Seurat collégien, par lequel il aurait eu connaissance des théories de Charles Henry et de Humbert de Superville (ZIMMERMANN, 1991) – connut une grande diffusion parmi les peintres de la seconde moitié du XIXe siècle, au point de forger par ses nombreuses illustrations (BARBILLON, 2013) le musée imaginaire de plusieurs d’entre eux. Dans le Portrait d’Émile Zola par Manet, qui remercie ainsi son modèle d’avoir été l’auteur d’une brochure de soutien, Zola, à sa table d’écrivain, apparaît en lecteur d’un grand livre illustré dans lequel Reff pensa reconnaître un tome de ce livre qui courait les ateliers (REFF, 1975, p. 36). Que ce soit ou non le cas, la mise en scène du portrait magnifie le livre d’art, à lire autant qu’à voir, un domaine éditorial alors récent. Dans l’aire germanophone et anglophone, le livre de Richard Muther23 tint un rôle, analogue à celui de Blanc pour l’art ancien, de panorama très illustré de l’art moderne européen, qu’a souligné Nadia Podzemskaia pour Kandinsky. De même, on peut songer à l’importance de la lecture des écrits de Léonard de Vinci, essentielle pour l’art du sculpteur Raymond Duchamp-Villon, et partagée avec les membres du groupe de Puteaux vers 1910-1911, ou à l’inspiration continue pour les artistes de Dante, Cervantes, Shakespeare, Goethe, ou Baudelaire dont Duchamp-Villon composa le buste, à la demande du critique Jacques Crépet...

15 L’horizon d’ensemble serait d’être progressivement en mesure d’intégrer ces recherches sur corpus à une histoire générale des bibliothèques d’artistes, tout à la fois diachronique et, comme on le souhaiterait aujourd’hui, universelle et interculturelle. Les trois grands tournants de l’histoire des bibliothèques d’artistes coïncident avec les mutations médiologiques et les trois révolutions du livre : en Occident, celle de la Renaissance avec l’émergence de la « galaxie Gutenberg », celle de l’industrialisation et de l’édition de masse sur le long XIXe siècle, et enfin celle du numérique en contexte mondialisé que nous connaissons aujourd’hui (Les trois révolutions du livre, 2002). Cette histoire procède aussi de l’évolution du statut de l’artiste, scandée par ces mêmes grands moments, depuis la Renaissance qui lui reconnaît sa place, jusqu’au XIXe siècle où s’affirme le système marchand-critique, puis aux pratiques actuelles liées à l’art vidéo et aux nouveaux médias. L’inflation des bibliothèques d’artistes dans la période contemporaine correspond à des facteurs généraux tels que l’essor de l’édition et de l’imprimé accompagnant celui de l’alphabétisation (FURET, OZOUF, 1977), l’émergence des

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best-sellers, mis en tableaux par Martyn Lyons (LYONS, 1987, p. 76, 83, 85-87, 89, 91 et 93), l’abaissement du prix du livre (qui facilite l’achat des livres plutôt que la lecture hors de chez soi, dans les cabinets de lecture), la multiplication des collections (OLIVERO, 1999) au format de poche, le développement de la littérature artistique et celui de la presse, générale et artistique, au XIXe siècle jusqu’au foisonnement fin de siècle des revues. C’est aussi l’époque où les rayonnages d’une bibliothèque personnelle deviennent tantôt une marque de distinction sociale, tout comme le sont les collections d’œuvres d’art, dans l’ensemble de la société, tantôt un mode d’accès privilégié à la culture renforcé par la présence de collections à bon marché : les livres, au format de poche, de la bibliothèque Charpentier, celle « de l’honnête homme du XIXe siècle » (MEYER, 2005, vol. 1, p. 9), emplissent la bibliothèque de Monet. Ils apparaissent avec leurs couvertures jaunes dans les natures mortes de Van Gogh, en piles ou isolés, ou aux mains d’une lectrice chez Theodor Robinson, tandis que l’éditeur Georges Charpentier (1846-1905), fils du fondateur24, tient le rôle de mécène pour les impressionnistes, particulièrement pour Renoir.

Une voie d’accès au dossier génétique et au musée imaginaire des artistes

16 Certaines approches s’avèrent fructueuses. Tel est le cas de la génétique, qui, abordant d’abord les textes et manuscrits modernes, depuis les brouillons de l’avant-texte jusqu’à l’édition imprimée ou électronique (CRASSON, 2008), a mis en place à l’ITEM (UMR 8132) des notions et une méthodologie en vue d’étudier « les archives de la création25 », en commençant par les manuscrits de Heine conservés à la BnF, étudiés par une équipe du CNRS mise en place en 1968 : « Comment défricher le massif des manuscrits à l’aide des instruments contemporains de la recherche ? Comment le traverser pour accéder à une meilleure intelligence du processus créateur ? Comment enrichir la critique des œuvres par la connaissance de leur devenir ? » (HAY, 2002, p. 31). La génétique littéraire distingue deux moments génétiques – rédactionnel et éditorial – qui se décomposent chacun en deux phases, l’une préliminaire et l’autre de réalisation (BIASI, 2000a) : en histoire de l’art, nous avons proposé de distinguer le moment de l’élaboration de celui de la divulgation publique, le seuil de l’un à l’autre étant marqué souvent par l’exposition ou la présentation à un groupe. Les généticiens rassemblent un dossier de genèse, en organisent les phases, en présentent le déroulement, soit par une édition classique à partir de tableaux, soit par l’édition numérique apte à rendre compte de la complexité des « sentiers de la création », selon le titre d’une collection pionnière de l’éditeur d’art Skira qui, dès les années 1970, avait traité de la thématique processuelle de la genèse. Cette méthodologie a été transposée à différents domaines : l’écriture scientifique, la musique, l’architecture, le cinéma, la photographie, la bande dessinée, respectivement présentés par des numéros spéciaux de la revue Genesis. L’équipe « histoire de l’art : processus de création et genèse de l’œuvre » de l’ITEM aborde notre discipline qui a fréquemment pris en compte les matériaux de la genèse artistique, ne serait-ce que par l’étude des dessins préparatoires et des esquisses, des repentirs et des ébauches, ou encore, dans les musées, à travers les dossiers d’œuvres des centres de documentation, la conception des expositions-dossiers, et les nombreux apports des maisons-musées d’artistes – le cas de Rodin, non seulement dans son musée parisien mais aussi à la villa des Brillants de Meudon, étant particulièrement

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significatif. Les historiens de l’art, dont de nombreux termes ont été transposés par la génétique littéraire26, recourent aussi à des matériaux similaires à ceux de la génétique littéraire : l’édition de correspondances d’artistes par exemple27, comme l’étude des fonds d’archives28 ou celle de la documentation, figurée ou non, des artistes.

17 Ainsi retrouve-t-on, pour l’écrivain comme pour l’artiste, deux dimensions complémentaires de cette documentation qui offre une voie d’accès au travail de création, quelle qu’en soit la forme d’expression, et à ses « concrétions » de « fragments de poésie, de peinture ou de musique », ou à ses « échangeurs » faits d’« images entretissées » qui remontent loin dans la mémoire, évoqués par Julien Gracq29, l’auteur d’En lisant, en écrivant, cité par Raymonde Debray Genette (DEBRAY GENETTE, 1979). Il s’agit d’un côté du « musée imaginaire », « lieu mental » mis en évidence par Malraux, et de l’iconothèque (HUDRISIER, 1983), selon le terme appliqué à Zola par Jean-Pierre Leduc- Adine en 1992 et qui s’est concrétisé par un programme de recherche (COUSSOT, 2006), et de l’autre de la bibliothèque d’écrivain ou d’artiste. L’un et l’autre font partie du laboratoire des processus de création, qu’ils donnent lieu ou non à la confection de dossiers préparatoires ou de traces matérielles. L’approche génétique des bibliothèques et des lectures a été appliquée aux bibliothèques des écrivains, tel Flaubert (BIASI, 2000b) – lecteur glouton qui s’immergeait dans les lectures de ses personnages, d’Emma Bovary à Bouvard et Pécuchet, pour mieux les faire vivre par l’écriture, et qui accumulait ses lectures préparatoires, connues par des listes, des copies d’extraits ou des notes –, ainsi qu’à celles des philosophes, tel Nietzsche dont la bibliothèque, publiée en 2003, a permis plusieurs études sur ses lectures30, en lien avec le programme HyperNietzsche conduit par Paolo D’Iorio. Elle suppose, une fois reconstitué un ensemble, d’examiner dans les exemplaires le système d’annotations et de marquage. De plus, elle s’intéresse à l’hypertexte, voire à l’hyper-iconotexte, ainsi qu’à la façon dont un artiste, à travers sa bibliothèque, fabrique un tissage complexe de références intertextuelles, de rapprochements inattendus, et se situe dans un réseau de relations intellectuelles. La bibliothèque, à la jonction de l’endogenèse et de l’exogenèse31 (DEBRAY GENETTE, 1979), s’avère ainsi un élément matériel permettant de documenter cet ensemble flou de références littéraires et visuelles à partir desquelles s’enclenche le processus créatif. Dans le catalogue-livre d’artiste d’une exposition qu’il a lui-même conçue, Raymond Hains en montre le dispositif, en fabriquant à sa manière une bibliothèque portative faite de matériaux composites juxtaposés : de notes, de citations, de reproductions de couvertures, de photographies de son environnement montrant un empire de signes alphabétiques (Raymond Hains…, 2006).

18 Pour ce qui concerne les bibliothèques d’artistes, Marianne Jakobi a cherché à recomposer, à partir des 808 volumes de la Fondation Dubuffet mais aussi de ses cahiers de notes de lecture et de sa correspondance, les centres d’intérêt de la bibliothèque hétéroclite de Jean Dubuffet, peintre écrivain (JAKOBI, 2001), qui témoignait de sa culture cosmopolite, où trouvaient place tant la culture populaire américaine que les livres d’entomologie et de physique, et indiquait son insertion dans un réseau d’écrivains32. Elle a aussi montré comment l’élaboration du concept d’art brut s’était fondé chez Dubuffet, en vive contradiction avec André Breton, sur un ensemble de lectures et de recherches documentaires initialement liées en 1944-1945 à la préparation d’un autre projet éditorial sur « l’art des fous », notion introduite dans l’ouvrage éponyme de Prinzhorn (JAKOBI, 2010a). Ce concept s’était forgé à partir d’une bibliothèque de référence, celle de la Collection de l’Art brut à Lausanne : « L’invention de l’art brut

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s’accompagne de la constitution d’une bibliothèque qui en est le soubassement théorique » (ibidem, p. 134).

19 Une autre méthode consiste à s’appuyer non sur les livres de la bibliothèque, mais sur les mentions de lectures chez un artiste, et à analyser ses goûts et ses commentaires énoncés à la première personne dans sa correspondance, comme le fait Millet, dont 1 200 lettres sont conservées, ce qui a permis à Chantal Georgel de retracer les contours de son imaginaire de lecteur, en nous entraînant « du livre au lire », selon la formule de Roger Chartier, dans le chapitre « de mémoire(s) : choses lues, choses vues, choses peintes ? » de sa monographie (GEORGEL, 2014, p. 142-209). L’image du peintre-paysan traditionnellement mise en œuvre par l’historiographie s’y infléchit vers celle d’un autodidacte qui s’entretient des livres qu’il lit avec son agent et biographe Sensier et avec Théodore Rousseau, et dont le musée imaginaire est nourri par les maîtres du passé. Ce profil d’autodidacte dévoreur de livres et d’images, doté d’une excellente mémoire, semble récurrent chez les artistes grands lecteurs et grands regardeurs, de Millet à Bourdelle (qui procédait à des « transpositions actives » en dessinant ses lectures, et qui fabriquait lui-même de petits livrets, LE MEN, 2009), et de Van Gogh à Picasso, Bacon ou Newman, et peut être rapporté à un schéma mis en évidence par les trajectoires d’autodidaxie exemplaires apparues au XVIIIe siècle, recommandées aux « nouveaux lecteurs » par les livres d’éducation populaire du XIXe siècle (HÉBRARD, 1985) et toujours attestées. De même, c’est à partir de la correspondance de Van Gogh, éditée sous forme imprimée (VAN GOGH, 2009), mais surtout mise en ligne sur le site du musée Van Gogh d’Amsterdam33 qu’est proposée une extraordinaire ressource aux chercheurs permettant de retracer la façon dont les références, littéraires (à plus de 150 écrivains) ou visuelles, sont exprimées par le peintre, et souvent réitérées d’une lettre à l’autre, notamment pour des recommandations de lectures. « Je ne sais pas s’il t’arrive de lire des livres en anglais », écrit-il à Théo en août 1881, avant de lui conseiller Shirley, un livre de l’auteur de Jane Eyre, « aussi beau que les tableaux de Millais [...] ou Herkomer ». Cette bibliothèque virtuelle doublée d’un musée imaginaire virtuel se trouve reconstruite à partir de la correspondance numérisée qui permet de faire apparaître la trajectoire de lecteur de Van Gogh (JAKOBI, 2011). Pour reprendre les théories de Rolf Engelsing (ENGELSING, 1974, reprises dans CHARTIER, 1985, p. 58 et 70), la trajectoire de Van Gogh, – comparable en cela à celle de Millet dans la construction de son musée imaginaire (LE MEN, 2002) –, va d’un protocole de lecture intensive (« traditional literacy »), concentrée sur la Bible, selon le modèle de la lecture traditionnelle dans l’aire protestante, vers des pratiques plus modernes de lectures extensives et laïcisées, comme en témoigne également l’évolution de ses natures mortes au livre, où la Bible est remplacée par les « livres jaunes » froissés de la « Petite bibliothèque Charpentier ».

20 L’une des pistes de recherche pour étudier les bibliothèques d’artistes consiste d’une part à les aborder en pendant de leurs musées imaginaires, dans le sens de références visuelles susceptibles d’être utilisées dans leur art, et d’autre part d’aborder les bibliothèques comme des voies d’accès à la connaissance documentée de ceux-ci, par les reproductions artistiques ou les références plastiques que contiennent les livres. Le concept qu’André Malraux avait forgé dès 1947 à propos des effets de la reproduction photographique (ZERNER, 1997) mise en livre34, puis retravaillé en 1951 pour Les Voix du silence (MALRAUX, [1951] 2004), est devenu le titre d’un livre de poche en 1965, toujours disponible (MALRAUX, [1965] 2016). Nous avons proposé d’aborder ce « lieu mental »

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actualisé par différents modes de reproductions, en allant des « musées de papiers » (Musées de papier…, 2010) aux musées virtuels en coordonnant un récent numéro de La Revue de l’art (LE MEN, 2013b, voir notamment l’éditorial « Les formes du regard »). Dans les bibliothèques d’artistes, il peut s’agir soit des illustrations des livres d’art ou de magazines, soit des collections de gravures et de reproductions : c’est ainsi qu’Ada Ackerman a pu montrer quels livres et catalogues avaient aidé Eisenstein à connaître la caricature française et l’œuvre de Daumier, essentielle à ses théories cinématographiques, prouvant ainsi la place de la bibliothèque d’artiste dans la recherche intermédiale (ACKERMAN, 201335). Par les illustrations contenues dans les livres d’art et les catalogues de ventes, par les croquis en marge des guides de voyages et de musées, parfois annotés, se profilent les contours de la culture artistique de leur détenteur formée par l’intelligence du regard, matériau de leur propre travail de création, entre mémoire et imagination. Lorsqu’elles sont conservées, ces collections appartiennent à des maisons-musées-ateliers : la maison de Monet à Giverny, à travers sa bibliothèque et la collection d’estampes japonaises qui s’y trouvait (AITKEN, DELAFOND, 1983), le musée Ingres de Montauban, le musée Gustave Moreau (TANAKA, 2013), et le musée Bourdelle, par exemple. Les découpures de gravures du musée Ingres de Montauban, parfois assemblées et collées par l’artiste sur de grandes planches anticipant la pensée visuelle déployée par L’atlas Mnémosyne d’Aby Warburg, et parfois restées en vrac dans de grands portefeuilles, restent l’un des meilleurs témoignages de ce matériel mis en mémoire, de ce répertoire servant de réserve de formes, dont l’abondance contraste avec le petit nombre des titres conservés sur place et issus de sa bibliothèque d’art. Une grande enquête est conduite par Chloé Théault sur la documentation photographique du sculpteur au musée Bourdelle dont un fonds de 700 photographies de l’artiste a accompagné la réalisation du Monument aux Morts, aux Combattants, aux Serviteurs du Tarn-et-Garonne de 1870-1871 (De bruit et de fureur…, 2016). Quant à Joseph Cornell, il utilise des livres de brocantes et des illustrations classées en dossiers de découpures pour fabriquer à son tour des boîtes-livres, constellées de vignettes des livres illustrés du XIXe siècle et évocatrices des pratiques des scrapbooks de l’époque romantique (LE MEN, 2013a).

21 En définitive, c’est une dimension de l’atelier, en tant que lieu d’archive, de création et de sociabilité, que mettent au jour les bibliothèques d’artistes. Ainsi, bien qu’elles soient peu mises en évidence dans les représentations d’ateliers et dans leurs photographies36 (Dans l’atelier…, 2016), elles peuvent apporter un nouvel éclairage à l’histoire des ateliers, comme l’a montré une exposition de Didier Schulmann37 (Ateliers : l’artiste et ses lieux..., 2007) et des maisons-musées d’artistes, par exemple, en Angleterre, celle de l’architecte Sir John Soane à Londres en 1792 et la Red House de William Morris en 1859 (LEMAIRE, [2004] 2012, et In the Temple of the Self…, 2013).

La singularité des exemplaires et la personnalisation par les envois

22 Les bibliothèques d’artistes ne s’appréhendent pas seulement au niveau des catalogues de titres et des contenus des ouvrages, elles sont également personnalisées. Elles contiennent, en plus ou moins grand nombre, des exemplaires singularisés par le marquage (JACKSON, 2001) du lecteur (traits en marge des passages signalés, mots encerclés, pages cornées) les commentaires écrits (annotations marginales,

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griffonnages d’écoliers) ou dessinés (croquis, caricatures), ainsi que par les indices de propriété (signature en page de garde, ex proemio, ex libris38) et surtout par le système des envois. L’absence de marques peut soit signifier que le livre n’a pas été lu, ou partiellement lu (ce dont témoignent les pages non coupées, ou coupées seulement sur une partie du livre) soit à l’inverse indiquer la révérence au livre.

23 D’une façon générale, l’envoi autographe contribue à circonscrire dans le vaste champ des lecteurs anonymes un sous-ensemble de « happy few » choisis par l’auteur dans son environnement. Édouard Graham a distingué trois sortes de transmissions déterminées par les relations entre le destinataire et le destinateur (l’auteur) : les transmissions d’auteur à auteur, les transmissions sentimentales et les transmissions familiales. Le terme se réfère à la « dédicace autographe apposée sur un exemplaire particulier d’un livre, voire sur un manuscrit, par son auteur, qui l’offre à un tiers formellement nommé » (GRAHAM, 2008, p. 43, note 1), et peut être distingué de la dédicace, qui est imprimée. Un tel élément ajouté relève de ce que Gérard Genette a défini comme « péritexte » dans Seuils, vaste catégorie qui définit tout l’appareil gravitant autour du texte lui-même dans le livre imprimé, et qui inclut des éléments éditoriaux comme la page de titre, le catalogue et la liste de livres imprimés, textuels comme les préfaces, les épigraphes ou les dédicaces imprimées, ou iconiques comme les frontispices et illustrations (GENETTE, 1987, p. 127-133). L’envoi autographe constitue un usage social qui, s’il se rattache à l’ancienne tradition du don du livre de l’auteur au lecteur ou au mécène (représentée déjà dans les miniatures en tête des manuscrits), se répand dans la seconde moitié du XIXe siècle après avoir commencé à s’instaurer dans les années romantiques. Chateaubriand aurait été l’un des premiers à en introduire l’usage, suivi par Alfred de Vigny, Hugo et Balzac39. C’est aussi l’époque où la page de faux titre, support convenu des envois autographes, s’introduit dans l’édition, en même temps que d’autres nouveautés textologiques comme le titre courant (LAUFER, 1983), et que des habitudes littéraires comme celles des préfaces et des épigraphes. L’expansion des envois est tributaire à la fois de l’organisation nouvelle du champ littéraire, de la valorisation de l’autographe et de la signature au moment où s’affirme dans la modernité de l’avant-garde le régime de singularité, et de l’essor de la bibliophilie, qui tend à résister à la banalisation du livre en période d’industrialisation. Elle est contemporaine de celle de l’ex libris des bibliophiles, dont Mallarmé solennise la pratique pour Le Corbeau, livre de peintre illustré en 1875 par Édouard Manet, en réservant un emplacement pour l’envoi où est imprimé le terme ex libris, accompagné d’un signe graphique, celui du corbeau ailes déployées, autographié par Manet. Par l’envoi personnel, l’exemplaire redevient singulier, qu’il s’agisse d’un livre déjà soumis aux pratiques de limitation de tirage et de tirage de tête tendant à la valorisation par la rareté, ou d’un livre de grand tirage. À la fin du siècle – et cela se présente pour la bibliothèque de Monet dont 183 exemplaires comptent des envois autographes, par exemple dans la série de Geffroy La vie artistique –, l’envoi peut s’ajouter à une dédicace imprimée et à un frontispice d’artiste, ce qui contribue à mettre en évidence des groupements intellectuels et artistiques. Ainsi l’envoi qui personnalise l’exemplaire dans la bibliothèque d’artiste en transformant le livre édité, un multiple, en un livre unique est-il, comme la correspondance, un moyen d’explorer les réseaux amicaux et intellectuels dont les objets, qu’ils soient livres, lettres, cartes de visites photographiques ou portraits échangés, sont tout à la fois les agents (selon GELL, [1998] 2009) et les signes indiciels (selon PEIRCE, 1978).

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24 Ces réseaux s’organisent en un maillage qu’il s’agirait d’analyser, tout particulièrement pour les groupes d’artistes, à partir du dépouillement des ventes de correspondances et d’autographes, en faisant apparaître notamment les livres-clés d’une génération, ou bien en rapprochant les unes des autres des bibliothèques imbriquées comme le furent celles de Monet, de Clemenceau et de Mirbeau, ou bien celles de Redon et de Huysmans, puis de son mécène et commanditaire Gustave Fayet dont il décora la bibliothèque dans l’abbaye de Fontfroide (Gustave Fayet…, 2006). Le catalogue de vente de bibliothèque de Mirbeau40 fait apparaître de nombreuses références d’ouvrages d’auteurs d’envois également présents chez Monet, de même que chez Rodin et Clemenceau. Les interactions entre peintres, écrivains et musiciens ont donné lieu à bien des recherches ou expositions où les bibliothèques sont évoquées par des lectures partagées autour de grandes figures de notre panthéon littéraire, artistique et politique : ainsi, Hugo, Rodin (Rodin et les écrivains…, 1976), Clemenceau (Clemenceau et les artistes modernes..., 2013), Debussy, Mallarmé, Apollinaire, ou René Char... Particulièrement exemplaire est le cas de Mallarmé, qui pensait le livre comme un instrument spirituel (MALLARMÉ, [1895] 2003 ; ARNAR, 2011), et dont l’aura s’est prolongée bien au-delà des contemporains, peut-être même jusque dans le titre Du spirituel dans l’art de Kandinsky. Dans le cas de ce dernier, l’historiographie a, de longue date, montré l’importance de la lecture et de la bibliothèque, à partir de fonds conservés dans l’atelier de Neuilly et de souvenirs de titres indiqués par la veuve de l’artiste41, ainsi que des fonds de Gabriele Münter et Johannes Eichner à la Städtische Galerie im Lenbachhaus de Munich qui ont permis à Sixtem Ringbom d’établir une liste des « livres mystiques » lus par le couple Kandinsky- Münter (RINGBOM, 1966), documentant ainsi sa thèse sur l’occultisme et la genèse de l’abstraction chez Kandinsky42 (PODZEMSKAIA, 2010, p. 81-83). L’exemple des manuscrits enluminés de René Char commandés par Yvonne Zervos à différents peintres de leur environnement (René Char…, 1980) demeure exceptionnel tant par le retour au manuscrit dans l’ère du livre imprimé que cet ensemble de 1949 suppose que par la qualité de la bibliothèque de manuscrits ainsi constituée, d’abord passés en vente publique (D’une bibliothèque l’autre…, 1995) puis entrés à la BnF qui les a récemment exposés (René Char, 2007, p. 217-231) en même temps que d’autres manuscrits enluminés ultérieurs du fonds Char.

25 L’enjeu autour de la création d’un outil numérique suffisamment puissant pour prendre en charge un grand nombre de bibliothèques, mais également assez souple pour s’adapter aux spécificités de chacune, pourrait être certes d’aboutir à une plateforme de consultation et d’interrogation des sources, mais également de créer les conditions d’élaboration d’une pensée analytique et critique de l’objet « bibliothèque d’artiste », à la fois considéré comme une entité à part entière et comme un ensemble d’objets indépendants, eux-mêmes composés de pages parfois annotées et d’illustrations et susceptibles d’être groupés de différentes manières. S’inscrivant à la suite d’une bibliographie qui ne cesse de s’étoffer, ce projet y ajouterait la dimension nouvelle des technologies numériques et du web, mise au service d’une source qui dessine le portrait du lecteur derrière celui de l’artiste et de ses références visuelles et textuelles, qui permet de mieux cerner ses interactions avec la sphère culturelle de son époque et du passé et qui révèle un peu de son processus créatif. Cette nouvelle ressource permettrait aux lecteurs internautes d’imaginer de multiples traversées des rayonnages virtuels de ces bibliothèques, et de redécouvrir la pratique vagabonde de la lecture « braconnage » (CERTEAU, 1980) tout en ayant une portée heuristique pour les

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historiens de l’art, selon les requêtes suscitées par leurs thèmes de recherche. C’est ce que montre Martha Rosler qui, après plusieurs projets sur la lecture, notamment à la Dia Art Foundation en 1989, a fait de sa bibliothèque numérique une œuvre à part entière43, par une démarche qui rejoint celle d’autres artistes américains (depuis l’art conceptuel californien) et européens ayant mis en expositions le livre et la bibliothèque dans leurs installations (MORÉTEAU, 2013).

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NOTES

1. Ce projet a bénéficié d’une aide de l’État gérée par l’Agence nationale de la recherche au titre du programme Investissements d’avenir portant la référence ANR-11-LABX-0026-0. Le projet de bibliothèque virtuelle de Monet est plus spécifiquement présenté dans ce numéro par l’article de Félicie de Maupeou, « Les bibliothèques d’artistes au prisme des humanités numériques : la bibliothèque de Monet », p. 175-180. 2. BibNietzsche (la bibliothèque de Nietzsche Édition numérique et commentaire philosophique) : ANR franco-allemand piloté par Paolo D’Iorio et Andreas Urs Sommer. 3. Les livres de la bibliothèque de Monet sur le Japon sont répertoriés dans AITKEN, DELAFOND, 1983, p. 150. 4. Les relations entre Monet et Clemenceau, mises en évidence par la correspondance (CLEMENCEAU, [1993] 2008), et l’histoire des grandes décorations, ont été étudiées en tant que telles

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(DUVAL-STALLA, 2010). Il en va de même pour Octave Mirbeau. Avant d’avoir eu accès à la bibliothèque de Giverny, j’avais souligné, à partir de la lecture des textes des écrivains qui avaient fréquenté Monet et apprécié son art, ses affinités avec la sphère littéraire de son temps (LE MEN, 2010). 5. La communication à paraître d’Olivier Schuwer au colloque « Le musée imaginaire des impressionnistes » (Rouen, musée des Beaux-Arts, 7 septembre 2016) a montré de multiples associations littéraires qui transforment l’interprétation des Nymphéas en élégie funèbre. 6. Ségolène Le Men, « Les livres de Giverny », dans LE MEN, MAUPEOU, MAINGON, 2013, p. 10. 7. En France ce même courant de recherche était conduit par des littéraires et des historiens de l’art de la même génération, Anne-Marie Christin, Jean-Paul Bouillon et Pierre Georgel. 8. Cette remarque a une valeur générale, on la retrouve par exemple pour Renoir, dont la vente des archives comportait une longue liste de livres ayant appartenu à la famille, d’une génération à l’autre. Voir la section « Renoir Family Reference Library », dans Pierre-Auguste Renoir..., 2005, no 136, p. 115-124. C’est aussi le cas pour les couples d’artistes (Stieglitz-O’Keeffe) ou d’auteurs et d’artistes (les Rossetti). 9. INHA et bibliothèque Kandinsky du Centre Georges Pompidou, 9-12 mars 2006. 10. Nous reviendrons sur ce terme, compte tenu de son usage dans un sens renouvelé par le recours au numérique. 11. Comme celles de Dubuffet, de Bacon ou de Le Corbusier dotée de 1 615 livres, Le Corbusier et le livre…, 2005, ou encore, à New York, The Barnett Newman Foundation, mise en place en 1979 par la veuve de l’artiste, dont le catalogue en ligne (www.barnettnewman.org) a permis la mise à jour de la version publiée dans SHIFF, MANCUSI-UNGARO, COLSMAN-FREYBERGER, 2004. 12. Tels ceux d’, Gustave Moreau (Maison d’artiste..., 1997) ou Bourdelle à Paris ou le musée Ingres à Montauban et la maison Monet à Giverny. 13. www.archivesdelacritiquedart.org/. 14. Ce travail est issu d’un mémoire de master co-dirigé en 2010 à l’université Paris Ouest par Ségolène Le Men et Fabrice Flahutez. 15. Anne Théry, La fabrique d’un discours. Production, enjeux et réception des écrits et propos d’, thèse en cours sous la direction de Rémi Labrusse, université Paris Ouest. 16. Valérie Clerc, Bibliothèques et savoirs de peintres en Suisse dans la seconde moitié du XIXe siècle, thèse en cours sous la direction de Ségolène Le Men et Danielle Chaperon, université Paris Ouest/ université de Lausanne. 17. Cette bibliothèque virtuelle donne accès à l’ensemble des fiches des livres, et permet de visualiser en mosaïque les couvertures des ouvrages: http://www.hughlane.ie/bacons-books- donation-1-francis-bacons-studio. Voir aussi le colloque organisé en octobre 2012 à Dublin par Yvonne Scott : https://www.tcd.ie/History_of_Art/research/centres/triarc/bacon.php. 18. Milan Garcin, Appropriation historique et mise en scène de la pratique artistique : une cartographie des sources de l’œuvre de Francis Bacon, thèse en cours sous la direction de Thierry Dufrêne, université Paris Ouest, co-encadrée par Caroline Cros pour l’École du Louvre. 19. Brassaï, Conversations avec Picasso, Paris, 1969. 20. Outre Michele Hannoosh, David O’Brien aborde cet ensemble dans un ouvrage sous presse. Dominique de Font-Réaulx montre quelle culture littéraire entre en jeu dans les manuscrits de jeunesse de Delacroix. Elle précise que la vente après décès de la bibliothèque d’un E. Delacroix, à Paris en 1868 (30-31 mars et 1er-2 avril), peut prêter à confusion, car il ne s’agit pas de celle du peintre. Je les remercie tous trois de leurs indications, qui prouvent la possibilité d’une enquête sur la bibliothèque de Delacroix. 21. Lettres et manuscrits autographes, catalogue de vente Alde, Paris, salle Rossini, Littérature et arts (Archives Albert Kahn, no 272-533), 5 novembre 2010, lot 500 (page de faux titre avec envoi reproduit, p. 58).

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22. Voir la contribution de Félicie de Maupeou, dans ce volume, citée n. 1. Le site wiki américain « Legacy Libraries » (https://www.librarything.com/legacylibraries/list/2809051522) présente une intéressante expérimentation de base de données en ligne, très hétérogène dans ses contributions, parmi lesquelles la plus réussie est la bibliothèque reconstituée de Dante Gabriel Rossetti. 23. Richard Muther, The History of Modern Painting, Londres/New York, 1907 (éd. revue par l’auteur). 24. Gervais Charpentier avait lancé la « Petite bibliothèque Charpentier » dont le format de poche avait représenté en 1838 une importante innovation technique, commerciale et éditoriale. 25. Telle fut la dénomination du séminaire général de l’ITEM organisé en 1992-1994 sur le thème « arts et sciences : les archives de la création », sous la responsabilité de Pierre-Marc de Biasi et d’Éric Marty. Ce terme fut repris pour un appel d’offres lancé en 1997 par le CNRS dont Michel Blay fut chef de programme, avec quatre orientations proposées : une exploration transversale expérimentale (1870-1930), et trois axes, « création scientifique et technique », « création littéraire et philosophique », « création artistique ». 26. Comme « esquisse » et « ébauche » (STEVENS, 2007). 27. Il en existe de nombreuses éditions récentes, et un colloque a été organisé sur la question par Bruno Foucart. L’édition, d’abord aux États-Unis, puis en France, de la correspondance de Courbet, à laquelle sera consacré un colloque au musée d’Orsay en janvier 2017 (« “J’ai écrit ma vie en un mot.” La Correspondance de Courbet, 20 ans après »), a représenté un apport considérable à l’étude de la genèse des œuvres et de l’œuvre entier du peintre : Correspondance de Courbet, Petra Ten-Doesschate Chu (éd.), Paris, 1996. 28. Les Archives de la critique d’art de Chateaugiron ont mis leurs ressources en ligne (voir supra n. 13) : des fonds y sont rassemblés, et des colloques organisés ; ainsi, le colloque « Les artistes contemporains et l’archive » (dont les actes ont été publiés : POINSOT, TIO BELLIDO, 2001) abordait la façon dont certains artistes ont développé leur œuvre avec l’archive « comme objet, comme méthode, comme image ou comme poétique ». Voir aussi le programme sur les archives d’artistes du vingtième siècle de l’INHA, devenu depuis partenaire des Archives de la critique d’art. 29. Julien Gracq, Les Eaux étroites, Paris, 1976, p. 30-31. 30. Par exemple, Maria Cristina Fornari, dans La morale evolutiva del gregge. Nietzsche legge Spencer e Mill (Pise, 2006), a souligné la part des œuvres de Herbert Spencer et de John Stuart Mill dans la genèse de sa philosophie morale. 31. Ces deux notions rendent compte de la genèse interne et de la genèse externe, laquelle rejoint la problématique de l’intertextualité. 32. Marianne Jakobi en a par ailleurs analysé le système d’intitulation, avant de s’intéresser au titre de peintre au XIXe siècle (Jean Dubuffet et la fabrique du titre, Paris, 2006 ; Gauguin-Signac. La genèse du titre contemporain, Paris, 2015). 33. www.vangoghletters.org. 34. André Malraux, Psychologie de l’art. I. Le Musée imaginaire, Genève, 1947. 35. Livre issu d’une thèse soutenue à l’université Paris Ouest et à l’université de Montréal en 2010. 36. Celles qui font apparaître des livres mériteraient d’être étudiées : titres sur les tranches des ouvrages et diversité des imprimés, rangement dans les étagères, piles, désordre créatif... 37. Cette thématique aurait pu donner lieu à un développement spécifique, que nous avons laissé de côté puisqu’un précédent numéro de Perspective l’a déjà abordée (no 1, 2014). 38. Les reliures aux armes, pratique aristocratique de l’Ancien Régime, et les ex libris, une marque de propriété bibliophilique souvent gravée qui inclut l’ensemble des livres appartenant au même possesseur dans un ensemble, ne sont guère utilisés dans les ensembles considérés. 39. Jean Bonna, « Avant-propos », dans GRAHAM, 2008, p. 38.

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40. Bibliothèque de Octave Mirbeau. Première partie. Livres anciens. Livres du XIXe siècle et contemporains. Livres illustrés, Paris, librairie Henri Leclercq, 1919 (catalogue de vente hôtel Drouot, 27 – 28 mars 1919). Pierre Decourcelle, « Les livres de mon ami » (Préface), dans Bibliothèque de Octave Mirbeau. Deuxième partie, Paris, librairie Henri Leclercq et commissaire-priseur Lair-Dubreuil, 1919 (catalogue de vente hôtel Drouot, 20 – 21 juin 1919). 41. Dans la thèse de Kenneth Lindsay (An Examination of the Fundamental Theories of Wassily Kandinsky, Ph.D., The University of Wisconsin–Madison, 1951), qui puisait dans les livres de l’atelier de Neuilly et dans ceux qu’évoquait la veuve du peintre. Voir aussi les propos introductifs à la monographie de référence de Will Grohmann (en français Vassily Kandinsky, sa vie, son œuvre [Cologne, 1958], Blaise Briod [trad. fra.], Paris, s. d.). 42. Sixten Ringbom, The Sounding Cosmos. A Study in the Spiritualism of Kandinsky and the Genesis of Abstract Painting, Abo, 1970. 43. Une sélection de 7 000 titres parmi les livres de son atelier-maison de Brooklyn à New York et de ses bureaux dans le New Jersey a été mise en ligne le 15 avril 2006, sur un projet de bibliothèque virtuelle initialement conçu afin de remédier au manque de place sur ses rayonnages. On y trouve de la théorie politique, de l’histoire de l’art, de la poésie, de la science- fiction, des livres d’enfants, des cartes, des livres de voyage, des périodiques, des albums de photos, des affiches, des cartes postales et des coupures de journaux, d’après le texte de présentation en ligne (http://projects.e-flux.com/library/about.php).

RÉSUMÉS

Les recherches et travaux en cours sur les bibliothèques d’artistes, relativement récentes et conduites sur corpus, sont portées par l’histoire du livre et de la lecture et renforcées par l’intérêt porté aux archives comme éléments de l’œuvre, et par celui que suscitent l’analyse génétique et la reconnaissance de la place des artistes dans la vie intellectuelle. Les bibliothèques d’artistes, lorsqu’elles sont documentées, et parfois conservées, ne représentent pas seulement une source : elles peuvent aussi devenir une ressource permettant d’approcher l’élaboration des œuvres, d’étudier la circulation des idées, des concepts, des poétiques et des images parmi les groupes et les milieux artistiques. L’une des questions abordées est celle de l’accès qu’elles offrent aux musées imaginaires des artistes, partagés par les lecteurs contemporains des mêmes ouvrages, illustrés, de littérature artistique. Enfin le contenu des volumes, les envois, les annotations des exemplaires précisent les modalités d’appropriation culturelle, témoignent des façons de lire, et mettent en évidence les réseaux relationnels de leurs détenteurs.

Current research and work on artists’ libraries, which are relatively recent and based on the corpus, are inspired by the history of books and reading, strengthened by an interest in the archives as elements of a work of art, and an interest arising from genetic analysis and recognition of the place of artists in intellectual life. Artists’ libraries, when documented and sometimes preserved, not only represent a source, but can also become a resource facilitating an approach to the art works’ creation, and to the study of the circulation of ideas, concepts, poetics and images within artistic groups and circles. One of the issues addressed in this article is the access they offer to the artists’ imaginary museums, shared with contemporary readers of the same illustrated works of artistic literature. Finally, the content of these volumes, their

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dedications, and annotations specify the modalities of cultural appropriation, testify to the ways of reading, and highlight the relational networks of their owners.

INDEX

Mots-clés : bibliothèque, bibliothèque d’artiste, artiste, histoire de l’art, sources écrites, ressources, archives, livre, lecture, génétique, circulation, réseau, musée imaginaire Parole chiave : biblioteca, biblioteca d'artista, artisti, storia dell'arte, fonti scritte, risorse, archivi, libro, lettura, genetica, circolazione, rete, museo immaginario Keywords : library, artist's library, artist, art history, written sources, resources, archives, book, reading, genetics, circulation, network, imaginary picture gallery

AUTEURS

SÉGOLÈNE LE MEN Professeur à l’Université Paris Ouest, directrice de l’EA 4414 (Histoire des arts et des représentations) et membre honoraire de l’Institut universitaire de France, Ségolène Le Men est chercheur associé à l’ITEM et responsable du programme « images dialectiques, musées imaginaires, musées virtuels » du labex Les Passés dans le présent. Ses travaux portent sur les arts, la caricature, l’édition illustrée, l’affiche et la culture visuelle du XIXe siècle (La cathédrale illustrée de Hugo à Monet : regard romantique et modernité [1998], Paris, 2014). Elle est l’auteur de monographies sur Courbet (2007), Daumier (2008) et Monet (2010) et de l’anthologie La bibliothèque de Monet (avec Félicie de Maupeou et Claire Maingon, Paris, 2013).

