folklore REVUE D'ETHNOGRAPHIE MERIDIONALE

TOME XXXV 45e Année- N° 1 185 PRINTEMPS 1982 FOLKLORE REVUE D'ETHNOGRAPHIE MÉRIDIONALE fondée par le Colonel Fernand Cros-Mayrevieille

Directeur: J. CROS-MAYREVIEILLE Domaine de Mayrevieille par

Secrétaire Général : Secrétaire : t RENÉ NELLI JEAN GUILAINE

TOME XXXV 45e Année- N° 1 PRINTEMPS1982

RÉDACTION: GROUPE AUDOIS D'ETUDES FOLKLORIQUES BP. 263 - 11005 CARCASSONNE CEDEX. Abonnement Annuel : - ...... 30,00 F. - Etranger ...... 45,00 F. Prix au numéro ...... 12,00 F. Applicables à partir du tirage du dernier fascicule de l'année 1980.

Adresser le montant au : « Groupe Audois d'Etudes Folkloriques», Domaine de Mayrevieille, Carcassonne Compte Chèques Postaux N° 20.868 Montpellier. FOLKLORE TOME XXXV - 45e Année - N° 1 - Printemps 1982

SOMMAIRE

La disparition de René Nelli.

Dominique BAUDREU Un « tarivari » anti-clérical à () (vers 1910). **s

Adelin MOULIS Devinettes languedociennes du pays de Foix.

Eugène POUCHAYRET Souvenir des Pyrénées audoises.

Bibliographie Pierre GOUGAUD : Grand-mère m'a raconté... (J.Fourié).

SUPPLÉMENT Bulletin d'information du GARAE

Rencontres - Forum - Exposition.

Un questionnaire sur Sainte Germaine.

Les jeux : bibliographie et méthode de recherche. La disparition de René Nelli

Les lecteurs de Folklore ont sans doute appris la triste nouvelle : René Nelli n'est plus. Ce serait trop peu de dire que la revue est en deuil. Celui qui disparaît aujourd'hui fut celui qui participa à sa fondation, qui lui donna l'élan intellectuel nécessaire, qui la nourritde ses curiosités et de sa passion aux moments difficiles. Devant une perte aussi immense, il n'est pas possible de se contenter d'une nécrologie laconique, René Nelli reste vivant parmi nous, aussi allons-nous lui dédier nos travaux prochains. La rencontre sur l'ethnologie occitane, qui aura lieu à Carcassonne du 29 au 31 mai, sera placée sous son signe et le numéro hors-série de Folklore qui sera consacré aux Actes du colloque sera notre hommage, un hommage qu'il aurait aimé. A l'heure où la curiosité ethnographique devient un phénomène social, voire un engouement de mode, il est peut- être plus important que jamais de rappeler les principes auxquels René Nelli n'a jamais failli. Pour qui se veut ethnographe de sa propre société il est d'abord nécessaire de ne pas figer sa recherche,il est indispensable d'inventer, souvent contre l'académisme savant du moment. Mais surtout l'imagination et la rigueur, qui seules permettent le renouvellementde la connaissance des cultures humaines, ne sauraient perdurer quedans la plus complète indépendance de l'esprit.

La Rédaction.

