ADMINISTRATION PUBLIQUE

LA RÉGIO DE BRUXELLES-CAPITALE CHROIQUE DE LA AISSACE D’UE RÉGIO À PART*

par

Joëlle SAUTOIS Chercheuse au Centre de droit public de l’Université libre de Bruxelles Avocate au barreau de Bruxelles

« Le statut de Bruxelles n’est pas le résultat d’un choix délibéré. Il ressemble en cela à celui de la Belgique en général : personne ne l’a voulu tel qu’il est, personne ne trouve qu’il représente une solution souhaitable »1.

INTRODUCTION GÉNÉRALE ...... 109

PREMIÈRE PARTIE – BRUXELLES AVANT LA PREMIÈRE RÉFORME DE L’ÉTAT ...... 111 Titre 1er – Bruxelles à la naissance du pays ...... 111 Titre 2 – Le Grand- Bruxelles pendant les deux guerres mondiales, ou le traumatisme ...... 113 Titre 3 – Les lois linguistiques ...... 114 Titre 4 – Première conclusion – Un territoire ...... 119

DEUXIÈME PARTIE – BRUXELLES ET LA PREMIÈRE RÉFORME DE L’ÉTAT (1970) ...... 120 Titre 1er – Les perspectives au 18 février 1970 ...... 120 Titre 2 – La virtuelle Région ...... 123 Titre 3 – Le substitut de l’Agglomération ...... 127 Titre 4 – Les Commissions de la culture ...... 134 Titre 5 – Deuxième conclusion – Des institutions et des attributions supracommunales ...... 136

TROISIÈME PARTIE – BRUXELLES JUSQU’À LA DEUXIÈME RÉFORME DE L’ÉTAT (1980) ...... 137 Titre 1er – Les lois de régionalisation « préparatoires » ...... 137 Titre 2 – L’échec du Pacte d’Egmont et de l’accord du Stuyvenberg...... 141 Titre 3 – La « mise au frigo » de 1980 ...... 143 Titre 4 – Troisième conclusion – Des institutions régionales préparatoires ou provisoires… durables ...... 145

QUATRIÈME PARTIE – LE TROMPE-L ’ŒIL DE LA TROISIÈME RÉFORME DE L’ÉTAT (1988-1989) ...... 146 Titre 1er – Le contexte de la réforme ...... 146 Titre 2 – Un territoire...... 147 Titre 3 – Des institutions ...... 148 Titre 4 – Des attributions ...... 151 Titre 5 – Quatrième conclusion – Un statut à part (entière) ...... 155

CONCLUSION GÉNÉRALE ...... 157

* Cet article correspond, à quelques corrections et adaptations près, au mémoire déposé par son auteur le 1er août 2013 en vue de l’obtention du certificat de formation à la recherche (directeur : Prof. Michel LEROY ; lecteur : Prof. Annemie SCHAUS). Il ne devrait être isolé par ses lecteurs de la thèse de doctorat que l’auteur a entamée début 2014 à la suite de la délivrance du certificat précité. Il n’en constitue en réalité qu’une première partie, introductive, rédigée sous réserve d’amélioration et d’appro- fondissement dans le cadre des travaux envisagés pour la thèse. 1 P. DELWIT et K. DESCHOUWER, « États généraux de Bruxelles – Les institutions bruxelloises », Studies, note de synthèse no 14 du 24 février 2009, p. 1.

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ITRODUCTIO GÉÉRALE 2. Le gouvernement bruxellois ignore- t-il donc le droit constitutionnel et les règles de répartition 1. Bruxelles est devenue, au fil de son histoire, des compétences, tant matérielles que territoriales, « un lieu politique complexe à raison de l’amon- qui gouvernent à ce jour les relations entre parte- cellement, sur son territoire, d’un ensemble d’au- naires de la Belgique fédérale ? torités publiques »2. Sur le plan des compétences territoriales d’abord, une première question a dû l’inquiéter. Encore faut-il s’entendre sur ce que signifient er « Bruxelles » et son « territoire ». En vertu de l’article 2, § 1 , de la loi spéciale du Un exemple récent suffit à apporter une éclai- 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxel- rante démonstration de la polysémie de ces termes. loises, le territoire de la Région centrale du pays À la fin du mois de mai 2013, les membres du est limité à l’arrondissement administratif de gouvernement de la Région de Bruxelles- Capitale, Bruxelles- Capitale, lequel, depuis 1963, n’excède sous l’impulsion du nouveau ministre- président, pas les frontières des dix- neuf communes. Grim- Rudi Vervoort, se rendent en séminaire à Ostende bergen, quoique très proche, n’en fait pas partie. pour débattre d’un certain nombre de questions Le parking C du Heysel se trouve sur le territoire essentielles et trancher les priorités à régler d’ici de la région de langue néerlandaise, et plus parti- la fin de la législature. culièrement dans le Brabant flamand. Or la Région Parmi les dossiers à traiter, revient la question de la de Bruxelles- Capitale ne peut exercer ses compé- tences sur le territoire de cette province, qui est localisation du futur stade national, en vue de l’Euro 6 2020. Cela fait des mois, sinon des années, que la incluse dans le territoire de la Région flamande . question agite le Landerneau politique bruxellois. 3. Sur le plan des compétences matérielles Enfin, une solution est proposée. Le stade sera ensuite, l’implantation et la gestion d’un stade installé sur le parking C du Heysel, sur un terrain national concernent différentes matières : l’amé- appartenant à la ville de Bruxelles. nagement du territoire, le sport, et éventuellement L’option retenue suscite les interrogations, et le la culture, si, par exemple, l’infrastructure est uti- débat s’anime, spécialement le 14 juin 2013, en lisée pour accueillir des grands spectacles, sans séance plénière du Parlement bruxellois. parler de l’emploi des langues. C’est que le choix du gouvernement « illustre En vertu des limites territoriales de sa compé- parfaitement une situation de grand écart, typique- tence, la Région de Bruxelles- Capitale n’est pas ment belge et bruxelloise, puisque le site se trouve habilitée à régler les questions urbanistiques et à quelques mètres de la Région de Bruxelles, en d’environnement que suscitera immanquablement Région flamande. Par ailleurs, il appartient au plus la construction du stade. C’est au droit de l’urba- grand propriétaire terrien de (la) Région, qui est la nisme et de l’environnement flamand que les ville de Bruxelles, de concert avec son CPAS »3. demandes de permis devront satisfaire. Pour mener à bien ce projet, la Région doit Quant au sport, il s’agit d’une compétence donc se concerter non seulement avec la ville de communautaire, et non régionale. Si le futur stade Bruxelles, mais également avec la commune de national était situé sur le territoire bruxellois, , la province du Brabant flamand et la la détermination de l’autorité compétente pour Région flamande4. régler la question ne serait pas évidente, dès lors Les interpellations fusent. qu’à Bruxelles les compétences communautaires L’attention du ministre-président est notam- obéissent à des règles d’une rare complexité. ment attirée sur les questions suivantes : En vertu de l’article 127 de la Constitution, en « Le nouveau stade se trouvera en Flandre. Que effet, les Communautés n’ont de compétence sur sera-t-il prévu pour assurer une gestion respectant le territoire bruxellois qu’à l’égard des institu- les intérêts bruxellois ? Comment sera-t-il tenu tions qui, en raison de leurs activités culturelles, compte des obligations en matière d’usage des relèvent exclusivement de la Communauté concer- langues ? (…) La Région flamande est unilingue, née. Or, le stade national est notamment destiné à je le rappelle »5. accueillir des manifestations sportives impliquant l’équipe nationale belge de football. Il s’agit là d’une activité qui n’est ni exclusivement franco- 2 F. DELPÉRÉE, F.-X. DUBOIS et C. FRÉMAULT- DE CRAYENCOUR, « La Région phone, ni exclusivement flamande. bruxelloise, son ressort et ses institutions », A.P.T., 1998/4, p. 258. 3 Interpellation du ministre-président par V. De Wolf, Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, C.R.I., séance plénière du vendredi 14 juin 2013, abords du stade seront uniquement en néerlandais. Le gouvernement bruxellois séance du matin, p. 71. en a- t-il tenu compte ? ». 4 Interpellation du ministre- président par A. Maes, ibidem, p. 33. 6 L’existence de la Région flamande est consacrée à l’article 3 de la Consti- 5 Interpellation du ministre- président par M. Nagy, ibidem, pp. 26-27. Voy. tution, mais elle s’est dissoute dès 1980 dans la Communauté flamande, dont les aussi l’interpellation du même jour de D. Lootens- Stael (p. 37) : « Ensuite institutions ont été chargées, en vertu de l’article 1er, § 1er, alinéa 2, de la loi spé- s’ajoute le problème de la législation linguistique. Toutes les indications aux ciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, d’exercer ses compétences.

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Lorsque le ministre-président répond aux inter- 5. La question du stade national est passion- pellations du 14 juin 2013 en indiquant que la nante en ce qu’elle révèle, en éprouvette, toutes Région n’est pas compétente en matière de sport, les ambiguïtés de la réforme de l’État en ce qui il expose, certes, que les Communautés française concerne Bruxelles. et flamande pourraient cofinancer le projet, mais Tout d’abord, il faut avoir égard à la ville de émet immédiatement un doute quant au fait qu’un Bruxelles, simple pouvoir local, mais qui, enraciné tel financement puisse être obtenu de leur part dans l’histoire, constitue la capitale du Royaume. pour la construction d’un stade national situé en La ville de Bruxelles fait partie de la Région et Région bruxelloise7. Il est, exact, en effet, que peut être le relais de certaines de ses initiatives. dès lors que le stade est national, cette matière ne Elle peut aussi la suppléer lorsque le paysage des relève ni des compétences des communautés, ni compétences atrophie les initiatives régionales. de celle de la Région de Bruxelles- Capitale, mais Elle peut, enfin, en termes de puissance et de visi- bien, à titre résiduaire, de l’autorité fédérale. bilité, se trouver en concurrence avec la Région. Cette dernière ne paraît pourtant pas se préoc- Ensuite, il se confirme que la Région de cuper du sport à Bruxelles, à tel point que cette Bruxelles-Capitale est manifestement à l’étroit dans matière semble en déshérence sur le territoire ses limites territoriales et que le champ de ses activi- bruxellois. L’autorité fédérale aurait pourtant un tés et préoccupations l’amène à devoir s’étendre au- rôle à jouer, dès lors que le projet de construction delà des dix-neuf communes qui lui sont assignées. d’un stade national permettrait normalement de Enfin, et là est l’essentiel, la Région de favoriser et de promouvoir le rôle international de Bruxelles-Capitale est constamment bridée ou à Bruxelles. Or, par son article 43, la loi spéciale tout le moins entravée, dans la mise en œuvre de du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxel- politiques cohérentes tant en raison de l’exiguïté loises permet à la Région de Bruxelles- Capitale et de son territoire que par l’éclatement des compé- à l’autorité fédérale de prendre des initiatives en tences à l’intérieur, voire à l’extérieur, de celui- ci. commun dans cette perspective, à charge du bud- 6. Pour cet exemple, comme pour bien d’autres get fédéral8. encore, « Bruxelles », cette « métaphore de la Le même raisonnement conduit à écarter toute complexité belge »9 ce « point d’intersection du compétence régionale en matière culturelle. fédéralisme belge »10, attise la curiosité du publi- 4. Le constat est, à première vue, saisissant. La ciste, à défaut de susciter l’intérêt du citoyen. Région de Bruxelles-Capitale ne dispose a priori Elle est obligatoirement « au cœur de toute d’aucun titre – et encore moins des finances – réflexion institutionnelle sur la Belgique »11, ce pour engager et développer intégralement seule le pays dans lequel « beaucoup de solutions provi- projet de stade national évoqué à Ostende, alors soires deviennent définitives et (où) des compro- pourtant qu’elle abrite la capitale du pays et est mis obtenus souvent à l’arraché se transforment amenée à entretenir son image internationale. après sédimentation en terres volcaniques… »12. Sont en réalité concernés, la ville de Bruxelles C’est la raison pour laquelle le présent mémoire – voire son CPAS – en qualité de propriétaire lui est consacré. privé – la zone concernée étant sa propriété, mais Et comme, pour comprendre un fait d’actualité ne faisant pas partie de son territoire –, la Région tel que celui qui vient d’être relaté s’agissant du flamande, compétente pour délivrer les permis d’ur- futur stade national, il est souvent utile de le repla- banisme et d’environnement, voire l’autorité fédé- cer dans un contexte historique, c’est dans cette rale pour les parties du site qui seraient malgré tout perspective que son auteur l’a conçu. incluses sur le territoire bruxellois et qui sont desti- Ce travail se donne donc pour unique vocation de nées à accueillir des activités culturelles et sportives. dresser une chronique de la naissance de la Région À défaut d’une telle emprise territoriale, et faute de Bruxelles-Capitale, depuis la veille de la première d’une exception parmi les règles de répartition de réforme de l’État jusqu’à la troisième réforme, en ce compétences, à l’instar de ce qui fut fait pour l’aé- compris l’adoption de la loi spéciale du 12 janvier roport de Bruxelles- National, l’interlocuteur pre- 1989 relative aux institutions bruxelloises. mier en ce domaine est la Communauté flamande… 9 M. UYTTENDAELE, « Bruxelles, capitale de l’altérité », Pouvoirs, no 136, « La Belgique », janvier 2011, p. 137. 7 Intervention du ministre- président, Parlement de la Région de Bruxelles- 10 M. REUCHAMPS, « La parité linguistique au sein des “gouvernements” Capitale, C.R.I., séance plénière du vendredi 14 juin 2013, séance de l’après- bruxellois », Rev. dr. ULg., 2008, livr. 2, p. 183. midi, p. 28. 11 F. DELPÉRÉE, F.- X. DUBOIS et C. FRÉMAULT-DE CRAYENCOUR, op. cit., 8 L’accord de coopération du 15 septembre 1993 (M.B., 30 novembre 1993), p. 257. conclu entre l’État fédéral et la Région de Bruxelles- Capitale, et relatif à cer- 12 M.- Fr. RIGAUX, « Annales bruxelloises (décembre 1970-janvier 1989) », taines initiatives destinées à promouvoir le rôle international et la fonction de in R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.-F. RIGAUX, capitale de Bruxelles, consacrait d’ailleurs une disposition au financement du H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région de Bruxelles- Capitale, Bruxelles, stade du Heysel, qualifié de stade national. Bruylant, 1989, p. 20.

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Le tableau est, à ce stade, purement clinique. communale formant un pentagone18, au centre de Autrement dit, il ne s’agit pas de procéder à une la province de Brabant. lecture déjà trop critique de l’histoire des insti- Elle cherche, depuis déjà plusieurs décennies, tutions régionales bruxelloises, cette œuvre étant à annexer ses huit anciens faubourgs médiévaux, projetée dans le cadre de travaux ultérieurs, liés à dont elle a été séparée en 1795, dans la foulée de la thèse de doctorat de l’auteur. la Révolution française19. Ceux- ci seront l’occasion de se pencher davan- Ce sont donc l’histoire et la géographie qui, de tage sur les questions de financement, en sorte fait, regroupent quelques communes autour d’une que, pour l’instant, seront laissées de côté les plus grande ville du cœur de la Belgique, lorsque quelques dispositions de la loi du 12 janvier 1989, celle- ci devient indépendante. précitée, qui sont consacrées au statut financier de Seule la ville de Bruxelles – et non les com- la Région de Bruxelles-Capitale 13, de même que la munes qui l’avoisinent – est toutefois honorée du loi spéciale de financement du 16 janvier 198914. titre de capitale du nouveau royaume indépendant, Il ne s’agit pas non plus, sous réserve de quelques en récompense pour l’attitude de ses habitants traits esquissés, de prétendre décrire toutes les pendant la Révolution20 : l’article 126 de la Consti- dimensions du débat qui a pu accompagner l’his- tution21, datant de 1831, prévoit qu’elle est la capi- toire des institutions bruxelloises, « où la passion tale de la Belgique et le siège du gouvernement. et la science, le rêve et le réalisme, l’idéologie et la Pour le surplus, Bruxelles n’est gratifiée à raison se mêlent ou croisent parfois le fer »15. l’époque d’aucun statut particulier qui la distingue Tout au plus sera- t-il tenté d’expliquer le des autres villes du pays22. silence observé par le législateur spécial pendant 8. L’élargissement de la ville de Bruxelles fait près de vingt ans, jusqu’à l’adoption de la loi spé- l’objet de nombreux projets politiques dès l’indé- ciale du 12 janvier 1989 et de répondre, peut- être, pendance de la Belgique23, le leitmotiv étant à tout aux questions que posait F. Delpérée à cette même le moins le retour aux frontières médiévales24, au époque : point de causer des bras de fer tendus entre les « Ce silence a- t-il été absolu ? Des solutions ne autorités de la ville et le gouvernement national25. se dessinent-elles pas, de manière imperceptible, Ces projets ne se restreindront pas éternelle- sur quelques dossiers qui sont au cœur du dossier ment aux seuls faubourgs historiques de la ville, ni bruxellois : quel territoire ? quelles attributions ? aux communes qui formeront ensuite avec elle les quelles institutions ? »16. « dix- neuf communes », mais se fonderont sur une En d’autres termes, est- il permis d’affirmer vision plus large de l’espace bruxellois26, jusqu’à que la concrétisation de la Région de Bruxelles- Capitale, en 1989, repose sur des règles « dont la 18 Cette forme correspond au tracé de la seconde enceinte de la ville, construite au XIVe siècle. Voy. G. DES MAREZ, Guide illustré de Bruxelles nouveauté ne s’inscrit jamais totalement en rup- , Bruxelles, Touring Club Royal de Belgique, 17 – Monuments civils et religieux ture avec le passé » ? 1979, p. 328. 19 Les huit villages de Saint- Josse- ten- Noode, Schaerbeek, Ixelles, Saint- Gilles, Forest, Anderlecht, Laeken et Molenbeek étaient, jusqu’en 1795, assu- jettis à l’autorité de la ville de Bruxelles, avec laquelle ils formaient une entité PREMIÈRE PARTIE – BRUXELLES AVAT LA économique, politique et juridique (R. DE GROOF, « De kwestie Groot-Brussel en PREMIÈRE RÉFORME DE L’ÉTAT de politieke metropolisering van de hoofdstad (1830-1940) – Een analyse van de besluitvorming en de politiek-institutionele aspecten van de voorstellen tot here- niging, annexatie, fusie, federatie en districtvorming van Brussel en zijn voorste- den », in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT, P. VANDERNOOT et R. DE GROOF (réd.), T ITRE 1ER – BRUXELLES À LA NAISSANCE DU PAYS De Brusselse negentien gemeenten en het Brussels model / Les 19 communes bruxelloises et le modèle bruxellois, Bruxelles, De Boeck et Larcier, 2003, p. 14). er 20 Chapitre 1 – Une capitale et ses faubourgs Th. BOMBOIS, « Article 194 », in M. VERDUSSEN, La Constitution belge – Lignes & Entrelignes, Bruxelles, Le Cri Éditions, p. 441. Voy aussi M. VAN 7. Le mot « Bruxelles » n’a pas toujours été DER HULST, « Brussel als hoofdstad van de federale staat en van de Vlaamse Gemeenschap », in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT et R. ERGEC (réd.), Het polysémique. statuut van Brussel / Bruxelles et son statut, op. cit., p. 629, et les références à À la naissance du pays, Bruxelles est simple- HUYTENS et THONISSEN citées, ainsi que M.- Fr. RIGAUX, op. cit., p. 17. 21 Devenu l’article 194 lors de la coordination de la Constitution le 17 février 1994. ment une ville originellement flamande, une entité 22 R. DE GROOF, op. cit., p. 17. 23 Ibidem, p. 7. Voy. aussi, pour un relevé d’initiatives prises entre 1853 et 1922, l’exposé des motifs du premier projet de loi sur les agglomérations et les 13 Pour quelques premiers constats à propos du financement de Bruxelles, fédérations de communes déposé après la révision constitutionnelle de 1970, voy. Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 868/1, pp. 4-5. Ou encore Doc. parl., Ch., belge », in A. LETON (coord. et dir.), La Belgique : un État fédéral en évolution, sess. 1970-1971, no 973/1, pp. 7-8. Bruxelles, Bruylant, Paris, L.G.D.J., 2001, pp. 241-242. 24 R. DE GROOF, op. cit., p. 17. 14 M.B., 17 janvier 1989. 25 Ibidem, p. 18. 15 M.- Fr. RIGAUX, op. cit., p. 41. 26 R. DE GROOF, op. cit., p. 11. Voy. aussi A. DELCAMP, Les institutions 16 F. DELPÉRÉE, « Introduction », in R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉ- de Bruxelles – De la commune à l’agglomération, de la Région-Capitale à RÉE, F. JONGEN, M.- F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région de l’État fédéré, Bruxelles, Bruylant, 1993, pp. 9-36, spéc. p. 27, où l’auteur Bruxelles- Capitale, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 13. met en évidence l’étendue de l’agglomération bruxelloise proprement dite, au 17 M.- Fr. RIGAUX, op. cit., p. 49. sens de « zone urbanisée de manière continue », laquelle englobe des parties

111 ADMINISTRATION PUBLIQUE structurer les réflexions actuelles sur la notion tatif est créé en 1874. C’est la « Conférence des d’hinterland socioéconomique de Bruxelles27. bourgmestres de l’agglomération », qui se réunit Il faut également reconnaître que la référence encore toujours actuellement. faite par l’article 126 de la Constitution28 à la seule Sont d’abord invités les bourgmestres de commune de Bruxelles comme siège des institu- Schaerbeek, Ixelles, Molenbeek-Saint- Jean, tions nationales, fait rapidement l’objet d’interpré- Saint- Gilles, Anderlecht, Saint- Josse et Etterbeek, tations extensives, « bien au- delà de la lettre du aux fins d’évoquer la fréquentation de l’athénée texte constitutionnel »29 : de nombreuses institu- royal de Bruxelles par tous les enfants de l’ag- tions gouvernementales sont établies en dehors du glomération bruxelloise. Aux huit bourgmestres territoire de la ville de Bruxelles stricto sensu. s’ajouteront par la suite ceux de Laeken34, Uccle, Dans la déclaration publiée au Moniteur belge Watermael- Boitsfort, Forest, Jette, Koekelberg, du 17 avril 1965, cette disposition constitutionnelle Woluwe- Saint- Lambert, Auderghem, Woluwe- sera déclarée ouverte à révision, aux fins d’en pré- Saint-Pierre, Evere, Berchem-Sainte- Agathe et ciser le sens, « d’une part pour faire apparaître clai- Ganshoren35. rement que les services gouvernementaux peuvent « La Conférence des bourgmestres rassemble tout aussi bien être établis dans d’autres communes donc les bourgmestres des dix-neuf communes de l’agglomération bruxelloise que la commune de de l’agglomération bruxelloise dans le but de Bruxelles elle-même, d’autre part, pour préciser sur mettre en commun leur expérience, d’exposer certains points le statut de Bruxelles elle- même »30. les problèmes rencontrés dans leurs communes Reprise dans la déclaration du 1er mars 196831, et de trouver ensemble une solution, au profit de la révision ne sera finalement pas concrétisée sur la population de l’ensemble de l’agglomération ce point, au motif officiel que l’extension du rôle bruxelloise. Il s’agit d’une institution bruxelloise de capitale à d’autres communes aurait « provo- ne possédant pas d’existence légale, mais recon- qué des rivalités et imposé des choix difficiles »32. nue comme interlocuteur privilégié par les autori- Le siège du gouvernement belge demeure donc, sur tés36. Elle n’a aucun pouvoir légal ou décisionnel : le papier, et depuis 1831, la seule ville de Bruxelles, ses membres expriment leur opinion lors des réu- laquelle cherche à étendre son assise territoriale. nions, sans jamais voter. Les conclusions des réu- nions ne forment pas des résolutions auxquelles les membres doivent impérativement obéir, au Chapitre 2 – Une structuration informelle – La 37 Conférence des bourgmestres contraire, ce sont des avis ou des suggestions » . 9. Ne parvenant qu’à engranger de partielles Chapitre 3 – Les germes du problème commu- annexions33, la ville adopte, à partir de 1854, une nouvelle stratégie : abandonnant l’idée d’une réu- nautaire nification, elle table désormais sur l’instauration 10. Dès le XIXe siècle, donc, est opérée la struc- d’une fédération de communes. turation, certes informelle, d’une agglomération Les premières intercommunales sont ainsi autour de la ville de Bruxelles. Elle semble cor- créées, qui amorcent et annoncent une rationalisa- respondre à une vision naturelle de ce que repré- tion des services de l’agglomération. sente cette zone. Sur cette base, elle regroupe seize Une autre structure politique voit également le jour. communes avant la Première Guerre mondiale. Sous la houlette du bourgmestre Jules- Victor Les trois communes de Berchem- Sainte- Agathe, Anspach, en effet, un organe informel et consul- Evere et Ganshoren la rejoindront en 1933. La zone qui entoure ainsi la capitale du pays importantes de vingt- neuf communes de l’arrondissement de Hal- Vilvorde, attise tout à la fois hostilité et convoitise, senti- , et trois communes de l’arrondissement de Nivelles, dont Waterloo ments contrastés que partagent tant les Flamands et Braine- l’Alleud. que les Wallons. 27 Voy. à ce propos, Bruxelles et son hinterland socio- économique, actes du colloque organisé le 18 juin 2008 par le Conseil économique et social de la Région de Bruxelles- Capitale, disponible sur le site http://www.briobrussel.be (dernière consultation le 5 juillet 2013). 34 Commune intégrée à la ville de Bruxelles en 1921, avec Haren et Neder- 28 Devenu, pour rappel, l’article 194. over- Heembeek. Voy. la note précédente. 29 F. DELPÉRÉE, F.- X. DUBOIS et C. FRÉMAULT-DE CRAYENCOUR, op. cit., 35 Les trois dernières communes citées participent à la Conférence des p. 261. bourgmestres à partir de 1933. 30 Doc. parl., Ch., sess. 1964-1965, no 993/1, p. 23. 36 Voy. d’ailleurs les propos du ministre de l’Intérieur au moment de l’élabo- 31 Doc. parl., sess. extr. 1968, no 10-1/1, p. 26. ration de la loi portant organisation des agglomérations et fédérations de com- 32 P. WIGNY, La troisième révision de la Constitution, Bruxelles, Bruylant, munes, au début des années 1970 (projet de loi organisant les agglomérations et 1972, p. 212. Voy. aussi X. MABILLE, « Les projets de statut pour Bruxelles », les fédérations de communes, rapport fait au nom de la commission spéciale par in X, Le problème de Bruxelles depuis Val- Duchesse (1963), actes du colloque MM. Deruelles et VerroKEN, Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/20, p. 23). VUB-CRISP des 20 et 21 octobre 1988, t. 2, Bruxelles, VUB Press, 1989, p. 78. 37 V. COUMANS, « Archives de la Conférence des bourgmestres », note disponible sur 33 Du bois de la Cambre, annexé en 1864, à l’absorption de Laeken, Neder- http://www.bruxelles.be/dwnld/86620712/conf%5Fbourg%2D2011%2DV1%2Epdf over- Heembeek et Haren en 1921 (voy. R. DE GROOF, op. cit., p. 35). (dernière consultation le 5 juillet 2013), p. 1.

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Tous y voient le lieu d’influence, celui que les qui prêchent la soumission » – aux Flamands – effets de la centralisation privilégient, où il est bon « au nom de la fraternité »43. de mener sa carrière lorsqu’on en a les moyens. En réalité, « les trois composantes du problème S’y côtoient davantage les gouvernants, les fonc- “communautaire” (sont) présentes en germe dans tionnaires et autres élites, que les agriculteurs du les années qui précèdent immédiatement la Pre- nord ou les ouvriers du sud. « Tandis qu’elles mière Guerre mondiale : un mouvement flamand fournissent à la capitale un appoint constant de combatif, les débuts d’un courant wallon fédéra- sang nouveau, les deux régions du pays subissent liste et la région de Bruxelles, source de nombreux l’influence de la région bruxelloise. Elles perdent problèmes ultérieurs »44. constamment à son profit des éléments actifs et « Des origines à nos jours, les problèmes com- elles sont en quelque sorte vidées de leur subs- munautaires se résument, en effet, toujours au tance par l’absorption bruxelloise. Cette situation même schéma : l’opposition entre deux peuples doit être considérée comme très grave et pourrait, de langue et de culture différentes, aux évolutions à elle seule, permettre de condamner les excès de économiques souvent divergentes, et la lutte pour la centralisation bruxelloise »38. une grande ville, située dans la partie flamande C’est en effet la capitale, qui monopolise la du pays, mais dont la population, dans sa grande direction de la vie économique39, le carrefour où majorité, est aujourd’hui francophone »45. se rencontrent Flamands et Wallons, mais où les premiers doivent, s’ils veulent y évoluer et s’y T ITRE 2 – LE GRAND-B RUXELLES PENDANT LES DEUX faire comprendre, se plier à l’usage du français GUERRES MONDIALES, OU LE TRAUMATISME dans les hautes sphères, tandis que les seconds abandonnent volontiers leur patois wallon éventuel Chapitre 1er – La Flamenpolitik pour une langue qu’ils maîtrisent au demeurant. Bruxelles est le lieu où le français domine et où 11. Alors que, jusqu’à la Première Guerre mon- la discrimination linguistique envers les Flamands diale, le concept de « Grand-Bruxelles » caracté- va bon train. rise la formation d’une agglomération urbaine, Largement francisée, certes, Bruxelles n’est « l’extension somme toute naturelle de la ville de pourtant pas considérée comme comprise dans la Bruxelles vers ses faubourgs », il prend une autre connotation et devient « antipathique » en raison notion de « Wallonie » qui commence à être utili- 46 sée en réaction à l’éveil du mouvement flamand40. des initiatives de l’occupant . La vision qu’elle suscite au sud du pays est traduite Pendant la guerre de 1914-1918, en effet, les Alle- dans l’un des premiers slogans du mouvement mands divisent pour régner en appliquant une Fla- wallon en 1897 : « La Wallonie aux Wallons, la menpolitik : « pour flatter le mouvement flamand, Flandre aux Flamands et Bruxelles aux Belges ! »41. le gouverneur von Bissing (ouvre) une université Les Belges en question, ce sont les titulaires flamande à Gand, en 1916 et, peu de temps après, d’emplois publics ou les hommes politiques, ainsi (procède) à la séparation administrative du pays en le divisant en deux régions : la Flandre (dotée d’un que les habitants de la capitale, ces « métis », par- 47, 48 lant un « jargon innommable »42, ces « endormis “Raad van Vlaanderen”) et la Wallonie » . À Bruxelles, s’il est vrai qu’ils ne touchent pas aux institutions communales des seize com- 38 Rapport final du Centre Harmel, du nom du « Centre de recherche pour la solution nationale des problèmes sociaux, politiques et juridiques en régions wallonnes et flamandes », créé par une loi du 3 mai 1948, Doc. parl., Ch., sess. « Lettre au roi Albert Ier », 1912, disponible en version intégrale sur le site http:// 1957-1958, no 940, p. 77. www.histoire- des- belges.be, dernière consultation le 16 juillet 2013). 39 Ibidem, p. 208. 43 F. PERIN, op. cit., p. 114, citant un discours de Jules Destrée. Les Bruxel- 40 Voy. ci-dessous, le titre 3, relatif aux lois linguistiques et, notamment lois ne seront plus, dans ce discours, les Belges de l’ancien slogan, puisque, E. WITTE et J. CRAEYBECKX, La Belgique politique de 1830 à nos jours, selon les termes bien connus utilisés par Jules Destrée dans sa lettre à Albert Ier Bruxelles, éd. Labor, 1987, pp. 135-141, pour une évocation du flamingan- (voy. note précédente), le Roi règne sur deux peuples : « Il y a en Belgique des tisme culturel. Wallons et des Flamands, il n’y a pas de Belges ». 41 Cité par F. PERIN, Histoire d’une nation introuvable, Bruxelles, éd. Paul 44 E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 141. Legrain, 1988, p. 103. 45 A. MÉAN, La Belgique de papa – 1970 : le commencement de la fin, 42 « Une seconde espèce de Belges s’est formée dans le pays, et principa- Bruxelles, Pol- His, 1989, p. 20. lement à Bruxelles. Mais elle est vraiment peu intéressante. Elle semble avoir 46 Ch. KESTELOOT, « Le Grand-Bruxelles et les après-guerres », in E. WITTE, additionné les défauts de deux races, en perdant leurs qualités. Elle a pour moyen A. ALEN, H. DUMONT, P. VANDERNOOT et R. DE GROOF, De Brusselse negentien d’expression, un jargon innommable dont les familles Beulemans et Kakebroek gemeenten en het Brussels model / Les dix- neuf communes bruxelloises et le ont popularisé la drôlerie imprévue. Elle est ignorante et sceptique. Elle a pour modèle bruxellois, Bruxelles, De Boeck et Larcier, 2003, p. 84. idéal un confortable médiocre. Elle ne croit à rien, est incapable de générosité 47 A. MÉAN, op. cit., p. 38. Voy. aussi E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., ou d’enthousiasme, soupçonne toujours chez autrui le mobile bas et intéressé, 1987, p. 146, ou encore M. LEROY, De la Belgique unitaire à l’État fédéral, abaisse par la “zwanze” toute idée qui la dépasse. Certains laudateurs de cette Bruxelles, Bruylant, 1996, pp. 15-19. platitude en ont voulu faire une vertu : le “middelmatisme”, mot aussi laid que 48 Il faut « tuer définitivement le mythe belge selon lequel le mouvement l’état d’esprit signifié. Le patriotisme de ces “middelmates” est nul, ils accepte- flamand est une création maléfique de l’occupant allemand de 1914-1918 raient bénévolement toute domination qui ne dérangerait point leurs aises coutu- dans l’intention de détruire la Belgique. Les Allemands ne créèrent rien, mais mières. Cette population de la capitale, dont quelques échantillons épars existent ils utilisèrent un mouvement, né plus d’un demi- siècle avant leur arrivée ! » en province, n’est point un peuple : c’est un agglomérat de métis » (J. DESTRÉE, (F. PERIN, op. cit., p. 96). Voy. aussi, ibidem, pp. 121 et s.