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L’architecture des bibliothèques à l’ère des nouvelles technologies Library Architecture in the Era of New Technologies

Laurent Baridon

L’auteur tient à exprimer sa gratitude à tous ceux qui lui ont fait part de leurs réflexions sur les bibliothèques et tout particulièrement à Evelyne Cohen, professeure en histoire et anthropologie culturelles (XXe siècle) à l’ENSSIB – université de Lyon, pour ses pertinentes suggestions.

1 L’architecture des bibliothèques est un sujet vaste et complexe qu’il faut d’emblée restreindre pour espérer en donner un aperçu cohérent. L’objectif est ici de circonscrire les principaux facteurs des évolutions récentes du programme des bibliothèques et de comprendre comment ils ont trouvé une expression architecturale. Ces évolutions sont de plusieurs ordres mais elles relèvent avant tout de l’essor des nouvelles technologies numériques de l’information et de la communication. En quoi consistent-elles quand elles touchent aux domaines du livre et de la documentation en général ? Les bibliothèques, les lieux qui traditionnellement permettent de les conserver, ont par voie de conséquence connu une forte et rapide transformation de leurs fonctions et usages. La question est donc ici de déterminer dans quelle mesure l’architecture des édifices construits depuis vingt-cinq ans a pris en compte ces évolutions documentaires et fonctionnelles.

2 La question de l’incidence des nouvelles technologies numériques a fait l’objet d’une bibliographie relativement importante dont l’apparition remonte à deux décennies, au moment où l’impact du numérique et d’Internet commençait à faire ressentir ses effets sur la pratique concrète du bibliothécaire et du lecteur (DOWLIN, 1984 ; LANCASTER, 1978). La réflexion avait été amorcée dès les années 1970 pour envisager la bibliothèque en termes de médias et d’information (LOGAN, MCLUHAN, 2016). Mais leur architecture ne semblait pas alors être concernée si l’on en croit les rares ouvrages publiés sur le sujet à l’époque (KUSNERZ, 1989). Au cours des années 1990 se fait jour l’idée que la bibliothèque pourrait être remise en cause et même disparaître. Parmi d’autres, Régis Debray estime que « le mouvement initié par le microfilm et le microsillon » se prolonge dans « la numérisation, la compression et l’automatisation de la saisie » pour conduire à « une

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réduction microscopique des masses documentaires (ce qui rend assez étonnante l’érection de grandes bibliothèques) », précise-t-il, alors que les salles de recherche de la BnF viennent d’ouvrir à Tolbiac (DEBRAY, 1999, p. 171). L’idée de cette disparition prochaine a rapidement pénétré les esprits pour se retrouver dans le discours des décideurs et des politiques. Au cours d’une émission de télévision (Campus diffusée le 3 mars 2006) le ministre français de la Culture et de la Communication, Renaud Donnedieu de Vabres, déclare qu’Internet dispense de se rendre en bibliothèque. Ce n’est qu’assez récemment que les professionnels des bibliothèques ont initié des études prospectives ambitieuses (AROT, BERTRAND, DAMIEN, 2011).

3 Ces doutes et ces menaces expliquent sans doute que la bibliographie concernant les bibliothèques s’accroisse remarquablement. Principalement due à des professionnels des bibliothèques – dix-sept auteurs sur dix-huit dans Nouvelles Alexandries ( MELOT, 1996) –, elle s’attache à mettre en évidence le nombre croissant d’édifices réalisés à travers le monde et l’importance des budgets consacrés aux plus grandes réalisations. Le phénomène est toujours actuel : le coût de l’Urban mediaspace d’Arrhus par SHL Architects, ouvert en 2015, est de 228 millions d’euros, ce qui fait passer les 147 millions de livres de la British Library pour une opération économique (Colin St John Wilson, 1997). Les auteurs constatent également que toujours plus de titres sont publiés, même si les tirages s’amenuisent, mettant les éditeurs dans une position d’autant plus difficile qu’ils sont en concurrence avec une information foisonnante et souvent gratuite accessible sur Internet.

4 « Ceci tuera cela », la célèbre opposition entre le livre et l’architecture identifiée par Victor Hugo n’a plus cours. Non seulement « ceci » n’a pas tué « cela », mais l’une et l’autre doivent se repenser à l’ère d’Internet et des nouvelles technologies. Celles-ci tueront-elles « ceci » et « cela » ? La bibliothèque dévastée de Robert Kuśmirowski (Stronghold, 2011, Mac Lyon) est-elle l’allégorie d’un monde bientôt révolu ? La bibliothèque ne sera-t-elle plus que patrimoniale, le musée du livre, média au charme obsolète pour collectionneurs obsessionnels ? Il faut envisager la question en termes de texte et de lecture, plutôt que de livre (DARNTON, 2009 ; BAZIN, 1996). Walter Benjamin prédisait en 1927 la disparition du livre, non qu’il ait pressenti le numérique, mais en remarquant que « l’écriture, qui avait trouvé un asile dans le livre imprimé, où elle menait sa vie indépendante, est impitoyablement trainée dans la rue par les publicités et soumise aux hétéronomies brutales du chaos économique ». Le « tourbillon si épais de lettres instables, colorées, discordantes » qui est « tombé sur les yeux » de l’homme contemporain rendait selon lui très faibles les probabilités qu’il retourne « dans le silence archaïque du livre » (BENJAMIN, [1928] 1978, p. 163). Pourtant aujourd’hui, à l’abri des bibliothèques, les livres cohabitent avec les journaux et les films… et d’ores et déjà les archives du web. Les bibliothèques sont-elles condamnées à disparaître rapidement, pour la majeure partie d’entre elles, ou à accroître exponentiellement leurs fonds de documents imprimés, textuels ou visuels, et numériques ? Les édifices réalisés depuis vingt-cinq ans parviennent-ils à prendre en compte ces questions, et avec quel traitement architectural ?

Une bibliothèque pour des livres ?

5 Jacques Roubaud imagine dès 1990, dans L’Exil d’Hortense, une bibliothèque dystopique dans laquelle « chaque lecteur [est] dans un petit cubicle personnel, avec ses

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documents, ses appareils de lecture, d’enregistrement, ses machines à traitement de texte, ses téléphones, ses vidéophones, ses imprimantes, ses crayons, ses disquettes, ses livres même parfois » (cité par CHAINTREAU, LEMAÎTRE, 1993, p. 208). Ce qui paraissait improbable et certainement détestable il y a trente ans est aujourd’hui la réalité. « L’ordre des livres » de Roger Chartier est en passe de disparaître, mais pour être remplacé par une nouvelle organisation du discours et de la lecture (CHARTIER, [1992] 1996 et 2005). Michel Melot, proposant une géopolitique des bibliothèques, souligne à quel point les cultures judéo-chrétiennes sont fondées sur le Livre, celui-ci étendant une part de sa sacralité à tous les autres, ainsi qu’aux « temples du savoir » qui les conservent et les abritent (BERTRAND et al., 1997, p. 102 et s.). La bibliothèque, réceptacle de « toute la mémoire du monde » (RESNAIS, 2004), véhicule l’image d’un lieu qui renferme dans les profondeurs de ses magasins la révélation des mystères anciens et les clés de l’avenir. « Quand on déclara que la bibliothèque comprenait tous les livres, la première réaction fut un bonheur extravagant. Tous les hommes se sentirent maîtres d’un trésor intact et secret », telle est la critique ironique que formule Jorge Luis Borges à l’encontre de ce cauchemar documentaire rempli à l’infini de livres inutiles et absurdes (BORGES, 1956 ; NICAISE, 1990). L’écrivain – qui fut aussi bibliothécaire – décrit l’imprimerie comme « le pire fléau de l’humanité », parce qu’il a permis de multiplier les volumes sans les désacraliser véritablement. Si les livres ne sont plus enchaînés sur leurs rayonnages comme cela se pratiquait encore parfois au XVIIIe siècle (AMERI, 2015), ils conservent une valeur qui va bien au-delà de leur contenu et qui légitime l’existence d’une bibliothèque monument, immense car universelle parce qu’elle doit renfermer tous les livres, ce qui était déjà le but de Ptolémée II Philadelphe au IIIe siècle avant notre ère. Certains écrivains ont rêvé à ce livre suprême caché au fond de la bibliothèque (ECO, [1980] 1982), ce livre sans lequel le monde ne pourrait être compris. Il est cependant des cultures qui envisagent son extinction avec une plus grande sérénité, ce qui est généralement le cas en Asie où, d’ailleurs, le rapport à l’authenticité et à l’ancienneté matérielle hérite d’une histoire bien différente de celle des cultures européennes (MELOT, 2004, p. 38).

6 Les documents numériques disponibles grâce à Internet présentent d’ores et déjà de multiples avantages et le discours sur leur inconfort semble étranger aux générations de « l’écran global ». Si l’on continue à publier toujours plus de livres dans le monde, c’est probablement pour des raisons plutôt symboliques et sous l’influence de facteurs d’inertie bien naturels. On ne passe aisément d’un document dont la matérialité et le contenu indique un ordre du discours à une interface qui dématérialise l’information en lui prêtant des formes variables et modifiables. Le livre reste l’objet symbolique par lequel les savoirs demeurent et se transmettent à travers les générations, pour être commenté et discuté dans la tradition de l’exégèse, afin de donner naissance à d’autres textes. Si la numérisation du texte permet via Internet de diffuser un livre dans le monde entier et même dans les pays où il serait interdit, il faut aussi prendre conscience qu’un texte qui ne serait disponible que sur un tel support risquerait de disparaître. En 2009, Amazon a effacé deux livres des fichiers des utilisateurs du monde entier de son lecteur Kindle via l’interface Whispernet : 1984 et Animal Farm de George Orwell étaient malencontreusement concernés par ce Fahrenheit 451 miniature et numérique, pour des raisons juridiques de droits d’auteur (DIJSTRA, HILGEFORT, MIESSEN, 2010, p. 25). Il serait plus long et difficile de brûler ne serait-ce qu’un seul exemplaire papier de ce livre. En contrepartie, il est bien connu que le support papier est fragile et

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que son acidification contribue à son autodestruction. La numérisation assure la survie des volumes concernés par ce type de phénomène. L’opposition entre livre et écran n’a plus de sens aujourd’hui.

7 Certaines bibliothèques ne portent déjà plus ce nom officiellement, prenant acte du fait qu’il semble entaché d’une forme d’obsolescence. Il est parfois remplacé par des appellations précises et permettent de distinguer les différents types d’édifices : learning centre, studium, idea store, médiathèque, mediacentre qui héritent de traditions culturelles diverses comme l’a montré Michel Melot (dans BERTRAND, KUPIEC, 1997). Herzog & de Meuron ont achevé en 2004 l’Informations, Kommunikations und Medienzentrum (IKZM) de la Brandenburgische Technische Universität de Cottbus- Senftenberg. L’édifice comprend une bibliothèque, à côté d’un pôle multimédia et d’un centre de données internes de l’université. Dans la pratique, la bibliothèque conserve une certaine prééminence de fait et de prestige, y compris sur le site internet de cette institution. Mais l’accent est mis sur toutes les technologies numériques et en particulier sur le e-learning. Comme pour mieux affirmer l’importance du centre des médias, les architectes opposent, aux contours plutôt paysagers des façades, une très vive polychromie au sol comme sur les vis hélicoïdes des escaliers et des rampes ; elle est fondée sur les couleurs de la mire de la télévision (BISBROUCK, DESJARDINS, MÉNIL et al., 2004, p. 123).

8 Face à ces évolutions rapides, on pourrait être surpris de constater que de plus en plus de bibliothèques sortent de terre, de toute taille et de toute nature (JOHNSON, 2016). Les grandes bibliothèques des états nouveaux veulent affirmer une identité nationale et culturelle. La bibliothèque de Zagreb est inaugurée le 28 mai 1995, jour du cinquième anniversaire de l’indépendance de la Croatie. Les grandes bibliothèques des grands états affichent une prééminence culturelle mondiale ; les bibliothèques publiques figurent souvent dans les bilans positifs d’un maire, non sans polémiques et redéfinitions à la faveur des alternances électorales – voir l’exemple du Pôle culturel Grammont à Rouen, de Rudy Ricciotti, dont la réalisation est marquée par un changement de programme (DESMOULINS, MISEREY, 2010). De petites bibliothèques trouvent leur place dans les aéroports, à Schiphol par exemple, dont les onze chaises et les quatorze fauteuils sont très prisés ; dans les métros de Madrid, de Santiago du Chili ou dans les gares des Pays-Bas. Au Royaume-Uni, les anciennes cabines téléphoniques dessinées par George Gilbert Scott ont parfois été reconverties en petites bibliothèques sauvages à partir de 2002. Le principe est le même que celui qui préside aux Free Libraries dont la devise est « prenez un livre, rendez un livre ». Elles fleurissent partout où l’on peut poser quelques volumes. Certains designers s’y sont intéressés (Little free library de Stereotank à New York). Il y a des activistes du livre : Raúl Lemesoff parcourt Buenos Aires avec sa bibliothèque mobile baptisée « Arma de Instrucción masiva » – un pickup aux allures de char d’assaut blindé de rayonnages de livres. Il n’y pas de grands rassemblements altermondialistes sans sa bibliothèque, quitte à la reconstruire souvent ou à la démonter tous les soirs. Cette efflorescence, qui touche tous les types de bibliothèques, illustre une forme de défense des valeurs culturelles et de la connaissance dans nos sociétés contemporaines mercantiles. Claude Nicolas Ledoux n’opposait-il pas déjà en 1804 « les bibliothèques où se nourrit l’esprit ; le fisc où il se dessèche ; la maison d’étude où se dispensent les lumières, celle de jeu où elles s’éteignent » (LEDOUX, 1804, p. 6).

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9 Si les documents conservés dans ce que l’on continue d’appeler de façon générique des bibliothèques se diversifient de façon considérable, il ne s’agit pas toujours de livres. Il en paraît de plus en plus chaque année, mais avec des tirages plus faibles. Ils ne représentent, à côté des périodiques, des images, des films, des formats numériques et du web qu’une petite minorité de ce que les bibliothèques de prêt ou d’étude conservent et mettent à disposition. La BnF a intégré 670 000 documents de tout genre en 2014, dont seulement 80 000 livres1. Face à cet accroissement documentaire exponentiel, les grandes bibliothèques se sont dotées de lieux de stockage éloignés du site principal. Ces magasins accueillent des ouvrages peu consultés qui peuvent représenter plus de 50 % des fonds. Il s’agit aussi parfois de centres de numérisation produisant des exemplaires consultables en ligne. Les bâtiments de l’Institut de l’Information Scientifique et Technique (INIST) dans le parc de Brabois à Vandœuvre- lès-Nancy, par Jean Nouvel, ont été achevés en 1989. Bien que ses missions aient été revues en 2014 et que les lecteurs puissent désormais consulter sur place, l’établissement n’était à l’origine destiné qu’à la numérisation et à la diffusion de la documentation scientifique. Jean nouvel a imaginé des volumes métalliques qui suggèrent des formes de matériel informatique pour évoquer les différentes fonctions du site (BOISSIÈRE, 1992). Plus récemment, en 2014, les nouveaux magasins de la bibliothèque du Stiftung preussischer Kulturbesitz à Friedrichshagen (Eberhard Wimmer architeckten) proposent une définition moins technologique et plus symbolique. Les façades de pierre savamment travaillées, avec leurs baies ouvertes dans la partie inférieure suggèrent, par leur animation et leur grand développement vertical aveugle, l’image de l’accumulation de volumes gris. Ils peuvent être interprétés comme des livres aussi bien que des bits sur un serveur informatique.

Penser la bibliothèque à l’ère du numérique et des réseaux

10 La plupart des publications périodiques sont désormais disponibles sous des formats numériques, avec une version papier qui assure une coexistence solidaire des deux médias. Mais certaines ont été contraintes de renoncer à l’exemplaire imprimé pour des raisons financières. Compte tenu de l’importance de la masse documentaire que représentent les publications périodiques comme de la multiplication des formats ebooks, il est légitime de se demander si les lecteurs vont encore longtemps lire sur papier dans le cadre de la bibliothèque. De plus, grâce au web, ces ressources sont de plus souvent accessibles en ligne, à distance, car elles sont mises à disposition des chercheurs par les bibliothèques elles-mêmes. Cela n’est pas sans incidence sur la fréquentation des salles de lecture. La BnF, tous sites confondus, a constaté une baisse de 14 % entre 2005 et 2011, alors que celle de Gallica, la bibliothèque électronique de cette même institution, progressait dans des proportions égales, ce qui s’explique principalement par l’accroissement des documents numérisés2. Il faut dire que certains résultats de Gallica sont accessibles depuis le moteur de recherche Google. Il est prévu d’accentuer cette convergence et, à partir du même moteur de recherche, d’aboutir directement à l’information dans les bibliothèques numériques – et plus seulement au catalogue3. En France toujours, les bibliothèques publiques, qui ont acquis 5 à 6 % de livres de moins en 2013, voient leurs inscriptions baisser de 3,2 %. En revanche, les chiffres progressent pour les visiteurs occasionnels qui viennent suivre une conférence,

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lire, visionner ou écouter sur place et le plus souvent emprunter, visiter une exposition, boire un verre, etc. Les usagers sont de moins en moins souvent des lecteurs solitaires, tous ensemble assis des heures durant derrière des tables dans la grande salle de lecture d’un édifice nommé bibliothèque. Il est devenu un « troisième lieu » dont les fonctions sociales sont revendiquées, non sans débats sur la pérennité de sa vocation culturelle (SERVET, 2009 ; PETIT, 2012, p. 16 ; JACQUET, 2015).

11 L’évolution rapide des usages et la diversité des fonctions de différents types d’établissement rendent complexe la définition d’une bibliothèque. De nombreux guides ont été publiés par aider les bibliothécaires à concevoir le programme (BISBROUCK, [1984] 1985 et 1993 ; CHAINTREAU, 2016). Une abondante bibliographie est parue sur les conséquences de la numérisation des documents dans les années 1980-2000. On mesure le chemin parcouru pour beaucoup de bibliothécaires et de lecteurs. Le mélange des écrans – parfois qualifiés « d’irréductibles » – et des livres dans la même salle semblait constituer un problème majeur aux yeux des bibliothécaires et de nombre de lecteurs chercheurs (MELOT, 1996, p. 23-24). Il est vrai que le bruit des claviers, des ventilateurs des unités centrales ainsi que le volume des moniteurs étaient une gêne réelle. La généralisation de la possession d’un ordinateur portable et le développement du wifi dans les salles de lecture ont complètement modifié les données du problème depuis quelques années. Il n’y a plus de raison de s’inquiéter de voir naître une bibliothèque « sans murs » sous l’effet des réseaux (CHARTIER, [1992] 1996 ; BLOCH, HESSE, 1995, p. 6). La baisse de la fréquentation est néanmoins une réalité.

12 Ce phénomène a conduit les bibliothécaires à insister sur les fonctions politiques et sociales, une façon de justifier l’existence d’un édifice dont les collections pourraient être entreposées ailleurs et communiquées aux lecteurs, par le réseau, dans leur bureau ou à leur domicile, sur leurs ordinateurs, tablettes, téléphones ou livres électroniques (SHOAM, YABLONKA, 2008). Dans le cas de la lecture publique, les bibliothécaires craignent de devenir des documentalistes dont on attend la réponse à une question – comme d’un moteur de recherche – et non une orientation bibliographique. La question pourrait bien être assez semblable dans les bibliothèques de recherche. Depuis un moteur de recherche internet, le lectorat sera celui du monde entier, puisant directement par des mots clés dans les contenus numérisés, qui sont de plus en plus nombreux. Une perspective inquiétante pour les professions des bibliothèques, des magasiniers aux bibliothécaires. Paradoxalement, nombre de bibliothèques ont multiplié les postes de consultation internet de façon à permettre aux usagers en situation précaire de disposer d’une connexion qu’ils n’ont pas chez eux : une façon de répondre aux fonctions sociales de la bibliothèque publique. Aujourd’hui les bibliothèques sont devenues « hybrides », selon l’expression des architectes Xavier Fabre et Vincent Speller (PETIT, 2012) accueillant toutes sortes de médias, qu’il s’agisse de médiathèques à proprement parler ou de bibliothèques d’étude et de recherche. Pour certains, la « bibliotech » sera surtout une plateforme de diffusion essentiellement digitale de documents de format numérique natif ou de copie numérique de documents imprimés ou manuscrits (PALFREY, 2015, p. 226). Elle deviendrait en quelque sorte productrice, voire éditrice, de ses fonds dans une collaboration accrue avec les partenaires scientifiques et culturels.

13 Il est encore difficile de mesurer l’impact sur l’architecture des bibliothèques. S’agit-il de renforcer la légitimité de l’institution par une architecture très forte voire

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emphatique, ainsi que le suggèrent les architectes X. Fabre et V. Speller (PETIT, 2012, p. 55) ? S’agit-il au contraire de construire de nombreuses petites bibliothèques en réseau pour être plus proches des lecteurs, ainsi que le propose le designer Daniel van der Velden (DIJSTRA, HILGEFORT, MIESSEN et al., 2010, p. 25) ? Dans les faits, depuis vingt-cinq ans, on assiste à la multiplication des deux échelles de programmes, les grandes bibliothèques surgissant de terre sans que diminue le rythme de création des médiathèques de quartier (Jean-Claude Garcias, dans Architecture(s) de bibliothèques…, 2000).

Un type architectural incertain

14 La bibliothèque est donc un programme diversifié par ses nombreuses fonctions, pluriel par les documents, ressources et activités qu’il abrite comme par les usagers qui le fréquentent. Elle est plus que jamais, ainsi que l’indique le philosophe Daniel Payot, un « lieu paradoxal, tendu entre conservation et création, entre recueil et passage, entre mémoire et promesse : lieu d’information et de tradition, mais suffisamment dépourvu d’identité pour ne pas être tenté de se clore sur un quelconque état achevé du savoir, c’est-à-dire pour continuer à suggérer une vivacité et un devenir de la production du savoir » (dans BERTRAND, KUPIEC, 1997, p. 30).

15 Les architectes ne peuvent donc dessiner une bibliothèque aujourd’hui d’après une idée générale. L’époque est révolue où Louis Kahn pouvait écrire : « une bibliothèque c’est un lecteur qui prend un livre sur les rayonnages et qui s’approche de la lumière pour le lire » (KAHN, 1991). D’ailleurs, pour le Salk Institute de La Jolla en Californie, il s’était d’abord consacré à une définition rigoureuse d’un programme spécifique. Nombre d’architectes se déclarent particulièrement attachés à ce type d’édifice, même si les grandes revues d’architecture semblent s’y intéresser relativement peu (SYREN, 2007). Il faut probablement y voir un lien particulier avec le livre qui a été pendant plusieurs siècles un moyen particulièrement important de légitimation (GARRIC, ORGEIX, THIBAULT, 2011). À partir de la Renaissance, la tradition théorique en architecture a contribué de façon majeure à l’histoire du livre imprimé (CARPO, 2008). Certains architectes ont développé un goût pour le livre qui confine à la bibliophilie (STEFFENS, 2009). Quelques- uns se sont particulièrement illustrés dans une véritable architecture du livre, que l’on pense aux ouvrages publiés par Le Corbusier ou Rem Koolhaas. Enfin, pour beaucoup, la bibliothèque est un programme culturel prestigieux, utile socialement, intéressant par sa difficulté et ses contraintes. Il donne l’opportunité à celui qui le conçoit de créer une ambiance propice au travail et à la réflexion. Étienne-Louis Boullée l’indique déjà en évoquant son projet de bibliothèque qui donne l’occasion à l’architecte « de développer les talents » (BOULLÉE, 1968). À titre d’hypothèse, il faut aussi évoquer un type de rapport particulier dont l’origine pourrait se situer dans les premières bibliothèques de la Renaissance. Des compositions architecturales inédites laissent penser que Michel Ange à la Laurenziana et Sansovino à la Marciana auraient voulu manifester leur auctorialité dans une forme de concurrence avec les auteurs pour lesquels ils créaient une façade, un frontispice monumental (BIERI, FUCHS, 2001).

16 Dans une étude récente, Philippe Schneider a mis en évidence les représentations de cet édifice auprès d’un échantillon d’architectes français – choisis pour leur intérêt avéré envers ce programme (SCHNEIDER, 2014). Il en résulte les critères suivants, classés

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par ordre d’importance : un lieu de conservation de la mémoire, de silence, de travail, patrimonial, un signal qui doit permettre de démocratiser la culture, un lieu de vie, de lumière, un édifice à insérer dans l’espace urbain, et enfin un projet politique. Il est ainsi facile de constater que la diversification du programme des bibliothèques n’apparaît qu’en filigrane et comme une préoccupation secondaire. Pierre Riboulet, qui a réalisé plusieurs bibliothèques, considère que « le livre nous protège de ce monde », c’est-à-dire celui de la télévision, celui des médias, ici opposé au monde de la connaissance. L’édifice est un « objet singulier », né du même attachement que l’homme porte à ses livres ; « et j’ai un peu peur de me tromper… », ajoute-t-il lucidement (PATY, 2004, p. 40).

17 L’imaginaire littéraire de la bibliothèque peut également nourrir la créativité mais dans une mesure encore moindre. Chez Borges et chez Eco, il s’agit plutôt d’un contre- modèle, d’une satire qui repose généralement sur le caractère impénétrable et labyrinthique d’un édifice qui résiste à ses lecteurs (CHAINTREAU, LEMAÎTRE, 1993). Sont ainsi représentés les affres et l’obscurité du classement des ouvrages qui semble parfois destiné à ce que personne ne puisse les trouver, sauf le bibliothécaire lui-même – M. Sariette chez Anatole France (MELOT, 2004, p. 18). La Babel de Borges et la tour du Nom de la Rose peuvent trouver davantage d’écho dans l’architecture réelle. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard si Umberto Eco a déclaré qu’il appréciait particulièrement la Thomas Fischer Rare Book Library de l’université de Toronto par Mathers et Haldenby (ECO, [1981] 1986). Très libre et colossale interprétation de la bibliothèque néo-gothique du parlement du Canada (Thomas Fuller et Chilion Jones, 1876), elle présente une façade aux allures de falaise anguleuse dont le hiératisme hautain indique bien aux lecteurs les trésors qu’elle préserve et toute la virtù dont il leur faudra faire preuve pour accéder au savoir. Néanmoins, les seules mentions à caractère architectural formulées par Umberto Eco montrent bien qu’il s’agit d’une charge esquissée par un grand lecteur à l’encontre de certaines conceptions bibliothécaires : « autant que possible pas de toilettes […]. Dans l’idéal, l’utilisateur ne devrait pas pouvoir entrer dans la bibliothèque » (ECO, [1981] 1986, p. 18).

18 La culture historique et architecturale peut évidemment fournir un grand nombre de plans types qui correspondent à des périodes précises mais révolues : centraux, en éventail, en peigne, ou en étoile, ce qui correspond, dans l’esprit du panoptique, aux principes de « distribution du savoir et [de] surveillance du public » (MELOT, dans BISBROUCK, MITTLER, 1997, p. 56). Mais l’idée d’une forme ou d’un plan symboliques de bibliothèque semble ne plus avoir cours. Harry Faulkner-Brown, dans ses « dix commandements » présentés au Congrès de l’IFLA (International Federation of Library Associations and Institutions) de 1973, se garde bien de définir une forme ou un type de plan. Michel Melot, en 1991, constate la même impossibilité (La Bibliothèque, 1991). Depuis une décennie les programmistes sont sollicités pour organiser la réflexion sur les besoins et définir la conception architecturale précise. Ce processus permet également d’envisager « les attentes qualitatives » des ambiances (BISBROUCK, 2014, p. 133). Le travail de l’architecte commence à ce stade et se prolonge par un dialogue étroit avec les bibliothécaires. Jurgen Lange, le directeur de la bibliothèque publique d’Ulm, a rédigé des critères qui ont été joints au dossier de l’appel d’offres pour définir des principes utiles aux architectes, mais difficiles à traduire en plan et en volumes. Pour les résumer : la bibliothèque sera un lieu central dans la ville du futur, elle combinera tradition et innovation, elle sera une compagne de route fidèle et fiable, un

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lieu pour l’apprentissage tout au long de la vie et soutiendra des méthodes pédagogiques innovantes. Elle favorisera la rencontre avec la science, la littérature, l’art et la musique et elle jettera des ponts entre la culture et l’éducation. Elle développera des stratégies pour l’organisation et la gestion des connaissances, elle garantira un accès gratuit aux informations. On y trouvera un espace multimédia pour les enfants et les adolescents, et elle devra assurer une pédagogie des médias. Elle sera un espace de rencontres entre les générations et les cultures, développera des réseaux et remplira ses missions vis à vis de la ville et de sa région. Elle sera accueillante et tournée vers l’avenir (BISBROUCK, DESJARDINS, MÉNIL et al., 2004).

La recherche d’une symbolique

19 Les architectes affrontent des cahiers des charges de plus en plus complexes et élaborés, ce qui rend l’invention d’une forme symbolique particulièrement difficile. Le temps où Labrouste pouvait inscrire sur la façade de la bibliothèque Sainte-Geneviève le catalogue des auteurs semble révolu. Pourtant quelques bibliothèques contemporaines ont retenu un parti similaire en parant les façades d’inscription, comme Pierre Riboulet à Vincennes. Certains édifices s’offrent aux regards sous la forme de murs de rayonnages. Le parking de la Public Library de Kansas City présente une façade composée d’un rayon de livres monumentaux dont les titres ont été sélectionnés par les lecteurs. De façon plus élaborée, certains architectes ont exposé la présence des rayonnages. Sou Fujimoto a créé un labyrinthe sophistiqué de casiers à livres qui clôt l’édifice et délimite les espaces (Musashino Art University, 2010). Les murs rideaux de verre transparents ne constituent que des façades protectrices. D’une façon assez semblable l’agence MVRDV a achevé en 2012 pour la bibliothèque publique de Spijkenisse une grande structure pyramidale couverte de verre pour laisser voir « une montagne de livres » – tel est le nom que les architectes ont donné à ce projet –, sous la forme d’une sorte de mastaba de rayonnages. Ces réalisations traduisent la persistance de la symbolique du livre.

20 Les volumes extérieurs sont souvent peu évocateurs à moins qu’il ne s’agisse de métaphores allusives. La bibliothèque nationale de Sejong Ji en Corée (2013, Samoo Architects and Engineers) adopte la forme courbée d’une page. La Philologische Bibliothek de la Freie Universität de Berlin dessinée par Norman Foster a été baptisée « The Brain » par les utilisateurs en référence à sa forme bombée qui évoque les deux lobes cérébraux, une idée renforcée par l’agencement symétrique intérieur des niveaux de rayonnages et des plateaux des espaces de travail. Néanmoins, il pourrait tout aussi bien s’agir d’un équipement sportif et cette forme très organique est due au contexte architectural immédiat. Cette bibliothèque est insérée entre les façades d’acier Corten conçues par Jean Prouvé. Leur strict tramage orthogonal et rectilinéaire est repris mais déformé, dans un hommage paradoxal et ambigu qui signifie bien son dépassement esthétique. Dans un même ordre d’idées, l’édifice culturel qui abrite deux salles de cinéma d’art et d’essai et la médiathèque de Lons-le-Saunier (du Besset-Lyon, 2012) présente des façades concaves animées de fenêtres hexagonales. L’édifice ne suggère aucune analogie d’ordre livresque, les architectes ne proclamant que la volonté de le faire danser face à son pesant voisinage.

21 Ce n’est pas le cas de la BnF de Dominique Perrault dont les quatre tours représentent des livres colossaux et explicitent, de façon « parlante », leur fonction originelle de

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magasins destiné à accumuler des ouvrages dont on aurait vu le niveau progressivement monter. Il ne serait être question de revenir en détail sur le concours et la réalisation de cet édifice. Mais il est nécessaire de rappeler que la « Très Grande Bibliothèque » est née au moment où les nouvelles technologies faisaient pour la première fois sentir leurs effets. Le président de la République française, révélant son projet lors d’une interview en juillet 1988 avait déclaré vouloir une bibliothèque « qui puisse communiquer [le] savoir à l’ensemble de ceux qui cherchent, ceux qui étudient, ceux qui ont besoin d’apprendre, toutes les universités, les lycées, tous les chercheurs qui doivent trouver un appareil modernisé, informatisé4 ». La question d’une bibliothèque « connectée » pour reprendre les mots de François Mitterrand, était inscrite dans le texte du concours, mais bien peu d’architectes, parmi les 244 invités, ont su ou voulu lui donner une forme architecturale (Premiers volumes, 1989).

22 Dans un article important paru en 1993, Anthony Vidler analyse les résultats du concours en historien et théoricien de l’architecture pointant le flou du programme et les faux semblants modernistes du projet lauréat. La question de la transparence retient particulièrement son attention pour en proposer une interprétation critique. Il s’agirait d’un leurre esthétique correspondant aux contradictions politiques de la gauche française au pouvoir. La façade transparente, censée assurer la création d’un lieu ouvert et démocratique, serait une pure illusion. De fait, Dominique Perrault a revendiqué la création d’un parcours initiatique qui dément la transparence des tours de livres. À la difficile ascension des lecteurs sur le podium escarpé succède la longue descente des chercheurs vers les profondeurs des salles de recherche autour du bois sacré qui demeure inaccessible.

23 A contrario, Vidler défend l’attitude de Rem Koolhaas et de son agence OMA dont le projet prend pleinement en compte l’irruption du numérique : un bloc translucide où flottent des « embryons » de toutes les formes de la mémoire : livres, disques, instruments d’optique, microfiches, ordinateurs. Cette indétermination correspond à l’imprécision du programme du concours et plus encore à l’incertitude des conséquences des technologies numériques. Quelques années après l’échec de son projet parisien, Koolhaas a pu concrétiser ses conceptions en réalisant le Bibliothèque centrale de Seattle (2004). Cet édifice spectaculaire piège dans ses façades de verre les reflets diffractés des tours environnantes. Ses volumes contrastés alternent dilation et contraction offrant l’image incohérente d’une composition impossible. À sa conception préside la complexité du programme fixé par les maitres d’ouvrages, traduit sous forme d’histogrammes de données par les architectes. Il en résulte une architecture brutalement et exactement traduite en volumes superposés ou accolés les uns aux autres. Les magasins s’enroulent autour d’une spirale qui représente l’indécidabilité du classement des fonds. Si cette architecture relève d’une mise en forme scientifique des données – un datascape – (KLINGMANN, 2001), elle peut aussi être interprétée, paradoxalement, comme une forme d’aporie esthétique par le refus revendiqué d’une mise en forme assumée.

24 Les propositions d’Herzog & de Meuron pour la bibliothèque de la Hochschule für nachhaltige Entwicklung à Eberswalde retiennent un autre parti (1999). Les façades reproduisent des clichés de la collection de Thomas Ruff. Les photographies, qui représentent des scènes de la vie courante et des œuvres d’art, sont imprimées pixel par pixel sur les panneaux de béton et sur la plupart des fenêtres traités en bandeaux continus. La nuit, la lumière interne les fait ressembler à des écrans rétro-

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éclairés tandis que quelques vitrages transparents laissent paraître les espaces internes. Le strict parallélépipède du bâtiment se présente ainsi sous la forme d’écrans qui transforment la bibliothèque en vecteur de communication où le texte imprimé occupe peu de place.

Façades ouvertes pour un lieu clos

25 Dans le contexte de la « crise des bibliothèques » et de leur volonté de conserver voire d’attirer un public plus nombreux et diversifié, le traitement de la façade revêt une importance particulière tant elle est souvent, pour l’usager, la synecdoque de l’édifice. Anne-Marie Bertrand, dans un ouvrage fondateur sur l’architecture des bibliothèques (BERTRAND, KUPIEC, 1997) identifie cette question comme essentielle. Il s’agit en effet d’insérer l’édifice dans la ville et de le faire participer pleinement à la vie de la cité, tant sur le plan culturel que social. Mais, dans le même temps, la généralisation de la transparence des façades se heurte aux spécificités du programme : réguler la lumière pour le confort des lecteurs et la conservation des documents. La bibliothèque doit donc être à la fois ouverte, pour attirer des usagers en démythifiant le lieu, et fermée afin lui de permettre de remplir ses fonctions et de conserver sa vocation culturelle. Roland Recht, dénonçant en 1994 le nouvel aménagement du Louvre qui offre « le spectacle du musée » et non celui des collections, prolonge sa réflexion sur les bibliothèques pour dénoncer l’utopie démocratique de la transparence. Il souligne que, dans les deux cas, l’identité même de ces lieux de culture est menacée (RECHT, 1994). Le risque est en effet réel, selon l’architecte Albert-Gilles Cohen, de transformer les lecteurs en poissons d’aquarium (dans BISBROUCK, DESJARDINS, MÉNIL et al., 2004, p. 183). Pourtant, depuis le XIXe siècle, la préoccupation première des professionnels est de créer, à l’instar d’Eugène Morel, des bibliothèques « sans portes » (BERTRAND, KUPIEC, 1997, p. 102 ; SEGUIN, 1994). Il semble, en effet, que ces façades « ouvertes » accroissent la fréquentation, même s’il ne s’agit parfois que d’une curiosité passagère pour les lieux nouveaux. Des études précises ont été réalisées sur la base d’entretiens qui montrent l’importance, parfois inconsciente, que les usagers accordent à l’architecture des bibliothèques qu’ils fréquentent (LÉGER, DECUP-PANNIER, HASAE, 2006 ; DEGUEURSE-GIULIANI, 2008).

26 Certaines bibliothèques proposent des façades spectaculaires, ce qui correspond également à la volonté d’afficher une image culturelle valorisante pour un commanditaire public. Dans le cas de l’Idea Store de Chrips Street à Tower Hamlets (Londres), la polychromie très ludique est consciemment présentée comme une volonté de dédramatiser le lieu. La mise en œuvre du verre imprimé jouit d’une certaine faveur car ce matériau peut équilibrer ouverture et fermeture. Les façades de la Bibliothèque universitaire d’Aberdeen affichent de larges stries irrégulières blanches qui filtrent la lumière (Schmidt Hammer Lassen, 2012). D’autres solutions ont été retenues par les architectes. La BAnQ (Bibliothèque et archives nationales du Québec) de Montréal voit ses façades vitrées entièrement recouvertes de claustras à la façon de stores vénitiens, seulement interrompus pour manifester la présence de l’entrée principale (Patkau Architects, Croft Pelletier et Gilles Guité, 2005). Dominique Coulon et associés pour la médiathèque d’Anzin proposent des façades qui s’ouvrent à la manière d’un origami complexe de papier blanc entrecroisant de grandes ouvertures et de grands pleins (2010). Rudy Ricciotti, pour le Pôle culturel Gramont à Rouen, crée une façade

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brutalement striée en oblique par la structure au-devant des vitrages du premier niveau. Le Civic Centre Resource Library à Vaughan, dans l’Ontario (ZAS Architects, 2016), est largement vitré mais les ouvertures serrées les unes contre les autres et en oblique évoquent irrésistiblement un rayonnage de livres tandis que la courbure de la façade rappelle celle d’une page.

27 La transparence n’est pourtant pas généralisée et certaines bibliothèques se présentent comme des lieux clos. Paul Chemetov et Pierre Riboulet partagent l’idée de la bibliothèque comme un sanctuaire, mais apportent des réponses architecturales qui consistent à faire rentrer la ville dans la bibliothèque tout en offrant des espaces de travail et de concentration isolés, clos et neutres. La solution de la « rue-galerie » – une référence indirecte à Charles Fourier – retenue pour la bibliothèque de P. Riboulet à Vincennes, permet de favoriser le passage par l’édifice sans nuire à la qualité des espaces de travail (PATY, 2004). La Bibliothèque Köpenick à Berlin (bfm-architeckten, 2008), présente un jeu d’échelle des ouvertures qui suggère un lieu préservé. Celle d’Utrecht de Wiel Arets recourt à un verre animé de motifs qui filtrent la lumière et arrêtent le regard. « The Blue Diamond », la bibliothèque royale danoise à Copenhague (Schmidt Hammer Lassen, 1999) doit son surnom à sa forme noire anguleuse qui reflète ceux qui la regarde. Celles de Zaha Hadid à Vienne (Autriche) et à Montpellier exploitent le glissement oblique de volumes qui les rend très monolithiques. La bibliothèque des sciences de l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (Badia-Berger architectes, 2014), offrent l’image de volumes carrossés qui prennent la lumière par des avant-corps ouverts latéralement. L’éclairage de la salle supérieure est surtout zénithal au moyen de sheds. Pour citer un dernier exemple particulièrement spectaculaire, Dudler a réalisé pour la bibliothèque Folkwang d’Essen-Werden (2012), une bibliothèque totalement opaque qui ne permet même pas aux usagers de contempler l’extérieur. Ce coffre précieux se réfère assez explicitement à la Beinicke Library de Yale de Gordon Bunshaft, toute renfermée derrière des parois de marbre translucide.

