Jean de Thonel d’Orgeix Sportif, saltimbanque et casse-cou

Qui ne s’est pas plaint un jour de la monotonie de la vie, symbolisée par la célèbre expression Métro, Boulot, Dodo ? Sûrement pas celui qui fut à tour de rôle acteur au cinéma et au théâtre, sportif émérite et cavalier international médaillé de bron- ze aux JO de Londres en 1948, pilote de stock-car, champion du monde de voltige aérienne, guide chasse en brousse, entraîneur de l’équipe de de sauts d’obstacles, homme politique, casse- cou bravant tous les dangers ! Bref, un de nos contemporains qui a eu une vie assez intense pour en remplir plusieurs... Un homme

62 assez extraordinaire qui, par son irrésistible envie de toujours viser l’excellence, a tordu le cou bien des fois à la fatalité. Un homme à la silhouette haute et puissante, un grand voyageur qui vécut la vie, la passion au cœur, à bride abattue. Le nom de cet Ariégeois ex- ceptionnel ? Jean-François de Thonel, connu sur scène et à l’écran sous le pseudonyme de Jean Pâqui, plus familièrement appelé le Chevalier d’Orgeix quoiqu’il fût historiquement le 5ème marquis du nom. Que notre héros soit ainsi sur- nommé ne doit rien au hasard. Les pyrénéistes savent qu’il existe en haute vallée d’Ariège un bourg de ce nom. La famille de Jean d’Or- geix, des maîtres de forges élevés au rang de marquis par let- tres patentes du 30 août 1817, de Louis XVIII, en est origi- naire. Ses descen- dants y possèdent d’ailleurs toujours le château familial, une grande bâtisse d’une quarantaine de pièces édifiée à proximité de l’ancienne forge, aujourd’hui bordée d’un lac romantique de- puis la construction d’un barrage par EDF en 1941. Mais ce n’est pas dans cette ancestrale demeure que Jean-François-Marie-Henri de Thonel voit le jour le 15 avril 1921, mais au Cap-d’Ail dans les Alpes-Maritimes. Sa carrière artistique est précoce. Il monte sur les planches à deux ans et demi dans une représentation donnée au casino d’Ax

63 au bénéfice de l’érection du monument aux morts d’Orgeix où, fi- gurant un jeune champion, il doit faire le salut olympique. Au cours de son enfance, Jean-François de Thonel joue des rô- les de plus en plus importants dans les revues que son père, un capitaine aviateur de la Grande Guerre, auteur d’opérettes à succès, écrit. Il se produit ainsi à Toulouse, à Montauban, à Nice, à Cannes et bien sûr à Ax-les-Thermes. En 1928, à la mort de sa sœur âgée de 19 ans, Jean-François s’arrête de jouer pen- dant deux ans avant de mon- ter à Paris. Il a onze ans quand il fait ses débuts dans la capi- tale en 1932 dans La boîte à Bijoux. Il en- chaîne avec un tour de chant et son talent attire l’attention d’un des di- recteurs de Mogador qui lui confie le rôle de « Piccolo » dans l’Auberge du Cheval Blanc. Il l’interprètera plus de 700 fois jusqu’en septembre 1934. Formé par Louis Jouvet, le jeune prodige se retrouve devant la caméra pour son premier film en 1933. Sous le pseudonyme de Jean Pâqui, sa carrière artistique se poursuit au Théâtre de l’Athé- née, puis au Théâtre de l’Œuvre où, en 1936, il interprète le rôle principal dans la pièce Dame nature. Bientôt il tourne avec les plus grands de son temps comme Pauline Carton et Pierre Fresnay dans Ame de clown ou Harry Baur et Jany Hold dans Un grand amour de Beethoven d’Abel Gance. Il retrouve le cinéma en 1941, aux côtés de Jacqueline Bouvier, la future madame Marcel Pagnol. Il tourne en 1942 avec Mouloudji, incarne en 1945 le « Capitan » avec Pierre Renoir, apparaît dans Un caprice Caroline chérie avec Martine Carol, joue un rôle dans le célèbre film de Sacha Guitry Si Paris m’était conté. Excellent cavalier comme son père qui, en 1913, avait rempor- té la coupe des nations à New-York, Jean d’Orgeix est un sportif de haut niveau. A l’été 1948, il décroche une médaille de bronze aux JO de Londres en saut individuel d’obstacles sur son cheval Sucre de