113 ADMINISTRATION PUBLIQUE munes concernées49, ils décident de ne plus traiter comme de toute revendication tendant à faire res- qu’avec le bourgmestre de la ville de Bruxelles, à pecter la législation linguistique54. « Le souvenir charge pour lui de centraliser toutes les correspon- négatif du “Grand-Bruxelles” (…) leur permet de dances émanant des autres communes. faire l’amalgame entre l’occupant nazi et le mou- vement flamand et d’utiliser ce spectre chaque fois Chapitre 2 – La fusion forcée que le statut de Bruxelles est abordé »55. 12. La Seconde Guerre mondiale constitue à 13. Dans le grand débat relatif aux projets de nouveau l’occasion pour l’occupant d’instaurer fusions qui animera les années 1950 et 1960, la un « Grand- Bruxelles », de manière plus dras- question des grandes agglomérations sera toute- tique que précédemment. Le 27 septembre 1942, fois à nouveau posée, le sort de Bruxelles y étant en effet, les dix-huit communes avoisinantes sont discuté au même titre que celui des quatre autres grandes agglomérations du pays, à savoir Anvers, supprimées et incorporées au territoire et à l’admi- 56 nistration de la ville de Bruxelles, aux mains d’un Gand, Liège et Charleroi . nouveau collège des bourgmestre et échevins. En dépit de cette volonté d’uniformité, plusieurs Celui- ci est favorable à l’occupant et à l’ordre paramètres contribueront à faire de la situation nouveau, mais également préoccupé par la volonté bruxelloise un cas à part. Il en ira particulièrement de « flamandiser » Bruxelles50, ou à tout le moins, ainsi du statut linguistique de cette agglomération, selon la position officielle, de faire appliquer stric- qui abrite en outre la capitale du pays. tement la législation sur l’emploi des langues au 51 sein de l’administration et dans l’enseignement . T ITRE 3 – LES LOIS LINGUISTIQUES À la libération, en septembre 1944, un comité Chapitre 1er – Le contexte provisoire de l’agglomération bruxelloise est ins- tallé aux fins d’organiser la défusion des com- 14. De 1945 au début des années 1960, des munes. Ce comité demeurera en place jusque fin opinions publiques divergentes se cristallisent mai 1945. Il y sera décidé de restituer aux com- en Flandre et en Wallonie, autour de trois grands débats : la poursuite de ceux qui ont collaboré avec munes leurs prérogatives d’origine, « à l’excep- les Allemands, la question royale et la guerre sco- tion de celles formellement réservées par le comité laire des années 1950. En outre, la « grève spec- provisoire », parmi lesquelles les compétences de taculaire »57 de 1960-1961, contre la loi unique, police et l’aide sociale, dans une pure dynamique suivie en Wallonie, mais peu en Flandre, met en de gestion technique52, sans que même la Confé- évidence l’inversion des rapports de force écono- rence des bourgmestres ne retrouve le souffle poli- miques entre les régions. tique nécessaire pour fonder le moindre projet de « Le pacte scolaire de 1958 débouche sur une refonte de l’institution communale53. pacification idéologique, tandis que la croissance économique des sixties atténue les antagonismes L’expérience est, il est vrai, vécue comme un de classe. Les tensions communautaires peuvent traumatisme, qui étouffera le mouvement flamand alors dominer l’agenda politique »58. jusqu’au milieu des années 1950. Elle fait office Les conclusions du Centre Harmel59 sont désor- de contre- modèle, propice à la manipulation. mais publiées et prônent notamment la réalisation En effet, l’association d’idées entre le « Grand- de l’autonomie culturelle et de la décentralisation Bruxelles » et l’ennemi aura pour effet pervers de économique, l’organisation des pouvoirs adminis- légitimer le rejet subséquent, par les francophones, tratifs devant être adaptée à la réalisation de ce but. et notamment par le FDF des années 1960, de toute Les membres de la section culturelle du Centre expliquent qu’au sein de la nation belge il existe tentative de rationalisation du territoire bruxellois, deux communautés culturelles, la communauté wallonne et la communauté flamande. L’agglomé- 49 Il s’agit d’Anderlecht, Auderghem, Bruxelles, Etterbeek, Forest, Ixelles, Jette, Koekelberg, Laeken – non encore intégrée à la ville de Bruxelles –, Molenbeek, Saint-Gilles, Saint-Josse, Schaerbeek, Uccle, Watermael-Boitsfort 54 Ibidem, p. 81. et Woluwe- Saint- Lambert. Woluwe- Saint- Pierre n’a pas encore, à ce moment, 55 Ibidem, p. 103. rejoint la Conférence des bourgmestres (ce sera le cas en 1929). Berchem- 56 À ce propos, voy. infra, deuxième partie, titre 3. Sainte- Agathe, Evere et Ganshoren s’ajouteront en 1933. 57 E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 261. 50 N. WOUTERS, « Groot-Brussel tijdens WO II (1940-1944) », in E. WITTE, 58 P. WYNANTS, « Origines, caractères et évaporation du fédéralisme en A. ALEN, H. DUMONT, P. VANDERNOOT et R. DE GROOF (réd.), De Brusselse Belgique », Liber Amicorum Jean- Pierre de Bandt, Bruxelles, Bruylant, 2004, negentien gemeenten en het Brussels model / Les 19 communes bruxelloises et p. 1011. le modèle bruxellois, op. cit., p. 69. 59 Voy. supra, note 38. Dans son rapport final, déposé le 24 avril 1958, 51 Ibidem, p. 75. À propos des lois sur l’emploi des langues, voy. infra, titre 3. « le centre préconisa plusieurs réformes qui apparaissent comme une timide 52 Ch. KESTELOOT, op. cit., p. 99 et p. 102. préfiguration des mutations que l’État belge allait connaître à partir de 1970 » 53 Ibidem, p. 103. (M. LEROY, op. cit., p. 32).

114 ADMINISTRATION PUBLIQUE ration bruxelloise ne forme pas, comme telle, une fication »67, tracent donc l’évolution de la capitale communauté culturelle : « en réalité, Bruxelles comme de toute la nation. et ses faubourgs appartiennent à la fois à la com- 16. De manière générale, dans tout le pays, la munauté wallonne et à la communauté flamande, majorité flamande doit lutter longuement pour dont ils constituent le bien commun »60. Ce n’est asseoir ses droits économiques, sociaux et linguis- d’ailleurs pas à un détriplement des ministères de tiques. l’Éducation nationale et de la culture que la popu- Numériquement majoritaires, les Flamands lation belge assistera quelques années plus tard, en revêtent, longtemps, et paradoxalement, les traits 1969, mais à un dédoublement61. d’une « minorité nationale » largement méprisée par En revanche, en matière économique et sociale, l’élite francophone, à tous points de vue, y compris les conclusions du Centre reposent sur la création s’agissant de sa langue, par ailleurs non homogène68. de trois conseils consultatifs, l’un wallon, l’autre Mais l’histoire de Belgique est notamment celle flamand et le troisième, bruxellois62. de « la progressive affirmation d’une Flandre Y est aussi – largement – à l’honneur la ques- démographiquement majoritaire, économiquement tion linguistique63. et socialement en retard, linguistiquement brimée 15. À Bruxelles, la situation est, de ce point de et qui peu à peu prendra, de la fin du XIXe siècle vue, bigarrée : à la fin du XXe siècle une place prépondérante « Si l’agglomération bruxelloise est, en majeure dans le pays, et exigera une autonomie correspon- partie, d’expression française, l’origine de bon dante »69. nombre de ses habitants francophones et le bilin- guisme qu’ils pratiquent, comme aussi la présence Chapitre 2 – L’article 30 de la Constitution et les d’une importante minorité de langue néerlandaise, premières lois linguistiques confèrent à la capitale un caractère hybride qui ne la qualifie pas pour jouer un rôle directeur dans le déve- 17. Juridiquement, l’histoire de la lutte du loppement de la culture française de la Wallonie. mouvement flamand pour la défense de sa culture (…). est d’abord illustrée par la liberté linguistique ins- D’autre part, la présence à Bruxelles d’une majo- crite dans la Constitution et les diverses législa- rité de francophones et la tendance qui s’y mani- tions linguistiques. feste de résorber aussitôt que possible les habitants Consacrant dès le départ la naissance d’un État d’expression néerlandaise dans un bilinguisme composé de plusieurs communautés linguistiques, hybride ou même dans un unilinguisme français la Constitution belge ne confère pourtant aucun font que la capitale n’est pas qualifiée actuellement droit collectif au profit de celles- ci. Elle garantit pour jouer un rôle directeur dans le développement en revanche des droits fondamentaux individuels de la culture néerlandaise de la Flandre »64. à portée universelle, qui peuvent donc être exercés La prégnance du français dans la capitale n’est collectivement s’il échet. guère surprenante. Aux côtés du droit à l’égalité et à la non- Comme on le sait, en effet, le français est his- discrimination et du droit à l’épanouissement toriquement la langue d’une minorité bourgeoise culturel, on trouve ainsi, surtout, la liberté de francophone aux mains de qui se trouve le pou- l’emploi des langues consacrée dès 1831 par voir politique65 et, jusqu’en 189866, il sera la seule l’article 30 : « L’emploi des langues usitées en langue officielle du pays. Belgique est facultatif ; il ne peut être réglé que Les querelles linguistiques en Belgique, « élé- par la loi, et seulement pour les actes de l’autorité ment central du modèle belge de conflit et de paci- publique et pour les affaires judiciaires ». C’est toutefois « peu dire que cette disposition 60 Rapport final du Centre Harmel, Doc. parl., Ch., sess. 1957-1958, no 940, ne traduisait pas la volonté d’assurer une position p. 344. équivalente au français et au néerlandais dans 61 Arrêté royal du 25 septembre 1969 portant dédoublement du ministère de l’Éducation nationale et de la Culture, M.B., 30 septembre 1969. l’État ». Il fallait plutôt y voir « le souci de garan- 62 Rapport final du Centre Harmel, op. cit., p. 304. tir la liberté et l’égalité linguistiques dans les rela- 63 Voy., au sein du rapport final, les rapports des sections politique et cultu- tions personnelles tout en réservant le français à relle, pp. 212 et s. 64 Rapport final du Centre HARMEL, op. cit., p. 345. 65 Voy. F. PERIN, op. cit., p. 92 : « L’unité du royaume fut également scellée par l’usage officiel de la langue française pratiquée par une bourgeoisie homo- 67 E. WITTE, « La question linguistique en Belgique dans une perspective gène, qui avait adopté cette langue depuis des générations. La Révolution et historique », Pouvoirs, no 136, « La Belgique », janvier 2011, p. 37. l’Empire n’avaient fait qu’accentuer un fait largement accompli ». 68 Sur le fait que, de leur côté, « les Wallons estimaient avoir un droit 66 Année d’adoption de la loi du 18 avril 1898 relative à l’emploi de la inaliénable de ne connaître que le français sans que cela entrave leur carrière langue flamande dans les publications officielles, dite « loi d’égalité » ou loi administrative ni les empêche de revendiquer un contingent équivalent dans « Coremans- De Vriendt », publiée au Moniteur belge le 15 mai 1898, et dont la fonction publique », voy. E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., pp. 140-141. l’article 1er prévoit que « les lois sont votées, sanctionnées, promulguées et 69 A. MOLITOR, « La première phase des nouvelles réformes », A.P.T., 1988, publiées en langue française et en langue flamande ». p. 269.

115 ADMINISTRATION PUBLIQUE

la sphère publique, en réaction à la politique des Chapitre 3 – Les lois linguistiques de 1921 et 1932 Hollandais »70. 19. La première série de lois linguistiques En outre, l’article 30 a été interprété comme obtenue à la fin du XIXe siècle a simplement pour pouvant bénéficier également aux fonctionnaires vocation de faire reconnaître le néerlandais à publics, et non exclusivement aux particuliers, ce côté du français dans les domaines de la justice qui revenait à garantir, de fait, aux fonctionnaires pénale, de l’administration et de l’enseignement publics appartenant à l’élite francophone le droit officiel secondaire, et ce uniquement en Flandre, constitutionnellement protégé d’être unilingues. qui devient donc bilingue, tandis que la Wallonie Or, « lorsque non seulement le citoyen, mais demeure unilingue et rétive à toute perspective de aussi le fonctionnaire public peuvent invoquer à connaissance du néerlandais dans l’exercice des leur profit la liberté dans l’emploi des langues, le charges publiques78. citoyen qui entre en relation avec l’autorité aura Il a été précisé que le jour où, enfin, les admi- toujours le dessous »71 ; il aura seulement le droit nistrations seraient flamandes, les Flamands de s’exprimer dans sa langue sans pour autant seraient les premiers à demander que la liberté des avoir le droit d’être compris72. citoyens soit respectée et que ceux qui désireraient Cet unilinguisme officiel français des débuts employer le français dans leurs rapports avec l’ad- de l’État belge couvrira les quarante premières ministration voient leurs droits garantis79. années de son existence73. L’état d’esprit est alors à la protection des droits 18. Les Flamands, qui pouvaient légitimement linguistiques de chacun, où qu’il se trouve en Bel- soutenir que, « dans un contexte de discrimination gique, sans exclure qu’il soit « fait montre d’in- sociale, la liberté dans l’emploi des langues aggra- dulgence »80 à l’égard des particuliers d’expression vait les disparités »74, devront donc lutter encore française en Flandre81. C’est d’un pays bilingue pour obtenir des lois spécifiques permettant de partout que rêvent les Flamands dits « minima- préserver plus collectivement leurs droits linguis- listes »82, « loyaux envers la Belgique unitaire »83. tiques. Ce rêve n’est pas partagé par les francophones. C’est seulement avec la loi de 1873 réglant 20. Dans ce contexte, la loi du 31 juillet 1921 l’emploi du flamand en matière répressive que établit un statut linguistique en matière adminis- « la courbe de l’histoire commencera à s’infléchir trative, dont le gouvernement exposera plus tard lentement (…) vers l’égalité de statut du néerlan- qu’il présente lacunes et imperfections84. dais »75. Faut- il le dire, ce n’est que le 4 juin 1959 que la Chambre approuvera le texte néerlandais de la Constitution, rédigée exclusivement en fran- Y. HOUYET, « La législation linguistique régissant la matière de l’enseignement çais en 183176. Le néerlandais mettra en réalité dans le contexte constitutionnel fédéral belge », R.B.D.C., 2002/4, pp. 379-423. Il faut savoir, néanmoins, que la néerlandisation de l’enseignement moyen, tech- plusieurs décennies avant de pouvoir s’introduire nique et universitaire est devenue un enjeu crucial du flamingantisme de la fin du dans tous les secteurs clés que peuvent être l’ar- XIXe siècle (E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 137). On signalera également mée, les institutions judiciaires, l’administration et que la restauration de la liberté du chef de famille d’inscrire son enfant dans une 77 école de l’une des dix-neuf communes sans que l’inspection ne vérifie la confor- l’enseignement . mité de ce choix avec la langue maternelle ou usuelle de l’enfant, constituera un élément dans la négociation d’une solution globale pour la réforme de l’État de 1970 et pour la création consécutive de l’agglomération bruxelloise (P. WIGNY, 70 B. DEJEMEPPE, « Mise en perspective historique et grandes orientations de op. cit., p. 194, pp. 214-215). Voy. infra, deuxième partie, titre 3. la loi du 15 juin 1935 concernant l’emploi des langues en matière judiciaire », 78 A. ALEN et K. MUYLLE, Handboek van het Belgisch staatsrecht, Malines, in X, La langue du procès, Anvers, Intersentia, 2011, p. 2. Kluwer, 2011, pp. 304-305. 71 J. CLÉMENT, « L’emploi des langues en matière administrative, les faci- 79 J. CLEMENT, op. cit., p. 192, et les références citées. lités et la résolution Nabholz du Conseil de l’Europe – Pas de langue, pas de 80 Ibidem, p. 192. liberté ? », A.P.T., 2003, livr. 3-4, p. 191. Voy. aussi A. MAST, « De grond- 81 Voy. A. MÉAN, op. cit., p. 28 : « Il n’y a donc pas, à l’origine du mouve- wetsherziening van 1980 », R.W., 1981-1982, p. 1106, qui évoque la naissance ment flamand, de sentiment anti- belge. Les Flamands demandent simplement d’un État unitaire « waarvan het Frans, onder de vlag van de vrijheid, in feite, que leur langue soit placée, en Flandre, sur pied d’égalité avec le français ». de officiële taal was ». 82 Par opposition aux « activistes » qui, par opportunisme, se sont engagés 72 N. BONBLED et S. WEERTS, « La liberté linguistique », in M. VERDUSSEN et auprès des Allemands, et aux « frontistes », « ainsi appelés parce qu’ils com- N. BONBLED (dir.), Les droits constitutionnels en Belgique – Les enseignements battaient sur le front de l’Yser (et qui) se rendirent populaires en prêchant la jurisprudentiels de la Cour constitutionnelle, du Conseil d’État et de la Cour révolte contre les officiers de l’armée belge qui continuaient à donner leurs de cassation, vol. 2, Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 1107. ordres en français aux soldats flamands » (A. MÉAN, op. cit., pp. 38-40 ; 73 Ibidem, p. 1105. voy. aussi M. LEROY, De la Belgique unitaire à l’État fédéral, Bruxelles, 74 L. DOMENICHELLI, Constitution et régime linguistique en Belgique et au Bruylant, 1996, p. 20). « Heureusement pour le mouvement flamand, tous Canada, Bruxelles, Bruylant, 1999, p. 27. les flamingants n’avaient pas collaboré avec les Allemands. Le groupe qui 75 N. BONBLED et S. WEERTS, op. cit., p. 1105. refusa de collaborer avec l’occupant et qui ne souhaitait pas subordonner les 76 Elle n’aura force de loi dans les deux langues qu’en 1967, une fois adopté intérêts flamands à l’Allemagne était même numériquement plus important l’article 140 de la Constitution (M.B., 3 mai 1967), devenu l’article 189. Voy., (…). L’action de ceux- ci au sein du gouvernement et des partis (…) fit en à ce propos, P. DE STEXHE, La révision de la Constitution belge 1968-1971, sorte que l’establishment patriotique fransquillon ne put, après 1918, discré- Bruxelles, Larcier, Namur, Société d’études morales, sociales et juridiques, diter l’ensemble du mouvement flamand » (E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. 1972, pp. 335-337. Le Code civil a obtenu force de loi dans les deux langues cit., p. 147). en 1961. Le Code pénal ne sera traduit qu’en 1963. 83 P. WYNANTS, op. cit., p. 1009. 77 À propos de la législation linguistique en matière d’enseignement, non 84 Projet de loi relatif à l’emploi des langues en matière administrative, abordée dans le cadre du présent mémoire, il est permis de renvoyer à l’étude de exposé des motifs, Doc. parl., Ch., sess. 1930-1931, no 197, p. 1.

116 ADMINISTRATION PUBLIQUE

Dans les administrations centrales, comme dans linguistique pour ses services intérieurs et pour sa celles de la province de Brabant et de l’agglomé- correspondance administrative88, 89. ration bruxelloise, la connaissance élémentaire du Sous le bénéfice de cette faculté, l’aggloméra- néerlandais est désormais exigée dans le chef des tion bruxelloise est donc gratifiée d’un statut où le agents francophones. Les avis des administrations français conserve en pratique un rôle dominant et de l’État et des provinces doivent être rédigés dans peut donner lieu à changement de langue dans le les deux langues. chef de l’administration, entérinant ainsi une fran- Au niveau local, la loi de 1921 introduit le prin- cisation de la région. cipe de territorialité linguistique, les droits lin- 23. La loi du 28 juin 1932 relative à l’emploi des guistiques des particuliers étant légalement liés langues en matière administrative90 sédimente le prin- au choix, par l’administration locale, de la langue cipe de territorialité en posant le principe de l’emploi, de ses services, permettant ainsi le maintien d’une par l’administration, de la langue de la région. Wallonie unilingue et d’une Flandre où les autori- Elle instaure le bilinguisme des administrations tés acceptent de communiquer en néerlandais. locales à Bruxelles91. 21. Qu’en est-il de Bruxelles ? En vue de l’application de la loi, il est prévu « Bruxelles était une ville flamande à l’origine. que l’agglomération bruxelloise comprend les Avec le temps, elle est devenue une ville franco- seize communes d’Anderlecht, Auderghem, phone. Mais la géographie, elle, n’a pas changé Bruxelles, Etterbeek, Forest, Ixelles, Jette-Saint- – Bruxelles n’a pas changé de place ! Pierre, Koekelberg, Molenbeek- Saint- Jean, Saint- Elle est devenue francophone à cause de la pri- Gilles, Saint- Josse- ten- Noode, Schaerbeek, Uccle, mauté accordée au français, la seule langue offi- Watermael-Boitsfort, Woluwe-Saint- Lambert et cielle en Belgique pendant longtemps. Bruxelles Woluwe- Saint- Pierre92. est donc devenue francophone de fait. Parce que le Cependant, une fois encore, le recensement français était la langue officielle et parce que, plus décennal peut avoir pour conséquence de faire tard, les lois linguistiques ne seront pas toujours changer le statut linguistique des autorités locales appliquées de façon très correcte par certaines en fonction de la langue de la majorité ainsi déce- communes bruxelloises »85. lée. La loi lie désormais directement l’octroi de En outre, « les Bruxellois d’expression néer- droits linguistiques aux particuliers au volet lin- landaise n’étaient pas pour autant des flamin- guistique du questionnaire à compléter à l’occa- gants. Lors des élections, ils portaient leur voix sion du recensement décennal – et non plus au sur des candidats connus des différents partis, choix de l’administration en fonction du résultat qui n’étaient que rarement favorables à la cause de ce recensement. flamande. Dans les écoles, les administrations Conséquence, en 1954, l’agglomération bruxel- communales menaient une véritable politique de loise s’étend aux communes de Berchem-Sainte- francisation. (…) Il est exact, d’autre part, que Agathe, Evere et Ganshoren – encore que celles-ci les Flamands – indépendamment de la pression auraient dû légalement passer sous statut inté- économique et sociale – n’étaient pas convaincus gralement francophone93 –, en correspondance, de l’importance de leur propre langue et de leur 86 propre culture » . 88 À ce sujet, voy. R. DE GROOF, op. cit., in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT, 22. À la veille de la mise en œuvre de la loi P. VANDERNOOT et R. DE GROOF (réd.), De Brusselse negentien gemeenten en de 1921, la ville de Bruxelles, comme telle, vient het Brussels model / Les 19 communes bruxelloises et le modèle bruxellois, op. cit., p. 54. de s’étendre aux communes flamandes de Laeken, 89 « Hieruit besluiten wij dat in het Brusselse de taalvrijheid van het individu Haren et Neder- over- Heembeek. aan de gemeentelijke autonomie werd ondergeschikt gemaakt » (L. SIEBEN, « De Brusselse problematiek tijdens het interbellum – Een schets aan de hand Avec la loi de 1921, l’agglomération bruxel- van de taalwetgeving », in X, Le problème de Bruxelles depuis Val- Duchesse loise compte dix-sept communes, dont deux fla- (1963), t. 1, Bruxelles, VUB Press, 1989, p. 34). mandes, celles de Woluwe- Saint- Pierre et de 90 M.B., 29 juin 1932. 91 Pour une comparaison entre le régime de 1921 et celui de 1932, voy., par Woluwe- Saint- Étienne. exemple, L. SIEBEN, op. cit., p. 37. Ce nombre peut encore être revu par arrêté 92 Woluwe- Saint- Étienne n’en fait plus partie, étant francophone à moins de 30 %. royal, en fonction du résultat du recensement 93 87 Voy. A. MÉAN, op. cit., p. 63, où sont reproduits les propos du ministre décennal , et du « choix » consécutif éventuel du de l’Intérieur de l’époque, Pierre VERMEYLEN : « La loi prescrivait à l’époque, conseil communal concerné de changer de rôle explique M. Vermeylen, que la langue de la commune devait être exclu- sivement le français ou le néerlandais si plus de cinquante pour cent de la population déclaraient parler la première ou la seconde de ces langues. Un certain bilinguisme externe n’était prévu que si la minorité linguistique de 85 X. MABILLE, « La crise des cent jours », propos recueillis par P. BOUILLON, la commune atteignait trente pour cent. Or le recensement de 1947 avait in Chronique de la Belgique – Du néolithique à l’époque contemporaine, Paris, révélé que, dans trois communes du Brabant flamand – Ganshoren, Evere éd. Chronique, 2012, pp. 427-428. et Berchem- Saint- Agathe –, les francophones avaient dépassé la barre des 86 E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., pp. 192-193. cinquante pour cent. Toute l’administration flamande de ces communes aurait 87 Qui a lieu depuis 1889. donc dû être remplacée par une administration exclusivement francophone…

117 ADMINISTRATION PUBLIQUE finalement, avec les communes membres de la de départ les conclusions adoptées par le Centre Conférence des bourgmestres de l’agglomération Harmel100. bruxelloise. En revanche, elle ne concerne pas le régime de Par peur des réactions dans le mouvement fla- l’agglomération bruxelloise et des communes de mand, pour qui la francisation emporte l’expan- la périphérie, pas plus que la région de langue alle- sionnisme et l’expansion emporte à son tour la mande. francisation94, le gouvernement retarde jusqu’en S’agissant de la seule frontière linguistique 1954 la publication des résultats du recensement néerlandaise- française, la référence aux résultats de 194795, 96. À partir de cette date, le mouvement des recensements décennaux est supprimée au flamand s’oppose radicalement au principe d’une bénéfice du maintien ou de l’introduction d’un frontière évolutive et réclame la fin du volet lin- régime de facilités. Ainsi vient le temps de l’uni- guistique du recensement. linguisme de droit des régions et de l’instauration Ce sera chose faite avec le vote de la loi du d’une frontière linguistique fixe. 24 juillet 196197, dont l’article 3 prévoit que « par 25. Pour Bruxelles et la périphérie, la solution dérogation aux dispositions de la loi du 28 juin sera apportée par la loi du 2 août 1963 sur l’em- 1932 sur l’emploi des langues en matière admi- ploi des langues en matière administrative101, qui nistrative, le recensement général de la population se veut « une loi de principe qui doit être appli- de 1961 ne comporte aucune question relative à quée avec bonne volonté et le désir de ne pas en l’emploi des langues ; les effets du recensement énerver l’économie par des interprétations restric- linguistique, effectué le 31 décembre 1947, sont tives »102. prorogés jusqu’à ce qu’une loi y mette fin ». L’acquis, en 1954, des trois communes issues du Brabant flamand (Evere, Ganshoren et Berchem- Chapitre 4 – Les lois linguistiques de 1962-1963 Sainte- Agathe) est préservé, mais l’extension est arrêtée : « Au sud de la région de langue néerlan- 24. L’expression « frontière linguistique » est daise, l’agglomération bruxelloise forme avec ses employée pour la première fois à l’occasion de dix-neuf communes, dont la capitale, une région l’adoption de la loi du 8 novembre 1962 modi- qui, en raison de la composition de sa population fiant les limites des provinces, arrondissements et et du rôle qu’elle doit jouer dans le pays, est des- communes98, avec l’accueil froid de la section de tinée à être bilingue. Dans l’économie du projet le législation du Conseil d’État, qui y voit l’instau- régime linguistique dont l’administration est dotée ration d’une division non prévue par la Constitu- n’est pas susceptible d’être étendu aux communes tion99. limitrophes »103, 104. Cette loi se donne pour objet de stabiliser les Seules six communes de la périphérie105 sont limites des régions linguistiques par une adapta- dotées d’un statut distinct, sur la base d’un com- tion des limites des ressorts administratifs à celles promis dégagé au cours d’un « conclave » à Val- des régions linguistiques, en prenant comme point Duchesse, accord qui comporte l’obtention de facilités administratives pour les francophones de C’est pourquoi j’ai proposé au Parlement de rattacher ces trois communes à ces communes, ainsi qu’un enseignement maternel l’agglomération bruxelloise afin de leur appliquer un régime bilingue (…). 106 Et voilà comment l’agglomération bruxelloise est passée de seize à dix-neuf et primaire disponible en français . communes ». 26. On le voit, le gouvernement de l’époque 94 Voy. not. L. SIEBEN, op. cit., p. 39. perçoit dans « la réglementation équitable de 95 Dont le résultat continue d’être contesté. Voy. par exemple une proposi- tion de loi spéciale visant à fixer définitivement la frontière entre la Flandre et l’emploi des langues en matière administrative la Wallonie, déposée le 24 novembre 2008 par des sénateurs issus du Vlaams dans l’agglomération bruxelloise », un problème Belang (Doc. parl., sess. 2008-2009, no 4-1018/1) : « Le recensement linguis- tique de 1947 a eu lieu deux ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, « essentiel » qui ne se limite pas à respecter la à un moment où l’establishment belge avait réussi à stigmatiser le mouvement population qui y vit : « en tant que capitale et siège flamand. En de nombreux endroits, les autorités locales ont exercé des pres- des administrations centrales, Bruxelles doit être sions illicites sur la population. Beaucoup de citoyens se sont crus obligés, par crainte de représailles ou poussés par un “patriotisme” déplacé, de renier leur identité flamande. Les résultats de ce recensement ont dès lors donné une image 100 Projet de loi, exposé des motifs, Doc. parl., Ch., sess. 1961-1962, faussée de la réalité ». no 194/1, p. 1. Voy. aussi supra, note 38. 96 Voy., à propos du recensement de 1947, M. DE MESTENAERE, « De talen- 101 M.B., 22 août 1963. telling van 1947 », in X, Le problème de Bruxelles depuis Val Duchesse (1963), 102 Projet de loi, exposé des motifs, Doc. parl., sess. 1961-1962, no 331/1, t. 1, Bruxelles, VUB Press, 1989, pp. 175 et s. p. 2. 97 M.B., 1er août 1961. 103 Ibidem, p. 3. 98 Et modifiant la loi du 28 juin 1932 sur l’emploi des langues en matière 104 Nous soulignons. administrative et la loi du 14 juillet 1932 concernant le régime linguistique 105 , Wezembeek- Oppem, Rhode- Saint- Genèse, , Dro- de l’enseignement primaire et de l’enseignement moyen (M.B., 22 novembre genbos et . 1962). Elle sera coordonnée avec la loi du 8 novembre 1962 par arrêté royal du 106 Sur la vision distincte à propos de ces mesures – destinées à faciliter 18 juillet 1966 portant coordination des lois sur l’emploi des langues en matière l’adaptation des francophones en milieu flamand ou, au contraire, incitants à administrative (M.B., 2 août 1966). revendiquer plus de droits, par exemple, un statut identique aux Flamands de la 99 Avis joint au projet de loi, Doc. parl., Ch., sess. 1961-1962, no 194/1, p. 5. capitale – voy. E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., pp. 425-426.

118 ADMINISTRATION PUBLIQUE le trait de liaison entre la Wallonie et la Flandre, de 1947, son extension est arrêtée par l’effet de ouverte à la fois aux deux cultures nationales. la loi du 2 août 1963 sur l’emploi des langues en Elle ne pourra conserver cette position privilégiée matière administrative, sur la base de considéra- que si elle est disposée à faire l’effort voulu pour tions d’ordre purement linguistique, reposant sur que les deux communautés linguistiques puissent des préoccupations communautaires : il s’agit, très y vivre en harmonie et sur un pied d’égalité par- clairement, d’enrayer la francisation du trait de faite »107. liaison entre la Wallonie et la Flandre ou, mieux Il n’en demeure pas moins que c’est une loi encore, d’éviter que ce trait ne s’épaississe et ordinaire à finalité purement linguistique qui fixe vienne empiéter sur le territoire linguistiquement les contours géographiques de Bruxelles108, sans homogène en droit de la Flandre. qu’il soit tenu compte de considérations éco- La question linguistique est à l’origine du pro- nomiques, sociales ou culturelles qui auraient blème bruxellois, comme de beaucoup d’autres pro- pourtant pu donner au territoire bruxellois « les blèmes en Belgique. « Après une phase purement dimensions qui permettent l’élaboration de poli- linguistique, le problème déborde rapidement pour tiques cohérentes, rationnelles et équilibrées »109. toucher à tous les aspects de la vie de la collectivité. Même d’un point de vue purement linguis- L’arrière- fond linguistique doit donc toujours être tique, il est question, sans doute davantage présent à l’esprit, d’autant plus que la résurgence du dans les milieux francophones, d’un découpage problème du statut de Bruxelles correspond avec la « arbitraire »110, qui ne s’entend pas en fonction préparation et la publication des arrêtés d’exécution de la langue usitée en fait, mais en fonction de des lois linguistiques (de 1962-1963) »117. celle qui doit être utilisée en droit111. Les lois de Bruxelles s’attire en réalité les récriminations 1962-1963 contrarient singulièrement les franco- de toutes parts. phones de Bruxelles, dans la mesure où elles sont Les Flamands se plaignent d’une représenta- contraignantes et les enserrent dans un « car- tion insuffisante dans les organes et administra- can »112 géographique. « En réalité, ces disposi- tions des communes de l’agglomération, ainsi tions vont approfondir le fossé entre le Nord et que d’une discrimination de fait dans les divers le Sud »113. domaines de l’activité culturelle, économique ou Elles expliquent la naissance, en 1964, du FDF, à sociale, et craignent subir cette situation davan- l’époque Front démocratique des Bruxellois franco- tage encore à mesure de la francisation crois- phones114 et contribuent à créer « un début d’attache- sante de la région centrale du pays118. D’autre ment à une région bruxelloise spécifique puisque, part, Bruxelles, siège de toutes les institutions jusqu’alors, vu son rôle de capitale, Bruxelles s’était publiques et privées importantes, suscite la frus- surtout identifiée à l’État belge »115. tration des provinciaux, Wallons compris, qui ont soif de décentralisation. L’analyse des « mille et T ITRE 4 – PREMIÈRE CONCLUSION – UN TERRITOIRE une causes, vraies ou fausses » de ces griefs en tous sens, constitue « un immense sujet de disser- 27. La naissance de l’agglomération bruxel- tation et d’analyse dont l’examen se poursuivra loise au sens des lois sur l’emploi des langues longtemps encore »119. en matière administrative, qui consolide le déve- À la veille de la première réforme de l’État de loppement factuel de la ville de Bruxelles en une 1970, l’enjeu communautaire que représente la entité administrative, est donc le résultat d’une région centrale du pays, appelée, déjà, « Bruxelles- lente et longue évolution116. Capitale »120, est donc déjà bien vivace, et sa prise Spontanément portée à seize communes, léga- en compte a déjà conduit les autorités nationales à lement portée à dix- neuf à la suite du recensement 117 X, « Les projets de statut pour Bruxelles », C.H. CRISP, no 343-344 du 107 Projet de loi, exposé des motifs, Doc. parl., sess. 1961-1962, no 331/1, 9 décembre 1966. p. 5. 118 En ce sens, voy. P. DE STEXHE, op. cit., p. 309. 108 F. DELPÉRÉE, F.- X. DUBOIS et C. FRÉMAULT-DE CRAYENCOUR, op. cit., 119 Ibidem, p. 310. p. 262. 120 Voy. les articles 2 et 6 des lois sur l’emploi des langues en matière admi- 109 Ibidem., p. 264. nistrative, coordonnées le 18 juillet 1966 : 110 M.- Fr. RIGAUX, op. cit., p. 18, note de bas de page 1. « Art. 2. Le pays comprend quatre régions linguistiques : la région de langue 111 En ce sens, à propos des régions linguistiques consacrées constitutionnel- néerlandaise, la région de langue française, la région de langue allemande et lement en 1970 par l’adoption de l’article 3bis devenu l’article 4 de la Consti- Bruxelles- Capitale. tution, voy. F. GOSSELIN, L’emploi des langues en matière administrative, (…) Bruxelles, Kluwer, 2003, p. 16, et les références citées. Art. 6. Il est constitué un arrondissement administratif dénommé “Bruxelles- 112 Slogan du FDF (E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 437). Capitale” comprenant les communes de : Anderlecht, Auderghem, Berchem- 113 P. WYNANTS, op. cit., p. 1011. Sainte- Agathe, Bruxelles, Etterbeek, Evere, Forest, Ganshoren, Ixelles, Jette, 114 Aujourd’hui Fédéralistes démocrates francophones (depuis le 24 janvier Koekelberg, Molenbeek- Saint- Jean, Saint- Gilles, Saint- Josse- ten- Noode, 2010). Schaerbeek, Uccle, Watermael- Boitsfort, Woluwe- Saint- Lambert et Woluwe- 115 A. MÉAN, op. cit., p. 74. Saint- Pierre. 116 R. DE GROOF, op. cit., p. 7. Cet arrondissement administratif a Bruxelles comme chef-lieu ».