2 Un «tarivari » anti-clérical à Pauligne (Aude) vers 1910

Le mot « tarivari » est une des formes languedociennes du motfran- çais « charivari », il est employé dans l'Aude oùil existe aussi la forme « calivari ». Mistral le fait dériver du bas-latin « carivarium » etdonne vingt-six variantes attestées dans les dialectes occitans(1). Ce mot désigne une pratique qui était encore très vivante jusqu'au début du siècle même si elle vit sa plus belle époque au XIXe siècle. Il s'agis- sait pour un groupe d'individus (en général,le groupe des jeunes hommes) de se rassembler devant la maison de celui qui devenait l'objet de ladésap- probation ou de la moquerie générale à causede sa conduite. Les personnes les plus communément visées étaient des étrangers au village ou des veufs récemment mariés, des maris trompés oubattus par leurs femmes. Cette manifestation se faisait à grands renforts de cris,de chansons composées pour la circonstance et de bruits provoqués par tousles objets métalliques dont on disposait (récipients, instruments de travail...). La règle voulait que pour faire cesser le « tarivari », la personne concernéedonne une cer- taine somme d'argent aux jeunes gens ou même leur payeà boire en les fai- sant rentrer chez elle. Pourtant, certains « tarivaris » ne correspondent pas exactementà cette image traditionnelle du phénomène ; c'est que cettemanifestation populaire a pu prendre parfois des dimensionsfranchement contestataires à l'encontre des institutions en place. L'histoire qui va suivre relate la mobilisation d'une grande partiede la population paulignoise (un peu moins d'une centainede personnes) qui se refusait à payer le denier du culte et quidécida d'organiser un « tarivari » devant les avertissements du curé. Ces événements se sont déroulés au début des années 1910. Le récit que j'ai pu en recueillir m'a paru d'autant plus intéressant qu'il m'a été raconté par un témoin visueldu « tarivari ». Cette manifestation n'a rien à voir avec un quelconque défoulement. Le « tarivari » correspond à autre chose : « ...; par sa ritualisation précise il exclut en principe tout recours à l'agression physique directe »(2). Comme on va le voir, il devient ici protestation collective contrel'autorité cléricale en même temps que lieu privilégiéde l'expression populaire. En effet un des participants compose une chanson oùle pouvoir du curé est remis en cause : « L'humiliation... de la chansoninjurieuse qui fixe et publie la honte du fautif est un châtiment suffisant »(3). La participation totale et spontanée de la foule est ici pleinement assurée,d'autant que la manifestation n'est plus le seul fait des jeunes gens mais qu'ellerassemble aussi bien les hommes que les femmes, les enfants queles plus âgés. Voici le récit retranscrit de ce « tarivari », il m'a été raconté en occitan (mon informatrice est née en 1907, j'ai enregistré son témoignageà Pauli- gne en 1980) : Voila que vos vau racontar una... un conte, mès qu'acô es... es vertat. Pesqué ieu èri pichona, qu'avià... èri jovenèta, qu'avià cinc ans, sièis ans ?... Ba sèï pas ! E ma sôr avid un an de maï que ieu, èra pus granda. Anam a la messa le dimenge... arribàvem justament a n'aquel vilatge, i avià un parèl de meses qu'i èrem... a Paulinha. Voila qu'alavètz monsur '1 rictor se mèt a prechar e ditz que... citèc totas las familhas qu'aviàn pas pagat le culte e entr'autres, nos citèc a nosautris : la familha Ciutat. Alavètz, ma sôr dit : - Sabès mamà, Monsur '1 rictor... dèves d'argent a Monsur 'l rictor ! - Eperqué ?... E qun argent ?... I èï pas... som pas jamai anada a la messa, som pas dintrada chez et !... Jeu i dèvi pas res a Monsur '1 rictor ! - Que si, que si !... A dit qu'i deviàs d'argent !... que te '1 cal anar pagar ! » Vietase !... Mamà ba prenguèc pas atal ! Sortis defôra, s'en va chez la vesina... que la vesina tanpauc le pagaya pas le culte. Alavètz, i ditz : - « Qu'es aquô que se passa ?... La pichona me ditz que Monsur '1 rictor nos a prechat qu'i devèm d'argent !... Chesus !... aquô ba trapi un pauc fôrt ! - E oui !... vos a prechat... i ditz... e mai a totis !... a totis qu'avèm pas pagat le culte, nos a prechat ? » Alavètz, les ômes, tot aquô... se reunisquèron, dièron : « Nos i cal far tarivari a Monsur '1 rictor ! » Alavètz, se metèron aqui... trapèron de vièlhis ferrats, de caçairôlas, de... que vos dirè ?... de boètas, un trabalh infernal ! Auriàs dit una fan- fara tarribla de... sabi pas d'ont... d'ont èra sortida ! E las femnas, alavètz... las pus enratjadas se metiàn davant les ômes, davant aquelas caçairôlas e ferrais... e aqui, far la ronda coma per una fèsta ! Nosautras, amè ma sôr e las autras pichonas, qu'èrem pas las solas que badàvem aqui... ba trapavèm polit !... ba trapàvem interessènt aquô ! I avià tot aquô !... Malheur ! Nos fasici una sortida aquô le soèr... e aquô trapàvem qu'èra polit nosautras ! Juscas alavètz, quand aviàn pro tustat sus tambors e caçairôlas e tot çà que voldrètz, i avià un pépé aqui qu'avià fait una cançon !... e d'aquela cançon, çà sol que me rapèli èra : « T'en aniràs Vièlh petaç, De Paulinha Nôstra vila ! T'en an iras Vièlh petaç, De Paulinha difumaràs ! » E apèi, ja èra longa la cançon !... mès m'en rapèli pasd'aquri. Ala- vètz, Monsur 1 rictor... una colèra quand entendiâ'quo! E aquô, ba fasiân cada soèr ! « Il faut... cal qu'aqud acabe !... Tornèc prechar undimenge..., si acaba pas, vau avertir les gendarmas! » E alavètz, apèi dièron : « Quand même, vaï !... anirici trô lenc aquô... aquelisrimes:.. nos ba cal acabar aqud !... e le culte, i 'l pagam pas e voilà!... dirà çô que voldrà, es pas oblijat de nos '1 faïre pagar! » (4). Aqui çô que sabi d'aquô, que me rapèli coma un sdnge qu'avicibenlèu cinc ans. TRADUCTION : Je vais vous raconter une... un conte, mais celui-ci est véridique parce que j'étais petite, j'avais... j'étais trèsjeune, j'avais cinq ans, six ans ?... Je ne sais pas ! Et ma sueur avait un ande plus que moi, elle était plus grande. Nous allons à la messe, le dimanche... nous venionsd'arriver à ce vil- lage, il y avait une paire de mois que nous y étions...à Pauligne. Monsieur le curé se met alors à prêcher et dit que...il cita toutes les familles qui n'avaient pas payé le denier du culte et entre autres,il nous cita : la famille Ciutat. Alors, ma sueur dit : « Tu sais, maman, Monsieur le curé... tudois de l'argent à Monsieur le curé ! - Et pourquoi?... Et quel argent ?... Je ne lui ai pas... je ne suis jamais allée à la messe, je ne suis pas entrée chez lui1... Moi, je ne lui dois rien à Monsieur le curé ! - Mais si, mais si!... Il a dit que tu lui devais de l'argent !... Qu'il faut que tu ailles le payer ! » C'est que maman n'en resta pas là ! Elle sort, se rend chezla voisine... qui ne payait pas non plus le denierdu culte, alors elle lui dit : « Qu'est-ce qui se passe ?... La petite medit que Monsieur le curé a parlé de nous en prêchant parce que nouslui devons de l'argent !... C'est quelque chose que je trouve un peufort ! - Et oui ! ... Il a parléde vous... - lui dit la voisine - et même de tous !... De tous ceux qui n'avons pas payé ledenier du culte, il a parlé de nous en prêchant ! » Alors, les hommes, tous ensembles... se réunirent etdirent « Il faut que nous fassions un charivari pourMonsieur le curé ! » Alors, ils commencèrent à prendre de vieux seaux,des casseroles, des... qu'est-ce que je vous dirai ?... des boites, un remue-ménageinfer- nal ! Tu aurais dit une fanfare terriblede... je ne sais pas d'où... d'où elle était sortie ! Quant aux femmes... les plus décidées se mettaientdevant les hommes, devant ces casseroles et ces seaux etfaisaient la ronde comme pour une fête. Nous, avec ma sueur et les autres petites- nous n'étions pas les seules qui regardions - nous le trouvions joli tout ça ! ... Nous le touvions inté- ressant !Il y avait tout ça !... Malheur !... pour nous, le soir, c'était une sortie... et nous trouvions que c'était joli! Alors, après avoir assez tapé sur tambours, casseroles et tout ce que vous voudrez, arrivait un pépé qui avait fait une chanson !... et de cette chanson, je ne me souviens que de : « Tu t'en iras Vieil emplâtre, De Pauligne Notre ville Tu t'en iras Vieil emplâtre De Pauligne, tu déguerpiras ! » Et puis, c'est qu'elle était longue la chanson !... Mais je ne m'en rappelle plus. Alors, Monsieur le curé était en colère quand il entendait ça C'est qu'ils le faisaient chaque soir tout ça ! « Il faut que tout ça s'achève ! - prêcha à nouveau le curé un diman- che - si, ça ne cesse pas, je vais avertir les gendarmes ! » Alors ils dirent : « Quand même !... Ça irait trop loin.... il faut nous arrêter !... Et le culte, nous ne le lui payons pas et voilà ... Il dira ce qu'il voudra, il n'est pas obligé de nous le faire payer ! » Voilà ce dont je me souviens, je m'en rappelle comme d'un songeoù j'avais peut-être cinq ans. Dominique BAUDREU.

