072 Talents Interview
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072 TALENTS INTERVIEW GRAFFITIART #49 MARS/AVRIL 2020 073 LOGAN HICKS Confessions d’un noctambule — INTERVIEW / ÉLODIE CABRERA La ville est à ses yeux plus qu’un simple paysage. Elle incarne un personnage, se prête aux confidences. Sculptées par la lumière des réverbères, animées par ses pochoirs qui vont jusqu’à atteindre vingt strates, les peintures de Logan Hicks renvoient aux maîtres du clair- obscur, et flirtent en toute modestie avec les photographies hautes en couleur de William Eggleston. Exposé à Paris à partir du 21 avril 2020, l’artiste New-Yorkais fête cette année ses vingt ans de carrière et n’entend surtout pas se reposer sur ses lauriers ! Vingt ans de carrière en 2020…, n’est-ce pas l’heure médina à Marrakech, ou regarder les voitures descendre de la retrospective ? Broadway à toute allure à New York : ce sont tous ces Peut-être. Pourtant j’ai l’impression d’avoir seulement moments qui me font approcher le cœur battant de commencé à explorer les possibilités qui s’offrent à la ville. J’essaye de capter les caractéristiques de moi. Au moment d’organiser mon exposition parisienne, chacune : l’étroitesse des rues, la hauteur des bâti- j’ai justement discuté avec Joël Knafo de la place du ments, l’éclairage public – lampes sodium moroses ou voyage dans mon œuvre ces vingt dernières années. lampes à LED avec leur horrible lumière bleue claire –, C’est d’ailleurs le fil conducteur des toiles qui y sont les transports publics – en continu ou seulement jusqu’à présentées. Si quelqu’un me propose une rétrospective, minuit –, les changements de température une fois la pourquoi pas, mais en attendant, je continue à travailler. nuit tombée... Tout cela participe de l’impression que l’on a d’une ville. Il y a des gens qui font des randonnées Justement, cette exposition s’intitule Chasing the ou campent pour se reconnecter à la nature. Moi je fais Moon. Pourquoi ce titre ? pareil, mais pour me reconnecter à la ville. Il se rapporte au fait que j’ai passé ces vingt dernières années à courir après la lune partout autour du monde. Puisque la ville est un personnage à part entière, J’ai visité tellement de villes, plus d’une cinquantaine quelle relation entretenez-vous avec elle ? rien qu’en dehors des Etats-Unis. Je me suis tellement J’ai passé une enfance très dure dans le sud du baladé la nuit pour prendre des photos que parfois, j’ai Maryland. C’était une petite ville raciste, misogyne, l’impression de poursuivre la lune d’une ville à l’autre. homophobe et sexiste. Tout ce que je détestais. J’ai passé les seize premières années de ma vie à me sentir Qu’est-ce qui vous guide lors de ces pérégrinations rejeté. Et pour couronner le tout, j’adorais le punk nocturnes ? rock, ce qui m’attirait encore plus d’ennuis : des coups Mon goût pour le vagabondage. Je me balade la nuit à la sortie du bus scolaire, des insultes… C’était une alors que les gens dorment. Cela me permet de capter période horrible. C’est seulement en entrant à l’univer- la vie de la ville même. Si l’on enlève les habitants, la sité que je me suis retrouvé pour la première fois dans ville est un organisme qui vit et respire. C’est ce que une grande ville. Ce fut le plus beau jour de ma vie. A j’essaye de capturer. Faire du vélo dans les rues pavées Baltimore, personne ne me remarquait, et cet anonymat de Paris, déambuler dans les allées encombrées de la m’a libéré. J’étais enfin… normal. Normal dans une ville comme Baltimore, où il n’y a que des excentriques et des gens bizarres. Je ressens la même chose à chaque Ci-contre - Autoportrait de l’artiste pris en 2013 au sommet du Chrysler fois que j’arrive dans une ville nouvelle. Une grande Building, à New York, sa ville de prédilection. © LOGAN HICKS partie de mon travail est basé sur le désir d’explorer GRAFFITIART #49 MARS/AVRIL 2020 074 TALENTS LOGAN HICKS et de voir le monde avec de nouveaux yeux. Retrouver sérigraphie et suis allé m’installer à San Diego, en ce sentiment d’adéquation. Nous voulons tous avoir le Californie. J’ai ouvert une galerie derrière l’atelier de sentiment d’être à notre place, et la ville me l’a donné. Shepard Fairey et j’ai commencé à faire des peintures C’est pour ça que je continue de voyager. Sans être à base de pochoirs. Je n’avais plus mon matériel de lassé. sérigraphie donc les pochoirs étaient juste une manière de passer le temps. Je ne pensais pas que ça irait très