119 ADMINISTRATION PUBLIQUE ne lui attribuer qu’une aire territoriale limitée aux culturelles, d’une part, des matières économiques dix- neuf communes. et sociales, d’autre part126. Il reste à vérifier si ce territoire restera inchangé S’il avait été ainsi facilement et unanimement par la suite, de quelle manière il se verra doter admis, par le « groupe de travail » réuni en 1962 par d’institutions propres, et quelles seront les attribu- le premier ministre Théo Lefèvre, « qu’en matière tions de celles- ci. culturelle, la création d’institutions régionales propres à chacune des communautés se justifie par la dualité linguistique et culturelle » et que devraient DEUXIÈME PARTIE – BRUXELLES ET LA être créés rapidement un Conseil culturel pour la PREMIÈRE RÉFORME DE L’ÉTAT (1970)121 Flandre et un Conseil culturel pour la Wallonie, les opinions s’étaient avérées bien plus diverses s’agis- 127 ER sant des matières économiques et sociales . T ITRE 1 – LES PERSPECTIVES AU 18 FÉVRIER 1970 Il importait néanmoins « de procéder à une Chapitre 1er – Le contexte large décentralisation, permettant de gérer et de régler dans le cadre régional tout ce qui est d’inté- 28. Avant la communication faite par le pre- rêt régional, sans mettre en péril l’intérêt général mier ministre Gaston Eyskens à la Chambre le 128 122 de la nation » . 18 février 1970 , il n’avait jamais été officielle- 29. Le concept de région s’inscrit donc, à l’ori- ment question d’inscrire une quelconque organisa- 123 gine, dans la seule perspective d’une réforme tion régionale dans la Constitution . destinée à répondre aux problèmes relatifs à la Certes, le gouvernement envisage déjà de décentralisation et à la déconcentration, les uns mettre en œuvre une importante décentralisation préférant l’usage des institutions existantes, dans économique, notamment au travers de la création le cadre des ressorts territoriaux existants – pro- de sociétés de développement régional. vinces et communes – les autres favorisant, pour C’est là le deuxième volet de son programme, des matières relevant essentiellement de la poli- dont le premier est axé sur la révision de la Consti- tique économique, l’utilisation des provinces ou la tution destinée à concrétiser l’autonomie culturelle constitution de régions, pourvues seulement d’un réclamée par la partie flamande du pays. pouvoir réglementaire129. La réforme « n’a pas pour objectif d’instaurer Toutes les conceptions défendues comportent le fédéralisme, terme qui fait encore peur à beau- en tout cas un dénominateur commun : il s’agit coup, mais d’édifier, dans une logique somme de transférer des compétences dans les matières toute néo- unitariste, une Belgique communautaire 124 administratives et socioéconomiques de l’autorité et régionale » . centrale aux composantes – existantes ou à créer – Les politiques n’envisagent donc que les voies du Royaume130. et structures administratives traditionnelles de L’accroissement d’une autonomie dans la ges- la déconcentration et de la décentralisation pour tion des intérêts régionaux, à travers une décharge faire tendre le système belge vers plus d’autono- des institutions centrales de tous les problèmes qui mie dans le domaine économique comme dans le 125 peuvent être réglés à d’autres niveaux, ne requer- domaine culturel . raient pas, selon les premières opinions, de révi- Le choix des mesures est toutefois différent en sion de la Constitution131. fonction de la nature des problèmes, la décon- Quoi qu’il en soit, « il n’est pas question de centration et la décentralisation étant abordées régions ni dans la liste des dispositions constitu- différemment selon qu’il s’agisse des matières tionnelles susceptibles d’être révisées, ni dans la

121 On parle de la première réforme de l’État, mais il s’agit en revanche de déclaration de 1965, ni dans celle de 1968, étant la troisième révision de la Constitution belge, les deux premières ayant eu lieu en 1892-1893 et en 1919-1921 pour introduire, en deux étapes, le suffrage universel. P. WIGNY a d’ailleurs intitulé son ouvrage sur la première réforme 126 Doc. parl., Ch., sess. 1964-1965, no 993/1, p. 11. de l’État La troisième révision de la Constitution (Bruxelles, Bruylant, 1972). 127 Ibidem, pp. 11-12. 122 Ann. parl., Ch., no 41, séance du mercredi 18 février 1970. 128 Ibidem, p. 5. 123 La création de régions en Belgique, projet de texte d’un article 107ter 129 Ibidem, p. 19. Toutefois, l’étude de la suggestion consistant à décentra- nouveau de la Constitution, rapport fait au nom de la commission de la révi- liser vers des régions « ne fut pas poussée » (P. DE STEXHE, op. cit., p. 173). sion de la Constitution par M. Calewaert, Doc. parl., Sén., sess. 1969-1970, 130 Voy. R. SENELLE, Commentaar op de Belgische Grondwet, Bruxelles, no 458, p. 1. ministère des Affaires étrangères, 1974, p. 380 : « Onder verschillende, rechts- 124 P. WYNANTS, op. cit., p. 1013. terminologisch niet altijd juiste benamingen, zoals decentralisatie, regionalisa- 125 Voy. la synthèse des travaux du groupe de travail, établie le 24 octobre tie en federalisatie, vertoont die beweging sterk variërende aspecten, die echter 1963, annexe A, au projet de déclaration relatif à la révision de la Constitution, alle onder een gemeenschappelijke noemer en doelstelling te brengen zijn : de Doc. parl., Ch., sess. 1964-1965, no 993/1, p. 4 : « Les deux communautés overdracht van sociaaleconomische en administratieve bevoegdheden van het désirent que les pouvoirs législatif et exécutif, renonçant à une centralisation centraal gezag naar de componenten van het Rijk ». qu’elles jugent excessives, accordent aux institutions décentralisées ainsi 131 Voy. les propos du premier ministre Théo Lefèvre, relayés dans l’exposé qu’aux organes déconcentrés une plus grande liberté de décision et de gestion, des motifs du projet de déclaration de révision de la Constitution, Doc. parl., spécialement dans les domaines culturel et économique ». Ch., sess. 1964-1965, no 993/1, p. 3.

120 ADMINISTRATION PUBLIQUE donné qu’il avait été admis que la décentralisation être complétées par les sociétés de développement économique pouvait être réalisée par des lois ordi- régional. naires »132. L’adoption de ce texte avance bien à la 30. Lorsqu’il a voté ces déclarations, le pré- Chambre, mais est freinée par le blocage, au constituant « ne soupçonnait pas l’ampleur des Sénat, des réformes constitutionnelles annoncées réformes qui allaient en naître »133. dans la déclaration de révision de la Constitution Ceci étant, « le gouvernement savait bien qu’il de 1965, reprise en grande partie avant la dissolu- devait aller assez loin dans le sens d’une décentra- tion de 1968139. lisation régionale pour prévenir de cette façon une solution fédéraliste ou, pire encore, autonomiste Chapitre 2 – L’idée du problème communautaire. La régionalisation à trois plutôt que le fédéralisme à deux, bien qu’il 32. L’idée de prévoir, dans la Constitution, la fût absurde aux yeux de nombreux Flamands que création de régions – entendues au sens d’entités la capitale devienne une région à part »134. dotées d’une véritable compétence normative – En effet, Wallons et Bruxellois, outre qu’ils germe à l’occasion des travaux d’un groupe de tra- n’ont pas la conviction d’appartenir réellement à vail informel mis en place par le premier ministre la même communauté politique, craignent que la Gaston Eyskens en 1969140, chargé de plancher sur création des communautés culturelles marque le « les problèmes communautaires », et dénommé le pas vers le fédéralisme à deux, sans tenir compte « groupe des 28 »141. de l’agglomération bruxelloise et de la réalité de « François Perin, au nom du FDF-RW 142, la région wallonne. Les Flamands, de leur côté, expose la thèse la plus en pointe. Les conseils ne veulent reconnaître que leur communauté, régionaux doivent être composés de parlemen- Flamands de Bruxelles inclus : la création de la taires et Bruxelles doit avoir son propre conseil. région bruxelloise risque des les couper de leurs La compétence de ces conseils peut être, selon pairs135. lui, aussi bien de nature législative que réglemen- 31. C’est dans ce contexte qu’est déposé, le taire. À l’avenir, en tout cas, des décrets régio- 22 octobre 1968, un projet de loi-cadre portant naux doivent pouvoir changer la loi nationale. organisation de la planification et de la décentra- Perin devine, cependant, que le fruit n’est pas lisation économique, autrement appelé « projet encore mûr et propose simplement d’inscrire dans 125 »136, 137. la Constitution la possibilité pour le législateur de Fondée sur la volonté de réagir aux distorsions transférer une partie de sa compétence normative existantes dans le développement des différentes aux régions. C’est le principe qui est fondamen- régions du pays, cette législation en projet repose tal. La réalisation concrète peut encore prendre sur la conception de divers instruments de poli- quelque temps »143. tique économique destinés à éclairer l’État, dont Sur Bruxelles, néanmoins, aucun accord n’est le Plan et le Bureau du Plan. dégagé144, pas même dans le cadre des travaux Tout en conservant à cette politique économique de la « Commission des vingt- quatre », réunie en son caractère global et national, il est prévu d’as- novembre 1969, exclusivement autour de la pro- socier plus étroitement « les régions » à l’action blématique bruxelloise, qu’il s’agisse de délimiter du gouvernement : sont visées alors la Flandre, la la région bilingue de Bruxelles ou la région éco- Wallonie et le Brabant138. nomique bruxelloise, ou encore de définir le statut Et le législateur d’instituer des Conseils éco- des communes périphériques145. nomiques régionaux pour chacune de ces trois Le problème est que les Flamands excluent « régions », instances purement consultatives toute idée d’extension des limites de l’agglomé- – composées de parlementaires et de représentants des milieux économiques et sociaux – appelées à 139 À ce sujet, voy. P. WIGNY, La troisième révision de la Constitution, Bruxelles, Bruylant, 1972, pp. 30-33. 140 Elle ne figurait pas dans la liste en 161 points annexée à la déclaration 132 Rapport M. Calewaert, op. cit., Doc. parl., Sén., sess. 1969-1970, no 458, gouvernementale lue par le même Gaston Eyskens le 25 juin 1968 (Ann. parl., p. 8. Ch., séance du mardi 25 juin 1968, Sén., séance du mardi 25 juin 1968). 133 M. LEROY, op. cit., p. 40. 141 Ce groupe a lui- même tenu compte « des travaux entrepris au sein du 134 E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 431. Voy. aussi A. DELCAMP, Centre d’études pour la réforme de l’État en 1936, des conclusions du Centre op. cit., p. 47. Harmel (1948-1953), du groupe de travail politique (1963), de la Conférence 135 F. PERIN, op. cit., pp. 211-212. de la Table ronde (1964-1965) et de la commission Meyers- Vanderpoorten 136 Appellation liée au numéro du projet de loi déposé à la Chambre (Doc. (1966-1968) » (X, « Bruxelles et la réforme des institutions », C.H. CRISP, parl., sess. extr. 1968, no 125). no 613 du 14 septembre 1973, p. 2). 137 Pour les précédentes lois d’expansion régionale, qui tenaient, donc, déjà 142 RW pour Rassemblement wallon. compte des régions pour réagir à la crise de 1958, voy. E. WITTE et J. CRAEY- 143 A. MÉAN, op. cit., p. 127. Voy. aussi P. DE STEXHE, op. cit., p. 173. BECKX, op. cit., pp. 408-409. 144 Voy. P. DE STEXHE, op. cit., pp. 176-177. 138 Doc. parl., sess. extr. 1968, no 125/1, p. 4. 145 P. WIGNY, op. cit., p. 35. Voy. aussi A. MÉAN, op. cit., p. 130.

121 ADMINISTRATION PUBLIQUE ration au-delà des dix-neuf communes. Un accord qu’elle créera et qui seront composés de manda- politique n’est trouvé qu’au sein du gouvernement taires élus la compétence de « régler » les matières lui- même, à la mi- février de l’année 1970 : en qu’elle détermine, « dans le ressort » et selon le font partie, la création d’un organe de concerta- mode qu’elle établira. tion entre l’agglomération de Bruxelles (dix- neuf Enfin, au chapitre provincial et local, il est communes) et les fédérations à créer autour de la annoncé qu’en vertu de la future Constitution révi- capitale, de même que la parité linguistique au sée, la loi établira des agglomérations et fédéra- collège d’agglomération bruxellois146. tions de communes sur tout le territoire et qu’elle déterminera leurs limites. Ces associations de Chapitre 3 – Le discours communes disposeront, comme leurs membres, d’une compétence fiscale en matière d’impôts et 33. Le 18 février 1970, le premier ministre Gas- de redevances. Plus tard dans sa communication, ton Eyskens propose donc à la Chambre d’amorcer Gaston Eyskens précisera que la loi qui, pour la les débats utiles pour apporter une solution globale première fois, fixera les limites des aggloméra- aux problèmes communautaires. La réforme de la tions, décidera que l’agglomération bruxelloise Constitution proposée contient de nombreux disposi- se compose des dix- neuf communes actuellement tifs majeurs pour l’avenir des institutions nationales, prévues par la législation. tels que le principe de la sonnette d’alarme, la parité En miroir de la parité au niveau du conseil des linguistique au conseil des ministres et la création ministres, une telle parité est prévue pour le collège des groupes linguistiques à la Chambre et au Sénat. de la future agglomération bruxelloise dans toutes Le plan du gouvernement comporte précisé- ses attributions, alors pourtant que, dans le cadre ment trente-cinq points, dont les dix-sept premiers des négociations, elle n’avait été envisagée que appellent une révision constitutionnelle147 et, qui, pour les matières culturelles et pour autant que l’ag- en nombre, concernent directement Bruxelles. glomération soit suffisamment grande pour compter Ainsi, au chapitre des dispositions constitution- suffisamment d’habitants néerlandophones152. nelles concernant l’autonomie culturelle, il est 34. Annonçant le contenu des lois à venir concer- prévu que la Belgique comprendra quatre régions nant l’autonomie culturelle, le premier ministre Eys- linguistiques, dont les frontières ne pourront être kens, qui vient, donc, d’évoquer l’agglomération modifiées que moyennant l’adoption d’une loi bruxelloise dans le chapitre constitutionnel relatif à majorité spéciale. Parmi ces quatre régions, la aux pouvoirs locaux, expose ce qui suit : région bilingue de Bruxelles-Capitale s’étend sur « 21. Une loi, à adopter à une majorité spéciale, le territoire des dix- neuf communes. créera pour l’agglomération bruxelloise deux Il est donc proposé de « constitutionnaliser le commissions culturelles, ayant pour mission de carcan »148. Ce sera chose faite avec l’adoption de favoriser l’épanouissement des deux cultures dans l’article 3bis de la Constitution149. l’agglomération et de mettre celle- ci en mesure de Aux côtés des trois communautés culturelles tenir son rôle de capitale, de métropole européenne néerlandaise, française et allemande – les deux et de grande ville internationale. Leur compétence premières étant appelées à être dotées immédia- s’étendra aux dix- neuf communes de la région tement du pouvoir d’adopter des décrets, actes de bilingue de Bruxelles- Capitale. Leur composition, nature législative de force juridique égale à une leurs attributions (en ce compris réglementaires) et loi – il est prévu, au titre des dispositions constitu- leurs moyens financiers seront déterminés confor- tionnelles relatives à l’organisation régionale, que mément à la déclaration gouvernementale et aux le pays « comprendra » trois régions : la région conclusions du groupe des vingt- huit ». flamande, la région wallonne et la « région bruxel- 35. Revenant à l’organisation régionale, sous loise »150. À cet égard, une loi, adoptée à la majo- l’angle des lois à adopter, le premier ministre rité spéciale151, attribuera aux organes régionaux annonce le vote du « projet 125 », laissé en suspens

146 A. MÉAN, op. cit., pp. 132-133. Pour le comité de concertation, voy. l’article 57 de la loi du 26 juillet 1971 organisant les agglomérations et les fédé- autant que le total des votes positifs émis dans les deux groupes linguistiques rations de communes, M.B., 24 août 1971. Pour l’agglomération, voy. infra, atteigne les deux tiers des suffrages exprimés. chapitre 3, ainsi que le titre 3. 152 « À un membre qui a également parlé de la parité au sein de l’organe exé- 147 Ann. parl., Ch., no 41, séance du mercredi 18 février 1970, spéc. pp. 3 à 5. cutif de l’agglomération bruxelloise, le ministre a répondu qu’il existe actuel- 148 A. MÉAN, op. cit., p. 146. lement deux “écoles” : la première estime que c’est le pendant de ce qui est 149 Adopté le 24 décembre 1970, devenu l’article 4 de la Constitution. demandé au niveau national, la deuxième qu’il s’agit simplement d’une ques- 150 Voy. le point 6 du plan annoncé par Gaston Eyskens en néerlandais : tion de dignité nationale, à savoir que, dans la capitale d’un pays où l’on tend « België omvat drie gewesten : het Vlaamse, het Waalse en het Brusselse à une coexistence pacifique de deux communautés culturelles, il faut donner la gewest ». preuve que ces deux communautés sont traitées sur un pied d’égalité » (révision 151 Une telle loi doit, on le sait, être adoptée à la majorité des suffrages dans de la Constitution, révision de l’article 126, article 108ter nouveau, rapport fait chaque groupe linguistique de chacune des Chambres, à la condition que la au nom de la commission de révision de la Constitution par M. LINDEMANS, majorité des membres de chaque groupe linguistique se trouve réunie et pour Doc. parl., Ch., sess. extr. 1968, no 10-33/1, p. 22. Voy. aussi pp. 33, 37, 38).

122 ADMINISTRATION PUBLIQUE au Sénat, ceci n’excluant pas que des délégations tions de la future agglomération bruxelloise que nouvelles puissent être opérées ultérieurement au lorsque, enfin, la Région bruxelloise sera créée153. profit des organes mis en place en vertu de ce pro- Ce dernier volet de la proposition exposée par jet, ou au profit, par exemple, des provinces. Gaston Eyskens ne sera cependant pas réalisé Quant à la loi spéciale qui créera les régions immédiatement, loin s’en faut. wallonne, flamande et bruxelloise, annonce-t-il, elle mettra en place des organes composés de T ITRE 2 – LA VIRTUELLE RÉGION mandataires politiques élus. Elle fixera également les limites des régions, après Chapitre 1er – La pénible rédaction de l’article que le ressort géographique des sociétés de dévelop- 107quater de la Constitution pement régional aura été fixé, en application de la future loi-cadre de décentralisation économique. 37. L’exécution de l’accord rendu public le En recul par rapport à l’idée de François Perin, 18 février 1970 n’est, en effet, pas exempte de dif- mais conformément à l’option retenue par le ficultés, et c’est là une litote. Certes, « les Chambres manifestent leur intérêt groupe des vinft-huit, la loi spéciale à venir, est-il 154 indiqué, ne confiera à ces organes régionaux élus et le débat est relancé » . Mais « les méfiances que des compétences réglementaires, et non nor- sont grandes parce que les partis n’interprètent matives, dans certaines matières retenues comme pas de la même façon l’importance des réformes. étant susceptibles de décentralisation par le groupe Les Flamands veulent, en majorité, une autonomie des vingt-huit. La même loi spéciale leur attri- culturelle accentuée pour leur région et une flaman- buera des dotations annuelles ou des ristournes du disation suffisante de Bruxelles. Pour le surplus ils produit de certains impôts de l’État. s’accommodent parfaitement d’un État unitaire, 36. Le programme est dense. où les décisions sont prises à la majorité simple. À Fixation de la frontière linguistique, autonomie eux seuls, ils constituent cette majorité, et peuvent culturelle pour les Flamands et les francophones, s’opposer à toute décision qui leur est défavorable. perspectives de régionalisation, rationalisation des Les socialistes wallons sont en principe fédéralistes, pouvoirs locaux au travers de la création d’agglo- mais se contentent d’une décentralisation écono- mérations et de fédérations de communes. mique, donnant aux organes régionaux une auto- Pour Bruxelles, qui n’est pas une communauté nomie suffisante. Pour le parti social-chrétien, le culturelle en soi, c’est le projet d’agglomération qui budget national, et la politique régionale sera forte- est le plus précis, au chapitre local. Son ressort est déjà ment influencée par la politique gouvernementale ; il exige une parité au gouvernement et une protec- annoncé : il n’excèdera pas les dix- neuf communes. 155 Le gouvernement y mêle néanmoins des tion de la minorité dans les deux Chambres » . Le compromis politique conclu en 1970 se considérations communautaires, en prévoyant 156 d’appliquer aux organes de cette future entité désagrège littéralement . supracommunale des protections institutionnelles 38. Dans le cadre des débats au Sénat à pro- en faveur de la minorité flamande. pos du futur article 107quater, appelé à consacrer Chaque communauté culturelle à créer au l’existence des régions, le sort de Bruxelles est abordé par un membre de la Commission de révi- terme de la réforme annoncée est également 157 appelée à y faire valoir, au travers des futures sion de la Constitution en ces termes : commissions culturelles, non seulement ses « Bruxelles est une réalité et représente un mil- intérêts propres dans les matières préscolaire, lion et demi de compatriotes. scolaire, parascolaire et culturelle, mais aussi On ne peut organiser une décentralisation éco- l’intérêt commun, consistant à mettre l’agglomé- nomique constitutionnelle sans reconnaître l’exis- ration en mesure de tenir son rôle de capitale, de tence des régions réelles : la Wallonie, la Flandre métropole européenne et de grande ville interna- et une région centrale. tionale… En matière d’autonomie culturelle, la compé- Au travers de la déclaration de Gaston Eyskens tence conjointe des conseils culturels français et sur les commissions culturelles, c’est donc l’ag- néerlandais est prévue pour la capitale. Une solu- glomération tout entière, soit les dix-neuf com- tion identique serait inacceptable sur le plan éco- munes qui la composent, et non plus la seule ville nomique ou socioéconomique ». de Bruxelles, qui se destine au rôle majeur qui vient d’être décrit. 153 Voy. infra, quatrième partie, titre 4, chapitre 1er. 154 P. WIGNY, op. cit., p. 36. Même si, formellement, la ville de Bruxelles 155 Ibidem, p. 37. restera la seule capitale du pays, le glissement 156 En ce sens, voy. Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de annoncé ici se concrétisera tant dans les attribu- l’État », op. cit., p. 55. 157 Rapport M. Calewaert, op. cit., p. 6.

123 ADMINISTRATION PUBLIQUE

L’orateur met ainsi en exergue l’enjeu bruxellois. « Il ne s’agit pas ici de l’organisation écono- Carrefour des communautés culturelles fla- mique régionale ni de la décentralisation. C’est mande et française, pourquoi pas. Mais s’il s’agit ce qui résulte à l’évidence des travaux du Groupe d’autre chose, et en tout cas d’une décentralisation des vingt-huit. Une énumération des matières a été économique, la région centrale constitue un pôle à donnée, à titre d’exemple. C’est ainsi que le rap- part entière qui peut exister à égalité avec la Wal- port contient les mentions suivantes : lonie et la Flandre. — l’urbanisme, l’aménagement du territoire et Il est réagi à cette réflexion en soulignant que la politique foncière ; le terme « régions » ne renvoie pas à une notion — la politique d’expansion économique régio- purement économique ou socioéconomique, mais 158 nale et de l’emploi ; recouvre les matières « autres que culturelles » . — certains aspects de la législation industrielle La nuance ne paraît toutefois pas résister au constat et de la politique énergétique ; de l’existence d’un pôle bruxellois qui, dans ces — la politique du logement ; matières qui seraient « autres », pourrait se passer de — la politique familiale et démographique ; l’intervention conjointe des communautés culturelles. Dans le même cénacle, au même moment, et bien — l’hygiène et la santé publique ; à propos compte tenu de l’enjeu, un sénateur néer- — la formation et la reconversion profession- landophone fait état de ce qu’un fédéralisme à trois nelles ; n’est pas souhaitable, faisant ainsi part de ce qui est et — le tourisme et la politique d’accueil ; sera l’éternelle crainte de la Flandre, soit celle d’une — la pêche, la chasse et les forêts. minorisation de la région flamande par rapport aux (Rapport du groupe de travail pour les pro- régions wallonne et bruxelloise, formant ensemble blèmes communautaires, p. 12)164 un bloc francophone qui serait trop puissant159. Le gouvernement a donc l’intention de trans- Du point de vue flamand, on ne peut, en effet, férer, dans un État décentralisé, toute une série oublier que « Bruxelles reste le symbole d’une d’attributions à des régions dont les organes, com- ville néerlandophone victime d’un mouvement de posés de délégués élus directement ou non par les francisation »160. citoyens, se verront confier une compétence réelle. Le débat entre les tenants d’un fédéralisme Ainsi donc, un pouvoir de réglementation serait à deux et ceux d’un fédéralisme à trois est donc transféré aux régions. L’on est parti de l’intention vivifié. Il n’est, à ce jour, pas clôturé161. de créer un système sui generis, une sorte de fédé- 39. L’exécution du programme annoncé par ralisme. Mais tout dépend de ce que l’on entend Gaston Eyskens n’est pas seulement délicate d’un par là. Si de larges pouvoirs sont attribués aux point de vue politique, elle l’est aussi d’un point régions, on sera confronté à ce problème ». de vue technique. 40. La plupart des attributions régionales envi- En effet, le Sénat se montre pointilleux. Il bloque sagées s’éloignent, il est vrai, du domaine éco- sur l’adoption du futur article 107quater, compte nomique, mais elles le recoupent en revanche tenu de l’absence de la notion de régions dans la clairement lorsque sont visées la politique d’ex- déclaration de révision, laquelle n’ouvre à révision pansion économique régionale et celle de l’emploi. que l’article 108, dans une perspective de décentra- La différence avec un projet limité à de la lisation et de déconcentration, et aux fins de fixer décentralisation ne se retrouve pas non plus dans les pouvoirs du législateur en matière d’agglomé- le fait que les matières concernées seront confiées rations et de fédérations de communes162. à des organes composés de délégués élus, puisque Le premier ministre doit une fois encore procé- tel est déjà le cas des pouvoirs locaux existants, der à une clarification quant à l’objectif du gou- lesquels peuvent également prendre des règle- vernement et lever la confusion qui règne tant par ments dans le champ de leur compétence. rapport à l’articulation entre les perspectives de régionalisation et le « projet 125 » que par rapport 164 À propos de cette liste, voy. le commentaire de P. DE STEXHE, op. cit., aux projets d’agglomération163 : p. 187 : « Il suffit d’analyser la liste exemplative donnée ci-dessus pour consta- ter que plusieurs des matières envisagées présentent des aspect nationaux et régionaux et certaines compétences seront “étagées”. D’autres – le tourisme, par 158 Ibidem, p. 6. exemple – pourraient relever tantôt de l’État, tantôt d’institutions régionales, pro- 159 Ibidem, pp. 7 et 8. vinciales ou communales, tantôt des Conseils culturels. La sécurité sociale et la 160 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 5 prévoyance sociale relèvent fondamentalement du Parlement, mais la loi pourrait et la référence citée à l’historique dressé par H. Hasquin au Sénat, Ann. parl., permettre aux institutions régionales d’accorder, à titre complémentaire, des allo- 1er juillet 1988, p. 805. cations familiales, des aides familiales, etc. »… Voy. d’ailleurs infra, titre 3, cha- 161 Voy. infra, quatrième partie, titre 5. pitre 3, où le tourisme est une préoccupation communale qui peut être transférée 162 Rapport M. Calewaert, op. cit., p. 13, notamment. Voy. aussi W. VAN à l’agglomération, et titre 4, chapitre 1er, où le tourisme devient une matière cultu- ASSCHE, « De grondwetgever van 24 december 1970 en het dilemma precons- relle dont peuvent s’occuper les commissions de la culture de l’agglomération. Il tituante – volkswil », T.B.P., 1971, pp. 368-372. restera rangé parmi les matières culturelles, de la compétence des Communautés, 163 Rapport M. Calewaert, op. cit., p. 13. lors de l’adoption de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980.

124 ADMINISTRATION PUBLIQUE

L’intention du gouvernement reste donc peu cune des Chambres, à la condition que la majorité claire, si ce n’est qu’il assume une intention, celle des membres de chaque groupe se trouve réunie de créer « un système sui generis, une sorte de et pour autant que le total des votes positifs émis fédéralisme »… dans les deux groupes linguistiques atteigne les Le seul pouvoir réglementaire envisagé à ce deux tiers des suffrages exprimés ». stade fournit au gouvernement l’argument destiné La formulation est – volontairement – très vague. à dissiper les craintes d’un commissaire qui redoute François Perin livrera les explications suivantes un éparpillement excessif des compétences165. En à cet égard : revanche, il ne suffit pas à rassurer un autre sénateur « L’important était la reconnaissance du prin- qui détecte bel et bien dans les projets flous du gou- cipe des trois régions. Pour le reste, nous savions vernement la mise en place d’un fédéralisme à trois, que les temps n’étaient pas encore mûrs. C’est qui, on le sait, alimente l’hostilité de la Flandre166. pour cette raison que l’application concrète de la En commission du Sénat, le texte qui est adopté régionalisation a été laissée à une loi à majorité dans un premier temps167 prévoit en substance que la spéciale. Il fallait prendre le temps et permettre loi, adoptée à la majorité des deux tiers, attribue, au aux esprits d’évoluer. À vouloir trop, on n’aurait regret de certains parlementaires168, une compétence rien eu. La loi, dit l’article 107quater, attribue exclusivement réglementaire169 à des organes régio- aux organes régionaux qu’elle crée la compétence naux, existants ou à créer – dont le nombre n’est de régler les matières qu’elle détermine. C’est à pas précisé – pour les matières autres que celles dessein qu’on a utilisé le verbe “régler”. Il était accordées aux conseils culturels. Seuls des manda- très général et permettait donc de donner aux taires élus peuvent faire partie de ces organes. La loi normes régionales aussi bien une force réglemen- doit encore déterminer l’étendue matérielle et terri- taire, comme les règlements des provinces et des toriale de cette compétence régionale ainsi que la communes, qu’une force législative, comme les manière dont elle s’exerce. Enfin, financièrement, il décrets des conseils culturels »173. est prévu une alternative : la loi accorde des moyens 43. Le principe des trois régions est donc financiers aux organes régionaux ou leur reconnaît adopté, certes, de même que le fait que les organes le droit de lever des impositions régionales. des régions seront composés de mandataires élus, 41. Après une « véritable averse d’amende- excluant la qualification de simple autorité admi- ments »170, le texte est considérablement remanié171 nistrative déconcentrée. C’est là le plus petit déno- avant d’être présenté à la Chambre, qui ne le votera minateur commun qui, sous une forme qui plus est que le 24 décembre 1970, après l’adoption de l’ar- ambiguë, permet d’emporter le suffrage des diffé- ticle 108ter172, dont il sera question plus loin. rentes tendances composant la coalition gouver- nementale174. Chapitre 2 – Le choix du flou Mais pour le reste, point d’accord à traduire dans la Constitution. 42. L’article 107quater est finalement libellé Les esprits prendront bien des années pour évo- comme suit : luer et s’accorder sur la concrétisation des régions, « La Belgique comprend trois régions : la tout spécialement à cause de l’impossibilité de région wallonne, la région flamande et la région trouver une formule pour la troisième région qui bruxelloise. agrée les deux grandes communautés. La loi attribue aux organes régionaux qu’elle crée « La concrétisation de l’article 107quater allait et qui sont composés de mandataires élus, la com- être longue, particulièrement pour Bruxelles, où se pétence de régler les matières qu’elle détermine, à posait le problème de la composition linguistique l’exception de celles visées aux articles 23 et 59bis, des organes de la future région, qui constituait dans le ressort et selon le mode qu’elle établit. une pierre d’achoppement entre partis flamands et Cette loi doit être adoptée à la majorité des suf- francophones »175. frages dans chaque groupe linguistique de cha- En outre, le constituant n’a pas précisé l’étendue de la compétence déléguée aux organes régionaux, 165 Rapport M. Calewaert, op. cit., p. 14. 166 Ibidem, p. 17. Voy. également, à propos des craintes flamandes s’agissant sous réserve du fait que sont exclues les matières de Bruxelles, troisième région, A. MÉAN, op. cit, p. 182. linguistiques et culturelles confiées aux Conseils 167 Rapport M. Calewaert, op. cit., p. 19. culturels en vertu des articles 23 et 59bis de la 168 Rapport M. Calewaert, op. cit., p. 3 et p. 14, ainsi que la référence faite, en pages 15 et 16, au rapport du groupe de travail pour les problèmes commu- nautaires, dit « groupe des vingt- huit ». Voy. aussi, ibidem, p. 18. 169 De même nature que celle des règlements pris par les conseils provin- ciaux et les conseils communaux (P. DE STEXHE, op. cit., p. 189). 173 Explications de F. PERIN, reprises dans A. MÉAN, op. cit., p. 181. 170 P. WIGNY, op. cit., p. 170. 174 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 8. 171 Doc. parl., Sénat, sess. extr. 1968, no 36/1. 175 C. SÄGESSER, Les pouvoirs à Bruxelles, Bruxelles, CRISP, 2002, fasci- 172 Devenu les articles 136 et 166 de la Constitution coordonnée. cule 1er, p. 9.

125 ADMINISTRATION PUBLIQUE

Constitution176, précision vraisemblablement voulue visent l’ensemble de l’arrondissement électoral ou par les Flamands « pour s’assurer que les compé- même la vallée de la Senne183. tences des communautés ne soient ultérieurement En l’absence d’accord, il suffit naturellement de exercées par la région de Bruxelles, ce qui aurait remettre la question à plus tard. coupé les Flamands de Bruxelles de la Flandre »177. 45. En 1968, pour justifier le report de la fixation « À ce stade, les régions n’ont ni limites géogra- des limites proposées pour les régions, le gouverne- phiques, ni organes de gestion, ni compétences : ment avait renvoyé à l’adoption ultérieure du « pro- ces éléments doivent être déterminés ultérieure- jet 125 », soit le texte qui deviendra la loi- cadre du ment par une loi spéciale »178. 15 juillet 1970 portant organisation de la planifica- De même, le pouvoir fiscal propre n’est plus tion et de la décentralisation économique184. envisagé : le financement des institutions régio- Il avait ainsi expliqué à la Chambre, pour résoudre nales devra se faire par des subventions à charge « le délicat problème » de la délimitation des régions du budget général de l’État179. prévues à l’article 107quater de la Constitution, « qu’une fois en application le projet 125 et organisés Chapitre 3 – L’éternel problème des limites du ter- les conseils économiques consultatifs, les conseils ritoire bruxellois provinciaux seront consultés pour la constitution des sociétés de développement régional. On se fera ainsi 44. Plus fondamentalement encore, se pose la une meilleure image des régions économiques dont question de la délimitation des trois régions dont le législateur, finalement, devra limiter l’aire »185. l’existence de principe a ainsi été arrêtée constitu- La fixation du ressort géographique des sociétés tionnellement, une loi spéciale étant appelée à en de développement régional constituerait en quelque définir les contours. sorte une préfiguration des limites régionales186. À la vérité, « dans les années qui ont suivi 46. À dire vrai, « on faisait sur Bruxelles mille l’adoption de l’article 107quater, le débat politique hypothèses, fondées sur des arguments écono- belge a été profondément marqué par la difficulté miques toujours insaisissables, comme s’il y qu’a un État unitaire à se fédéraliser alors qu’il avait en cette matière des critères objectifs qui se comporte sur son territoire une ville dont l’impor- seraient imposés scientifiquement aux yeux de tance lui a valu le statut de capitale, problème bien tous. En réalité, ni les Wallons ni les Flamands plus aigu que celui d’États indépendants en voie de ne voulaient lâcher leur partie du Brabant. L’af- se fédérer qui, faisant le chemin inverse, sont ame- faire se révélait foncièrement politique »187. nés à se choisir une capitale fédérale commune »180. Comme par hasard, aux termes de l’unique Certes, « il est (…) admis, dès ce moment, que article de l’arrêté royal du 2 août 1972188, la la Belgique ne saurait comprendre que “trois” société de développement régional bruxellois aura régions, que la carte régionale de la Belgique ne pour ressort l’arrondissement administratif de saurait comprendre de “blanc” et que, dès l’instant Bruxelles-Capitale, soit les dix-neuf communes… où le territoire de la Région wallonne et celui de la Et, entre- temps, alors que les conseils culturels Région flamande auraient été arrêtés, le territoire sont organisés par les lois des 3 et 21 juillet 1971, résiduel serait assigné à la Région bruxelloise »181. les lois d’application de l’article 107quater ne sont Il n’en demeure pas moins que le ressort territo- pas adoptées, dans la mesure où, de l’avis du gou- rial de ces régions, auxquelles on assigne d’abord vernement, « elles soulèvent des problèmes trop – en dépit des dénégations des uns et des autres – délicats pour être improvisées »189… une vocation économique, n’est pas figé dans les Il est vrai que « la Flandre n’est pas pressée de esprits ou qu’en tout cas, tout le monde n’est pas voir naître les régions, d’autant plus qu’elle consi- persuadé que l’amplitude d’une région du point de dère que les Wallons ont été payés par le vote de vue de ce qui n’est pas strictement culturel doive la loi Terwagne190 sur la décentralisation et la pla- correspondre au ressort des régions linguistiques182. nification économique »191. Certains préconisent la création d’un territoire bruxellois comprenant les dix- neuf communes et les six communes à facilités, d’autres encore 183 X, « Bruxelles et la réforme des institutions », C.H. CRISP, no 613 du 14 septembre 1973, p. 8. 184 M.B., 21 juillet 1970. 176 Voy. les articles 30, 127, 128 et 129 de la Constitution coordonnée. 185 Rapport Lindemans, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. extr. 1968, no 10-33/1, p. 15. 177 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 9. 186 A. DELCAMP, op. cit., p. 97. 178 P. WYNANTS, « Origines, caractères et évaporation du fédéralisme en 187 F. PERIN, op. cit., p. 214. Belgique », op. cit., p. 1013. 188 M.B., 6 septembre 1972. Voy. la proposition du Conseil économique 179 P. WIGNY, op. cit., p. 181. régional pour le Brabant visée dans le rapport au Roi précédant l’arrêté royal. 180 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 4. 189 P. WIGNY, op. cit., p. 44. 181 F. DELPÉRÉE, F.-X. DUBOIS et C. FRÉMAULT-DE CRAYENCOUR, op. cit., p. 258. 190 Du nom du ministre qui en a promu l’adoption, Freddy Terwagne, par 182 Voy. à ce propos P. WIGNY, op. cit., pp. 177-178, mais aussi P. DE ailleurs grand artisan de la réforme de l’État de 1970. STEXHE, op. cit., p. 183. 191 A. MÉAN, op. cit., pp. 165 et 170.