NOTES (1) « Lou tresor dou felibrige » par F. Mistral, tome I, p. 427. (Delagrave, 1932). (2) « La vie quotidienne des paysans du Languedoc au XIXe siècle » par D. Fabreet J. Lacroix, p. 414. (3)Idem. (4) En fait, j'ai pu savoir que le « tarivari » cessa seulement lorsque le curé,excédé, fit l'acquisition d'une arme pour intimider les perturbateurs.

NOTE DE LA RÉDACTION

Les charivaris anti-cléricaux semblent être un trait social et culturel particulièrement affirmé dans la haute-vallée de l'Aude. Christian Thibon, dans sa thèse « Villages et environnement national en montagne audoise 1800-1914. Contribution à l'étude des communautés rurales du Pays de Sault », Uni- versité de Toulouse II, mars 1981, étudie, pp. 44 à 46, plusieurs cas remarquables : à Roque- feuil en 1824, Counozouls 1844, 1844, Bessède 1846 et Counozouls encoreen 1847, où un desservant tue un des participants. Signalons aussi à nos lecteurs la parution, sous la direction de Jacques Le Goff et Jean- Claude Schmitt, d'un important colloque Le Charivari, éd. de l'EHESS, 1981, 444p., où se trouvent posés la plupart des problèmes concernant ce rituel de dérision populaire. Devinettes languedociennes du Pays de Foix

Avant d'énoncer les termes d'une énigme ou d'une devinette, on pose généralement, par deux fois, cette interrogation :Qu'es aquô ? - Qu'es aquô ?