28 Afin d’insérer l’édifice dans la ville, de l’ouvrir sur les habitants et de leur offrir un espace libre, certains architectes ont créé des terrasses imposantes au point de structurer le volume général, voire de supprimer toute façade monumentale. La bibliothèque de l’université de technologie de Delft (1995) fait onduler un vaste toit végétalisé percé d’un cône monumental qui fait pénétrer la lumière à l’intérieur en la faisant glisser sur ses parois. C’est aussi le cas de la bibliothèque publique de Dendermonde en Belgique (BOB361 Architectes, 2012) dont les vastes couvertures pentues et goudronnées servent aux usagers, mais accueillent aussi un parking pour automobiles qui peut faire office de piste pour skaters. D’autres terrasses privilégient plutôt le confort des lecteurs. C’est le cas du « Grand Équipement Documentaire » d’Aubervilliers par Élisabeth de Portzamparc qui multipliera les accès aux terrasses et toitures végétalisées (Elizabeth de Portzamparc, 2019), de la bibliothèque nationale de Sejong Ji en Corée (Samoo Architects and Engineers, 2013) encore de la librairie centrale Käännös – « traduction » et « virage » en finnois – en plein cœur d’Helsinki dont la façade lippue s’évase vers l’extérieur pour ouvrir une vaste terrasse dominant la ville (ALA Architects, 2018).

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Espaces internes : du supermarché à la cathédrale

29 Le développement de la mise en espace des fonds et de l’accès libre des lecteurs aux documents a bouleversé la conception des salles de lecture à partir des années 1980. Le phénomène est particulièrement sensible dans le domaine des bibliothèques publiques puisque les livres doivent être facilement accessibles pour être consultés ou empruntés. L’alignement des rayonnages, suffisamment espacés pour permettre le passage, a imposé dans les esprits l’image du supermarché. La Bpi du Centre Georges Pompidou, dont tous les documents sont accessibles à tous les lecteurs « en libre-service », avec ses alignements de rayonnages sur de vastes surfaces non cloisonnées, a contribué à diffuser cette idée. De fait, il s’agit, dans les deux types d’établissement, de tenter le lecteur/acheteur et de lui permettre de choisir. L’idée d’une bibliothèque supermarché est cependant contestée dans les années 1980 et l’on assiste à « un retour à la cathédrale » (GASCUEL, 2007). Cela concerne les façades extérieures de l’édifice, mais aussi le caractère monumental que l’on peut attendre des espaces internes. En France, la décentralisation et la création des bibliothèques municipales à vocation régionale (BMVR) ont favorisé ce phénomène (DEGUEURSE-GIULIANI, 2008).

30 Dans l’imaginaire littéraire des bibliothèques, l’espace labyrinthique, sombre, froid et infini des magasins est souvent confondu avec celui de la salle de lecture, ouvert, clair et confortable. Si cela peut être vrai des grandes bibliothèques privées ou des pratiques anciennes, il est rare que ces deux espaces communiquent visuellement. La salle des imprimés de la Bibliothèque nationale de France par Henri Labrouste étant une exception majeure, mais relative, puisque les magasins sont mis en scène depuis la salle, mais très partiellement visibles. L’usage de rayonnages mobiles de types compactus et la mise en service de robots pour chercher et acheminer les ouvrages transforment les magasins en locaux techniques comparables à des entrepôts industriels. Par ailleurs l’évolution de la bibliothéconomie depuis un demi-siècle a conduit à donner un accès libre au plus grand nombre d’ouvrages possible. Les lecteurs, sauf exception, n’y ont plus leur place.

31 La salle de lecture ou de consultation reste l’espace le plus caractéristique. L’évolution des pratiques a néanmoins conduit à créer des salles très diversifiées, en commençant par des espaces d’accueil et de convivialité. Un mobilier dont les lignes et les couleurs évoquent plus la détente que le travail s’est peu à peu imposé, aux côtés de chaises et de tables traditionnelles. Il est probable que la vive polychromie des fauteuils en mousse et la recherche d’une atmosphère « joyeuse » passera rapidement de mode, mais leur fréquentation assidue atteste de leur succès auprès des usagers des médiathèques (BISBROUCK, DESJARDINS, MÉNIL et al., 2004, p. 17). Depuis les années 1980, les lecteurs et leur comportement font l’objet d’innombrables enquêtes parfois subjectives et poétiques (BAJARD, DARROBERS, FILIOLE et al., 1986), le plus souvent techniques et sociologiques (POULAIN, BARBIER-BOUVET, 1986), et plus récemment focalisées sur les comportements dans l’espace et la documentation (CAILLET, 2014 ; HARROP, TURPIN, 2013 ; MAY, 2011).

32 Ainsi, certains architectes adoptent des formes emblématiques. La tour de Babel est un archétype auquel ils se réfèrent souvent indirectement, voire inconsciemment, par des effets de verticalité qui traduisent la lente et persévérante ascension vers la connaissance (BERTRAND, KUPIEC, 1997). Mario Botta, à la Maison du livre, de l’image et du son de Villeurbanne (1988), a organisé les espaces autour d’un puits central dont le traitement évoque les spirales de la tour mythique. Le puits qui traverse les niveaux de

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la bibliothèque universitaire d’Aberdeen évoque la même forme spiralée. Par l’irrégularité des anneaux blancs qui souligne ces percements des planchers, par le décalage qui les rend irréguliers et mouvants, le lecteur se sent aspiré vers les niveaux supérieurs. Il en résulte une impression de monumentalité qui permet d’embrasser du regard le vaste volume des espaces de lecture, pourtant strictement séparés par des niveaux. Les architectes qui ont restructuré la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, en remodelant les escaliers au cœur du bâtiment, ont créé un effet semblable (Nicolas Michelin et Associés, 2014). Santiago Calatrava, reconstruisant la bibliothèque de la faculté de Droit de l’université de Zurich au sein d’un bâtiment historique, écarte les niveaux comme on ouvre un livre dont les pages se courbent (1994). Les tables de travail longent leur cambrure, les rayonnages se trouvent au pourtour et la lumière diurne descend d’une verrière bombée dont la structure complexe régule automatiquement l’intensité.

33 Bien que la diversification des médias et de la documentation implique celle des espaces de la bibliothèque, la grande salle de lecture demeure une présence récurrente dans les représentations visuelles de la bibliothèque ainsi que le souligne Michel Melot (BISBROUCK, MITTLER, 1997, p. 56). Elle traduit le prestige de l’édifice par son caractère monumental et l’immensité des fonds que l’on peut y consulter, des critères importants quand il s’agit d’une bibliothèque nationale ou centrale. Elle véhicule des idéaux démocratiques d’accès au savoir, comme pour d’autres programmes d’ailleurs (MELET- SANSON, LENIAUD, BERTRAND et al., 2013). Mais l’idéal encyclopédique et démocratique d’une grande salle où tous les lecteurs accéderaient à tous les savoirs a vécu. Pourtant, en tant qu’espace architectural, elle reste à l’ordre du jour. Selon le traitement qui lui est donné, elle peut mettre en valeur différentes représentations de la bibliothèque et déterminer fortement les conditions de travail des usagers ainsi que la qualité de leur travail.

34 Dominique Perrault à la BnF est parvenu à concilier l’immensité d’un long espace et son fractionnement en salles consacrées à des sujets distincts. Les voiles de résille métalliques en maille d’acier suspendus masquent les réseaux et la structure au plafond avant de redescendre verticalement pour fermer le volume sur la face opposée aux grandes baies. Du Besset-Lyon pour la médiathèque de Troyes (2002) ont retenu un parti semblable avec une nappe de tubes de métal doré qui flotte au-dessus des espaces pour les éclairer en les unifiant visuellement. Dans les deux cas les rayonnages permettent de délimiter les espaces et de limiter le nombre de lecteurs dans le champ visuel de l’usager. Toyō Itō, pour la bibliothèque d’art de Tama, près de Tokyo (2007), élabore un jeu d’arches qui croisent leurs portées sur toute la superficie. Leur implantation suit de légères courbures et les rayonnages serpentent entre les retombées. Les grands pleins-cintres évoquent l’architecture religieuse occidentale et l’image de recueillement qui l’accompagne.

35 Au contraire, la bibliothèque José Vasconcelos à Mexico (Alberto Kalach, 2006) remplit la hauteur de son volume de coursives métalliques et de rayonnages. Il en résulte une atmosphère qui évoque les Carceri de Piranèse, impression que le squelette de baleine suspendu par Gabriel Orozco renforce encore (Mátrix Móvil, 2006). Plus sobre, mais tout aussi spectaculaire, la salle centrale cubique de la bibliothèque de Stuttgart (Eun Young Yi, 2011) rappelle également Piranèse. Les niveaux qui la composent se retirent de façon à ouvrir le vide central au fur et à mesure que l’on s’approche de la verrière. Des escaliers permettent de passer d’un niveau à l’autre, répétant leurs diagonales avec

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une certaine irrégularité qui renforce le caractère vertigineux de l’ensemble du volume dont les murs sont entièrement tapissés de livres. L’effet est d’autant plus saisissant que cette salle surmonte un autre grand cube enfoui au cœur de la bibliothèque, absolument vide, celui de l’espace de méditation (BÉRARD, 2003).

36 Afin de structurer la grande salle et de différencier les salles, Hans Scharoun avait choisi de créer de grands plateaux pour la Staatsbiblitohek de Berlin (1967-1978). Étagés au sein du grand volume de l’édifice, ils flottent dans l’espace et le compartimentent visuellement sans nuire à la perception de l’ensemble. Ce parti très scénographique a été retenu pour la bibliothèque universitaire des sciences de Versailles (Badia-Berger architectes, 2014) avec moins d’ampleur, l’édifice étant plus modeste. Mais c’est avec une plus grande emphase qu’on le retrouve à Berlin, pour le Jacob-und-Wilhelm-Grimm-Zentrum de l’Université Humboldt (2009). Son architecte, Max Dudler a structuré, dès les façades, une trame de pierre très lourde qui permet de filtrer la lumière extérieure. La trame se retrouve à l’intérieur, plus ample et parfaitement régulière comme celle d’un casier colossal, une analogie favorisée par la présence du bois. Ce grand parallélépipède défini par les orthogonales qui le composent accueille dix plateaux, chacun d’entre eux offrant 35 postes de travail. Ces 350 lecteurs n’ont d’autre spectacle que les lignes de la trame qui les unit à travers l’espace. Les plateaux en retrait peuvent éventuellement évoquer les marches d’une progression vers le savoir. Autour de ce grand volume central, d’autres salles de travail et de documentation sont directement accessibles. Les étudiants semblent particulièrement apprécier cet espace central, peu intime, mais spéculaire tant le dispositif est symétrique et régulier. Presque contemporain, le Learning center de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL, Sanaa, 2010) présente un parti radicalement opposé. Le bâtiment ondule sur le sol, offrant de vastes espaces libres dont le sol pentu autorise la détente, la rencontre ou la lecture. Des salles de travail closes sont insérées dans ce vide indéfini sans interrompre son étendue. Que deux bibliothèques universitaires contemporaines, à Berlin et à Lausanne, reçoivent des traitements aussi opposés indique bien la diversité des définitions architecturales au début du XXIe siècle.

37 L’architecture des bibliothèques est donc plus que jamais en quête de définition. Jusqu’aux années 1980, il était possible d’envisager de faire coïncider le classement des livres et l’organisation de l’espace. Le bibliothécaire et l’architecte avaient chacun la certitude que le savoir devait et pouvait être classé ; il ne leur restait qu’à faire correspondre leurs conceptions respectives de l’ordre. Cette organisation elle-même permettait au lecteur de s’en saisir, de structurer ses connaissances et ses idées. Le livre, unité documentaire essentielle, était lui-même organisé comme une sorte de bibliothèque de références et de propositions. Par son organisation, il imposait sa structure, certes plus souple que celle du volumen, mais naturellement contrainte par l’ordre des pages. La Kunstwissenschaftliche Bibliothek de Warburg en donne la démonstration, très particulière et personnelle car fondée sur une approche spécifique de l’image et de la culture. L’« espace de pensée » warburgien (Denkraum) est le lieu de la distance critique avec le passé, pour les artistes de la Renaissance regardant vers l’Antiquité, comme pour les intellectuels qui utilisent la bibliothèque (SETTIS, 1996). Son plan coïncide avec celui de la documentation et des connaissances qui, lui, préside à l’organisation du savoir du lecteur.

38 Aujourd’hui les supports numériques déterminent et autorisent d’autres modalités de lecture, de visionnage et de constitution du savoir. Les évolutions technologiques ont

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provoqué, plus ou moins directement, une évolution des pratiques culturelles qui conduit à diversifier les fonctions des bibliothèques. Il ne semble pas que des propositions architecturales véritablement prégnantes aient émergé pour penser ce phénomène et le formaliser en volumes. Celles de Rem Koolhaas peuvent être considérées comme une forme de temporisation esthétique vis-à-vis de phénomènes dont les conséquences sont encore imprécises en raison d’évolutions technologiques rapides. L’idée d’une mise en forme des données pour conduire la démarche de projet architectural est certainement plus analogique que véritablement logique. Il semble d’ailleurs actuellement que la miniaturisation des dispositifs informatiques embarqués favorise la mobilité des usagers qui doivent trouver à la bibliothèque un lieu propice au travail et à la réflexion, quelle que soit l’accessibilité des documents à distance. Il est frappant de constater que dans les salles de recherche ou d’études, les lecteurs consultent ou téléchargent sur le site de la bibliothèque des documents imprimés qui sont consultables physiquement mais qu’ils préfèrent voir immédiatement et éventuellement archiver.

39 L’architecture des bibliothèques doit en effet prendre en compte les critères techniques et bibliothéconomiques de stockage, de communication et d’accès à tous les types de documents. Mais un de ses buts essentiels n’est-il pas de définir des espaces qui répondent aux usages ? Que la bibliothèque soit un « troisième lieu » ou un centre de services sociaux spécialisés, qu’elle abrite des livres ou seulement des écrans, il importe que ses espaces, au-delà de leur fonctionnalité et de leur confort, favorisent le travail de la pensée. Le Denkraum warburgien n’a plus à s’incarner dans un classement spatial. Il doit être un environnement qui stimule l’esprit du lecteur et l’incite à y mettre de l’ordre par une approche critique. Faudrait-il que les usagers des bibliothèques structurent les informations qu’ils acquièrent comme le fait la mémoire d’un ordinateur ? La mémoire n’est pas la pensée. L’architecture des bibliothèques doit créer un espace démocratique, ouvert à tous ceux qui veulent s’informer avec précision, avec le secours d’un personnel qualifié ; elle ne doit pas renoncer à offrir aux usagers un espace neutre et propice à l’exercice de la pensée pour former son opinion et pour en débattre. La bibliothèque, quelle que soit sa diversité, est plus que jamais le lieu social de la culture, du savoir et de la réflexion.

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– TACUSSEL, 1994 : Nathalie Tacussel, « Lecture de l’édifice de la lecture : pourquoi le livre est-il accessoire à la Bibliothèque municipale de Bordeaux ? », mémoire de maîtrise, université Victor Segalen – Bordeaux 2, 1994.

– THOMPSON, 1989 : Godfrey Thompson, Planning and Design of Library Buildings, Londres, 1989.

– THURNAUER, PATTE, BLAIN, 2006 : Gérard Thurnauer, Geneviève Patte, Catherine Blain, Espace à lire : la bibliothèque des enfants à Clamart, Paris, 2006.

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NOTES

1. Voir le rapport d’activité 2015 de la BnF, en ligne : http://webapp.bnf.fr/rapport/index.html (consulté le 10 octobre 2016). 2. http://www.bnf.fr/fr/la_bnf/pro_publics_sur_place_et_distance/a.bibli-lab.html (consulté le 10 octobre 2016). 3. La BnF a regroupé ses différents catalogues ainsi que sa bibliothèque numérique Gallica sur cette page : http://data.bnf.fr. 4. Interview de François Mitterrand, président de la République, accordée à Yves Mourousi pour TF1 le 14 juillet 1988, à l’occasion de la fête nationale, notamment sur les grands travaux, en ligne : http://discours.vie-publique.fr/notices/887019900.html (consulté le 12 octobre 2016).

RÉSUMÉS

Depuis vingt-cinq ans, les évolutions technologiques et les mutations culturelles ont provoqué de profondes transformations dans les bibliothèques. La numérisation des fonds et la mise en réseau ont pu faire craindre leur disparition, ce que dément le grand nombre d’édifices construits à travers le monde. Cela tient à l’évolution des pratiques, des publics et des usages, beaucoup plus diversifiés qu’il y a trente ans. L’architecture les prend en compte par des aménagements intérieurs plus conviviaux et des typologies plurielles, tout en s’attachant à créer des formes symboliques adéquates pour les espaces internes et les façades. Mais il ne semble pas que les architectes contemporains soient parvenus à définir avec précision les caractéristiques formelles d’un programme aux enjeux de plus en plus complexes, contradictoires et évolutifs.

Over the past twenty-five years, technological advancements and cultural changes have led to profound transformations of libraries. The digitization of contents and the spread of networking may have led to fears of their disappearance – contradicted by the large number of libraries built all over the world. This is due to changes in practices, audiences, and use, which are much more diversified than thirty years ago. Architecture takes these changes into account through more user-friendly interior layouts and varied typologies, while striving to create appropriate symbolic forms for internal spaces and facades. However, it does not seem that contemporary architects have precisely managed to define the formal characteristics of a program with increasingly complex, contradictory and evolving requirements.

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INDEX

Keywords : library, libraries architecture, digital, digitization, process, network, audiences, architectural program, typology, symbolism, use, function, book, reading, Internet Mots-clés : bibliothèque, architecture des bibliothèques, numérique, numérisation, processus, réseau, publics, programme architectural, typologie, symbolique, usage, fonction, livre, lecture, Internet Index géographique : Europe, Amérique du Nord, Amérique du Sud, Japon Parole chiave : biblioteca, architettura delle biblioteche, digitale, digitalizzazione, processo, rete, pubblicchi, programma architettonico, tupologia, simbolica, uso, funzione, libro, lettura, Internet Index chronologique : 1900, 2000

AUTEURS

LAURENT BARIDON Laurent Baridon est professeur à l’Université Lumière Lyon 2 et responsable de l’axe « Arts, images, sociétés » au LARHRA-UMR 5190. Il travaille notamment sur les imaginaires scientifiques et sociaux des artistes. Ses centres d’intérêts principaux sont l’histoire de l’architecture, de la caricature et de la satire visuelle.

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Lectures

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Collections et bibliothèques d’art spoliées par les nazis, deux pertes irréparables Art Collections and Libraries Plundered by the Nazis, Two Irreparable Losses

Martine Poulain

1 Les recherches des années récentes ont remis en lumière l’un des aspects durablement sous-évalué de la violence nazie : la spoliation à travers toute l’Europe, et singulièrement en France, de milliers (de millions) de biens culturels1. La mémoire collective avait parfois retenu celle des œuvres d’art, et notamment des peintures, au poids symbolique toujours premier dans les imaginaires. Mais le vol de tableaux ne fut pas le seul signe de la volonté de puissance nazie sur les choses de l’âme et de l’esprit : sculptures, objets d’art, œuvres graphiques, mobiliers, instruments de musique, archives et livres furent pourchassés avec autant de détermination que le furent ceux qui les possédaient2. Ces biens furent bien souvent saisis ensemble, prenant, après de multiples tris qui les démembraient, voire les détruisaient, le chemin de l’Allemagne, ou furent abandonnés en France lorsqu’ils ne paraissaient pas essentiels aux occupants. Délaissant dans le cadre de ce court article les plus grands noms des marchands et collectionneurs d’art spoliés3, nous chercherons à restituer les circonstances et à saisir les effets de la perte conjointe des collections d’art et des bibliothèques d’acteurs moins commentés par l’histoire de l’art, tous juifs, comme le sont la très grande majorité des spoliés, soit : une dynastie d’antiquaires, les Bacri, deux galeristes, Katia Granoff et Hugo Perls, un critique d’art, Claude Roger-Marx. Tous devraient faire l’objet d’une recherche prolongée, le sort de leurs collections comportant encore bien des inconnues.

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Grâce à l’expertise d’historiens de l’art, des saisies planifiées

2 La richesse des collections de la société Bacri Frères, antiquaires, fondée sous le Second Empire, était connue bien avant guerre des agents du régime nazi, marchands ou historiens de l’art4, et particulièrement d’Hermann Goering lui-même, qui voulait en orner sa résidence de Carinhall. Visitée par les forces nazies au soir même de l’invasion de Paris le 14 juin 1940, Vidal et Henri Bacri ayant quitté Paris trois jours plus tôt, la galerie du 141 boulevard Haussmann fait l’objet d’une première spoliation le 1er juillet 1940. Cet ensemble déçoit Goering qui le fait remiser dans des sous-sols... Trois autres spoliations, les 8 juillet, 4 et 20 août 1941, sont effectuées cette fois par les services de l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg5 d’Alfred Rosenberg et dirigées par deux historiens de l’art, les Dr Eggemann et M. Fleischer (Rose Valland a vu passer certaines de ces œuvres au Jeu de Paume6). Ce butin est entreposé pour la plus grande part en Bavière, au dépôt de Buxheim (Lager BU) de l’ERR7. La société Bacri est aryanisée et l’appartement familial occupé, d’avril 1941 à la fin de la guerre, par le Rassemblement national populaire et le Mouvement social révolutionnaire, des collaborationnistes « qui y ont fait eux-mêmes d’importants détournements8 ». La galerie reste toujours sous le contrôle des Allemands.

3 Katia Granoff (1895-1989), née en Ukraine, naturalisée française en 1937, galeriste quai de Conti, spécialisée dans la peinture contemporaine, reconnue avant guerre pour avoir exposé notamment Marc Chagall9, quitte Paris fin mai 1940 pour n’y revenir qu’en octobre 1945. Comme tous les spoliés, elle doit tenter de reconstituer les spoliations subies : « Ma galerie de tableaux et mon appartement attenant ont été pillés par les Allemands [...]. Je sais que le 4 août 1941, des scellés avaient été apposés sur les portes de mon local par les Allemands. Le 17 août 1941, ils perquisitionnaient et déménageaient tableaux et statues. Le mardi 18 août 1941, ils emportaient une partie du mobilier, tapis et 30 caisses contenant toute la bibliothèque et d’autres objets10. »

4 Juif allemand, Hugo Perls (1886-1977), né en Silésie, commence à collectionner en 1914 et ouvre en 1921 la galerie Käte Perls à Berlin. Il expose et vend des œuvres d’Edvard Munch, , Claude Monet, Vincent van Gogh, Paul Cézanne, etc11. La montée du nazisme le conduit dès 1931 à l’exil à Paris, où il renonce à sa nationalité allemande. Réfugié à Cagnes-sur-Mer de mars 1939 à septembre 1941, il s’exile définitivement à New York où ses fils, qui l’ont précédé, ouvrent l’un les Galeries Perls en 1937, l’autre la Frank Perls Gallery en Californie en 1939. Spolié en Allemagne, il l’est aussi à Paris, au garde-meuble La Parisienne où il avait entreposé ses biens12. C’est l’adjoint du chef de l’ERR, le marchand d’art berlinois Bruno Lohse, qui dirige les opérations. Sa bibliothèque de 8 000 volumes, essentiellement en langue allemande, et son catalogue, sont également saisis.

5 Après avoir été démis de ses fonctions d’inspecteur de l’enseignement artistique, parce que Juif, par les autorités françaises en 1941, Claude Roger-Marx (1888-1977), écrivain, critique et historien de l’art13, réfugié à Marseille puis en Isère, est plusieurs fois spolié par les Allemands entre le printemps 1942 et 1943. Ses quelques œuvres d’art et sa bibliothèque de 5 000 volumes, consacrée notamment à l’art contemporain, en partie héritée de son père Roger Marx, sont emportées en Allemagne.

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Les œuvres d’art spoliées

6 Les collections saisies aux Bacri sont de premier ordre. À l’issue de la première spoliation, après expertise de Josef Angerer, marchand d’art allemand spécialiste des tapis, accompagné de commissaires français, neuf tableaux, parmi lesquels une Vierge à l’enfant de Pio Francisco Fiorentino (sans doute Pier Francesco Fiorentino, XVe siècle), une Crucifixion d’Andrea di Cione (XIVe siècle florentin), un Saint François et le Christ d’Agnolo Gaddi (XVe siècle florentin), d’autres tableaux anonymes, et dix tapisseries Renaissance sont envoyés à Carinhall14. Les saisies de l’ERR en juillet 1941, après une estimation effectuée par Jacques Beltrand (1874-1977), graveur, professeur à l’École des beaux-arts et membre du Conseil supérieur des beaux-arts15, conduisent à l’enlèvement de neuf nouveaux tableaux, dont un Portrait d’homme de François Clouet, une œuvre de Dirk Bouts, un Saint Jean de l’école de Tournai, un Portrait de l’école flamande du XVe siècle, etc., ainsi que d’un dessin de Giovanni Ambrogio de Predis, de deux sculptures des XIIIe et XVIe siècles, trois tapis, trois tapisseries, etc. En août sont saisis deux lions en marbre rose de Vérone, du mobilier en nombre, d’époque Louis XV et Louis XVI notamment, des bas-reliefs puis des tapis, d’autres tableaux et bas-reliefs, des vases, etc16. Les inventaires de l’ERR listent environ quatre-vingt-cinq pièces.

7 Katia Granoff est spoliée d’au moins quatre-vingts tableaux, parmi lesquels elle cite : Pierre Laprade (Paysage. Vue de jardin, Giroflées, Roses rouges avec livres, Roses jaunes avec livres), Maurice de Vlaminck (Église de village et cimetière), (Paysage des montagnes et troupeau de moutons, et deux aquarelles de marines avec bateaux), Auguste Chabaud (sans précisions), Georges Braque (Nature mort fruits [sic]), André Derain (Tête de femme), un pastel de Georges Dufrénoy (Vue de Paris), une toile (Nu) et une aquarelle (Rue de Blida) d’, Othon Coubine (Nu et Nature morte), un dessin de Pablo Picasso (Deux femmes), un dessin de Jules Pascin (Nu), deux Portraits d’enfant blond de Bençion Rabinowicz dit Benn, des Fleurs d’Amédée de La Patellière, un Portrait de Mme L. d’Éric Ditthow, et Cinq crayons de couleurs de Maurice Utrillo17. Il lui est particulièrement difficile de préciser plus avant ses pertes, son château de la Voulte en Ardèche ayant été brûlé par les Allemands en 1944. Elle est également spoliée de sa bibliothèque, soit trente caisses de livres.

8 Hugo Perls est spolié en France après l’avoir été en Allemagne. Outre tout son mobilier et sa vaisselle, comportant des pièces de collection, parfois avec monogramme, il est spolié des œuvres qu’il avait rassemblées depuis son arrivée en France, dont on ne peut citer ici que quelques exemples : des pièces archéologiques (vases et sculptures grecs des VIe et Ve siècles avant J.-C.), des objets d’art chinois ou d’arts premiers, mais aussi des lithographies en nombre, notamment d’Édouard Vuillard, de Pablo Picasso, de Pierre Bonnard, d’Auguste Renoir, d’Henri Matisse ou encore un Corbeau d’Édouard Manet ou un Napoléon de Henri de Toulouse-Lautrec, une peinture d’Élisée Maclet (1881-1962), deux peintures de Jules Pascin et un pastel d’, un dessin de Jean-Auguste-Dominique Ingres, Hommage à Homère, ainsi que, les derniers mais non les moindres, deux bronzes d’Auguste Rodin, la Faunesse et la Tête de Balzac, acquises en 1927 auprès de la galerie Haussman18.

9 Spolié lui aussi de tout son mobilier, dont des pièces d’époque Louis XIV, Louis XV ou encore du XVIIIe siècle, Claude Roger-Marx possédait quelques meubles plus contemporains, dont un meuble à dessins à trois corps et trois petites bibliothèques basses de Jean-Charles Moreux, architecte et décorateur, un meuble à gravures en bois

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clair de Paul Selmersheim ou encore un bureau de Louis Majorelle. En matière de tableaux et dessins, il possédait des œuvres contemporaines d’artistes sur lesquelles il avait parfois écrit : un pastel d’Albert Besnard, une peinture de Denys de La Patellière, Cavalier sur une route, achetée à la même Katia Granoff, une Nature morte de Pierre Puvis de Chavannes, un pastel d’Auguste Pointelin, une aquarelle de Paul Signac, tous deux dédicacés, Le Port de La Rochelle, mais aussi des œuvres d’Hippolyte Flandrin, Georges Dufrénoy, Théodore Rousseau, Paul-Élie Ranson, Jan Verhoeven, Victor Vignon, Ker- Xavier Roussel, André Mare, etc., quelques sculptures, par exemple de Charles Despiau ou Antoine-Louis Barye, ainsi que nombre de vases de l’école de Nancy par Émile Gallé, Auguste Delaherche, Ernest Chaplet, Albert Dammouse, Émile Lenoble, etc19.

Des bibliothèques indispensables

10 Les Bacri sont spoliés d’une bibliothèque professionnelle importante, dont, comme tous les spoliés, ils sont bien en peine d’établir l’inventaire exact20. La demande de restitution envoyée à la sous-commission des livres à la Récupération artistique fait état d’une importante collection de catalogues de vente, du début du XIXe siècle à 1940, de catalogues d’expositions françaises et étrangères, de catalogues de musées, et d’une importante photothèque. Parmi les outils de travail de marchands d’art aussi diversifiés, des encyclopédies en nombre : l’Histoire de l’art en dix-huit volumes dirigée par André Michel21, la collection complète des Klassiker der Kunst in Gesamtausgaben (Stuttgart/Leipzig), publiés à partir de 1906. Disparaissent aussi plusieurs centaines d’autres titres, des livres sur l’archéologie, l’architecture, la tapisserie, la céramique, le mobilier, témoignant de la diversité des arts exposés par la galerie. Les historiens de l’art de l’avant-guerre, jeunes ou confirmés, sont présents avec, par exemple Louis Dimier, Bernard Berenson, les dix-huit volumes sur l’art italien de Raimond van Marle22, Louis Réau, Charles Diehl, Émile Mâle, plusieurs titres sur l’archéologie du Moyen-Orient de Georges Contenau, etc. Une bibliothèque majoritairement en langue française, comprenant des Larousse et autres dictionnaires indispensables. Les Bacri ne possédaient que trois livres précieux, dont ils ne mentionnent que la matérialité : deux manuscrits recouverts de cuir, du XVe siècle, un autre de velours, datant du XIIe siècle. Jacques Bacri (1911-1965), leur ayant droit, souffre de la perte de cette documentation : « je suis licencié ès lettres, diplômé de l’Institut d’art et d’archéologie [...] j’avais une importante bibliothèque d’art et d’archéologie ». Il a perdu toutes ses notes et toute la documentation pour sa thèse de doctorat en cours sur les peintres cartonniers du Moyen Âge23.

11 Les archives ne font mention d’aucun commentaire de Katia Granoff, spoliée d’une bibliothèque de quelque 1 500 volumes occupant trente caisses24, avant tout consacrée à la littérature française, anglaise, allemande et russe. Les 231 volumes qui lui sont restitués en provenance d’Autriche en septembre 1950 (sans doute avait-elle inscrit son nom sur les pages de garde) sont tous des ouvrages littéraires : œuvres complètes de Voltaire, Georges-Louis Leclerc de Buffon, Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, François-René de Chateaubriand, Gotthold Ephraim Lessing, Alfred de Musset, Maurice Maeterlinck, etc. ou encore de Mikhaïl Lermontov ou d’Alexandre Sergeïevitch Pouchkine. Seules les œuvres de John Ruskin relèvent de l’histoire de l’art25.

12 La bibliothèque d’Hugo Perls était riche d’au moins 8 000 volumes, essentiellement en langue allemande. Elle est saisie avec son catalogue. Une perte qui laisse inconsolable

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Hugo Perls, devenu écrivain davantage que marchand d’art contemporain. Spécialiste de Platon, il publiera plusieurs écrits sur le philosophe, dont un livre pour la couverture duquel lui dessina un portrait du philosophe : « Le coup le plus dur serait pour moi la perte des livres que j’ai collectionnés dès ma onzième année. Puisque je suis écrivain, vous comprenez, ils me manquent26 » ; « c’est très dur pour un écrivain de ne pas avoir des livres du tout [sic]27 » ; jusqu’au déchirant : « je suis écrivain sans livre28 ». Qu’on lui demande, en plus, de faire la liste de ses livres : « voilà un travail terrible ressemblant à un renoncement29 ».

13 Témoin de cette riche dualité, sa bibliothèque contenait des classiques grecs et latins, des ouvrages de littérature, de livres sur l’histoire de l’art français, des centaines de catalogues de musées, dix boîtes de photographies de tableaux, ainsi que ses propres livres et articles ou encore quelques volumes des XVIe et XVIIe siècles reliés en cuir rose.

14 La bibliothèque de Claude Roger-Marx, consacrée notamment à l’art contemporain, héritée en partie de son père Roger Marx, contenait quelque 5 000 volumes. Sa brève déclaration de spoliation mentionne surtout des monographies d’artistes, de Félix Bracquemond à Paul Cézanne et de Jean-Louis Forain à Paul Sérusier, mais sa bibliothèque était beaucoup plus riche. En fait, ce sont les œuvres complètes de Stendhal qui lui manquent le plus et la première « attribution-prêt » de livres qui lui est faite par la sous-commission des livres est toute entière composée des œuvres complètes de classiques : Michel de Montaigne, Blaise Pascal, Denis Diderot, Charles Augustin Sainte-Beuve et la Bible. Dans les courriers très administratifs de l’inspecteur général, on peut surprendre l’importance du deuil subi, lorsqu’il souligne que nombre de ses livres étaient dédicacés, à lui ou à son père, et qu’il les avait souvent annotés, parfois page à page : ainsi du Journal d’Eugène Delacroix30, traces d’un travail qu’un autre exemplaire du Journal qui lui est attribué ne pourra jamais remplacer.

Des restitutions lentes et partielles, un deuil difficile

15 Les œuvres d’art et les bibliothèques des spoliés évoqués ici ne furent pas toutes retrouvées, loin s’en faut. Les archives de la commission de la Récupération artistique ne disent pas tout et seules des investigations complémentaires pourraient compléter ce rapide tableau.

16 De très longues enquêtes des services français en Allemagne, des auditions des experts envoyés par Goering chez les Bacri permettent de retrouver quelques-unes de leurs œuvres entre avril 1946 et décembre 1952. Une importante restitution en janvier 1947 leur rend le Miracle de Bethsabée de Jacob Jordaens. Le 21 juin 1949, on leur restitue quatorze œuvres, notamment de primitifs italiens. De Berlin reviennent, fin juin 1949, deux lions en marbre rose de Vérone, que les Bacri ne reconnaissent pas, car ils appartiennent en fait à la collection Camoens31. De Munich reviennent, au cours de plusieurs convois, seize autres pièces. En juillet 1950, Rose Valland identifie comme propriétés des Bacri des tapisseries et des tissus anciens. À la fin de la même année, elle apprend que certaines œuvres des Bacri auraient été mises en vente à Berlin pendant la guerre32. Quant au tableau de Lucas Cranach, Nymphe étendue auprès d’une source, restitué à la France pour les Bacri, il s’avère qu’il a bien été acheté par Goering avant guerre33. À l’issue de six années de recherche, Rose Valland estime que la majeure partie des œuvres des Bacri ont sans doute été détruites à Carinhall lors des combats de

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la Libération ou lors du déraillement du train qui les rapportait du Lager BU. En 1959, Jacques Bacri espère encore la restitution de 398 pièces...

17 Katia Granoff récupère quelques objets d’art anciens, qu’elle n’avait pas évoqués dans ses listes et qui ornaient sans doute son appartement plus que sa galerie. Elle fait interrompre une vente publique en revendiquant un Laprade, suscitant l’ire de l’administration des musées qui ne lui en reconnaît pas la propriété. Et les quelques 200 livres qui lui sont restitués ne furent pas une grande consolation de la perte des 1 500 volumes d’origine.

18 À Hugo Perls sont restitués en 1947 et 1948 dix-sept tableaux (des peintures de Jules Pascin, Arnold Böcklin, Luce, neuf d’Élisée Maclet, des dessins de Henri Matisse, Édouard Manet (une Tête d’homme et une gravure), Pascin (Chevaux), une aquarelle de Raoul Dufy représentant la Tête de Platon, exécutée pour lui par l’artiste, une Tête de Balzac par Auguste Rodin, deux petits bronzes chinois, un bas-relief et une pierre gravée égyptiens, deux toiles italiennes du XVIIe siècle, retrouvés dans la zone américaine.

19 Les archives ne donnent trace d’aucune restitution des meubles de Claude Roger-Marx.

Pas d’œuvre d’art sans bibliothèque

20 On aurait pu penser ces spoliés soucieux avant tout de retrouver leurs œuvres, pour leur valeur artistique mais aussi parce qu’elles furent au cœur de leur exercice artistique et professionnel. Meurtris par la perte de ces œuvres qu’ils ont choisies – qu’ils les possèdent ou qu’ils les vendent, la précarité de la possession important peu – ces spoliés le sont souvent tout autant de la perte de leur bibliothèque, pour modeste qu’elle soit. Celle-ci, en effet, n’est pas un simple amas de livres, mais une création intellectuelle, patiemment constituée, témoin de leurs intérêts, de leurs évolutions, en un mot de leur vie, et totalement associée à la collection d’œuvres dont le sens et la valeur échappent si elles ne peuvent être pensées grâce aux livres.