126 ADMINISTRATION PUBLIQUE

Dans le même ordre d’idées, il n’est pas interdit La réponse que pourrait représenter l’article de penser que les Flamands se sont résignés à voter 107quater à ces questions n’est encore que virtuelle. l’article 107quater avec la ferme intention de ne Le seul territoire juridique effectif est celui jamais l’appliquer, en tout cas en ce qui concerne de l’arrondissement administratif de Bruxelles- la Région bruxelloise, mais afin d’offrir une contre- Capitale, aux vertus linguistiques et, désormais, partie à l’autonomie culturelle à laquelle ils aspi- économiques, les seules institutions nouvelles raient192. créées par la loi du 15 juillet 1970 portant organi- 47. La région bruxelloise existe donc sur le sation de la planification et de la décentralisation papier en 1970, et dès 1972, un territoire à nou- économique étant des conseils économiques consul- veau limité aux dix- neuf communes semble lui tatifs et une société de développement régional. être dessiné, en filigrane de l’exécution de la loi de décentralisation économique. T ITRE 3 – LE SUBSTITUT DE L’AGGLOMÉRATION Il appartient toutefois encore à la loi spéciale, à adopter en application de l’article 107quater, de Chapitre 1er – L’idée fixer expressément « le ressort » d’organes régio- 48. « La région bruxelloise est née le 24 décembre naux qu’il lui revient également de créer. 1970. Pourtant, pendant dix- neuf ans, nul n’a pu en Officiellement, la discussion relative aux limites attester l’existence. À peine baptisé, l’enfant dispa- de la région n’est donc pas close. raissait, remplacé par des figures successives qui De même, si ce n’est que l’on sait d’emblée en n’étaient même pas des sosies »197. lisant l’article 107quater que ces organes régio- Tandis que la mise sur pied des régions est dif- naux ne pourront régler des matières commu- férée, notamment parce qu’on cherche le ressort nautaires – visées aux articles 23 et 59bis de la de la région bruxelloise, l’action cumulative du Constitution – le législateur spécial doit encore constituant et du législateur permet, entre 1970 et déterminer les attributions de ces régions compo- 1972, l’instauration d’une « figure » administra- sées de mandataires élus. tive qui, à tout le moins, ne laisse pas Bruxelles Or les Flamands, qui ont revendiqué et enfin sans réforme visible. obtenu la reconnaissance de leur communauté, Cette figure consiste en un nouveau niveau de « ne souhaitent nullement défaire, en tout cas à ce pouvoir local, à partir duquel un certain nombre de moment-là, et surtout les plus nationalistes d’entre matières d’apparence régionale – qui, en tout cas, eux, par la régionalisation un État unitaire dont ils 193 pourraient se prêter à un traitement différencié à ont pris le contrôle » . ce niveau – seront réglées au niveau des dix-neuf À tout le moins considèrent-ils que, dans la communes bruxelloises. mesure où l’article 107quater n’a pas précisé que Il s’agira de l’Agglomération. les trois régions devaient être parfaitement équiva- 49. « Les raisons qui mènent à la création de lentes ou semblables, la région bruxelloise peut, et l’agglomération bruxelloise en 1970 sont mul- doit même, être le prolongement de chacune des tiples, voire complexes. Sans doute parce que ces deux communautés, une sorte de Rijksgebied. raisons ne peuvent être isolées de l’ensemble de L’idée de définir pour la région qui entoure la la révision constitutionnelle de 1970-1971, dont capitale un statut particulier, en sorte qu’elle soit l’histoire retiendra d’abord qu’elle assura dans gérée conjointement par les communautés fla- l’État belge la reconnaissance de l’autonomie des mande et française, voire par l’État, est loin d’être communautés et des régions »198. neuve. Elle reflète, encore et toujours, la perspec- La figure trouve néanmoins déjà des racines tive d’un fédéralisme à deux défendue au nord du plus loin dans le passé. pays dès les premières propositions de lois formu- 194 « Devant l’incapacité des autorités à fixer un lées aux fins de réformer l’État unitaire . statut des agglomérations, la Conférence (des Les francophones, eux, estiment que la capitale 195 bourgmestres) décide de créer et d’installer peut être une région égale aux deux autres . officiellement à l’hôtel de ville de Bruxelles le « Quel territoire ? Quelles attributions ? Quelles 196 19 mars 1968 un conseil provisoire de l’Agglo- institutions ? » . mération bruxelloise. Ce conseil réunit tous les bourgmestres et tous les échevins des dix-neuf 192 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 6. communes bruxelloises en vue d’harmoniser les 193 A. DELCAMP, op. cit., p. 39. différentes politiques communales et de créer un 194 Voy., pour un descriptif et une comparaison des toutes premières pro- positions, à commencer par celle de Herman De Vos en 1931, X, « Tableau synthétique des projets de fédéralisme de 1931 à nos jours », C.H. CRISP, no 129 du 14 novembre 1961. Voy. aussi A. DELCAMP, op. cit., pp. 45 et 47. 197 M.- Fr. RIGAUX, op. cit., p. 40. Voy. aussi Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles 195 E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 436. dans la réforme de l’État », C.H. CRISP 1989, nos 1230-1231, p. 20. 196 F. DELPÉRÉE, « Introduction », op. cit., p. 13. 198 Ibidem, p. 23.

127 ADMINISTRATION PUBLIQUE esprit d’agglomération au sein des différents pou- et d’abord ceux qui permettent la création de l’ag- voirs. Il fut dissous avec l’installation d’un nouvel glomération bruxelloise204. organe légal, le Conseil de l’Agglomération de 51. L’adoption des articles 108bis et 108ter Bruxelles, le 12 juin 1972 »199. de la Constitution, proposée en premier lieu à la Ainsi, donc, l’ancienne et toujours active Confé- Chambre, est donc cruciale. rence des bourgmestres a-t-elle pu servir de source Il est toutefois rappelé d’emblée que l’accord d’inspiration pour la mise en place de l’Agglomé- gouvernemental repose sur une agglomération ration bruxelloise, offrant ainsi vraisemblablement composée des dix-neuf communes, sachant que une raison pour les concepteurs de cette dernière « lorsqu’il sera question des régions, on traitera formule de ne pas bousculer l’histoire et de s’en des régions, des organes et des limites »205 et que, tenir, toujours, aux seules dix- neuf communes. par ailleurs, il reviendra au législateur de décider que les organes de l’agglomération seront égale- 206 Chapitre 2 – La constitutionnalisation ment ceux de la région . La technique est toujours la même : le gouver- 50. Avant d’en arriver là, il faut toutefois adopter nement prétend, comme il l’a fait lors de l’adop- les articles de la Constitution qui concernent cette tion de l’article 107quater, que la question de la Agglomération bruxelloise, conformément à la solu- limite des régions sera tranchée plus tard, mais, tion de compromis globale annoncée le 18 février entre- temps, s’agissant de décisions relatives au 1970 par le premier ministre Gaston Eyskens. ressort d’institutions qui préfigurent ce débat, les Avant lui, le premier ministre Théo Lefèvre, dans dix-neuf communes restent le seul compromis un message adressé en décembre 1963 aux pré- possible… sidents de partis, leur signalait que la révision de Les initiateurs de la réforme prennent donc une la Constitution à venir en 1970 reposait sur deux décision soi-disant provisoire en attendant de tran- objectifs majeurs, à savoir l’harmonisation des cher plus tard. relations entre Flamands et francophones et la Dans ces conditions, « finalement la plupart modernisation de l’État, soulignant que ces deux des députés bruxellois francophones et des dépu- objectifs devaient être liés de manière à ne pas tés wallons refusent de voter une réglementation compromettre l’un au détriment de l’autre200. qui compromet, à leur sens, le développement de Ainsi, même un problème relevant en principe l’agglomération bruxelloise. À la séance publique de la pure technique communale devient, selon du 30 juin 1970, l’article 108ter n’est pas adopté, le gouvernement, dès lors qu’il s’agit d’organiser faute de quorum constitutionnel des présences »207. l’agglomération bruxelloise, « un problème national En réalité, toute la révision constitutionnelle, très sérieux »201, à ce point important qu’il ne peut en ce compris l’adoption de l’article 107quater, être laissé « exclusivement aux mains des Bruxel- déjà évoqué, est bloquée en raison de l’impossibi- lois »202, précisément parce que la solution du conflit lité de résoudre le problème bruxellois. Il ne sera communautaire, pour être équilibrée, ne peut qu’être réglé qu’au lendemain des élections communales globale. du 11 octobre 1970, que les listes francophones La solution conçue pour l’agglomération revêt bruxelloises remportent largement, après amende- donc politiquement une haute valeur symbolique : ment de ses propositions par le gouvernement208. « Bruxelles pourrait donner sur ce point un bel Le texte des articles 108bis et 108ter, tels exemple de compréhension et de tolérance, si cet qu’adoptés, se présente finalement comme suit209. esprit apparaissait dans l’organe suprême de l’ag- glomération bruxelloise non seulement à l’égard 204 Ibidem, p. 34. des deux communautés de ce pays, mais aussi à 205 Ibidem, p. 22. 206 Ibidem, p. 23. l’égard de ceux qui, à Bruxelles, sont encore sou- 207 P. WIGNY, op. cit., p. 37. mis pour un quart, pour un tiers, pour n’importe 208 P. DE STEXHE, op. cit., pp. 314-315. P. WIGNY, op. cit., p. 38, et la réfé- quelle fraction, à une influence flamande, ce qui rence au rapport fait au nom des commissions réunies de révision de la Consti- 203 tution et de l’intérieur par M. Meyers, à propos d’un projet de loi modifiant est manifeste à Bruxelles » . les lois sur l’emploi des langues en matière administratives, coordonnées le Bruxelles, en tant que capitale, a des obligations 18 juillet 1966, Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 798/5. Voy. aussi révision de la Constitution, révision de l’article 126, article 108ter nouveau, deuxième envers les deux communautés et il convient de rapport complémentaire fait au nom de la Commission de révision de la Consti- consacrer ce fait dans les textes qui la concernent, tution par M. Lindemans, Doc. parl., Ch., sess. extr. 1968, no 10-33/8. Il résulte des amendements proposés par le gouvernement que la parité linguistique au sein du collège de l’Agglomération est instaurée sans période transitoire, que 199 V. COUMANS, « Archives de la Conférence des bourgmestres », op. cit., p. 2. l’idée d’une majorité spéciale pour le vote de la loi relative au statut de l’agglo- 200 Annexe B à l’exposé des motifs du projet de déclaration relatif à la révi- mération bruxelloise est abandonnée et que ladite loi sera votée au plus vite, sion de la Constitution, Doc. parl., Ch., sess. 1964-1965, no 993/1. pour permettre à la liberté du père de famille – négociée en parallèle et qui fait 201 Rapport Lindemans, op. cit., p. 27. partie de l’équilibre global – d’être acquise au 1er septembre 1971. 202 Ibidem, p. 27. 209 Révision de la Constitution du 24 décembre 1970, M.B., 30 décembre 203 Rapport Lindemans, op. cit., p. 25. 1970.

128 ADMINISTRATION PUBLIQUE

Il mérite d’être reproduit intégralement, car il Dans ce cas, la procédure au sein du conseil prophétise en quelque sorte les réformes ulté- d’agglomération est suspendue et la motion est rieures. renvoyée au collège exécutif qui, dans les trente « Art. 108bis. § 1er. La loi crée des aggloméra- jours, émet son avis motivé à ce sujet et amende le tions et des fédérations de communes sur tout le projet ou la proposition s’il échet. territoire du Royaume. Elle détermine leur organi- La tutelle relative au règlement ou à l’arrêté pris sation et leur compétence en consacrant l’applica- après cette procédure, est exercée par le Roi sur tion des principes énoncés à l’article 108. proposition du conseil des ministres. Il y a pour chaque agglomération et pour chaque Cette procédure ne peut être appliquée qu’une fois fédération un conseil et un collège exécutif. par les membres d’un groupe linguistique concer- Le président du collège exécutif est élu par le nant un même projet ou une même proposition. conseil, en son sein ; son élection est ratifiée par § 4. Dans l’agglomération, il existe une com- le Roi ; la loi règle son statut. mission française de la culture et une commission Les articles 107210 et 129211 s’appliquent aux néerlandaise de la culture212, qui sont composées arrêtés et règlements des agglomérations et des d’un même nombre de membres élus respective- fédérations de communes. ment par le groupe linguistique français et par le Les limites des agglomérations et des fédéra- groupe linguistique néerlandais du conseil d’agglo- tions de communes ne peuvent être changées ou mération. rectifiées qu’en vertu d’une loi. Elles ont, chacune pour sa communauté cultu- § 2. La loi crée l’organe au sein duquel chaque relle, les mêmes compétences que les autres pou- agglomération et les fédérations de communes les voirs organisateurs : plus proches se concertent aux conditions et selon 1° en matière préscolaire, postscolaire et cultu- le mode qu’elle fixe, pour l’examen de problèmes relle ; communs de caractère technique qui relèvent de 2° en matière d’enseignement. leur compétence respective. § 5. La commission française et la commission § 3. Plusieurs fédérations de communes peuvent néerlandaise de la culture constituent ensemble s’entendre ou s’associer entre elles ou avec une les Commissions réunies. Les décisions des Com- ou plusieurs agglomérations dans les conditions et missions réunies ne sont adoptées que si elles suivant le mode à déterminer par la loi pour régler obtiennent dans chaque commission la majorité et gérer en commun des objets qui relèvent de leur des voix émises. compétence. Il n’est pas permis à leurs conseils de Les Commissions réunies sont compétentes délibérer en commun. pour les matières prévues au paragraphe 4 qui sont Art. 108ter. § 1er. L’article 108bis s’applique à d’intérêt commun et pour la promotion de la mis- l’agglomération à laquelle appartient la capitale sion nationale et internationale de l’agglomération. du Royaume, sous réserve de ce qui est prévu ci- § 6. Les commissions visées aux paragraphes 4 après. et 5 remplissent également les missions dont elles § 2. Pour les cas déterminés dans la Constitution sont chargées par le pouvoir législatif, les conseils et dans la loi, les membres du conseil de l’agglo- culturels ou le gouvernement. mération sont répartis en un groupe linguistique La loi règle l’organisation et le fonctionnement français et un groupe linguistique néerlandais de de ces commissions ». la manière fixée par la loi. 52. L’article 108213, auquel renvoie l’article Le collège exécutif est composé d’un nombre 108bis, et qui est relatif aux institutions provinciales impair de membres. Le président excepté, il et communales, n’est pas dénué d’intérêt non plus. compte autant de membres du groupe linguistique Il fait, en effet, apparaître « l’ossature institu- français que du groupe linguistique néerlandais. tionnelle des nouvelles entités, en disposant qu’il § 3. Sauf pour les budgets, une motion motivée, doit être fait droit aux principes suivants : signée par les trois quarts au moins des membres 1° élection directe des membres des conseils ; d’un groupe linguistique du conseil de l’agglomé- 2° attribution aux conseils de tout ce qui relève ration, et introduite avant le vote final en séance de l’intérêt de l’entité qu’ils sont appelés à régir ; publique, peut déclarer que les dispositions qu’elle 3° décentralisation des attributions ; désigne dans un projet ou une proposition de 4° publicité des séances des conseils dans les règlement ou d’arrêté du conseil d’agglomération limites établies par la loi ; peuvent porter gravement atteinte aux relations 5° publicité des budgets et des comptes ; entre les communautés.

210 Actuel article 159 de la Constitution. 212 À propos des commissions de la culture, voy. infra, le titre 4. 211 Actuel article 190 de la Constitution. 213 Devenu l’article 162 de la Constitution.

129 ADMINISTRATION PUBLIQUE

6° intervention de l’autorité de tutelle ou du cas de l’agglomération bruxelloise telle qu’elle est pouvoir législatif, pour empêcher que la loi ne soit envisagée (…) Dès lors, pourquoi prévoir un dispo- violée ou l’intérêt général blessé »214. sitif spécial pour l’agglomération bruxelloise ? »218. 53. De manière évidente, la structuration de Il lui est simplement répondu que s’il a raison sur l’agglomération « à laquelle appartient la capitale le plan purement théorique, la procédure d’alarme du Royaume » présente des spécificités qui la font doit être maintenue parce que l’on se place dans ressembler, en miniature, aux autorités nationales l’optique des relations communautaires. « L’in- telles qu’elles viennent d’être rénovées à l’occa- tention, en ce qui concerne les relations commu- sion de la réforme de l’État. nautaires éventuelles est donc d’amener le conseil Ainsi, tout d’abord, la répartition en groupes d’agglomération à accorder une attention particu- linguistiques au sein du Conseil et du Collège lière à ces problèmes en le plaçant devant cette res- est la réplique de celle qui a été mise sur pied au ponsabilité, en insistant sur un dialogue entre les niveau du Parlement national. deux groupes linguistiques et entre le conseil et le Ensuite, la parité au Collège est, elle aussi, le collège exécutif, lorsqu’un conflit menace »219. reflet de celle qui est organisée au sein du Conseil En filigrane du débat sur la question, pointe des ministres215. toutefois l’argument selon lequel, depuis 1932, Le parallélisme avec le niveau national est la tutelle serait précisément restée en défaut à encore manifeste avec l’instauration du méca- Bruxelles…220 L’avenir engendrera une inversion nisme de la sonnette d’alarme : « on a prévu une de la tendance puisqu’à une sonnette d’alarme sonnette d’alarme au niveau national à la demande finalement inutilisable, il sera répondu par un des Wallons, et du côté flamand, on s’est posé la exercice rythmé de la tutelle221. question de savoir si on ne pouvait pas prévoir une 55. Enfin, l’existence d’une commission de la disposition parallèle au sein de l’agglomération. Il culture, qui plus est, dédoublée222, est une carac- s’agit donc d’une question d’équilibre sur le plan téristique que le constituant a voulu garantir pour psychologique »216. l’agglomération bruxelloise. Le mécanisme est accompagné, en l’occur- L’intention initiale était pourtant de ne faire rence, d’une tutelle qui n’est pas celle normale- aucune distinction entre Bruxelles et les autres ment dévolue au ministre de l’Intérieur en matière agglomérations, puisqu’il était préconisé que de pouvoirs locaux, mais au Roi, sur proposition toutes les agglomérations aient un organe cultu- du conseil des ministres, manière de bénéficier, ici rel distinct : « … aussi bien Liège qu’Anvers ont encore, de la garantie d’un contrôle paritaire sur de très grands problèmes financiers en ce qui les solutions apportées aux conflits bruxellois par concerne les musées et les théâtres. On aimerait les Bruxellois eux- mêmes217. voir ces problèmes transférés à un organe plus 54. Curieusement, l’utilité de la sonnette important que la ville où ils sont localisés. »223 d’alarme bruxelloise, compte tenu d’une tutelle Ainsi, chaque grande agglomération aurait une nationale paritaire n’est pas remise en question, institution propre pour la culture, « mais Bruxelles en dépit des réflexions d’un parlementaire : en aurait deux »224. « La différence fondamentale entre des délibé- À l’issue des travaux du Groupe des vingt- huit, rations qui peuvent être prises par une assemblée cependant, Bruxelles est la seule pour laquelle la délibérante de caractère national (une des deux création de commissions de la culture est encore Chambres ou les deux Chambres, par exemple), et envisagée225. celles qui peuvent être prises par un pouvoir qui, en 56. Le constituant ne règle pas la question du dépit de la décentralisation des attributions, demeu- ressort de cette agglomération qui abrite la capi- rera un pouvoir subordonné, réside dans le fait que, tale du pays. Il est renvoyé, à ce sujet, au législa- contrairement à une assemblée de caractère natio- teur, qui devra prendre ses responsabilités. nal, le pouvoir subordonné a une tutelle. Ce sera le Dans le cadre des travaux parlementaires, du côté du ministre, en dépit de l’accord gouverne- mental, il est – poliment ? – indiqué que le débat 214 Projet de loi organisant les agglomérations et les fédérations de com- munes, exposé des motifs, Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/1, p. 2. reste ouvert : « on peut considérer que cette agglo- 215 La parité au sein de l’agglomération a été jugée « d’autant plus remar- quable que cette institution, qui entre dans la catégorie des pouvoirs subordon- nés, avait à s’occuper de problèmes locaux ne regardant que les Bruxellois et 218 Ibidem, p. 43, mais aussi p. 45. qui auraient dû à ce titre échapper à la problématique communautaire » (Ph. DE 219 Ibidem, p. 44. BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 17). 220 Ibidem, p. 45. 216 Rapport Lindemans, Doc. parl., Ch., sess. extr. 1968, no 10-33/1, p. 42. 221 Voy. infra, chapitre 4. Voy., pour une confirmation de ce besoin de trouver un équilibre sur plan 222 À ce sujet, voy. infra, titre 4. psychologique, P. DE STEXHE, op. cit., p. 317. 223 Rapport Lindemans, Doc. parl., Ch., sess. extr. 1968, no 10-33/1, p. 48. 217 Voy. à ce sujet, le rapport Lindemans, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. extr. 224 Ibidem, p. 48. 1968, no 10-33/1, pp. 42 et 44. 225 Ibidem, p. 48.

130 ADMINISTRATION PUBLIQUE mération doit être placée sur le même pied que les qui doivent être rencontrés dans les limites de cir- régions linguistiques, mais on peut dire tout aussi conscriptions territoriales restant à taille humaine, bien que les régions linguistiques et les grandes tels que « le logement, l’emploi, l’éducation, la agglomérations sont des notions différentes »226. santé, les loisirs, les transports », que la solution de Parmi les députés, tant ceux qui considèrent l’agglomération et de la fédération est avancée233. qu’« il ne pourrait qu’y avoir une seule limite qui Les compétences de l’agglomération ne seraient est en même temps celle de la région linguistique, donc que des compétences strictement communales de l’agglomération et de la région économique »227 qui lui seraient transférées par ou en vertu de la loi. que ceux qui estiment que les questions d’agglo- Il est toutefois reconnu, dans un second temps, mération telles que l’infrastructure ou l’organisa- que l’article 108ter de la Constitution, dont la loi tion du territoire sont des problèmes qui dépassent projetée doit régler les détails, « répond à la néces- les limites des dix-neuf communes228, acceptent en sité de prévoir un statut particulier pour Bruxelles, définitive de remettre le débat à plus tard, tout en cœur et centre nerveux du pays, point de rencontre déplorant la situation. de deux communautés culturelles dont il est indis- pensable d’organiser en son sein la coexistence 234 Chapitre 3 – La légalisation harmonieuse et équilibrée » . Autrement dit, l’agglomération et la fédération 57. Alors que le gouvernement a commencé de communes n’entretiennent en principe aucun par déposer un projet de loi d’application de l’ar- rapport avec les « problèmes communautaires », ticle 108ter extrêmement complet229, il rétrograde sauf à Bruxelles, où toutes les institutions, fussent- pour mieux le faire passer, et fait adopter un projet elles supracommunales, doivent constituer une de loi-cadre 230 qui devient la loi du 26 juillet 1971, réponse adéquate à ces problèmes. organisant les fédérations et les agglomérations de Ces particularités bruxelloises « commandent communes231. des dispositions particulières en matière législa- À cette occasion, le gouvernement distingue et tive comme elles l’ont fait en matière constitution- mélange tout à la fois les concepts qu’il avait veillé nelle »235. La spécificité de cette agglomération à sérier dans le cadre des travaux du constituant : par rapport aux autres justifie également que le « (…) pour que la décentralisation et la décon- législateur la constitue d’emblée et d’office236, centration puissent s’effectuer avec fruit, il est même si, pourtant, il est bien envisagé que chaque indispensable que des entités politiques et admi- commune du pays se retrouve, à terme, soit dans nistratives viables puissent prendre le relais de une agglomération, soit dans une fédération, l’action de l’État unitaire. moyennant une démarche qui restera cependant Ces entités seront, à n’en pas douter sur le plan volontaire237. communautaire proprement dit, les communau- 58. Première réponse du législateur à la tés et les régions. Mais bien d’autres questions dimension communautaire du sujet, ou concré- existent à l’heure actuelle, dans notre pays, que tisation des « arrière-pensées politiques »238 des les problèmes communautaires. La solution de ces auteurs de la loi, l’agglomération bruxelloise est questions ne peut être envisagée que si les pou- bien limitée territorialement aux seules dix-neuf voirs locaux trouvent dans la Belgique de demain communes239. une assise meilleure et plus solide que l’émiette- En réaction à des amendements tendant à faire ment que nous connaissons aujourd’hui »232. fixer ce territoire en tenant compte de données C’est, ainsi, parce que les localités ne disposent sociologiques et économiques et après consultation pas de moyens suffisants pour rencontrer des besoins d’un certain nombre de communes limitrophes, le ministre des Relations communautaires, Léo 226 Ibidem, p. 59. Tindemans, n’hésite d’ailleurs pas à recourir à la 227 Ibidem, p. 67. « figure » de la Conférence des bourgmestres pour 228 Ibidem, p. 69. Voy. aussi p. 72. 229 Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 868/1. Le premier projet de loi dire que cette instance a librement adopté la déli- déposé le 9 février 1971 « soulève immédiatement d’importantes objections. Il est beaucoup trop long. (…) Comment serait- il possible de voter une loi aussi importante avant la date fixée ? D’autres objections touchent au fond. Si, en 233 Ibidem, p. 5. droit, on reconnaît la nécessité des fédérations, en fait chacun les redoute pour 234 Ibidem, p. 4. sa commune. Les compétences ne sont- elles pas trop largement transférées ? 235 Ibidem, p. 11. (…) D’une manière plus générale, ce bouleversement va- t-il se faire par déci- 236 Donc sans organiser de consultation préalable des conseils communaux sion gouvernementale, sans l’accord des communes intéressées ? L’opposition des communes concernées, comme la loi le prévoit en principe. est si vive que le gouvernement retire le projet, et en dépose un nouveau, le 237 Projet de loi organisant les agglomérations et les fédérations de com- 7 mai 1971 » (P. WIGNY, op. cit., pp. 194-195). munes, rapport fait au nom de la commission spéciale par MM. Deruelles et 230 Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/1. Verroken, Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/20, pp. 4, 11 et 12. 231 M.B., 24 août 1971. 238 M. LEROY, op. cit., p. 64. 232 Projet de loi organisant les agglomérations et les fédérations de com- 239 Article 61 de la loi du 26 juillet 1971, disposition toujours en vigueur munes, exposé des motifs, Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/1, p. 1. aujourd’hui.

131 ADMINISTRATION PUBLIQUE mitation du territoire de l’agglomération actuelle, il n’est pas exclu que les limites des fédérations entérinée dans le projet240. actuellement visées soient modifiées246. L’ancêtre – toujours vivant – de la Conférence 59. Les attributions des agglomérations ou des bourgmestres est donc appelé à la rescousse fédérations de communes, telles que fixées à l’ar- pour signaler que le choix des dix-neuf communes ticle 4 de la loi du 26 juillet 1971, sont les sui- repose sur une réalité tangible, objective, et qui vantes : s’est spontanément formée. « § 1er. Les agglomérations et les fédérations Dans le même contexte, et même si l’exposé des encouragent la coordination des activités des com- motifs du projet de loi ne le confirme pas expres- munes, et notamment la coordination technique sément241, la création, directement par le législa- des services de police communale. teur242, de cinq fédérations de communes autour de Bruxelles – , Hal, Tervueren, Vilvorde et § 2. Les attributions des communes dans les –, est à l’évidence de nature à contenter matières suivantes sont transférées à l’aggloméra- le nord du pays, qui constate ainsi que les six com- tion ou à la fédération : munes à facilités sont mêlées à une « ceinture »243 1° l’adoption de plans généraux d’aménagement ; de fédérations de communes flamandes, facteur 2° l’avis sur les plans particuliers d’aménagement ; susceptible de freiner toute extension de la « tache 3° l’avis sur le plan de secteur ; 244 d’huile » francophone . 4° la réglementation de la bâtisse et du lotisse- L’arrière- pensée politique est assez facilement ment ; décelée. 5° l’enlèvement et le traitement des immondices ; En réponse aux soupçons de certains députés, 6° le démergement247 ; le ministre de l’Intérieur, Lucien Harmegnies, 7° le transport rémunéré de personnes ; affirme pourtant, en commission, que « ce sont bien des critères objectifs qui ont présidé aux choix 8° l’expansion économique ; qui ont été faits en ce qui concerne les fédérations 9° la défense et la protection de l’environnement, périphériques à l’agglomération bruxelloise et que en ce compris les espaces verts, la lutte contre le bruit toutes les hypothèses, tant les minimalistes que les et la pollution ainsi que la rénovation des sites ; plus larges, ont été envisagées »245. 10° la lutte contre l’incendie ; En dépit de ces explications, que voudront bien 11° l’aide médicale urgente. croire les plus naïfs, la supracommunalité est § 3. Avec l’accord ou à la demande de la moitié donc, ici aussi, une réponse aux enjeux commu- au moins des communes qui la composent, et pour nautaires qui se nouent autour de Bruxelles. autant que ces communes représentent les deux Le ministre de l’Intérieur insistera d’ailleurs tiers de la population, l’agglomération ou la fédé- encore sur le fait que la délimitation des fédéra- ration peut régler : tions périphériques est le fruit d’un accord réa- 1° la création, la reprise, la gestion et l’éclairage lisé au sein du gouvernement, tout en indiquant, de la voirie d’agglomération ou de fédération, les selon un procédé rhétorique devenu classique – et règlements complémentaires ayant pour objet la éprouvé –, que dans le cadre de l’opération visant police de la circulation routière sur cette voirie, les à diviser tout le territoire de la province de Bra- plans d’alignement y afférents, ainsi que la déli- bant en fédérations, qui aura lieu « au plus tôt », vrance de permis de lotir impliquant la création ou la modification de cette voirie ; 240 Rapport Deruelles et Verroken, op. cit., p. 52. 2° les aéroports ; 241 Est évoquée la nécessité de « ne point favoriser une extension déme- surée de nos grandes agglomérations qui, vu l’ampleur de leur population, 3° la détermination de l’emplacement des mar- et leur puissance sociale, économique et culturelle, serait susceptible, dans chés publics d’intérêt d’agglomération, de fédéra- un pays de la taille de la Belgique, de susciter de dangereux déséquilibres » (projet de loi organisant les agglomérations et les fédérations de communes, tion ou régional ; exposé des motifs, Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/1, p. 4, voy. 4° les abattoirs ; aussi p. 12). 242 Ici aussi par dérogation au principe fixé dans la loi, selon lequel une 5° les parkings publics ; consultation préalable des communes concernées doit être organisée avant de 6° la promotion, l’accueil et l’information en constituer une fédération. 243 On parle de la « ceinture d’émeraude », ou du « Gordel ». matière de tourisme ; 244 A. MÉAN, op. cit., p. 177. Voy. aussi M. LEROY, op. cit., p. 65. Les fédé- 7° le camping, en ce compris le caravaning ; rations périphériques créées par l’article 24 de la loi du 26 juillet 1971 seront toutefois supprimées à l’occasion de l’adoption de la loi du 30 décembre 1975 8° les fours crématoires et les columbariums ; portant : 1° ratification d’arrêtés royaux pris en exécution de la loi du 23 juillet 9° l’organisation de services d’aide technique 1971 concernant la fusion de communes et la modification de leurs limites ; 2° suppression des fédérations périphériques créées par la loi du 26 juillet 1971 aux communes qui la composent. organisant les agglomérations et les fédérations de communes (M.B., 23 janvier 1976). 246 Ibidem, pp. 52-53. 245 Rapport Deruelles et Verroken, op. cit., p. 13. 247 Pour une définition, voy. le rapport Deruelles et Verroken, op. cit., p. 25.