Quatre doumaisèlos, Negre, negre coumo un courbas, Bestidos de dol, Mounto l'escaliè coumo un diablas. Qué toutjoun se casson (Le souliè.) E jamès nou s'atrapon. (Las alos de mouli de bent.) Camino andélesdenses. (L'esclop.) Tres o quatre doumaisèlos, Bestidos de gris, Porto les caichals dabant le bentre. Que fan courre le mounde (L'esclop.) Pels camis. (Las campanos.) A bosc nèich, AI prat pèich, Tres o quatre doumaisèlos, A la bilo canto. Dins un coubent, (La bargo.) Que nou besen Ni plèjo, ni bent. Marcho toutjoun sans cambià de plaço. (La nougo.) (La pandulo.) Doumaisèlos dins un coubent, Ba è ben sense cambià de plaço. Es a l'abric de la plèjo è del bent, (La porto.) E ta pla es banhado tout le tems. (La lengo.) Tarrilho, manilgo, cabilh de fer, Soun cinq que la menon Pelut contre pelut, E n'an que dous èls. Per besti le paure nut. (Les cisèus.) (L'èl.) Loung, loung, coumo la fi del moun, Roun, roun coumo un pè de miul, E redoun coumo un pès de miul. Qu'a mès de brancos qu'aibre del moun. (Le fièl è le caddel.) (Le cap.) Cour de crambo en crambo, A l'esquino per dabant E n'a res qu'uno camo. E le bentre per darrè. (Le candeliè.) (La camo.) Soun loung e blanco ; Pelut per deforo, pelut per dedins, En serbissen moun mèstre Moustifarro i es dedins. Me soun difèito. (Le debas.) (La candèlo.) Cap sense cirbèlho, E fèlhos è soun pos cap d'aibre ; Col sense gargamèlho, Parli, fau parlà, dèichi parlà. Bentre sense tripos, Per moussus è per damos Tiul sense trauc. Me fau pourtà. (La cabeto.) (Le libre.) Dins un cop de bigos, Un barricoutet, Se difemo dos bordos al cop. Sense tamo ni trauquet. (Le moucadou.) (L'iôu.) Mès es caut, mès a la cugo loungo. Roun, roun coumo un barricoutet, (Le foc.) N'a pos cercles ni brouquet. Madamo la Negro (L'iôu.) Mounto en carrossso ; Toutjoun crido qu'a set, è quand es à Moussu le Rouge la fount, jamès nou beu. La pico pel tiul. (L'esquelho.) (L'oulo sul foc.) Toutjoun parlo è jamès nou sap ço Uno glèiso escuro que dits. Ount tout s'escauduro ; (L'aigo.) Le moundo menut, Le capela boussut. En bouès pot pourta mès de cent (Las mounjos dins Poulo.) quintals ; en fer nou pot pos pourtà dous clabèls. Beu la siu Banc è manjo las sius tripos. (L'aigo.) (Le calelh.) Un dit : anen, anen ! Nau, naut coumo un palhè, Las autros : demouren. demouren ! E non bal pos un dinhè. Las autres : dansen, dansen ! (Le fum.) (L'aigo, las pèiros, las truitos.) Dins uno bordo qu'i a bacos de dos Mès s'en tiro, mès ben grand. coulous : las unos roujos, las autros (Le trauc.) blancos. Le baquiè arribo è ba fa tout sourti. Mès n'i a, mens peso. (Le pa al four.) (Traucs à un pantaloun.) Regat, regat, Dins uno crambo escuro, Cap d'araire i a pos passai. Madamo es estendudo. (Le tet.) (La pasto.) Pè countro pè, Es quicom de pla siètat, Bentre countro bentre, Qué te ten pla regardat, M'arrinqui ço de redde Badant la gorjo coumo un fat. E t'i ba planti pel bentre. (Le four.) (La clau del cabinet.) Redde è gros, Roun, roun coum un curbel, N'a pos cap d'os. Gaito toutjoun le cèl. (Le sac de farino.) (Le pouts.)