Baltimore a donc été une révélation en quelque loin. sorte… Je suis tombé amoureux de cette ville, son trop plein Et pourtant, le succès fut au rendez-vous, l’envie d’activité. J’ai étudié l’art, mais ce qui nous y était d’ailleurs aussi… enseigné était trop loin de mon mode de vie. J’ai donc Oui… J’ai fait une exposition dans un magasin du coin quitté l’université pour lancer un atelier de sérigraphie. qui a très bien marchée. Cela m’a permis de découvrir J’imprimais surtout des t-shirts, stickers et posters. d’autres lieux dédiés au pochoir. En 2002, j’ai démé- Mon atelier était dans un énorme entrepôt. C’était nagé à Los Angeles. A l’époque, il n’y avait pas tant de tellement grand que j’y faisais souvent des soirées. Il pochoiristes en galeries, donc j’arrivais au bon moment y avait des concerts live, des groupes comme Shellac en quelque sorte. En 2003, mon ami Freddi C m’invita à et Blonde Redhead. Dans une autre partie de l’atelier, ma première exposition en dehors des États-Unis, aux il y avait des expositions, signées Shepard Fairey, Joe côtés de Doze Green, Will Barras, Mr Jago, SheOne et Coleman, Frank Kozik et d’autres qui m’inspiraient. d’autres. J’aimais beaucoup Los Angeles, mais je ne Une année, j’ai discuté avec Shepard Fairey qui vivait me sentais pas chez moi. Donc en 2007, j’ai déménagé en Californie, et on a vraiment accroché. En Californie, à Brooklyn, la même année où mon fils est né. Et je il y avait une scène artistique très dynamique à base n’ai jamais quitté cette ville. New York m’a beaucoup de graffiti, skate, lowbrow et tatouage dans laquelle inspiré, elle a sa propre lueur, comme toutes les autres je me reconnaissais. J’ai donc vendu mon atelier de villes que j’ai visitées. GRAFFITIART #49 MARS/AVRIL 2020 075 La lumière fait partie de la mise scène. Elle donne le que j’ai prises pour trouver celles qui correspondent à ce ton à vos compositions. Comme lorsque les néons, que j’ai en tête. A partir de là, j’utilise ces photos comme les lampadaires ou un faisceau lumineux s’échap- base. J’ajoute ou enlève des éléments de la photo jusqu’à pant d’un appartement viennent animer le paysage ce que cela colle avec ma vision. Ensuite, je décompose urbain… l’image en plusieurs fichiers sur la base de contrastes – En effet, la lumière est essentielle dans mon œuvre. Je faibles, moyens et fort – en vue de les superposer. Je fais ne peins pas un bâtiment mais la manière dont la lumière très attention à ce que les ombres soient aussi précises tombe dessus. C’est comme de l’eau qui ruissellerait et détaillées que la lumière. J’utilise généralement cinq sur l’architecture. C’est peut-être l’œil du photographe niveaux de pochoir, mais je suis déjà allé jusqu’à vingt. Au en moi. La lumière peut influencer l’atmosphère d’une fil des années, j’ai réalisé qu’utiliser trop de niveaux affec- peinture ou d’une ville entière. C’est l’une des raisons tait la puissance évocatrice de l’œuvre. C’est difficile à pour lesquelles j’aime autant Paris, car la ville utilise expliquer, mais je me suis rendu compte que si je n’arrivais principalement des lampes sodium haute pression qui pas à dire ce que je voulais en cinq couches, ce n’était projettent une lumière très chaude et créent des halos pas la peine. dorés dans la nuit. En quoi votre expérience passée de sérigraphe vous Comment définissez-vous les différentes strates qui a aidé ? Ci-dessus - Walking Back composent vos œuvres ? J’imagine que ce doit être un Elle m’a énormément aidé ! D’abord parce que la séri- Time, peinture aérosol sur toile, 122 cm x 244 cm, 2019. processus fastidieux, méditatif peut-être… graphie m’a donné l’habitude de regarder les images de © LOGAN HICKS Mon processus créatif est très long, mais j’y prends beau- différentes manières. Elle m’a appris à décomposer les coup de plaisir, même si je le déteste aussi parfois. J’ai images en différents degrés de contrastes. Le défi de ces Ci-dessus, à droite - The Inverse grandi dans une famille de la classe ouvrière et j’ai été forte- deux médiums est de parvenir à communiquer une vision is True, peinture aérosol sur toile en lin, 56 cm x 76 cm, 2020. ment imprégné d’une certaine éthique de travail. Quand artistique au travers d’un procédé très technique. Quand © LOGAN HICKS je commence une peinture, je passe en revue les photos je m’applique à faire un pochoir, je dois faire attention à GRAFFITIART #49 MARS/AVRIL 2020 076 TALENTS LOGAN HICKS chaque détail, à chaque ligne.