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§ 4. L’agglomération ou la fédération exerce en Résultat : l’appartenance d’un conseiller d’ag- outre : glomération au groupe linguistique français ou 1° les attributions actuellement exercées par l’État au groupe linguistique néerlandais est déterminée ou la province qui lui sont confiées dans le cadre de par la seule déclaration du candidat, laquelle est la décentralisation et de la déconcentration ; irréversible pendant toute la durée de son man- 251 2° les attributions que le conseil d’agglomération dat . ou de fédération accepte d’exercer à la demande Le FDF parvient, sur cette base, à faire élire sur d’une ou plusieurs communes de son territoire. les listes du Rassemblement bruxellois des candi- § 5. Dans les matières visées aux paragraphes 2, 3 dats qui ont prétendu être néerlandophones alors et 4, l’agglomération et la fédération disposent d’un qu’ils ne l’étaient pas. pouvoir de décision qui est exercé, suivant les disposi- Conséquence de cette attitude, non seulement, tions de la présente loi, par leurs organes compétents. sur les 83 élus au Conseil, seuls 30 sont officiel- Ces organes exercent par voie d’arrêtés et de lement néerlandophones, mais en outre, la moitié règlements les attributions qui leur sont conférées. des membres néerlandophones du Collège d’ag- Pour tout autre problème qui concerne l’agglo- glomération sont issus du Rassemblement bruxel- mération ou la fédération, celle-ci est habilitée à lois. Au sein du Conseil lui-même, il est, dans adresser des recommandations aux autorités com- ces conditions de représentation, tout simplement impossible d’actionner le mécanisme de la son- munales ». 252 Alors qu’en vertu de l’article 108ter de la Consti- nette d’alarme prévu par le constituant . tution, le législateur aurait pu confier à l’agglomé- L’attitude de ceux qu’on surnommera ensuite les « faux flamands » du FDF aura, tel un véritable ration et à la fédération tout ce qui est de l’intérêt 253 de l’agglomération ou de la fédération, de la même « péché originel » , d’importantes et fâcheuses manière que les communes peuvent régler tout ce conséquences. qui est d’intérêt communal et les provinces tout ce C’est notamment la collaboration avec la tutelle qui est d’intérêt provincial, il a préféré procéder par qui sera mise à mal, la plupart des décisions de l’agglomération étant appelées à subir la suspen- énumération des attributions transférées aux agglo- 254 mérations et aux fédérations de communes248. sion ou l’annulation de l’autorité nationale . L’histoire ne dit pas si la méthode a été choi- La vie de l’Agglomération sera « tumultueuse » et « émaillée par de très nombreux incidents com- sie dans la mesure où l’agglomération bruxelloise 255 préfigurait la Région, pour laquelle la technique munautaires » . de l’attribution de compétences « énumérées » « Le détournement du sens de la loi pèsera sur sera également utilisée. le Conseil d’agglomération durant toute son exis- tence. À tel point qu’il ne sera jamais renouvelé, francophones et néerlandophones ne parvenant Chapitre 4 – La concrétisation pas, avant août 1987, à se mettre d’accord sur de 256, 257 60. Le Conseil de l’Agglomération de Bruxelles nouvelles règles d’élection » . est installé le 12 juin 1972. C’est alors qu’un article 62ter sera inséré dans Les élections d’agglomération du 21 novembre la loi du 26 juillet 1971 aux fins de régler dans 1971 tournent toutefois à la duperie, qu’un parle- le détail les conditions et les conséquences de la mentaire avait pourtant prédite, puisqu’il a même présentation de candidats de groupes linguistiques tenté de faire voter un amendement aux fins d’obte- différents sur une même liste : la dévolution des sièges partira du principe que les listes étaient nir que « les candidats au conseil de l’Agglomération 258 bruxelloise appartiennent réellement à la commu- néanmoins distinctes . nauté linguistique qu’ils désirent représenter »249. Le ministre de l’Intérieur, tout en comprenant 251 Projet de loi organisant les agglomérations et les fédérations de com- munes, exposé des motifs, Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/1, p. 20. le souci d’éviter que « la parité soit contredite », 252 Voy., à ce propos, E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., pp. 433-434. avait néanmoins proposé d’en rester aux termes du 253 A. DELCAMP, op. cit., p. 84. 254 X, « Bruxelles et la réforme des institutions », C.H. CRISP, no 613 du projet de loi, dans la mesure où le vote de l’amen- 14 septembre 1973, p. 8. dement « introduirait la notion de sous-nationalité 255 Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État dans notre système électoral »250. belge », op. cit., p. 233. 256 A. MÉAN, op. cit., p. 180. Voy. aussi F. PERIN, op. cit., pp. 218-219, A. DELCAMP, op. cit., p. 54, ou encore K. RIMANQUE, « De nieuwe kleren 248 R. ANDERSEN, « Les compétences des institutions bruxelloises », in van de keizer – Over schijn en werkelijkheid in de Staatshervorming », R.W. R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.- F. RIGAUX, H. SIMO- 1984-1985, p. 643. NART et M. VERDUSSEN, La Région de Bruxelles- Capitale, Bruxelles, Bruylant, 257 Voy. les articles 62 et suivants, de la loi du 27 juillet 1971, telle que 1989, p. 263. modifiée par la loi du 21 août 1987. 249 Voy. la discussion de cet amendement, dans le rapport Deruelles et Ver- 258 Voy. l’article 13 de la loi du 21 août 1987 modifiant la loi organisant roken, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. 1970-1971, no 973/20, p. 56. les agglomérations et les fédérations de communes et portant des dispositions 250 Ibidem, p. 53. relatives à la Région bruxelloise, M.B., 26 septembre 1987.

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Dès le pacte d’Egmont259, en 1977, puis lorsque tionnelles du 8 août 1980, dans la mesure où il est les institutions régionales bruxelloises seront peu concevable que certaines matières relèvent à créées, en 1989260, c’est d’une interdiction perma- la fois de la région et de l’agglomération sur un nente de composer des listes bilingues qu’il sera territoire aussi exigu266. question. Or il s’agit là d’un « facteur favorisant L’agglomération bruxelloise, comme telle, se le clivage communautaire des élus au détriment de voit en revanche transférer de nouvelles attri- l’émergence d’une véritable identité régionale »261. butions, relatives à la distribution de l’eau, au Mais tel sera le reflet de la volonté du législateur balayage et au déneigement de la voirie publique, de « tirer les leçons de l’expérience de l’Agglo- « afin de créer un bloc de compétences autour de mération et des tensions communautaires qu’elle la notion de propreté publique »267. Elle est égale- a connues »262. ment chargée de créer une voirie d’agglomération 61. Outre les difficultés politiques et commu- par la reprise des voiries communales, de gérer nautaires précitées, l’Agglomération de Bruxelles et d’éclairer celles-ci. Elle devient également fait encore face à d’autres problèmes concrets, compétente pour régler l’informatique des com- d’ordre financier, à tel point qu’une réforme de munes268. l’institution doit être envisagée sans attendre la Outre les compétences transférées et les com- création des institutions régionales263. pétences dévolues, les compétences de l’Agglo- L’article 4, déjà cité intégralement, est donc mération comprennent donc l’enlèvement et le modifié par la loi du 21 août 1987264. traitement des immondices, la lutte contre l’incen- Sont retirées aux agglomérations – enfin, die, l’aide médicale urgente et le transport rému- concrètement, à la seule Agglomération bruxel- néré des personnes. loise – les attributions transférées à l’origine en matière d’aménagement du territoire et d’envi- T ITRE 4 – LES COMMISSIONS DE LA CULTURE ronnement, de même que celles relatives à l’ex- pansion économique, « ce qui était parfaitement Chapitre 1er – L’idée logique dans la perspective, alors non encore réali- 62. L’organisation des organes de l’aggloméra- sée, de la révision de l’article 108ter de la Consti- tion reflète déjà la prise en compte de l’existence tution et de la loi spéciale relative aux institutions 265 des deux grandes communautés à Bruxelles. bruxelloises » . Le constituant a jugé que cela n’était pas suffisant. L’agglomération est, certes, maintenue, mais Pour rappel, l’intention originaire était de elle est privée de sept compétences sur les douze constituer une commission de la culture au sein de qui lui étaient dévolues à l’origine : l’intérêt supra- chaque agglomération. communal est raboté, au profit de la future région. Finalement, sur la base des conclusions du groupe On peut comprendre, en effet, que l’agglomération des vingt- huit, le constituant a entendu imposer cet perde les compétences exercées dans des domaines organe à la seule Agglomération bruxelloise, qui régionalisés par la loi spéciale de réformes institu- plus est en le dédoublant, voire en le détriplant. C’est ainsi qu’aux termes de l’article 72 de la loi

259 J. CLÉMENT et X. DELGRANGE, « La protection des minorités/De bescher- du 26 juillet 1971, il existe, dans l’Agglomération ming van de minderheden », in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT et R. ERGEC bruxelloise, une commission française de la culture (réd.), Het statuut van Brussel/Bruxelles et son statut, op. cit., p. 529. Voy., à propos de ce pacte, infra, troisième partie, titre 2, chapitre 1er. et une commission néerlandaise de la culture, qui 260 Voy. infra, quatrième partie, titre 3, chapitre 1er. constituent ensemble les commissions réunies. 261 P. VANLEEMPUTTEN, Les institutions bruxelloises – Leur position dans la Les deux commissions de la culture, de même structure fédérale de l’État, leur organisation, leur fonctionnement, leur finan- cement, Bruxelles, Bruylant et Némésis, 2003, p. 23. Voy. aussi G. CEREXHE, que les commissions réunies qu’elles composent « Les institutions bruxelloises : le pari de la loyauté ? », in La loyauté ensemble, ont chacune une personnalité juridique – Mélanges offerts à Étienne Cerexhe, Bruxelles, Larcier, 1997, p. 65 et, com- mentant cette doctrine, Y. LEJEUNE et W. PAS, « Le fonctionnement des insti- propre et sont soumises aux règles de contrôle tutions/De werking van de instellingen », in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT et prévues par l’article 3, § 2, de la loi du 16 mars R. ERGEC (réd.), Het statuut van Brussel/Bruxelles et son statut, Bruxelles, De 1954 relative au contrôle de certains organismes Boeck et Larcier, 1999, p. 512. 262 G. CEREXHE, « Les institutions bruxelloises : le pari de la loyauté ? », in d’intérêt public. « Toutes trois peuvent être com- X, La loyauté – Mélanges offerts à Étienne Cerexhe, Bruxelles, Larcier, 1997, parées à des institutions parastatales, placées sous p. 52. Voy. aussi N. LAGASSE, « Gouverner Bruxelles – Règles en vigueur et os le contrôle des ministères de l’Éducation nationale débat », C.H. CRISP 1999, n 1628-1629, p. 14. Voy. également, s’agissant 269 du projet de loi spéciale relative aux institutions bruxelloises, le rapport fait au et de la Culture (…) » . nom de la commission de révision de la Constitution, des réformes institution- nelles et du règlement des conflits par MM. Tomas et Anciaux, Doc. parl., Ch., sess. 1988-1989, no 661/4, p. 55. 266 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 23. 263 A. DELCAMP, op. cit., p. 63. Voy. aussi R. ANDERSEN, op. cit., p. 266. 267 A. DELCAMP, op. cit., p. 63. 264 M.B., 26 septembre 1987. 268 Voy. l’article 2 de la loi du 21 août 1987. 265 S. GEHLEN, « Bruxelles, région à part entière ? À propos de la révision 269 X, « Bruxelles et la réforme des institutions », C.H. CRISP, no 613 du de l’article 108ter de la Constitution », A.P.T., 1988, p. 201. 14 septembre 1973, p. 7.

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Elles sont composées de membres élus en rai- mouvoir la vocation nationale et internationale de son de leur compétence particulière, mais ceux- ci l’agglomération ». doivent être éligibles au conseil d’agglomération Elles doivent, en outre, accomplir toute mission pour pouvoir être désignés. dont elles seraient chargées par le pouvoir législa- 63. Les attributions respectives des commis- tif, les conseils culturels, le gouvernement, la pro- sions de la culture, déjà définies en partie par l’ar- vince ou l’agglomération. ticle 108ter de la Constitution, sont précisées dans Depuis 1987, elles peuvent également se voir la loi du 26 juillet 1971, puis complétées par la loi confier la gestion d’institutions et d’infrastructures du 21 août 1987. relatives à l’enseignement et aux matières pré et Ainsi, l’article 72, § 2, de la loi du 26 juillet postscolaires et culturelles, par une ou plusieurs 1971 prévoit que chaque commission de la culture communes. exerce, pour ce qui la concerne, les mêmes com- Elles sont, en vertu de l’article 82 de la loi pétences que les autres pouvoirs organisateurs du 26 juillet 1971, financées par des dotations dans les matières préscolaires, postscolaires et annuelles inscrites au budget respectif des conseils culturelles, en ce compris les loisirs et les sports, culturels pour la communauté culturelle française ainsi qu’en matière d’enseignement270. et la communauté culturelle néerlandaise, outre Par « matières culturelles », il y a lieu de com- des subventions, des donations et des legs. Elles prendre les matières culturelles telles que défi- peuvent encore demander aux communes de nies par la loi du 21 juillet 1971, relative à la contribuer à leurs dépenses. compétence des conseils culturels, qui explicite Les commissions peuvent, pour les matières qui les matières culturelles visées à l’article 59bis, relèvent de leurs attributions, adopter des règle- § 2, 1°, de la Constitution271, de la manière sui- ments et arrêtés subordonnés à la tutelle du Roi, vante272 : sur proposition du conseil des ministres274. — « la défense et l’illustration de la langue ; 64. Sur les commissions réunies, les explica- — l’encouragement et la formation des cher- tions suivantes ont été fournies dans le cadre des cheurs ; travaux parlementaires : — les beaux- arts, y compris le théâtre et le cinéma ; « Les deux conseils culturels auront compé- — le patrimoine culturel, les musées et les tence, à Bruxelles, pour des établissements rele- autres institutions scientifiques culturelles ; vant exclusivement de leur groupe linguistique. — les bibliothèques, discothèques et services Les établissements qui ont une vocation nationale et qui respectent les lois linguistiques seront énu- similaires ; mérés dans une loi ; ils continueront à dépendre du — la radiodiffusion et la télévision ; Parlement national et non des conseils culturels. — la politique de la jeunesse ; Si, cependant, il y avait à Bruxelles au niveau — l’éducation permanente et l’animation socio- de l’agglomération – et donc pas au niveau natio- culturelle ; nal – des établissements qui s’adressent aux deux — l’éducation physique, le sport et la vie en cultures, un problème pourrait se poser. C’est pour- plein air ; quoi il a été prévu que les commissions culturelles — les loisirs et le tourisme273 ». peuvent se réunir ensemble, afin d’élaborer conjoin- Les commissions réunies exercent les attribu- tement des programmes culturels relatifs aux tâches tions des commissions lorsqu’il s’agit d’objets nationales ou internationales de Bruxelles »275. d’intérêt commun, prévoit l’article 73 de la loi, ajoutant qu’elles sont en outre chargées de « pro- Chapitre 2 – Les questionnements sur la valeur ajoutée 270 Chaque commission a en particulier pour mission : 1° d’élaborer et d’exécuter une programmation de l’infrastructure culturelle, 65. La création des commissions de la culture scolaire, pré et postscolaire ; 2° de créer les institutions nécessaires, de les gérer et d’accorder des sub- et la définition de leurs attributions n’ont pas man- sides dans les conditions fixées par la loi du 29 mai 1959, dite loi du « Pacte qué de susciter des débats quant à leur rôle et à scolaire » ; leur valeur ajoutée. 3° d’adresser des recommandations aux chambres législatives, aux conseils culturels, au gouvernement, à la province, à l’agglomération et aux communes de l’agglomération et de donner à ces autorités des avis, soit à leur demande, soit d’initiative ; 274 La loi de 1971 réserve au Roi la tutelle administrative sur les agglo- 4° de prendre et d’encourager les initiatives culturelles ; mérations et sur les commissions de la culture, les fédérations étant pour leur 5° d’accomplir toute autre mission dont elle serait chargée par le pouvoir part placées sous la tutelle de la députation permanente du conseil provincial législatif, un conseil culturel ou le gouvernement. compétent (article 56 de la loi du 24 août 1971). Lors de la deuxième réforme 271 Voy. l’article 127 de la Constitution coordonnée. de l’État, ce pouvoir de tutelle sur les commissions sera transféré aux Exécutifs 272 M.- A. FLAMME, « Quels sont les pouvoirs de la Commission bruxelloise communautaires correspondants. de la Culture française ? », Rev. comm., 1973, pp. 59-60. 275 Rapport Lindemans, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. extr. 1968, no 10-33/1, 273 À propos du tourisme, voy. supra, note 164. p. 46.

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Les commissions de la culture s’ajoutent-elles Les commissions de la culture peuvent créer et aux pouvoirs organisateurs déjà existants dans gérer, « tout comme l’État, les provinces, les com- l’agglomération bruxelloise en matière culturelle, munes ou le secteur libre, des réseaux d’institu- préscolaire et postscolaire et en matière d’ensei- tions à vocation scolaire, culturelle ou sportive », gnement, à savoir d’une part les communes, de leurs seules limites étant constituées par les res- l’autre les provinces et l’État, qu’il s’agisse – à sources financières mises à leur disposition280. l’époque encore – de l’État central ou des deux 66. Quoi qu’il en soit, l’existence des commis- Communautés276 ? sions de la culture, en tout cas du point de vue Telle est une première thèse défendue à propos du droit public, ne représente pas grand- chose : des commissions. relevant de la municipalité, elles ont « consacré Plus précisément, « les activités des commis- l’essentiel de leurs activités au domaine culturel, sions culturelles ne (portent) pas atteinte aux finançant des recherches, patronnant des exposi- compétences des communes en matière d’ensei- tions »281. « Bref, c’étaient là des entreprises qui gnement. La commune reste entièrement compé- ne requéraient pas la mise en œuvre de préroga- tente. Ce n’est que si la commune, la province ou tives de puissance publique »282. l’État faisaient preuve de carence que les com- Quant aux commissions réunies, elles ne missions culturelles – et ceci, en pratique, n’est seraient en pratique jamais retrouvées283… valable que pour la commission flamande, car il Toujours est-il que ces instances seront encore n’y a aucun problème à Bruxelles dans le domaine en place au moment de la création, en 1988, des de l’enseignement en langue française – pourraient institutions régionales bruxelloises définitives. procéder à la création de nouveaux établissements 277 d’enseignement » . T ITRE 5 – DEUXIÈME CONCLUSION – DES INSTITU- Mais une thèse différente a également cours. TIONS ET DES ATTRIBUTIONS SUPRACOMMUNALES Selon celle- ci, « il y a donc exercice concurrent des mêmes pouvoirs et non pas – comme il l’a 67. La réforme des institutions de 1970 parfois été avancé au cours des travaux prépara- consacre la première grande « solution transac- toires – simple intervention supplétive ou complé- tionnelle du conflit communautaire »284. mentaire de la part des commissions culturelles. Au niveau national, d’abord, les francophones Bien entendu, cette concurrence ne signifie ni obtiennent diverses garanties contre leur minori- “doubles emplois” ni “gaspillages”. Comme l’a sation – parité au conseil des ministres, groupes souligné le ministre Tindemans (…), “une concer- linguistiques au Parlement et sonnette d’alarme – tation doit avoir lieu ; il y aura également une pro- et les Flamands parviennent à constitutionnaliser grammation, tout comme il existe actuellement leur autonomie culturelle. une coopération entre six cabinets en vue de déter- Ce réaménagement se fait « dans un esprit miner les besoins de la région bruxelloise” »278. d’équilibre des deux grandes communautés, et C’est cette seconde thèse qui prévaudra. L’at- non dans une perspective fédéraliste ». « Et pour tribution de compétences aux commissions de la cause, le principe même du fédéralisme était à culture identiques à celles détenues par d’autres ce moment rejeté par la très grande majorité du pouvoirs organisateurs tend à leur permettre d’in- monde politique (ce qui est) d’ailleurs le grand tervenir dans ce domaine concurremment avec les paradoxe de la réforme de 1970-1971, d’avoir autres autorités compétentes. Il s’agit d’habiliter engagé le pays dans la voie du fédéralisme tout en les Bruxellois, francophones ou néerlandophones, refusant le principe de celui-ci » 285. à intervenir de leur seul chef dans l’hypothèse où Au niveau bruxellois, ensuite, des concessions les actions menées par les autorités normalement réciproques sont actées. En effet, l’élection directe compétentes ne les satisferaient pas, en recourant du Conseil d’agglomération, qui avantage les fran- à l’instrument du règlement279. cophones, supérieurs en nombre, est compensée par la transposition, en « miroir inversé »286, des protections que les francophones viennent d’ob- 276 S. GOVAERT, « L’action des deux communautés de la culture à Bruxelles : tenir au niveau national : parité au Collège d’ag- essai d’évaluation comparée », in X, Le problème de Bruxelles depuis Val- Duchesse (1963), actes du colloque VUB- CRISP des 20 et 21 octobre 1988, t. 2, Bruxelles, VUB Press, 1989, p. 121. 280 X, « Bruxelles et la réforme des institutions », C.H. CRISP, no 613 du 277 Révision de la Constitution, révision de l’article 126, article 108ter nou- 14 septembre 1973, p. 7. veau, rapport fait au nom de la commission de révision de la Constitution par 281 M. LEROY, op. cit., p. 65. M. Lindemans, Doc. parl., Ch., sess. extr. 1968, no 10-33/1, p. 46, p. 52. 282 Ibidem, p. 65. 278 M.- A. FLAMME, op. cit., p. 62. 283 Ibidem, p. 65. 279 En ce sens, mais à propos de l’article 64 de la loi spéciale du 12 janvier 284 P. WIGNY, op. cit., p. 40. 1989 relative aux institutions bruxelloises, voy. M. DONY et B. BLERO, « La 285 M. LEROY, op. cit., p. 44. répartition des compétences en matière de politique de santé », C.H. CRISP, 286 M. REUCHAMPS, « La parité linguistique au sein des “gouvernements” nos 1300-1301, 1990, p. 41. bruxellois », Rev. dr. ULg. 2008, livr. 2, p. 183.

136 ADMINISTRATION PUBLIQUE glomération, groupes linguistiques et sonnette Définir le statut de Bruxelles n’aura pas été sim- d’alarme, avec, en outre, un dédoublement des plement « un problème technique destiné à définir commissions culturelles. le meilleur niveau possible de décentralisation ou Par ailleurs, la réforme et les débats qui l’ont d’autonomie possible pour une cité- capitale »295. En nourrie permettent à la région centrale du pays, réalité, « la recherche d’institutions adaptées à la ges- qui a longtemps cru que les querelles entre Fla- tion de la plus grande agglomération du pays n’était mands et Wallons ne la concernaient pas, de qu’un objectif de second plan par rapport à l’enjeu s’apercevoir qu’elle est coincée entre les deux communautaire dont elle était le symbole »296. communautés, lesquelles « risquent de s’entendre 69. La mise sur pied de l’agglomération bruxel- à ses dépens »287. loise mérite d’être considérée comme une étape À ce stade, toutefois, les Flamands et les Wal- essentielle dans le processus qui aboutira à « doter lons ne parviennent pas à s’accorder sur son sort la région de Bruxelles-Capitale d’un statut défini- définitif. tif »297. 68. Certes, en 1971, Bruxelles s’est trouvée « au S’y retrouvent déjà de nombreux éléments qui carrefour de deux processus : celui de la mise en seront conservés et récupérés par la suite lorsque place d’une régionalisation approfondie dans le le fait fédéral atteindra l’agglomération298. cadre d’un état en voie de fédéralisation, celui de la Ainsi en va-t-il de la limitation du territoire aux recherche d’une amélioration de la gestion commu- dix- neuf communes et, sur le plan institutionnel, nale – et en particulier celle des grandes aggloméra- de la séparation de l’assemblée en groupes linguis- tions – à travers une restructuration territoriale »288. tiques, de la sonnette d’alarme et de la parité lin- Mais, précisément compte tenu de cette situa- guistique au niveau du collège. tion, il est difficile de voir dans l’agglomération Quant aux attributions, elles sont, certes, libellées bruxelloise autre chose qu’une institution provi- en faveur d’un pouvoir supracommunal et relèvent soire destinée à « pallier l’absence de région »289. donc en principe de l’intérêt purement local. De Il en va d’autant plus qu’elle est finalement la nombreuses compétences attribuées à l’aggloméra- seule agglomération à voir le jour290, comme si la tion s’avéreront néanmoins « parallèles » à celles formule répondait là à un besoin qui était rencon- qui ont été envisagées pour les régions, et lui seront tré ailleurs par les nouvelles institutions du pays d’ailleurs retirées à partir de 1987. en cours de fédéralisation291. En tout cas, dès sa conception par le constituant, l’agglomération bruxelloise, dont la création aurait TROISIÈME PARTIE – BRUXELLES JUSQU’À LA pu n’avoir pour objet que de répondre à un simple DEUXIÈME RÉFORME DE L’ÉTAT (1980) problème de gestion communale, se distingue des autres que le législateur avait envisagées, et cor- ER respond à « une collectivité politique hybride »292, T ITRE 1 – LES LOIS DE RÉGIONALISATION « PRÉPA- notamment parce qu’elle répond autant au souhait RATOIRES » de contenir Bruxelles qu’à celui de résoudre les Chapitre 1er – Le contexte problèmes techniques de gestion d’une grande agglomération293. « L’existence et les compétences 70. Depuis l’adoption de l’article 107quater en de ces organes ne peut trouver sa justification ail- 1970, son exécution constitue pour le pays le pro- blème « sinon le plus important, du moins le plus leurs que dans la tentative de résoudre à Bruxelles 299 – et par le biais d’une solution décentralisée – ce controversé » . qu’ailleurs on a résolu en terme d’autonomie de Les formules imaginées sont nombreuses, type fédéral pour les Communautés française et s’agissant de la composition des futurs organes flamande »294. régionaux, de leurs compétences et de la tutelle à mettre en œuvre à leur égard, mais aucune n’est de nature à obtenir la majorité requise. 287 P. WIGNY, op. cit., p. 78. 288 A. DELCAMP, op. cit., p. 59. 71. À la fin du mois de novembre 1972, le 289 En ce sens, voy. Chronique de la Belgique – Du néolithique à l’époque premier ministre Gaston Eyskens démissionne contemporaine, Paris, Éditions Chronique, 2012, p. 441. et quitte définitivement la politique. Le socia- 290 S. GEHLEN, op. cit., p. 201. 291 Comp. Ph. DE BRUYCKER, « Intervention », in R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.- F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La 295 A. DELCAMP, op. cit., p. 37. Région de Bruxelles- Capitale, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 294, qui explique 296 Ibidem, p. 37. que les autres agglomérations n’ont jamais vu le jour parce qu’elles ont été 297 S. GEHLEN, op. cit., p. 200. rapidement dépassées dans les faits par le vaste mouvement de fusion des com- 298 Voy. à cet égard la prémonition de F. PERIN, op. cit., p. 286. munes qui a eu lieu au cours des années septante. 299 Rapport fait au nom de la commission spéciale par M. de Keersmaeker, 292 M.- Fr. RIGAUX, op. cit., p. 23. notamment à propos du projet de loi créant des institutions régionales, à titre 293 A. DELCAMP, op. cit., p. 98. préparatoire à l’application de l’article 107quater de la Constitution, Doc. parl., 294 M.- Fr. RIGAUX, op. cit., p. 28. Ch., sess. extr. 1974, no 194/6, p. 2.

137 ADMINISTRATION PUBLIQUE liste francophone Edmond Leburton lui succède tions auxquelles il s’abstient de confier la compé- et « encommissionne »300 le sujet de la régionali- tence de « régler » des matières déterminées. sation, chargeant une commission parlementaire En d’autres termes, est-il expliqué, il est exclu mixte de plancher sur la question. Celle-ci dépose d’accorder aux instances créées un quelconque un rapport final volumineux le 13 septembre pouvoir normatif308. Seule une vocation consulta- 1973301, lequel fait, en dépit du caractère appro- tive leur est attribuée, selon une méthode inspirée fondi et technique des débats302, peu d’effet, non de la loi du 15 juillet 1970 portant organisation seulement parce la commission n’a pas pu émettre de la planification et de la décentralisation écono- un avis univoque, mais surtout dans la mesure où mique309. le gouvernement ne peut ou ne veut rien conce- Le but annoncé : « débroussailler le pro- voir303. blème »310. Plus officieusement, « il valait mieux Il n’est d’ailleurs pas le seul à préférer cette amorcer la régionalisation que de laisser tomber stratégie de la lenteur. Tous les partis qui parti- les bras et paralyser toute évolution »311, et le vote cipent aux travaux veulent gagner du temps, y d’une telle loi est la condition de la participation compris les fédéralistes, pour qui il faut éviter la au gouvernement du Rassemblement wallon312. mise en place de la régionalisation envisagée par 74. On ne peut que comprendre la perplexité le gouvernement, dès lors qu’elle est trop minima- de la section de législation du Conseil d’État, qui liste, et surtout provincialiste304. n’omet pas, dans son avis313, de faire allusion au 72. Il faut attendre l’arrivée de Léo Tindemans caractère vague de l’article 107quater : – vice- premier ministre chargé des Affaires insti- « L’article 107quater peut être compris de deux tutionnelles sous Leburton – à la tête du gouver- manières : nement, en 1974, pour engranger quelque progrès. Selon une première thèse, cette disposition vise S’agissant de Bruxelles, il est finalement convenu, essentiellement à pourvoir des organes régionaux une fois encore, que vu l’absence d’accord autre à d’un pouvoir normatif. l’issue des travaux de la commission parlementaire D’après une autre thèse, qui fait une part plus mixte, les limites de la future région coïncideront large à la genèse et à l’économie de la disposition, avec le territoire actuel de l’agglomération305. l’article 107quater de la Constitution vise toute 73. À défaut de solution globale concernant réforme régionale du pays, quelles qu’en puissent Bruxelles dans le cadre du premier dialogue de être les modalités juridiques. communauté à communauté mené en avril 1974 Le gouvernement semble se rallier à la première au château de , le gouvernement, thèse. qui n’a donc pas de solution globale aux pro- Aux termes de l’exposé des motifs le projet ne blèmes communautaires, est obligé de « mettre au constitue pas une exécution de l’article 107quater point une formule de régionalisation transitoire, de la Constitution, puisqu’il ne met en place qu’à provisoire ou, mieux encore, préparatoire »306. titre préparatoire des conseils régionaux qui ne sont Il est, en effet, certain à ce stade que la majorité investis que d’une mission purement consultative. requise pour le vote d’une loi spéciale d’applica- De cette motivation il est permis de déduire qu’au tion de l’article 107quater n’est pas réunie. sentiment du gouvernement, il ne saurait être ques- Le gouvernement s’en tire en mettant au point, tion de régionalisation au sens de l’article 107qua- à l’intervention des deux ministres de la Réforme ter de la Constitution que dès l’instant où les des institutions, Robert Vandekerckhove et Fran- régions se voient reconnaître une certaine autono- çois Perin, un projet de loi « créant des institutions mie par l’attribution d’un pouvoir normatif ». régionales, à titre préparatoire à l’application de Faut-il le rappeler, la compétence de « régler » l’article 107quater de la Constitution »307, institu- des matières, visée dans cette disposition consti- tutionnelle, a été soigneusement choisie, à la fois parce qu’elle couvrait l’hypothèse du seul pouvoir 300 Sur la pratique de l’encommissionnement s’agissant de Bruxelles, voy. F. PERIN, op. cit., p. 283. réglementaire, préconisé initialement lorsque les 301 Doc. parl., Ch., sess. 1972-1973, no 61/1, ou Doc. parl., Sén., sess. perspectives de régionalisation ont été négociées, et 1972-1973, no 427. 302 X., « Bruxelles et la réforme des institutions », C.H. CRISP, no 613 du 14 septembre 1973, p. 10. 308 Ibidem, p. 1. 303 F. PERIN, op. cit., p. 223. 309 Projet de loi créant des institutions régionales, à titre préparatoire à 304 M. LEGRAND, « Les travaux de la Commission parlementaire mixte sur la l’application de l’article 107quater de la Constitution, rapport fait au nom de régionalisation (II) », C.H.CRISP, no 628 du 11 janvier 1974, pp. 19-20. Voy la commission spéciale pour la régionalisation par M. Cooreman, Doc. parl., aussi, du même auteur, « Les travaux de la Commission parlementaire mixte Sén., sess. extr. 1974, no 301/2, p. 5. sur la régionalisation (I )», C.H.CRISP, no 627 du 4 janvier 1974. 310 Rapport de Keersmaeker, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. extr. 1974, 305 X, « Bruxelles et la réforme des institutions », C.H. CRISP, no 613 du no 194/6, p. 8. 14 septembre 1973, p. 4. 311 F. PERIN, op. cit., p. 227. 306 A. MÉAN, op. cit., p. 188. 312 Ibidem, p. 228. 307 Doc. parl., Sén., sess. extr. 1974, no 301/1. 313 Doc. parl., Sén., sess. extr. 1974, no 301/1, pp. 11-16.

138 ADMINISTRATION PUBLIQUE parce qu’elle permettait de couvrir également l’at- simple315 : « Il n’était pas possible d’admettre tribution d’un pouvoir normatif aux régions à créer. dans ce conseil régional les seuls sénateurs de la Dans les deux hypothèses, donc, la loi en région de Bruxelles, francophones en majeure par- projet serait contraire aux termes larges de l’ar- tie. La représentation de la communauté flamande ticle 107quater, puisqu’il n’est pas prévu – au à Bruxelles aurait presque été nulle. » En outre, contraire – de l’adopter à la majorité spéciale. « il convient de prévoir la fusion éventuelle du Le débat mis en évidence par la section de conseil d’agglomération et du conseil régional, ce législation du Conseil d’État laisse en tout cas qui constituera à nouveau une simplification »316. apparaître, certainement à la satisfaction de Fran- 77. Aux termes de l’article 4 de la loi du çois Perin, devenu entre- temps ministre, que les 1er août 1974, chacun des conseils régionaux esprits ont évolué, et que l’organisation définitive peut d’initiative émettre un avis sur la nécessité des régions supposera un pouvoir normatif. de prendre, modifier ou abroger toute disposition légale ou réglementation dont l’application se Chapitre 2 – La loi du 1er août 1974 limite à sa région, une partie de sa région ou à une institution établie dans sa région et ce, dans les 75. L’organisation imaginée, et adoptée, est la matières ou une politique régionale se justifie en suivante. tout ou en partie. Une nouvelle fois, le territoire des trois régions Ces matières sont énumérées comme suit : est « provisoirement » fixé en correspondance « 1° la politique d’aménagement du territoire et avec les limites des régions linguistiques, jusqu’à d’urbanisme, en ce compris la politique foncière, fixation des limites définitives par le vote d’une le remboursement des biens ruraux, la rénovation loi à majorité spéciale en exécution de l’ar- urbaine et l’assainissement des sites industriels ticle 107quater. désaffectés ; Et, une nouvelle fois, la région bruxelloise 2° la politique d’expansion économique régio- comprend ainsi, « provisoirement », le territoire de l’arrondissement administratif de Bruxelles- nale et de l’emploi ; Capitale. 3° la politique du logement ; 76. Sont mis en place des conseils régionaux, 4° la politique familiale et démographique ; composés en principe de sénateurs domiciliés dans 5° la politique d’hygiène et de santé publique ; la région wallonne, flamande ou bruxelloise. Les 6° la politique de l’eau ; premiers et les deuxièmes doivent être issus du 7° la chasse, la pêche et les forêts ; groupe linguistique français ou flamand exclusi- 8° la politique industrielle et énergétique ; vement, tandis que les Bruxellois peuvent faire 9° l’organisation communale ». partie des deux groupes linguistiques. Le texte de la motion motivée contenant un Dans le cadre des travaux parlementaires, la tel avis est alors transmis au premier ministre et présence des sénateurs au sein des conseils régio- au ministre régional compétent, de même qu’aux naux est justifiée par le gouvernement en invo- présidents de la Chambre et du Sénat si la motion quant trois raisons. concerne des dispositions légales. Il s’agit, tout d’abord, d’indiquer que la spé- On citera également l’article 5 de la loi du cialisation du Sénat – vers une seconde chambre 1er août 1974, dont il résulte que l’avis du conseil des entités fédérées – par rapport à la Chambre régional compétent doit être sollicité avant le est à prévoir. La présence de membres du Par- dépôt de tout projet de loi dont le champ d’appli- lement permet ensuite d’éviter que ne se consti- cation est limité à la région du conseil régional, à tue une sorte de contre- Parlement. Enfin, il est une partie de cette région ou à une institution qui tout simplement question d’une formule qui a y est établie. la préférence de tous les partis et qui pourrait 78. Quant aux trois comités ministériels régio- donc résister dans le cadre de l’instauration naux, ils doivent constituer la base de toute action définitive des régions en exécution de l’article gouvernementale dans le domaine régional. 107quater314. Composés par arrêté royal délibéré en conseil Pour Bruxelles, une composition spécifique des ministres, en veillant à ce que le comité minis- est prévue, qui ajoute aux sénateurs 42 membres tériel des affaires bruxelloises comprenne deux du conseil d’agglomération. L’explication est secrétaires d’État, dont l’un doit appartenir à un groupe linguistique différent du ministre qui pré-

314 Rapport fait au nom de la commission spéciale par M. de Keersmaeker, notamment à propos du projet de loi créant des institutions régionales, à titre 315 Ibidem, p. 6. préparatoire à l’application de l’article 107quater de la Constitution, Doc. parl., 316 Cette fusion n’aura pas lieu comme telle ; voy. infra, quatrième partie, Ch., sess. extr. 1974, no 194/6, p. 6. titre 4, chapitre 2.

