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PREMIÈRE PARTIE DES ORIGINES A 1531

MOULINS — LES IMPRIMERIES RÉUNIES 1950 L'Association EN SOLOGNE BOURBONNAISE a pour objectif la promotion de Chevagnes et du Pays de Chevagnes : la Sologne Bourbonnaise. Elle a pensé tout naturellement à l'histoire de ce Pays, si patiemment et si passionnément rassemblée dans l'Histoire du Canton de Che- vagnes par Marie Litaudon. Elle remercie la famille de l'auteur d'avoir permis la réédition de ce trésor documentaire inestimable devenu trop rare. Que soit ici rendu hommage à notre histo- rienne locale. Le Secrétaire, Le Président R. Thaveau R. Maridet tyCistoire du Canton de Chevagnes IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE 50 EXEMPLAIRES SUR PUR FIL LAFUMA NUMÉROTÉS DE 1 A 50 M. LITAUDON

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PREMIÈRE PARTIE DES ORIGINES A 1531

MOULINS — LES IMPRIMERIES RÉUNIES 1950

AVANT-PROPOS

Ce livre est dédié à tous ceux que l'histoire locale intéresse. Aux agriculteurs, oublieux parfois de leurs peines, vaguement songeant aux générations qui les ont précé- dés dans leur œuvre; Aux propriétaires terriens, à qui leurs titres disent l'origine immédiate de leurs biens, mais restent muets sur les plus anciens possesseurs ; Aux promeneurs dont la pensée vagabonde plane au- dessus des réalités du jour pour évoquer les temps dis- parus. Il s'adresse aux lettrés, instruits de l'histoire générale de la et du Bourbonnais, ignorants peut-être de ses rapports avec tel ou tel point du pays ; aux érudits, pen- chés sur des problèmes obscurs, des questions toujours pendantes, auxquelles nous avons dû toucher dans la mesure où elles concernent l'histoire de notre canton. Nous en avons puisé la matière aux sources imprimées aussi bien que manuscrites, aux inventaires de titres, aux revues locales qui ont noté les découvertes du xixe siècle ou publié des textes anciens. Nous avons surtout compulsé les documents originaux, les pièces d'archives publiques ou privées; nous les avons méditées sur place ou devant les plans du cadastre, afin de leur donner tout leur sens. Pour le lecteur curieux de détail ou l'érudit capable de pousser plus loin les recherches, nous indiquerons en gros nos sources, en fin de volume. Il nous a semblé vain d'alourdir le texte de notes accrochées à des numéros d'ordre, de préciser point par point les références, avec page ou cote. Sans redouter la critique, notre travail étant solidement basé, nous avons jugé fastidieux de rendre constamment compte de tous nos pas. Le juge averti et sérieux saura retrouver lui-même la cote, d'après le sujet. Quant au critique improvisé ou malveillant, la peine qu'il ne manquera pas d'éprouver, à vérifier nos dires, lui permettra de mesurer celle qu'a pu coûter une documentation portant sur plusieurs siècles et des objets fort variés. La surabondance des faits nous a conduite à diviser l'histoire du canton de Chevagnes en deux parties : l'une partant des origines pour finir avec l'indépendance du duché de Bourbon ; l'autre allant de la confiscation de 1527 à l'établissement de l'Empire. Nous y joindrons un aperçu. aussi bref et précis que possible, de l'évolution agricole au xixe siècle. Puisse le lecteur faire à la première partie — que nous présentons en ce volume — un accueil tel qu'il nous encourage à faire suivre aussitôt la seconde. M. LITAUDON. CHAPITRE I LE PAYS

Le canton de Chevagnes occupe l'une des trois pointes que le Bourbonnais projette vers l'est, la plus septentrio- nale et la plus aiguë, aux confins du Nivernais et de la Bourgogne. Limité de ce côté par la Loire, il se raccorde, au sud et à l'ouest, dans un cadre où dominent surtout les bois, aux cantons bourbonnais de Dompierre, Neuilly-le-Réal et Moulins, accroche enfin, au nord, les paroisses niver- naises de Lucenay, Lamenay, par des saillies de la plus haute fantaisie.

Sa forme générale est celle d'un losange, déchiqueté sur ses bords, irrégulier, mais orienté ; car ses diagonales se coupent loin de leur milieu, à 20 kilomètres de l'angle nord, 10 de l'angle sud ; cependant sa grande diagonale, de Lichy à la Creuse, est dirigée sensiblement du nord au sud ; sa petite diagonale s'étend de l'ouest à l'est, sur plus de 26 kilomètres, des bois de Pomay à la Loire. La surface correspond d'ailleurs à la formule du lo- sange, avec un déficit résultant des accidents du contour. Elle est de 375 kilomètres carrés, répartis en 10 commu- nes de très inégale étendue. Et d'abord, alignées dans le val de Loire, , la plus grande, Garnat et Saint- Martin-des-Lais, les plus petites, Gannay, qui n'atteint pas la moyenne ; à l'angle sud, Thiel, qui la dépasse de beaucoup ; à l'angle ouest, -Chézy, deux commu- nes réunies en une seule paroisse de 7.800 hectares, y compris l'ancienne circonscription de Saint-Pourçain- Malechère ; au centre enfin, Chevagnes, le chef-lieu, près duquel se pressent La Chapelle-aux-Chasses et Paray-le- Frésil, pour couvrir un peu plus de 11.000 hectares, réali- sant la moyenne.

Bien que son chef soit situé à égale distance de la Loire et de l', le canton appartient au système de la Loire. Petits ou grands, directement ou par intermédiaire, tous ses ruisseaux y vont confluer. La roui^ de Moulins à Bourbon-Lancy franchit les principaux sur des ponts qui peuvent sembler une prodigalité somptuaire, tant est maigre parfois le filet d'eau qu'ils surplombent. Viennent des pluies un peu prolongées, une fonte brus- que des neiges, et les ponts s'avèrent insuffisants pour le flot tumultueux qui les presse. Les eaux grossies enva- hissent les champs, coupent les routes. De Beaulon à Gannay, le Val prend un aspect de mer ; le Ruisseau de Mont, l'Engièvre, mêlant leurs eaux, s'unissent au fleuve pour submerger les fonds, cerner les buttes. Malheur, alors, au riverain qui s'est laissé surprendre sans provi- sions et sans barque ! Malheur aussi, et plus encore, à celui contre lequel la Loire « prend son courant », rongeant ses terres, sapant ses murs. Chaque assaut enlève à son bien quelques arpents. Ainsi ont disparu les Camus ; ainsi diminue peu à peu Jomesson. L'importance des crues de la Loire, leur durée, leur ampleur, résultent des caractères du Val, large au sud — à l'amont — resserré au nord, incliné d'à peine un pour mille dans le sens du cours du fleuve. Plus soudaines et plus brèves sont les crues de l'Acolin, la rivière du plateau. De pente faible encore — moins de 2 mètres par kilomètre — l'Acolin reçoit à Chevagnes l'Huzarde, plus rapide, qui lui jette ses eaux à angle droit au pont des Ternes, contrariant son cours, l'obli- geant à refluer vers le bourg. L'invasion est brusque, mais limitée au voisinage immédiat, grâce à la déclivité du sol. Tel, qui s'était endormi sans défiance, trouve au réveil un pied d'eau en sa maison. Il ne s'émeut pas, sachant par expérience le point où s'arrêtera le flux et que le reflux sera prompt. La rivière « chave » ; elle cause rarement de gros dégâts.