NOTES

1. En témoigne une bibliographie plus importante que naguère, bien qu’encore réduite. Sur les spoliations d’œuvres d’art, l’ouvrage le plus complet reste Lynn H. Nicholas, Le pillage de l’Europe, les œuvres d’art volées par les nazis, Paul Chemla (trad. fra.), Paris, 1995. Parmi les travaux consacrés à la France, voir Laurence Bertrand-Dorléac, Histoire de l’art. Paris, 1940-1944 : ordre national, traditions et modernités, Paris, 1986 ; Laurence Bertrand-Dorléac, L’art de la défaite, 1940-1944, Paris, 1993 ; Hector Feliciano, Le musée disparu : enquête sur le pillage des œuvres d’art en France par les nazis (1995), Paris, 2012 ; Isabelle Le Masne de Chermont, Didier Schulmann, Le pillage de l’art en France pendant l’Occupation et la situation des 2 000 œuvres confiées aux musées nationaux. Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France, Paris, 2000 ; À qui appartenaient ces tableaux ? La politique française de provenance, de garde et de restitution des œuvres d’art pillées durant la Seconde guerre mondiale, Isabelle Le Masne de Chermont, Laurence Sigal-Klagsbal (dir.), cat. exp. (Jérusalem, musée d’Israël ; Paris,

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Musée d’art et d’histoire du judaïsme, 2008), Paris, 2008 ; L’art en guerre : France, 1938-1947, Laurence Bertrand-Dorléac, Jacqueline Munck (dir), cat. exp. (Paris, musée d’art moderne de la Ville de Paris, 2012-2013), Paris, 2012 ; Corinne Bouchoux, « Si les tableaux pouvaient parler… » Le traitement politique et médiatique des retours d’œuvres d’art pillées et spoliées par les nazis : France, 1945-2008, Rennes, 2013 ; Emmanuelle Polack, Philippe Dagen (dir.), Les carnets de Rose Valland : le pillage des collections privées d’œuvres d’art en France durant la Seconde guerre mondiale, Lyon, 2011 ; Rose Valland, Le Front de l’art. Défense des collections françaises, 1939-1945 (1961), Paris, 2014 ; Les Archives diplomatiques, Jean-Marc Dreyfus (dir.), Le catalogue Goering, Paris, 2015. Sur les spoliations des bibliothèques et des archives et leurs saisies ultérieures par les forces soviétiques après guerre, voir les nombreux travaux de Patricia Kennedy Grimsted, en ligne : https:// socialhistory.org/en/russia-archives-and-restitution/bibliography (consulté le 27 septembre 2016) ; Sophie Coeuré, La mémoire spoliée. Les archives des Français, butin de guerre nazi puis soviétique, de 1940 à nos jours (2007), Paris, 2013 ; Martine Poulain, Livres pillés, lectures surveillés. Les bibliothèques françaises sous l’Occupation (2008), Paris, 2013 ; Alexandre Sumpf, Vincent Laniol (dir.), Saisies, spoliations et restitutions : archives et bibliothèques au XXe siècle, actes du colloque (Strasbourg, ARCHE/FARE, 2010), Rennes, 2012. 2. Comme en témoigne déjà le Répertoire des biens spoliés en France durant la guerre 1939-1945, publié entre 1947 et 1949 par le Bureau central des restitutions, et qui contient huit volumes, dont six sont consacrés aux œuvres d’art et aux bibliothèques, et plusieurs suppléments. 3. Parmi lesquels on trouve bien sûr de grands collectionneurs, comme la famille Rothschild, ou, pour la bibliophilie Jean Furstenberg, les marchands et galeristes Georges Wildenstein, Paul Rosenberg, David David-Weill, Alphonse Kann, Élie Fabius, Bernheim-Jeune, Roger Bernheim, Raymond Kraemer, François (?) Kleinberger, Jacques Seligmann and Co, les antiquaires Paul Jonas ou Jean David, ainsi que nombre de collectionneurs et marchands émigrés juifs allemands (Richard et Alex Ball, qui, après Paris rejoignent New York, Kurt Benedict, copropriétaire de la galerie Van Diemen à Berlin, qui fuit l’Allemagne en 1935 pour Paris, puis New York, Julien Thannhauser, galeriste à Munich, Lausanne, Berlin, Londres, exilé à New York en 1940, etc.). 4. Le rapport de l’historien d’art Otto Kummel, nommé directeur général des musées de Berlin par Joseph Goebbels, comporte 319 pages qui listent les œuvres qui auraient été confisquées à l’Allemagne depuis 1500, à récupérer dans des collections publiques ou privées ; le rapport fut publié en sept exemplaires, à destination des seuls hauts dignitaires du Reich. 5. Nommé en janvier 1933 délégué du Führer pour le contrôle de l’ensemble de l’instruction et de l’éducation spirituelle et idéologique du parti nazi, Alfred Rosenberg, idéologue de l’anti- sémitisme et de l’anti-bolchévisme, devient chef de l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR), chargé de la spoliation des biens culturels juifs dans toute l’Europe. Voir notamment Anja Heuss, Kunst und Kulturgutraub: eine vergleichende Studie zur Besatzungspolitik der Nationalsozialisten in Frankreich und der Sowjetunion, Heidelberg, 2000. 6. Archives du ministère des Affaires étrangères et européennes (AMAEE), 209SUP/26. R. Valland, Central Collecting Point de Munich, à Monsieur Henraux, le 8 mars 1949. 7. AMAEE, 209SUP/26. Inventaire de l’ERR fait le 19 août 1942 par les Dr Eggemann et Borchers, qui précisent les caractéristiques des pièces. 8. AMAEE, 209SUP/682. Jacques Bacri à Jenny Delsaux, sous-commission des livres, le 17 mars 1947. 9. Katia Granoff a publié ses mémoires (voir par exemple Ma vie et mes rencontres avec Bouche, Chagall, Chabaud, Ozenfant, Monet, Guitton, Paris, 1981), et plusieurs ouvrages sur les écrivains et poètes russes. 10. AMAEE, 209SUP/614. Katia Granoff à M. le directeur [sic], le 10 mai 1946. Par ailleurs : « le château de la Voulte/Rhône, ma propriété en Ardèche, a été brûlée avec tout son contenu par les Allemands le 26 août 1944 lors de leur retraite sur le Rhône ».

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11. Les archives Hugo Perls sont conservées au Leo Baeck Institute, Center for Jewish History, New York (AR 6400/MF 712). Elles concernent surtout ses écrits philosophiques. 12. AMAEE, 209SUP823, 45, 718, 604. 13. Les archives de Claude Roger-Marx sont conservées à la Bibliothèque de l’INHA. Critiques d’art et collectionneurs : Roger Marx et Claude Roger-Marx (1859-1977), Jean-Marc Poinsot (dir.), cat. exp. (Paris, Institut national d’histoire de l’art, 2006), Paris, 2006. 14. AMAEE, 209SUP/26. 15. Jacques Beltrand fut expert pour Hermann Goering durant toute la guerre ; voir Feliciano, (1995) 2012, cité n. 1, et Bertrand-Dorléac, 1993, citée n. 1. 16. AMAEE, 209SUP/26. Inventaire de l’ERR fait le 19 août 1942 par les Dr Eggemann et Borchers, qui précisent les caractéristiques des pièces. 17. AMAEE, 209SUP/43. Lettre de Katia Granoff à la commission de Récupération artistique, le 29 novembre 1946. 18. AMAEE, 209SUP/65 et 615. Dossier Hugo Perls. 19. AMAEE, 209SUP/6. Dossier Claude Roger-Marx. 20. AMAEE, 209SUP/687. Dossier Bacri. 21. André Michel (dir.), Histoire de l’art depuis les premiers temps chrétiens jusqu’à nos jours, 18 vol., Paris, 1905-1929. 22. Raimond van Marle, The Development of the Italian Schools of Painting, 18 vol., La Haye, 1923-1936. 23. AMAEE, 209/SUP687. Dossier Bacri. 24. AMAEE, 209/SUP614. Dossier Granoff. 25. Modern Painters, 5 vol., Londres, 1853-1860 ; Stones of Venice, 3 vol., Londres, 1851-1853. 26. AMAEE, 209SUP/45. Lettre à Albert Henraux [président de la commission de la Récupération artistique], le 16 avril 1946. 27. AMAEE, 209SUP/823. Lettre à la sous-commission des livres, le 9 avril 1947. 28. AMAEE, 209SUP/823. Lettre à Tatiana Ossorguine, le 17 octobre 1947. 29. AMAEE, 209SUP/823. Lettre à Tatiana Ossorguine, le 17 octobre 1947. 30. AMAEE, 209SUP/1105. Description de la bibliothèque et courriers à la sous-commission des livres. Le dossier comprend d’ailleurs les pages arrachées d’une dizaine de livres portant ces dédicaces au critique. 31. AMAEE, 209SUP/631. Le chef du service de remise en place des œuvres d’art, Berlin [Rose Valland], à M. le colonel Bizard, chef du BCR à Baden-Baden, 24 juillet 1950. 32. AMAEE, 209SUP/631. Le chef du service de remise en place des œuvres d’art, Berlin [Rose Valland], à M. le colonel Bizard, chef du BCR, Baden-Baden, le 15 novembre 1950. 33. AMAEE, 209SUP/639. Rose Valland à Jules Bacri, Munich, le 19 avril 1951.

RÉSUMÉS

Les recherches des années récentes ont remis en lumière l’un des aspects durablement sous- évalué de la violence nazie : la spoliation à travers toute l’Europe, et singulièrement en France, de milliers (de millions) de biens culturels. La mémoire collective avait parfois retenu celle des œuvres d’art, et notamment des peintures, au poids symbolique toujours premier dans les imaginaires. Mais le vol (ou la destruction, c’est selon) de tableaux ne fut pas le seul signe de la

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volonté de puissance nazie sur les choses de l’âme et de l’esprit : sculptures, objets d’art, œuvres graphiques, mobiliers, instruments de musique, archives, livres furent pourchassés avec autant de détermination que le furent ceux qui les possédaient. Ces biens furent bien souvent saisis ensemble, prenant, après de multiples tris qui les démembraient, voire les détruisaient, le chemin de l’Allemagne, stockés ou abandonnés en France quand ils ne paraissaient pas essentiels aux occupants.

Research in recent years has shed some light on one of the continually undervalued aspects of Nazi violence: the plundering across Europe, and particularly in France, of thousands (or millions) of objects of cultural property. Collective memory had sometimes retained works of art, and especially paintings, whose symbolic weight was always preeminent in the imaginary. But the theft (or, sometimes, destruction) of paintings was not the only sign of the Nazi will for power over soul and spirit: sculptures, decorative art, graphic works, furniture, musical instruments, archives, and books were hunted down with as much determination as were those who owned them. These goods were often seized together and after several stages of selection that dismembered, or even destroyed them, were either taken to Germany, or stored or abandoned in France once they no longer seemed to have value for the occupiers.

INDEX

Mots-clés : spoliation, œuvre, nazisme, bibliothèque, livre, Seconde Guerre mondiale, archives, patrimoine, collection, vol, destruction, restitution Parole chiave : spoliazione, opera, nazismo, biblioteca, libro, seconda guerra mondiale, archivi, patrimonio, collezione, furto, distruzione, restituzione Index géographique : Europe, Allemagne, France Keywords : despoliation, work, Nazism, library, book, Second World War, archives, property, collection, robbery, destruction, restitution Index chronologique : 1900

AUTEUR

MARTINE POULAIN Martine Poulain, conservatrice générale des bibliothèques, chercheuse associée à l’Institut d’histoire du temps présent et à l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques ; directrice de la bibliothèque de l’INHA de 2002 à 2013. [email protected]

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In Situ and in Cyberspace: the Art Library and Art-Historical Research in the Twenty-First Century In Situ et dans le cyberespace : la bibliothèque d’art et la recherche en histoire de l’art au XXIe siècle

Kathleen Salomon

1 Distinctive by the nature of their collections and the aura surrounding their subject matter, art libraries are exceptional places. Traditionally they have been stimulating places to interact with collections and quiet places to think and write, and moreover the specialized nature of the materials often housed within an art library has very often required attentive physical care and use in a controlled space. Over the past few decades, user expectations in art libraries have shifted, primarily due to digital technology. Today’s custodians and users of art libraries are well positioned to reconsider with perspective and vision the collections, services, and the places libraries occupy in the practice of art history, both physically and intellectually – indeed the very definition of an art library for the twenty first century.

2 A few years ago, Hubertus Kohle published his vision for the art library of the future.1 As one might expect, that future art library (of 2022) has every imaginable technological capability that could be useful to a scholar, including on-demand printing of books and objects, virtual exhibitions that could be developed and shared, and 3-D viewing capabilities for art objects around the world. Notable in his description is that the idea of the art library as a place to conduct research and produce results – though with different tools, resources, and outcomes – remains. But how that library is defined, both inside and outside of its physical space, and where it begins and ends, is a focus of new consideration. In tandem with being a locus for scholarly production, the imperative for a library to facilitate exchange, connections, and collaboration by developing and hosting spaces, both physical and virtual, is becoming ever more critical to the work of the art historian, both in situ and in cyberspace. As different as Kohle’s library of the future is from existing art libraries, there is a correlation between

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such future visions and those from the past. The challenges faced by the Library, since the realization of a vision first outlined at the cusp of the digital era thirty years ago, provide a framework through which to consider art libraries and their relationship to the practice of art-historical research.2

Connecting in the art library

3 A secular monastery for thinking. A crowded auditorium for scrutiny and debate. A place to connect a “truly informed collection of materials with productive and imaginative intellectual work.”3 These concepts shaped the design and development of the new Getty Center for the History of Art and the Humanities in Los Angeles, California (now The Getty Research Institute or GRI) in the last quarter of the twentieth century.

4 In all aspects of planning for the new research institute, the aim was to bring together a large library of resource collections – support literature, images, and stimulating primary documentation – in an exceptional building that would as a whole enable and engender a variety of unique research experiences for visiting scholars and Getty staff through its innovative architecture, design, and services. Far away from the established centers for art-historical study in Europe and on the east coast of the United States, a major new independent art research library and institute in Southern California would fill an important need. Its unusual setting in a major new arts complex on a chaparral- covered hill, within the stark white and glass round space designed by architect Richard Meier, signaled the originality of its concept. The Research Institute’s first director Kurt W. Forster suggested that instead of having a traditional reading room aiming to represent all knowledge laid out in a deterministic pattern, the entire Research Institute and library would be more like “a prism than a monolith [where its] …activities and purposes are refracted throughout and not solidly and simply present in one place.”4 In the library, then, multiple paths/ideas/possibilities would refract from the various assemblages of materials contained in its various spaces. This metaphor gave particular weight to decisions about the location of the materials, given that the new building’s open stack areas were designed to hold only a small percentage of the library’s vast book and journal collections. It articulated the challenge of deciding what would be placed on the open shelves, and what would instead be held in storage vaults and only hinted at by the essence of what one could see on open access. While broadly emulating Aby Warburg’s ideals regarding the relationship of materials to one another, the “law of the good neighbour”, making “inspired connections”, and the importance of placement on a shelf,5 the modern problem of space limitations in the new GRI library was now counterbalanced by the developing potential in library technologies. In the final plan for the library, an incomplete cylindrical shape wrapping around a core of light6 was placed adjacent to a square, providing more than one path leading into the library, allowing researchers to use as much or as little as they needed, by offering multiple access points along the way into smaller areas of open book stacks, a periodicals room, a special collections reading room, and a browsable photo archive.

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Expectations for discovery

5 By the time the Research Library opened its doors as a part of the new Getty Center in late 1997, everything about the three floors of the library was geared toward connecting and inspiring the fortunate reader with library materials. Over the next decade, as the Research Institute established itself further, use of the library and archives increased dramatically, bringing in an expanding international community of in-residence scholars and registered readers. At the same time, the way in which the library’s collections were being used and perceived by both users and staff was slowly shifting. As staff workloads grew heavier due to increased use and acquisitions levels, the vision of having open stacks that would constantly be nurtured and refreshed by dedicated bibliographers was no longer sustainable, and, with few exceptions, the open stacks grew more outdated each year. As a result, in just a decade those book stacks so carefully curated to encourage connections and represent the library collections in microcosm, were used less frequently than initially imagined as more and more important materials were housed remotely. Certainly, once researchers realized the depth and currency of the collections not available in the open stacks, some lamented the inability to fully browse physically and experience the serendipity of discovery. In the age of remote storage in libraries of all manner, the meaning of “discovery” was changing and the introduction of increasingly sophisticated online tools promised to unite collections virtually, if not physically. And in more recent years displaying titles together on a virtual “shelf” to simulate open-stack browsing is possible.

6 During the same period, online full-text resources on one’s desktop became more prevalent and consequently a growing number of the art journals so painstakingly processed for the open stacks just a few years prior were no longer being consulted at all. Taking note that Google’s digitization strategy in selected academic libraries did not include the bulk of early art-historical texts located in specialized art libraries, the GRI began developing its own plans for book digitization. Finally, with the advent of so many images available on the web, the necessity of the traditional photo archive for image research was uncertain as usage declined.

7 At the GRI, conventional use of the library was subtly changing and over time it appeared less important for both staff and users to consider the physical adjacencies of collections. Yet, even with the availability of full text resources, a program for digitization on-demand where possible, and increased borrowing abilities through interlibrary loan, scholars were still coming to the library. Like so many of its art library peers, the GRI was and remains primarily non-circulating and requires most users to read materials on site. Even when the library committed to digitizing the early literature of art history from its holdings, the barriers set by copyright and resource requirements would continue to make bringing every relevant print volume online impossible. New art-related titles continue to be published in print and acquired by the thousands each year, and for the most part they still are not being made available digitally by publishers, primarily due to the complex copyright laws surrounding images in books.7 Ironically, as the library’s reach has become more global and as more of the GRI’s holdings are made available online, more art historians from more locations, particularly from non-western areas, are traveling to California in order to consult the constellation of specialized art books and journals not readily available in their home countries.

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Discovery in the archive

8 At the same time, through online discovery tools and digitization, an international awareness of the GRI’s unique collections of archives and other materials was growing and the potential for discovery within them was immense. A cache of letters, a particular sketchbook, an annotated photograph, a find in a dealer’s stockbook, or a description of a destroyed object that has never before been published have traditionally been the kind of discovery that can build a scholar’s career. The excitement of making such a find in the middle of some other documents, or perhaps cataloged separately but never really used before, has often been equal only to the fear of being scooped by another researcher before publication. The demand from potential users to digitize more of the specialized archives is high, yet only a relatively small portion of the unique materials have been scanned, again due to copyright concerns and/or the heavy resources necessary for both pre- and post-production staff and equipment. Therefore, most of the materials that have been digitized tend to serve only as an introduction to the larger archival collections, and are an invitation to come and view more in person. When a remote user requests scans from a box of documents, a decision might follow to digitize the entire collection, if feasible, and put it online. Putting all or a cohesive part of an archive online serves the library’s overall goal to provide free and open access to its holdings and thereby expands its reach beyond its walls. However, these seemingly straightforward and altruistic decisions on the part of the library can call into question the very notion of discovery for some scholars, who argue against premature online exposure of “their” findings.8 The ethical dilemma of acceding to such demands risks diminishing the tremendous potential for innovative research that is inherent in sharing archival collections broadly online. What was once the privileged territory of the relative few who could travel can now potentially be opened to anyone with an internet connection. Whether one first encounters a document in the archive or online, perhaps it is not the fact of the discovery, but rather what is done with the information – how it is interpreted, what questions are asked, what connections are made, and debates begun (in short, how the ideas refract from the items) – that will have the greatest impact on scholarly debate.

Connecting collections

9 When materials are made broadly available online, what it means to discover something changes and the potential for connections among documents increases exponentially. The visions developed in the late 1980s for how research would be conducted in the GRI’s new art library seemed to anticipate the online world it would soon embrace. The metaphor of a prism carries through to cyberspace, with its infinite refractions that are the permutations from the online sources. In both its physical and virtual environments, the library is an active facilitator encouraging new modes of research and unexpected outcomes.

10 Where in the past an art bibliography, like a library, might suggest pathways for new research, valiantly but impossibly attempting to capture the collective output of a field that each year grows ever more interdisciplinary and global, today many of those pathways, and often the resources themselves, are found online and in various ways

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and forms.9 Projects like the collaborative Getty Research Portal bring together the corpus of art-historical literature online.10 The nascent PHAROS project surrounding the millions of documentary photographs housed in photo archives worldwide would do the same for image research.11Archives that have been dispersed across oceans can be united online.12 And today’s emerging International Image Interoperability Framework (IIIF) and associated developments of online viewers and other tools are poised to provide easier comparative study and endless opportunities to unite or re- unite materials, particularly image and textual collections, on a grand scale with significant consequences for art-historical research.13 Searching across collections, comparing images or texts among them, and mining the data within them, inspires creative exploration and discovery of connections and trends in art history.14

Access and art-historical research

11 Art historians negotiate research through the points of access that are available to them – access to artworks, access to images, access to documents, access to publications. Selecting, acquiring, preserving, and providing access to research materials for art-historical study have been traditional roles for the art library in which they are housed. Nearly two decades into the twenty-first century, engagement with the research materials of art history is a hybrid of traditional research and more innovative methods.

12 No longer tied solely to the collections within the art library’s building, in many ways librarians and art historians are now reinventing their relationship to the art library, whose role in art-historical research remains multifaceted. The largest and most well- resourced art libraries still collect actively, taking the long view that these materials in their original format will still be needed in the future, be that in hard copy or born digital. Art historians still expect to visit the art library and connect with materials. The new INHA Salle Labrouste, set to seat many hundreds of readers per day amidst close to 250,000 materials in open stacks, acknowledges this perceived requirement among researchers in France.15 Similarly, researchers working at the Getty Research Institute may still desire some of that traditional monastic ambience for reading, for thinking, for looking, and for writing. But today, when archival research is frequently about taking photos on one’s mobile device for later consultation rather than for careful study in the archive, when so many books are housed in storage, and when reading books and periodicals may be often done online instead of in person, art libraries are also increasingly encouraging and facilitating collaborative scholarship, teaching, and the development and production of new resources among scholars and staff.16

13 Art history still requires people connecting with materials and with each other to produce new scholarship. Technology has forever altered the landscape. The art library of the future will be a place for connecting in-person and using the physical materials, as well as one that hosts collaborative environments in cyberspace, where a variety of collections online and the data sets created from them will be the focus for group projects, publications, and discussions. There will still be a crowded auditorium for scrutiny and debate, but with the capability for real-time streaming, global interaction, and simultaneous seminars around the globe that will, in effect, push the walls out tenfold. At the Getty Research Institute, the physical library spaces so carefully

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imagined and crafted only three decades ago will most likely change accordingly – more seminar rooms, more flexible spaces for using unique materials and creating resources of all kinds with highly evolved technology integrated throughout will eventually replace many of the open stacks. Still, ideas will refract from the library collections, wherever they are located and however they are discovered, connecting materials with productive and imaginative intellectual work, both in situ and in cyberspace.

NOTES

1. Hubertus Kohle, “Die Kunstbibliothek der Zukunft. Eine Vision,” in AKMB-news, 18/2, 2012, p. 3-8. 2. Concurrent with the development of the new Getty library and research institute, another of the Getty Trust’s new programs, the Art History Information Program, conducted a research study to determine what kinds of automated tools and resources might be useful for art historians: Elizabeth Bakewell, William O. Beeman, Carol McMichael Reese, Object, Image, Inquiry: The Art Historian at Work, Santa Monica, 1988. 3. Thomas F. Reese, “‘Taking sail’: Kurt Forster’s Getty Center for the History of Art and the Humanities,” in Nanni Baltzer et al., Art History on the Move: Hommage an Kurt W. Forster, Zurich, 2010, p. 263. 4. Harold M. Williams et al., The Getty Center: Design Process, Los Angeles, 1991, p. 142. 5. Ernst Gombrich, Fritz Saxl, Aby Warburg: An Intellectual Biography with a Memoir on the History of the Library, Oxford, 1986, p. 327. See also “The Warburg Institute Library: Description and Services,” The Warburg Institute, London, http://warburg-archive.sas.ac.uk/library/description- services/#c307 (viewed May 28, 2016). 6. Kurt Forster et al., unpublished document, “The Concept and Role of the Resource Collections at the Getty Center for the History of Art and the Humanities,” July 20, 1988, p. 6, in Getty Research Institute Librarian Anne-Mieke Halbrook Records, 1971-2000, Getty Research Institute, IA60001. 7. The GRI currently acquires approximately 18,000-20,000 newly-published print volumes a year. To put that in context, in 2014 approximately 90% of Yale University’s yearly acquisitions of art- related books and periodicals were print publications. Sarah Falls, Holly Hathaway, “The Art of Change: The Impact of Place and the Future of Academic Art Library Collections,” in New Review of Academic Librarianship, 21/2, 2015, p. 190, http://dx.doi.org/10.1080/13614533.2015.1031259 (viewed March 25, 2016). 8. At the GRI this is an ongoing source of debate. Presently the policy is to embargo a “discovery” planned for publication for one year before publishing online. 9. See http://www.getty.edu/research/institute/development_collaborations/fab/ (viewed May 28, 2016). 10. See http://portal.getty.edu (viewed May 27, 2016). 11. See “Kress President’s Message”, online: http://www.kressfoundation.org/about/ presidents_message (viewed May 28, 2016). 12. See http://ema.smb.museum/en/home/ (viewed May 7, 2016).

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13. See http://iiif.io (viewed May 15, 2016). Particularly relevant are the Biblissima project, see http://www.biblissima-condorcet.fr/en (viewed May 28, 2016), and the Digital Cicognara Library, see http://cicognara.org (viewed May 28, 2016). 14. See Johanna Drucker et al., “Digital Art History: The American Scene,” in Perspective, 2, 2015, p. 2-13, doi: 10.4000/perspective.6021 (viewed April 25, 2016). 15. Sébastien Gaudelus, Martine Poulain, Lucile Trunel, “The Renovation of the Richelieu Building: A Future Centre for Art Researchers in Paris,” in Art Libraries Journal, 36/1, 2011, p. 13, online: http://dx.doi.org/10.1017/S0307472200016734 (viewed October 7, 2016). 16. See Matthew P. Long and Roger C. Schonfeld, “Supporting the Changing Research Practices of Art Historians,” in Ithaka S+R, April 30, 2014, online: http://www.sr.ithaka.org/publications/ supporting-the-changing-research-practices-of-art-historians/ (viewed October 7, 2016).

ABSTRACTS

Art libraries have traditionally been exceptional places in which to conduct research, due to the nature of their collections and often also because of the spaces they occupy. Today, when library materials are provided, discovered, accessed, created, and displayed in a variety of ways both physically and virtually, art historians navigate and define research paths differently than in the past. At the same time, the ideal of connecting ideas and collections remains, even as the potential, breadth, and depth of the connections expand. The development of the Research Library at the Getty Research Institute, since the realization of a vision first outlined at the cusp of the digital era thirty years ago, provides a framework by which to consider the nature of art libraries and art historical research, both in situ and in cyberspace.

Les bibliothèques d’art sont des lieux privilégiés pour mener des recherches, non seulement en raison des collections qu’elles abritent, mais aussi parce qu’elles occupent souvent des sites exceptionnels. Il existe aujourd’hui de nouvelles façons de découvrir, d’accéder, de créer et de montrer les pièces et les documents, qu’il s’agisse des objets eux-mêmes ou de leur représentation numérique, et les historiens de l’art définissent leurs voies de recherche de manière différente. L’idéal reste cependant immuable : rapprocher idées et collections, alors même que les liens entre les deux se multiplient et se diversifient en amplifiant leur portée. L’exemple de la bibliothèque du Getty Research Institute, dont la vision est née il y a trente ans, à l’aube de l’ère numérique, permet de s’interroger sur la nature des bibliothèques d’art et de la recherche en histoire de l’art, à la fois in situ et dans le cyberespace.

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INDEX

Mots-clés: bibliothèque d’histoire de l’art, histoire de l’art, recherche, institut de recherche, collection, numérisation, ressources numériques, archives, cyberespace, accès, Getty Research Institute (GRI) Geographical index: États-Unis, Los Angeles Keywords: art history library, art history, research, research institute, collection, digitization, digital resource, archives, cyberspace, access, Getty Research Institute (GRI) Parole chiave: biblioteca di storia dell'arte, storia dell'arte, ricerca, istituto di ricerca, collezione, digitalizzazione, risorse digitali, archivi, syberspazio, accesso, Getty Research Institute (GRI) Chronological index: 2000

AUTHORS

KATHLEEN SALOMON The Getty Research Institute [email protected]

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Livres d’artistes et ephemera en bibliothèque Artists’ Books and Ephemera in the Library

Roman Koot Traduction : Édouard Vergnon

1 « Les librairies, les musées, les archives sont de parfaits cimetières de livres », affirmait Ulises Carrión (1941-1989). Rares sont les bibliothécaires qui partageraient aujourd’hui la vision des choses de celui qui fut pourtant l’un des plus ardents promoteurs des livres d’artistes1. Dans les années 1970, Carrión s’est efforcé, autant qu’il a pu, de rapprocher l’art et la société, notamment en fabriquant, éditant, exposant, vendant et en collectionnant des livres, des revues et d’autres publications d’artistes. Il a constitué à Amsterdam un important fonds d’archives privées pour initier le plus grand nombre d’amateurs possible à l’art de son époque. Encourager la diffusion des publications d’artistes était le moteur de son action et sa principale motivation2.

2 Qu’en est-il de la pratique actuelle ? De très nombreux musées, bibliothèques et archives de par le monde collectionnent et gèrent des livres d’artistes, mais sont-ils pour autant des « cimetières » ? Le chemin qui mène vers un cimetière ne connaît en général qu’une seule direction : une fois enterré, on n’en repart plus. Il est fascinant de voir le nombre d’ouvrages (mais aussi d’œuvres d’art et de pièces d’archives) qui ont emprunté cette voie à sens unique et ne sont ensuite plus jamais sortis des dépôts. Je présume que les livres d’artistes sont pourtant peu nombreux à avoir connu ce sort. L’intérêt qu’ils suscitent auprès des institutions et des particuliers est tel que les plus fameux de ces ouvrages auraient en réalité tendance à souffrir du phénomène inverse, c’est-à-dire à ne pas séjourner suffisamment longtemps, plutôt que trop, dans les dépôts3.

3 Dans cet article, je vais m’intéresser à la pratique des livres d’artistes en bibliothèque et à l’intérêt que ces livres, et des imprimés éphémères comme les cartons d’invitation, peuvent présenter pour l’historien de l’art4.

4 Je me base ici sur les livres d’artistes imprimés tels qu’ils ont été fabriqués par les tout premiers artistes conceptuels depuis les années 1960 comme une alternative à l’œuvre

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d’art. Par imprimés éphémères, j’entends des imprimés de tous les jours qui sont destinés à informer et qui, une fois cette fonction remplie, sont voués à disparaître comme du vieux papier, tels que les invitations aux vernissages, les annonces d’expositions, de livres à paraître, etc. Concernant l’histoire du livre d’artiste et ses différentes définitions, je renvoie à l’abondante littérature disponible sur le sujet5.

Acquisition

5 Les bibliothèques d’art comptent parmi les plus importants collectionneurs de livres d’artistes. Toutefois, cette collecte s’effectue plus difficilement qu’on ne peut l’espérer. Les livres d’artistes entrés dans l’histoire sont devenus des objets de collection très prisés des particuliers, en sorte qu’ils sont une denrée rare et peu accessible. Du fait notamment de leurs faibles tirages, ils ont également vu leur valeur grimper et les budgets restreints des bibliothèques (et des musées) ne suffisent souvent plus à leur acquisition. Il n’est pas besoin de dire que la mise à disposition de ces ouvrages, autrefois conçus comme « démocratiques », s’en trouve elle-même entravée. Le recueil Dutch Details, confectionné par Edward Ruscha en 1971 à l’occasion de la manifestation Sonsbeek 71 organisée à Arnhem, donne une bonne idée de cette flambée des prix. Alors qu’au moment de sa parution l’ouvrage était mis en vente à 15 florins, soit environ 7 euros, il s’est vendu 3 600 euros lors d’une vente aux enchères en 2003 et 17 500 dollars (l’équivalent de 12 350 euros) chez Christie’s dix ans plus tard6.

6 Tous les livres d’artistes ne sont évidemment pas aussi convoités. Beaucoup d’ouvrages, y compris anciens, se vendent encore à des prix modestes. Il faut ajouter à cela l’offre pléthorique, pour ne pas dire illimitée, des livres d’artistes actuels. Il semble que le livre comme moyen d’expression offert aux artistes n’a jamais été aussi populaire qu’aujourd’hui. Cela vaut aussi bien pour les livres de fabrication artisanale – souvent uniques – que pour les ouvrages confectionnés avec des moyens de reproduction traditionnels et des options d’impression à la demande7.

7 Identifier les ouvrages disponibles est devenu par conséquent un travail exigeant. L’amateur qui habite dans le voisinage d’une librairie spécialisée, comme les fameuses librairies Printed Matter à New York ou Boekie Woekie à Amsterdam, peut s’estimer chanceux. Les autres se contenteront d’Internet pour effectuer leurs recherches8.

8 La sélection dépend bien sûr du profil de la collection de la bibliothèque et des éventuels accords conclus avec d’autres bibliothèques. Celles qui jouent un rôle actif pour et au sein d’une communauté locale d’artistes peuvent en profiter pour se constituer une collection attrayante9.

Accessibilité, gestion et présentation

9 Établir une description claire et précise d’un livre d’artiste soulève des difficultés particulières. Un grand nombre de livres d’artistes ne satisfait pas aux normes des livres classiques et s’en écarte même de toutes sortes de façons, tant au niveau du contenu que de la forme. Si ces facteurs impondérables font l’un des charmes du livre d’artiste, ils n’en posent pas moins de multiples défis au bibliothécaire qui pourra alors choisir d’appliquer les règles de catalogage déjà publiées10. Dans la plupart des cas, ces dernières sont conformes aux normes (inter)nationales de description. L’ajout

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d’illustrations, telles que des photos de la couverture et des pages intérieures, aide à identifier le livre et augmente également son attrait aux yeux des lecteurs.

10 La mise à la disposition des livres dans la salle de consultation place le bibliothécaire devant un dilemme. Beaucoup de livres d’artistes sont en effet rares, fragiles ou coûteux, ou les trois à la fois. Pour des raisons de préservation et conservation, une édition encore vierge du Xerox Book doit être rangée dans un lieu sûr et climatisé et ne peut pas être proposé à la consultation. Cependant, la plupart des bibliothèques ont, outre une mission de conservation, également vocation à permettre aux personnes intéressées d’accéder à toutes les formes possibles d’information, y compris donc à ces ouvrages. C’est pourquoi certaines bibliothèques proposent les livres d’artistes en libre accès. La majorité d’entre elles les traitent comme des livres rares pouvant uniquement être consultés sur demande11. Il existe des réimpressions en fac-similé de certains ouvrages classiques, comme le Xerox Book, qui peuvent parfaitement se substituer aux éditions originales pour la consultation12. La numérisation offre de temps à autre une alternative satisfaisante, mais la consultation sur écran ôte toute dimension physique, de même que l’expérience du livre comme unité de la forme et du contenu. Si bien que la bibliothèque devrait idéalement pouvoir disposer de deux exemplaires : un exemplaire inutilisé au dépôt pour la conservation et un exemplaire pour la consultation. Dans tous les cas, il importe de fournir à l’usager des consignes de manipulation claires et de le surveiller ; le port des gants peut également être requis13.

11 Collecter les livres d’artistes, les rendre accessibles au public et s’assurer de leur gestion responsable sont les tâches essentielles des bibliothèques d’art, mais les rendre visibles lors de présentations et d’expositions fait également partie – ou devrait faire partie – de leurs activités principales. Aux Pays-Bas, la bibliothèque du musée Van Abbe à Eindhoven s’illustre de manière exemplaire dans ce domaine, avec un programme permanent d’expositions, pour les besoins desquelles les livres sont placés, à hauteur d’œil, derrière les vitrines en verre d’étagères spécialement aménagées à cet effet. Pour le bibliothécaire, savoir tenir compte du mieux possible de la nature spécifique du livre d’artiste est toutefois un défi. Dans une vitrine, le livre devient un objet qu’on ne peut plus prendre en main pour le feuilleter. La mise à disposition de plusieurs exemplaires ou – quoiqu’elle soit moins idéale – d’une version numérique en format « feuilletable » peut offrir des alternatives satisfaisantes. Plus intéressante encore est la possibilité de travailler en concertation avec l’artiste de manière à ce que les livres puissent être associés à d’autres œuvres d’art, ou présentés sous la forme d’une installation14.

12 Les bibliothèques d’art jouent un rôle clef dans le développement du discours autour des livres d’artistes, non seulement en organisant des expositions, mais également par la recherche et les publications. En France, des bibliothécaires comme Didier Schulmann (Paris, bibliothèque Kandinsky) et Sylvie Boulanger (Chatou, Centre national édition art image) y contribuent, de même par exemple que leurs confrères anglo-saxons Clive Phillpot (New York, Museum of ) et Stephen Bury (New York, Frick Art Reference Library).

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Livres d’artistes et ephemera : des sources pour l’histoire de l’art ?

13 L’historien de l’art peut-il trouver dans les livres d’artistes des informations susceptibles de l’aider à interpréter une œuvre d’art ou à décrire et analyser les évolutions des arts plastiques ? Autrement dit, les livres d’artistes peuvent-ils être utilisées comme sources pour l’histoire de l’art ?

14 Les livres d’artistes sont d’abord et avant tout des œuvres d’art, un acte de création à part entière présenté sous la forme d’un livre, dont l’aspect et le contenu sont indissociables. Comme l’a formulé Steven Tonkin en 2002, « un livre d’artiste est un livre conçu comme une œuvre d’art, créé ou envisagé par l’artiste comme un moyen de diffusion de ses idées15 ». Le choix de la forme de l’ouvrage, avec sa structure formelle déterminée, est délibérément intentionné. La question de la valeur informative d’un tel livre n’est, tout compte fait, pas différente de la question de savoir si une peinture ou une sculpture peut constituer une source pour l’histoire de l’art.

15 En tant que manifestation de la créativité d’un artiste, un livre nous informe des intentions artistiques de son créateur. Un livre de Sol LeWitt, par exemple, est, de par sa composition séquentielle, un élément éclairant de ses structures modulaires et sérielles. La place d’un livre d’artiste dans l’œuvre de son créateur n’est toutefois pas toujours aussi évidente que dans le cas de Sol LeWitt ou chez Richard Long, Lawrence Weiner, Stanley Brouwn ou herman de vries, autant d’artistes pour qui le livre fait également partie intégrante de l’œuvre. Il peut arriver qu’un livre d’artiste soit une expérience unique et sans suite ou bien constitue une incursion dans un domaine inédit par rapport à une œuvre par ailleurs cohérente. Chaque livre d’artiste est, au surplus, un produit de son époque et témoigne d’un courant ou d’une conception de l’art et des circonstances sociales dans lesquelles il a été fabriqué. Dans les années 1960 et 1970, les artistes conceptuels manifestaient ainsi leur distance à l’égard des institutions établies comme les musées et les galeries en réalisant des œuvres et en les diffusant sous la forme de petits recueils bon marché. Il est souvent question d’une approche critique du monde de l’art ou de la société16.

16 Quelle que soit l’approche envisagée, la bibliothèque (d’art) est l’habitat naturel du livre d’artiste. En bibliothèque, les livres d’artistes sont considérés et feuilletés comme des livres à part entière, tandis qu’un livre d’artiste dans un contexte muséal est souvent perçu comme un objet en soi qu’il convient seulement d’admirer à une distance respectable. Dans les bibliothèques, les livres peuvent de surcroît être étudiés en relation avec d’autres sources de l’histoire de l’art, comme les archives et les imprimés éphémères, et avec la littérature dite secondaire.

17 Les documents d’archives permettent d’établir parfois très précisément le contexte qui a présidé à la publication d’un livre d’artiste. Plus généralement, les pièces d’archives, comme la correspondance, peuvent éclairer les mobiles de l’artiste, ses relations avec ses confrères, une galerie, un éditeur ou un critique. Dans une archive d’artiste ou de galerie, on trouve aussi souvent des invitations, des critiques, des articles et autres imprimés éphémères.

18 Les archives de la galerie néerlandaise d’avant-garde Art & Project (1968-2001) en sont un bon exemple. Elles permettent de suivre dans le détail la réalisation d’un grand

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nombre de numéros du légendaire Art & Project Bulletin à partir de la correspondance et d’autres documents conservés dans les dossiers de différents artistes17.

19 Les imprimés éphémères ne sont pas exclusivement conservés dans des fonds d’archives, ils sont également classés dans de très nombreuses bibliothèques comme une collection distincte18. Des classeurs verticaux bien ordonnés ont pour avantage de faciliter l’accès aux documents davantage que lorsqu’ils sont entreposés dans les fonds d’archives où ils ne sont en général pas inventoriés et conditionnés séparément. Les imprimés éphémères peuvent fournir une mine d’informations primaires couvrant tous les aspects du monde de l’art, y compris les lieux et dates d’exposition. Pour les recherches concernant les artistes moins connus et les espaces d’exposition plus confidentiels, il s’agit généralement de la plus importante, voire de la seule, source d’informations disponible. Clive Phillpot a défini les cartons d’invitation pour les expositions comme « des éléments importants de la chaîne alimentaire de l’histoire de l’art », capables de « fournir certains des atomes à partir desquels les historiens de l’art peuvent synthétiser les molécules et les nouveaux composés19 ».

20 Le fait que les ephemera soient désormais considérées comme d’importantes sources d’informations ressort également de leur utilisation dans les publications et les expositions, où ils sont de plus en plus fréquemment présentés comme des œuvres à part entière. C’est particulièrement vrai des expositions monographiques rétrospectives et de celles qui retracent l’histoire d’un courant artistique ou d’une tendance donnée au sein des arts plastiques. Stephen Bury20 soulignait en 2013 la place importante accordée aux imprimés éphémères dans l’exposition intitulée « Materializing “Six Years”: Lucy R. Lippard and the Emergence of Conceptual Art » (New York, Brooklyn Museum, 2012-2013). Un autre exemple est l’exposition « ZERO: Let Us Explore the Stars », organisée au Stedelijk Museum à Amsterdam en 2015, pour les besoins de laquelle beaucoup de documents éphémères ont été rassemblés non seulement en guise d’illustrations, mais aussi parce qu’un grand nombre d’œuvres d’art de l’époque prenaient la forme d’imprimés ou de livres d’artistes21. L’exposition que le même musée a consacrée en 2015-2016 au pionnier des livres d’artistes, Seth Siegelaub, éclairait son parcours à travers une multitude de petits documents imprimés, comme des annonces, des communiqués de presse, des invitations et des catalogues22.