R Bentre sus bentre, Bert La ma sul tiul, Coumo le joulbert ; Quicom de pounchut Agre Dins un trauc fendut. Coumo le binagre ; (Le mainatge que poupo.) E dons Coumo le belous. Roun, roun coumo un curbèl, (L'amelhou.) Loung, loung coumo un courdèl (Le pouts.) Penjourli que penjourlabo, Pè-pelut que le gaitabo ; Uno bourrasso pla pedassado, Penjourli toumbèc : E cap d'agulh i es pos passado. Le pè-pelut se le manjèc. (Le cèl moutounat.) (L'aglan.) Que curbirio tout Paris, Blanc, blanc coumo la neù, E curbirio pos la bouco d'un pouts. Nèu nou es. (La neù.) Fèlhos nou n'en porto, Aibre nou es. Madamo de Noualho, (Le nap.) Andé sa loungo toualh, Abrigo tout, Dous fraires porton la sor. Nou l'aigo que nou pot. (Les andèrs è la barro.) (La neù.) Pèl countro pèl, Tout le mounde le trobo è digus l'a Andé quicom al mièj. pos bist. (Les biùus à la laurado.) (Le vent.) Dos que punton, Gros, gros, Quatre que porton, Que n'a res qu'un os. Quatre que penjon. (Le palhè.) (La baco.) Soun un pichou gra, Las dos gaiton las brumos ; M'an enterrat ; Las quatre porton la dinnado ; Soun bengut gros, Las quatre baten la rousado. M'an coupat les osses ; (La baco.) M'an pres la pèl Per ne fè un mantèl. Blanc, blanc coumo la nèu ; (Le cambre.) Negre, negre coumo un toupi, Gougo despaso, endenino t'oc. Soun loung coumo Pilato, (L'agasso.) Prim coumo uno pato, Amarguent coumo le fèl, Blanc, blanc coumo coutou, E dous coumo la mèl. Negre, negre coumo carbou. (Le nouiè.) Le cugueto reddo coumo un bastou. (L'agasso.) Naut mountat, Court abinlhat, Blanco è negrot, De rouge estouloupat. A uno cugo coumo un espasot. (La cerièro.) (L'agasso.)

` 9 um

Ei un capèl è non èi cap, Qunis soun les dous èstres les pus Ei u pè è non èi souliè. bèstios sus tèrro ? (Le camparol.) (La crabo, que grato le. palhat per se le medeci, que se M'en bau de crambo en crambo, coulcà sul pabat ; crets de gari les autris, è se sap pos Atrapi madamo per la camo. gari et mèmo). (La piuse.) Qunos soun les Ires bèstios las pus N'èi pos cap de pè ni de talou, E courri coumo un diablou. curiousos ? (La bolo.) (La galino, que beu è picho pas ; Le lapin, que picho è beu pos ; A cinq parpèlhos è res qu'un èl. L'ase, qu'a le tiul roun è fa las crotos (La nèsclo.) carrados.)

Adelin MOULIS.

10 le Souvenirs des Pyrénées audoises

Nous publions ci-dessous l'essentiel d'un cahier manuscrit venu entre nos mains par l'intermédiaire de l'historienRémy Cazals. L'auteur, Eugène Pouchayret, n'est ni un chercheur ni un écrivain et c'est peut-être ce qui fait le prix de son témoignage.Originaire du Roquefortès (canton d', Aude), revenu à Counozouls pendant la dernière Guerre,il y fut employé dans les Eaux-et-Forêts. C'est sansdoute de son activité profes- sionnelle qu'il tient ce souci de la notation topographique ettoponymique qui l'amène à faire un relevé quasi-exhaustifdes différents lieux-repères de l'espace montagnard sur les territoires de Sainte-Colombe et Counozouls. Il note au passage plusieurs données précieuses pour l'ethnographie :la croyance aux Brèischas à Counozouls, les récitslégendaires sur l'ours et le loup encore vivants aujourd'hui dans la tradition orale locale,la descrip- tion minutieuse des intérieurs montagnards... Autantde détails qui nous ont incité à publier dans Folklore ce témoignage sur une régionqui en a produit fort peu.

Pour aller en Roquefortès et en Donnezan, on prend la route nationale par où l'on est arrivé et l'usine électriquedépassée on s'engage dans les gorges de St-Georges, d'une longueur de sept cents mètres environmais bien plus étroite encore que le défilé de Pierre-Lys précédent. La roche, blanche et nue, s'élève à une hauteur vertigineuse, le fleuve s'y est créé un passage en usant le calcaire ; cette érosion est visibleà différentes cotes et ne laisse aucun doute sur son origine neptunienne etl'on ne peut s'empê- cher de songer aux nombreux siècles qu'a nécessitéle creusement de cette tranchée gigantesque. A l'issue amont, l'horizon s'élargit un peu, la montagne est admirable de formes et de couleurs, surtout en automne où il serait assez difficileà un peintre de rendre exactement les teintes prises parles feuilles des arbres qui vont du vert sombre des sapins à la couleurde rouille des feuilles mortes, en passant par les différents verts, les jaunes etle rouge éclatent de certaines espèces. Ce beau paysage est gâché encore par les restants d'un portantd'eau, en ciment armé, qui aboutissait à la conduiteforcée de l'usine électrique. Ce canal ayant cédé il y a une vingtaine d'années, l'eau est amenéedepuis par une galerie souterraine, plus solide et moinslaide. De grands pylônes portant de multiples câbles électriques contribuent aussi à enlaidir ce lieu, mais l'on s'y habitueà la longue, et on admire la hardiesse des ingénieurs qui les ont installés à des endoits presqueinaccessi- bles à l'homme, suivant la ligne droite pour réduire le parcours etles frais.