Entre l'Acolin et la Loire, le « canal » limite deux par- ties dissemblables du canton. D'un côté, une plaine mo- notone dont l'altitude passe insensiblement de 216 mètres à 202 ; un alignement de « gours » qui sont des restes du fleuve, reliés par d'étroits chenaux ; des rivières pares- seuses, hésitant à suivre leur cours. A Saint-Martin, la Loire se divise en bras qui enserrent des « îles », ; l'En- gièvre s'égare dans le « Biez », large comme un bras du fleuve et comme lui ramifié. C'est bien le pays « des Lais». Pas de bois, mais dans les îles, au bord des gours. d'épais massifs de « verziaux », l'osier des rives de Loire. A l'ouest du canal, le sol brusquement relevé forme un plateau boisé, coupé de larges clairières, de vallées, de dépressions multiformes, entre lesquelles res- tent des « tureaux » qui font figure de monts, parfois en portent le titre : le Mont, Montbuisson, Montapeine. Montigny, Montchemin, Montambour, Montgoux, les Mon- tillards, et d'autres. Cependant, les points culminants sont : à Thiel, la Grande-Creuse, 2,85 mètres, à proximité de la Gaize ; à Chézy, le Bois-Brûlé, 277 mètres, voisin naguère du « Chêne des louis » ; à Lusigny, près des Chalots, Mont- blin, 267 mètres, qui domine l'Ozon, et le signal de Pé- teloup, 267 mètres aussi, d'où l'œil embrasse, dans un rayon de 2 à 3 kilomètres, la vallée de l'Acolin, celle de l'Huzarde et les hauteurs qui la séparent de l'Ozon. Chacune a son caractère. Car l'Acolin, la rivière des bourgs, descend selon l'inclinaison du plateau par Thiel, Chevagnes et La Chapelle-au-Chasses, entre deux ran- gées d'habitations, fermes et châteaux, qui peuplent et animent ses rives. Ça et là, ses berges sont coupées de ruisseaux, larges fossés qui lui apportent les eaux froides des sources ou le trop plein des étangs. C'est la rivière amène, sociable, hantée des pêcheurs qui vont chercher dans ses fonds un poisson moins délicat peut-être que celui de l'Huzarde, mais beaucoup plus estimé que le poisson de la Loire ou de l'Allier. Moins accueillante, moins fréquentée, l'Huzarde, née dans les bois, glisse d'abord à leur ombre. Dirigée, semble-t-il, vers Lusigny, elle oblique au nord-est, dès son entrée sur notre canton, puis, après Breuilles, fonce à l'est, dans un lit encombré parfois de végétation, pour confluer en cascatelle à l'Acolin. Jadis allant de chute en chute, au service des moulins et des châteaux, elle était bien l'eau « jasarde », le « Jarde ». Elle n'est plus qu'un ruisseau champêtre, désigné plutôt sous le nom de « ruis- seau de Breuilles». L'Ozon, ou rivière des Gaux, déroule lentement, à travers la campagne de Lusigny-Chézy, son ruban étroit. bordé de grands arbres qui signalent de loin son cours. Appliqué au canton qui nous occupe, le nom de Sologne Bourbonnaise peut sembler une dérision. Des étangs, oui, certes ; mais pas de marais ; et quand le temps est favorable, de vertes prairies, de belles moissons ; des fer- mes bien construites, et des chevaux robustes, des bœufs de bonne race : un air de prospérité qui ne signifie pas mauvais sol. Le relevé du cadastre, établi vers la fin du Premier Empire, indique cependant un autre aspect. Tel endroit, couvert de moissons, de cultures et d'herbages, était alors un vaste étang ; tel autre n'offrait que des bois. Là où nos yeux voient des champs d'avoine et de froment croissaient des genêts et des bruyères ; au lieu de prai- ries, des pacages mêlés de bouleaux, de « chaupoutres », propres à la pâture du mouton plus qu'à l'élevage des bœufs. Ça et là des châteaux encore imposants évoquaient sans doute l'opulence de temps révolus ; mais la cein- ture d'eau, unique protection de ces demeures, disait la pauvreté des moyens de défense, tandis que celle des matériaux était affirmée par les mottes vides, seuls vestiges de manoirs depuis longtemps croulés, anéantis, disparus : Lingendes, Tronçay, Langle, et d'autres, dont le nom même est oublié.

On imagine difficilement qu'un vieillard décrépit ait pu être en son temps un beau jeune homme ; on réalise mal que l'adulte souple et fort ait vacillé sur ses jambes en essayant ses premiers pas. Il en va de même des lieux familiers, qu'on tend à croire immuables et inchan- gés. Eux aussi pourtant ont eu leur jeunesse, peut-être leur plénitude, avant d'arriver au déclin. Quel fut le passé du sol que nous foulons, ses premiers habitants, ses premiers maîtres ?.. Quelles vicissitudes, hommes et choses ont-ils subies ?... Quel éclat fugitif ont- ils jeté ?... Voilà ce qu'il faut établir à la lumière des données acquises, des fouilles méthodiques aussi bien que des trouvailles inopinées, de tous les documents bons à jeter un jour plus net sur l'histoire de notre pays. CHAPITRE II LES ORIGINES

Après une étude minutieuse des roches qui forment l'écorce terrestre et de leur disposition, les géologues ont divisé en quatre ères les milliers de siècles qui pré- cédèrent la naissance de l'homme. La plus ancienne, l'ère archéenne, antérieure à toute vie, d'une durée incalculable, fut celle où, des eaux brû- lantes qui recouvraient la surface du globe, se dégagè- rent peu à peu les premiers socles, tel ce vaste îlot dont les débris sont le Massif Central et le Morvan. Vint ensuite l'ère primaire, encore très longue, mar- quée par les plissements hercyniens, les éruptions de porphyres, les formations houillères, celles de Noyant, Bert, Decize ; puis l'ère secondaire, beaucoup plus brève, faite de progressions et de régressions marines ; enfin, l'ère tertiaire, qui, dans un effort titanesque, acheva l'os- sature du monde, son visage. Sous la poussée interne, de nouveaux monts surgissent, les vieux massifs sont remaniés, les volcans s'allument, la mer se retire.

Emergé dès les temps archéens, avec le Morvan et le Massif Central, le sol de notre canton porta sans doute un instant la végétation puissante de l'ère pri- maire, prêles et fougères géantes dont la décomposition donnera le charbon. Mais, bientôt dépouillé, raviné, arasé par les eaux d'en-haut — les pluies diluviennes de la période carbonifère — effondré à celle du premier vol- canisme, il fut prêt à recevoir les eaux d'en-bas, la mer, qui depuis des siècles menait l'assaut du vieux massif, sapait sa base au point de moindre résistance, la char- nière du grand V hercynien. Finalement victorieuse, elle s'engouffra entre Morvan et Massif Central, étalant ses flots dans la dépression que draînent aujourd'hui la Loire et la Besbre, l'Acolin, l'Ozon et l'Allier. Golfe à l'ère secondaire, la région devint lac à l'ère tertiaire, quand la mer eut reflué vers le nord, un lac aux eaux bleues, « le Léman de la France centrale », dont le trop plein se déversait au bassin de Paris par une Loire de faible longueur. Pour vider ce lac, il fallut qu'un dernier spasme de l'Océan, creusant dans le tuf secondaire une nouvelle voie, soutirât le fleuve à l'ouest. Alors notre sol revint au jour, mais sous un aspect tout à fait neuf, couvert du manteau épais que lui avaient donné les siècles. Car, dans son repos millé- naire sous l'eau chaude et salée de la mer secondaire ou l'eau douce et fraîche du lac tertiaire, il avait reçu d'importants dépôts, des couches de sédiments, faites de parcelles arrachées par les eaux de ruissellement aux massifs granitiques voisins, mêlées aux déchets miné- raux et organiques des flots. Telle est l'origine des veines de limon, des plaques d'argile, des bancs de sable, semés de cailloux et de galets, qui affleurent sur le plateau de Chevagnes, com- me aussi des calcaires oligocènes mis à nu par l'érosion sur ses bords, formant dans la région de Garnat-Beau- Ion les coteaux de Jallars, la Brérotte, l'Haut-Brenot, de la Curesse, Saint-Paul, l'Haut-Moucheron. Au début des temps quaternaires, ces hauteurs cons- tituent la berge d'un puissant fleuve ; car la Loire occu- pe l'emplacement de Beaulon, Garnat, Saint-Martin, Gan- nay, avec une grande partie de leur territoire qu'elle va d'abord creuser, affouiller, puis abandonner peu à peu, laissant le sol couvert d'alluvions. Cependant, le val restera toujours son domaine, sur lequel, en temps de crue, elle affirmera son droit, l'exerçant avec la plus large fantaisie. Pour admettre qu'à son apogée, la Loire ait rempli un lit si vaste, il faut remonter les temps, supputer les siècles. Au début du XIXe, exactement en l'an VIII de la « République une et indivisible », procès-verbal est dressé à Saint-Martin-des-Lais de la « situation des bras du fleuve Loire qui enclavent l'île des Delantres ». Il s'agit de savoir lequel est le plus fréquenté par la navigation. « Le bras occidental est à sec, dit le rapport, excepté une petite saigne qui filtre entre les sables. Celui d'orient est encore assez fort pour porter bateau, quoique la rivière soit en eau très basse. » Il passe quatre bateaux chargés de vins pendant la visite. Un siècle plus tôt, la Loire est le centre d'une circu- lation intense ; les riverains exercent des professions liées au trafic : charpentiers en bateaux, voituriers par eau. Le port de Lesme à Garnat, le port Taraud, à Gan- nay, embarquent les marchandises provenant de la région — bois et céréales — dirigées vers Orléans, et vers Paris par les canaux de Briare et du Loing. Les gelées d'hiver y surprennent parfois de nombreux marchands descen- dant le fleuve. Si la force de la Loire a décru ainsi en deux siècles, combien plus en dix, en cent, en mille peut-être. Quelle pouvait être encore sa puissance il y a deux mille ans, au moment de la conquête romaine ! Quelle, à celui de l'invasion celte, qu'on place cinq siècles plus tôt ! Quelle, à l'âge du bronze, qui put commencer 2.500 ans avant notre ère ! Quelle, aux âges mal connus de la pierre, dont on estime la durée à quelque trente à cinquante mille ans ! Quelle, enfin, aux premiers siècles de l'ère quaternaire, témoins de la jeunesse et de l'exubérance du fleuve !