64 pomme. Présent aux JO d’Helsinki en 1952, Jean d’Orgeix rafle en l’espace de 6 ans, quel que soit le cheval qu’il monte, tous les grands prix nationaux et internationaux : Rome, Paris, Genève, Bruxelles, Dublin... Avec 108 victoires en concours hippique, il est devenu en compétition l’homme le plus difficile à battre ! Auteur de nom- breux ouvrages sur l’équitation, d’Orgeix, qui développe aussi une méthode pour mieux tenir les rênes au CSO, devient une véritable référence équestre. Mais dans ces années cinquante-soixante, deux autres passions vont aussi l’habiter et lui donner l’occasion, là encore, de se hisser parmi les meilleurs. Formé à la voltige aérienne à Saint-Yan, il décro- che aux commandes de son biplan, un Stampe SV-4, un titre national en 1954 à Toussus-le-Noble puis remporte le prestigieux Lockheed Trophy, l’équivalent du championnat du monde. Un brin casse- cou, il accumule les exploits lors de ses démonstrations aériennes. Volant sur le dos, d’Orgeix parvient ainsi à ramasser un mouchoir posé sur un fil à 3 m du sol ! En 1955, lors d’un raid automobile en Afrique, Jean d’Orgeix tombe sous le charme de la savane. Pendant une quinzaine d’an- nées, il devient guide de brousse en Centrafrique. Son immense sa- voir-faire, fruit de ses patientes obser- vations, sa connais- sance de la faune sauvage, l’éthique qu’il insuffle dans les safaris au grand gibier, lui valent

. Concours de Saut d’Obstacles

65 Philippe Tissié Le pionnier du sport scolaire

Au panthéon des grands oubliés de l’histoire, le nom de l’Ariégeois Philippe Tissié figure en bonne place. Force est de consta- ter que si un lycée professionnel à , un stade à Pau, une rue et les écoles primaires de Labastide-sur-l’Hers, son village na- tal, portent son patronyme, Philippe Tissié est aujourd’hui devenu pour le commun des mortels un illustre inconnu. Et pourtant, ce fondateur de la ligue d’éducation physique, ce médecin hygiéniste ne fut-il pas en son temps aussi célèbre que Pierre de Coubertin, le rénovateur des jeux olympiques ? C’est dans un paisible village d’Ariège situé au nord-est de , un riant bourg de 700 habitants niché dans les chaînons calcaires du Plantaurel, que Philippe Tissié a vu le jour, le 18 oc- tobre 1852, à l’aube du Second Empire. Fils d’instituteur, il reçoit une bonne instruction. Mais la vie est parfois cruelle : Philippe n’a que quatorze ans lorsqu’il perd son père. Le voici dès lors contraint d’interrompre sa scolarité pour subvenir aux besoins de sa famille. Il ne passera que tardivement son baccalauréat avant de pouvoir entamer des études de médecine. Ce n’est ainsi qu’à l’âge de 35 ans que Tissié soutient sa thèse sur « les aliénés voyageurs », ces mala- des qui fuguent à travers toute l’Europe. Son étude conduite sous l’autorité du professeur Pitres constitue toujours la référence d’un trouble médical qui a aujourd’hui des critères précis. Son diplôme en poche, le voici désormais médecin et aliéniste. Et Tissié, l’un des premiers neuropsychiatres de France, en sportif accompli qui

218 pratique le cyclisme de longue date, va logiquement se spécialiser dans l’hygiénisme.

Médecin du sport, Philippe Tissié, qui est l’un des initiateurs de la course cycliste Paris-Bordeaux, appartient à la Ligue nationale d’éducation physique. Le 19 décembre 1888, il fonde la Ligue gi- rondine d’éducation physique qui promeut les lendits, vieux terme médiéval qui désigne les jeux d’enfants. L’initiative est hardie car en ce temps-là, on ne s’intéresse guère à l’activité physique des pota- ches dans les collèges et les lycées. Il n’y a quasiment pas d’instances officielles au ministère de l’Instruction publique concernées par ce sujet. Ainsi un Recteur d’Académie écrivait-il : « Qui se soucie de leur hygiène, de leur santé, de la force et de la souplesse du corps ? Pourvu que l’esprit soit capable de longues élucubrations cicéroniennes... » Le premier lendit qui rassemble les élèves de plusieurs écoles de l’Académie de Bordeaux se tient le 11 et 12 mai 1890. Or, cette pratique ne va pas de soi à l’époque : l’exhibition de corps à moitié dénudés défilant

219 tout de blanc vêtus choque les belles âmes. Mais sa mise en œuvre renforce néanmoins le message hygiéniste en faveur d’une jeunesse saine et propre.