11 M

Un peu plus haut, la route bifurque : - la nationale, qui depuis la sortie d'Axat se trouvait sur la rive droite, reprend la rive gauche au pont de Baira et la gardera jusqu'aux bains d'Usson, à 18 km de là. - La route qui continue sur la rive droite, et s'élève rapidement bien au-dessus de l'Aude, mène au Roquefortès. C'est celle que nous allons suivre pour l'instant. Au bout de huit cents mètres, la pente s'atténue et la route devient presque plane. Elle surplombe une nouvelle rivière, l'Aiguette, affluent de l'Aude, qui oblique sur la droite ainsi que la route nationale qui la borde et que nous avons quittée. Cet endroit est dominé par des dolomites curieusement découpées. Un de ces rochers imite vaguement une tête, que les habitants ont baptisée « Cap de Bouc » et, je ne sais qui, la «Tête de Louis XIV ». La première dénomination donne son nom à la côte que nous venons de grimper et au confluent des deux rivières. La vallée, que nous suivons dorénavant, est moins étroite que le canyon de l'Aude, et a des pentes un peu moins abruptes et recouvertes jusqu'au bas de vertes frondaisons.

La faune sauvage Le bord de la rivière est cultivé en prés appartenant au terroir de Ste-Colombe-sur-Guette, premier village du Roquefortès, à cinq kilomè- tres plus haut. Une borde, presque en ruine, « La Borda dels marquets » est la seule construction de ce lieu désert, mais ne sert plus actuellement qu'à abriter les récoltes et les troupeaux de moutons. Dans cette borde il s'est passé, il y a une centaine d'années, un petit drame. Un berger y aban- donna, sous la garde de son chien, son troupeau de moutons poury passer la nuit. Un loup, s'y étant introduit, égorgea quelques moutons, mais fut lui-même, après une longue lutte, égorgé par le chien au cou protégé par un collier garni de longues pointes. Le lendemain matin le berger, voyant les dégâts, crut que ceux-ci étaient le fait du chien, aussi tua-t-il celui-ci. Mais son désespoir fut grand quand, ayant fait sortir le troupeau, il aperçut le cadavre du loup tué par son fidèle serviteur qu'il avait sacrifié trop rapide- ment. Puisque nous en sommes au vieux temps et à la faune du pays, non seulement les loups fréquentaient la région, mais il y avait aussi des ours, l'ours brun des Pyrénées, qui existe encore dans les Pyrénées Centrales. Moins dangereux pour l'homme que le loup, car il est un animal frugivore, il faisait néanmoins de grands dégâts aux récoltes, au maïs, et auxprunes qui abondaient dans la région et que l'on fait sécher comme le pruneau d'Agen. Un seul souvenir tragique est dans la mémoire des habitants d'Axat. L'enlèvement et la mort d'une jeune fille et d'un ours tombés du haut du rocher de Fontanilles. La capture de cet animal était une aubaine : la prime de cent francs (cent francs or), la levée, c'est-à-dire les cadeaux faits par les paysans des alentours pour les avoir délivrés de cet hôte

12 Groupe Audois de Recherche et d'Animation Ethnographique GARAE Bulletin N ° 2

Les Rencontres de Carcassonne

Du 29 au 31 mai 1982 se tiendra à Carcassonne un Forum sur l'ethnologie en pays occitan. Dans un premier temps, les participants pourront faire connaissance en discutant autour des diverses réalisations qui seront présentées. Des affiches, des catalogues d'expositions, des ouvrages concrétisant l'acti- vité de musées, d'associations, de troupes théâtrales et de groupes de recherches seront exposés. Ensuite un colloque réfléchira à la fois sur le dernier siècle qui a vu la formation de notre discipline et les problèmes qui se posent à elle à présent. Une exposition en hommage à la revue « Folklore » aura également lieu. A côté de documents présentant la période de formation de l'équipe et de la revue (1938-1940), trois volets prolongeront des recherches que Folklore a accueillies : l'icône et le livre (autour du culte de Sainte Germaine et du Livre de magie), les villages d'artisans (autour des fabriquants de ), Carnaval, classes d'âge et identité d'un quartier (autour du « Tour de l'âne ») à la Cité de Carcassonne. Tous les lecteurs de Folklore sont cordialement invités à cette manifestation qui comportera aussi des soirées de cinéma et de musique. Sainte Germaine de Pibrac : une sainte occitane