21 Les imprimés éphémères des artistes conceptuels présentent un intérêt particulier. Dans certains cas, les imprimés et les invitations aux expositions ou aux manifestations sont la preuve la plus tangible – pour ne pas dire la seule – que l’exposition ou la manifestation a bien eu lieu. Diverses expositions existent même uniquement sur papier, comme celles évoquées plus haut de Sol LeWitt et de Lawrence Weiner à la galerie Art & Project, uniquement visibles à travers les éditions de l’Art & Project Bulletin23.

22 Certaines bibliothèques, comme celle de la Chelsea School of Art de Londres, « ont collecté les preuves sous la forme d’imprimés de l’art conceptuel de leur temps, et […] certaines de ces pièces ont aujourd’hui acquis le statut d’œuvres d’art. Pour une raison ou pour une autre, les départements et directions des musées et galeries sont passés à côté de cette opportunité24. » Le RKD (Rijksbureau voor Kunsthistorische Documentatie) – Institut néerlandais pour l’histoire de l’art de La Haye a très tôt veillé à recueillir ce type de documents, comme l’expression même d’un monde de l’art dynamique. Elles offrent aujourd’hui un grand intérêt artistique et historique et leur valeur auprès des collectionneurs n’a cessé de croître. En conséquence, un grand nombre d’imprimés

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éphémères conservés au RKD ont été retirés de la salle d’étude ouverte au public pour être entreposés au dépôt, c’est-à-dire en lieu sûr. Pour que les documents restent néanmoins accessibles, le RKD et les autres bibliothèques recourent de plus en plus fréquemment aux substituts numériques25.

23 Il ne fait aucun doute que les ephemera présentent un intérêt majeur pour l’historien de l’art, non seulement en raison des nombreuses informations qu’ils contiennent mais aussi parce qu’ils témoignent d’une époque à travers leur conception et leur procédé de fabrication. La valeur des livres d’artistes en tant que sources pour l’histoire de l’art dépend de la nature de chaque ouvrage et de la problématique de chaque chercheur, ce qui n’empêche pas de pouvoir apprécier un livre d’artiste pour des raisons purement esthétiques, de la même manière qu’on apprécierait un tableau ou tout objet d’art. Dans ce cas aussi, la bibliothèque reste l’endroit de conservation le plus adapté, car les livres peuvent y être feuilletés et étudiés dans d’excellentes conditions, en lien ou non avec d’autres documents. Ainsi ces bibliothèques demeurent-elles des institutions vivantes et non des « cimetières » pour les livres, comme le craignait Ulises Carrión.

NOTES

1. Phrase prononcée lors d’une lecture Studium Generale donnée en 1988 à Maastricht, citée d’après : http://www.artbook.com/8475065473.html (consulté le 27 juin 2016). 2. Voir, au sujet de Carrión, Guy Schraenen, Ulises Carrión, “We have won! Haven’t we?”, Amsterdam/Brême, 1992. 3. Le cadre de cet article ne permet pas de donner une idée des bibliothèques, musées et autres institutions qui gèrent des collections de livres d’artistes et d’ephemera, mais on trouvera un aperçu des collections aux États-Unis et au Canada dans le Directory of Artists’ Books Collections : https://www.andrew.cmu.edu/user/md2z/ArtistsBooksDirectory/ArtistsBookIndex.html (consulté le 25 juin 2016). L’Artists’ Books Yearbook propose également un aperçu sélectif des collections en Europe. Les collections publiques les plus importantes aux Pays-Bas sont celles du Van Abbemuseum, à Eindhoven, du Stedelijk Museum, à Amsterdam, du Museum Meermanno, à La Haye, de la Bibliothèque nationale des Pays-Bas (collection Koopman), à La Haye, du Museum Voorlinden, à Wassenaar, du CODA, à Apeldoorn et du RKD – Institut néerlandais pour l’histoire de l’art, à La Haye. 4. Données réunies à partir de la situation du RKD – Institut néerlandais pour l’histoire de l’art. Le RKD est un centre de documentation indépendant et scientifique spécialisé dans l’histoire de l’art, établi à La Haye aux Pays-Bas. Il gère, outre une collection de documents visuels, une bibliothèque, des archives et de la documentation de presse, une collection de livres d’artistes, dont le noyau est constitué par les ouvrages provenant des archives de la galerie Art & Project. Voir : www.rkd.nl. 5. Une publication importante sur le sujet est la bibliographie des publications sur les livres d’artistes : Arnaud Desjardin, The Book on Books on Artists’ Books (2011), Londres, 2013. Parmi les ouvrages de base faisant autorité : Joan Lyons, Artists’ Books. Critical Anthology and Sourcebook, New York, 1985 ; Johanna Drucker, The Century of Artists Books, New York, (1995) 2004 ; Anne Mœglin-Delcroix, Esthétique du livre d’artiste, 1960/1980 (Paris 1997), Marseille, 2012 (avec bibliographie détaillée, p. 407-436) ; Stefan Klima, Artists Books: A Critical Survey of the Literature,

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New York, 1998 ; Cornelia Lauf, Clive Philpott (dir.), Artist/Author. Contemporary Artists’ Books, New York, 1998 ; Betty Bright, No Longer Innocent. Book Art in America 1960-1980, New York, 2005 ; Clive Phillpot, Booktrek. Selected Essays on Artists’ Books (1972-2010), Zurich/Dijon, 2013 ; Leszek Brogowski, Éditer l’art. Le livre d’artiste et l’histoire du livre, Paris, 2016. Voir aussi les publications (et les activités) des institutions comme le Cneai – Centre national édition art image, à Chatou ; le Cabinet du Livre, à Rennes (voir aussi la note 11) et le Studienzentrum für Künstlerpublikationen, Museum of Modern Art – Weserburg, à Brême. 6. Ventes publiques organisées respectivement chez Hauswedell & Nolte à Hambourg en novembre 2003 et chez Christie’s à New York le 5 avril 2013. Voir aussi concernant cet ouvrage : Hans Ebbink, « “The Book Found a Warm Welcome.” The Appearance and Disappearance of Ed Ruscha’s Dutch Details (1971) », dans RKD Bulletin, 2013/2, p. 37-45. 7. Voir pour un aperçu des évolutions aux États-Unis depuis les années 1970 : Tony White, « From Democratic Multiple to Artist Publishing: the (R)evolutionary Artist’s Book », dans Art Documentation, 31, 2012/1, p. 45-56. 8. La librairie Printed Matter est depuis 1976 le principal circuit de distribution pour les publications d’artistes, voir : www.printedmatter.org. Sur Boekie Woekie, voir : www.boekiewoekie.com. 9. Voir par exemple : Liv Valmestad, « Making the Fleeting Permanent: The “Winnipeg Effect” on Communities of Collaboration », dans Art Documentation, 35, 2016/1, p. 57-70. 10. Comme les règles ARLIS/UK, voir Maria White, Patrick Perratt, Liz Lawes, Artists’ Books, a Cataloguers’ Manual (2006), Londres, 2012. Voir également Lydia Koglin, Modellierung eines Geschäftsgangs für Künstlerbücher und künstlerisch gestaltete Publikationen (Berliner Handreichungen zur Bibliotheks- und Informationswissenschaft, Heft 374) : http://edoc.hu-berlin.de/series/berliner- handreichungen/2014-374/PDF/374.pdf (consulté le 22 juin 2016) et Mary Anne Dyer, Yuki Hibben, « Developing a Book Art Genre Headings Index », dans Art Documentation, 31, 2012/1, p. 57-66. 11. Le Cabinet du livre d’artiste, rattaché à l’université Rennes 2, propose les livres en libre accès. Il est également très actif sur le plan publicitaire par le biais d’expositions et des Éditions Incertain Sens. Voir Marie Boivent, « “For here, or to go” : sans niveau ni mètre. Journal du Cabinet du livre d’artiste », dans Journal of Artists’ Books, 2015, 37, Printemps, p. 38-41 et le site internet http://www.sites.univ-rennes2.fr/arts-pratiques-poetiques/incertain-sens/ historique_cla.htm (consulté le 25 juin 2016). Voir, concernant le débat opposant conservation et mise à disposition du public, Eva Athanasiu, « Belonging: Artists’ Books and Readers in the Library », dans Art Documentation, 34, 2015/2, p. 330-338. 12. En France, les Éditions Zédélé de Brest ont notamment réédité des livres classiques de Richard Long (South America 1972), herman de vries (wit white), Lawrence Weiner (Green as well as Blue as well as Red), Peter Downsbrough (Notes on Location), Emmett Williams (Soldier) et Jan Dibbets (Roodborst territorium/Sculptuur 1969). Voir aussi sur le sujet Aurélie Noury, « The Reprint Within Les Éditions Incertain Sens », dans Journal of Artists’ Books, 37, Printemps 2015, p. 29-31. Pour son exposition consacrée à Seth Siegelaub (« Beyond Conceptual Art », 2015-2016), le Stedelijk Museum d’Amsterdam a fait éditer des « copies d’exposition » spéciales des livres d’artistes exposés. Le Xerox Book est par ailleurs consultable en intégralité sur Internet, via : http://www.primaryinformation.org/files/CARBDHJKSLRMLW.pdf (consulté le 22 juin 2016). 13. Voir, concernant la gestion des livres d’artistes dans les bibliothèques, Louise Kulp, « Artists’ Books in Libraries: A Review of the Literature », dans Art Documentation, 24, 2005/1, p. 5-10 ; Annie Herlocker, « Shelving Methods and Questions of Storage and Access in Artists’ Book Collections », dans Art Documentation, 31, 2012/1, p. 67-76 ; Andrea Chemero, Caroline Seigel, Terrie Wilson, « How libraries Collect and Handle Artists’ Books », dans Art Documentation, 19, 2000/1, p. 22-25. 14. Concernant la problématique de l’exposition des livres d’art, voir : Clémentine Melois (dir.), Publier]…[Exposer : les pratiques éditoriales et la question de l’exposition, actes du colloque (Nîmes,

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École supérieure des beaux-arts/Carré d’art, 2011), Nîmes, 2012 [online : http://www.nimes.fr/ fileadmin/directions/ecole_beaux_arts/2012-publi-exposer-publier-catalogue.pdf] ; Charlotte Cheetham, Sophie Demay (dir.), Open Books, Volumes A-E, Londres, 2011. 15. Steven Tonkin, Sol LeWitt. Drawings, Prints and Books 1968-1988, Parkes Place, 2002, extrait de Giorgio Maffei, Emanuele De Donno (dir.), Sol LeWitt, Artist’s Books, Sant’ Eraclio di Foligno, 2009, p. 137. 16. Voir par exemple les innombrables fanzines des mouvements féministes ou de la scène musicale alternative, souvent copiés et même diffusés. 17. Les archives d’Art & Project contiennent aussi près de 600 livres d’artistes, qui constituent aujourd’hui le noyau de la collection du RKD. D’ici quelques années, une publication numérique proposera un aperçu de l’histoire de la galerie et de la constitution de la collection d’art, des archives et de la collection de livres d’artistes. Voir aussi Rini Dippel, « Art & Project: the Early Years », dans In & Out of Amsterdam: Travels in Conceptual Art, 1960-1976, Christophe Cherix (dir.), cat. exp. (New York, Museum of Modern Art, 2009), New York, 2009, p. 23-33 ; Louise Riley-Smith (dir.), Art & Project Bulletins 1-156, September 1968 – November 1989, Londres/Paris, 2011 et Ton Geerts, « Art & Project (1968-2001) », dans RKD Bulletin, 2012/1, p. 24-30. 18. Les principales publications monographiques sur les imprimés éphémères sont : David Senior (dir.), Please Come to the Show, Londres, 2014, publié à l’occasion d’une exposition de la collection d’ephemera de la bibliothèque du Museum of Modern Art à Liverpool et New York, et Pilar Perez, Steven Leiber (dir.), Extra Art. Survey of Artists’ Ephemera 1960-1999, Santa Monica, 2001. 19. Clive Phillpot, « Flies in the Files: Ephemera in the Art Library », dans Art Documentation, 14, Printemps 1995/1, p. 13-14, ici p. 13. 20. Stephen Bury, « Collecting “the Now” », dans Art Libraries Journal, 38, 2013/3, p. 6-9, ici p. 6. 21. ZERO, Let us Explore the Stars, Margriet Schavemaker, Dirk Poerschmann (dir.), cat. exp. (Amsterdam, Stedelijk Museum ; Berlin, Martin-Gropius-Bau, 2015), Amsterdam/ Cologne, 2015. Le catalogue détaillé contient une part encore beaucoup plus grande d’imprimés éphémères. 22. Voir le catalogue : Seth Siegelaub. Beyond Conceptual Art, Leontine Coelewij, Sara Marinetti (dir.), cat. exp. (Amsterdam, Stedelijk Museum, 2015-2016), Cologne/Amsterdam, 2015. 23. Ces expositions, qui existaient uniquement sur papier, sont le sujet de la thèse de doctorat que prépare l’historienne de l’art allemande Regine Ehleiter : Exhibitions in print: die Publikation als Ausstellungsmedium in der Kunst der 1960-er und 1970er Jahre (Hochschule für Grafik und Buchkunst, Academy of Fine Arts, Leipzig). 24. Bury, 2013, cité n. 20, p. 6. 25. Le RKD a commencé un projet de numérisation des imprimés éphémères des années antérieures à 1960 et étudie actuellement les moyens de numériser aussi les documents datés d’après cette période. Voir Roman Koot, Klawa Koppenol, « From Marginal to Mainstream: Art Ephemera as Research Material at the RKD », dans Art Documentation, 35, 2016/1, p. 43-56.

RÉSUMÉS

De très nombreuses bibliothèques partout dans le monde collectent et gèrent des livres d’artistes, et les mettent à disposition du public. Pourquoi les bibliothèques (d’art) sont-elles si aptes à remplir ce rôle ? Du fait de la spécificité des livres d’artiste, la collecte, l’inventaire et la mise à

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disposition pose des exigences particulières aux bibliothécaires. La bibliothèque en tant qu’institution prestataire de services offre les meilleures garanties pour des conditions de consultation optimales. Les livres d’artistes peuvent être envisagés comme des œuvres d’art à part entière, mais aussi être consultés en bibliothèque en lien avec de la littérature dite secondaire ou d’autres sources de l’histoire de l’art, comme les pièces d’archives et les imprimés éphémères. Ces derniers présentent une source inestimable d’informations pour les historiens de l’art, comme le montre la place de plus en plus importante qu’ils occupent dans les expositions. La valeur d’un livre d’artiste en tant que source historique et artistique dépend, en dernière analyse, de la nature de chaque ouvrage et de la problématique du chercheur.

Numerous libraries around the world collect and deal with artists’ books and make them available to the public. Why are art libraries so suited to performing this role? Given the specificity of artists’ books, the collecting, classification, and availability of books present special demands for librarians. In its role as an institution that provides services, the library offers the best guarantee for optimal conditions for consultation. Artists’ books can be considered as works of art in their own right, but can also be consulted in a library together with so-called secondary literature or other sources for art history, such as archival material and ephemeral pamphlets. Printed ephemera represent invaluable sources of information for art historians, as is demonstrated by their growing importance in exhibitions. The value of an artist’s book as a historical and artistic source depends, ultimately, on the nature of each work and on the researchers’ topics.

INDEX

Mots-clés : bibliothèque, histoire de l'art, recherche, livre, livre d'artiste, édition, archives, ephemera, sources, œuvre, conservation, collection, accès, exposition, RKD – Institut néerlandais pour l'histoire de l'art Parole chiave : biblioteca, storia dell'arte, ricerca, libro, libro d'artista, edizione, archivi, fonti, opera, conservazione, collezione, accesso, mostra, RKD – The Netherlands Institute for Art History Index géographique : Europe Keywords : library, art history, research, book, artist's book, publishing, archives, ephemera, sources, work, preservation, collection, access, exhibition, RKD – The Netherlands Institute for Art History Index chronologique : 1900, 2000

AUTEURS

ROMAN KOOT Directeur du département Bibliothèque & Archives, RKD – Institut néerlandais pour l’histoire de l’art, La Haye, Pays-Bas [email protected]

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Les bibliothèques d’artistes au prisme des humanités numériques : la bibliothèque de Monet Artists’ Libraries through the Prism of Digital Humanities: Monet’s Library

Félicie Faizand de Maupeou

1 Qu’elles soient génétiques, iconographiques ou textuelles, qu’elles soient monographiques ou plus globales et contextuelles, les études des bibliothèques d’artistes se caractérisent par leur diversité et leur complémentarité1. Les humanités numériques et l’ensemble des outils dont l’utilisation se développe dans la communauté des chercheurs en sciences humaines et sociales représentent encore un autre moyen d’aborder cette ressource et de mettre en valeur sa richesse, tant pour les historiens de l’art que pour les chercheurs de disciplines connexes. Le recours au numérique s’est imposé pour mener à bien le projet sur les bibliothèques d’artistes, actuellement conduit au sein de l’axe de recherche « Images dialectiques, musées imaginaires, musées virtuels » du labex Les Passés dans le présent et en lien avec la Bibliothèque nationale de France. C’est ce choix, ses raisons, ses enjeux et ses conséquences pour la recherche, que ce texte entend présenter.

2 Les problématiques numériques sont aujourd’hui au cœur des débats dans les bibliothèques. Et au-delà de cet ancrage disciplinaire, elles bénéficient d’une véritable actualité dans toute la recherche en sciences humaines. De l’histoire de l’art quantitative aux expositions virtuelles, de nombreux historiens de l’art mais aussi des conservateurs de musées et de bibliothèques s’interrogent sur la place à accorder à ces nouvelles technologies et sur leurs impacts sur les méthodes et pratiques de la recherche. Le numérique représente donc autant un outil que les chercheurs intègrent de plus en plus à leurs pratiques qu’un nouveau champ de réflexion, dont témoignent de nombreux ouvrages, numéros de revues spécialisées, tables rondes ou colloques. Ce sont aussi des groupes de travail et de réflexion, comme L’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines2 ou Humanistica 3 – l’association francophone des humanités numériques – qui se réunissent autour de cet enjeu. Dans le cadre de son

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initiative d’excellence, l’université de Bordeaux a par ailleurs lancé depuis 2009 un Institut des humanités digitales organisateur de plusieurs journées d’étude qui se donnent pour ambition d’analyser l’usage des technologies numériques dans le champ des sciences humaines. En 2012, ces journées d’études étaient intitulées « Humanités digitales : le tournant numérique des sciences humaines ». Les résultats ont été publiés en 2015 dans un ouvrage collectif qui réunit des chercheurs d’horizons très différents : littérature, psychologie, médiation, sciences cognitives et bien sûr informatique4. Cette question des enjeux posés aux sciences humaines et sociales par le numérique, dont traite le labex Les Passés dans le présent, est régulièrement abordée, souvent d’un point de vue transdisciplinaire5. Le sociologue Michel Wieviorka s’est quant à lui interrogé sur ce qu’il qualifie de nouvel « impératif numérique6 » dans les sciences humaines. Il met en avant les formidables possibilités offertes par les big data qui permettent notamment de confronter différentes échelles d’analyse, c’est-à-dire de comparer un phénomène particulier, comme la présence d’un livre dans la bibliothèque d’un artiste, à sa diffusion globale sur un temps long. En cela, la technologie numérique facilite, prolonge et démultiplie la réflexion théorique. La revue Socio ainsi fait paraître un numéro sur le thème Le tournant numérique et après ?7 dans lequel les contributeurs « cherchent à comprendre comment se déploie la recherche en sciences humaines et sociales sur et avec le numérique, mais aussi, en quelque sorte, en son sein, de l’intérieur, comme partie intégrante d’une nouvelle culture scientifique8 ».

3 Les anglo-saxons sont également très présents dans ce champ de recherche et plusieurs universités américaines ont mis en place des départements transdisciplinaires, menés par des chercheurs en sciences humaines, autour des questions numériques. Là encore de très nombreuses publications pourraient être citées, dont l’ouvrage collectif Understanding Digital Humanities9 dans lequel des chercheurs examinent les apports du numérique à l’aune de leur spécialité aussi variée que le cinéma, l’esthétique ou les gender studies. L’approche théorique et méthodologique est quant à elle privilégiée dans un autre ouvrage collectif paru la même année, Debates in the Digital Humanities10, qui est structuré de manière très rigoureuse avec une première partie de définition, puis de théorisation avant de passer à la critique puis à la mise en pratique pour finir sur l’avenir des humanités digitales.

Enjeux du traitement numérique de la bibliothèque

4 L’approche transversale et interdisciplinaire que suscite l’usage du numérique par les chercheurs est l’un des fondements du projet « Bibliothèques d’artistes » puisqu’il réunit historiens de l’art, historiens de la littérature et conservateurs autour d’une ambition commune : utiliser les nouvelles technologies numériques pour rendre accessible aux chercheurs et au grand public non seulement les listes d’ouvrages qui constituent ou constituaient les bibliothèques des artistes des XIXe et XXe siècles mais également leur version dématérialisée. En collectant dans un même outil ces listes d’ouvrages et toutes leurs informations afférentes – édition, illustrations, système d’annotation, envois, classement... – l’enjeu est de pouvoir explorer plus avant cette ressource formidable au moyen d’un système d’interrogation croisée au sein d’une bibliothèque ou entre les bibliothèques de différents artistes. Ce projet est né de l’engouement suscité par la publication de la liste des ouvrages conservés dans la bibliothèque de Monet à Giverny. Outre les historiens de l’art, les chercheurs en

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littérature et les sociologues se sont emparés de ce matériau pour l’interroger à l’aune de leur préoccupation disciplinaire, vérifier des hypothèses de travail et formuler de nouveaux rapprochements. Aujourd’hui circonscrit à la bibliothèque de Monet, ce projet a vocation de rassembler nombre de ces bibliothèques afin, à terme, de pouvoir établir des comparaisons internationales et intergénérationnelles passionnantes entre le musée imaginaire, entendu au sens large, d’artistes très différents. Il sera alors possible de suivre la diffusion d’un ouvrage au sein d’une même génération mais également sa transmission sur le temps long. C’est, en filigrane, une histoire des idées qui se dessine. Véhicules de la pensée et canaux de diffusion des concepts, les livres permettent de recomposer le paysage culturel d’une époque et d’un lieu. Et leur appropriation par les artistes permettra de vérifier certaines hypothèses, comme la diffusion des théories scientifiques sur la couleur et la lumière au XIXe siècle. La génération impressionniste lisait-elle Goethe, Chevreul ou Helmholtz ? Ou avait-elle accès à ces théories par l’intermédiaire d’une littérature de seconde main et via les revues ? Au contraire, ces ouvrages sont-ils tout à fait absents de leurs rayonnages ? Monet, abonné à La Revue blanche, ne possédait que le traité de Bracquemond11. Les images qui illustrent ces ouvrages sont également une source essentielle car elles représentent une nouvelle pièce à ajouter au dossier génétique des œuvres. Et c’est alors un nouveau pan du musée imaginaire au sens propre qui se dévoile. Souvent assimilables à des livres d’art par leurs illustrations, les catalogues de vente qui figurent parfois dans ces bibliothèques sont un autre exemple de leur richesse pour les chercheurs. Comme le démontre Léa Saint-Raymond, dans une thèse en cours12, leur présence et parfois les annotations de prix ou d’appréciation esthétique révèlent les sensibilités d’un artiste. Tel est le cas de Monet qui, dans le catalogue de vente de la collection Degas en 1918, a par exemple noté le prix d’adjudication d’un Greco et d’un Delacroix, laissant ainsi un indice de ses goûts artistiques13.

5 Le choix de la mise en ligne des bibliothèques d’artiste répond avant tout à un besoin d’accessibilité. Ainsi, les listes d’ouvrages, comme outil de travail pour les chercheurs, ne sont plus contraintes au format papier mais sont accessibles par tous et partout. Les fonctionnalités numériques rendent par ailleurs cet outil très puissant en démultipliant les possibilités d’interrogations et de comparaisons. D’après le dictionnaire de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques, « les bibliothèques numériques proposent de véritables collections numériques, selon une politique documentaire déterminée. Elles sont alimentées soit par des opérations de numérisation (documents patrimoniaux ou non), soit par des documents nativement numériques. Les contenus sont organisés pour en faciliter la consultation14. » Si elle reprend en partie les objectifs d’une bibliothèque traditionnelle, cette définition laisse aussi entrevoir les possibilités nombreuses et multiples offertes par ce nouvel outil, notamment des fonctionnalités de consultation étendues. Une bibliothèque numérique n’est donc pas la simple copie d’une bibliothèque physique, elle en est le prolongement et plus encore une véritable extension. Cette affirmation rejoint les réflexions menées depuis plusieurs années par le philosophe Pierre Lévy pour qui le virtuel est ce qui existe en puissance et non en acte. En cela, il ne s’oppose pas au réel mais à l’actuel : « La virtualisation n’est pas une déréalisation (la transformation d’une réalité en un ensemble de possibles), mais une mutation d’identité, un déplacement du centre de gravité ontologique de l’objet considéré : au lieu de se définir principalement par son actualité (une « solution »), l’entité trouve désormais sa consistance essentielle dans un champ problématique. Virtualiser une entité quelconque consiste à découvrir une

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question générale à laquelle elle se rapporte, à faire muter l’entité en direction de cette interrogation et à redéfinir l’actualité de départ comme une réponse à une question particulière15. »

6 Malgré son engouement pour le numérique, Michel Wieviorka émet certaines réserves quant à cette virtualisation de la pensée et il met en garde contre le risque « d’appauvrissement théorique face à une approche exagérément quantitative de questions historiques, sociologiques, anthropologiques16 ». À côté de cette incertitude théorique, l’usage du numérique pose un problème bien concret de mise en œuvre pratique. Les chercheurs en sciences humaines sont confrontés à des technologies que souvent ils ne maîtrisent pas et à des logiques de projet assez différentes de la recherche traditionnelle. À travers l’exemple de la mise en place du projet « Bibliothèques d’artistes », ce sont un certain nombre de ces questions que nous allons examiner.

Identifier les outils

7 Un des apports des humanités numériques est le renforcement du lien entre l’outil et l’usage. En effet, la recherche des outils numériques adaptés implique de mener une réflexion approfondie sur l’objet de son étude. Ainsi la construction de l’architecture d’une base de données mène-t-elle à s’interroger sur la nature de son corpus, ses caractéristiques et ses limites. Cet effort de définition représente la première étape d’un tel projet. De quelle nature les documents sont-ils ? Texte retranscrit, texte numérisé, photographie, carte, plan… Et s’agit-il d’un corpus homogène ou au contraire hétérogène ? En l’occurrence, le corpus est constitué, d’une part, des notices bibliographiques des ouvrages conservés à Giverny, qui mentionnent la transcription des envois et toutes les caractéristiques des exemplaires et, d’autre part, de la version numérisée des ouvrages, récupérés via le lecteur exportable de Gallica17. L’origine et la nature des collections peuvent également poser des questions relatives au droit d’auteur et influencer le niveau de sécurité à y apposer. Par exemple, les documents patrimoniaux doivent être particulièrement protégés des tentatives de téléchargements.

8 La nature des documents peut également influer sur l’importante question du stockage. Des textes retranscrits pèsent très peu de poids et ne demandent donc pas un espace de stockage très important. À l’inverse, des images, surtout en haute définition – ce qui est toujours souhaitable afin que l’utilisateur puisse « zoomer » –, prennent beaucoup de place. C’est évidemment aussi le cas pour des extraits sonores ou vidéos. Il faut donc trouver un hébergeur qui ait une capacité de stockage et de gestion des flux adaptée au projet. Ce dernier doit également offrir une plateforme de diffusion adéquate. Les projets universitaires incluant un versant numérique se sont multipliés à très grande vitesse ces dernières années, sans pour autant qu’une institution ait été créée d’emblée pour les accueillir. Lancée en 2013, la très grande infrastructure de recherche (TGIR) Huma-Num18 a pour vocation de répondre à cette attente. Elle met à disposition des chercheurs des services numériques pérennes ainsi que tout un dispositif humain de concertation collective. Organisée en consortium, elle est destinée à assurer non seulement le suivi technique des projets mais également à offrir des espaces d’échange et d’entraide autour de thématiques et d’objets communs, dont bénéficie désormais le

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projet « Bibliothèques d’artistes », grâce à la convention signée entre le labex Les Passés dans le présent et la TGIR Huma-Num.

9 Une fois ces prérequis établis et en fonction des critères qui ont été définis, les concepteurs du projet doivent ensuite choisir un système de gestion de données adapté. L’interdépendance entre les outils informatiques et l’objet apparaît à nouveau lors de cette phase. Ainsi l’évaluation des besoins quant au stockage pousse à ne plus considérer son objet seulement d’un point de vue qualitatif mais également quantitatif. Or ces résultats s’avèrent très utiles, notamment pour la mise en place d’une réflexion comparatiste et globale. Les bibliothèques d’artistes sont un cas de figure assez bien connu puisqu’il s’agit d’un corpus bibliographique. Il faut donc un système capable de gérer des fiches bibliographiques, éventuellement de créer des liens entre elles et de pouvoir distinguer un contenu spécifique à un ouvrage, comme le recensement des illustrations qu’il contient. Cela correspond à un format plat, contrairement à la gestion d’archives qui nécessite un format hiérarchisé, puisqu’on traite un fonds, composé de boîtes, contenant des dossiers qui eux-mêmes comportent des pièces. De très nombreux logiciels permettent de gérer des bibliothèques numériques. Beaucoup sont payants et quelques-uns sont gratuits. Après une longue phase d’expertise pour trouver l’outil de gestion le plus adapté au projet bibliothèques d’artistes, le choix a été fait d’utiliser le logiciel libre Omeka, développé par le Roy Rosenzweig Center for History and New Media de la George Mason University (Fairfax, VA), qui répond à beaucoup de nos critères. Outre leur gratuité, les logiciels libres ont l’avantage de bénéficier d’une importante communauté d’utilisateurs qui animent des blogs, mettent en ligne des tutoriels et répondent via des forums aux problèmes techniques qui peuvent se poser. Omeka est un CMS (content management system), c’est-à-dire un gestionnaire de contenus mis à disposition sur Internet. Il permet donc à la fois de gérer les contenus – les fiches bibliographiques, reliées à la version numérisée des ouvrages – de consulter ces contenus via un moteur de recherche et de présenter ces documents sous la forme de collections. S’il assure les deux fonctions, gestion et diffusion des données demeurent bien séparées. Le design ou les différentes fonctionnalités peuvent évoluer ou même changer tout à fait, le contenu n’est pas compromis.

10 Omeka présente également l’avantage de reprendre les normes de description bibliographique. Il est en effet construit sur la base du Dublin Core, un format descriptif qui comprend quinze champs permettant de décrire tout type de document. Créé en 1995, le Dublin Core est aujourd’hui étendu à cinquante-cinq champs descriptifs. L’utilisation de cette norme rend le système interopérable c’est-à-dire que les notices créées dans Omeka peuvent être récupérées par d’autres systèmes et qu’inversement, il est possible de moissonner les notices établies par d’autres bibliothèques.

11 À côté de cette question de la gestion des contenus, se pose celle de la diffusion des données, puisque l’enjeu central est de rendre accessible cette formidable ressource que sont les bibliothèques d’artistes. Il faut donc concevoir une plateforme d’interrogation et de consultation adaptée aux utilisateurs potentiels. S’agit-il d’un public de chercheurs très spécialisé ou vise-t-on à l’élargissement du public cible ? La question sous-jacente, qui est dans le monde de la recherche d’aujourd’hui particulièrement prégnante, est celle de la valorisation et donc de l’adaptation des outils et des discours en fonction des publics visés. Comme c’est souvent le cas dans les catalogues en ligne de bibliothèques ou de musées, il faudra concevoir une recherche simple uniquement par mot-clefs et une recherche avancée qui, en affinant les critères,

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permette de retrouver des documents bien spécifiques. Dans le cas des bibliothèques d’artistes, c’est l’interrogation croisée qui sera particulièrement intéressante, car on veut non seulement savoir si Monet possédait un exemplaire de Don Quichotte19 ou des Fables de La Fontaine20, dans quelle édition, et feuilleter l’exemplaire en question, mais aussi si d’autres artistes de sa génération les détenaient également et s’il s’agit des mêmes éditions illustrées par Gustave Doré. Il peut par ailleurs être intéressant de mettre en place une offre d’éditorialisation, c’est-à-dire que l’utilisateur puisse organiser et structurer les données de manière personnalisée. Il pourra ainsi créer sa propre bibliothèque thématique, prendre des notes ou annoter directement les ouvrages, et partager ce travail.

12 Le travail sur la bibliothèque de Monet est aujourd’hui bien avancé. Le catalogue de la bibliothèque de Giverny avait été réalisé en amont par Claudette Lindsey et les équipes de la maison Monet et a été finalisé à l’occasion de la publication de l’anthologie de textes21. Une seconde étape a consisté à vérifier la correspondance de cette liste d’ouvrages avec ceux conservés à la BnF et d’ores et déjà numérisés sur Gallica. Il s’agit pour la BnF de faire entrer ces ouvrages dans sa politique de numérisation. Cette phase en apparence aisée, car en partie informatisée, a finalement demandé plus de temps que prévu22. Cela s’explique en partie par la nature des ouvrages conservés dans la bibliothèque de Monet. En effet, une large partie de ces livres sont des ouvrages à succès de l’époque, qui ont fait l’objet de très nombreuses réimpressions ou rééditions. Or ces informations ne sont pas toujours aisées à retracer. S’il s’agit d’une réimpression, l’ouvrage numérisé sur Gallica est utilisable pour le projet, s’il s’agit d’une réédition la publication diffère et, dans ce cas, il faut procéder à une nouvelle numérisation de l’ouvrage précis. Après cette étape et celle du choix des outils numériques, le projet entre dans sa phase de réalisation.

13 L’ensemble des titres de la bibliothèque de Monet sera accessible en ligne. Outre son intérêt scientifique évident, ce premier cas d’étude permettra de tester et de valider les solutions numériques que nous avons choisies pour pouvoir, le cas échéant, les appliquer à d’autres bibliothèques, d’autres artistes, qu’ils soient peintres, sculpteurs, architectes, etc. L’outil numérique devra alors être suffisamment puissant pour prendre en charge un grand nombre de bibliothèques mais également assez souple pour s’adapter aux spécificités de chacune. Ce passage d’une échelle monographique à une échelle plus globale permettra de créer les conditions d’élaboration d’une pensée analytique et critique de l’objet bibliothèque d’artiste, à la fois considéré comme une entité à part entière et comme un ensemble d’objets indépendants, eux-mêmes composés de pages parfois annotées et d’illustrations. S’inscrivant à la suite d’une bibliographie qui ne cesse de s’étoffer, ce projet entend y ajouter la dimension nouvelle des technologies numériques et d’Internet, mise au service d’une source qui dessine le portrait du lecteur derrière celui de l’artiste, dévoile ses interactions avec la sphère culturelle de son époque et du passé, et révèle un peu de son processus créatif.

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NOTES

1. Ce point de vue est développé dans ce volume, dans l’article de Ségolène Le Men, « Les bibliothèques d’artistes : une ressource pour l’histoire de l’art », p. 111-132. Ce texte est d’ailleurs conçu comme son pendant puisqu’il s’inscrit dans la continuité de ses recherches et développe le projet que nous menons ensemble dans le cadre du labex Les Passés dans le présent (ANR-11- LABX-0026-0). 2. http://www.omnsh.org/. 3. http://www.humanisti.ca/. 4. Valérie Carayol, Franc Morandi, Le tournant numérique des sciences humaines et sociales, Pessac, 2015. 5. Lors des colloques et journées d’étude suivants : « Le numérique aujourd’hui : enjeux en Sciences Humaines et Sociales », Laboratoire EDA, Cerlis et Philépol, université Paris Descartes, 8 juin 2016 ; « Valorisation du patrimoine et numérique », OMNSH-IRI, Centre Pompidou, 19 octobre 2016. 6. Michel Wieviorka, L’impératif numérique ou La nouvelle ère des sciences humaines et sociales ?, Paris, 2013. 7. Dana Diminescu, Michel Wieviorka (dir.), Le tournant numérique et après ?, numéro de la revue Socio, 4 avril 2015. 8. http://www.fmsh.fr/fr/c/7108 (consulté le 27 octobre 2016). 9. David M. Berry (dir.), Understanding Digital Humanities, New York, 2012. 10. Matthew K. Gold (dir.), Debates in the Digital Humanities, Minneapolis, MN, 2012. 11. Félix Bracquemond, Du dessin et de la couleur, Paris, 1885. 12. Léa Saint-Raymond, Les artistes vivants dans l’arène des ventes publiques : la fabrication de la cote artistique sur le marché secondaire de l’art parisien entre 1852 et 1939, thèse en préparation, Ségolène Le Men (dir.), université Paris Ouest. 13. Catalogue des tableaux modernes et anciens - aquarelles, pastels, dessins par [...] composant la collection de , Paris, galerie Georges Petit, vente des 26-27 mars 1918. 14. http://www.enssib.fr/le-dictionnaire/bibliotheques-numeriques. Notice créée le 12 juin 2012, mise à jour le 20 mars 2013 (consultée le 27 octobre 2016). 15. Pierre Lévy, Qu’est-ce que le virtuel ?, Paris, 1995, p. 15. 16. Philippe Testard-Vaillant, « Interview de Michel Wieviorka : les sciences humaines et sociales à l’ère numérique », dans CNRS Le journal, publié en ligne le 10 janvier 2014 : https:// lejournal.cnrs.fr/articles/interview-de-michel-wieviorka-les-sciences-humaines-et-sociales-a- lere-numerique (consulté le 27 octobre 2016). 17. Voir le blog de la BnF : http://blog.bnf.fr/gallica/?p=1579 (consulté le 27 octobre 2016). 18. http://www.huma-num.fr/. 19. Miguel de Cervantes, L’ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche. Trad. Louis Viardot et 370 compositions de Gustave Doré, Paris, 1869. 20. Jean de La Fontaine, Fables. Avec les dessins de Gustave Doré, Paris, 1868. 21. Ségolène Le Men, Claire Maingon, Félicie de Maupeou, La Bibliothèque de Monet, Paris, 2013. 22. Elle a été conduite sous la responsabilité de l’auteur avec des étudiants de master de l’université Paris Ouest, et notamment Hortense Rolland, au labex Les Passés dans le présent.

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RÉSUMÉS

Le projet Bibliothèques d’artistes, mené au sein du labex « Les Passés dans le présent », a pour objectif de rendre accessible aux chercheurs et au grand public non seulement les listes d’ouvrages qui constituent ou constituaient les bibliothèques des artistes des XIXe et XXe siècles mais également leur version dématérialisée. Afin de gérer le grand nombre de données, d’assurer une large diffusion et de pouvoir croiser les recherches autour d’une bibliothèque, d’un écrivain ou d’un livre, le choix du numérique a été fait. C’est cette approche que cet article entend exposer à la lumière d’une bibliographie foisonnante sur le sujet et en exposant les différentes étapes et les réflexions, aussi bien théoriques que pratiques que soulève un tel projet.

The project Artists’ Libraries – part of the laboratory “Past for the Present” – aims to provide researchers and the general public not only with lists of works that constitute or constituted artists’ libraries in the nineteenth and the twentieth centuries, but also their dematerialized version. In order to manage the large amount of data, to ensure wide dissemination, and to be able to cross-reference searches around a library, a writer, or a book, the choice to digitize has been made. This article sets out to describe this approach through an extensive bibliography on the subject and by explaining the different stages and the thinking, theoretical as well as practical, that are given rise by such a project.