A peine la Loire a-t-elle commencé son recul quand l'homme apparaît sur ses bords, vers la fin de la période paléolithique ou le début du néolithique. Pour marque de son passage, il a laissé des objets de pierre taillée, de pierre polie, pointes de flèches, couteaux, haches, pauvres armes destinées à sa défense autant qu'à la satisfaction de son plus criant besoin : la faim. Epars et longtemps méconnus, ces documents ont été pieusement recueillis au siècle dernier, qui a compris leur valeur. Quelques spécimens seulement ont été signalés sur le plateau, au voisinage de la Loire : à Beaulon, Garnat, des outils de silex taillé, des haches de pierre polie : à Paray, une « jolie pointe de flèche à arête dorsale re- touchée sur ses bords », une hache en silex poli brun, trouvée récemment à la Forêt Viau. Rien à peu près au sud, dans la vallée de l'Acolin : une hache à Thiel, un cou- teau à Chevagnes. Au contraire, au nord, à La Chapelle, et surtout dans la vallée de l'Ozon, à Lusigny, Chézy, les vestiges relevés sont si nombreux, leur groupement si remarquable, qu'il faut y reconnaître un établissement humain, le premier en date de notre canton.

D'où venait la tribu qui s'y fixa ?... De l'ouest, semble- t-il, car les outils sont de la façon du Grand-Pressigny (Indre-et-Loire), et les jalons qui marquent le passage de l'homme préhistorique : haches, couteaux, grattoirs, suivent le cours de l'Ozon et de ses affluents de gauche par Pommay, les Billards, Trevesse, les Pelletiers, les Bertrands, ou bien s'égarent sur les hauteurs qui le séparent de l'Huzarde et de l'Acolin, à la Bouloise, Montbuisson, l'Hâte, Magny. Les individus appartenaient-ils au groupe dolichocé- phale — à tête allongée — vivant de chasse et de pêche, ou bien au groupe brachycéphale — à tête arrondie — adonné plutôt à la culture ?... Naturellement, avec son ruisseau et sa forêt, le site pouvait arrêter chasseurs et pêcheurs. Au reste, le « poi- gnard de silex brun finement retouché », trouvé aux Pelletiers, la pointe de flèche de la Bouloise, « en silex blanc crême légèrement barbelé, à pédoncule court, soi- gneusement retaillée », annoncent un certain sens artis- tique, tel qu'on l'attribue aux éléments dolicocéphales. et l'on peut croire qu'ils furent les premiers occupants. A ceux-là vinrent certainement se joindre des éléments brachicéphales, qui savaient déjà cultiver la terre, do- mestiquer les animaux, qui apprirent à modeler et cuire l'argile, équarrir le bois, tisser les fibres végétales, tirer le fer des pauvres minerais du sol sous-jacent, véritables ancêtres non seulement des laboureurs de nos domaines, mais des potiers, des tuiliers, des tisserands, des char- pentiers de nos villages, comme aussi des forgerons dont l'industrie est rappelée à Paray, Thiel et autres lieux, par des noms de terroirs : Forge, les Forges, la Varenne des Forges. On a trouvé à la Bouloise un « écraseur à grains, peu épais, en arkose, à surface lisse résultant d'un long usage, avec de très petits trous très rapprochés pour faciliter le broyage », preuve de l'activité agricole des habitants primitifs de la région ; aux Billards, à l'Hâte, aux Ber- trands, des « restes d'habitation antique », affirmant leur vie sédentaire. Et sur le territoire de , aux Driats, mais au bord d'un ruisseau qui vient confluer à l'Ozon près de Louteaux, des traces de forges où l'on traitait le « mâchefer » à la catalane, avec un amas im- portant de scories : vestiges beaucoup plus récents, qui remontent peut-être seulement au ve siècle avant notre ère, pas au-delà du vine, c'est-à-dire au temps où les brachicéphales de notre région étaient appelés Ligures. Au reste, le nom d'Ozon paraît ligure au même titre que l'Oise et l'Isère. Ligure aussi, et plus sans doute, celui de Loire, qui eut d'abord la forme « Liger ». Sur la rive droite du fleuve, la rive haute, on a trouvé par milliers, de Bour- bon-Lancy à Gilly, des vestiges préhistoriques attestant une antique occupation ; on en a trouvé aussi abon- damment sur la rive gauche, à Diou, sis en un étran- glement de la vallée. Cependant, rien ne prouve qu'il y eût au bord de la Loire un établissement Ligure sur le territoire de notre canton. Les objets découverts jusqu'ici dans notre val de Loire sont de caractère nettement gallo-romain. CHAPITRE III LES PREMIERS MAITRES

Au premier siècle avant notre ère, le sol du plateau de Chevagnes est couvert d'une vaste forêt qui se prolonge au sud, à l'ouest, au nord, et dont les bois de Chapeau et , ceux de Paray, Chevagnes, Lusigny, Chézy, comme aussi de Gennetines et Saint-Ennemond, ne sont que faibles débris. Cette forêt, qu'on désigne sous le nom de forêt de Lécenne — d'où peut-être les noms de Lucenat-en-Val- lée, Lucenay-les-Aix — sert de tampon entre trois états, trois peuples : au sud, les Arvernes, dont la capitale do- mine le plateau de Gergovie ; à l'ouest, les Bituriges, qui ont leur ville principale dans les marais de l'Yèvre, à Bourges — « Avaricum » ; au nord-est, les Eduens, établis à « Bibracte », en Morvan, sur le mont Beuvray, mais aussi à Decize — « Decetia » — et Bourbon-Lancy. Formés d'éléments celtes arrivés en Gaule au VIe siè- cle avant J.-C., mêlés et confondus avec les Ligures, ces trois peuples portent, avec beaucoup d'autres, le nom général de Gaulois. Hommes à longue chevelure, à moustache épaisse et tombante, ils ont pour vêtement, la braie et la saie — le pantalon et la blouse — remuent le sol avec une charrue de bois — « l'ériot » ; ils habitent des huttes au toit de chaume, à cheminée centrale, telles que naguère les « loges » des bûcherons et des charbon- niers de nos bois. Curieux, hospitaliers, braves, turbulents, imprudents, ils annoncent déjà le caractère des popula- tions de la Sologne Bourbonnaise. Ils vénèrent les forêts, où pousse sur les chênes le gui sacré ; adorent Belen, le dieu du feu, Borvo, celui des sources bouillonnantes, qui a donné son nom à Bourbon.

Bituriges, Eduens et Arvernes se sont disputé jadis la suprématie de la Gaule centrale. L'étendue de leur terri- toire a varié sans doute, leurs limites respectives se sont déplacées. Si l'on s'en rapporte aux divisions ecclésias- tiques, assez bien calquées sur la répartition des peuples gaulois au moment de la conquête romaine, le sillon de l'Allier sépare le territoire Eduen du pays des Bituriges : la limite entre Eduens et Arvernes passe par Toulon, Chapeau, de sorte que l'Ozon, l'Huzarde et l'Acolin. nées peut-être arvernes, sont par leur cours éduennes. Rien de bien précis, d'ailleurs, dans cette limite. La forêt constitue plutôt une zone neutre, où l'on se glisse pour surprendre l'ennemi, mais qui n'offre pas de butin. On se dispute les villes, pas la forêt, même si les vallées qui la coupent ont quelques établissements humains. Les Eduens sont les amis des Romains. Deux fois en moins d'un siècle, il les ont appelés en Gaule : en l'an 121, contre leurs voisins Arvernes ; en l'an 58, contre des envahisseurs Helvètes, qu'accompagnait un peuple d'ori- gine celte, les Boïens. Vaincus par le général romain Jules César, les Helvètes ont dû retourner dans leurs mon- tagnes ; les Boïens sont restés en terre éduenne, admis comme alliés et protégés des Romains.