139 ADMINISTRATION PUBLIQUE side, ils délibèrent collégialement et, à défaut d’ac- En somme, le système proposé devrait permettre cord, soumettent l’affaire au conseil des ministres. l’établissement du régime définitif de régionalisa- Les comités ministériels délibèrent de tout tion lorsque les conditions d’application du vote projet de loi « régional » au sens donné à ce d’une loi à majorité spéciale seront réunies. terme par le législateur. Ils examinent également Il est toutefois remarquable que les instances les motions motivées des conseils régionaux et provisoirement créées ne retiennent pas les méca- examinent les suites qu’il convient d’y donner317. nismes de protection imaginés au niveau national 79. Quant au financement des conseils régio- et répercutés au niveau de l’agglomération pour naux, il est organisé par l’article 11 de la loi du rassurer psychologiquement les Flamands : majo- 1er août 1974. La somme globale réservée aux rité spéciale, sonnette d’alarme, parité au sein du dépenses des politiques régionales est répartie comité exécutif… entre les trois régions de la manière suivante : Au sénateur qui a cherché à les faire intégrer « 1° un tiers est réparti au prorata du chiffre de dans la loi par voie d’amendement, il a notamment la population de chaque région ; été répondu que sa proposition recueillait toute la 2° un tiers est réparti au prorata de la superficie sympathie, mais qu’on n’y voyait guère d’intérêt de chaque région ; s’agissant de conseils consultatifs. En revanche, 3° un tiers est réparti au prorata du rendement lui a-t-il été expliqué, « il va de soi que pareilles garanties devront être inscrites dans une loi por- dans la région de l’impôt des personnes phy- 325 siques ». tant exécution de l’article 107quater » . 80. Pour le gouvernement, l’installation de ces structures consultatives est fondamentale à plu- Chapitre 3 – La loi du 19 juillet 1977 sieurs titres. 81. « En 1976, il devint manifeste que la révi- Très clairement, elles sont préparatoires à l’or- sion constitutionnelle avait empêché une régio- ganisation définitive des régions, « même si l’on nalisation trop poussée et qu’elle avait créé, ne peut actuellement dépasser le stade de l’octroi 318 parallèlement aux institutions déjà existantes, un aux régions d’un pouvoir consultatif » . La nou- écheveau de conseils régionaux aux compétences velle configuration « préfigure l’organisation défi- limitées ou inexistantes et généralement dépour- nitive de la régionalisation compte tenu des limites vues de finances dignes de ce nom, écheveau que juridiques imposées à un projet qui ne peut se fon- 319 seuls des spécialistes parvenaient encore à démê- der sur l’article 107quater de la Constitution » . ler »326. Le gouvernement sait et indique déjà qu’au Déjà dans le cadre de la discussion relative au stade définitif, les conseils régionaux régleront projet qui allait devenir la loi de régionalisation par voie d’« ordonnance » les matières à l’égard préparatoire du 1er août 1974, plusieurs parle- desquelles ils se contenteront provisoirement de 320 mentaires s’étaient inquiétés à propos de l’accu- donner des avis . mulation des divers conseils et avaient interrogé La régionalisation préparatoire a aussi valeur le gouvernement quant à l’articulation entre les expérimentale, « permettant d’apprécier l’effica- conseils régionaux préparatoires, les conseils éco- cité du système et, au besoin, d’en corriger les nomiques régionaux et, à Bruxelles, le conseil vices et les éventuelles insuffisances ou inadéqua- 321 d’agglomération. tions » . Il est notamment tablé sur le fait que Il avait à nouveau été envisagé à cette occasion l’expérience permettra de ventiler les matières, de que le conseil régional bruxellois coïncide avec le mieux définir, donc, ce qui est d’intérêt régional et 327 322 conseil d’agglomération . ce qui est d’intérêt national . Il faut dire, aussi, que, selon François Perin, Enfin, cette phase préparatoire aura aussi pour er 323 l’un des promoteurs de la loi du 1 août 1974, Léo vertu de dépassionner le débat et d’apaiser les Tindemans « n’était pas pressé de la faire appli- esprits, notamment s’agissant de la fixation des 324 quer par des arrêtés royaux qui, par bribes et mor- limites des régions … ceaux, commençaient à arracher des attributions aux ministères traditionnels »328. 317 Voy. les articles 9 et 10 de la loi du 1er août 1974. L’accumulation d’institutions, sans avancer sur 318 Doc. parl., Sén., sess. extr. 1974, no 301/1, p. 2. la régionalisation, pose un problème politique de 319 Ibidem, p. 2. 320 Ibidem, p. 2. plus en plus palpable. 321 Ibidem, p. 2. 322 Rapport de Keersmaeker, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. extr. 1974, 325 Ibidem, p. 28. no 194/6, p. 6. 326 E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 439. 323 Doc. parl., Sén., sess. extr. 1974, no 301/1, p. 2. 327 Voy. not. le rapport Cooreman, op. cit., pp. 9-10. Voy. ce qui sera fina- 324 Rapport Cooreman, op. cit., Doc. parl., Sén., sess. extr. 1974, no 301/2, lement décidé, infra, quatrième partie, titre 4, chapitre 2. p. 11. 328 F. PERIN, op. cit., p. 229.

140 ADMINISTRATION PUBLIQUE

82. Après un dialogue de communauté à com- « communautaires » des deux bords, à savoir le munauté organisé au Parlement de novembre 1976 FDF et la Volksunie. à mars 1977, et dont les nombreuses réunions Au palais d’Egmont, en mai 1977, puis au châ- auraient « incontestablement permis de déga- teau du Stuyvenberg, en janvier 1978, un accord ger certaines lignes de force de la réforme de sur la régionalisation est enfin dégagé. L’accord est l’État »329, la loi du 19 juillet 1977330 abroge les remarquable parce qu’il est « le fruit d’un compro- dispositions de la loi du 1er août 1974 qui fon- mis sur Bruxelles entre les antagonistes que l’on daient les conseils régionaux. croyait inconciliables : le FDF et la Volksunie »337. Les comités ministériels régionaux sont, en Pour résoudre le problème des limites de revanche, maintenus. Bruxelles, une idée proposée par François Perin La paternité de cette réforme peut encore être en 1974 au château de Steenokkerzeel – sans que attribuée à François Perin qui, en 1976, a déposé cela n’aboutisse à rien à l’époque – est récupérée. un rapport entre les mains de ses partenaires du Il s’agirait de limiter la région aux dix- neuf com- gouvernement : munes, certes, « mais en donnant aux habitants de « Après un bilan de la loi du 1er août 1974 et de la périphérie qui le (désireraient) la capacité juri- ses arrêtés d’application, j’avançai des suggestions dique d’exercer leurs droits politiques, administra- sur un projet susceptible d’être adopté à la majo- tifs, fiscaux, etc., dans une commune de leur choix rité qualifiée. Les assemblées sortaient de leur de l’agglomération »338. caractère consultatif : elles devaient être dotées 84. Sur cette base, le « projet 461 » est déposé d’un véritable pouvoir dans des matières que la loi le 5 juillet 1978 à la Chambre339. Ce texte est glo- devait énumérer. À titre transitoire, pour quelques bal. Il concerne tant les institutions régionales – en années d’expérience, les comités ministériels des ce compris Bruxelles – que les dispositifs relatifs communautés et régions restaient au sein du gou- à l’autonomie culturelle. vernement »331. La Région bruxelloise comprend – comme En commission spéciale de la Chambre des de coutume – l’arrondissement administratif de représentants, la réforme est présentée comme Bruxelles- Capitale. « un allégement, un simplification, et un incitant à Son conseil est transitoirement composé de la régionalisation définitive »332. « La suppression députés et sénateurs, chaque groupe linguistique des conseils régionaux est devenue nécessaire pour étant représenté, jusqu’à ce que l’élection directe que la préparation des lois concernant la régionali- de ses membres puisse être mise sur pied. Il adopte sation définitive et l’extension des matières cultu- des ordonnances, mais exactement au même titre relles puisse se faire de manière cohérente »333. que les Conseils flamand et wallon, et ce dans À ce moment, en effet, l’état d’esprit est à l’op- les matières d’intérêt régional déterminées par le timisme. Tout le monde pense encore que la Pacte législateur national340. d’Egmont, conclu en mai 1977, sera exécuté avant Le Collège fonctionne pratiquement de la même la fin de l’année, et la suppression des conseils manière que les deux autres, sous la réserve que régionaux, dont l’activité semble avoir été assez son fonctionnement ainsi que certains outils à la maigre334, en est une première suite335. disposition du Conseil, tels la motion de méfiance, Il faudra, bientôt, déchanter. sont adaptés à la division des organes en deux groupes linguistiques. T ITRE 2 – L’ÉCHEC DU PACTE D’EGMONT ET DE La Région bruxelloise reprend les attributions de l’Agglomération et succède à ses biens, droits, L’ACCORD DU STUYVENBERG charges et obligations. Chapitre 1er – Un miracle éphémère Le projet consacre également un chapitre à la création d’une commission communautaire 83. Au lendemain des élections de 1977, « une 336 communale dans chaque commune de la région sorte de miracle se produit » sous la houlette de bilingue de Bruxelles-Capitale et dans les six com- Léo Tindemans. L’intéressé a formé une grande coalition, qui associe notamment les partis dits 337 F. PERIN, op. cit., p. 244. 338 F. PERIN, op. cit., p. 226. 329 Projet de loi portant diverses réformes institutionnelles, Doc. parl., Ch., 339 Voy. l’exposé des motifs du projet de loi portant diverses réformes ins- sess. 1977-1978, no 461/1, p. 3. titutionnelles, Doc. parl., Ch., sess. 1977-1978 no 461/1. 330 M.B., 27 juillet 1977. 340 À noter que l’article 28 du projet de loi précise non seulement les 331 F. PERIN, op. cit., p. 232. matières que les conseils régionaux peuvent régler par ordonnance, mais énu- 332 Rapport de Keersmaeker, op. cit., p. 2. mère également des matières qui ne sont pas d’intérêt régional, telles que les 333 Ibidem, p. 4. Affaires étrangères, la Défense nationale, la Justice, l’organisation judicaire 334 Ibidem, pp. 3-4. et pénitentiaire, le droit civil, le droit commercial, la police des étrangers, la 335 A. DELCAMP, op. cit., p. 40. lutte contre la criminalité et, plus généralement, les matières réservées par la 336 A. MÉAN, op. cit., p. 191. constitution à la loi ou au décret (communautaire, donc).

141 ADMINISTRATION PUBLIQUE munes périphériques, dont l’activité s’adressera son parti, le CVP ayant en réalité commencé à se aux deux communautés culturelles. montrer réticent au lendemain de la finalisation de Enfin, le chapitre IV du projet concrétise le sys- l’accord politique, sous la pression des médias346. tème de l’élection de domicile électoral dans la S’ouvre alors une période de grande instabilité Région bruxelloise pour les habitants de Drogen- politique, avec quatre gouvernements formés par bos, Kraainem, Linkebeek, Rhode-Saint- Genèse, Wilfried Martens jusqu’au 8 novembre 1981, et Wemmel, Wezembeek- Oppem, , Grim- l’impossibilité de ramener le FDF et la Volksunie bergen, Zaventem, , Vilvorde, et à leur modération du pacte d’Egmont. Leeuw- Saint- Pierre. De manière générale, on peut dire que le projet Chapitre 2 – Du préparatoire au provisoire 461, et les accords qu’il traduit, reposent sur le prin- cipe des mêmes droits à accorder aux francophones 86. Par une loi du 5 juillet 1979 sur les insti- de la périphérie et aux Flamands de Bruxelles341. tutions communautaires et régionales « provi- 85. Le problème est que l’assemblée n’est pas soires »347, la loi du 1er août 1974 est à nouveau constituante, à défaut de déclaration de révision modifiée et réaménage la structure des comités de la Constitution préalable à la dissolution des ministériels ainsi que leurs compétences, consa- chambres en 1977. crant une pratique mise en place dès la constitu- Le premier ministre Léo Tindemans envi- tion du premier gouvernement Martens. sage, dans ces conditions, une réforme en deux Outre les trois comités ministériels régionaux, phases, la première permettant de réaliser toutes il existe désormais des comités ministériels de la les réformes possibles dans le cadre constitution- communauté française et de la communauté fla- nel fixé en 1970, la seconde, débutant après les mande. élections de 1981, lors de laquelle des chambres Les deux comités ministériels flamands fusion- renouvelées et constituantes, réaliseraient la nent d’emblée leurs activités, en sorte que c’est réforme complète de l’État342. de quatre « exécutifs » dont Wilfried Martens Le projet 461, qui est supposé comprendre des fait état dans sa déclaration gouvernementale dispositions qui peuvent entrer en application d’avril 1979348. immédiatement, est donc transitoire, en attendant Chaque exécutif rédige sa propre déclaration de la révision de la Constitution, qui permettra la politique générale, dispose d’une administration réforme définitive343. propre et gère son budget de manière autonome. La section de législation du Conseil d’État cri- Les matières visées initialement à l’article 4 de tique pourtant le texte, le jugeant incompatible la loi du 1er août 1974 sont par ailleurs revues et avec la Constitution en l’état344, ce qui contribue réparties différemment entre les deux catégories à la démission de Léo Tindemans le 11 octobre de comités ministériels. 1978345. Les « mauvaises langues » diront plutôt Si les régions se voient attribuer de nouvelles que l’intéressé a utilisé l’avis négatif de la sec- compétences comme l’exploitation des richesses tion de législation davantage comme un prétexte, naturelles et le traitement des déchets solides, les importantes matières personnalisables qu’elles exerçaient depuis 1974 sont transférées aux com- 341 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 12. 342 E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 440. munautés. 343 Projet de loi portant diverses réformes institutionnelles, Doc. parl., Ch., Désormais, une politique régionale différenciée sess. 1977-1978, no 461/1, p. 3. 344 Avis sur le projet no 461, Doc. parl., Ch., sess. 1977-1978, nos 461/9, se justifie en tout ou en partie dans les matières 349 461/19, 461/20, 461/25, 461/33 et 461/35. La section de législation critique suivantes : des aspects essentiels du pacte, tels que la faculté d’élection de domicile élec- toral dans une des communes de la région de Bruxelles- Capitale pour les habi- « 1° la politique d’aménagement du territoire et tants de la périphérie – jugée contraire à l’équilibre constitutionnel atteint en d’urbanisme, en ce compris la politique foncière, 1970-1971 – mais aussi la possibilité pour la commission de la culture française le remboursement des biens ruraux, la rénovation de subisidier des activités socioculturelles dans les communes de la périphérie bruxelloise – jugée contraire à la répartition territoriale des compétences fixée urbaine et l’assainissement des sites industriels dans la Constitution – et l’attribution des matières personnalisables aux conseils désaffectés ; culturels, alors que la Constitution ne leur confie que les matières culturelles. Pour la facilité, voy. la version des différents avis de la section de législation sur le projet 461, telle que « coordonnée » par P. BERCKX, « De institutionele hervormingen “Egmont- Stuyvenberg”, de adviezen dan de Raad van State en 346 Voy. F. PERIN, op. cit., pp. 244-245. Selon lui, il s’agit véritablement de Grondwet », T.B.P., 1979, pp. 42 à 164, spéc. pp. 92 à 99 (avis sur l’exten- d’une « forfaiture » de Tindemans (ibidem, p. 250). sion des compétences des conseils culturels aux matières personnalisables ainsi 347 M.B., 10 juillet 1979. que sur les compétences de la commission de la culture française dans les 348 Déclaration reproduite par le CRISP sur son site (http://www.crisp.be/ communes périphériques) et pp. 158 et s., où est repris l’avis de la section documents-politiques/gouvernements/gouvernements- federaux/) (dernière de législation sur les dispositions du projet relative à la faculté d’élection de consultation le 26 juillet 2013). À ce sujet, voy. E. WITTE et J. CRAEYBECKX, domicile électoral dans une des communes de la région de Bruxelles- Capitale. op. cit., p. 445. 345 Voy. à ce sujet J. VELAERS, De Grondwet en de Raad van State, afdeling 349 Voy. l’article 2 de la loi créant des institutions communautaires et régio- wetgeving, Anvers, Maklu, 1999, pp. 30-31 et p. 906. nales provisoires, coordonnées le 20 juillet 1979 (M.B., 31 juillet 1979).

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2° la politique d’expansion économique régio- T ITRE 3 – LA « MISE AU FRIGO » DE 1980 nale et de l’emploi ; Chapitre 1er – L’échec du projet 261 et la création 3° la politique du logement ; immédiate des Régions wallonne et flamande 4° l’enlèvement et le traitement des déchets solides ; 87. Le gouvernement Martens I parvient, donc, 5° l’exploitation des richesses naturelles ; à boucler la première phase annoncée de la nou- 6° la politique de l’eau ; velle réforme institutionnelle, avec la formation, 7° la chasse, la pêche et les forêts ; au sein du gouvernement national, des exécutifs 8° la politique industrielle et énergétique ; communautaires et régionaux. 9° l’organisation des pouvoirs subordonnés ; En revanche, il bute sur la deuxième phase, portant sur la régionalisation définitive et l’élar- 10° la recherche scientifique appliquée concer- gissement de l’autonomie culturelle aux matières nant les matières énoncées ci- dessus sub 1° à 9° ». personnalisables. D’autre part, une politique communautaire dif- Il s’agit des projets 260 et 261353, ce dernier férenciée se justifie en tout ou en partie dans les 350 organisant toujours une Région bruxelloise sur le matières suivantes : modèle des deux autres régions, tout en marquant « 1° la politique d’hygiène et de santé publique ; une évolution par rapport au projet 461 issu du pacte 2° la politique d’aide aux personnes, familles et d’Egmont s’agissant de la composition de l’exécutif services ainsi que la protection de la jeunesse ; bruxellois, la parité y étant désormais prévue354. 3° la formation didactique et pédagogique ainsi La discussion de l’article 5, § 2, du projet 261, que le recyclage et la reconversion professionnels ; qui prévoit que des élus francophones de l’arron- 4° la recherche appliquée concernant les matières dissement de Bruxelles- Hal- Vilvorde peuvent visées à l’article 59bis de la Constitution et concer- siéger au Conseil bruxellois, même sans être nant les matières concernées sous les point 1° à 3° domiciliés dans l’une des dix- neuf communes ci- dessus ». – lesquelles continuent de former les limites régio- Il est ajouté351 que les arrêtés royaux pris dans nales –, totalement indigeste pour les Flamands, le cadre des matières communautaires précitées finit par causer la chute du gouvernement. sont applicables respectivement dans la région de 88. Il faudra attendre le gouvernement Mar- langue française et dans la région de langue néer- tens III pour que soit finalement adoptée la landaise, ainsi qu’à l’égard des institutions établies réforme projetée, dont il est décidé qu’elle sera, dans la région bilingue de Bruxelles- Capitale qui, en quelque sorte, immédiatement définitive. en raison de leurs activités, doivent être considé- Pour y parvenir, le premier ministre doit propo- rées comme appartenant exclusivement à l’une ou ser de mettre Bruxelles « au frigo ». l’autre communauté. Dans sa déclaration de mai 1980, il explique, en Les conseils régionaux ne sont pas restaurés. effet, qu’un large consensus au sein du gouverne- La loi de régionalisation provisoire consti- ment existe sur les nouvelles structures politiques tue la première phase – la phase immédiate – du des Communautés flamande, française et germa- programme du gouvernement Martens I, formé nophone, ainsi que de la Région wallonne355. en avril 1979. Elle devrait être suivie d’une deu- « En revanche, d’importantes divergences existent xième phase, transitoire – mais néanmoins « irré- en ce qui concerne la solution de l’ensemble de la versible » – pour trois ans, puis d’une phase problématique bruxelloise. Il faut dès lors pour- définitive, après large débat au Parlement. suivre la discussion. Un examen plus approfondi Pendant la phase transitoire, il est notamment de ces problèmes est indispensable. question de mettre en place les assemblées cor- Les partis de la majorité ont cependant convenu respondantes aux quatre exécutifs : le conseil de créer immédiatement les nouvelles institutions. néerlandophone, appelé à être à la fois régional et Ils le font dans la conviction qu’ainsi un nouveau communautaire, les conseils francophone, wallon et climat de confiance s’établira qui facilitera la solu- bruxellois, tous composés des sénateurs adéquats. tion des problèmes bruxellois dans une étape ulté- C’est ainsi vers une régionalisation à trois que rieure. En attendant, les règlements existants pour s’oriente l’équipe de Wilfried Martens, ce qui sus- Bruxelles seront maintenus à tous les niveaux. citera l’opposition de son propre parti352. Cela n’implique nullement l’immobilisme. Au contraire, l’exécutif de la région bruxelloise pour-

350 Voy. l’article 3 de la loi créant des institutions communautaires et régio- nales provisoires, coordonnée le 20 juillet 1979. 353 Doc. parl., Sén., sess. extr. 1979, nos 260/1 et 261/1. 351 Voy. l’article 3, § 2, de la loi créant des institutions communautaires et 354 Voy. l’analyse de Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de régionales provisoires, coordonnée le 20 juillet 1979. l’État », op. cit., p. 13, et les références citées. 352 E. WITTE et J. CRAEYBECKX, op. cit., p. 446. 355 Sic – la Région flamande n’est déjà plus citée.

143 ADMINISTRATION PUBLIQUE suivra son action au sein du gouvernement. Le normatif dévolu aux conseils des communautés363, ministère de la Région bruxelloise sera réalisé en le constituant de 1980 adopte un article 26bis364, même temps que les autres nouveaux ministères. pour contourner le fait que l’article 107quater n’est Les parastataux concernés seront eux aussi restruc- pas ouvert à révision365, disposition qui renvoie au turés ou créés, l’accord de gouvernement en assurant législateur spécial la tâche de déterminer la force une gestion en commun par les deux communautés juridique des règles qu’adopteront les organes vivant à Bruxelles. En plus, le gouvernement s’effor- créés en application de l’article 107quater366 : cera de proposer le plus rapidement possible au Par- « On aurait pu régler la force juridique des lement une solution pour l’ensemble des problèmes normes directement dans la Constitution et ce pour bruxellois. Cette solution devra en tout cas être réa- chaque région. On aurait pu dire que les décrets lisée avant les élections communales de 1982. Entre- étaient l’expression normative de toutes les régions. temps, le gouvernement rejettera, avec l’appui des Il faut cependant tenir compte du fait que la dis- partis de la majorité, toute initiative visant à modi- cussion sur la région de Bruxelles n’est pas close. fier le règlement existant avant qu’une solution glo- Il n’existe pas encore de consensus sur la force bale pour Bruxelles ne soit intervenue »356. juridique des normes de cette région »367. 89. Comme annoncé, le gouvernement dépose, Autrement dit, le texte permet à des lois, à dans la foulée, tous les textes requis sur le bureau adopter à la majorité spéciale, de donner force de du Sénat. Un projet regroupant les dispositions loi aux décrets régionaux tout en laissant ouvertes devant être votées à la majorité spéciale, l’autre toutes possibilités de solution pour la région réunissant celles qui ne requièrent qu’une majo- bruxelloise, l’idée étant qu’il reste possible que rité simple, le tout accompagné de la révision d’un celle-ci ne puisse adopter que des normes à la certain nombre d’articles de la Constitution357. force juridique inférieure aux lois368. Concrètement, il est prévu d’élargir les com- Bruxelles est donc au frigo, régie par les lois pétences des Communautés aux matières per- coordonnées du 20 juillet 1979 créant des insti- sonnalisables, de leur permettre d’exercer les tutions communautaires et régionales provisoires, compétences, respectivement de la Région wal- et on lui conserve bien toutes les possibilités, en lonne et de la Région flamande358 et de régler ce compris celles qui ne feraient pas d’elle une d’une autre manière la composition des conseils. région dotée des mêmes pouvoirs que les autres. Il s’agit aussi de mettre les exécutifs en dehors du gouvernement, tout ceci en application de l’ar- 359 Chapitre 2 – Le délai raisonnable exigé par la sec- ticle 59bis révisé de la Constitution . tion de législation du Conseil d’État L’article 107quater sera quant à lui exécuté, mais partiellement seulement : la loi spéciale en 91. Appelée à rendre son avis quant au projet projet, qui deviendra la loi spéciale du 8 août de loi spéciale concrétisant le nouvel accord de 1980360 ne fonde que les Régions flamande et wal- gouvernement, la section de législation du Conseil lonne, « compte tenu du fait que, jusqu’ici, aucun d’État observe que le texte se distingue des projets accord global n’a pu être obtenu au sujet de la pro- précédents en ce qu’il ne réalise pas la régionalisa- blématique bruxelloise »361. tion à Bruxelles et se présente comme une réforme D’aucuns voient plutôt dans ce report de la définitive pour le surplus. régionalisation bruxelloise l’un des éléments du Elle émet ensuite un point de vue qui restera prix payé par les francophones pour obtenir la dans les annales369 : création de la Région wallonne362. « Le projet ne contient aucune disposition rela- 90. Par ailleurs, tandis que l’article 59bis de la tive à la Région bruxelloise. Le législateur reste Constitution se prononce clairement sur le pouvoir donc en défaut, pour le moment, d’exécuter l’ar-

356 Déclaration reproduite par le CRISP sur son site (http://www.crisp.be/ 363 Voy. l’article tel qu’adopté le 17 juillet 1980, M.B., 18 juillet 1980. documents-politiques/gouvernements/gouvernements- federaux/) (dernière 364 Adopté le 17 juillet 1980, M.B., 18 juillet 1980. Devenu l’article 134 de consultation le 26 juillet 2013). la Constitution. 357 Voy. le rappel du programme dans l’exposé des motifs du projet de 365 Révision du titre III de la Constitution par l’insertion d’un article 26bis loi spéciale de réformes institutionnelles, Doc. parl., Sén., sess. 1079-1980, relatif aux différentes normes, rapport fait au nom de la commission de la révi- no 434/1. sion de la Constitution et des réformes institutionnelles par MM. Wecicx et Van 358 Comme on le sait, seule la fusion des Région et Communauté flamandes Cauwenberghe, Doc. parl., Ch., sess. extr. 1979, no 10-3/4, p. 2. sera finalement et directement organisée par la loi spéciale du 8 août 1980 de 366 En dépit de l’avis de certains parlementaires, qui trouvaient que l’ar- réformes institutionnelles, celle-ci subordonnant la fusion des Région wallonne ticle 107quater renfermait déjà, en soi, l’habilitation faite au législateur spécial et Communauté française à une décision des conseils concernés. de traduire ce que signifie « régler » au sens de cette disposition (Doc. parl., 359 Ibidem, p. 1. Sén., sess. extr. 1979, no 100-26, p. 4). 360 M.B., 15 août 1980. 367 Rapport Wecicx et Van Cauwenberghe, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. 361 Doc. parl., Sén., sess. 1079-1980, no 434/1, p. 1. Voy aussi F. PERIN, extr. 1979, no 10-3/4, p. 2 op. cit., p. 254. 368 Ibidem, p. 4. 362 P. WYNANTS, op. cit., p. 1014. 369 Doc. parl., Sén., sess. 1079-1980, no 434/1, pp. 2-3.

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ticle 107quater à l’égard de cette Région. S’il peut Tout au plus peut-on à ce moment parler d’une y avoir des éléments objectifs propres à des situa- « politique bruxelloise de l’État belge »373. tions particulières – il appartiendra au législateur d’en apprécier l’existence – qui soient de nature T ITRE 4 – TROISIÈME CONCLUSION – DES INSTI- à justifier le sursis provisoire à réaliser la régio- TUTIONS RÉGIONALES PRÉPARATOIRES OU PROVI- nalisation à l’égard de la Région bruxelloise, il n’en reste pas moins qu’aussi longtemps que l’ar- SOIRES… DURABLES ticle 107quater n’aura pas été révisé – et dans l’état 93. Avec l’échec des accords d’Egmont- actuel des choses cet article n’est pas soumis à Stuyvenberg, cette « tentative grandiose de révision – l’obligation d’exécuter l’article 107qua- construire un État moderne »374, le sort de ter pour la Région bruxelloise comme pour les Bruxelles subit un grand coup d’arrêt. autres Régions est et demeure inscrite dans la Alors que la réforme de 1980 est celle qui engage Constitution. Il s’ensuit que le présent projet n’est l’État belge sur la voie du fédéralisme – même si admissible du point de vue constitutionnel que le mot n’est toujours pas employé alors375 – elle ne pour autant que l’exécution de l’article 107quater crée que deux régions sur les trois. à l’égard de la Région bruxelloise soit simplement De même, alors que sont désormais fixées les différée et non pas abandonnée, et que le défaut structures régionales et communautaires, sur le d’exécution ne se prolonge pas au-delà d’un délai modèle des institutions étatiques, Bruxelles, cette raisonnable. » région « par défaut », celle dont les limites sont 92. La position de la section de législation a éternellement arrêtées « à titre provisoire » ou « à bien de la saveur lorsqu’on la lit rétrospectivement. titre transitoire »376, continue de fonctionner dans En effet, à en croire le gouvernement Mar- l’ombre du gouvernement national, ou au travers tens III, le problème bruxellois sera résolu avant d’une Agglomération décrépite. les élections communales de 1982, de sorte que Le désaccord persistant en ce qui la concerne l’avertissement du Conseil d’État n’est pas sup- conserve évidemment sa dimension linguistique : posé inquiéter qui que ce soit. « la délimitation territoriale de la Région bruxel- Quelques mois plus tard, le problème est déjà loise amenait en effet à trancher la très délicate reporté après les communales de 1982, avec l’es- question des droits accordés aux Francophones poir que le climat politique sera suffisamment ras- habitant la périphérie bruxelloise »377. séréné pour permettre de réamorcer le dialogue « On peut cependant affirmer que, de manière relatif à Bruxelles370. plus générale, le Nord du pays, favorable à un C’est évidemment une erreur. État communautarisé où la capitale ne disposerait Il n’y aura pas d’accord sur Bruxelles avant pas d’une autonomie propre, ne parvenait pas à plusieurs années, et la loi créant des institutions se résoudre à mettre en œuvre la régionalisation à communautaires et régionales provisoires, coor- Bruxelles. »378 donnée le 20 juillet 1979, vaudra jusqu’à l’entrée Cette situation a donné lieu à « une incapacité en vigueur de la loi spéciale du 12 janvier 1989. politique complète. « (…) L’on ne pouvait faire Concrètement, « Bruxelles demeure dès lors face aux divers problèmes de nature socioécono- régie par les institutions dites de la régionalisa- mique parce que l’imbrication dans le gouverne- tion préparatoire et se trouve, de ce fait, mise ment national ne pouvait pas marcher. Une seule en position d’infériorité par rapport aux autres initiative a vu le jour au cours de cette période. Il régions »371. Elle est toujours dotée d’un comité s’agit du Code du logement »379. ministériel de trois membres : un ministre, deux secrétaires d’État, dont l’un doit appartenir à un 373 Y. LEJEUNE, « Les nouvelles institutions bruxelloises », J.T., 1989, p. 209. groupe linguistique différent de celui du ministre. 374 Propos prêtés au premier ministre Tindemans par E. WITTE et J. CRAEY- C’est donc une « enclave au sein du gouverne- BECKX, op. cit., p. 441. 375 M. LEROY, op. cit., p. 47. ment national (…) qui n’a de comptes à rendre que 376 Voy. l’article 2 originaire de la loi spéciale du 8 août 1980, qui fixait le devant l’ensemble du parlement national, (sachant territoire des Région wallonne et flamande « à titre transitoire », pour permettre la poursuite – à tout le moins apparente – d’un débat sur les limites de la région que) les ministres bruxellois n’ont aucune “autorité bruxelloise. fonctionnelle” sur leurs autres collègues du gou- 377 Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », in vernement »372. M. UYTTENDAELE (coord.), À l’enseigne de la Belgique nouvelle, Rev. ULB, 1989, p. 105. 378 Ibidem, p. 105. Voy. d’ailleurs l’intervention de M. Van Rompuy dans le cadre des travaux préparatoires de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative 370 J.- L. DEHAENE, « Waar staan we met de staatshervorming na twee aux institutions bruxelloises, qui reconnaît qu’il est en partie exact qu’en 1980, jaar ? », T.B.P., 1982, p. 390. Voy. aussi A. DELCAMP, op. cit., p. 49. les Flamands ne souhaitaient pas doter Bruxelles de structures propres (Doc. 371 A. DELCAMP, op. cit., p. 52. parl., Ch., sess. 1988-1989, no 661/4, p. 14). 372 Ibidem, p. 52-53. Voy. aussi Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la 379 Projet de loi spéciale relative aux institutions bruxelloises, rapport fait réforme de l’État », op. cit., p. 14. un nom de la commission de la révision de la Constitution et des réformes des

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QUATRIÈME PARTIE – LE TROMPE-L’ŒIL DE La philosophie générale de la réforme proposée LA TROISIÈME RÉFORME DE L’ÉTAT (1988-1989) est résumée ainsi dans le cadre des travaux prépa- ratoires386 : T ITRE 1ER – LE CONTEXTE DE LA RÉFORME « Pour les matières régionales, qu’il s’agisse des compétences de la Région ou des compé- 94. Entre 1980 et 1988, le débat à propos de la tences de l’agglomération, des mesures sont pré- Région bruxelloise se poursuit. vues pour empêcher un traitement discriminatoire La ville de Bruxelles est entre-temps – en 1984 – entre Bruxellois francophones et néerlandophones devenue également la capitale de la Communauté (procédure de la sonnette d’alarme par exemple), flamande380 et – par réaction sans doute – de la Com- mais ce qui distingue culturellement les Bruxellois munauté française381. La Communauté flamande a entre eux ne constitue pas la pierre angulaire de fait savoir à cette occasion que, dans son esprit, sa l’exercice des compétences précitées. capitale est appelée à être à terme le produit de la Il en va bien sûr tout autrement pour les matières fusion des dix- neuf communes382, à l’évidence pour culturelles, d’enseignement et personnalisables. y obtenir une représentation plus importante que ce Dans ces domaines, les décisions qui concernent que les scrutins communaux ne lui offrent. exclusivement les Bruxellois francophones seront C’est sous le bénéfice de la constitution du gou- prises par des mandataires bruxellois francophones, vernement Martens VIII, après une longue crise, les décisions qui concernent exclusivement les qu’il est décidé de trancher enfin la question du Bruxellois néerlandophones seront prises par des statut de Bruxelles, dans le contexte d’une nou- mandataires bruxellois néerlandophones et celles velle réforme globale de l’État, dont le programme qui concernent les deux groupes seront prises, pari- – divisé en trois phases – est aussi fondé sur l’ex- tairement, par les Assemblées et le Collège réunis ». tension des compétences attribuées aux Régions et Autrement dit, les initiateurs de la réforme pro- aux Communautés, le vote d’une loi de finance- posent une formule différenciée pour rencontrer ment des Communautés et des Régions et l’élargis- la double facette de Bruxelles, à la fois région et sement des compétences de la Cour d’arbitrage383. carrefour des deux grandes communautés. « Rappelant que la réforme de 1980 n’avait pas Les Bruxellois régleront donc ensemble les matières donné une forme définitive à la réforme de l’État régionales, au sein d’organes qui tiennent compte de belge et constatant que, depuis lors, les diverses l’existence des deux communautés, mais sans que opinions politiques relatives au problème de ceci n’ait une portée aussi décisive que lorsqu’il s’agit Bruxelles ont sensiblement évolué, le gouverne- de régler des matières communautaires. ment estime opportun d’élaborer un statut à part Pour cela, il s’agit de créer, outre des organes entière pour la Région de Bruxelles-Capitale lors régionaux, des organes destinés à ce que chaque de la nouvelle phase de la réforme de l’État. »384 communauté puisse s’épanouir pleinement à L’adoption d’une loi spéciale relative à la Bruxelles, et des organes communs pour que ce Région de Bruxelles- Capitale fait partie de la qui ne relève pas exclusivement d’une commu- deuxième phase, tandis que la révision de l’ar- nauté ou qui est de leur intérêt commun puisse ticle 108ter de la Constitution est l’un des objets aussi être géré. de la première phase385. Enfin, la réforme n’a pas seulement pour objet de créer les institutions régionales bruxelloises et institutions par MM. Moureaux et Chabert, Doc. parl., Sén., sess. 1988-1989, de régler la manière dont les compétences commu- no 514-2, p. 23. 380 Décret du 6 mars 1984 concernant le choix de Bruxelles comme capi- nautarisées doivent s’exercer à Bruxelles : il s’agit tale de la Communauté flamande, M.B., 12 mai 1984. Voy. J. VELAERS, op. également d’embrasser la question du sort à réser- cit., pp. 654-655, pour les avis négatifs de la section de législation du Conseil d’État, qui considérait que le choix d’une capitale était l’attribut d’un État, et ver à l’agglomération. non d’une entité fédérée telle que la Communauté flamande. Voy. également 95. Le chantier est vaste, et le nombre d’insti- à ce sujet M. VAN DER HULST, « Brussel als hoofdstad van de federale staat tutions à prévoir s’annonce pléthorique, même si en van de Vlaamse Gemeenschap », in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT et R. ERGEC (réd.), Het statuut van Brussel/Bruxelles et son statut, Bruxelles, De le gouvernement promet qu’il s’agit là de doter la Boeck et Larcier, 1999, pp. 639-642. Région de Bruxelles de structures « simples, effi- 381 Décret du 10 mai 1984 instituant Bruxelles capitale de la Communauté 387 française, M.B., 8 juin 1983. caces et transparentes » . 382 M. VAN DER HULST, op. cit., p. 641, et les travaux parlementaires cités. 383 Pour le détail de ces phases, voy. B. HAUBERT et p. VANDERNOOT, « La la disposition la plus importante pour préciser le statut de Bruxelles” ! » nouvelle loi de réformes institutionnelles du 8 août 1988 », A.P.T., 1988, (Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », in M. UYTTEN- pp. 213-215. DAELE (coord.), À l’enseigne de la Belgique nouvelle, op. cit., p. 106). 384 Projet de loi modifiant la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes insti- 386 Révision de la Constitution, rapport fait un nom de la commission de la tutionnelles, Doc. parl., Ch., sess. extr. 1988, no 516/1, p. 2. révision de la Constitution et des réformes des institutions par MM. Moureaux 385 « Alors qu’on faisait, depuis près de vingt ans, mille supputations quant et Baert, Doc. parl., Sén., sess. extr. 1988, no 100-6/2, p. 17. à l’exécution de l’article 107quater de la Constitution en ce qui concerne 387 Révision de la Constitution, proposition du Gouvernement relative à la Bruxelles, la création des organes régionaux s’est faite sur base de l’ar- révision de l’article 108ter, §§ 2 à 6 de la Constitution, Doc. parl., Ch., sess. ticle 108ter de la Constitution dont un auteur a pu écrire que “c’est aujourd’hui extr. 1988, no 10-108t – 420/1, p. 1.