INDEX

Mots-clés : bibliothèque d’artiste, artiste, numérisation, bibliothèque numérique, sources, ressources numériques, livre, lecture, archives, recherche, humanités numériques Parole chiave : biblioteca d'artista, artisti, digitalizzazione, biblioteca digitale, fonti, risorse digitali, libro, lettura, archivi, ricerca, informatica umanistica Keywords : artist's library, artist, digitization, digital library, sources, digital resource, book, reading, archives, research, digital humanities

AUTEUR

FÉLICIE FAIZAND DE MAUPEOU Université Paris Ouest Nanterre La Défense [email protected]

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Les documents de l’art. Réflexions à partir de quelques films de la bibliothèque Kandinsky Art Documents. Reflections From Films on the Art of the Kandinsky Library

Lydie Delahaye

1 L’exposition organisée par Harald Szeemann à la Kunsthalle de Berne en 1969, « When Attitudes Become Form », est historiquement celle qui fit entrer la notion de processus dans les discours sur l’art1. Tout l’enjeu de l’exposition résidait dans « le déplacement du centre d’intérêt depuis le résultat vers le processus2 » dont le film et les photographies du montage de l’exposition, décrite par le commissaire comme « un véritable chantier », semblent finalement plus à même de rendre compte des interventions des artistes que les vues de l’accrochage une fois terminé. Composé d’une série d’entretiens avec les artistes au moment de l’élaboration de leurs œuvres, le film3 qui documente l’accrochage devient alors le support réunissant spatialement des travaux pour la plupart dématérialisés et parfois même invisibles aux visiteurs4. L’émergence d’une dématérialisation de l’art engagea les artistes à penser conjointement sa médiation, passant ainsi d’une « concentration sur la structure de l’art à l’attention portée à la transmission5 ». À rebours d’une affectation secondaire, le rôle programmatique de la bibliothèque dans les pratiques artistiques conceptuelles autorise alors son déploiement théorique. L’exemple paradigmatique de L’Information Room (1970) de l’artiste conceptuel Joseph Kosuth, « installation qui transforme la salle d’exposition en salle de lecture6 » où ce dernier invite le public à s’installer parmi les livres théoriques rassemblés pour l’occasion, émancipe l’espace de la bibliothèque pour élargir le spectre de ses potentialités. Par sa capacité à enregistrer l’œuvre dans son processus de création – qu’elle soit de nature conceptuelle ou non – le film se révèle le document idéal de l’art. De surcroît, en posant un regard sur l’œuvre, le film formule un discours sur l’art, invitant dès lors à considérer son expérience à travers le modèle théorique de la bibliothèque d’art.

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Des documents pour l’histoire de l’art

2 La bibliothèque Kandinsky, centre de documentation du Musée national d’art moderne, porte en elle toutes ces ambivalences en raison de la nature même de ses collections, dont la variété des documents – archives, livres, catalogues, revues, photographies, revues de presse, cartons d’invitation, enregistrements sonores et audiovisuels, livres d’artistes – bouscule discrètement les catégories conventionnelles de la bibliothèque. Créée en 2002, elle consacre sa collection à l’art du XXe et XXIe siècle et trouve son origine dans la documentation rassemblée par le Centre national d’art contemporain (CNAC), créé en 1967, qui disposait alors d’une galerie d’exposition et d’un centre de documentation hébergés à l’hôtel Salomon de Rothschild, rue Berryer à Paris. À l’ouverture du Centre Pompidou en 1977, cette politique documentaire prit la forme d’un département de la documentation conçu en relation avec les œuvres du musée7, et dans ce sens, complémentaire du département des collections. Ressource pour les conservateurs et les chercheurs prenant en charge l’écriture de l’histoire de l’art, « son rôle est en effet moins de documenter les œuvres de la collection que d’apporter le point de vue le plus large, le plus exhaustif, le plus international sur l’art et la création au XXe siècle8 ». La spécificité de cette collection documentaire, qui deviendra la bibliothèque Kandinsky, réside dans la diversité des éléments collectés provenant des multiples reversements, dont celui de la documentation du CNAC en 1977 et du Centre de Création Industrielle (CCI) en 19929, des donations successives constituées en fonds – notamment d’archives des artistes et des personnalités du monde de l’art – ainsi que des acquisitions réalisées depuis l’ouverture du Centre Pompidou. Bibliothèque au sein d’un musée, la bibliothèque Kandinsky devient alors simultanément une archive, un centre de documentation et un lieu ouvert sur l’actualité de la recherche et de la création. La constitution d’une collection de films sur l’art10 pour le service de la documentation du Centre national d’art contemporain fut, dans un premier temps, pensée comme une ressource documentaire qui, au même titre que toute documentation, venait informer les circonstances des œuvres. L’histoire des expositions et de leurs accrochages oscillent entre un modèle contemplatif, celui du White cube décrit par Brian O’Doherty 11, et un modèle didactique, marqué par la présence de documentation en regard des œuvres exposées12. Depuis le tournant du XXe siècle, les musées d’art moderne prirent un rôle actif dans l’accompagnement et la démocratisation de l’art moderne en multipliant les projets éducatifs, par le recours notamment au support reproductible du film, instrument d’apprentissage idéal étant simultanément un outil éducatif et un moyen d’investigation, et par là-même, une source de connaissance substantielle13. Sensible aux nouvelles pratiques de l’art contemporain, le musée s’est ainsi emparé d’un médium dont l’histoire s’énonçait au même moment et semblait constituer un document précieux « qui, à la périphérie des œuvres, donne sens, orientation, soutient l’imaginaire14 ». Initialement diffusés lors de séances cinématographiques, les films sur l’art, comme les autres documents conservés à la bibliothèque Kandinsky, se retrouvent désormais fréquemment intégrés à la scénographie des expositions par les commissaires soucieux de contextualiser les œuvres. Dès lors que la scénographie de l’exposition oriente l’expérience du visiteur, la transmission du propos s’opère bien souvent par les textes explicatifs et autres éléments de médiation qui en ponctuent le parcours, « tout ce qui, autour, dans les parages de l’œuvre, concourt à la réception de cette dernière15 ». La diversité des documents collectionnés par la bibliothèque Kandinsky se présente comme une vaste

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réserve de sujets et d’images qui permettrait, avec Michel Foucault, de penser les formes de l’art comme autant d’énoncés dont la confrontation laisserait apparaître « les écarts et les similitudes16 ». Dès lors, de ces affinités électives entre les documents émerge un outil précieux à l’écriture de l’histoire.

L’œuvre et son commentaire

3 Les films réalisés par Hans Namuth et Paul Falkenberg sur le peintre américain Jackson Pollock en 1950 et 195117 comptent assurément parmi les films sur l’art les plus fréquemment présentés dans les contextes d’exposition18. À l’instar de la série de photographies que Namuth conçoit entre juillet et octobre 1950 dans l’atelier de l’artiste, les films ont très clairement contribué à la connaissance du travail de Pollock. Pour rendre la spécificité de la technique toute particulière du dripping, le peintre est cadré dans un enchevêtrement envahissant de lignes noires et blanches qui redouble l’espace du all over19, montrant Pollock dans l’acte de peindre. Ces images de l’artiste, filmées en contre-plongée à travers un carreau de verre qu’il vient recouvrir progressivement de peinture20, ont vraisemblablement influencé Harold Rosenberg, lorsqu’il publie en 1952 son fameux article « American Action Painters21 », dans lequel il applique à l’orientation stylistique incarnée par Pollock non pas l’étiquette d’Expressionnisme abstrait – désignation que Greenberg22 rapportait à ce qui était représenté sur la surface de la toile – mais celle d’action painting, déplaçant ainsi l’attention portée à l’égard de l’œuvre achevée vers son processus de fabrication23. Dans Jackson 51, outre la musique de Morton Feldman, la voix off de Pollock énonçant des commentaires et réflexions sur l’art accompagne les images d’Hans Namuth. Il resterait à constater, avec Jean Clay, que les photographies et les films de Namuth deviennent les commentaires critiques de la peinture de Pollock, recréant ainsi par le biais de l’appareil d’enregistrement une « lecture » non langagière de l’œuvre. Dans les conditions paradigmatiques réunies par Namuth avec Pollock 51, le film devient à la fois le support de tout commentaire, mais consiste aussi lui-même en un commentaire visuel de l’art : « nous voyons Namuth dégager dans son instance, par un appareil de lexies, et donc mettre au jour, théoriser l’avancée pollockienne avec une force qui ne le cède en rien aux textes critiques les plus perspicaces de l’époque. […] Hans Namuth critique d’art : interprétation non langagière. La langue n’est pas, comme le croyait Benveniste, l’unique interprétant de tous les autres systèmes24. »

4 En 1934, à l’université de Bologne, Roberto Longhi disposait de plus de six cents diapositives pour son enseignement consacré à la peinture du Quattrocento et, très logiquement, c’est avec la réalisation de films sur l’art que l’historien aboutira à une synthèse idéale de la force discursive du commentaire et de l’évidence de la manifestation visuelle. De surcroît, le regard que porte la caméra sur les œuvres se substitue parfois à tout commentaire oral, un genre de film sur l’art que Philippe-Alain Michaud dans sa description des films de Luciano Emmer, désigne par la formule d’« esthétique de la réception » : « le cinéaste, sans l’appui du discours de l’historien de l’art et refusant par principe tout didactisme, s’isole dans son expérience de l’œuvre pour la restituer sans commentaire avec les seuls moyens du cadrage, des mouvements de caméra et de la musique25 ». La capacité de l’image en mouvement à manifester par ses moyens propres les notions d’analyse esthétique les plus complexes, aura permis au film sur l’art de convertir l’interprétation verbale de l’art en un commentaire purement

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visuel. Dans son analyse des photographies et des films sur Jackson Pollock d’Hans Namuth, l’historienne de l’art américaine Barbara Rose montre comment « toute une génération de peintres et de sculpteurs américains26 » ont nourri leurs pratiques non pas depuis la réception de l’œuvre picturale de Pollock, mais plus précisément à partir de la découverte des images de Namuth, réception qui marque alors un passage à un art processuel, celui du happening et de la performance. En opérant une synthèse de l’œuvre et de son commentaire, filmer la création vient à son tour suppléer les notices informatives de l’exposition, prolongeant ainsi son expérience, et agir comme un paratexte27 de l’œuvre. Michel Gauthier désigne par la formule « conversion opérale28 » le processus par lequel les éléments à l’entour de l’œuvre (catalogue, film, etc.) acquièrent certaines de ses propriétés. Le film sur l’art constitue alors un commentaire interprétatif de l’œuvre, outil d’analyse pour les artistes et les historiens de l’art, et devient lui-même une manifestation visuelle des propriétés de l’œuvre qu’il expose, redéfinissant ainsi profondément la relation entre l’œuvre d’art et sa documentation.

L’incertitude du film. De la bibliothèque au musée

5 Les films sur les expositions constituent une catégorie de documents qui trouve un intérêt particulier auprès de l’historien des expositions ou du chercheur en sociologie de l’art, mais s’avèrent aussi être des sources d’inspiration prolifiques pour quelques artistes contemporains29. Dans un texte issu d’une discussion sur les relations entre cinéma et musée, Philippe-Alain Michaud discerne, « depuis la dernière décennie au moins », une forme cinématographique qui vient « s’identifier au dispositif muséographique30 ». Le film Henry Moore at the Tate31 (1970), que réalise David Sylvester à l’occasion de l’exposition du sculpteur anglais en 1968 à la Tate Gallery de Londres, vient littéralement enregistrer le parcours de l’exposition, dont il est par ailleurs lui- même le commissaire. À partir d’une description attentive des sculptures et de leurs accrochages, et malgré l’absence de tout élément contextuel sur les œuvres, Henry Moore at the Tate constitue une tentative d’intégration des modalités de l’exposition dans le film, ou pour le dire autrement, le catalogue filmé de l’exposition. À rebours, le véritable catalogue32 de l’exposition prend la forme d’un inventaire linéaire dont le format paysage actualise pleinement le souvenir subjectif des vues d’accrochages dont il formule la synthèse. De la même façon que le catalogue s’engage à documenter l’exposition « par la teneur critique de ces commentaires, bien sûr, mais par la quantité et la qualité de l’information délivrée, par le point de vue sur l’œuvre des photographies publiées », le film d’exposition se fait le document de l’événement, tout en venant reformuler son expérience. Le film d’exposition, comme le catalogue, « influence, modèle la vision, passée ou future, des pièces qu’il cible33 ».

6 En 1968, considérant que les spécificités de la création contemporaine échappent aux modalités d’exposition conventionnelles, le galeriste, commissaire d’exposition et éditeur américain Seth Siegelaub édite Douglas Hubler/November 1968, le premier catalogue d’une longue série qui, comme le fameux Xerox Book un an plus tard, est destiné à remplacer l’espace d’exposition : « Le catalogue peut maintenant jouer comme information première pour l’exposition, en opposition avec l’information secondaire au sujet de l’art dans les magazines, catalogues, etc., et, dans certains cas, l’“exposition” peut être le “catalogue”34. » En d’autres termes, si le catalogue conserve les informations relatives aux œuvres, il n’est pourtant plus subordonné à sa vocation

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documentaire et devient l’œuvre elle-même faisant ainsi de lui, simultanément, un objet d’art et un objet de bibliothèque.

7 La même année, le réalisateur allemand Gerry Schum esquisse l’idée d’une galerie télévisée, la Fernsehgalerie, à travers laquelle il diffuse sur un mode didactique les pratiques éphémères qui se développent dans l’art des années 1960. Pour le premier projet intitulé Land Art35, sept artistes de la scène contemporaine – Robert Smithson, Barry Flanagan, Richard Long, Marinus Boezem, Jan Dibbets, Dennis Oppenheim et Walter De Maria – sont invités à produire des œuvres de nature performative dont l’existence s’établit uniquement à travers leur enregistrement, assignant ainsi au film le rôle de catalogue. L’importance de l’expérience « intermédiatique36 » qu’établit la forme télévisée dans la dimension artistique de l’œuvre s’annonce, par ailleurs, comme « la forme ultime, entièrement dématérialisée, du film entendu comme exposition37 ». Comme pour le Xerox Book de Seth Siegelaub, l’intérêt réside dans le fait « de supprimer l’éthique de la médiation, telle qu’elle s’incarne dans les musées sous la forme de filtres entre l’artiste et le public38 ». Deux ans plus tard, Identification (1970), le second et dernier projet de la Fernsehgalerie, propose une nouvelle compilation d’enregistrements de pratiques in situ fonctionnant de la même façon sur deux régimes différents, à la fois documentaire et artistique. En 1971, le Centre national d’art contemporain fit l’acquisition des deux films de l’artiste afin de les intégrer à leur service de documentation, prenant ainsi en considération leur qualité de témoins de l’action artistique. Selon la trajectoire du fonds, ces documents filmiques se retrouvèrent dans la collection des films sur l’art de la bibliothèque Kandinsky, jusqu’au moment de leur numérisation en 2008 où, à cette occasion, un numéro d’inventaire39 leur fut attribué, ce qui les fit entrer officiellement dans la collection des œuvres du musée. Si le caractère artistique de ces deux films n’a jamais fait de doute, leur itinéraire au sein du Musée national d’art moderne révèle leur double nature qui, comme pour le livre d’artiste, entre objet de musée et objet de bibliothèque, vient corroder toute tentative de catégorisation rigoureuse. La résistance à la classification de ces quelques documents sur l’art affirme le rôle cardinal que joue la bibliothèque d’art au sein du musée ; elle devient le lieu où la rencontre entre ces objets insaisissables, les artistes et les chercheurs qui tentent d’en définir les contours, aura su révéler leur richesse insoupçonnée.

NOTES

1. Voir Harald Szeemann, « Quand les attitudes deviennent forme », dans Écrire les expositions, Bruxelles, 1997. 2. Harald Szeemann, « When Attitudes Become Form (Quand les attitudes deviennent forme) Berne 1969 », dans Katharina Hegewisch, Bernd Klüser, Art de l’exposition : une documentation sur trente expositions exemplaires du XXe siècle, Paris, 1998, p. 375. 3. André Gazut (réal), Laure Ball, Alain Franchet (coll.), En marge. Quand les attitudes deviennent formes, 1969, Prod. Télévision Suisse Romande, 28 min 15, n&b, son. Cote BK : VIDEO SZEEMANN ATTITUDES.

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4. Voir Anne Mœglin-Delcroix, Esthétique du livre d’artiste. 1960-1980, Paris, 1997, p. 108. 5. Kate Linker, « Le livre d’artiste comme espace alternatif » (paru initialement dans Studio International en 1980), trad. fra. dans Leszek Brogowski, Anne Mœglin-Delcroix (dir.), Livres d’artistes. L’esprit de réseau, numéro spécial de La nouvelle Revue d’esthétique, no 2, 2008, p. 15. 6. Anne Mœglin-Delcroix, « Du catalogue comme œuvre d’art et inversement », dans Les Cahiers du Musée national d’art moderne, no 56/57, été-automne, 1996, p. 117. 7. « Les ressources documentaires sont au cœur des stratégies de recherche des musées, puisqu’elles peuvent contribuer à la fois à l’évolution et à l’approfondissement de la recherche. En ce qui concerne cette fonction, les centres de documentation doivent être un lieu de référence pour les collections et les domaines couverts par leurs musées. [...] Enfin, notamment pour les établissements et départements à vocation patrimoniale et pour les musées ayant développé une politique scientifique sur un secteur privilégié, les centres de documentation ont sans doute vocation à devenir de véritables centres de recherche. » Ministère de la Culture et de la Communication, Schéma directeur de la recherche en sciences humaines dans les musées nationaux 2005-2008, 2005, p. 3. 8. Jean-Paul Oddos, « La Documentation générale du Musée », dans Le magazine du Centre, no 95, 1996, p. 16-17. 9. Ce reversement a eu lieu lors de la fusion du Musée national d’art moderne (MNAM) avec le Centre de création industrielle (CCI). Le CCI, fondé en 1969 par François Mathey au sein de l’Union centrale des arts décoratifs, fut intégré dès 1977 au Centre Pompidou. C’est à ce moment qu’il met à disposition du public une documentation spécialisée qui se développe dans trois directions : documentation écrite, avec les nouveaux acquis du fonds documentaire sur l’architecture du Centre d’information et de documentation du bâtiment (CIDB) ; documentation visuelle, comprenant la diathèque répartie entre les domaines architecture et urbanisme, design industriel et communications visuelles ; design de produits, rattaché au Service design. 10. Initiée par Gisèle Breteau Skira à partir de 1974, cette collection de documents filmiques se constituera en fond en 1992, soit quelque temps après la première édition de la Biennale internationale du film sur l’art en 1987. Les différentes éditions de la biennale, qui s’arrête en 1998, ont enrichi ce fond de documentation sur l’art moderne et contemporain, bien souvent par le biais de donations des cinéastes comme par exemple celle de Hans Namuth. 11. Voir Brian O’Doherty, White Cube. L’espace de la galerie et son idéologie, Patricia Falguières (préface), Catherine Vasseur (trad. fra.), Zurich/Paris, 2008 [éd. orig. : Inside the White Cube: The Ideology of the Gallery Space, San Francisco, 1976]. 12. Dès le XIXe siècle, « classer et ordonner ne saurait suffire à rendre les collections intelligibles aux visiteurs, souvent fort ignorants ; aussi convint-on rapidement de la nécessité d’adjoindre aux objets et aux œuvres une “étiquette explicative”, indiquant au public tout de suite ce qu’il voit sans que l’on soit d’avis sur la nature et la quantité d’informations à délivrer ». Chantal Georgel, La Jeunesse des musées. Les musées de France au XIXe siècle, Paris, 1994, p. 202. 13. Pour une analyse éclairante de l’utilisation pédagogique du film au musée au début du XXe siècle, voir Haidee Wasson, Charles Acland, Useful Cinema, Durham, 2011. Et aussi Alison Wasson, « Film Education in the Natural History Museum: Cinema Lights Up the Gallery in the 1920s », dans Marsha Orgeron, Devin Orgeron, Dan Streible (dir.), Learning with the Lights Off, New York, 2012, p. 124-144. 14. Dominique Bozo, « Abécédaire : pari plausible », dans Abécédaire du film sur l’art moderne et contemporain 1905-1984, Paris, 1985, p. 6. 15. Michel Gauthier, « Dérives périphériques », dans Les Cahiers du Musée national d’art moderne, no 56/57, Été-Automne 1996, p. 131. 16. Michel Foucault, « Sur l’archéologie des sciences. Réponse au Cercle d’épistémologie », dans Généalogie des sciences, numéro de Cahiers pour l’analyse, no 9, été 1968, p. 9-40, ici p. 16.

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17. Hans Namuth (réal.), Paul Falkenberg (prod.), Pollock 51, film 16 mm, 9 min 33, couleur, son. Cote BK : VIDEO POLLOCK CO. Hans Namuth réalisa un premier film en noir et blanc en 16 mm où il filma Pollock au travail dans son atelier à Springs dans East Hampton (NY), mais en gardant un point de vue de plein pied. Ce n’est que pour le second, qu’il réalisa cette fois en couleur, qu’il eut l’idée de monter sur une échelle afin de filmer en contre-plongée, avec une vue face à la toile étendue par terre. Cote BK : VIDEO POLLOCK NB. 18. « C’est tout à l’honneur de la grande sensibilité visuelle et technique de Namuth que ces images de Jackson Pollock ne soient pas seulement des documents sur l’artiste au travail, mais qu’elles aient fini par symboliser, dans certains cas, les racines esthétiques de toute une école américaine de peinture. » Francis V. O’Connor, « Les photographies de Hans Namuth comme documents d’histoire de l’art », dans Jean Clay, Barbara Rose, Rosalind Krauss et al., L’Atelier de Jackson Pollock. Hans Namuth, Ann Hindry (trad. fra.), Paris, 1978, p. 7. 19. Voir Jean Clay, « Pollock, Mondrian, Seurat : la profondeur plate », dans Clay, Rose, Krauss et al., 1978, cité n. 18, p. 11-24. 20. L’œuvre qui a servi au tournage du film sera exposée en 1952 au Museum of Modern Art de New York sous le nom de Number 29, 1950. 21. Harold Rosenberg, « American Action Painters », dans Art News, 51/8, décembre 1952, p. 22. Repris dans Harold Rosenberg, The Tradition of the New, New York, 1959. 22. Clement Greenberg, « American-Type Painting », dans Partisan Review, no 22, printemps 1955, p. 179-196. Clement Greenberg, Art et Culture, Paris, 1988. [éd. orig. : Art and Culture, New York, 1961]. 23. Voir Barbara Rose, « Le mythe Pollock porté par la photographie », dans Clay, Rose, Krauss et al., 1978, cité n. 18, p. 35-43. 24. Clay, 1978, cité n. 19. 25. Philippe-Alain Michaud, « Le film sur l’art a-t-il une existence ? », dans Yves Chevrefils Desbiolles (dir.), Le film sur l’art et ses frontières, actes du colloque (Aix-en-Provence, Cité du livre, 1997), Aix-en-Provence, 1998, p. 17. 26. Barbara Rose, « Le mythe Pollock porté par la photographie », dans Clay, Rose, Krauss et al., 1978, cité n. 18. 27. Voir Gérard Genette, Palimpsestes, Paris, 1981, p. 9. 28. Gauthier, 1996, cité n. 15. 29. Par exemple le film que l’artiste Liam Gillick réalisa à partir des expositions conçues par Richard Hamilton : Liam Gillick, Hamilton: A film by Liam Gillick, 2014, 27 min 43, digital, couleur, sonore. 30. Philippe-Alain Michaud, « Le film-musée : un changement de durée », dans Perspective. La revue de l’INHA, no 3, 2010/2011, p. 529. 31. David Sylvester et Walter Lassally, Henry Moore at the Tate, film 16 mm, couleur, son, 1970. British Arts Council/BFI. La copie 16 mm que possède la bibliothèque Kandinsky n’est pas numérisée. 32. Henry Moore, David Sylvester (dir.), cat. exp. (Londres, Tate Gallery, 1968), Londres, 1968. 33. Gauthier, 1996, cité n. 15, p. 131. 34. Seth Siegelaub, « On Exhibitions and the World at Large. Seth Siegelaub in Conversation with Charles Harrison », dans Studio International, vol. 178, no 917, décembre 1969, p. 202. 35. Gerry Schum, Land Art, film 16mm numérisé, n&b, son, 1968-1969. Cote BK : VIDEO SCHUM LANDART. Gerry Schum ne produira qu’une seule autre série de films dans le cadre de la Fernsehgalerie : Identification (1970). Cote BK : VIDEO SCHUM IDENTIFICATIONS. 36. Mœglin-Delcroix, 1997, cité n. 4, p. 46. 37. Philippe-Alain Michaud, « Le Film fait exposition », dans Mathieu Copeland (dir.), L’exposition d’un film, Dijon/Genève, 2015, p. 17. 38. Linker, (1980) 2008, cité n. 5, p. 15.

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39. N° Inv MNAM : AM 2008-F5 et AM 2008-F6. Les films sont néanmoins toujours dans la documentation de la bibliothèque Kandinsky.

RÉSUMÉS

Outil éducatif et moyen d’investigation, le film sur l’art constitue une source de connaissance substantielle sur les œuvres et les pratiques artistiques dont il propose la médiation. Sa récente réévaluation par le discours critique, couplée à l’intérêt marqué de la part des acteurs de la création contemporaine – artistes et commissaires d’exposition – a contribué à la multiplication de leur exposition comme extension du savoir sur les œuvres et leurs contextes de production. Objets au statut incertain, les films sur l’art se sont retrouvés répartis aussi bien dans les fonds audiovisuels de bibliothèques que dans les collections patrimoniales de musées, contrariant ainsi tout principe de classification commun à ces deux instances de conservation. Cette porosité entre l’art et sa documentation, qui inquiète tous les champs de l’art, se trouve ainsi réanimée par cette vaste tradition cinématographique dont la bibliothèque Kandinsky du Centre Pompidou regorge d’exemples significatifs qui permettent de repenser le rôle et les usages de la bibliothèque.

As educational and investigative tools, films about art constitute a substantial source of knowledge on the works and the artistic practices that they propose to mediate. Their recent re- evaluation in critical discourse, coupled with a marked interest on the part of the participants in contemporary creation – artists and curators – has contributed to the increasing frequency of their exhibition as an extension of knowledge about art works and the contexts of their production. As objects with an uncertain status, films about art have been housed both in the libraries’ audiovisual collections and in museums’ patrimonial collections, confounding any classification principle common to these two conservation bodies. This porosity between art and its documentation, a problem for all of the artistic fields, is brought to light in the vast cinematographic tradition exemplified by the Kandinsky Library at the Centre Pompidou, which contains many significant examples that allow us to rethink the role and the uses of a library.

INDEX

Index géographique : France, Paris Parole chiave : film, documentazione, archivi, biblioteca, fonti, mediazione, pratica artistica, processo, mostra Keywords : film, film on the art, documentation, archives, library, sources, mediation, art practice, process, exhibition Mots-clés : film, film sur l'art, documentation, archives, bibliothèque, sources, médiation, pratique artistique, processus, exposition, bibliothèque Kandinsky Index chronologique : 1900, 2000

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AUTEUR

LYDIE DELAHAYE Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis [email protected]

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L’art contemporain à la bibliothèque du Zentralinstitut für Kunstgeschichte à Munich Contemporary Art at the Library of the Zentralinstitut für Kunstgeschichte in Munich

Rüdiger Hoyer

1 Grâce à une extension de son domaine d’acquisitions, la bibliothèque du Zentralinstitut für Kunstgeschichte (ZI) à Munich est désormais un lieu propice aux recherches sur l’art des XXe et XXIe siècles1. Cette évolution est conforme au développement de notre discipline et du monde de l’art en général, qui sont aujourd’hui dominés par ce qu’il est convenu d’appeler l’art contemporain. Elle correspond d’ailleurs à la mission initiale de l’Institut, fondé en 1946, qui comprenait explicitement l’étude de l’art contemporain2. C’est d’ailleurs dans les locaux du Central Art Collecting Point, dont est issu le ZI, qu’eurent lieu quelques-unes des premières expositions de l’après-guerre consacrées à l’art contemporain3. Cependant, des domaines de collecte et de recherche plus traditionnels ont longtemps été privilégiés. En 1986, on ne parvint pas à acquérir les archives de l’expert et collectionneur allemand Wilhelm Friedrich Arntz (1903-1985). Passés aux États-Unis, ses milliers de livres ont alors fondé l’excellence de la bibliothèque du Getty Research Institute en ce qui concerne la scène artistique de l’Allemagne du XXe siècle4. Cependant, en 2001, la donation de 3 500 ouvrages provenant de la bibliothèque des galeristes munichois Etta et Otto Stangl a permis de combler de sérieuses lacunes en matière de catalogues d’exposition des années 1920 et de l’après- guerre jusqu’en 19755. Mais c’est justement au moment où la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG) annoncait la fin de son soutien financier au système national de partage documentaire des bibliothèques d’art allemandes, système qu’elle avait pourtant fondé en 19726, que la bibliothèque a bénéficié du geste d’un mécène lui permettant de se positionner parmi les bibliothèques les mieux pourvues dans le domaine de l’art moderne et contemporain. Il s’agit du mécénat de S.A.R. le duc Franz von Bayern (Franz de Bavière), le chef de la famille princière des Wittelsbach (qui régna

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sur la Bavière de 1180 à 1918)7. En 2009, ce collectionneur d’art renommé et grand mécène des musées munichois a fait don de sa bibliothèque privée de 15 000 ouvrages sur l’art des XXe et XXIe siècles, y compris la photographie, domaine trop longtemps négligé par l’histoire de l’art : catalogues raisonnés, monographies d’artistes, catalogues de galeries, livres d’artistes, parfois rarissimes8. En 2010, Franz von Bayern y a ajouté une collection précieuse de livres d’artistes et d’éditions limitées dont un livre unique créé par Hermann Nitsch9. À la suite de ce don, dont le catalogage fut rapidement achevé grâce un soutien financier de la DFG, Franz von Bayern finance depuis 2009 une partie très importante de nos nouvelles acquisitions en matière d’art contemporain10. Mais ce mécénat substantiel fut aussi à l’origine du déploiement successif d’un ensemble d’activités sous le nom de « Studienzentrum zur Moderne11 », qui regroupe des conférences, des colloques et des expositions, l’accueil de boursiers, des publications, mais également des acquisitions spéciales aptes à rehausser l’attractivité des fonds de la bibliothèque, notamment en vue de pouvoir proposer des ressources rares qu’on ne trouve guère ailleurs. En l’espace de quelques années, le don initial de Franz von Bayern a suscité une importante réorientation du ZI, réorientation apparemment bien accueillie par nos partenaires locaux et internationaux.

2 Parmi les acquisitions extraordinaires, nous comptons environ cinq cents livres photographiques donnés en 2011 par le célèbre photographe Stefan Moses. Mentionnons aussi le fonds White Wide Space Gallery, acquis en 2014, qui comprend quatre cents catalogues d’exposition et publications d’artistes, datant surtout du temps de l’activité de cette fameuse galerie anversoise (1966 à 1977) qui fut l’une des galeries d’avant-garde et l’une des premières à travailler avec des artistes comme Carl Andre, Joseph Beuys, Marcel Broodthaers, Daniel Buren et beaucoup d’autres. Cette acquisition financée par la DFG fut l’occasion d’une exposition et d’un débat public entre la galeriste Anny De Decker et Kasper König, un autre témoin de l’époque, dans notre grande salle de lecture12. Recueillir et conserver des témoignages importants de l’époque a également été le mobile des quelque deux cents enregistrements audio d’interviews menés de 1988 à 2012, avec des célébrités internationales du milieu de l’art contemporain, par le critique d’art et journaliste Wilhelm Christoph Warning, qui nous a confié ce fonds en 201413. Avec l’accord des interviewés ou de leurs ayant droits, nous avons fait numériser ce matériel inédit, dont une partie seulement avait été utilisée pour des émissions de radio, afin de le rendre disponible aux chercheurs. Ce don de sources primaires a inspiré un format de tables rondes publiques (« Zeugenbefragung ») dans la grande salle de lecture de la bibliothèque, débats réunissant de grands acteurs de l’art contemporain, en partie filmés et mis en ligne par la chaîne de télévision nationale ARD-alpha14.

3 Du reste, le programme a été consacré à la valorisation de publications d’artistes comme sources primaires pour la recherche. Trois journaux d’exposition furent publiés pour accompagner la série d’expositions « Zines », qui eurent lieu de 2013 à 2015, et présentaient des revues et des livres d’artistes de la collection munichoise d’Hubert Kretschmer15. Parmi les conférences organisées autour de ces expositions, retenons à titre d’exemple celle d’Anne Mœglin-Delcroix, coryphée du livre d’artiste, dont une version retravaillée a été publiée dans la collection du Studienzentrum16.

4 Toujours dans le domaine des publications d’artistes, mais recoupant celui de l’art français qui est l’un des domaines de spécialisation de la bibliothèque du ZI, nous avons récemment réussi à réunir un fonds exceptionnel de graphzines et de bandes dessinées

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alternatives, matériaux se situant en dehors des grands circuits éditoriaux, mais aussi en marge du grand marché de l’art. Le coup d’envoi fut donné début 2013 par l’acquisition, avec des soutiens financiers de la Ernst von Siemens Kunststiftung et du cercle d’amis CONIVNCTA FLORESCIT, d’une collection de plus de 450 pièces publiées entre 1977 et 2005. Depuis, nous n’avons cessé de l’enrichir, tant par l’achat de nouvelles parutions que par l’acquisition de lots importants chez des collectionneurs. Le fonds « Graphzines » de la bibliothèque du ZI comprend, en mai 2016, plus de 1 600 unités dont des pièces aussi variées qu’une collection de pochettes de disques, de flyers, de cartons d’invitation et d’autres supports de publicité, quelques grandes estampes, et des affiches ainsi que des vidéos rares. Nous nous proposons de présenter ce fonds dans une publication qui devrait paraître en 2017 dans la collection du Studienzentrum (aux Éditions Walther König)17. D’ici là, une sélection de graphzines collectifs numérisée est librement accessible en ligne18.

5 Le terme graphzine, quoique connu des initiés, ne fait pas encore partie de la terminologie courante de l’histoire de l’art19. Il désigne évidemment une variété de zine, et plus particulièrement un zine graphique qui n’a pas nécessairement un caractère périodique ni ne résulte toujours d’un travail collectif20. Dans le milieu graphique en France, il devient courant dès la première moitié des années 1980. Il semble que le mot graphzine soit une création linguistique française liée spécifiquement aux productions hexagonales. La Bibliothèque nationale de France (BnF) a consacré tardivement ce terme dans son exposition de 1998 « Regard noir : gravures – graphzines21 ». Elle s’en sert couramment, par exemple dans les rapports annuels publiés par le département des Estampes et de la photographie dans les Nouvelles de l’estampe22. Le département des Estampes et de la photographie de la BnF détient sans doute la collection la plus importante dans une institution publique française, avec celle de la Fanzinothèque de Poitiers. Il était d’ailleurs dans l’intérêt de ce département d’adopter une définition plutôt étroite du graphzine pour le distinguer des imprimés, parmi lesquels se trouvent les bandes dessinées et les romans graphiques, qui ne sont pas de son ressort. Mais la grande variété des productions nous incite à une approche plus ouverte. Malgré les origines françaises du terme, les graphzines s’inscrivent dans un contexte international de « dessins sauvages », caractérisé déjà en 1983 de manière perspicace par Bruno Richard dans une anthologie graphique publiée aux éditions Autrement23. Pourquoi alors ne pas désigner comme graphzines les fameux livres photocopiés de Raymond Pettibon, par exemple ? Rappelons qu’aux États-Unis, certains spécialistes se servent du terme art zine24. Les graphzines sont typiquement des fascicules peu épais, plutôt produits de manière artisanale, simplement brochés, agrafés ou cousus ensemble, dans des formats variant du micro-livre au très grand format, le cas échéant en combinaison avec des effets de surprise comme des pliages en accordéon, des matériaux particuliers, voire des dessins originaux, etc.

6 Nombreux sont les artistes concernés qui produisent aussi de véritables livres graphiques ne correspondant plus à la notion de zine25. Les techniques prédominantes sont la sérigraphie, la photocopie et de nos jours la risographie. S’y ajoutent d’autres techniques : offset, stencil, linogravure, reproduction d’œuvres exécutées sur carte à gratter... Des éléments textuels ne sont pas obligatoires, mais lorsqu’ils sont présents, ils font la plupart du temps l’objet d’un traitement graphique : écriture à la main – ce qui correspond d’ailleurs à une pratique courante dans les bandes dessinées alternatives et les romans graphiques –, collages, reproductions de textes tapés à la machine à écrire. Conformément aux contextes iconographiques de la bande dessinée

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alternative et de la musique bruitiste, nous sommes en présence d’un art figuratif souvent à dessein lowbrow, macabre, surréaliste, pornographique, sci-fi, qui paraît se situer aux antipodes de l’abstraction et du livre d’artiste conceptuel26. Toutefois, la dernière génération semble se démarquer au moins partiellement des références figuratives traditionnelles.

7 De nombreuses publications d’artistes sont entièrement autoproduites, mais la plupart du temps les artistes ont recours à des ateliers-éditeurs dirigés par des confrères. Il s’agit le plus souvent de petits tirages de quelques centaines d’exemplaires, voire beaucoup moins, qui sont disponibles dans des galeries-librairies spécialisées et dans les webstores des éditeurs et des artistes. La plupart des auteurs utilisent des pseudonymes, comme dans le milieu de la bande dessinée et du street art, par exemple : Blexbolex, Pakito Bolino, Captain Cavern, Thierry Guitard, Pierre La Police, Kerozen, Placid et Muzo, Y5P5, etc. D’autres s’en passent, comme Bruno Richard, Pascal Doury, Stéphane Blanquet. Ces noms, qui n’ont pas encore été consacrés par l’histoire de l’art, appartiennent à une génération d’artistes dont les plus âgés sont nés vers la fin des années 1950. Ces artistes sont souvent actifs dans beaucoup d’autres domaines du graphisme et de l’art en général. Dans la plupart des cas, ce ne sont pas de purs « graphzineurs » appartenant à un milieu de révoltés clandestins à l’écart de la culture financée par les deniers publics. Dans un contexte culturel où la « contre-culture » et l’ underground sont très à la mode – il suffit de penser à l’enthousiasme général pour le street art, qui bénéficie également d’un grand succès commercial, ou à la bonne conjoncture de l’art brut –, des expositions récentes à Paris et ailleurs ont fait valoir aussi les graphzines, et jeté les bases d’une histoire du phénomène27.

8 Notre fonds « Graphzines » ne se trouve pas en accès libre, mais il est facilement consultable sur demande. Les spécialistes internationaux du livre d’artiste, de la bande dessinée et des arts graphiques en général sont invités à y faire des découvertes. En ce qui concerne les publications d’artistes français, mentionnons que la bibliothèque du ZI détient maintenant la majorité des publications des Éditions Incertain Sens et du Centre des livres d’artiste de Saint-Yrieix-la-Perche, des zines photographiques comme ceux proposés par la Galerie du jour agnès b. ainsi que d’autres éditions rarissimes.

9 Nous avons récemment inauguré un nouvel espace qui actualise l’importance accrue de l’art contemporain au ZI. Une salle de lecture est combinée à une zone de rayonnages en libre accès où sont mises en valeur des monographies d’artistes et la littérature sur la photographie. Nous y présentons un choix de revues sur l’art contemporain et de nouvelles acquisitions exceptionnelles comme des livres photographiques rares et des publications d’artistes.