On a beaucoup discuté sur la portion de territoire at- tribuée aux Boïens ; on l'a généralement située entre la Loire et l'Allier, cherchant en conséquence la ville des Boïens, « Gergovia boïorum » ou « Gorgobina », dans la vallée de l'Allier, de Saint-Pierre-le-Moûtier à Moulins, voire dans la vallée de l'Acolin, à Thiel, et dans celle de la Loire, à Bourbon-Lancy. La question touche notre canton d'assez près ; elle mérite un examen qu'on peut faire à la lumière d'un écrit du temps, les Commentaires de César sur la guerre des Gaules. Car l 'ap- pel des Eduens fut l'origine d'une guerre de sept ans qui aboutit à la conquête de la Gaule par Jules César et l'oc- cupation romaine. Le vainqueur a pris soin d'expliquer son rôle, la conduite des peuples gaulois, celle de leurs chefs. Dans son oeuvre, il parle des Boïens en plusieurs lieux. Que dit-il ? « On trouva dans le camp des Helvètes et l'on remit à César des registres écrits en caractère grecs, un état no- minatif de tous les individus en état de porter les armes qui avaient quitté leur pays, et séparément celui des vieillards, des enfants et des femmes. Le total était de... 367 mille têtes, dont 92 mille hommes en état de porter les armes. Recensement fait par ordre de César de ceux qui retournèrent chez eux, il s'en trouva 110 mille. » Dans la liste figurent « 32 mille Boïens ». On peut admettre qu'après la bataille, ils restaient de 10 à 12 mille. « César permit aux Eduens de fixer sur leurs frontières les Boïens à cause de leur brillante valeur ; ce peuple reçut des terres cultivables et fut admis dans la suite à partager les droits et la liberté des Eduens. » A ces indications vagues, inscrites au premier livre des Commentaires, s'ajoutent heureusement celles du livre septième, correspondant au soulèvement général de la Gaule, en 52 avant J.-C., sous la conduite du chef arverne, Vercingétorix. Portant d'abord ses armes au cœur de la Gaule, en plein hiver, à travers les Cévennes couvertes de neige. César fait attaquer les Arvernes, puis va chercher des renforts cantonnés au pays de Langres. « A ces nouvelles » — il s'agit de l'éloignement de Cé- sar — « Vercingétorix passe avec son armée chez les Bituriges et va de là mettre le siège devant Gorgobina, ville des Boïens, que César... y avait placés sous la dé- pendance des Eduens. » « César fut très embarrassé sur le parti qu'il devait prendre... Il crut cependant nécessaire de s'exposer à tous les désagréments... plutôt que d'abandonner ses alliés. Il exhorta donc les Eduens à lui fournir des vivres et fit prévenir les Boïens de sa prochaine arrivée, les enga- geant à rester fidèles et soutenir vigoureusement les at- taques de l'ennemi. » « Laissant à Agedincum — Sens — deux légions avec tous les bagages de l'armée », il part, assiège et prend au passage « Vellaudunum, ville des Sénons» saccage et brû- le « Genabum » — Orléans — « et franchissant la Loire arrive sur les terres des Bituriges. » « A la nouvelle de l'approche de César, Vercingétorix lève le siège de Gorgobina et vient au devant des Ro- mains. » La cavalerie gauloise heurte près de « Noviodu- num, ville des Bituriges », la cavalerie romaine appuyée de 400 cavaliers germains ; « elle n'en peut soutenir le choc... et se replie sur le gros de l'armée. » « Cette affaire finie, César marche sur Avaricum », en fait le siège. « Il ne cessait d'insister auprès des Boïens et des Eduens pour les vivres ; mais le peu de zèle des derniers les lui rendait comme inutiles et la faible et petite cité des Boïens eut bientôt épuisé ses ressources.

De ces textes, il ressort que les Boïens sont établis sur la frontière éduenne, du côté des Bituriges, c'est-à- dire du sillon de l'Allier, assez près de Bourges pour y envoyer des vivres, dans une région cultivable, mais de modique étendue, propre à nourrir 15 à 20 mille hommes sans laisser de disponibilités. On peut admettre qu'ils détiennent une étendue cultivable au moins double de celle de notre canton, entre Allier et Loire, au voisinage du Bec-d'Allier, peut-être aussi au-delà du fleu- ve, sur la rive gauche, jusqu'à La Guerche, où M. Jullian situe la ville des Boïens, Gorgobina. Si Noviodunum est bien Sancerre, ainsi qu'il semble, tout s'explique. Selon sa tactique ordinaire, pour secourir Gorgobina assiégée, César cherche à tromper l'ennemi, le surprendre et l'at- taquer à revers. Il va franchir la Loire en pays Carnute, passe brusquement chez les Bituriges, à marches rapides remonte la rive gauche de la Loire. Alors informé. Ver- cingétorix abandonne le siège entrepris, se porte à la rencontre de César que son avant-garde trouve à San- cerre. Vaincus, désemparés, les Gaulois hésitent, tiennent conseil. César, maître de la situation, prend le chemin de Bourges afin d'y entraîner Vercingétorix et ses trou- pes et les détourner mieux de la ville boïenne. Gorgobina est-elle bien La Guerche ?... Evidemment. ce n'est qu'hypothèse, mais plausible, en accord avec les textes, tandis que sont incompatibles celles qui situent la « Gergovie des Boïens » sur la rive droite de la Loire, à Bourbon-Lancy, ou bien à Thiel, dans la vallée de l'Aco- lin, au point le plus voisin et le plus vulnérable de la frontière arverne, que Vercingétorix pouvait atteindre sans passer chez les Bituriges. Il est fort possible, cependant, que les Boïens aient occupé tout le pays éduen situé entre Allier et Loire, y compris le territoire de notre canton. Eut-il un rôle à jouer dans la suite de la guerre des Gaules ?... Demandons encore à César le détail des évé- nements, qui nous fe- ront au surplus connaî- tre l'attitude de nos ancêtres, Eduens ou Boïens, un peu de leur histoire et de leur vie.

Avaricum prise, le chef romain songeait à une nouvelle campa- gne lorsqu'il reçut une députation éduenne. « L'Etat se trouvait en danger, car de tout temps, on n'avait créé qu'un magistrat uni- que, ayant l'autorité de roi ; or, il y en avait deux, qui se disaient Dernier épisode de la Conquête des Gaules l'un et l'autre légale- ment nommés... Toute la nation était en armes, le sénat divisé, le peuple aussi, chacun soutenant son chef. Si le différend se prolongeait, une partie de la cité combattrait l'autre. » « César... manda tout le sénat et les deux concurrents à Decize... Il apprit de quelques personnes, interrogées en secret, que le premier avait été proclamé par son frère, dans un temps et dans un lieu où cela ne devait pas se faire... César le força donc à se démettre et ordonna que le pouvoir fut remis à l'autre que, suivant l'usage, les prêtres avaient élu durant l'interrègne. » « Après cette décision, il invita les Eduens à oublier leurs querelles et leurs dissensions... et les chargea de lui envoyer promptement toute leur cavalerie, avec 10 mil- le fantassins, dont il ferait des détachements pour escor- ter ses convois. » Lui-même, parti avec six légions, marche le long de l'Allier vers la Gergovie des Arvernes. Vercingétorix fait aussitôt rompre tous les ponts sur le fleuve qu'il remonte par la rive gauche, — pays biturige — tandis que César longe la rive droite — pays éduo-boïen. « Les armées, en vue l'une de l'autre », campent face à face ; cela devient embarrassant. « Pour y obvier, César s'arrête en un lieu couvert de bois, vis-à-vis d'un des ponts coupés, et s'y tenant caché le lendemain avec deux légions, fait partir ostensiblement le reste avec tout le bagage... Enfin quand, d'après l'heure, il peut supposer assez éloignés les Gau- lois » — trompés par cette feinte — « il se met à rétablir les ponts sur les anciens pilotis dont la base est restée intacte. Il passe, prend une bonne position, et rappelle ses autres troupes. A cette nouvelle. Vercingétorix prend les devants à grandes journées pour n'être pas forcé de livrer bataille. César, qui le suit, arrive à Gergovie en cinq marches. » Ce détail permet de situer à proximité de Moulins le passage de l'Allier par Jules César et le bois qui lui ser- vit d'abri en l'une des pointes que projetait vers l'Allier la forêt de Lécenne ou celle de Leyde. Pour aller de Decize aux rives d'Allier, le Romain dut suivre la voie qui passait à Chantenay, en pays boïen sans doute, mais tout à fait hors de notre canton.