Aux yeux de Philippe Tissié, l’éducation physique de la jeu- nesse est primordiale. Elle doit combiner compétitions scolaires avec plaisir et amusement. Il considère que la pratique des jeux traditionnels locaux est à privilégier par rapport aux jeux anglo- saxons dont la mode se répand alors. Ainsi, tout en officialisant les règles du rugby, promeut-il la « barette aquitaine », variante moins violente de la Soule, ancêtre du rugby à XV, car le placage n’y est pas autorisé. En 1898, Tissié est chargé par le ministère de l’Instruc- tion publique d’une mission en Suède. Il y découvre notamment l’intérêt de l’éducation physique pour les femmes. La gymnastique suédoise est pour lui une véritable révélation : sans renoncer aux jeux de plein air, il y voit les moyens de lutter contre la dégénéres- cence pour redonner « à la jeunesse française la force de bien penser » par le culte de l’effort. Tissié se situe dans la même ligne de pensée que Pierre de Coubertin. Il veut « éduquer de bons Français qui sachent aimer forte-

220 ment la France ». Il souligne que la pratique sportive permet par la discipline qu’elle impose de contrôler les gestes impulsifs, d’assou- plir les caractères et même de rééduquer les jeunes délinquants. Pour l’hygiéniste convaincu de la prééminence du cerveau, l’édu- cation physique est un bon moyen d’éloigner l’homme de l’alcoo- lisme et de la paresse. Une mauvaise santé physique, notamment au plan respiratoire, n’est-elle pas synonyme d’affaiblissement na- tional à l’heure où on parle toujours de reprendre l’Alsace et la Lorraine ? Partisan d’une éducation physique patriotique et répu- blicaine, Philippe Tissié s’installe comme médecin à Pau en 1900. Il dispense bénévolement jusqu’en 1912 son enseignement à l’Ecole Normale de jeunes filles auxquelles il délivre un Certificat d’apti- tude à l’enseignement de la gymnastique. Sa doctrine, qui va à l’en- contre des préconisations de l’Union des Sociétés de Gymnastique de France, lui attire l’hostilité du ministère de l’Instruction publi- que. En 1903, malgré le succès du lendit de Mont-de-Marsan, il lui interdit ce genre de réunion sportive puis, quatre ans plus tard, en 1907, le décharge de ses missions d’inspection. Mais Philippe Tissié n’est pas homme à se laisser abattre ! Sur les décombres de la Ligue Girondine, il crée la Ligue Française de l’Education Physique, une structure sportive qui lui a survécu sous le nom de Fédération Française d’Education Physique et de Gymnastique Volontaire. Publiant ouvrages et revues, poursuivant son œuvre de promotion du sport scolaire, il défend sa conception de l’enseignement des pratiques sportives mais se heurte à de nombreuses op- positions à la Sorbonne. Infatigable, Tissié in- tervient bénévolement dans les années vingt dans un dispensaire de la Croix- Rouge qui accueille des enfants déshérités, âgés de 6 à 13 ans. À ces pupilles de la nation, Philippe Tissié dispense sa gymnastique éducative dans le but de créer « une petite république de petits bons- hommes dont les jugements sont sûrs ». Critiquant le sport spectacle,

221 Jacques Vidal L’astronome de Mercure

S’il existe bien à Mirepoix une petite rue nommée « Astronome Vidal », force est de constater que bien peu d’Arié- geois connaissent aujourd’hui cet illustre compatriote qui fut jadis au firmament des astres et des sciences de son temps ! Mais comment s’en étonner ? A sa naissance, rien ne prédes- tinait Jacques Vidal à connaître gloire et renommée ! Il s’ouvre à la vie à Mirepoix dans une modeste famille de maîtres cordonniers le 31 mars 1747. Baptisé le lendemain par son parrain, le chanoine Pierre Paul Mondin, sa maison natale n’est pas située dans la rue qui porte son nom mais au Couvert de la porte de la Roque. C’est une belle demeure à encorbellement qui nous émerveille encore aujourd’hui. Elle donne sur la place centrale de cette délicieuse bas- tide où le temps semble avoir suspendu son vol. Le logis est des plus simples : échoppe au rez-de-chaussée, habitation à l’étage. Démuni de fortune familiale, nanti d’une marraine qui ne sait même pas signer l’acte de baptême de son neveu, le jeune Vidal ne semble pas être promis à un brillant avenir. Mais grâce au soutien de deux de ses oncles pourvus d’un bénéfice ecclésiastique, il fait des études. Travailleur infatigable, passionné par les étoiles dès son enfance, habile inventeur des instruments que la modestie de sa bourse ne lui permet pas d’acquérir, ouvert aux idées nouvelles de la philosophie des Lumières qui structure la pensée de son temps, c’est à la force du poignet que cet homme de cœur se hisse parmi les scientifiques de renom.