Dans le cadre du coloque « Un siècle d'ethnologie occitane » qui se tiendra à Carcassonne en mai 1982, il est prévu qu'une partie de l'exposi- tion illustrant la réflexion soit consacrée à Sainte Germaine de Pibrac. Au-delà, une étude esten cours pour préciser les dévotions qui se sont cris- tallisées autour de cette sainte originaire de la région toulousaine. - Connaissez-vous une procession autourde Ste Germaine ? - Figure-t-elle dans les églises de votre région : sousforme de statue ; y a-t-il un tableau ou une gravure la représentant ? - Avez-vous entendu parler de dévotions particulièresà la sainte ? - Connaissez-vous des images ou des opuscules quiévoquent sa vie ou ses miracles ? - Y a-t-il des légendes à son sujet ? Autant que vous ayiez envie ou loisir de répondre, écrivez à Jean-Pierre Piniès 45 bis, rue Buffon, 11000 Carcassonne.

Guide pour une enquête sur les jeux

A la suite de la rencontre de Décembre 1981 sur les jeux, un projet de questionnaire et de bibliographie avait été retenu. Nous les proposons aux lecteurs et aux adhérents en souhai- tant vivement des réponses qui seront publiées dans la revue.

Un questionnaire sur les jeux n'est guère envisageable tant, par leur diversité extrême, ils présentent des caractères parfois imprévisibles. Nous nous bornerons ici à rappeler quelques principes qui garantissent l'objecti- vité et, si possible, l'exhaustivité de la recherche. 1) Identifier le jeu ; en décrire les règles. C'est la partie classique, banale, de toute recherche sur le sujet. Outre le nom du jeu proprement dit, il convient de détailler tout le vocabulaire utilisé (occitan et français), les formules qui, éventuellement, accompa-

2 gnent la partie. Les règles explicites du jeu doivent être transcrites (lieu, temps, nombre de joueurs, ordre d'entrée en jeu, résultat à obtenir, sanction...). Comme larèglenedevientvraimentévidentequ'encasde conflits préciser leurs occasions et leurs caractères. Enfin, les objets du jeu, s'il y en a, doivent être décrits et dessinés, leur mode de fabrication, leur origine, si possible précisés. 2) La partie. La règle ne traduit jamais toute la réalité du jeu et la description quasi cinématographique d'une partie peut seule approcher de cette nécessité. Elle met en évidence la nature des savoirs-faire nécessaires, les techniques et les tac- tiques du bon joueur. Mais ces qualités sont aussi des qualités morales qu'il convient de définir. Beaucoup de jeux mettent en scène des rôles différents, des hiérarchies entre joueurs, des spécialisations qui doivent être caractérisées.

3J Le contexte. Il convient, si possible, de situer très précisément très précisément le jeu dans la totalité de la société à laquelle les joueurs appartiennent, toute une série de renseignements sont alors indispensables. - Est-il lié à un âge particulier ? Lequel très précisément? Certains jeux sont à la fois d'enfant et d'adulte avec quelques modifica- tions, lesquelles ? - Jeux de filles ou de garçons, jeux d'hommes ou de femmes? Il con- vient alors de noter les propos qui expliquent, qui justifient cette dis- tinction. N'est-elle pas parfois transgressée ? - Jeux dans l'école et hors de l'école ? C'est là un point capital qui introduit aux activités, aux coutumes de la société enfantine où le jeu tient une place essentielle. Encore convient-il de bien percevoir les dimensions très larges de cette activité qui englobe aussi bien les par- ties organisées, la fabrication de jouets éphémères (à partir de matiè- res végétales surtout, animales parfois), les expériences sociales des enfants (organisations des bandes, des cabanes, des territoires), leurs expériences sensorielles (production de sons, d'images, de goûts, de plaisirs et de souffrances). Ces dernières prennent place, en principe, hors de l'école et du contrôle des adultes. - Le calendrier des jeux. Facile à préciser lorsqu'il se réfère au temps des saisons, ce calendrier est parfois - dans le cas des jeux de la cour de récréation, par exemple -tout à fait particulier, sa description exige des observations répétées. - L'histoire du jeu. La disparition ou l'avènementd'un jeu peuvent parfois être très exactement décrits, il est alors très important de rele- ver toutes les explications possibles sur l'événement. Cet ensemble de renseignements fournit une première approche qui, au fur et à mesure de la recherche, peut amener à d'autres précisions, mais les principes à observer dès ce premier abord sont très clairs :

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- mettre l'accent plus sur la pratique réelle que sur la règle sèche et abstraite, - situer le jeu le plus possible dans son contexte : où, quand, avec qui... joue-t-on ? Par conséquent, un témoignage personnel détaillé, un récit anecdoti- que même, est de loin plus riche qu'un énoncé pur et simple du nom et de la règle, à condition que l'entretien soit discrètement guidé pour qu'aucun élément essentiel ne reste dans l'ombre.