Durant le siège de Gergovie, les Eduens se rallient au parti de Vercingétorix contre les Romains, trahissent la confiance de César, pillent le trésor et les provisions lais- sés par lui en l'une de leurs villes. Puis redoutant à bon droit l'arrivée du chef romain, qui a levé le siège de Gergovie — ils le savent — et déjà franchi l'Allier, « ils rassemblent des forces, placent des postes le long de la Loire, font en tout lieu paraître de la cavalerie pour répandre la terreur et essayer de chasser les Romains de la contrée. » La portion de Loire ainsi fortifiée, surveillée, c'est né- cessairement, en amont du Bec d'Allier, celle qui va de Nevers à Decize, Bourbon, Gilly. Le pays où se répand la terreur est celui que devra traverser César, entre Al- lier et Loire, celui des Boïens, un peu du nôtre. Instruit de tout, le général fait diligence : « il marche de jour et de nuit, arrive contre l'attente générale sur les bords de la Loire, et la cavalerie ayant trouvé un gué passable... il la dispose de manière à couper le cou- rant et toute l'armée passe sans perte à la vue des enne- mis effrayés. Les troupes s'étant approvisionnées de bé- tail et de blé dont en trouva les champs couverts, on prit la route du Sénonais. » Quel est le gué franchi par César allant de Gergovie à Sens?... Vraisemblablement, aucun de ceux qui touchent à notre canton. En telle circonstance, le Romain dut ten- dre au plus court, éviter les bois, leurs embûches, suivre avec son armée le val d'Allier, franchir la Loire entre Decize et Nevers, gagner enfin le Sénonais par la vallée de l'Yonne, après s'être ravitaillé dans le riche Bazois.

On sait comment le sort de la Gaule se joua bientôt après devant Alésia, près de Semur, au lieu appelé au- jourd'hui Alise-Sainte-Reine. César cherchait à regagner l'Italie. Vercingétorix tente de lui barrer le passage. Vaincu, il se réfugie dans la citadelle d'Alésia qu'aussitôt vient assiéger le Romain. Longtemps, héroïquement, le chef arverne attend le se- cours des cités gauloises, unies enfin pour sauver leur liberté. Lorsqu'arrive une armée de 250.000 hommes, levée par l'effort des Eduens, il tente une sortie à travers les cir- cumvallations romaines. Larges fossés remplis d'eau, rem- parts, palissades, terrasses, tours, rien n'avait été épar- gné par l'assiégeant. Il y avait joint tous les pièges, cip- pes ou chevaux de frise, chausse-trapes, appelées iro- niquement lys, éperons masqués de terre. La valeur gauloise, le nombre même échouent devant la méthode romaine. Vercingétorix doit se rendre à César et payer de sa vie sa résistance au conquérant. La Gaule devient province romaine. CHAPITRE IV L'OCCUPATION ROMAINE

Suivant une politique prudente, dès longtemps adop- tée par la République romaine, le vainqueur, d'abord, laisse aux Gaulois vaincus leur autonomie, leurs institu- tions, leurs coutumes, leurs chefs, leur monnaie même. Il leur enlève seulement le droit de guerre, se réservant d'employer leur humeur batailleuse à son profit, dans un légion à part, sous le signe de « l'Alouette » gauloise. Les Eduens gardent le titre d'amis, d'alliés de Rome, qui est aussi donné aux Bituriges, aux Arvernes, à d'autres. Le régime change avec Auguste, neveu de César, qui substitue l'Empire à la République. A la Gaule, il donne une capitale, Lyon, centre de l'administration impériale. Il construit des villes neuves, telles « Augustodunum » — Autun — « la ville d'Auguste », « Augustonemetum » — Clermont — « le temple d'Auguste », destinées à faire ou- blier Bibracte et Gergovie. Et divisant la Gaule en quatre provinces, il rattache le territoire éduen, le nôtre, à la Celtique ou Lyonnaise ; celui des Bituriges et des Arver- nes à l'Aquitaine. Enfin, pour la commodité des peuples, la circulation des fonctionnaires et des troupes d'occupation, il transforme les chemins gaulois en larges routes empierrées, jalonnées de bornes miliaires, crée de nouvelles voies qui relient à Lyon les cités gauloises ou les unissent entre elles. Mesu- res habiles, propres à bien établir la domination ro- maine. Elle se précise. Aux cités gauloises est retirée d'abord la frappe des monnaies d'or, puis celle des pièces d'ar- gent et de bronze, que remplace la monnaie romaine. On les soumet à l'impôt. Sans jamais interdire l'usage de la langue gauloise, on amène les Gaulois à se familiariser avec la langue romaine, afin de pouvoir accéder aux fonctions publiques, au titre de citoyen romain. Bientôt, ils oublient les noms Gaulois de leurs dieux, identifient leur Belen avec l'Apollon romain, adoptent Venus, Mars. Mercure, se mettent à les modeler dans l'argile aussi habilement que naguère ils façonnaient des vases et toutes sortes d'objets domestiques. Honteux en- fin de leurs chaumières, ils se construisent, à l'imitation de Rome, des maisons solides, où entrent la pierre, la brique, la tuile. parfois de luxueuses villas, telles qu'on a pu en reconnaître une à Plaisance.

Notre canton a conservé peu de vestiges de l'époque purement gauloise : à Chevagnes, une pièce de monnaie, un statère d'or frappé, dit-on, par les Arvernes ; à Beau- Ion, « des vases faits à la main, sans l'usage du tour ». La période gallo-romaine, au contraire, a fourni d'in- nombrables documents. Lusigny, Chézy, ont retrouvé des restes d'habitations à la Baraude, aux Moines, à la Bou- loise, dans les terres des Grands-Malnaux et sur le chemin de Lusigny à St-Pourçain Malechère, avec des fragments de tuiles à rebords ; des poteries fines à Tre- vesse ; deux Vénus de terre cuite blanche, aux Grands- Malnaux et aux Moines. En ce dernier lieu, « 205 médailles du Haut-Empire, toutes grand bronze, enfermées dans un vase en terre blanche, caché sous un entourage de tuiles à rebords » : la série à peu près complète des empereurs romains qui ont régné de l'an 69 à 211. D'abord, le fondateur de la dynastie des Flaviens, Vespasien le Sage, et son fils, le cruel Domitien ; puis les Antonins : Trajan, Hadrien, An- tonin le Pieux, Marc-Aurèle, le prince philosophe, avec son déplorable fils, Commode, et son gendre, le césar Lu- cius Vérus ; en leur compagnie, les impératrices : Sabine, les deux Faustine, Lucilia, Crespina. Un trésor, découvert à la Bouloise, était peut-être aussi riche. Il fut partagé, transformé en objets de toilette. Quelques pièces seulement furent examinées et recon- nues : un grand bronze à l'effigie de Trajan, deux d'Anto- nin, un petit bronze de Gordien, deux de Philippe, un de l'impératrice Etruscilla. Au revers, les figures symboli- ques de l'Indulgence, de la Paix, de la Fortune, de la Pudeur et de la Joie. A Chevagnes, les travaux de redressement du chemin de La Chapelle ont fait trouver en 1865, en face du Riau, un important dépôt de scories, et dans le champ voisin l'autel des « dieux lares », avec un plat à offrande, une sta- tuette d'Apollon. « Le Dieu est représenté assis, vêtu seu- lement du pallium tombant sur la poitrine en s'arrondis- sant d'une épaule à l'autre... La tête a une chevelure abon- dante, relevée de deux étages de boucles sur les épau- les ; les rayons, au nombre de cinq, qui étaient placés en arrière des ondulations de la chevelure et qui représen- taient ceux du soleil sont perdus. Les trous seuls accu- sent cette décoration. » Il faut remarquer la situation du Riau, de la Bouloise, des Moines, dans le triangle limité par les vallées de l'Acolin, de l'Huzarde et de l'Ozon ; noter aussi l'âge des médailles, toutes postérieures à la révolte de l'Eduen Sa- crovir, toutes datées de la période comprise entre le supplice du Boïen Maricus et le soulèvement général de la Gaule contre les occupants romains, en l'an 260. L'historien Tacite a narré brièvement l'aventure de Maricus, l'insurgé « sorti du peuple » et peut-être de notre région, qui, se disant envoyé des dieux, « osa ten- ter sa chance et provoquer les Romains » au temps de Vitellius. Avec un ramassis de huit mille hommes, il at- taque les cantons éduens les plus proches. Vaincu, pris dans le combat, vainement exposé, dans l'arène de Lyon, aux bêtes qui reculent et se couchent à ses pieds, il est finalement égorgé par les soldats sous les yeux de l'em- pereur impatient. D'autres ont exposé la crise du Ille siècle, l'effort des Gaulois pour se donner un semblant d'indépendance, sous le joug d'un empereur choisi par eux ; le règne et la mort de Posthumus, les rivalités sanglan- tes de ses successeurs, que l'histoire a nommés : « les trente tyrans ».