234 Remarqué par l’astronome toulousain François de Garipuy, Jacques Vidal a le privilège d’être l’un des observateurs du passage de la belle comète « de Messier », en 1769, remarquable par sa queue de 67 millions de kilomètres. La même année, le procureur Jean- Gabriel-Amable-Alexandre Riquet de Bonrepos le nomme direc- teur de l’observatoire de son château près de Toulouse. Nanti dès lors d’un important matériel comme des lunettes à grande ouver- ture, son activité intense lui permet en 1770 de réussir à intégrer le

corps des ingénieurs du Languedoc. Il se voit ouvrir les portes des cénacles scientifiques les plus fermés. Ainsi, l’astronome Antoine Darquier de Pellepoix l’initie en 1775 à la difficile observation de Mercure, cette planète tellurique la plus proche du soleil. Jacques Vidal se passionne pour cet astre connu dès l’époque sumérienne. Il développe une nouvelle technique d’observation mais en garde le secret. En l’espace de 25 ans, de 1775 à 1800, il n’adresse pas moins de cinq cents observations à Joseph Lefrancois de Lalande, titulaire de la chaire d’astronomie au Collège de France. Co-auteur d’une monumentale Histoire céleste française, ses découvertes lui valent la

235 Sommaire

Frédéric Arnaud, l’apôtre du catholicisme social ...... 15 Léonard, le coiffeur de la reine ...... 19 Pierre Bayle, l’homme de la tolérance ...... 23 Henri-Napoléon Bégouën, le découvreur des « Trois frères » ...... 27 Aristide Bergès, le promoteur de la houille blanche ...... 32 François Camel, l’apôtre du socialisme ariégeois ...... 36 Jean-Germain Caralp, le sabre de la République ...... 41 Paul Caujolle, le fondateur de l’ordre des experts comptables ....46 Bertrand Clauzel, Le gouverneur de l’Algérie ...... 51 Irénée Cros, le chef de l’armée des ombres ...... 55 Théophile Delcassé, le père de l’Entente Cordiale ...... 59 Jean de Thonnel d’Orgeix, sportif, saltimbanque et casse-cou ....64 Louis Charles de Freycinet, l’aménageur du territoire ...... 69 Mady de la Giraudière, la papesse de l’art naïf ...... 73 Antoine de Levis Mirepoix, l’académicien épris d’histoire ...... 77 Jacques Dupont, le champion olympique du kilomètre ...... 82

Raymond Escholier, un esthète devenu romancier ...... 86 Gabriel Fauré, le maître de la mélodie française ...... 92

258 Pauline Fourès, le grand amour de Napoléon ...... 98 Gaston Fébus, le légendaire comte de ...... 102 Jacques Fournier, l’inquisiteur devenu pape ...... 108 Georges Galy Gasparrou, le radicalisme en héritage ...... 113 Alexandre Grothendieck, un ermite, génie des mathématiques ...118 Claire Lacombe, la passionaria féministe de la Révolution ...... 123 Raoul Lafagette, le poète des Pyrénées ...... 128 Paul Laffont, ministre des PTT, martyr de la Résistance ...... 132 Justin Lafitte, « le Lafayette des montagnes de l’Ariège » ...... 136 René Gaston-Lagorre, un peintre américain ...... 141 Joseph Lakanal, le père de l’école laïque ...... 145 Gatien Marcailhou d’Aymeric, le créateur de la valse ...... 150 Léon Pales, le père de la paléopathologie ...... 154 Gustave Pédoya, la passion de servir la France ...... 158 Albert Perilhou, l’organiste oublié ...... 162 Jules François Petitpied, pour l’honneur du drapeau ...... 166 Victor Pilhes, le Bayard de la démocratie ...... 170 Emile Pinet-Laprade, le fondateur de Dakar ...... 174 Joseph Rambaud, le sénateur qui a dit non à Pétain ...... 179

André Roudière, l’empereur du textile ariégeois ...... 183 Sabas Maury, le père de l’hymne ariégeois ...... 188

259 Isabelle Sandy, la poétesse du terroir pyrénéen ...... 192 Sarda dit Tragine, le Mandrin des Pyrénées ...... 197 Jacques Sarrut, un héros de l’Empire ...... 202 Camille Soula, physiologiste et fondateur de l’Institut d’Etudes Occitanes ...... 207 Pierre Soulé, le montagnol devenu sénateur des Etats-Unis ...... 212 Frédéric Soulié, le Balzac des lettres ariégeoises ...... 217 Philippe Tissié, le pionnier du sport scolaire ...... 222 Marc-Guillaume-Alexis Vadier, le régicide maudit ...... 227 François Verdier, le chef régional de la Résistance ...... 232 Jacques Vidal, l’astronome de Mercure ...... 238 Paul Voivenel, médecin des tranchées et chantre du rugby ...... 242

260