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Pour juguler les reproches, le constituant, en multiplier exagérément le nombre de mandats est révisant l’article 108ter de la Constitution, pré- toutefois telle qu’un sénateur croit bon déposer un voit de confier aux mêmes mandataires bruxel- schéma en séance, lequel sera publié avec le rap- lois l’exercice cumulé des compétences de ces port de la commission de la révision de la Consti- diverses institutions388, de manière à tenir compte tution du Sénat392. de la triple dimension de Bruxelles – région, capi- 96. La rédaction de l’article 108ter nouveau tale, et terrain de rencontre en les deux grandes oriente les travaux à venir du législateur spécial. communautés – sans que ceci ne se traduise par Il impose, en effet, l’exercice des compétences de une prolifération des mandats389. l’agglomération bruxelloise par les futurs organes L’article 108ter, modifié le 7 juillet 1988390, est régionaux, de même qu’il prévoit le dédoublement donc rédigé de telle façon qu’il est interdit au légis- fonctionnel dont ils feront l’objet aux fins d’exer- lateur spécial de composer les organes qu’il vise cer les compétences des anciennes commissions de personnes autres que celles qui composeront les de la culture de l’agglomération, enrichies de nou- organes institués en vertu de l’article 107quater391. velles compétences communautaires. Les paragraphes 4 à 6 de l’article 108ter, relatifs Un sénateur observe d’ailleurs que « l’on a repris aux commissions de la culture, sont abrogés, tan- les idées essentielles de l’ancien article 108ter dis que les paragraphes 2 et 3, relatifs aux groupes pour les transformer dans le mécanisme actuel où linguistiques et à la sonnette d’alarme au sein de la Région succède à la fois à l’agglomération et l’agglomération, sont remplacés par les disposi- aux commissions culturelles »393. tions suivantes : Et il est vrai que telles qu’elles seront votées, les « § 2. Les compétences de l’Agglomération à dispositions de la Constitution et de la loi spéciale laquelle la capitale du Royaume appartient sont, du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxel- de la manière déterminée par une loi adoptée à la loises, certes complexes, constitueront d’évidentes majorité prévue à l’article 1er, dernier alinéa, exer- réminiscences du passé, qu’il s’agisse de la déli- cées par les organes de la Région de Bruxelles- mitation de l’aire territoriale de leur intervention, Capitale créés en vertu de l’article 107quater. de leur profil, ou encore de leurs attributions. § 3. Il y a des groupes linguistiques du Conseil de la Région de Bruxelles- Capitale, et des Col- T ITRE 2 – UN TERRITOIRE lèges, compétents pour les matières commu- nautaires ; leur composition, fonctionnement, 97. L’article 2, § 1er, de la loi spéciale du compétences et, sans préjudice de 59bis, § 6, leur 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxel- financement, sont réglés par une loi adoptée à la loises prévoit que « le territoire de la Région majorité prévue à l’article 1er, dernier alinéa. de Bruxelles- Capitale comprend le territoire de Ces organes : l’arrondissement administratif de “Bruxelles- 1° ont, chacun pour sa communauté, les mêmes Capitale”, tel qu’il existe au moment de l’entrée compétences que les autres pouvoirs organisateurs en vigueur de la présente loi ». pour les matières culturelles, d’enseignement et Le même article, en son paragraphe 2, supprime personnalisables ; le caractère provisoire de la délimitation des deux 2° exercent, chacun pour sa communauté, autres régions – et, donc, implicitement, de celle les compétences qui leur sont déléguées par les de la Région bruxelloise – que la loi spéciale du Conseils de Communautés ; 8 août 1980 avait encore feint de garantir. 3° règlent conjointement les matières visées au Et même, si d’aventure le législateur, spécial 1° qui sont d’intérêt commun. qui plus est, devait avoir tout à coup une illumi- Les Collèges forment le Collège réuni, qui fait nation dénuée de toute tension communautaire et fonction d’organe de concertation et de coordina- modifier les limites de l’arrondissement adminis- tion entre les deux communautés ». tratif de Bruxelles- Capitale au sens des lois sur C’est donc exclusivement par les personnes l’emploi des langues en matière administrative, qu’il est prévu d’opérer la simplification des insti- « cette décision ne pourrait emporter, du même tutions bruxelloises, sans pour autant diminuer le coup, une modification des limites de la Région nombre de celles- ci. bruxelloise pour l’application de l’article 107qua- Lors des débats parlementaires, la complexité ter que pour autant que le législateur en ait de l’enchevêtrement ainsi envisagé pour éviter de exprimé la volonté de manière incontestable »394.

392 Ibidem, pp. 31-32. 388 Rapport Moureaux et Baert, op. cit., p. 2. 393 Ibidem, p. 16. 389 Ibidem, p. 4. 394 Projet de loi spéciale relative aux institutions bruxelloises, avis de la 390 M.B., 9 juillet 1988. section de législation du Conseil d’État, Doc. parl., Sén., sess. 1988-1989, 391 Ibidem, p. 3. no 514-1, p. 65.

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98. Voilà donc les frontières de la Région de influence sur la nature et les compétences de ses Bruxelles- Capitale verrouillées à double tour, et organes »399. une raison pour les francophones de la périphérie Tel n’a pas toutefois été l’avis de la section de de crier à l’abandon395. législation du Conseil d’État, qui – craignant la Fixées par le législateur spécial, elles sont révision implicite de l’article 107quater – a trouvé vouées à être immuables. que la notion de Région de Bruxelles-Capitale Cette exiguïté territoriale, cette limite des était « en relation manifeste avec la restriction de limites, doit être considérée comme une donnée l’autonomie de la région bruxelloise en raison de intangible de l’équilibre belge, et ce même s’il a la fonction de capitale de la ville de Bruxelles » et pu être démontré que, paradoxalement, la repré- que l’article 108ter qui en consacrait l’existence sentation flamande serait nettement accrue au sein n’était donc pas tout à fait l’exécution annoncée d’une région élargie à l’ensemble des communes de l’article 107quater en question400. de la périphérie dans lesquelles les francophones 396 correspondent à la définition de « minorité » . T ITRE 3 – DES INSTITUTIONS « Depuis 1963, en effet, quelles qu’aient été les péripéties, toutes les occasions ont été saisies, Chapitre 1er – Le Conseil de la Région de Bruxelles- non sans polémiques, hésitations et aller-retour, Capitale pour les conforter – les limites de l’arrondissement administratif et, donc, celles de la région bilingue – 100. De manière générale, les concepteurs de la et aligner sur elles les autres réalités, et non le loi spéciale du 12 janvier 1989 ont été guidés par contraire »397. le souci de suivre les principes et les règles qui, La loi spéciale du 12 janvier 1989 semble donc pour les Communautés et Régions existantes, ont consacrer la seule solution politiquement possible, été fixés dans la loi spéciale de réformes institu- à l’instar, avant elle, de tous les projets gouver- tionnelles du 8 août 1980. nementaux au travers desquels il a été tenté de En témoigne le nombre de renvois à cette loi résoudre le problème bruxellois, tels les projets spéciale opérés dans la loi spéciale relative aux 461 et, ensuite, 261 : « la Région bruxelloise a institutions bruxelloises. toujours été confinée aux limites de l’arrondisse- Le fonctionnement du Conseil est donc calqué, ment administratif de Bruxelles- Capitale »398. dans une très large mesure, sur celui des autres 99. La Région bruxelloise devient dès lors, sous conseils régionaux, « moyennant quelques adapta- la plume du constituant, auteur de l’article 108ter tions rendues nécessaires afin d’assurer une pleine nouveau de la Constitution, la Région de association des représentants des deux Commu- nautés au fonctionnement des institutions de la Bruxelles-Capitale, son nom étant ramené, comme 401 par un raccourci, à sa signification administrative Région de Bruxelles- Capitale » . et linguistique, en dépit des dénégations du gou- 101. En vertu de l’article 10 de la loi spéciale, vernement, qui a insisté sur l’absence de tout rap- le Conseil est composé d’élus directs, ce qui a offert l’occasion au gouvernement de fanfaronner port entre la Région (de Bruxelles-Capitale) et la 402 région bilingue de Bruxelles- Capitale, désormais un peu : consacrées toutes deux constitutionnellement. « On a dit en 1980 que Bruxelles était à la traîne, La dénomination est également suspecte de reflé- parce qu’on maintenait à son égard un statu quo ter la vision flamande d’une région bruxelloise qui, qui la laissait au stade de la régionalisation provi- en raison du fait qu’elle abrite la capitale du pays, soire de la loi de juillet 1979, qui trouve en réalité requiert un sort différent des deux autres régions. son origine dans la régionalisation provisoire de Il ne faut pourtant voir dans le choix de l’ap- pellation « Bruxelles-Capitale » aucune « dimi- 399 Rapport Tomas et Anciaux, op. cit., p. 47. En ce sens, voy. P. VAN ORS- nutio capitis de la Région bruxelloise visée à HOVEN, « Brussel anno 1989 – Een derde gewest, een enige agglomeratie, drie gemeenschapscommissies en… een vierde gemeenschap », R.W., 1989-1990, l’article 107quater, car elle n’exerce aucune no 14, p. 450. 400 Projet de loi spéciale relative aux institutions bruxelloises, avis de la section de législation du Conseil d’État, Doc. parl., Sén., sess. 1988-1989, 395 Rapport Moureaux et Chabert, op. cit., Doc. parl., Sén., sess. 1988-1989, no 514-1, pp. 60-61. no 514-2, p. 20. 401 Rapport Moureaux et Chabert, op. cit., Doc. parl., Sén., sess. 1988-1989, 396 N. LAGASSE, « Le statut de la Région de Bruxelles-Capitale – La position no 514-2, p. 6. des principaux acteurs politiques », C.H. CRISP 1999, no 1652, pp. 13-14. 402 Ibidem, p. 13. Voy., sur le fait que l’élection directe, obtenue avant les 397 A. DELCAMP, op. cit., p. 95, et pp. 100-102 pour un exposé de la valeur autres régions, pourrait favoriser l’émergence d’une véritable conscience régio- symbolique que revêtent les limites territoriales de Bruxelles pour la Commu- nale, Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », C.H. CRISP nauté flamande. 1989, no 1230-1231, p. 47 et idem, « Les nouvelles institutions bruxelloises », 398 Projet de loi spéciale relative aux institutions bruxelloises, rapport fait in M. UYTTENDAELE (coord.), À l’enseigne de la Belgique nouvelle, Rev. ULB, au nom de la commission de révision de la Constitution, des réformes institu- 1989, p. 107. On n’omettra pas le fait que la Communauté germanophone tionnelles et du règlement des conflits par MM. Tomas et Anciaux, Doc. parl., dispose pour sa part d’un conseil élu directement au suffrage universel depuis Ch., sess. 1988-1989, no 661/4, p. 53. 1973.

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1974, tandis que les Communautés flamande et plus être modifié en cas de participation à une française et la Région wallonne se voyaient doter élection ultérieure406. Il s’agit là de l’unique, mais d’un nouveau statut. Aujourd’hui, on devrait dire non moins important, tempérament au principe qui que Bruxelles prend de l’avance, puisqu’elle béné- prévaut à ce jour à Bruxelles, et qui veut que ses ficie d’une solution ou du moins d’un statut qui va habitants n’aient pas à faire le choix d’une sous- plus loin que celui de la Communauté flamande, nationalité selon leur rôle linguistique407. de la Communauté française et de la Région wal- lonne, pour lesquelles un certain nombre de ques- Chapitre 2 – L’Exécutif de la Région de Bruxelles- tions comme la suppression du double mandat et Capitale l’élection directe des conseils devront encore être réglées dans le cadre de la troisième phase ». 104. Les règles de composition de l’exécutif Ces élus directs bruxellois, renouvelés tous les ménagent elles aussi une protection de la minorité cinq ans, sont, en 1989, au nombre de 75403. linguistique flamande, traduisant tout le poids que Les uns jugent ce chiffre insuffisant, tandis les Flamands ont pu mettre dans la négociation que d’autres dénoncent une inflation de mandats. pour assurer à celle- ci l’équivalent de la protection Dans l’esprit des auteurs du projet de loi spéciale, obtenue au niveau fédéral par les francophones408. il s’agit de répondre à un double objectif : « assu- Ainsi, l’équipe appelée à former l’exécutif doit rer une représentation correcte des deux commu- rencontrer l’adhésion des deux groupes linguis- nautés présentes à Bruxelles, sans pour autant tiques, selon les modalités précisées à l’article 35 conduire à un nombre exagéré de mandats »404. de la loi spéciale du 12 janvier 1989. 102. Le Conseil régional présente des carac- Le gouvernement régional est composé de cinq téristiques héritées du passé dont les institutions membres et, son président excepté, les quatre autres provisoires n’avaient pour leur part pas bénéficié. portefeuilles doivent être partagés dans le respect de L’article 23 de la loi spéciale consacre ainsi la la parité entre les deux groupes linguistiques, par la division des membres du Conseil en deux groupes voie du consensus ou, à défaut, selon les règles de linguistiques qui fondent ensuite largement l’orga- dévolution précisées à l’article 37 de la loi spéciale. nisation et le fonctionnement de l’assemblée, avec Les membres de l’exécutif ne sont responsables des règles destinées à protéger « le groupe linguis- que devant leur propre groupe linguistique, ce tique le moins nombreux ». qui peut naturellement les conduire à faire de la Il est, par exemple, requis que ce groupe soit « musculation » politique devant leurs collègues représenté dans toutes les commissions. de l’autre rôle, sans craindre la mise en cause de De même, le mécanisme de la sonnette d’alarme leur responsabilité. Ceci est de nature à crisper les est récupéré à l’article 30 de la loi spéciale, tou- relations au sein de l’exécutif409. jours dans la perspective de protéger les intérêts 105. Enfin, autre particularité qu’il est intéressant de la minorité linguistique. de relever, en vertu de l’article 41 de la loi spéciale Il n’a à ce jour jamais connu d’application. du 12 janvier 1989, l’exécutif bruxellois associe à 103. On le sait, l’enseignement majeur de ses travaux trois « secrétaires d’État régionaux » l’expérience de l’agglomération, avec les « faux – drôle de formule –, dont l’un au moins doit appar- Flamands » du FDF, consiste à ce que les listes tenir au groupe linguistique le moins nombreux. bilingues, pour l’élection des membres du Conseil Ils ne font pas partie de l’exécutif, mais sont régional bruxellois, soient interdites405. responsables devant le Conseil. Tel est l’objet de l’article 17, § 2, de la loi spé- L’adjonction de ces secrétaires d’État aux ciale du 12 janvier 1989. membres de l’exécutif, permet, comme tout bon Certes, les candidats peuvent librement choi- compromis à la belge, à la fois au francophones de sir de figurer sur une liste électorale française ou prétendre, avec trois ministres et deux secrétaires, néerlandaise, mais le choix est définitif : en vertu qu’ils sont majoritaires au sein d’un exécutif à de l’article 17, § 1er, de la loi spéciale, il ne pourra

406 Voy. l’article 17 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 et M. VERDUS- 403 Ce nombre sera porté à 89 en 2001, pour des raisons que nous n’expo- SEN, « L’élection régionale et ses préliminaires », op. cit., p. 130. Voy. aussi serons pas ici en détail, mais toujours liées à la question de la représentation P. VAN ORSHOVEN, « Brussel anno 1989 – Een derde gewest, een enige agglo- garantie – et démocratique – des formations politiques flamandes. meratie, drie gemeenschapscommissies en… een vierde gemeenschap », R.W., 404 Rapport Moureaux et Chabert, op. cit., p. 44. Selon toute vraisemblance, 1989-1990, no 14, p. 454. le chiffre de 75 devait donner l’assurance à la Volksunie d’être représentée au 407 Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État Conseil (Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État belge », op. cit., p. 231. Voy. aussi H. DUMONT et S. VAN DROOGHENBROECK, belge », op. cit., p. 236). « L’interdiction des sous-nationalités à Bruxelles », A.P.T., 2011/3, pp. 201 et s. 405 À ce propos, voy. M. VERDUSSEN, « L’élection régionale et ses prélimi- 408 N. LAGASSE, « Gouverner Bruxelles – Règles en vigueur et débat », C.H. naires », in R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.-F. RIGAUX, CRISP 1999, nos 1628-1629, pp. 22-23. H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région de Bruxelles- Capitale, Bruxelles, 409 Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État Bruylant, 1989, pp. 99 et s., spéc. p. 128. belge », op. cit., p. 238.

149 ADMINISTRATION PUBLIQUE l’image de la population bruxelloise, tandis que les spéciale du 12 janvier 1989 habilite d’ailleurs cha- Flamands, se focalisant sur la seule composition de cune de ces deux entités à organiser la tutelle sur l’exécutif au sens strict, peuvent mettre en exergue leur commission et à l’appliquer. la parité obtenue au sein du gouvernement410. Leur instauration paraît avant tout être la résul- tante de l’article 107quater, qui interdit de confier Chapitre 3 – Les Commissions communautaires aux organes régionaux des compétences dévolues par ailleurs aux Communautés. Cette règle consti- 106. L’article 60 de la loi spéciale du 12 jan- tutionnelle permet, à la satisfaction des Flamands vier 1989 consacre l’existence des commissions sans doute, d’éviter que les compétences des com- communautaires. munautés ne soient exercées par la Région de Il y a, donc, pour l’exercice des compétences Bruxelles-Capitale, ce qui accentuerait le schéma visées aux articles 59bis, § 4bis, alinéa 2411, et d’un fédéralisme à trois, plutôt qu’à deux. 108ter, § 3412, de la Constitution, trois institutions Les auteurs de la réforme, confrontés à l’ar- dotées chacune de la personnalité juridique. ticle 107quater de la Constitution, et appelés à L’institution compétente pour les matières de régler le sort de l’agglomération bruxelloise, en ce la Communauté française de Bruxelles- Capitale, compris ses commissions de la culture, ont dégagé dénommée « la Commission communautaire une « solution originale »415, en récupérant le française », a pour organes, d’une part, le groupe schéma de ces commissions pour le transférer sur linguistique français du Conseil de la Région de la tête des mandataires régionaux avec, en prime, Bruxelles- Capitale, d’autre part, un collège com- des compétences communautaires élargies416. posé des membres francophones de l’exécutif de Il s’est agi, en effet, d’utiliser les élus régionaux la Région de Bruxelles- Capitale. pour composer les organes des commissions commu- L’institution compétente pour les matières de nautaires, mais en prévoyant qu’ils agissent, chaque la Communauté flamande de Bruxelles-Capitale, fois, sous couvert d’une personnalité juridique dis- dénommée « la Commission communautaire fla- tincte : chaque groupe linguistique du Conseil régio- mande », a pour organes le groupe linguistique nal formant ainsi les organes de la Commission néerlandais du Conseil de la Région de Bruxelles- communautaire correspondante, les groupes réunis Capitale et un collège composé des membres étant appelés à former ensemble les organes de la néerlandophones de l’Exécutif de la Région de Commission communautaire commune417. Bruxelles- Capitale. Ce sont donc les mêmes personnes que celles qui Enfin, l’institution compétente pour les matières composent déjà le Conseil régional qui, linguistique- communautaires communes aux deux Communau- ment séparées, dans des institutions distinctes avec tés de Bruxelles-Capitale, dénommée « la Commis- des personnalités juridiques distinctes, exercent à sion communautaire commune », a pour organes Bruxelles des compétences distinctes à des niveaux l’assemblée réunie composée des membres des de pouvoir distincts et par des normes distinctes418. groupes linguistiques précités et le collège réuni, 108. Les Commissions communautaires sont composé des membres de l’exécutif régional. donc bien les héritières des commissions de la Jusqu’en 1993, le président de l’exécutif et les culture de l’agglomération bruxelloise, auxquelles secrétaires d’État ne participeront pas aux travaux elles se substituent419, la loi spéciale du 12 janvier de ces collèges. 1989 ayant d’ailleurs organisé le transfert entre 107. Les commissions communautaires ont ces organes des biens, droits et obligations420. été organisées afin de « permettre aux Bruxellois, Les commissions de la culture mises sur pied néerlandophones et francophones, d’intervenir par l’ancienne loi du 26 juillet 1971 ont, en effet, directement dans un certain nombre de matières lorsque les actions menées par les autorités nor- 415 Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », op. cit., malement compétentes ne les satisferaient pas »413. p. 117. 416 L’article 108ter, lu en combinaison avec l’article 61 de la loi spéciale Elles sont conçues, à ce stade encore éloigné de la du 12 janvier 1989, qui définit les matières communautaires visées à l’ar- réforme de l’État de 1993, comme « des collectivi- ticle 108ter, § 3, comme étant celles qui « sont ou seront attribuées à la Com- tés politiques décentralisées placées sous le contrôle munauté française et à la Communauté flamande », cette disposition implique que les Commissions communautaires de la Région de Bruxelles- Capitale sont, respectivement de la Communauté française et de « à l’inverse des défuntes commissions de la culture, compétentes pour les 414 la Communauté flamande » . L’article 83 de la loi matières personnalisables » (R. WITMEUR, op. cit., p. 6). 417 Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », in M. UYTTENDAELE (coord.), À l’enseigne de la Belgique nouvelle, Rev. ULB, 410 Ibidem, p. 237. 1989, p. 119. 411 Devenu l’article 135 de la Constitution coordonnée. 418 S. LOUMAYE, « Les nouvelles institutions bruxelloises », C.H. CRISP 412 Devenu l’article 166, § 3, de la Constitution coordonnée. 1989, nos 1232-1233, p. 3. 413 R. WITMEUR, La Commission communautaire française : une copie à 419 Y. LEJEUNE, « Les nouvelles institutions bruxelloises », J.T., 1989, p. 209. revoir pour un État fédéral achevé ?, Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 4. 420 Voy. l’article 79, § 2, et l’article 80 de la loi spéciale du 12 janvier 1989, 414 P. VANLEEMPUTTEN, op. cit., p. 71. ainsi que R. WITMEUR, op. cit., p. 5.

150 ADMINISTRATION PUBLIQUE constitué la première expérience « qui allait servir temps pour accepter de l’exécuter, qu’il convenait de base à la définition du volet purement commu- d’appliquer l’article 107quater de la Constitution nautaire des nouvelles institutions régionales »421, en organisant la Région bruxelloise de manière en dépit des difficultés de fonctionnement qui ont particulière, sans prendre pour modèle les régions pu les scléroser422. wallonne et flamande428. Le mode de désignation, la composition, le 111. Une réserve à cette identité de compé- fonctionnement de tous ces organes mis sur pied tences doit être mentionnée. en vertu de la loi spéciale du 12 janvier 1989 À la différence des Régions wallonne et fla- constituent le reflet de ce qui a été inventé pour mande, la Région bruxelloise est, en effet, pri- les instances de l’agglomération423. vée du pouvoir d’interpréter ses ordonnances par Mieux encore, on peut dire que l’ensemble voie d’autorité, ce qui pourrait s’expliquer par les des nouvelles institutions communautaires de incertitudes initiales quant à la valeur juridique Bruxelles représentent un raffinement de la des ordonnances bruxelloises429. construction imaginée en 1971424, 425. 112. Le statut juridique des ordonnances est, 109. Leur création, alors que les Communau- en effet, ce qui a valu le plus de débats autour de tés auraient pu remplir elles-mêmes l’essentiel des la question de savoir si la Région de Bruxelles- tâches qui leur ont été confiées, et le fait qu’elles Capitale est bien une région qui ne diffère en rien soient les héritières des commissions de la culture, des Régions flamande et wallonne. satisfont apparemment tout le monde. L’article 4 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 Leur maintien est, d’une part, dû à la volonté prévoit que la Région de Bruxelles- Capitale règle flamande de ne pas consacrer la disparition de leur les matières régionales par la voie d’ordonnances commission culturelle qui avait jusqu’alors été plutôt que par décret. « la seule institution leur assurant une présence à Le fait qu’en vertu de l’article 9 de la même Bruxelles »426. loi spéciale, les ordonnances bruxelloises puissent, Mais, d’autre part, il est peut-être bien aussi le à l’exclusion des décrets adoptés par les autres signe que Bruxelles n’a pas été entièrement cogérée entités fédérées, faire l’objet d’un contrôle de par les deux communautés et le pouvoir national conformité aux dispositions de la loi spéciale du depuis 1970427, ce qui soutient la vision franco- 12 janvier 1989 et aux dispositions constitution- phone d’une région bruxelloise à part entière, dont nelles dont le contrôle ne serait pas déjà réservé à les institutions sont également autonomes lorsqu’il la Cour d’arbitrage430 est, en effet, un élément mis s’agit de matières communautaires. en avant pour distinguer la Région de Bruxelles- Capitale et attribuer aux normes qu’elle adopte T ITRE 4 – DES ATTRIBUTIONS une valeur inférieure à la loi et aux décrets. Un tel contrôle évoque, il est vrai, le contrôle Chapitre 1er – Des compétences régionales dont font par ailleurs l’objet les arrêtés et règle- 110. Par la grâce de l’article 4 de la loi spé- ments généraux, provinciaux et locaux. ciale du 12 janvier 1989, la Région de Bruxelles- Cette possibilité ne concorde a priori pas avec une vocation législative. Capitale dispose des mêmes compétences que ses 431 deux acolytes. Pourtant, la controverse est, depuis long- Toutes les matières régionales – bien connues – temps maintenant, largement tranchée en faveur énumérées à l’article 6 de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 peuvent 428 Ph. DE BRUYCKER, « Intervention », in R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.- F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La donc être réglées par ses soins, avec les mêmes Région de Bruxelles- Capitale, op. cit., p. 303. prérogatives que les autres. 429 À ce sujet, voy. p. VANLEEMPUTTEN, op. cit., pp. 59-60, qui relaye le contenu d’un avis de la section de législation du Conseil d’État à ce propos. Il s’agit d’un acquis important au regard du fait 430 Pour un exemple permettant de se rendre compte des conséquences que les Flamands considéraient, après avoir mis le concrètes du mécanisme, sur le plan de la répartition des rôles entre la Cour constitutionnelle et les juges de l’ordre judiciaire, voy. le rapport Moureaux et Chabert, Doc. parl., Sén., sess. 1988-1989, no 514-2, p. 43. Une étude approfon- 421 A. DELCAMP, op. cit., p. 83. die de la jurisprudence du Conseil d’État et des juridictions de l’ordre judiciaire 422 Ibidem, p. 86. où il aurait été fait application de l’article 9 de la loi spéciale du 12 janvier 423 A. DELCAMP, op. cit., p. 86. 1989 sera réalisée par l’auteur dans le cadre de ses travaux de doctorat, qui a 424 A. DELCAMP, op. cit., p. 93. Voy. aussi P. VANLEEMPUTTEN, op. cit., p. 6. connaissance d’une dizaine d’arrêts du Conseil d’État, relativement récents. 425 Les conseils culturels en tant que tels, qui finiront par devenir les Commu- 431 Débattue notamment dans R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉ- nautés, ont des ancêtres plus âgés, à savoir les premiers conseils culturels créés en RÉE, F. JONGEN, M.-F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région 1938 au sein du ministère de l’Instruction publique, un pour chaque rôle linguis- de Bruxelles- Capitale, Bruxelles, Bruylant, 1989 : voy. la contribution de tique, avec une vocation purement consultative (voy. M. LEROY, op. cit., p. 27). H. SIMONART, spéc. pp. 181 et s., qui tranche pour le caractère réglementaire 426 Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », op. cit., de l’ordonnance, et les interventions subséquentes. Voy. aussi, toujours dans p. 118. le sens aujourd’hui oublié d’un caractère réglementaire, Y. LEJEUNE, op. cit., 427 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », C.H. CRISP p. 211 ou F. DELPÉRÉE, « La Constitution la loi, le décret et l’ordonnance », 1989, nos 1230-1231, p. 30. J.T., 1990, pp. 107-110.

151 ADMINISTRATION PUBLIQUE d’un classement des ordonnances dans la catégo- par arrêté délibéré en conseil des ministres, sus- rie des normes de rang législatif, en premier lieu pendre les ordonnances bruxelloises réglant les parce qu’elles peuvent, suivant un mode d’adop- matières visées à l’article 6, § 1er, I, 1°, et X, de tion conforme à celui des normes législatives432, la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institu- abroger, compléter, modifier ou remplacer les tionnelles, à savoir l’aménagement du territoire, dispositions législatives en vigueur et que, ceci les travaux publics et le transport. fait, elles sont sujettes à l’éventuelle censure de la Il peut en aller également ainsi des arrêtés adop- seule Cour constitutionnelle433, et non du Conseil tés par l’exécutif bruxellois dans ces domaines. d’État434. La Région de Bruxelles-Capitale est, en En cas de persistance du désaccord entre les ce sens, une entité fédérée souveraine, et non une deux entités, le débat peut se solder par une annu- simple autorité administrative435. lation de l’ordonnance bruxelloise. Il reste vrai que l’ordonnance n’a pas le pouvoir Quant à l’article 46 de la même loi spéciale, il d’interpréter les ordonnances par voie d’autorité436 confère à l’autorité fédérale le pouvoir d’imposer et que, dans certaines matières, les autorités fédé- – mais à sa charge – l’adoption de mesures qui, rales peuvent exercer un contrôle politique sur les toujours dans les matières visées à l’article 6, § 1er, ordonnances. I, 1°, et X, de la loi spéciale du 8 août 1980, lui La différence entre l’ordonnance et les décrets paraissent devoir être adoptées en vue de dévelop- des autres entités fédérées n’en est pas moins sym- per le rôle international ou la fonction de capitale bolique, « destinée à calmer les susceptibilités des de Bruxelles. Flamands soucieux de marquer la différence qui Ces dispositifs « intrusifs » qui s’apparentent existe, ne fût- ce même qu’en apparence, entre la aux procédés de tutelle pesant sur les pouvoirs Région de Bruxelles- Capitale et les Régions wal- subordonnés438, sont appelés à être mis en œuvre lonne et flamande »437. si les initiatives à prendre ne sont pas convenues En pratique, en effet, les contrôles spécifiques entre la Région et l’autorité fédérale dans le cadre dont peut faire l’objet l’ordonnance ne sont pas du comité de coopération installé en application de mis en œuvre, et les seuls qui sont utilisés relati- l’article 43 de la loi spéciale du 12 janvier 1989. vement fréquemment ne diffèrent guère de ceux Mais ici encore, la différence de statut que les que subissent les décrets, puisqu’il ne s’agit de dispositions précitées instaurent par rapport aux rien d’autre, en réalité, que du contrôle de confor- deux autres régions doit être relativisée. Elle a été mité aux dispositions pour lesquelles seule la Cour présentée comme « relativement mineure » par constitutionnelle est compétente. le gouvernement lui-même, au même titre que le 113. Il est vrai qu’à côté de ces contrôles juri- contrôle dont peuvent faire l’objet les ordonnances dictionnels, les ordonnances bruxelloises peuvent bruxelloises à l’intervention des juridictions439. encore faire l’objet d’une intervention politique de Les pouvoirs attribués à l’autorité fédérale sont la part de l’autorité fédérale, ce qui les distingue limités, tant quant aux objectifs que celle-ci peut également des décrets régionaux adoptés par les poursuivre que quant aux matières concernées. deux autres Régions. Il doit s’agir de favoriser, de promouvoir, de Cette intervention est organisée aux articles 45 développer ou, le cas échéant, de préserver le et 46 de la loi spéciale du 6 janvier 1989. rôle international ou la fonction de capitale de Ainsi, en vue de préserver le rôle international Bruxelles. et la fonction de capitale de Bruxelles, le Roi peut, Pour cette raison, les matières qui peuvent faire l’objet de l’intervention fédérale sont l’aménage- 432 Initiative de membres du conseil ou de l’exécutif, sanction et promul- ment du territoire, les travaux publics et les trans- gation par l’exécutif. 433 La Cour constitutionnelle ne s’est appelée ainsi qu’à compter de la ports. révision constitutionnelle du 7 mai 2007. Jusqu’alors, il fallait dire « Cour 114. En réalité, ces dispositions semblent d’arbitrage ». avoir été instaurées non pas en raison d’éventuels 434 Sur la contradiction mise en évidence par la section de législation du Conseil d’État entre le fait que les cours et tribunaux pouvaient refuser d’appliquer une conflits communautaires ou pour brider la nouvelle ordonnance contraire à la Constitution et à la loi spéciale du 12 janvier 1989, Région, « mais pour garantir que la promotion des et l’incompétence de la section du contentieux administratif du Conseil d’État intérêts régionaux de Bruxelles se fasse dans le pour annuler une telle ordonnance, voy. J. VELAERS, De Grondwet en de Raad van State, afdeling wetgeving, Anvers, Maklu, 1999, pp. 30-31, ainsi que l’avis respect des intérêts de toutes les composantes du lui-même (Doc. parl., Sén., sess. 1988-1989, no 514-1, p. 68). Voy. aussi Ph. DE pays en ce qui concerne son rôle de capitale »440. BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », op. cit., pp. 111-112. 435 P. VAN ORSHOVEN, « Brussel anno 1989 – Een derde gewest, een enige agglomeratie, drie gemeenschapscommissies en… een vierde gemeenschap », R.W., 1989-1990, no 14, p. 452. 438 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 39. 436 Voy. les explications de P. VANLEEMPUTTEN, op. cit., p. 59, lui-même 439 Rapport Moureaux et Baert, op. cit., Doc. parl., Sén., sess. extr. 1988, évoquant un avis de la section de législation du Conseil d’État. no 100-6/2, p. 2. 437 Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », op. cit., 440 Rapport Tomas et Anciaux, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. 1988-1989, p. 112. no 661/4, p. 47.