Dans la vallée de l'Acolin, à Thiel, avait été découvert, dès avant 1614, un « vaisseau plein de médailles ro- maines », dont les dates n'ont pas été relevées ; puis, au milieu du siècle dernier, « des vases Samiens d'une facture remarquable » ; enfin, plus ré- cemment, à la Velle, une grande quantité de statuettes en terre cuite blanche, les unes entières, les autres brisées, assez pour indiquer un ate- lier de modelage dont le souvenir est gardé par le nom d'un domaine voi- sin, les Potiers ; l'existence s'en ex- plique par la présence d'argiles ré- fractaires, dans la vallée d'un petit ruisseau qui descend des Cadeaux Statuette romaine à l'Acolin. trouvée à la Velle de Thiel L'unique specimen intact qui ait été examiné est une statuette de Vénus, du modèle qui se fabriquait à Tou- lon et qu'on croit inspiré d'une Vénus grecque. La dées- se, nue, est debout, « la main droite à sa chevelure » ; la gauche tient un linge qui pend tout au long de la jambe. Enfin, dans la vallée de la Loire, à Beaulon, outre les monnaies d'or, d'argent, de bronze, les médailles de tou- tes époques recueillies en plusieurs points, des fouilles intelligentes ont mis à jour une nécropole d'où l'on a tiré des vases à incinération contenant des cendres, des os- sements calcinés, avec les statuettes de terre cuite indis- pensables aux cérémonies funèbres, plusieurs fibules de bronze, une « émaillée de zones de différentes couleurs », une autre « estampillée du nom du fondeur, Afius ou Apius », « une lampe de bronze ». A Garnat aussi furent trouvées des lampes, mais de « terre cuite à petit feu, ayant conservé le ton gris de l'ar- gile ». Il y en avait deux ; « l'une portait sur les quatre faces de son pied d'ouche cette inscription de basse lati- nité : Julius Sesar ». Elles provenaient d'une butte de la position forte du Deffens. C'est du moins ce qu'indique la Revue Bourbonnaise de 1886, tandis qu'une note de 1884 avait attribué ces lampes à une sépulture de Gannay.

Les archéologues du xixe siècle ont reconnu dans la vallée de la Loire, de Beaulon à Gannay, tout un ali- gnement de buttes qui furent des mottes féodales, mais remonteraient à l'époque romaine ; ils en font des postes d'observation romains, et de la plus impor- tante, celle de Maître Jean, à Gannay, un camp romain. Ils ont retrouvé aussi a Saint-Pourçain Malechère, une butte d'observation, Orvalet, un poste militaire, La Val- lée ; à Thiel, les buttes de Pougny, le Péage, la Pierre, le Fin, la Grande-Creuse, datées par des tuiles à rebord, des monnaies, des matériaux romains. Enfin, sur la limite de Thiel et Chevagnes, « dans une vallée plate », entre les Guillemins et les Guillots, « des trous circulaires de 15 à 20 mètres de diamètre, des ta- lus de faible relief, des fossés, encore marqués, quoique nivelés par la tourbe et les débris ordinaires des ruines antiques », ont fait supposer une station de quelque im- portance. En 1870, « une plate-forme circulaire » indiquait encore « la trace de la tour avancée qui protégeait ces fortifications ». « Est-ce la Sitilia de la carte de Peutinger ? » demandait l'archéologue en terminant son rapport.

La question était nouvelle. Jusqu'en 1864, en effet, il était classique de placer à Thiel la « Sitilia » des itiné- raires romains, sur la voie d' « Augustodunum » à Bour- bon-l'Archambault — « Aquae Bormonis » — par Toulon- sur-Arroux — « Telonno » — et Perrigny-sur-Loire — « Pocrinio ». Constitués en jury officiel, des savants entreprirent alors de dépouiller la rive gauche de l'Allier au profit de la rive droite de la Loire. Ils situèrent Aquae Bormonis à Bourbon-Lancy et posèrent, avec un point d'interrogation, Sitilia au Grand Fleury, près du Fourneau, non sans vio- lenter les nombres inscrits sur la carte de Peutinger et leur imposer les plus étranges combinaisons. En dépit de quoi d'autres savants continuèrent de voir Aquae Bormonis à Bourbon-l'Archambaud et de fouiller le sol d' pour y trouver les vestiges de la voie an- tique d'Autun à Bourbon-l'Archambaud. Ils avaient rai- son. La place naturelle d'Aquae Bormonis, à 40 lieues gauloises de Telonno, à 30 de Decetia, c'est Bourbon- l'Archambaud, en tenant compte des coudes nécessités par la situation des ponts. Quant à Sitilia, il faut bien la chercher à Thiel ou aux environs. L'application rigoureuse des chiffres permet de situer, par construction géométrique, Sitilia à Saint-Pour- çain-Malechère. Sur le territoire de cette ancienne cir- conscription se trouvent les Montillards ou Montillets, Sizelle, le Site, et, plus à l'est — aux confins de Cheva- gnes, Thiel et Saint-Pourçain — jadis un village du Tillay. A Saint-Pourçain passait d'ailleurs un chemin qui re- liait naguère l'Allier à la Loire par Yzeure, les Montil- lards, la Vallée, la Fin, Pontenat, Diou, Gilly. C'était la voie qu'empruntaient encore, au milieu du siècle der- nier, les Charolais venus à Moulins acheter des bêtes d'embouche. Ils relayaient près du « Site », à l'auberge de la Vallée, aussi à celle de Sept-Fons. De Perrigny à Yzeure, ce chemin doit correspondre à peu près à la voie romaine, dont on a reconnu des vesti- ges à Gilly et Bardon. J'en vois une preuve dans le nom de « champ du Chastelet » que portaient au moyen- âge une terre voisine d'Orvalet, une autre située près des Guillemins. La carte de Peutinger, copie faite au XIIIe siècle d'un document qu'on attribue au Ille, semble viser surtout à mettre en relief les stations thermales, avec les moyens d'y parvenir. Elle porte, entre Pocrinio et Sitillia, un embranchement qui aboutit entre « Vorogium » — Vou- roux-les-Varennes — et « Ariolica » — . Ce diverticulum mettait notre canton en rapport avec Lyon, par Arfeuilles et Roanne, avec Clermont, par Va- rennes et . Il pouvait se greffer sur ces deux voies à Treteaux, suivre la vallée de la Besbre, peut-être bi- furquer à Saint-Pourçain pour joindre Pocrinio par Dom- pierre, Sitillia par la Grande-Creuse, Pougny, la Fin. dont le nom, essentiellement romain, trouverait ainsi sa meil- leure explication. Un autre diverticulum, moins important, devait par-

tir de Sitilia, et par Lusigny, les Grands-Malnaux, Chézy. atteindre à Saint-Ennemond une voie secondaire d'Yzeu- re à Decize. Peut-être en existait-il un troisième, reliant Diou à Decize par Beaulon, Garnat, Gannay, selon l'alignement des côtes de Loire. Cependant, la voie romaine connue, indiquée par les documents, longeait le fleuve sur la rive droite, de Perrigny à Decize, avec embranchement sur Bourbon-Lancy.