10 La bibliothèque du ZI contient actuellement plus de 580 000 volumes, sans compter les microformes, cédéroms etc. Presque 500 000 volumes se trouvent en libre accès systématique, correspondant à 11,5 km linéaires de rayonnages dont presque 40% de compactus28. À notre connaissance, c’est de loin le fonds en libre accès le plus important des bibliothèques d’art. C’est d’ailleurs l’un des principes fondamentaux de la bibliothèque du ZI que de proposer tous les ouvrages en libre accès, mis à part ceux qui doivent être mis en réserve. Or, dans un contexte épistémologique, cet accès direct à un immense volume de livres peut servir en quelque sorte de visualisation diachronique et synchronique du monde de l’art dans la mesure où il se manifeste, voire où il fonctionne et existe, à travers des publications – en admettant bien sûr que les articles ne sont pas directement perceptibles. Nous constatons par exemple que, sur

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le total des volumes en accès libre disponibles actuellement, un cinquième est constitué de publications monographiques sur des artistes des XXe et XXIe siècles. Pour cerner plus précisément la part de l’art moderne et contemporain dans la bibliothèque, il faudrait tenir compte aussi des catalogues d’exposition thématique et des cotes attribuées aux publications qui traitent des nouvelles formes de l’art, de l’histoire de l’art par pays, de la théorie et la sociologie de l’art, de la littérature sur la photographie et du cinéma, des actes de colloques, ainsi que des revues spécialisées. En général, on constatera que le monde de l’édition tel qu’il est représenté dans une très grande bibliothèque d’art comme celle du ZI est de plus en plus dominé par des publications sur l’art et l’architecture contemporains. Cela vaut pour le nombre de publications, mais aussi pour le nombre de pages et d’illustrations29. Car dans une société du spectacle où l’art contemporain constitue un facteur économique majeur, il n’y a pas un événement, pas un entretien public, pas un colloque, pas une exposition, pas une action artistique sans répercussion médiatique. Et dans la plupart des cas on propose une, voire plusieurs publications imprimées, donc tangibles, dont la matérialité aide à perpétuer le souvenir de l’événement éphémère dont elles sont issues. Ces publications, éditées par des établissements publics, des collections privées, des galeries, et parfois autofinancées par les artistes et leurs proches, revêtent le plus souvent la forme d’un livre luxueusement illustré avec une portion congrue de contributions plus ou moins érudites. En règle générale, c’est l’iconographie qui caractérise le produit et qui sert à le valoriser : les illustrations sont nombreuses, en grand format ; la mise en page et la typographie souvent ultra-branchées. À ce propos, la tradition séculaire du livre s’ouvrant par la page de titre est aujourd’hui régulièrement abandonnée à la faveur d’une séquence initiale d’illustrations. On se demande alors où commence le livre, et parfois on constate qu’une page de titre et un cahier de textes se cachent au milieu de celui-ci… Cependant, il faut comprendre que l’intention et l’intérêt de ces publications résident justement dans leur riche documentation iconographique – ce qui est particulièrement vrai de nombreuses monographies de photographes. L’attention du public des expositions étant plutôt limitée, la visite elle-même correspondant rarement à une expérience approfondie mais plutôt à un acte socioculturel incontournable, ces publications, dont les formats contrastent singulièrement avec les productions modestes de l’après-guerre, permettent de prolonger l’expérience, un peu à la manière de la lecture d’un livre d’artiste.

11 On sait aussi – les instruments de recherche comme le Art Discovery Group Catalogue30 nous l’apprennent – que seules quelques bibliothèques de recherche les acquièrent de manière aussi exhaustive que possible, et les conservent au-delà de l’actualité événementielle. Ce faisant, les bibliothèques d’art deviennent d’ailleurs des acteurs du grand système de l’art contemporain. En effet, les grandes bibliothèques d’art et leurs catalogues en ligne constituent des éléments non négligeables dans ce système puisqu’ils contribuent à pérenniser et à anoblir, en quelque sorte, ses productions médiatiques. L’acquisition et le catalogage sont donc aussi des actes symboliques qui consacrent des valeurs marchandes et promeuvent des carrières. C’est là, dans les bibliothèques, et évidemment sur Internet, que la mémoire des événements et des créations reste disponible. Ce sont des lieux privilégiés et précieux où il fait bon travailler lorsqu’ils disposent de fonds plus ou moins exhaustifs dans certains domaines.

12 Les théoriciens d’Internet ont constaté qu’un certain nombre de pratiques se perdent face à l’accroissement exponentiel de la littérature, notamment la méthode qui consiste

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à prendre connaissance de la bibliographie complète d’un sujet avant de s’y consacrer soi-même, paradigme traditionnel de la haute érudition. De quelle manière les lecteurs, les professionnels, recourent-ils à ce qui est disponible ? D’après Susan Bielstein dans son étude du système éditorial américain en histoire de l’art, les monographies sont de moins en moins utilisées par les étudiants et les chercheurs, et les seuls formats encore lus seraient les articles écrits pour des revues et des wikis31. Cependant, en retraçant les activités et les œuvres, en documentant les événements, les catalogues qui accompagnent les expositions monographiques et collectives restent, pour ainsi dire, des sources primaires indispensables, du moins dans la mesure où Internet n’offre pas d’alternatives. L’incapacité croissante du chercheur individuel à s’approprier tout ce qui a été publié sur un sujet ne contredit pas l’utilité de fonds exhaustifs. Mais elle devrait nous inciter à réfléchir sur les modalités de présentation des fonds, tant dans l’espace physique des locaux des bibliothèques que pour ce qui concerne la présentation des contenus en ligne. L’idée de la bibliothèque comme un espace physique avec ses rayonnages et ses places de lecture ne suffit plus. Allant au-delà des discovery systems actuels, il faut renouveler notre approche de l’interaction des interfaces électroniques et des locaux physiques pour rendre littéralement lisibles les masses de publications qui s’accumulent. Car, avec l’avènement des publications électroniques, les rayonnages sont de moins en moins représentatifs. On créera sans doute des espaces thématiques de recherche et de travail en ligne qui ne seront plus séparés des moteurs de recherche populaires. Et on proposera dans un avenir prochain des interfaces avec des visualisations graphiques, au lieu des actuelles interfaces textuelles. Le fait que la bibliothèque de l’INHA ait la chance de se réinventer dans de nouveaux locaux devrait stimuler des réflexions communes sur de tels sujets. Le domaine en apparence inextricable de l’art contemporain serait un terrain d’expérimentation particulièrement intéressant.

NOTES

1. À propos du Zentralinstitut für Kunstgeschichte et de sa bibliothèque, voir Rüdiger Hoyer, Iris Lauterbach, « Grands instituts d’histoire de l’art : Le Zentralinstitut für Kunstgeschichte à Munich », dans Les Nouvelles de l’INHA, 17, avril 2004, p. 11-13 ; Rüdiger Hoyer, « The Library of the Zentralinstitut für Kunstgeschichte in Munich », dans Art Libraries Journal, 30/4, 2005, p. 10-15 ; Rüdiger Hoyer, « Die Bibliothek des Zentralinstituts für Kunstgeschichte in München », dans Bibliotheksforum Bayern, 31, 2003, p. 26-70 (avec la bibliographie antérieure). 2. Voir Hoyer, 2003, cité n. 1, p. 36 et note 26. 3. Voir Iris Lauterbach, Der Central Collecting Point in München, Berlin/Munich, 2015, p. 198-217. 4. Voir Reinhard Müller-Mehlis, Tatort Kunstmarkt, Vienne, 2013, p. 43-62. À propos des archives Arntz, voir http://archives2.getty.edu:8082/xtf/view?docId=ead/840001/840001.xml (consulté le 31 mai 2016). 5. Voir Hoyer, 2003, cité n. 1, p. 62-64. 6. Voir Hoyer, 2003, cité n. 1, p. 45-41 ; Rüdiger Hoyer, « The Art Libraries Programme Supported by the DFG: “AKB” », dans AKMB-news, 9, 2003, p. 7-9 ; Rüdiger Hoyer, « Kunstbibliotheken im 21.

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Jahrhundert – nicht mit der DFG », dans Kunstchronik, 62, 2009, p. 613. Ce programme de la DFG fut définitivement aboli en 2010. 7. Voir https://de.wikipedia.org/wiki/Franz_von_Bayern (état du 24 avril 2016). 8. Voir la brochure publiée pour rappeler la cérémonie de donation du 3 avril 2009 : Stiftung Bibliothek Herzog Franz von Bayern zur Kunst der Moderne an das Zentralinstitut für Kunstgeschichte, Munich, 2010, contenant le texte de la conférence de Walter Grasskamp, « Die Gesellschaft der Bücher. Zur Botanik der Lesefrucht », également disponible en ligne : http://www.zikg.eu/ bibliothek/pdf/festrede-grasskamp. 9. Voir http://www.zikg.eu/bibliothek/studienzentrum/fokus-kuenstlereditionen-1. À propos du livre d’artiste unique de Hermann Nitsch (cote ZI : D2-Nit 680/170 Rarissima), voir Dorle Meyer, Meike Rotermund, « Katharsis zwischen zwei Buchdeckeln. Ein unikales Künstlerbuch von Hermann Nitsch », dans Kunstchronik, 68, 2015, p. 504-512. Avec l’accord généreux de Nitsch, ce livre a été intégralement numérisé et mis en ligne, voir http://www.zikg.eu/bibliothek/ studienzentrum/digitalisierung/das-o-m-theater-hermann-nitsch. 10. Tous les livres que nous devons à S.A.R. Franz von Bayern reçoivent un ex-dono spécialement conçu par l’artiste munichois Heinz Butz. 11. Voir les informations sur le site web du Zentralinstitut : http://www.zikg.eu/bibliothek/ studienzentrum. 12. Voir notre site web : http://www.zikg.eu/bibliothek/studienzentrum/weitere-schenkungen- zur-kunst-des-20-und-21-jahrhunderts/fonds-wide-white-space-gallery-1/fonds-wide-white- space-gallery. 13. La liste de ces interviews est disponible en ligne : http://www.zikg.eu/bibliothek/ studienzentrum/interviews/archiv_warning. Les enregistrements ont été catalogués dans le catalogue collectif des bibliothèques des instituts allemands de recherche en histoire de l’art, www.kubikat.org. 14. Zeugenbefragung II: Wunderkammer Kunst – über das Sammeln in den letzten 50 Jahren. Wilhelm Christoph Warning im Gespräch mit S.K.H. Herzog Franz von Bayern, Fred Jahn und Michael Semff, table ronde du 2 mars 2016, retransmise le 2 avril 2016 dans l’émission Denkzeit, voir http:// www.br.de/fernsehen/ard-alpha/programmkalender/ausstrahlung-641330.html (consulté le 31 mai 2016) ; Zeugenbefragung: Das Ende des 20. Jahrhunderts, ein Richtungswechsel in der Kunst? Wilhelm Christoph Warning im Gespräch mit Katharina Sieverding und Armin Zweite, table ronde du 9 décembre 2015, retransmise le 27 février 2016 dans l’émission Denkzeit, voir http://www.br.de/ fernsehen/ard-alpha/programmkalender/sendung-1198698.html (consulté le 31 mai 2016). 15. Zines #1: 1971 – 1975. Künstlerzeitschriften aus der Sammlung Hubert Kretschmer, München (Archive Artist Publications), Rüdiger Hoyer, Hubert Kretschmer, Daniela Stöppel, cat. exp. (Munich, Bibliothek Herzog Franz von Bayern am Zentralinstitut für Kunstgeschichte, 2013), Munich, 2013 ; Zines #2: 1976 – 1979. Künstlerzeitschriften aus der Sammlung Hubert Kretschmer (Archive Artist Publications), Rüdiger Hoyer, Daniela Stöppel, cat. exp. (Munich, Bibliothek Herzog Franz von Bayern am Zentralinstitut für Kunstgeschichte, 2013-2014), Munich, 2013 ; Zines #3: die frühen 80er. Künstlerzeitschriften aus der Sammlung Hubert Kretschmer, München (Archive Artist Publications), Rüdiger Hoyer, Daniela Stöppel, Hubert Kretschmer, cat. exp. (Munich, Bibliothek Herzog Franz von Bayern am Zentralinstitut für Kunstgeschichte, 2015), Munich, 2015. Ces catalogues sont aussi accessibles en ligne sur notre site web, voir http://www.zikg.eu/ publikationen/einzelpublikationen. À propos de la collection Kretschmer (Archive Artists Publications), voir le site http://www.artistbooks.de/. 16. Anne Mœglin-Delcroix, Ambulo ergo sum: Nature as Experience in Artists’ Books/L’expérience de la nature dans le livre d’artiste (Schriftenreihe des Studienzentrums zur Moderne/Bibliothek Herzog Franz von Bayern am Zentralinstitut für Kunstgeschichte, 2), Cologne, 2015. 17. Ce travail servira aussi de base à une exposition au Kunsthaus Fürstenfeldbruck en 2017. 18. http://www.zikg.eu/bibliothek/studienzentrum/focus-graphzines/graphzines-numerises.

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19. Notre description des principales caractéristiques des graphzines s’appuie non seulement sur la bibliographie antérieure (voir la sélection de publications dans les notes suivantes), mais aussi sur ce que nous ont appris Lise Fauchereau, Sylvain Gérand, Didier Lecointre et Laurent Zorzin. 20. Voir par exemple Pierre La Police, Megadoktor, auto-édité, février 1988, 8 feuillets photocopiés, reliés avec du ruban adhésif rouge, 14,5 × 20,9 cm, avec un dessin original (encre et tipp-ex), Munich, Zentralinstitut für Kunstgeschichte, Graphzines 943. 21. Regard noir : gravures – graphzines (Cahiers d’une exposition, 29), Emmanuel Pernoud, Marie- Hélène Gatto (dir.), cat. exp. (Paris, Bibliothèque nationale de France, 1998), Paris, 1998. 22. Voir le dernier rapport que nous avons consulté : Cécile Pocheau-Lesteven, « Les livres d’artiste, livres graphiques et graphzines au département des Estampes et de la photographie de la BnF : les enrichissements en 2014 », dans Nouvelles de l’estampe, 251, 2015, p. 40-51. 23. Bruno Richard et al., Graphic production : ne crée que ce qui te ressemble et les autres finiront par y ressembler [73-83, 1 000 dessins sauvages], Paris, 1983. 24. Par exemple Susan E. Thomas, « Value and Validity of Art Zines as an Art Form », dans Art Documentation: Journal of the Art Libraries Society of North America, 28/2, Fall 2009, p. 27-36. 25. Voir par exemple Blexbolex [i.e. Bernard Granger], OURG!, auto-édité, 1993, 12 feuillets, 25 × 22 cm, gouache au pochoir et à la main sur différents papiers, relié avec planchettes de bois vissées, emballage de papier de soie noir avec ficelle rosé, tirage : 24 exemplaires, Munich, Zentralinstitut für Kunstgeschichte, Graphzines 32. 26. Voir par exemple Stéphane Blanquet, Le fantôme des autres (collection Drozophile, 6), Thônex, 1999, 10 feuillets + couverture + jacquette, 19,4 × 27,5 cm, sérigraphie avec emploi de couleur fluorescente, exemplaire 207 sur 250, signé par l’artiste, Munich, Zentralinstitut für Kunstgeschichte, Graphzines 451a. 27. Europunk : la culture visuelle punk en Europe, 1976-1980, Éric de Chassey (dir.), cat. exp. (Rome, Académie de France à Rome – Villa Médicis ; Genève, MAMCO ; Paris, Cité de la musique), Rome, 2011 ; L’autre de l’art : art involontaire, art intentionnel en Europe, 1850-1974, Savine Faupin (dir.), cat. exp. (Villeneuve d’Ascq, LaM ; Lille métropole, musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut, 2014-2015), Lille, 2014, avec des contributions sur les graphzines par Lise Fauchereau, Albert Foolmoon et Corinne Barbant ; Graphzines : expressions sauvages, Corinne Barbant, Isabelle Westeel (dir.), cat. exp. (Villeneuve d’Ascq, LaM ; Lille, Bibliothèque universitaire de Lille 3, 2014-2015), Villeneuve d’Ascq, 2014 ; Fête du graphisme 2 : Utopies & réalités, We love books!, Célébrer la terre, Underground, Ailleurs, Michel Bouvet, Azadeh Yousefi (dir.), cat. exp. (Paris, 2015), Paris, 2015, avec de nombreuses interviews et une sélection époustouflante d’illustrations. 28. À titre de comparaison : le fonds de libre accès de la BnF (site Tolbiac) contient 640 000 volumes (d’après l’article « Bibliothèque nationale de France » dans Wikipédia (état du 4 mai 2016). 29. Dans un article précédent, nous avons essayé de cerner de manière un peu plus détaillée la situation actuelle de l’édition dans le domaine de l’histoire de l’art et ses répercussions sur les bibliothèques, voir Rüdiger Hoyer, « Das kunsthistorische Publikationswesen und die Kunstbibliotheken der Zukunft », dans Kunstchronik, 62, 2009, p. 617-624. 30. http://artdiscovery.net. 31. Susan Bielstein, « Lettre de l’éditeur : changements de climat dans l’édition d’histoire de l’art », dans Perspective, 2, 2015, p. 188-194.

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RÉSUMÉS

Grâce à une extension de son domaine d’acquisitions, la bibliothèque du Zentralinstitut für Kunstgeschichte (ZI) à Munich est désormais un bon lieu pour étudier l’art des XXe et XXIe siècles. Nous devons cette évolution notamment au mécénat de S.A.R. le duc Franz de Bavière, à l’origine d’un pôle d’activités regroupées sous la dénomination Studienzentrum zur Moderne. Ces activités recoupent partiellement notre domaine de spécialisation traditionnel « art français », par exemple dans le cas d’une nouvelle collection de graphzines et de bandes dessinées alternatives. L’inauguration récente d’un nouvel espace est venue à point nommé manifester l’importance accrue de l’art contemporain au ZI : une salle de lecture avec des rayonnages en libre accès où sont valorisées des monographies d’artistes et la littérature photographique. La bibliothèque du ZI contient plus de 580 000 volumes dont presque 500 000 se trouvent en libre accès systématique, et dont un cinquième sont des monographies sur des artistes des XXe et XXIe siècles. Ce type de publications semble d’ailleurs actuellement dominer le marché de l’édition. L’art moderne et contemporain serait donc un bon terrain d’exercice pour explorer des formes de présentation améliorées par rapport aux espaces de bibliothèque habituels.

The library of the Zentralinstitut für Kunstgeschichte (ZI) in Munich is now a good place to study twentieth- and twenty-first century art, thanks to an extension of its range of acquisitions. We owe this development in particular to the patronage of His Royal Highness, Duke Franz of Bavaria, who was at the origin of the initiatives grouped under the name Studienzentrum zur Moderne. These activities partly overlap with our traditional area of specialization – – for example in the case of a new collection of zines and alternative comic strips. The recent inauguration of a new space came at a propitious moment to show the increased importance of contemporary art at the ZI: a reading room with open-access shelves where artists’ monographs and photographic literature are displayed. The ZI Library contains more than 580,000 volumes, of which nearly 500,000 are systematically on open access, and one-fifth are monographs on artists of the twentieth and twenty-first centuries. This type of publications seems to dominate the publishing industry. Given the presentation of this type of work, modern and contemporary art thus offer a good subject for exploring possible improvements of current library spaces.

INDEX

Mots-clés : bibliothèque, Zentralinstitut für Kunstgeschichte, art contemporain, graphzine, bande dessinée, édition, exposition, collection, livre, catalogue, accès libre Keywords : library, contemporary art, graphzine, zine, comics, publishing, exhibition, collection, book, catalogue, free access, Zentralinstitut für Kunstgeschichte Parole chiave : biblioteca, arte contemporanea, fumetto, zine, edizione, mostra, collezione, libro, catalogo, libero accesso, Zentralinstitut für Kunstgeschichte Index géographique : Munich Index chronologique : 1900, 2000

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AUTEUR

RÜDIGER HOYER Directeur de la bibliothèque, Zentralinstitut für Kunstgeschichte [email protected]

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Face à l’urbain : bibliothèques d’art, graffiti et street art Facing the Urban: Art Libraries, Graffiti and Street Art

Christian Omodeo

1 L’urbain est aujourd’hui perçu comme un levier à activer pour penser la société du XXIe siècle1. Il est donc normal que des chercheurs de formations différentes s’intéressent à la ville et à ses modes de fonctionnement, afin de répondre à la demande croissante de travaux aptes à améliorer la gestion de l’espace urbain. Ces dernières années, les chercheurs ont imaginé la ville comme un laboratoire de la pensée démocratique ou comme un territoire voué à la géolocalisation marchande sans trop faire de distinctions, tant le besoin d’appréhender l’urbain pour parfaire sa gestion et son exploitation était fort. Des géographes, urbanistes, architectes et sociologues ont été encouragés à accumuler de grandes masses de données statistiques pour fonder de nouvelles manières d’appréhender la ville, à un tel point que ces graphiques attirent désormais l’intérêt des artistes. Mais quel est, à ce stade, le réel apport des sciences humaines – et plus particulièrement de l’histoire de l’art – à ce débat, qui fait de la ville-monde un substitut idéal de l’état-nation dans la réflexion politique, sociale, économique, écologique et culturelle des décennies à venir2 ? Et quel est, de manière plus spécifique, le rôle des bibliothèques d’art face à un horizon de lecture si profondément transdisciplinaire ?

2 L’urbain n’est pas un enjeu artistique récent. Au cours du XXe siècle, la ville est progressivement devenue un lieu de création et d’exposition d’un art souvent indépendant des instances officielles. Même en limitant notre regard à l’échelle d’une seule ville – Paris –, les affiches du XIXe siècle, les photographies d’Atget, la manifestation de Dada à Saint-Julien-le-Pauvre en 1921 et le regard porté sur la ville par les Situationnistes, peu avant que les étudiants révoltés recouvrent les murs d’affiches en mai 1968, montrent la continuité et la richesse d’une production collectée par les bibliothèques d’art, pour ses qualités artistiques. Il en va tout autrement de ces pratiques irrespectueuses de l’esthétique occidentale, classées sous les étiquettes de graffiti et street art, qui voient le jour en dehors des circuits institutionnels et des

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écoles d’art, pour faire leur apparition en Europe vers la fin des années 19703. Si, depuis, celles-ci se juxtaposent et constituent une alternative aux formes institutionnelles d’art public, la collecte et la conservation de la documentation qui les concernent par des bibliothèques d’art est relativement décevante.

3 Comment inverser cette tendance ? Et est-ce véritablement nécessaire ? La nature même de ces cultures urbaines, et la déconstruction des frontières artistiques qu’elles produisent – frontières autrefois essentielles au fonctionnement de l’histoire de l’art –, les rend-elles inaptes à intégrer les bibliothèques d’art ? En l’absence d’un débat suffisamment approfondi sur ces questions au cours des dernières années, cet article souhaite fournir une vue d’ensemble des rares fonds documentaires disponibles à l’échelle internationale, tout en élargissant le cadre d’analyse aux politiques d’acquisition des musées et à la programmation des centres d’art contemporain. Il est ici question d’étudier le travail effectué par les bibliothèques, lieux de savoir et détentrices des sources, mais aussi par les musées et le monde de la recherche, afin de fournir des éléments de comparaison utile à la formulation de propositions pour les années à venir.

La patrimonialisation de l’art urbain : un état des lieux

4 Les années 2000 ont été marquées par la constitution de nouveaux fonds dans des bibliothèques et des musées, en Europe comme aux États-Unis. Ces ensembles ont offert aux chercheurs un premier accès à l’histoire des cultures urbaines, comme le graffiti et le street art, qui avaient jusqu’alors été étudiés presque uniquement par les sociologues. Le renversement de cette tendance n’a pas vraiment été explicité, mais ce revirement dans le domaine de la création et de la constitution de fonds documentaires fonde aujourd’hui la réflexion sur les lignes directrices des actions futures.

5 Parmi les bibliothèques, la Cornell Hip Hop Collection, créée au sein de la Cornell University Library d’Ithaca en 2007, représente l’un des cas les plus intéressants. Cette institution dispose d’un fonds documentaire qui continue d’être enrichi avec régularité. Celui-ci touche à l’histoire du graffiti newyorkais et américain, mais le centre d’intérêt principal de cette collection reste la culture hip hop au sens large du terme. Les acquisitions, en 2011, des archives d’IGTimes – l’une des plus importantes revues consacrées à ces cultures – ou de celles du graffeur Richard “Seen” Mirando et de Charlie Ahearn, le réalisateur du film Wild Style, sont exemplaires, mais il est fort probable que de nouveaux fonds viennent enrichir cet ensemble dans les années à venir4.

6 Il est difficile, en revanche, de porter un jugement sur la bibliothèque qu’Urban Nation est en train de créer à Berlin autour de la collection de livres et de magazines de la photographe newyorkaise Martha Cooper, car ce projet est encore en cours de réalisation. Un tel ensemble mettra finalement à la disposition des chercheurs des références bibliographiques jusqu’ici absentes des bibliothèques publiques européennes. Il se singularise aussi par le fait qu’il est plus fréquent de voir des archives européennes partir outre-Atlantique, que le contraire.

7 Le monde des musées a aussi contribué à une plus large reconnaissance de l’art urbain au cours des quinze dernières années, en proposant des critères de patrimonialisation alternatifs et complémentaires à ceux présentés par le marché de l’art. Le travail sur l’histoire du graffiti mené par Claire Calogirou au MuCEM de Marseille a été le premier

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du genre. Les acquisitions du musée marseillais ont attiré l’attention sur des catégories d’objets comme les black-books – les livres de sketches des graffeurs – jusqu’alors ignorées5. Ceci explique l’attente que suscite l’exposition monographique qui présentera une vue d’ensemble de cette collection, jusqu’ici sous-exploitée par l’ensemble de la communauté scientifique.

8 La « redécouverte » de la Wong collection par Sean Corcoran, peu après sa nomination au sein du Museum of the City of New York, complète le cadre esquissé par les campagnes du MuCEM. Offerte par Martin Wong en 1994, cette collection a attendu dix ans avant d’être attentivement inventoriée, étudiée et exposée6. De ce point de vue, le travail de Corcoran est exemplaire non seulement pour sa capacité à respecter la diversité des pratiques artistiques et des moyens de documentation présents dans ce milieu, mais aussi pour sa volonté de mettre en valeur le rôle et la personnalité du créateur de cette collection, Martin Wong. Ce dernier était lui-même un artiste et côtoya de nombreux graffeurs et artistes habitués à travailler dans le milieu urbain.

9 Les campagnes menées par le MuCEM et par le Museum of the City of New York contrastent, ainsi, avec la dispersion insensée de la collection de graffiti constituée au cours des années 1980 par le musée de Groningen, vendue aux enchères en 20047. Elles comblent, aussi, l’absence d’un recensement ponctuel des œuvres éparses dans différents fonds publics, à une époque où ces références seraient profitables aux nombreux centres d’art contemporain qui intègrent ces nouveaux langages dans leur programmation et consacrent des expositions au graffiti et au street art – ou à des artistes contemporains issus de ces milieux. L’Institute of Contemporary Art de Boston, le Brooklyn Museum, le Centro de arte contemporáneo de Malaga et le Palais de Tokyo à Paris, ou encore la Hong Kong Contemporary Art Foundation, figurent parmi les lieux les plus engagés dans une telle démarche, aux côtés de projets ponctuels qui intègrent ces courants au sein des Biennales, comme celle de Venise8. Des musées sont même en train de voir le jour, comme le Millenium Iconoclast Museum of Art de Bruxelles, le Museum of Urban Contemporary Art de Berlin ou l’Art 42 à Paris.

10 À différentes échelles, ces projets esquissent une réflexion longuement attendue autour du sens que le transfert d’une esthétique urbaine à l’échelle muséale implique. Le débat qu’ils engendrent accorde, toutefois, une attention privilégiée au contemporain, sans garantir une prise de recul par rapport à l’image déformée de ces cultures urbaines qui a été bâtie au cours des dernières décennies. Une mise à distance aiderait, pourtant, à avoir conscience des nombreux outils conceptuels qui ont été utilisés pour décrypter ces pratiques qui se différencient des formes institutionnelles d’art public. De ce fait, écrire l’histoire et faire l’historiographie du graffiti constitue un passage obligé pour comprendre comment les principales bibliothèques d’art ont intégré ces cultures urbaines dans leurs collections au XXe siècle, afin de mettre en évidence les manques éventuels à combler.

L’art urbain comme champ du savoir

11 L’ambiguïté esthétique qui entoure depuis longtemps ces pratiques artistiques identifiées avec les termes de graffiti et de street art a constitué le principal frein à la collecte d’ouvrages consacrés à ces sujets par les bibliothèques d’art. Pendant des décennies, toutefois, plusieurs champs du savoir ont intégré ces pratiques au sein de

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différents débats, contribuant à alimenter les fonds documentaires de livres et de catalogues plus ou moins proches de ces sujets.

12 La découverte et l’analyse des peintures rupestres par les archéologues figurent de manière récurrente dans les manuels consacrés à l’art urbain. Si le support pariétal constitue un parallèle fascinant, ces rappels des origines des graffiti oublient que l’emploi de ce terme pour identifier différentes formes d’écritures murales populaires et non autorisées est le fruit d’une tradition historiographique inaugurée par les antiquaires du XVIIe siècle et non pas par des spécialistes de la préhistoire. Antonio Bosio l’emploie dans Roma Sotterranea (1632), avant que l’ouvrage Graffiti de Pompéi (1856) du jésuite Raffaele Garrucci ne contribue au rayonnement international de ce mot et du cadre de lecture épigraphique qu’il sous-tend9. Les publications sur les inscriptions murales constituent, encore aujourd’hui, un champ d’études reconnu des sciences archéologiques, mais, en 1940, à l’époque de la découverte de la grotte de Lascaux et des études qu’elle suscite, les peintures rupestres s’inscrivent dans un tout autre cadre intellectuel. Il est alors question d’exploiter le potentiel conceptuel du terme graffiti en suivant le chemin tracé par la publication des premières photographies de murs recouverts de signes et d’écritures de Brassaï dans la revue Minotaure en 193310. L’esthétisation d’une pratique populaire à travers l’œil de l’artiste ou du photographe qui filtre et sélectionne un matériel digne d’attention constitue un tournant majeur dans l’histoire de la réception du graffiti et contribue massivement à son entrée dans les bibliothèques d’art. Au cours des décennies suivantes, l’appréciation esthétique de ces signes urbains par des artistes et des intellectuels, comme Jean Dubuffet11, devient une constante. Elle participe même de l’apparition d’un nouvel intérêt pour ces impulsions artistiques spontanées, qui autorisent à penser le graffiti comme « une activité au sein de et à travers laquelle la “nature” même se développe et se structure de cette manière protéiforme, changeante et qui semble résister presque irrémédiablement à toute tentative d’analyse12 ». On s’intéresse alors au graffiti « brut » des autodidactes ou des malades mentaux, comme Fernando Oreste Nannetti13, même si l’alphabétisation poussée de la société occidentale après la Seconde guerre mondiale réprime cette tendance, suscitant la réaction de Michel Thévoz, pour qui : « le conditionnement sélectif nommé éducation consiste à bloquer certaines aptitudes et à en surdévelopper d’autres selon une répartition qui obéit aux exigences socio-économiques de la civilisation occidentale14 ».

13 Au tournant des années 1960, l’étude des capacités sémantiques des écritures murales et l’analyse des mécanismes de l’iconosphère du quotidien prennent le dessus sur l’archéologie et l’art brut, soutenues par l’intérêt que les révoltes étudiantes suscitent auprès des chercheurs. Qu’il s’agisse d’affiches politiques, de simples phrases ou de pochoirs représentant des icônes de la culture pop naissante, l’art de rue devient un fait politique que l’on documente à travers des livres, fanzines et catalogues qui attirent l’attention des bibliothèques d’art. Il s’agit de la dernière grande vague d’intérêt pour le graffiti, peu avant que l’apparition d’une nouvelle culture calligraphique dans les rues de Philadelphie et de New York sème le trouble autour de 1970.

14 Incapable de saisir la véritable nature de ce phénomène, la presse l’apparente à d’autres écritures murales ou reconnaît dans ces graffiti une nouvelle forme d’art – voire même un nouveau courant de l’art moderne –, tandis qu’une lecture sociale et politisée, incarnée par des livres comme The Faith of Graffiti de Norman Mailer et Kool

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Killer ou l’insurrection par les signes de Jean Baudrillard (1974), voit le jour. Pour contrer de tels propos, le néolibéralisme américain bâtit une « théorie de la vitre brisée » qui inscrit le writing, le nom donné à cette culture par ses propres acteurs15, dans un plus large processus de pénalisation de la pauvreté16. L’image de Ronald Reagan devant les pochoirs peints par John Fekner dans le South Bronx, l’un de ces quartiers pauvres où le writing vit le jour, symbolise à la perfection cette tentative néolibérale visant à faire du graffiti le symbole de la crise sociale, politique et économique que New York venait de traverser. Le scénario des années 1980 est déjà écrit : les galeries de Manhattan sélectionnent une version édulcorée du graffiti et intègrent cette culture dans l’ancienne matrice formelle occidentale. Le writing, forme d’expression africaine- américaine, est alors « blanchi », selon un schéma similaire à celui déjà mis en œuvre dans le champ musical, avec le blues ou le jazz. Face à un tel scénario, les bibliothèques d’art suivent la voie tracée par le marché de l’art, collectant les ouvrages consacrés à des artistes comme Keith Haring et Jean-Michel Basquiat, l’un des rares artistes africains-américains travaillant à Manhattan, sans percevoir que ce dernier s’inspire autant du lettrage abstrait de Cy Twombly que de l’Ikonoklast Panzerism de Rammellzee. On comprend, alors, que la raison principale de l’absence d’une étude approfondie de la production théorique de ce dernier – fondamentale pour une meilleure appréciation de l’œuvre de Basquiat – dépend aussi de l’absence d’ouvrages qui lui sont consacrés dans les bibliothèques d’art17.

15 La diffusion de la « théorie de la vitre brisée », qui ouvre inévitablement la voie à la répression dans la rue18, a aussi suscité des débats inattendus dans le monde académique. Jeff Ferrell a été le premier à questionner l’apparition d’une esthétique de l’autorité vouée à contrôler la présence de messages et d’images non autorisés par les institutions dans l’espace public. Ses études ont ouvert la voie à des recherches entre art et droit comme celles de Jacob Kimwall, The G-Word. Virtuosity and Violation, Negotiating and Transforming Graffiti, et Alison Young, Street Art, Public City. Law, Crime and the Urban Imagination19.

16 Ces dernières années, celles de la découverte du street art par le marché de l’art et de l’apparition des réseaux sociaux, le graffiti s’adapte aux canons supposés du monde de l’art, suivant un parcours similaire à d’autres formes d’outsider art, parce que « la transgression ne concerne plus l’introduction de l’art outsider au musée, mais la question de l’entrée au sein de la sphère de l’art “officiel”20 ». Des livres d’artistes, comme Chiaroscuro par Cokney et Hugo Vitrani, Probation Vacation. Lost in Asia d’Utah & Ether et No Time for Fame21, s’éloignent, ainsi, des préoccupations calligraphiques jusqu’alors dominantes dans ce milieu22, pour définir – en opposition à l’esthétique de l’autorité citée ci-dessus – une esthétique du vandalisme qui questionne autant le geste du graffeur que la dimension matérielle de l’effacement. Cette démarche, centrée autour de l’artiste/vandale, qui se donne à voir et à lire – mais aussi à arrêter et à juger –, voit toutefois le jour alors même que le milieu académique s’engage dans une redéfinition des outils intellectuels aptes à appréhender les formes de création urbaines. Cette évolution, les bibliothèques d’art tardent à la comprendre et à la documenter, en grande partie parce que bon nombre de ces publications se caractérisent par leur ambition pluridisciplinaire. Par conséquent, si The Routledge Handbook of Graffiti and Street Art, sous la direction de Jeffrey Ian Ross, ou des thèses de doctorat comme Ornament and Order. Graffiti, Street Art and the Parergon de Rafael Schacter et Banksy Urban Art in a Material World d’Ulrich Blanché, figurent dans les rayons des bibliothèques d’art ou sur le web, à l’instar de numéros thématiques de

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revues comme Rhizomes23, le travail fondamental du Street Art & Urban Creativity Network et ses publications, sous la direction de Pedro Soares Neves et Daniela V. de Freitas Simões24, ont échappé à l’attention des bibliothécaires. Pourtant, ces travaux témoignent, plus que tout autre, de l’existence d’un réseau de chercheurs capables de porter un débat trop longtemps stagnant, et de faire du graffiti un champ d’étude à même de nourrir une plus large réflexion sur l’urbain.

Les bibliothèques d’art face aux frontières de l’art

17 Tout au long du XXe siècle, l’histoire de l’art a élargi son corpus et a contribué à l’élaboration de nouveaux champs du savoir. Les historiens de l’art ont participé à de nombreux débats transdisciplinaires, et se sont aussi révélés perméables à des questionnements induits par le graffiti et le street art, depuis les années 1970. L’Art Brut ou encore les relectures post-coloniales des échanges artistiques montrent que des cadres de lecture nouveaux ont déjà vu le jour. Les différentes vagues d’intérêt pour le graffiti et l’historiographie des études consacrées à ce mot-valise, décrites plus haut, sont aujourd’hui bien représentées dans les bibliothèques d’art du monde entier et confirment qu’un nouvel élargissement des rayons pourrait être envisagé.

18 L’augmentation considérable de journées d’études et de colloques sur l’art urbain ou l’art dans l’espace public25, ainsi que des projets de recherche comme l’ Informationssystem Graffiti in Deutschland Ingrid – une base de données recensant 120 000 photographies des archives judiciaires de Mannheim, Cologne et Munich, qui documentent l’histoire du graffiti en Allemagne entre 1983 et 201526 – montrent qu’un tel processus documentaire ambitieux est déjà en marche. Nul doute que ce genre de démarches trouvera de plus en plus d’espace dans les années à venir, offrant aux bibliothèques d’art la possibilité de devenir un lieu d’étude pour ces chercheurs qui s’intéressent à l’urbain. Les premiers recensements de livres, catalogues, revues et archives nécessaires à l’étude de ces cultures urbaines, disponibles depuis quelques années, devraient faciliter le travail des bibliothécaires en quête d’ouvrages en grande partie absents des bases de données bibliographiques internationales27. Cependant, comme le confirme la Cornell Hip Hop Collection, les contours des nouvelles campagnes d’acquisition devront être pensés en fonction de la nature du fonds destiné à les accueillir.

19 Celles-ci susciteront probablement quelques réticences, tant la méfiance du monde de l’art à l’égard des cultures urbaines est aujourd’hui encore vivante28. Toutefois, ce sont justement ces politiques d’acquisition qui aident le monde de la recherche à sortir des sentiers battus. Des fonds documentaires permettraient d’analyser d’un nouvel œil la nature esthétique de ces pratiques artistiques29, au moment même où le graffiti et le street art appellent à une reconnaissance, aujourd’hui accordée à la photographie, à l’illustration et à la bande dessinée.

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NOTES

1. Neil Brenner, Peter Marcuse, Margit Mayer (dir.), Cities for People, not for Profit. Critical Urban Theory and the Right to the City, Abingdon/New York, 2012. 2. Alain Bertho, « Penser la “ville monde” », dans Socio-Anthropologie, no 16, 2005, en ligne : https://socio-anthropologie.revues.org/430 (consulté le 7 novembre 2016). 3. La question de la définition de ces pratiques artistiques urbaines restant aujourd’hui problématique, je renvoie à quelques manuels qui en tracent aujourd’hui les contours : Julien Terral, Stéphanie Lemoine, In Situ : un panorama de l’art urbain de 1975 à nos jours, Paris, 2005 ; Anna Waclawek, Graffiti and Street Art, Londres, 2011 ; Stéphanie Lemoine, L’art urbain : du graffiti au street art, Paris, 2012 ; Magda Danysz, Anthologie du street art, Paris, 2015. 4. Pour une vue d’ensemble de ce fonds, voir http://rmc.library.cornell.edu/hiphop/ collections.html (consulté le 3 juin 2016). 5. Claire Calogirou (dir.), Une esthétique urbaine : graffeurs d’Europe, Paris, 2012. 6. Sean Corcoran, Carlo McCormick (dir.), City as Canvas. New York City Graffiti from the Martin Wong Collection, New York, 2013. 7. The Writing on the Wall, Sotheby’s, Amsterdam, 2004. 8. Giorgio De Mitri (dir.), The Bridges of Graffiti, Modène, 2015. 9. Charlotte Guichard, Graffitis. Inscrire son nom à Rome XVIe-XIXe siècle, Paris, 2014 ; Jérémie Koering, Isolde Pludermacher, « Les graffitis d’artistes : signes de dévotion artistique, Rome, Latium, XVe- XIXe siècles », dans Revue de l’art, 184, 2, 2014, p. 25-34. 10. Brassaï, « Du mur des cavernes au mur d’usine », dans Minotaure, nos 3-4, 1933, p. 3-4. Voir aussi : Brassaï, Graffiti de Paris, Paris, 1961. 11. Renato Barilli (dir.), Dubuffet e l’arte dei graffiti, Milan, 2002. 12. « Un’attività in cui e attraverso cui la stessa “natura” umana si sviluppa e struttura in quel modo proteiforme, mutevole e che sembra resistere quasi senza appello a ogni tentativo di analisi », Andrea Baldini, « Introduzione », dans Joseph Margolis, Che cos’è un’opera d’arte, Milan/ Udine, 2011, p. 7-8 (traduction de l’auteur). 13. Lucienne Peiry (dir.), Nannetti, Lausanne, 2011. 14. Michel Thévoz, Art, folie, graffiti, LSD, etc., Lausanne, 1985, p. 6. 15. « First of all it’s not even called graffiti, it’s writing. Graffiti is some social term that was developed (for the culture) somewhere in the 70’s », Iz the Wiz, cité par Phase 2, Style. Writing from the Underground, Viterbe/New York, 1996, p. 6. 16. Loïc Wacquant, Les prisons de la misère, Paris, 1999. Pour une mise en perspective de la « théorie de la vitre brisée », voir Bernard E. Harcourt, Illusion of Order: The False Promise of Broken Windows Policing, Harvard, 2001. Un essai, en cours de publication, affronte cette thématique : Ronald Kramer, The Rise of Legal Graffiti Writing in New York and Beyond, Basingstoke, 2017 (à paraître). 17. Ramm-ell-zee, cat. exp. (Helmond, Gemeentemuseum ; Groningen, Groninger Museum, 1986-1987), Helmond, 1986 ; Rammellzee. The Equation, cat. exp. (Rome, Galleria Lidia Carrieri, 1987), Rome/Martina Franca, 1987. 18. Joe Austin, Taking the Train: How Graffiti Art Became an Urban Crisis in New York City, New York, 2001. 19. Jeff Ferrell, Crimes of Style. Urban Graffiti and the Politics of Criminality, New York, 1996 ; Jacob Kimwall, The G-word. Virtuosity and Violation, Negotiating and Transforming Graffiti, Stockholm, 2014 ; Alison Young, Street Art, Public City. Law, Crime and the Urban Imagination, Abingdon/New York, 2014.