152 ADMINISTRATION PUBLIQUE

Alors que d’aucuns y voyaient, en cas d’inter- la mesure où elle serait devenue tutelle de l’exécu- prétation large de ses termes, un risque d’empiè- tif bruxellois sur son propre conseil445. tement incompatible avec le principe d’autonomie En vertu de l’article 5 de la loi spéciale du qui a présidé à l’aménagement des institutions 12 janvier 1989, toutefois, la Région peut confier bruxelloises441, le caractère symbolique et préven- l’exercice d’attributions de l’Agglomération tif de l’article 45 en particulier a été démontré par bruxelloise aux organismes d’intérêt public, la pratique, la tutelle qu’il implique n’ayant jamais qu’elle crée ou désigne. été mise en œuvre, en sorte que, tout comme la Ceci s’est produit dès 1990, deux ordonnances sonnette d’alarme au niveau strictement régional, ayant porté création de deux organismes d’inté- il a pu être comparé à une épée de Damoclès, ou à rêt public de type A, chargés l’un de l’enlève- un « stok achter de deur »442. ment et du traitement des immondices446, l’autre Pour certains, les « atteintes » à l’autono- de la lutte contre l’incendie et de l’aide médicale mie bruxelloise organisées par les articles 45 et urgente447, laissant la matière du transport rému- 46 s’expliquent davantage par le fait que désor- néré des personnes dans le giron des organes de mais, même si, formellement, l’article 194 de la la Région448. Constitution attribue toujours à la seule de ville de 116. Le maintien de l’agglomération, qui Bruxelles la qualité de capitale du pays, les insti- conserve la personnalité juridique mais dont toutes tutions régionales sont en réalité considérées, plus les compétences sont exercées par des organes que les autorités de la ville, comme l’interlocuteur tiers, à savoir ceux de la région ou, en vérité, ceux du gouvernement fédéral pour les questions rela- des organismes d’intérêt public créés ou désignés tives à la capitale443. par ceux- ci, n’a pas manqué de susciter des réac- Il est vrai que même si seule la ville de tions perplexes449. Bruxelles est la capitale du pays, ceci emporte « Sans que l’on connaisse les raisons de cette des effets qui se font sentir dans l’ensemble de la curiosité, la personnalité juridique de l’agglomé- Région et même au-delà, dans les communes péri- ration se perpétue donc, telle une coquille de noix phériques444, ce qui justifie à tout le moins que les que l’on aurait vidée de son contenu. »450 questions régionales d’aménagement du territoire, L’Agglomération, fût- elle démantelée, existe de travaux publics et de transport soient exami- donc encore, constituant, au sein d’un modèle nées en tenant compte de ce paramètre spécifique. en soi complexe parce qu’il réalise de nombreux objectifs, une complication apparemment inutile451. Chapitre 2 – Des compétences d’agglomération Une explication avancée du côté du gouverne- ment serait que, si l’on avait supprimé l’agglomé- 115. Avec la modification de l’article 108ter, ration, il aurait fallu régler de façon plus complexe les compétences de l’agglomération, ou en tout le sort de son patrimoine et de son personnel, « ce cas leur principe, ne disparaissent pas. qui requiert toujours de nombreuses mesures d’ap- Les organes de la Région de Bruxelles-Capitale, plication »452. créés en application de l’article 107quater, devenu Une autre serait plus avouable. « Des organes article 39 de la Constitution, sont chargés depuis régionaux ne pouvant pas exercer des compé- lors d’exercer les compétences du conseil et du tences communautaires, il s’indiquait, a- t-on collège d’agglomération, tandis que les groupes cru453, de confier la gestion des matières person- linguistiques et les collèges, visés à l’actuel nalisables bicommunautaires à des organes que article 136 de la Constitution, exercent les com- pétences des commissions de la culture créées au 445 P. VAN ORSHOVEN, op. cit., p. 460. sein de l’agglomération ainsi que celles que les 446 Voy. l’ordonnance du 19 juillet 1990 portant création de l’Agence régio- nale pour la propreté (Mon. b., 25 septembre 1990). Communautés peuvent leur déléguer. 447 Voy. l’ordonnance du 19 juillet 1990 portant création d’un service d’in- Les articles 48 et suivants de la loi spéciale cendie et d’aide médicale urgente de la Région de Bruxelles- Capitale (M.B., 5 octobre 1990). du 12 janvier 1989 formalisent ce transfert et la 448 Pour plus de détails, voy. S. LOUMAYE, « Les finances régionales bruxel- tutelle du Roi est supprimée par l’article 59 dans loises », C.H. CRISP 1992, nos 1354-1355, pp. 45-47. 449 A. DELCAMP, op. cit., p. 65, et les références citées. Voy. aussi P. VAN- LEEMPUTTEN, op. cit., p. 53. 441 A. ALEN, « Intervention », in R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉ- 450 Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », op. cit., RÉE, F. JONGEN, M.- F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région de p. 105. Bruxelles- Capitale, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 78. 451 A. ALEN, « Intervention », op. cit., p. 77. Voy. aussi F. DELPÉRÉE, 442 M. VAN DER HULST, « Brussel als hoofdstad van de federale staat en van « Intervention », in R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.- de Vlaamse Gemeenschap », in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT et R. ERGEC F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La Région de Bruxelles- Capitale, (réd.), Het statuut van Brussel/Bruxelles et son statut, Bruxelles, De Boeck et Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 96. Larcier, 1999, p. 638. 452 Rapport Tomas et Anciaux, op. cit., p. 51. 443 Ibidem, p. 632. 453 Car le même résultat aurait pu être obtenu, sans maintien de l’agglomé- 444 Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État ration bruxelloise, par la révision de l’article 59bis, §§ 4 et 4bis, de la Consti- belge », op. cit., p. 235. tution (A. ALEN, « Intervention », op. cit., p. 73).

153 ADMINISTRATION PUBLIQUE

l’ancien article 108ter, devenu les articles 136 mands, étant le seul organe de la capitale où ceux- et 166 de la Constitution coordonnée, présente ci bénéficient de la parité au niveau de l’organe comme juridiquement distincts. »454 La formule exécutif, et qui a l’avantage de disposer d’un terri- était d’autant plus requise qu’« il n’existe pas de toire limité aux dix- neuf communes461. Communauté bilingue de Bruxelles-Capitale qui, Dans la mesure où les garanties prévues en constitutionnellement, puisse se voir attribuer des 1970 pour la Communauté flamande – sonnette compétences communautaires dans les limites des d’alarme et parité au sein du gouvernement – se dix- neuf communes »455. retrouvent dans les organes de la Région, le main- La solution retenue devait également permettre tien de l’agglomération n’a pourtant que peu d’in- « de rencontrer les exigences d’une gestion effi- térêt de ce point de vue462. ciente des différentes compétences qui présentent En revanche, il existe un risque – qui semble souvent un lien évident de connexité et de com- aujourd’hui effectivement réalisé – de voir les plémentarité, lien encore renforcé par la parfaite matières d’intérêt local être « quelque peu délais- coïncidence du territoire de la Région de Bruxelles- sées dans l’ensemble des compétences dévolues à Capitale et de l’Agglomération bruxelloise »456. la Région de Bruxelles- Capitale »463. En bref, le législateur s’était déjà rendu compte La tentation pour les organes régionaux de pri- en 1987 que nombre des compétences dévolues vilégier leur compétence principale est d’autant à l’agglomération recoupaient celles des régions, plus grande que de nombreuses compétences fixées dans la loi spéciale de réformes institution- d’agglomération sont en même temps des compé- nelles du 8 août 1980 : le mouvement du « tout à tences régionales et que, en utilisant la casquette la Région » consacré par la loi spéciale du 12 jan- régionale – et donc l’instrument de la norme légis- vier 1989 n’est donc guère étonnant457. lative – ils se mettent à l’abri d’une annulation par 117. Certes, la formule, qui ne se traduit que le Conseil d’État464. par un dédoublement fonctionnel devenu courant 118. Quoi qu’il en soit, lorsque le conseil et en droit public belge, peut avoir pour mérite, au- l’exécutif exercent des attributions de l’agglomé- delà de la rationalité que représente le recours à ration qu’ils n’auraient pas confiées à des orga- un nombre limité de mandataires bruxellois, de nismes d’intérêt public, ils le font selon le mode distinguer compétences régionales, communes de fonctionnement régional, certes, mais par voie avec les autres régions, des compétences propres de règlements et d’arrêtés, dans le respect de l’ar- à l’agglomération, d’ordre supracommunal458. ticle 52 de la loi spéciale du 12 janvier 1989. Elle donnerait également un certain cachet à Dans ce cas, les projets ne doivent pas être sou- la Région, qui prendrait ainsi « l’allure d’une mis à la section de législation du Conseil d’État, communauté urbaine lui permettant de gérer à les lois coordonnées excluant qu’un avis soit rendu un niveau adéquat certains problèmes dépassant à propos de textes émanant de pouvoirs subordon- l’exiguïté du cadre des dix-neuf communes qui la nés, ce qu’était l’Agglomération, ce qu’est donc la composent aujourd’hui »459. Région lorsqu’elle agit en lieu et place de l’agglo- Il semble en tout cas que les francophones mération465. auraient refusé que l’agglomération serve de point Ces actes sont soumis pleinement au contrôle d’appui pour le futur statut de Bruxelles460, ce qui de légalité tant des juridictions de l’ordre judi- se comprend dans la mesure où l’agglomération ciaire, qui peuvent en écarter l’application, que du est symboliquement très importante pour les Fla- Conseil d’État, qui peut en outre les annuler466.

454 Y. LEJEUNE et W. PAS, « Le fonctionnement des institutions/De werking Chapitre 3 – Des compétences communautaires van de instellingen », in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT et R. ERGEC (réd.), Het statuut van Brussel/Bruxelles et son statut, op. cit., p. 498. Voy. aussi P. VAN 119. L’article 64 de la loi spéciale du 12 jan- ORSHOVEN, op. cit., p. 459. vier 1989 prévoit que : 455 Y. LEJEUNE, op. cit., p. 212. 456 R. ANDERSEN, « Les compétences des institutions bruxelloises », in « Chaque commission communautaire exerce R. ANDERSEN, G. BROUHNS, F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.- F. RIGAUX, H. SIMO- les mêmes compétences que les autres pouvoirs NART et M. VERDUSSEN, La Région de Bruxelles- Capitale, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 268, et les références aux travaux parlementaires citées. Il serait en revanche inimaginable de faire exercer des compétences d’agglomération à 461 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », C.H. CRISP une Région dont le territoire ne correspondrait pas avec celui de ladite agglo- 1989, nos 1230-1231, p. 25. mération. En ce sens, voy. Ph. DE BRUYCKER, « Intervention », op. cit., p. 296. 462 En ce sens, voy. A. ALEN, « Intervention », op. cit., p. 72. 457 En ce sens, voy. Ph. DE BRUYCKER, « Intervention », op. cit., pp. 295-296, 463 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 43. qui rappelle que le projet 461 prévoyait déjà la suppression de l’agglomération 464 En ce sens, voy. P. VAN ORSHOVEN, op. cit., p. 460. bruxelloise. 465 Voy., au sujet des difficultés qui peuvent surgir lorsqu’il s’agit de déter- 458 En ce sens, voy. A. DELCAMP, op. cit., p. 66. miner si une disposition réglementaire adoptée par l’exécutif bruxellois relève 459 Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État de sa compétence régionale ou de sa compétence d’agglomération, Y. LEJEUNE belge », op. cit., p. 234. et W. PAS, op. cit., p. 497. 460 En ce sens, voy. A. DELCAMP, op. cit., p. 57. 466 P. VANLEEMPUTTEN, op. cit., pp. 63-64.

154 ADMINISTRATION PUBLIQUE organisateurs dans les matières visées à l’article 61 Malgré tout, couplée à l’attribution de com- de la présente loi467. pétences communautaires aux Commissions En particulier, chacune d’elles a pour mission : communautaires, « la possibilité accordée aux Com- 1° d’élaborer et d’exécuter une programmation munautés de leur déléguer certaines matières, per- de l’infrastructure relative à ces matières ; mettra peut-être d’observer à terme l’émergence 2° de créer les institutions nécessaires, de les gé- d’une véritable Communauté bruxelloise qui repren- rer, et d’accorder des subsides dans les conditions drait l’ensemble des compétences exercées par les fixées notamment par la loi du 29 mai 1959 modi- Communautés française et flamande à Bruxelles »471. fiant la législation relative à l’enseignement gardien, 121. Pour sa part, la Commission communau- primaire, moyen, normal, technique et artistique ; taire commune peut être qualifiée d’« entité sou- 3° d’adresser des recommandations aux autori- veraine supplémentaire de l’État belge »472, voire tés intéressées ainsi que des avis, soit d’initiative de « quatrième Communauté »473 dans la mesure soit à leur demande ; où, loin de constituer un organe subordonné aux 4° de prendre et d’encourager les initiatives prises Communautés, son assemblée réunie est habili- dans les matières culturelles et personnalisables ». tée à adopter des ordonnances, à la condition de La parenté avec le libellé des compétences rassembler la double majorité dans chacun des dévolues antérieurement aux commissions de la groupes linguistiques qui la composent. culture de l’agglomération est flagrante. Un tel pouvoir lui est dévolu dans les matières Sont toutefois visés l’enseignement, la culture bipersonnalisables en vertu des articles 63 et 69 de et les matières personnalisables. la loi spéciale du 12 janvier 1989. Les compétences reprises des commissions de la En application de l’article 64, § 2, elle est dotée culture de l’Agglomération bruxelloise sont donc des mêmes compétences que les commissions élargies aux matières personnalisables et couvrent communautaires lorsque les objets traités sont ainsi l’ensemble des matières communautaires. d’intérêt commun. « Spécifique à la première d’entre elles, l’utilisa- Dans ce cas, elle retrouve sa qualité subordon- tion de l’expression “pouvoir organisateur” à propos née, agissant par la seule voie de simples règle- des matières culturelles, et plus encore à propos des 468 ments et d’arrêtés. Elle est supposée jouer le rôle matières personnalisables, paraît inappropriée. » d’organe de concertation et de coordination entre Si, toutefois, l’on se souvient que, s’agissant des les deux Commissions ce qui, apparemment « ne Commissions communautaires, la loi spéciale est correspond jusqu’à présent à aucune réalité »474. inspirée de la loi du 26 juillet 1971 organisant les agglomérations et les fédérations de communes, l’on comprend alors que, dans les trois domaines préci- T ITRE 5 – QUATRIÈME CONCLUSION – UN STATUT À tés, les Commissions communautaires flamande et PART (ENTIÈRE) française sont autorisées à intervenir concurrem- 122. Le 12 janvier 1989, la troisième Région ment avec les autres autorités normalement com- est enfin dotée d’un statut, fruit d’un compromis pétentes, proprio motu, pour le cas où les actions 469 politique atteint lentement qui lui vaut un terri- menées par ces dernières ne les satisferaient pas . toire, des institutions et des attributions. 120. En vertu des articles 64 et 65 de la loi Le territoire est limité aux dix-neuf communes, spéciale du 12 janvier 1989, les Commissions en guise de concession faite par les francophones, communautaires peuvent encore exercer les com- qui doivent renoncer à étendre la Région, que ce pétences que leur délèguent respectivement les soit pour des motifs linguistiques ou économiques. conseils flamand et de la Communauté française. Ceux-ci acceptent également de garantir une repré- Les compétences déléguées ne peuvent pas être normatives, sachant que la délégation de com- 471 Ph. DE BRUYCKER, « Intervention », in R. ANDERSEN, G. BROUHNS, pétences réglementaires peut susciter des inter- F. DELPÉRÉE, F. JONGEN, M.- F. RIGAUX, H. SIMONART et M. VERDUSSEN, La rogations en termes d’utilité, les commissions Région de Bruxelles- Capitale, op. cit., p. 302. Cet auteur se déclare intéressé à l’idée d’observer l’ampleur des délégations accordées par les Communautés communautaires étant déjà, comme cela vient aux Commissions communautaires en matière unicommunautaire, et ajoute d’être exposé, habilitées directement par la Consti- que se dégagerait ainsi la possibilité de fusionner les institutions régionales tution à prendre des initiatives dans les matières et communautaires, ce qui aurait pour effet de simplifier considérablement 470 le fédéralisme belge en l’organisant sur une base territoriale. L’examen de communautaires . l’ampleur (ou du défaut d’ampleur) des délégations survenues, et de l’impact sur la question de l’adoption de l’actuel article 138 de la Constitution seront réalisés par l’auteur de ce mémoire à l’occasion d’une phase ultérieure de ses 467 Pour rappel, cette disposition renvoie aux matières confiées aux Com- travaux de recherche. Entre- temps, voy. déjà R. WITMEUR, op. cit., p. 9. munautés. 472 J.- P. NASSAUX, « Les relations communautaires à l’Assemblée réunie de la 468 M. DONY et B. BLERO, op. cit., p. 40. Commission communautaire commune », C.H. CRISP 1999, nos 1633-1634, p. 14. 469 Ibidem, pp. 40-41. 473 P. VAN ORSHOVEN, op. cit., pp. 449 et s., spéc. pp. 464-465. 470 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », C.H. CRISP 474 Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État 1989, nos 1230-1231, p. 44. belge », op. cit., p. 232.

155 ADMINISTRATION PUBLIQUE sentation à la minorité flamande dans les nouvelles Bruxelles sont des Flamands à part entière et font institutions bruxelloises et de lui faire bénéficier partie de l’État fédéré flamand. La frontière entre de mécanismes de protection tels que ceux qui la Flandre et Bruxelles est donc uniquement une existent pour eux- mêmes au niveau fédéral. frontière entre régions mais non entre communau- 123. Mais les Flamands acceptent pour leur tés481. Il n’existe d’ailleurs pas, pour le mouvement part qu’il y ait une Région, dotées d’institutions et flamand, de communauté bruxelloise autonome, la d’attributions propres. capitale étant exclusivement le point de rencontre Si l’on se rappelle que la création de trois entre les deux communautés, celles-ci étant habi- régions suscite depuis toujours la crainte d’une litées à la gérer conjointement. minorisation de la région flamande par rapport aux « La persistance d’une remise en cause de Régions wallonne et bruxelloise475, la concession l’actuel statut de Bruxelles dix ans après l’orga- apparaît historique. nisation de la Région montre à quel point la loi Au modèle défendu par la classe politique franco- spéciale du 12 janvier 1989 a constitué à l’époque phone, celui de Bruxelles en tant que Région « à part un remarquable compromis entre les conceptions entière »476, s’est en effet toujours opposée la vision extrêmement divergentes des Francophones et des flamande477, laquelle a d’ailleurs été officiellement Flamands. »482 confirmée, dix ans après la création des institutions 124. L’acquis paraît d’autant plus important bruxelloises, dans l’une des cinq résolutions adop- qu’en réalité, « aucune des spécificités (bruxel- tées par le Parlement flamand le 3 mars 1999478. loises) ne correspond à l’objectif des parties Cette résolution peut se résumer par le recours flamandes de conférer à la région de Bruxelles- à la formule simplifiée « 1 + 1 » ou « 2 + 2 », et Capitale des compétences “différentes” ou “non non « 2 + 1 »479. comparables” à celles des deux autres régions »483. C’est la formule du fédéralisme à deux, basé Ces spécificités « correspondent à celle d’une sur la Flandre et la Wallonie, Bruxelles recevant ville-région, qui plus est capitale d’un État, et un statut particulier mais ne constituant pas une répondent plus à des différences objectives qu’à région à part entière. Il faudrait ainsi distinguer, au une volonté de brider la nouvelle collectivité ». sein de la Belgique, deux États fédérés, la Flandre Elles n’affectent pas véritablement « la substance et l’État fédéré francophone (les deelstaten) et régionale de Bruxelles »484. deux territoires (les deelgebieden), à savoir la Elles ne suffisent certainement pas à refuser de Région de Bruxelles-Capitale – dont les frontières reconnaître qu’elle jouit d’une autonomie et qu’à sont définitives – et la Communauté germano- ce titre, elle est une région « à part entière », tout phone, disposant de prérogatives moins impor- autant que les autres. tantes, et qui feraient l’objet d’un droit de regard De ce point de vue, la réforme fait office de commun de la part des deux deelstaten. trompe- l’œil dont les Flamands seraient les vic- Pour d’aucuns, ce système de cogestion pourrait times. se traduire par la création d’un district – fédéral ou 125. Des entraves existent pourtant. européen – en remplacement de la Région actuelle480. L’interdiction des listes bilingues peut ainsi être Le slogan « Vlaanderen laat Brussel niet los » vue comme « un frein à l’autonomie », en raison résumerait pour sa part la vision flamande à pro- de la polarisation de l’attention des électeurs sur pos de la capitale, dont le point de départ est qu’un l’appartenance linguistique des candidats, empê- lien étroit unit ces deux entités. Les Flamands de chant ainsi l’émergence d’une réalité et d’une identité bruxelloises autonomes485. 475 Rapport M. Calewaert, op. cit., Doc. parl., Sén., sess. 1969-1970, no 458, Cet exemple peut paraître anecdotique lorsqu’il pp. 7-8. 476 est confronté à l’amoncellement d’autorités Pour un résumé de cette conception, voy. N. LAGASSE, « Le statut de la Région de Bruxelles-Capitale – La position des principaux acteurs politiques », publiques qui se partagent le pouvoir sur ce terri- C.H. CRISP 1999, no 1652, pp. 33-35. toire dont l’exiguïté est une caractéristique fonda- 477 M. VAN DER HULST, op. cit., pp. 642-647. 478 À leur sujet, voy. G. PAGANO, « Les résolutions du Parlement flamand mentale. pour une réforme de l’État », C.H. CRISP 2000, nos 1670-1671 et, spécialement les pp. 27-32 s’agissant de la troisième résolution, relative à Bruxelles. 479 Le modèle « 2 + 2 » est né sous la plume des auteurs de l’Essai de 481 J. VELAERS, « “Vlaanderen laat Brussel niet los” : de Vlaamse invulling Constitution pour la Flandre (J. CLÉMENT e.a., Proeve van Grondwet voor van de gemeenschapsautonomie in het tweetalig gebied Brussel- Hoofdstad », Vlaanderen, Bruges, die Keure, 1996), dont le travail a été commenté par in E. WITTE, A. ALEN, H. DUMONT et R. ERGEC (réd.), Het statuut van Brussel/ J. BRASSINNE, « “La Constitution flamande” – Essai de constitution pour la Bruxelles et son statut, op. cit., p. 595. À ce sujet, voy. aussi F. PERIN, op. Flandre », C.H.CRISP 1997, nos 1569-1570. Voy aussi N. LAGASSE, « Gouver- cit., p. 283. ner Bruxelles – Règles en vigueur et débat », C.H. CRISP 1999, nos 1628-1629, 482 Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État p. 11, et idem, « Le statut de la Région de Bruxelles- Capitale – La position des belge », op. cit., p. 247. principaux acteurs politiques », C.H. CRISP 1999, no 1652, pp. 20 et s. Voy. 483 A. DELCAMP, op. cit., p. 58. également P. VANLEEMPUTTEN, op. cit., pp. 12-13. 484 Ph. DE BRUYCKER et N. LAGASSE, « Bruxelles dans la réforme de l’État 480 À ce propos, voy. N. LAGASSE, « Le statut de la Région de Bruxelles- belge », op. cit., p. 229. Capitale – La position des principaux acteurs politiques », op. cit., pp. 28 et 39. 485 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 50.

156 ADMINISTRATION PUBLIQUE

À la veille de la création des institutions bruxel- Commission communautaire flamande, membre loises, en 1989, treize niveaux institutionnels dif- de l’assemblée réunie et membre du collège réuni férents pouvaient être identifiés sur le territoire des de la Commission communautaire commune489. dix-neuf communes : « le ministre des Affaires 127. L’on comprend que le système ainsi envi- bruxelloises, les gouverneur et vice-gouverneur sagé ait, dès son adoption, été jugé compliqué et de la province de Brabant, le conseil provincial, susceptible d’interprétations divergentes. la députation permanente, le conseil d’agglomé- L’espace institutionnel bruxellois, tel que ration, son collège exécutif, les Commissions façonné en 1989, tient du labyrinthe. Ses concep- française et néerlandaise de la culture, les Com- teurs, à l’instar de Dédale, l’ont-ils inventé pour missions réunies, conseils et collèges communaux, mieux cacher le Minotaure, ce monstre fabuleux le Conseil économique régional pour le Brabant, qu’est Bruxelles dans la Belgique d’aujourd’hui ? la Société de développement régional »486. Y a-t-il un sens, autre que le sens de l’histoire 126. Il n’est pas certain que la technique mise en juridique que ce mémoire dévoile, à une telle com- œuvre au travers de la révision de l’article 108ter plexité ? de la Constitution et de la loi spéciale du 12 janvier Surtout, y a- t-il un but ? 1989 ait porté remède à cette situation. Et s’il s’agissait d’un autre trompe-l’œil finale- Certes, le dédoublement fonctionnel qui caracté- ment, au détriment de ceux qui ont cru à tort voir rise les organes de la Région de Bruxelles- Capitale s’opérer une simplification des institutions bruxel- s’est avéré justifié par la nécessité de ne pas loises, rationalisation purement apparente qui confier à des organes régionaux des compétences pourrait paradoxalement s’avérer paralysante ? réservées au communautés, comme l’ont exigé les concepteurs de l’article 107quater, certes encore ce dédoublement fonctionnel s’est-il à l’évidence COCLUSIO GÉÉRALE inspiré de la formule déjà mise sur pied pour les organes de l’agglomération, mais il y a mieux. 128. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se À ce jour, en effet, les organes de la Région de transforme. Bruxelles-Capitale cumulent au moins trois quali- 487 La maxime attribuée à Lavoisier caractérise tés : la régionale, la communautaire , mais aussi parfaitement les grandes étapes de la réforme de celle de l’agglomération. l’État unitaire belge en un État fédéral. D’un point de vue organique, on peut voir « Chaque vague de réformes a consisté en la huit institutions différentes créées au terme de la création de nouvelles institutions ou la transfor- réforme de 1988-1989 : le conseil régional et son mation d’institutions existantes ; presque jamais exécutif, quatre institutions pour les matières uni- ce qui avait été créé n’a été supprimé »490. communautaires (les deux groupes linguistiques Bruxelles n’échappe pas à cette règle. du conseil et deux collèges issus de l’exécutif) et Avec M.- Fr. Rigaux, il est permis de constater deux pour les matières bicommunautaires (assem- 488 que « la loi spéciale du 12 janvier 1989 marque blée réunie et collège réuni) . des ruptures, certes, puisqu’elle crée des institu- Quant aux élus bruxellois, ils peuvent revêtir tions nouvelles, en supprime d’anciennes, accorde dix casquettes différentes – dont certaines sont des compétences ou en retire. Cependant, la loi heureusement incompatibles entre elles : conseil- s’inscrit aussi dans une continuité. Continuité et ler régional, membre de l’exécutif régional, rupture des institutions (…) »491. conseiller de l’agglomération exerçant sa com- En effet, l’agglomération bruxelloise n’est pas pétence au sein du conseil régional, membre du supprimée, « mais ses organes disparaissent et collège d’agglomération exerçant sa compétence ses attributions sont désarticulées »492, le système au sein de l’exécutif régional, membre du groupe nouveau s’inspirant encore de certains principes linguistique néerlandais ou membre du groupe qui avaient conduit à la création de l’institution de linguistique français, membre du collège la Com- 1970 et des modifications qui y ont été apportées mission communautaire française ou de celui de la en 1987. Les normes constitutives des organes de l’ag- 486 Voy. A. DELCAMP, op. cit., p. 52. Voy. aussi : X, « Bruxelles et la réforme glomération permettent aussi, par leurs vertus his- des institutions », C.H. CRISP, no 613 du 14 septembre 1973, pp. 14-20. 487 Sans parler encore, à ce stade, de l’exercice par la Commission com- toriques, de mieux comprendre l’existence, les munautaire française de compétences revenant en principe à la Communauté origines et la structuration des commissions commu- française, et qui lui a été transféré en 1993-1994 en application de l’article 138 de la Constitution. 488 En ce sens, voy. l’intervention de Mme Spaak (Doc. parl., Ch., sess. 489 P. VAN ORSHOVEN, op. cit., R.W., 1989-1990, no 14, p. 465. 1988-1989, no 661/4, p. 17), pour qui le slogan du gouvernement (« des struc- 490 M. LEROY, op. cit., p. 44. tures simples, efficaces et transparentes ») ne manque pas d’ironie (ibidem, 491 M.- Fr. RIGAUX, op. cit., p. 19. p. 18). 492 Ibidem, p. 19.

157 ADMINISTRATION PUBLIQUE nautaires bruxelloises, dont l’étude, « une des parties dans une large mesure sur la technique du dédouble- les plus ardues et les plus curieuses du droit public ment, voire de la démultiplication fonctionnelle497. belge », est ainsi rendue un peu plus simple493. Si, pour d’aucuns, cette technique, « clé de De même, on peut observer une continuité, voûte »498 des institutions bruxelloises, est le fruit malgré les ruptures, entre la région bruxelloise d’un effort méritoire de rationalisation499 et le née de la volonté du constituant de 1970 et la gage d’une simplification visuelle pour la popu- Région de Bruxelles- Capitale, en passant par les lation bruxelloise, qui peut ainsi identifier ses élus « sans trop se préoccuper du niveau de com- institutions régionales provisoires, antérieurement 500 qualifiées de « préparatoires » à l’application de pétences auquel ils agissent » , la question se l’article 107quater de la Constitution494. pose de savoir si les élus en question n’y perdent pas pour leur part leur latin, et ne confondent ou De solution transitoire en solution provisoire, 501 certains traits définitifs se sont malgré tout impo- n’oublient pas certaines de leurs casquettes . La simplification des institutions bruxelloises sés : « le territoire, la population, le mode de com- n’est acquise qu’au travers de l’économie du position de certains organes, les enjeux tout à la nombre de mandataires, mais cela s’arrête là. fois régionaux, nationaux voire internationaux, Cette rationalité paraît trompeuse, et la simpli- l’allégeance, partant, avec les institutions natio- fication vantée à l’époque pourrait avoir asphyxié nales d’une collectivité politique réputée auto- 495 les élus bruxellois sous leurs multiples casquettes. nome » . 130. En outre, « en raison de l’exiguïté de son Territoire, institutions et attributions, tels qu’ils territoire, Bruxelles a besoin d’une concertation seront décidés en 1989, constitueront la preuve interrégionale »502 pour exercer adéquatement les que, depuis l’indépendance de la Belgique, des compétences qui lui sont dévolues, ce que le seul éléments du statut de Bruxelles ont été fixés pro- exemple concret de la construction d’un nouveau gressivement, et qu’il n’y a donc pas eu de silence stade national suffit à démontrer. qui, à ce propos, puisse être qualifié d’assourdis- En réalité, la Région de Bruxelles- Capitale ne sant. peut rien seule503… 129. L’évolution n’appelle-t-elle que des 131. Les premiers jalons de l’histoire de la louanges ? Région de Bruxelles- Capitale apportent déjà un Présentée comme étant le « fruit de la lente premier éclairage utile pour dresser, au travers du décrispation communautaire intervenue à cas bruxellois, un bilan du fédéralisme belge et Bruxelles et de la conviction qu’on ne pourrait des enjeux cachés qu’il peut receler. transformer l’État belge en un véritable système L’analyse de ceux-ci, et la poursuite de la chro- fédéral tout en laissant entre parenthèses la troi- nique, à l’occasion de travaux ultérieurs, pour- sième région », la concrétisation des institutions raient s’avérer plus instructifs encore, surtout bruxelloises devait constituer le gage d’une « ges- lorsque seront examinés les enjeux financiers. tion plus cohérente », d’une « meilleure trans- Les premiers mouvements de son histoire parence dans le fonctionnement de la Région laissent en tout cas déjà penser que la Région de Bruxelles- Capitale est, en raison même de la bruxelloise, ainsi qu’une plus grande efficacité manière dont ses institutions ont été conçues, pri- dans le processus de décision ». vée de l’autonomie qu’elle croyait avoir obtenue, Mieux encore, « les mécanismes institués en mais pour des raisons autres que celles qui ont été vue de maintenir et de développer (les) fonctions officiellement négociées. particulières de Bruxelles », soit le rôle de capi- Il en résulte qu’elle est, en fait sinon en droit, tale et de siège des institutions de cette « ville- sujette à la léthargie ou à la dépendance à l’égard Région », devaient préserver l’autonomie de la de pouvoirs tiers, qualités qui ne paraissent pas 496 Région et de ses élus . être celles d’une entité fédérée à part entière. La réalité est plutôt que le statut des institutions bruxelloises est le fruit d’un compromis et repose 497 P. VANLEEMPUTTEN, op. cit., pp. 14-15. 498 Ph. DE BRUYCKER, « Bruxelles dans la réforme de l’État », op. cit., p. 34. 493 Ph. DE BRUYCKER, « Les nouvelles institutions bruxelloises », op. cit., 499 Rapport TOMAS et ANCIAUX, op. cit., Doc. parl., Ch., sess. 1988-1989, p. 105. no 661/4, p. 50. 494 M.- Fr. RIGAUX, op. cit., p. 19. 500 P. VANLEEMPUTTEN, op. cit., p. 15. 495 Ibidem, p. 40. 501 En ce sens, voy. P. VAN ORSHOVEN, op. cit., p. 465. 496 Ph. MOUREAUX, Bruxelles, ses institutions et son financement, 1990, 502 G. CEREXHE, op. cit., p. 63. pp. 4-5. 503 A. DELCAMP, op. cit., p. 343.

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