Le réseau des voies romaines entourait ainsi et coupait notre canton. La chance de cette région fut de se trouver entre deux sources chaudes, les Bourbons ; entre deux rivières, la Loire et l'Allier, artères principales d'un bas- sin qui était la voie naturelle plus importante, de péné- tration en Gaule ; dans le rayon de deux villes remar- quables, Lyon. capitale politique de la Gaule, Autun, sa capitale intellectuelle. Par les chemins nouveaux s'établit la domination des princes dont l'effigie est marquée aux bronzes de la Bou- loise et des Moines ; par eux se propagea la révolte qui semble les avoir fait enfouir ; par eux vint, après le culte des dieux romains, la foi chrétienne. CHAPITRE V L'É V AN GÉLIS ATION

C'est par la vallée du Rhône que le christianisme pénè- tre en Gaule. Il pose un jalon à Vienne, s'implante à Lyon, rayonne de là vers Autun, Clermont, Nevers et Bourges. Son expansion est d'abord extrêmement lente, sa marche à demi-cachée. Car la religion nouvelle n'ad- met qu'un seul Dieu ; elle ne peut cadrer avec le poly- théisme romain ni le culte des empereurs ; la persécution sévit contre les chrétiens. Au temps de Néron, elle a fait périr sur la croix le chef de la nouvelle Eglise, saint Pierre. Sous le règne de Marc-Aurèle, elle a livré aux bêtes l'évêque de Lyon, saint Pothin ; à la hache du bourreau, saint Symphorien. fils d'un sénateur d'Autun. Au IIIc siècle, saint Revérien est décapité à Nevers par les soldats de l'empereur Au- rélien, saint Prix dans le Donziais, en Morvan. Saint Pèlerin, envoyé par le pape saint Xyste pour évangéliser la vallée de l'Yonne, après avoir fondé les évêchés d'Au- tun et d'Auxerre, va cueillir la palme du martyre à En- trains, en Nivernais, au temps de Dioclétien, exactement en l'an 303. Pour changer la face des choses, il faut l'avènement de l'empereur Constantin (312), sa bienveillance. Les évê- chés s'organisent, l'évangile est porté aux campagnes. Saint Austremoine, évêque de Clermont, le prêche dans la première moitié du IVP siècle, en suivant les chemins qui le conduisent jusqu'à Nevers. Dans la seconde moitié, un ancien soldat devenu moine, saint Martin, répand la bonne parole en Touraine, dans le pays de Chartres, chez les Eduens, allant ici en barque, ailleurs à dos d'âne. Souvent, il rencontre l'hostilité des habitants, les « pay- sans », en latin « pagani », dont le nom deviendra syno- nyme de « païens ». Plus que les autres, ils sont attachés à leurs dieux protecteurs, ceux qui règlent les forces de la nature, envoient le soleil, donnent l'eau, poussent la végétation, favorisent la croissance et la multiplication des troupeaux. A ces dieux, ils ont élevé des temples, édicules devant lesquels sont immolés le mouton et le porc, dont la chair se consomme en des festins religieux, tandis qu'est brûlée sur l'autel la partie noble, les en- trailles. Ils ont des arbres sacrés qu'ils ornent de guirlandes ; des sources divines auxquelles ils jettent des monnaies en offrande. Renverser un temple, abattre un arbre sacré, déserter une source, serait impiété et plus encore imprudence : les dieux se vengent aussi facilement qu'ils protègent. Cependant, Martin démontre l'impuissance des dieux païens ; il la prouve comme aussi la puissance du Dieu nouveau, semant partout les miracles. En pays éduen, arbres et temples tombent de la main même des paysans convertis. Au début du v, siècle, sur le terrain par lui préparé, passe enfin saint Germain d'Auxerre, ancien officier ro- main qui a reçu l'onction épiscopale, bâtisseur infatigable d'églises rurales, ardent défenseur des libertés du peu- ple, aussi bien devant l'empire chancelant que devant l'invasion barbare. C'est en effet au temps de saint Germain que la Gaule, ravagée déjà au Ille siècle par des bandes germaines, est de nouveau pillée par des hordes de toutes races, Alains, Vandales, Gépides, Alamans, Saxons et autres. Aquitaine et Lugdunaise sont mises à sac. Cependant le flot passe et va se déverser ailleurs. Plus lourde de conséquences est l'invasion pacifique des Bur- gondes, des Wisigoths, des Francs. Connus depuis long- temps des Romains, établis à titre de « fédérés » sur leurs frontières, accueillis dans la Gaule à titre d' « hô- tes », ils arrivent à s'y établir en maîtres. Les Burgondes, de 456 à 480, se font concéder la val- lée du Rhône, celle de la Saône, s'installent à Vienne. Lyon, Autun, Nevers, occupent une partie de la Lugdu- naise, tentent de déborder sur l'Aquitaine. Ils y rencon- trent les Wisigoths qui, de 462 à 476, ont obtenu peu à peu tout le pays au sud de la Loire, jusqu'à Bourges et Tours. Lorsque Clovis, avec ses Francs, aura conquis par les armes le pays au nord de la Loire, il n'y aura plus de Gaule Romaine, mais un agrégat de trois royaumes barbares ayant leur commune frontière dans la vallée de la Loire. Burgondes et Wisigoths se poussent et se heurtent chez nous. On conçoit que les invasions germaines aient troublé, compromis sérieusement même l'organisation religieuse de la Gaule conquise. L'élan donné par les apôtres du ivc et du ve siècle ne subit pourtant qu'un faible arrêt. Bientôt la foi chrétienne annexe les conquérants, sans arriver, hélas, à policer leurs mœurs. Durant deux siè- cles, les Mérovingiens, fils et petits-fils de Clovis, après avoir soumis à leur domination Burgondes et Wisigoths, donneront au monde le spectacle de leurs sanglantes ri- valités, de leurs débordements et de leurs crimes : re- tours de la sève païenne qu'ils essaient de racheter par leurs générosités envers l'Eglise. On pourra voir encore un saint Didier de Vienne, un saint Priest de Clermont, par exemple, victimes de leur sincérité envers les princes ; mais aussi des reines, une sainte Clotilde, une sainte Radegonde, une sainte Bathil- de renoncer au faste de la Cour, pour savourer la paix du cloître. Un fils de Clovis, Childebert, témoignera de son ardeur chrétienne en ordonnant que partout soient ren- versées les idoles, même dans les domaines privés. Les églises, donc, se construisent ; les monastères nais- sent et se peuplent ; ils essaiment en des prieurés ru- raux, frères et voisins des églises rurales, souvent des- tinés à leur service.

Où s'élève l'église rurale ? Parfois sur le tombeau d'un martyr, au lieu illustré par le passage d'un saint, l'ac- complissement d'un miracle. Parfois à l'emplacement d'un temple païen détruit, d'un arbre sacré abattu, ou près d'une source dont la vertu curative, depuis long- temps connue, est considérée comme un bienfait des dieux. Sagement, les évangélisateurs la christianisent en la plaçant sous le vocable d'un saint : telle, sans doute. la « font Sainte-Marie » de la Chapelle-aux-Chasses, au- jourd'hui appelée « fontaine Sainte-Anne » ; telles enco- re, à Gannay, la « font Saint-Jean)) ; à Garnat, la «fon- taine du bon Saint-Germain ». Plus souvent, l'église est construite sur le « fonds » d'un riche propriétaire terrien, près de sa « villa », qui deviendra noyau de village, comme l'église noyau de paroisse ; ou bien encore sur un terrain vague, à la croi- sée de chemins, ou sur les domaines ruraux d'églises ur- baines. Car, depuis l'an 323, les églises sont reconnues ap- tes à posséder ; elles peuvent recevoir des dons, de quoi pourvoir aux frais du culte, assurer une vie convenable aux desservants. Jugeant ces ressources insuffisantes, Charlemagne, en 779, établira pour eux la dîme.