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20. Delphine Dori, « Exposer l’Art Brut et l’art contemporain : le rôle des commissaires d’expositions », dans Marges. Revue d’art contemporain, 12, 2011, en ligne : https:// marges.revues.org/393 (consulté le 7 novembre 2016). 21. Cokney, Hugo Vitrani, Chiaroscuro, Paris, 2015 ; Utah & Ether, Probation Vacation Lost in Asia, s.l., 2016 ; [Éditions Premier], No Time for Fame, Paris, Bruxelles, 2016. 22. La bibliographie sur ce sujet doit beaucoup aux recherches de Markus Mai et François Chastanet. Voir Markus Mai, Writing Urban Calligraphy and Beyond, Berlin, 2004 ; Marcus Mai, Thomas Wiczak, Writing The Memory of the City, Arsta, 2007 ; François Chastanet, Pixação São Paulo Signature, Toulouse, 2007 ; François Chastanet, Cholo Writing. Latino Gang Graffiti in Los Angeles, Arsta, 2009 ; François Chastanet, Dishu: Ground Calligraphy in China, Arsta, 2013. 23. Rafael Schacter, Ornament and Order. Graffiti, Street Art and the Parergon, Londres, 2014 ; Ulrich Blanché, Banksy. Urban Art in a Material World, Marbourg, 2016 [éd. orig. : Konsumkunst: Kultur und Kommerz bei Banksy und Damien Hirst, s.l., 2012] ; John Lennon, Matthew Burns (dir.), Graffiti, numéro special de Rhizomes. Cultural Studies in Emerging Knowledge, 25, 2013, en ligne : http:// www.rhizomes.net/issue25/ (consulté le 7 novembre 2016). 24. Jeffrey Ian Ross (dir.), Routhledge Handbook of Graffiti and Street Art, Abingdon/New York, 2016 ; Pedro Soares Neves, Daniela V. de Freitas Simões (dir.), Lisbon Street Art & Urban Creativity: 2014 International Conference, actes du colloque (Lisbonne, NOVA University of Lisbon/Faculty of Fine Arts, University of Lisbon, 2014), Lisbonne, 2014. Les deux premiers numéros du Street Art & Urban Creativity Scientific Journal sont disponibles en ligne : http://www.urbancreativity.org/journal- volume-1--2015.html (consulté le 7 novembre 2016). Il nous semble aussi utile de signaler la prochaine parution : Konstantinos Avramidis, Myrto Tsilimpounidi (dir.), Graffiti and Street Art. Reading, Writing and Representing the City, Abingdon/New York, 2017 (à paraître). 25. Le Portugal, l’Angleterre et l’Allemagne s’avèrent les pays les plus actifs dans l’organisation de telles rencontres. Depuis 2015, le ministère de la Culture et de la Communication anime en France un débat autour de ces thèmes dans le cadre du projet « Oxymores », mais il faut aussi signaler l’attention portée à ces thèmes par Edwige Fusaro à Nice, voir Edwige Fusaro (dir.), Street Art (Cahiers de Narratologie. Analyse et théorie narratives, 29), 2015. 26. Voir http://kg.ikb.kit.edu/1108.php (consulté le 3 juin 2016). Martin Papenbrock, « Die Bewahrung des Ephemeren. Zur Dokumentation von Graffiti », dans Andrea von Hülsen-Esch (dir.), Ephemere Materialien, Düsseldorf, 2015, p. 169-187. 27. Il m’a paru plus important ici de me concentrer sur des problèmes théoriques qui entravent l’enrichissement des bibliothèques d’art. Cependant, pour davantage de précisions sur l’état des acquisitions et des collectes de documents, voir : Christian Omodeo, Crossboarding. An Italian Paper History of Graffiti Writing & Street Art, Paris, 2014 ; Christian Omodeo, Pietro Rivasi, « Bookshow », dans De Mitri, 2015, cité n. 8, en ligne : http://www.thebridgesofgraffiti.com/bookshow-info/ (consulté le 3 juin 2016). 28. Isaac Kaplan, « Street Art Has Mainstream Influence, but Does It Have Art-World Credibility? », dans Artsy, 21 juin 2016, en ligne : https://www.artsy.net/article/artsy-editorial- street-art-has-mainstream-influence-but-does-it-have-art-world-credibility (consulté le 7 novembre 2016). 29. Andrea Baldini, Public Art: A Critical Approach, thèse, Temple University, Philadelphie, 2014 ; Martin Irvine, « The Work on the Street: Street Art and Visual Culture », dans The Handbook of Visual Culture, Londres, 2012, p. 235-278.

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RÉSUMÉS

L’urbain est aujourd’hui perçu comme un thème apte à penser la société du XXIe siècle. Quel est, toutefois, le réel apport des sciences humaines – et de l’histoire de l’art – à ce débat ? Et quel est, de manière plus spécifique, le rôle des bibliothèques d’art face à un horizon de lecture si transdisciplinaire ? À travers le prisme de fonds documentaires et de collections muséales, créés au cours des deux dernières décennies et consacrés à ces cultures urbaines communément classées sous les étiquettes de graffiti et street art, cet article questionne la place accordée aux pratiques irrespectueuses de l’esthétique occidentale dans les bibliothèques d’art, à une époque où la valeur sémantique du terme « art » perd l’autorité que la culture occidentale lui a offert au XXe siècle.

Today, the urban is seen as a theme appropriate for conceptualizing the society of the twenty- first century. What, however, is the real contribution of the humanities – and art history – to this debate? And what is, more specifically, the role of art libraries in the face of such a transdisciplinary horizon of expectations? Through the lens of documentary and museum collections created over the last two decades and dedicated to these urban cultures commonly classified under the labels of graffiti and street art, this article examines the place accorded to practices disrespectful of Western aesthetics in art libraries, at a time when the semantic value of the term “art” lost the authority that Western culture bestowed on it in the twentieth century.

INDEX

Mots-clés : espace urbain, culture urbaine, street art, bibliothèque, documentation, livre, catalogue, recherche, histoire de l’art, graffiti, esthétique, transdisciplinarité, art Parole chiave : spazio urbano, cultura urbana, street art, biblioteca, documentazione, libro, catalogo, ricerca, storia dell'arte, graffiti, estetica, transdisciplinarità, arte Keywords : urban space, urban culture, street art, library, documentation, book, catalogue, research, art history, graffiti, aesthetics, interdisciplinarity, art Index chronologique : 1900, 2000

AUTEUR

CHRISTIAN OMODEO Chercheur indépendant [email protected]

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Art – Research – Library: Shaping Maps of Knowledge Art – recherche – bibliothèque : modeler le paysage de la connaissance

Jan Simane

1 Among the humanities, art history is one of the youngest academic disciplines. Its establishment in the university education system started in Germany around the mid- nineteenth century, and by the 1870s, when the first chairs were instituted at universities such as Leipzig, Berlin and Vienna, it was finally acknowledged as a fully- fledged discipline.1 Although the historical perspective of art, artists, styles, and artistic developments had a long tradition, dating back to the Early Modern period, art history was not considered a “science” before scholars such as Franz Kugler2 and Carl Schnaase3 started to underlay their art-historical studies with discipline-specific methodological and theoretical principles. Their intention was on the one hand to equate art history with the natural sciences by applying more stringent research methods, and on the other to concede an epistemic quality to art history by exploring it as an integral part of general or “world” history.4 The first university institutes dedicated to the new discipline were founded against the backdrop of its academic consolidation. This was the case with the appointment of Anton Springer as the first full professor of art history at the University of Strasbourg in 1872.5 The affiliation with the university system compulsorily required the institutes to serve as both research and education vehicles. In terms of equipping the institutes with libraries, this relationship does not seem to have been balanced.6 Only a few institutes’ libraries fulfilled the requirements of discipline-oriented research, while most of them served rather as modest collections of educational books.7 Despite the uncontested upsurge of art history as an academic discipline and the embedding of related research in university institutes, an analogous emergence of an adequate institutionalized library typos was not seen in these early years. On the contrary, university library representatives did not consider it necessary to support the development of research- oriented specialized libraries in competition – not least financial – with central university libraries.8

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2 Universities differed remarkably in the quality of their libraries. For the young Aby Warburg the apparently reader-friendly system of the well-equipped libraries at the University of Strasbourg was decisive when he chose it as the place to pursue his studies on artistic culture in the age of humanism.9 According to Warburg’s student and collaborator Fritz Saxl, it was the particular accumulation of several institutes with libraries in the same building in Strasbourg that embodied the idea of a comprehensive, multidisciplinary library for cultural studies, later emerging from Warburg’s private book collection.10 Without doubt, Warburg is the most prominent scholar who repeatedly emphasized the interrelatedness of research and libraries, the latter in terms of the quality of the collections and infrastructure, and who developed not only revolutionary methods for investigating cultural history but also an innovative concept for a related research library. His own library, as Saxl explained in 1930, aided research on one central topic, namely the afterlife of antiquity, interrogated with methodological traditions from different disciplines. The book and image collection thereby “represented” this topic in the form of title selection and spatial collocation.11 Warburg’s library, however, can hardly be labeled an art library despite the fact that art and art history play a prominent role in the book collection. Moreover, the concept of the library was shaped through an interesting personal alliance with the birth of the first art-historical research libraries. One of Warburg’s most important experiences in this context was presumably the foundation of the Kunsthistorisches Institut in Florence, coinciding with his Florentine sojourns in 1893-1895 and 1897-1904.12 Although the Kunsthistorisches Institut today ranks among the leading research institutes for art history worldwide, it was founded predominantly as a research library combined with an image collection according to the standards of that time. Following the “call for the foundation of an art history institute,” signed by around thirty leading scholars from universities and museums in European countries in 1893, the new institute was meant to support the work of scientists and give guidance to students of art history by providing a book and image collection in appropriate and comfortable spaces.13 All this was planned to occur in the “most distinguished place for art- historical studies” where such an institution was missing: Florence. In the style of already existing German Stationen for historical and archeological studies in Rome, the new Institute and its library were thus to support research in situ and provide a home to recent studies exclusively on Italian, and in particular Florentine, art. How was this very early – if not first – research library for art history organized?

3 Akin to Warburg’s innovative concept of dedicating his library to one topic, the founding of the Kunsthistorisches Institut was no less innovative in focusing on the artistic history of one location.14 Furthermore, it was the first independent art library for research with no functional link to a superordinate institution such as a university or a museum, built and designed ex novo with no reference model. Such circumstances might suggest that the library was founded and developed in an uncommon spirit of freedom and creativity. However, the development of this early example of an art library was predominantly determined by the very modest finance and allocation conditions and less so by methodological concepts. Unlike Aby Warburg, whose family background allowed him to invest considerable sums of money in his private library, the custodians of the young institute relied to a great extent on donations and inheritances when they started to compile a book and image collection for art- historical studies in Florence.15 Nevertheless, the acquisitions made in the first twenty years reveal the pursuit of a discernable plan. Complementing extensive studies in

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Florentine archives, carried out by scholars working at the institute, particular attention was paid to antiquarian acquisitions of sourcebooks. Not surprisingly, the topography of Florence, museum and collection catalogues, and monographs on Italian artists also played an important role. Moreover, reference books and a few journals were gradually added. In short, the acquisition policy was to collect as much literature as possible on predominantly Florentine art, history and culture, with a focus on the Early Modern period, and thus to become the “physical” counterpart to an “abstract” and merely referential overview of existing literature in a corresponding bibliography. 16 Connoisseurship and expert knowledge were the most significant parameters. All library work – acquisition, cataloguing, and collocation – was in the hands of the first director, Heinrich Brockhaus (assisted by fellows and a “curator” from 1901), who performed these duties without any professional background in librarianship.17 This seems to have been a widespread phenomenon in the faculty libraries of German universities and was the subject of controversial discussions on the professionalization of librarianship in the last quarter of the nineteenth century.18 Also Aby Warburg’s assistants, who helped him to organize his library from 1904 onwards, included scholars (Paul Hübner, Wilhelm Waetzoldt) and competent practitioners, but not professional librarians.19 There are, however, some counterexamples, such as the library of the German Institute of History in Rome (founded in 1888) where, as early as 1902, a trained librarian began compiling a suitable catalogue, while acquisition remained in the hands of the institute’s director.20 In Florence, there was initially no similar division of expertise and thus, as the collection increased, the lack of professionalism in genuine library fields – cataloguing work and the systematic ordering of the bookshelves – became a serious problem.

4 Brockhaus’ first classification of the library’s holdings was later highly criticized as it did not follow canonical examples, nor was it particularly sophisticated.21 In view of the manageable number of volumes in the years around 1900, and thanks to the strong focus on Italian (and in particular Florentine) art history, a simple hierarchical schema of four main classes (arts, people, places and topics) – albeit unbalanced in terms of the quantity of the related literature – seemed sufficient.22 However, as early as 1912, this system was criticized as “inexpedient”.23 Was this a consequence of the discussions on “theoretical and practical requirements for classification in the arts” started at the Eighth International Congress for Art History in 1907? It was not library matters but the demand for bibliographies of recent publications in annual reports that provoked reflection on appropriate subject classification, though this predominantly concerned books. In other words, an internationally accepted standard for “ordering art literature” according to the logic of the discipline was the goal of the work of a commission of which Aby Warburg was a member.24 Two years later, at the Ninth Congress in Munich, the result – the Rahmen-Systematik der Kunstwissenschaften – was presented and discussed: it was a non-hierarchical, multi-topic classification that could in theory be adapted for shelf ordering in libraries too.25 Brockhaus attended the first congress in 1907 but not the more important second one in 1909. His follower, Hans von der Gabelenz, however, attended this, and under his guidance the new shelf classification was introduced in 1912. The counter-model to Brockhaus’ system, developed by Christian Hülsen, now consisted of twenty four classes without subclasses in order to enhance the clarity of the arrangement and to facilitate the maintenance of the collection.26 The second part of Hülsen’s reform was the creation of a hitherto missing shelf catalogue. The significance of these two elements – proper shelf

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classification and adequate catalogues – which are indispensable complements to the book collection in a research library, was apparently recognized and an attempt to implement them was made still despite the lack of more profound expertise in librarianship. However, World War I and the consequent sequestration of the Institute’s holdings in the years from 1915 to 1922 prevented the completion of all these plans. Later, in 1929, the director’s assistant, Curt Heinrich Weigelt, who was responsible for the library from 1923, unequivocally revealed the desolate situation of the library, and in particular the serious shortcomings of the catalogues which necessitated an entirely new compilation of an alphabetical catalogue, initiated in 1924.27 Thus, the first decades of the development of a genuine art library for advanced studies can be summarized as a cumbersome struggle to achieve both the appropriate spatial concepts and the tools that would provide effortless access to the book collection. In this respect the initial phase of the most similar library, the Bibliotheca Hertziana in Rome, which opened in 1913, was run in a more orderly and decisive fashion.28 For the new library in Rome, which, unlike the one in Florence, started with a notable collection of around five thousand volumes, the first director, Ernst Steinmann – who, incidentally, attended the Congress of 1909 and presumably followed the classification discourse – designed a shelf order whose concept essentially corresponded to the reformed Florentine model of 1912, though with a stronger focus on Rome, echoing the focus on Florence of the Kunsthistorisches Institut’s library.29 In both cases, a non-hierarchical system of superordinate subject classes (Florence 24, Rome 20) was developed, divisible into four topic groups: topography (including literature on artists), genres (architecture, painting, etc.), neighboring disciplines, and comprehensive literature (journals, bibliographies, etc.). These apparently obvious and expedient solutions were anything but self-evident. They considerably differed from concurrent models pursued for instance in the United States. Furthermore, the contemporaneous discussion on the dogma of the systematic shelf-order initiated by Georg Leyh, who was a librarian at the aforementioned German (in his time Royal Prussian) Institute of History in Rome in the years 1908 to 1910, casts interesting light on such considerations.30 Leyh, who later became an outstanding figure in German library science, published a polemical paper against the advocates of systematic shelf ordering in German (university) libraries shortly after his Roman sojourn.31 He was much more in favor of the “systemless” arrangement he described as characteristic of Italian libraries, not least in the sense of a counter-model to the German dogma.32 Instead of translating the idea of a strict system of knowledge into a correspondingly inflexible shelf order, the modern library should be organized in the form of a pragmatic arrangement of topical groups and invest much more in the maintenance of good subject catalogues. In his view, the systematic arrangement of books was a theoretical approach that has never been implemented consequentially and thus contradicted readers’ requirements.33 In other words, for scientific work the shelf order of literature was negligible whereas the availability of catalogues and bibliographies was regarded as essential.

5 Leyh had rather bigger German university libraries and the daily challenge of providing adequate services in mind when he polemicized against systematic shelf ordering, less specific requirements of discipline-oriented research libraries. However, the spatial organization of the German art and history libraries in Florence and Rome was, to a certain extent, developed following his approach: A pragmatic definition of topical groups for rough orientation and accurately maintained catalogues as key tools for navigation are the crucial components of his message.34 Aby Warburg, on the contrary,

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was far from such considerations when he shaped the concept of his kulturwissenschaftliche Bibliothek. This library originated from Warburg’s individual viewpoint and unconventional methods of exploring cultural history, and is thus hardly classifiable according to categories of librarianship. The central topic of this library, the afterlife of antiquity, has been defined as a problem whereby both the collection and the organization of the library provide support and guidance in “circling around” this problem.35 In the years following 1904, when Warburg finally decided to found a kulturhistorische Station in Hamburg, his library apparently conveyed a chaotic impression, but with the turn of 1920, seeking to become a research institute for a wider public, the library incorporated a more distinct and comprehensible structure.36 Saxl and the library assistant, Gertrude Bing, designed the system of the “movable” book in order to accommodate specific but changing groupings of books according to the dynamic emergence of research questions. Furthermore, with three colored stripes on the spines, each volume was assigned to specific areas of knowledge and methodological categories on a meta-level, independent from their current allocation.37 Although Saxl also started work on a systematic catalogue, the highly unconventional shelf concept remained the outstanding navigation tool and element of inspiration. Thus, in Warburg’s library, the traditional principle of systematic shelf ordering was completely reversed. The aim was not to assign any one book to a distinct place in a fixed system or to subject navigation to the system’s logic, but rather to display the multi-dimensional interrelations of the book’s contents in a dynamic knowledge space. Instead of ordering knowledge according to an abstract class system, the Warburg library enabled the creation of individual and accidental orders related to specific problems. The goal was not the localization of already known titles but the discovery of unknown titles and unexpected neighbourhood.

6 Warburg’s Kulturwissenschaftliche Bibliothek is both exceptional and unique in library history, but it is also characteristic of the climate in the years preceding the disaster of World War I. On the one hand, art history was still struggling for acknowledgment as a discipline sui generis, as emphasized for instance by Adolfo Venturi in 1912, while on the other, a lively discourse on proper art history methods was given due consideration in the context of Wölfflin’s Kunstgeschichtliche Grundbegriffe, published in 1915.38 Warburg’s library, despite not being a ‘simple’ art library, has been conceived as a manifesto of a distinct method – or rather of personal research interest and curiosity – and has thus remained an individual case.39 In contrast, the oldest public research art libraries in Florence and Rome aimed to provide, as comprehensively as possible, literature on Italian art, history, and culture with regional focuses. Their collections did not revolve around specific problems but rather prepared the ground for manifold studies on (Italian) art. In this respect, they can certainly be ranked more alongside bigger museum and architectural libraries in Europe and the United States founded in the last quarter of the nineteenth century.40 As a result of the initial orderless and conflicting decades of shaping both art history and art libraries, a sort of pragmatic standard (at least in Germany) has been established for the latter, based on good collections and, to a certain extent, good catalogues and convenient shelf systems. Leyh’s practice- oriented considerations and Warburg’s intellectual approach are antitheses in the early history of the modern research library. In terms of shelf order, the counterpoints are the separation and decontextualization of individual topics in the first model, and integration as well as the combination of single forms and traditions of knowledge in the second. It is obvious that the first model was adapted by most, if not all, followers

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over time. However, Warburg’s intention to correlate knowledge from different disciplines according to problems in cultural history by ordering his library in a flexible and ostensibly associative manner conflicted, in fact, with the very principles of a library. In his time, he was only able to manifest his “itinerarium mentis”41 in the form of a specific shelf order and with physical books, with the consequence that visitors perceived his library as puzzling.42 In the present day we have seen how digital technology allows the limits of physical media to be overcome and how dominant the processing of data instead of complex units has become, in particular as regards scientific publications. Could Warburg’s combinatorics of literary sources from different subject areas thus be performed far more easily with the modern electronic data system or is the “physical” library experience essential when following Warburg’s line of thought? The endless connectivity and manifold contextualization of data will – as predicted – not only supersede traditional libraries but also dissolve the paradigm of the finalized, non-modifiable scientific publication; “knowledge streams” will replace “knowledge items”.43 Shelf order and library systematics will thus become obsolete. In a further step, everything will be miscellaneous, as David Weinberger has described, emphasizing the advantages and the power of the new digital disorder.44 Looking back to the epochal changes around 1800 (the abandonment of a coherent order of world knowledge) and 1900 (the establishment of new specific disciplines), each of which had far-reaching consequences for libraries, the miscibility and disorder of knowledge could be the next revolution for the next century. Weinberger closes his description of the “old” library world based – as an example for others – on the Dewey Decimal Classification, concluding that under such circumstances the “library’s geography of knowledge can have [only] one shape but no other.” Thus, it is based on “the law of physical geography”, “not [on] a law of knowledge.”45 Aby Warburg would probably agree. Similar to his concept of the library, Weinberger’s plea for the miscibility of knowledge aims to overcome traditional classifications in libraries, to “unfix” knowledge from abstract, inflexible ordering systems. However, it is well known that both the Warburg library and the mentioned art libraries, after one hundred years of existence and twenty years after the digital turn, still exist and are more or less unchanged in terms of spatial structure and shelf order. Essential innovations and alterations occur and are still occurring in the field of catalogues – complementing collections and shelf order in research libraries –, which were initially rather disregarded in most of the cases mentioned. Free access to, and navigation among, bookshelves were aspects that fundamentally distinguished special subject libraries from universal libraries. In view of the current size of discipline-oriented research libraries and their integration into comprehensive functional networks, emphasis is being placed on other fields. Access and navigation have dramatically changed in respect of dimension and quality. This is a paradigm shift as well as a challenge. In any case, the goal to support research work in the best possible manner has not changed, and the same applies to requirements and expectations on quality and expertise.

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NOTES

1. Heinrich Dilly, Kunstgeschichte als Institution. Studien zur Geschichte einer Disziplin, Frankfurt 1979, p. 173 et seq. Bernhard vom Brocke, “Wege aus der Krise: Universitäts-Seminar, Akademie- Kommission oder Forschungsinstitut? Institutionalisierungsbestrebungen in den Geistes- und Naturwissenschaften und in der Kunstgeschichte vor und nach 1900,” in Max Seidel (ed.), Storia dell’arte e politica culturale intorno al 1900. La fondazione dell’Istituto Germanico di Storia dell’Arte di Firenze, Venice, 1999, p. 201. 2. Franz Kugler, Handbuch der Kunstgeschichte, Stuttgart, 1842. 3. Carl Schnaase, Geschichte der Künste bei den Alten (1843), Düsseldorf, 1866. 4. See Wilhelm Waetzoldt, Deutsche Kunsthistoriker, Leipzig, 1924, vol. 2, p. 70-92 and p. 143-172. Henrik Karge, “Franz Kugler und Carl Schnaase – zwei Projekte zur Etablierung der ‘Allgemeinen Kunstgeschichte’,” in Michel Espagne, Bénédicte Savoy, Céline Trautmann-Waller (eds.), Franz Theodor Kugler: Deutscher Kunsthistoriker und Berliner Dichter, symposium acts (Berlin, Brandenburgischer Akademie der Wissenschaften, 2008), Berlin, 2010, p. 83-104; and “Stil und Epoche. Karl Schnaases dialektisches Modell der Kunstgeschichte,” in Sabine Frommel, Antonio Brucculeri (eds.), L’idée du style dans l’historiographie artistique : variantes nationales et transmissions, symposium acts (Cortona, 2007), Rome, 2012, p. 35-48. 5. Vom Brocke, 1999, cited n. 1, p. 204-213. 6. The quality of libraries in art-history institutes apparently played an eminent role in the reputation of an institute, as we can deduce from Paul Clemen’s proud words about the uniqueness of the art library at the University of Bonn, founded after 1911. Vom Brocke, 1999, cited n. 1, p. 205. 7. See Joachim Krueger, “Zu den Beziehungen zwischen der Universitätsbibliothek und den Institutsbibliotheken zur Zeit Althoffs,” in Zentralblatt für Bibliothekswesen, 81, 9, 1967, p. 516. 8. Krueger, 1967, cited n. 7, p. 513-530. 9. “Ich [ging] nach Strassburg, […] weil die dortigen Bücherschätze, sowohl in den Seminaren wie in der grossen Staatsbibliothek in liberalster Weise den Studenten zur Verfügung standen.” “Vom Arsenal zum Laboratorium,” in Aby Warburg, Werke in Einem Band, Martin Treml et al. (eds.), Berlin, 2010, p. 686. 10. Salvatore Settis, “Warburg Continuatus. Descrizione di una biblioteca,” in Quaderni storici, 58, 1985, p. 11-12; Hans-Michael Schäfer, Die Kulturwissenschaftliche Bibliothek Warburg: Geschichte und Persönlichkeiten der Bibliothek Warburg mit Berücksichtigung der Bibliothekslandschaft und der Stadtsituation der Freien und Hansestadt Hamburg zu Beginn des 20. Jahrhunderts, Berlin, 2003, p. 90. 11. After Warburg’s death in 1929 Fritz Saxl became director of the Kulturwissenschaftliche Bibliothek Warburg, organized in the meantime as a research institute. Heinrich Dilly, “Sokrates in Hamburg: Aby Warburg und seine Kulturwissenschaftliche Bibliothek,” in Horst Bredekamp, Michael Diers (eds.), Aby Warburg: Akten des internationalen Symposions Hamburg 1990, symposium acts (Seminar der Universität Hamburg, 1990), Weinheim, 1991, p. 137. 12. As a member of the Ortsausschuss (local committee), Warburg was closely involved in the Institute’s administration in the years following 1897. Later, he became a member of the board of the Verein zur Erhaltung des Kunsthistorischen Institutes in Florenz, presided by Wilhelm von Bode. See Hans W. Hubert, Das Kunsthistorische Institut in Florenz: Von der Gründung bis zum hundertjährigen Jubiläum (1897-1997), Florence, 1997, p. 14. See also Ulrich Raulff, “Von der Privatbibliothek des Gelehrten zum Forschungsinstitut, Aby Warburg, Ernst Cassirer und die neue Kulturwissenschaft,” in Geschichte und Gesellschaft, 23, 1997, p. 34-35. 13. “Aufruf zur Gründung eines kunstgeschichtlichen Institutes,” in Kunstchronik, 5, 1893-1894, no. 13, p. 202-203. For the history of the Kunsthistorisches Institut, see Hubert, 1997, cited n. 12;

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also Arnold Esch, “L’esordio degli istituti di ricerca tedeschi in Italia: I primi passi verso l’istituzionalizzazione della ricerca nel campo delle scienze umanistiche all’estero 1870-1914,” in Max Seidel (ed.), Storia dell’arte e politica culturale intorno al 1900: La fondazione dell’Istituto Germanico di Storia dell’Arte di Firenze, Venice, 1999, p. 229-232. 14. The intention, however, was to support a multidisciplinary approach also considering the transmission of Italian art to other nations. See Franz Xaver Kraus’ memorandum “Über die Gründung eines Kunsthistorischen Instituts in Florenz” from 1899, quoted in Hubert, 1997, cited n. 12, p. 22. 15. In 1879, Warburg assigned his primogenital right to follow his father as leader of the Warburg Bank to his brother Max on the condition that his brother would buy him all the books he ever needed. See Perdita Rösch, Aby Warburg, Paderborn, 2010, p. 15. Bernd Röck, Der junge Aby Warburg, Munich, 1997, p. 30-31. For the collection building at the library of the Kunsthistorisches Institut see Ingeborg Bähr, “Zum Aufbau eines Arbeitsapparates für die Italienforschung: der Erwerb von Büchern und Abbildungen in der Frühzeit des Kunsthistorischen Instituts in Florenz,” in Seidel, 1999, cited n. 1, p. 359-365. 16. Pasquale Augusto Bigazzi’s Manuale di Bibliografia Fiorentina (1893) played an important role. On the one hand, the library succeeded in acquiring a good part of Bigazzi’s book collection, which he had accumulated for his bibliography. On the other, the institute planned to supplement and update Bigazzi’s bibliography, based on its own topographical collection. See Das Kunsthistorische Institut in Florenz: 1888-1897-1925, Wilhelm von Bode zum achtzigsten Geburtstage am 10. Dezember 1925, Leipzig, 1925, p. 20. 17. Das Kunsthistorische Institut…, 1925, cited n. 16, p. 15-16. Hubert, 1997, cited n. 12, p. 116. 18. See Georg Leyh, “Der Bibliothekar und sein Beruf,” in Georg Leyh (ed.), Handbuch der Bibliothekswissenschaft, Wiesbaden, 1961, vol. 2, p. 12-15. The demand for a comprehensively educated librarian at university libraries was contradictory to discipline-specific expertise, required in particular in special libraries. 19. See Schäfer, 2003, cited n. 10, p. 102-131. Wilhelm Waetzoldt was a fellow at the Kunsthistorisches Institut in Florence where he supported Brockhaus in managing the library before moving to Hamburg and starting to work for Warburg in 1909. 20. See Deutsches Historisches Institut Rom (Istituto Storico Germanico): 1888-1988, Rome [1988], p. 44. 21. Documents in the archive of the Institute show that one of the harshest critics was Christian Hülsen, a member of the Ortsausschuss (local committee) of the Verein zur Förderung des Kunsthistorischen Institutes in Florenz, who was commissioned in 1912 to reorder the whole library by developing a new classification and a concept for an expedient catalogue. It was not possible to achieve both tasks before Brockhaus resigned from the directorship and his follower, Hans von der Gabelentz, was appointed. See Hubert, 1997, cited n. 12, p. 30. 22. See Heinrich Brockhaus, “Führer durch die Bibliothek und die Abbildungs-Sammlung des Kunsthistorischen Instituts in Florenz,” in Mitteilungen des Kunsthistorischen Institutes in Florenz, 5, 1910, p. 187-209. 23. Christian Hülsen, “Vorschläge betreffend die Bibliothek des Kunsthistorischen Instituts,” Typescript, August 1912, Archive of the Kunsthistorisches Institut in Florenz. All these considerations are to be seen in context with the Insitute’s move from Brockhaus’ apartment, the first provisory placement from 1897 to 1912, to hired and substantially roomier spaces in the Palazzo Guadagni in the Piazza S. Spirito. 24. Offizieller Bericht über die Verhandlungen des VIII. Internationalen Kunsthistorischen Kongresses in Darmstadt, 23.-26. September 1907, reprint Nendeln/Liechtensten, 1978, p. 81-82. 25. Offizieller Bericht über die Verhandlungen des IX. Internationalen Kunsthistorischen Kongresses in München, 16. bis 21. September 1909, reprint Nendeln/Liechtensten, 1978, p. 79-98. 26. The twenty four-class system has survived, with slight modifications, until today. It was presented to the public in the annual report for the years 1913/1914.

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27. Curt H. Weigelt, “Bericht über den Stand der Arbeiten am alphabetischen Katalog, erstattet vom Ersten Assistenten des Instituts,” October 19, 1929, Archive of the Kunsthistorisches Institut in Florenz. 28. As a well-funded foundation, the Bibliotheca Hertziana was set up under much more comfortable conditions in terms of finances, location, and institutional support. For the library see Michael Schmitz, Die Bibliotheksabteilung der Bibliotheca Hertziana – Ihre Entwicklung von der Gründung bis heute, Berlin, 2010, online, http://edoc.hu-berlin.de/series/berliner- handreichungen/2010-273/PDF/273.pdf (viewed October 11, 2016). 29. Schmitz, 2010, cited n. 28, p. 13. 30. See Hermann Goldbrunner, “Von der Casa Tarpea zur Via Aurelia Antica: Zur Geschichte der Bibliothek des Deutschen Historischen Instituts in Rom,” in Elze Reinhard, Arnold Esch (eds.), Das Deutsche Historische Institut in Rom, 1888-1988, Tübingen, 1990, p. 52. 31. Georg Leyh, “Das Dogma von der systematischen Aufstellung,” in Zentralblatt für Bibliothekswesen, 6, 1912, p. 241-259, and 3, 1913, p. 97-136. 32. Georg Leyh, “Weiteres von den italienischen Staatsbibliotheken, besonders über ihre Aufstellung,” in Zentralblatt für Bibliothekswesen, 7/8, 1911, p. 289-317, here p. 303. Goldbrunner, 1990, cited n. 30, p. 53-54. 33. Leyh, 1913, cited n. 31, p. 127, n. 25. 34. Although we do not have any corresponding documents, it is conceivable that both Hülsen and Steinmann, who were responsible for the library organization in Florence and Rome respectively, met Leyh during his years in Rome. Christian Hülsen was Second Secretary at the German Archeological Institute in Rome from 1887 to 1909. Ernst Steinmann spent longer periods in Rome in the years before he became the first director of the Bibliotheca Hertziana in 1913. However, Steinmann’s relationship with Leyh’s mentor, the director of the History Institute, Paul Kehr, was problematic. See Horst Blanck, “Hülsen Christian,” in Der Neue Pauly, suppl. vol. 6, Stuttgart, 2012, p. 598; Sybille Ebert-Schifferer, “Ernst Steinmann (1866-1934),” in Sybille Ebert- Schifferer (ed.), 100 Jahre Bibliotheca Hertziana, Max-Planck-Institut für Kunstgeschichte: Die Geschichte des Instituts, Munich, 2013, p. 46-49. 35. Fritz Saxl, “Die Kulturwissenschaftliche Bibliothek Warburg in Hamburg” (1930), in Aby M. Warburg, Ausgewählte Schriften und Würdigungen , Dieter Wuttke (ed.), Baden-Baden, 1992, p. 331-334; Dieter Wuttke, “Aby Warburg und seine Bibliothek,” in Arcadia, 1, 1966, p. 326-327. 36. Tilman von Stockhausen, Die Kulturwissenschaftliche Bibliothek Warburg: Architektur, Einrichtung und Organisation, Hamburg, 1992, p. 75-76; Schäfer, 2003, cited n. 10, p. 98. See also Settis, 1985, cited n. 10, p. 21. 37. For an extensive explanation of the system, see Schäfer, 2003, cited n. 10, p. 220-234; Fritz Saxl, “Die Geschichte der Bibliothek Aby Warburgs (1866-1944)” (1943/1944), in Aby M. Warburg, Ausgewählte Schriften und Würdigungen, Dieter Wuttke (ed.), Baden-Baden, 1992, p. 340-341. 38. Adolfo Venturi, L’Italia e l’arte straniera: Atti del X Congresso Internazionale di Storia dell’Arte in Roma, Rome, 1922, p. 14; Dilly, 1979, cited n. 1, p. 25-26. 39. Settis, 1985, cited n. 10, p. 32, emphasized, following Saxl, the dichotomy of the “topography” of Warburg’s library and his writings. 40. For example: Berlin (Royal Prussian Museums, founded in 1885), New York (Watson Library of the Metropolitan Museum, founded in 1880), and Cambridge (Fogg Art Museum Library, later Harvard Fine Arts Library, founded in 1895), Royal Institute of British Architects in London (founded in 1834), or the Avery Architectural and Fine Arts Library in New York (founded in 1890). 41. Settis, 1985, cited n. 10, p. 24. 42. Saxl, (1943/1944) 1992, cited n. 37, p. 336. 43. Klaus Ceynowa, “Digitale Wissenswelten – Herausforderungen für die Bibliothek der Zukunft,” in Zeitschrift für Bibliothekswesen und Bibliographie, 61, 2014, p. 236.

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44. David Weinberger, Everything is Miscellaneous: The Power of the New Digital Disorder, New York, 2007. See also Nina Lager Vestberg, “Ordering, Searching, Finding,” in Journal of Visual Culture, 12, 3, 2013, p. 472-489. Lager Vestberg puts Weinberger’s three-class model of order in parallel with the photographic collection of the Warburg Library and the Conway Library at the Courtauld Institute, both in London. She emphasizes the advantages of the analogue order in archives, which helps to contextualize knowledge whereas the main power of digital archives consists in searching for and locating of information. 45. Weinberger, 2007, cited n. 44, p. 57.

ABSTRACTS

Soon after art history was established as an academic discipline in its own right in the later nineteenth century, the first art libraries were founded to support both education and research. Focusing on libraries outside of a university or museum context, this paper shows how research methods and library concepts converged and diverged. The years after 1900 and prior to World War I, were particularly rich in terms of disputes over the principles of library organization, shelf ordering systems, and appropriate classification for art literature. Furthermore, Aby Warburg contemporaneously conceived his individual library concept based on the insight that ordering literature – in a highly unconventional manner – and gaining knowledge are closely interrelated. All in all, art history and art libraries were subjected to the same dynamics of conceptual development in these decades, in contrast to later times. The question of whether and how modern data technology correlates with the old models of ordering knowledge is briefly discussed at the end.

À la fin du XIXe siècle, au moment où l’histoire de l’art devient une discipline universitaire à part entière, les premières bibliothèques d’art destinées à l’éducation et à la recherche voient le jour. Cet article s’intéresse aux bibliothèques qui ne sont rattachées ni à un musée, ni à une université, et montre les convergences et divergences entre méthodes de recherche et conception des bibliothèques. La période qui va de 1900 à la Grande Guerre est particulièrement riche en querelles autour des principes d’organisation des bibliothèques, des systèmes de classement des ouvrages et de la catégorisation des textes sur l’art. À la même époque, Aby Warburg conçoit sa bibliothèque personnelle à partir du principe – très peu conventionnel – qu’il existe un lien étroit entre classement des ouvrages et acquisition du savoir. Au cours de ces décennies (et contrairement à ce qui se passera ensuite), l’histoire de l’art et les bibliothèques d’art sont à peu près soumises à une même dynamique d’invention de concepts. En conclusion, l’article s’interroge sur d’éventuelles corrélations entre les anciens modèles d’organisation du savoir et les technologies numériques actuelles.

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INDEX

Keywords: art history, discipline, library, classification, method, organization, classification system, research, education, digital, Kunsthistorisches Institut in Florenz – Max Planck Institute Mots-clés: histoire de l'art, discipline, bibliothèque, classification, méthode, organisation, système de classification, Kunsthistorisches Institut, Warburg Institute, recherche, éducation, numérique, Kunsthistorisches Institut in Florenz – Max Planck Institute Parole chiave: storia dell'arte, disciplina, classificazione, metodo, organizzazione, sistema di classificazione, ricerca, educazione, digitale, Kunsthistorisches Institut in Florenz – Max Planck Institute Geographical index: Allemagne, Italie Chronological index: 1800, 1900, 2000

AUTHORS

JAN SIMANE Director of the Library, Kunsthistorisches Institut in Florenz – Max-Planck-Institut [email protected]

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