Quand, comment, par qui fut évangélisé notre canton, élevées ses premières églises ?.. Aucun document ne le dit : l'imagination peut broder à plaisir sur ce thème. Ce- pendant l'histoire n'est pas œuvre d'imagination ; elle veut s'appuyer sur des faits, des preuves. Pour établir l'origine de nos paroisses, de nos églises, il faut la chercher aux quelques sources qui ont été con- servées : cartulaires des évêchés et des monastères, pouil- lés des diocèses. A défaut de précisions, ils pourront donner de sérieux indices, tirés des noms anciens des paroisses, des vocables de fontaines ou d'églises, du pa- tronat. Un fragment de pouillé du xr siècle, retrouvé par ha- sard dans un cartulaire postérieur, indique sous une forme incomplète des noms de paroisses de l'archiprêtré de Moulins, tels Cang..., Cava..., Lisinia..., Théode..., Perid.., Wado..., Walc..., que l'on a sans peine identifiés avec Chézy, Chevagnes, Lusigny, Thiel, Paray, Gannay, Gar- nat ; un Domn... qui peut aussi bien commencer le nom de St-Martin-des-Lais que celui de St-Pourçain-Malechè- re ; enfin, Alona et Bedelo... entre lesquels on hésite à re- connaître Beaulon. Dans le même temps, un document parle de La Chape lle-aux-Chats : « Capella catorum ». Des titres épars prouvent qu'au XIIe siècle, Beaulon est appelé « Balona » ; Chevagnes, « Cavanis»; Thiel, « Théodeliaco» ; qu'au XIIIe siècle, Gannay est dit « Gan- niacus » ; Chevagnes, « Cabanis ». Au xive siècle enfin, un pouillé d'Autun donne la liste complète des églises du ressort, avec leurs vocables et leurs patrons. On y peut relever, sous le patronage di- rect de l'évêque d'Autun : Saint-Jean de Lusigny — « Lisi- gnius » — ; Saint-Pierre de Chézy — « Chagiacus » — ; Saint-Didier de Paray-le-Frésil — « Paredus-li-frae- ris » — ; Saint-Privat de Beaulon — « Baalons » — et aussi Saint-Martin des Lais — « Sanctus Martinus de La- cubus » — qui au xir siècle relevait de l'évêché de Bour- ges et du Chapitre. Saint Jean-Baptiste de Gannay — « Gaanayum » — a pour patron le prieur de Montambert ; Saint-Germain de Garnat — « Garnayum » — celui de Saint-Nazaire de Bourbon-Lancy. Saint-Martin de Thiel — « Thyellus » — relève du prieuré de Jaligny ; Saint-Pourçain Malechère — « Sanctus Porcianus de Marechete » — de l'abbaye Saint-Pierre de Lyon ; Saint-Nizier de Chevagnes — « Chevaignes » — de l'abbaye Saint-Léonard de Corbigny, en Nivernais. Quant à la Chapelle-aux-Chasses, qui n'est pas du dio- cèse d'Autun, mais de celui de Nevers, son église est dédiée à Sainte-Marie et sous le patronage de l'abbaye Saint-Germain d'Auxerre. La preuve est donnée par une bulle du pape Eugène III, adressée en l'an 1151 à l'abbé Ardoin pour lui accorder sa protection. Le pontife énumère à cette occasion les biens de l'ab- baye, parmi lesquels sont le « prieuré Saint-Pierre de De- cize », « l'église Sainte-Marie de la Chapelle-aux-Chats », ajoutant pour notre instruction que, dans toutes les égli- ses paroissiales qu'il tient, l'abbé élira les prêtres et les présentera à l'évêque du diocèse. Celui-ci leur confiera le soin des âmes, « s'ils sont convenables ». Ils en répon- dront devant l'évêque, et devant le monastère « des cho- ses temporelles », c'est-à-dire des revenus et biens-fonds. Le patronage de Saint-Léonard de Corbigny sur Che- vagnes est de même affirmé par deux bulles pontificales. La première, datée du 19 décembre 1558, est signée du pape Urbain IV. Elle assure à Hugon, abbé de Corbigny, le maintien de ses privilèges, cite ses possessions, « te- nues des largesses des princes ou de l'offrande des fidè- les ». Avec les églises nivernaises de Saint-Privé-les-De-

cize, Sainte-Marie de Brain, et beaucoup d'autres, est nommée «l'église de Chevaignes. qui est en Auvergne, avec son territoire et ses dépendances ». La deuxième, donnée par Innocent IV en 1253, mention- ne les maisons, bois, granges, villas, dîmes, appartenant à l'abbaye de Corbigny, les églises qui en dépendant, no- tamment son « droit de patronage sur l'église de la villa vulgairement appelée Chevaigne ». L'église était alors sous le vocable de saint Xyste, pape et martyr, l'un de ceux que l'on nomme chaque jour, dans toutes les églises, au canon de la messe. Elle passe peu après sous celui de saint Nizier, évêque de Lyon. Au xvnr siècle, la cure sera désignée sous le vocable de « Saint-Xyste et Saint-Nizier » ; la bannière de proces- sions portera d'un même côté « Saint-Nizier... principal pa- tron et Saint-Sixte... patron moins principal de l'église ». Outres les fontaines Saint-Germain de Garnat, Saint- Jean de Gannay, Sainte-Marie de La Chapelle, les ter- riers du moyen-âge, les actes des notaires et les appella- tions du cadastre indiquent : à Chevagnes, une « font Saint-Pry », située près des Rois ; à Saint-Martin-des- Lais, une « fontaine Sainte-Radegonde », sise à l'est du presbytère, devenu mairie-école ; à Thiel, une « font St- Pierre », entre la Forterre et Lagland, une « font Saint- Jean », près de Pontenat ; à Saint-Pourçain Malechère, une « font Saint-Poiircain », dont le ry allait confluer au '< Jarde ».. près de Beauregard.

L'examen des vocables permet de reconnaître trois zones de christianisation. La première, dédiée aux saints de la primitive église, saint Jean, saint Pierre, sainte Marie, fut sans doute la première évangélisée, peut-être par saint Austremoine débordant son diocèse d'Auver- gne pour diriger ses pas vers Nevers, ou par ses succes- seurs qui parcoururent aussi le pays entre Allier et Loire. Elle comprendrait la bordure ouest du canton, Thiel, Lu- signy, Chézy, La Chapelle, et même Gannay, précisément compris dans le patrimoine donné par Pépin le Bref à l'é- vêché de Clermont. La seconde, vouée plutôt aux saints français du vie siè- cle, saint Pourçain, saint Nizier. saint Priest, saint Di- dier, sainte Radegonde, porte la date mérovingienne, avec ici l'empreinte Lyonnaise, ailleurs une note auvergnate qu'explique la situation, aux confins de la Bourgogne et de l'Aquitaine, au débouché des voies de Lyon et de Clermont qui venaient, entre l'Acolin et l'Huzarde, se nouer à celles d'Autun, Bourges et Nevers. Cette zone va de Saint-Pourçain Malechère à Saint-Martin-des-Lais, par Chevagnes et Paray. La troisième est plus complexe, car on y trouve, avec saint Martin et saint Germain, les apôtres Gallo-romains, un martyr victime des envahisseurs barbares, saint Pri- vat, honoré aussi à Decize. Parcourue peut-être par saint Martin et saint Germain, elle semble avoir subi plus tard l'influence nivernaise ; traversée par un courant qui remonte la vallée de la Loire, se prolonge en celle de la Besbre, la région gardera durant des siècles des marques de sujétion au Nivernais.

Les formes anciennes des noms de Chézy, Lusigny, Thiel, indiquent des paroisses nées de villas gallo-ro- maines dont les maîtres ont pu s'appeler Cangius, Lisi- nius, Théodelius. A la fin du xviii,> siècle, avec leurs égli- ses accolées pour ainsi dire à des propriétés rurales, elles en conservaient encore le caractère. Gannay, Garnat, ont au contraire une note barbare qui daterait les agglomérations de l'époque mérovingienne. Pour l'envahisseur, « Wado », déformation évidente de vadum, gué, doit être le passage accessible, le gué, dont le souvenir reste aux lieux-dits : le « gué d'eau », « la passée ». Wald paraît une importation germaine, impliquant l'idée de garde, de protection, telle qu'on la trouve au sens ancien du mot garnison. Au pied du turail hérissé de buttes, Garnat est bien le poste avancé, le gardien, le protecteur, le « garnisaire », traduction libre du latin défensum : « Deffens ». Beaulon est probablement le portier, si, comme il sem- ble, la forme première de son nom fut « Bedelo » ; car le bas-latin bedellus — d'où sortira plus tard bedeau — signi- fie à l'origine huissier, portier, gardien de l'entrée, peut- être du port. Ne verra-t-on pas au moyen-âge, près du port de Lesme, un « champ du portier », un autre à Beau- Ion, à proximité du port de la Cornière et d'un quartier de « Baudille » qui pourrait indiquer la filiation, c'est-à- dire le passage de Bedello à Beaulon par Baudille. Bourgade importante déjà à la fin de l'époque gallo- romaine, mais païenne, Beaulon eut probablement, avant son église paroissiale, une chapelle de villa, Saint-Paul. Paray, dont le nom signifie perré, perron, établi au bord de la forêt, sur la berge de l'ancien cours de Loire, dut prendre le surnom de « fraeri » au xir siècle, après la fondation de Sept-Fons, qui jouissait d'une dîme à Paray. Chevagnes, la paroisse des « cabanes » doit remonter au temps où bucherons et charbonniers entamèrent la forêt pour y ouvrir des clairières. La Chapelle « aux Chats » fut sans doute la chapelle des chassieux et des aveugles, venus à la fontaine pour y laver dévotement leurs yeux afin de recouvrer la vue ; puis, au temps des rivalités entre conquérants ou féo- daux, la chapelle des guetteurs « catti », d'où l'on a tiré « chats ». Saint-Martin « des Lacs », des Gours, des Biez, est plus exactement le pays des « lais », terrains d'alluvions aban- La Grande Maison Charbonnier (Reconstitution par Marie Litaudon de la Maison du XVe siècle) L'auteur a vécu dans cette maison du bourg de Chevagnes.

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