En projet : une bibliographie des jeux en pays occitans

A la suite de la rencontre sur « Les jeux en Languedoc », organisée par le GARAE, a été décidée la mise en chantier d'une bibliographie sur les jeux en pays occitans. Sont aussi bien concernés les jeux d'enfants, la cons- truction des jouets (par exemple la musique verte) que les jeux d'adulte (joutes, jeu de balle ou tambourin, rugby...). Toutes les indications sont importantes puisque au-delà d'ouvrages spécialement consacrés à un jeu sont aussi d'un intérêt capital quelques lignes dans un roman, quelques vers d'un poème, une définition de dictionnaire décrivant une activité ludique. Un tel projet implique que chacun, à la mesure de ses moyens, four- nisse toutes les indications dont il peut disposer en respectant les règles suivantes : - Nom et prénom de l'auteur de l'ouvrage ou de l'article où le jeu est mentionné. - Titre de l'ouvrage, de l'article, du poème... avec références préci- ses dans le cas d'une revue. - Lieu d'édition, date, nom de l'éditeur. - Nom du jeu relevé, éventuellement sa description sommaire pour faciliter le repérage. - Page précise à laquelle il est évoqué. - Localisation géographique aussi précise que possible : région, département, commune...

Tous les renseignements doivent être adressés à : Jean-Pierre Piniès, 45 bis, rue Buffon, 11000 Carcassonne.

N.B. - Sont actuellement dépouillés ou en fin de dépouillement - Revue des Langues Romanes. - Folklore. - Connaissance des pays d'oc. - Mistral, Trésor dou Félibrige. - Dictionnaire, d'Alibert. ruineux et que l'on n'aimait pas quand même rencontrer sur son chemin malgré sa mine paisible. Cette contribution volontaire était ramassée en promenant la peau de l'ours dans les villages. Puis en dernier lieu la four- rure, la graisse réputée bonne pour les douleurs et la viande qui est excel- lente en automne, car au printemps l'ours se réveillant et ne trouvant aucune victuaille est obligé de se contenter des neufs de fourmis dont les fourmillières abondent dans les forêts de hêtre, ce qui communique un fort mauvais goût à sa chair. Actuellement il n'y a plus, comme gros gibier, que le sanglier et l'izard qui fréquente les hautes cîmes qui touchent au massif du Carlitte. Sainte-Colombe Avant d'atteindre Ste-Colombe, la route fait de nombreux lacets ; un pic rocheux, le pic du Bénal, apparaît et disparaît neuf fois avant que l'on aperçoive les premières maisons du village, construites au bord de la route, devenant de ce fait la rue principale de l'agglomération, pour ne pas dire l'unique rue. A trois cents mètres en aval, une carrière d'une blancheur éblouis- sante, exploitation de la dolomie, qui est triturée dans une usine au bord de la route, fait vivre quelques ouvriers mi-paysans, que leur terre ne peut nourrir. Un four à chaux tout neuf avait été établi de prime abord pour l'exploitation de la carrière mais n'a jamais donné de chaux, et pour cause, le minéral exploité contenant tout autre chose que du calcium ; c'est d'ail- leurs cette erreur qui a aiguillé le fondateur du four à chaux, un entrepre- neur de maçonnerie de Ste-Colombe, vers l'exploitation actuelle plus rému- nératrice puisque la matière exploitée est plus rare que la chaux et sollicitée pour certaines fabrications, celles du verre et de la céramique, par exemple, apportant à ces industries, en un seul minerai, la silice et la soude nécessai- res. A l'entrée du village, une petite scierie débitant surtout le noyer, assez abondant, complète l'industrie du pays. Il y a un siècle environ, il existait, de plus, une « Farga » sise en amont de Ste-Colombe et sur la rive droite de l'Aiguette. Les bâtisses où se traitait le minerai de fer, apporté à dos de mulet, des mines des Pyrénées Orientales en passant par le col de Jau, existent toujours, mais ne servent plus que de grange après avoir été utilisées comme moulin, à cause de la chute d'eau. Une grande cour plantée de tilleuls les séparent de la rivière. Cette Farga, ou Forge Catalane, ainsi que celles de , de Couno- zouls et de Roquefort, était aussi la propriété du comte de La Rochefou- cauld, possesseur aussi des immenses forêts de la région L'existence de ces forges s'explique par celle des forêts qui fournis- saient le charbon de bois utilisé par le procédé dit « catalan ». Cette méthode d'extraction, très antique, permettait d'obtenir le fer directement, sans passer par le stade de la fonte. Le métal obtenu était de fort bonne qualité, mais ce procédé d'extraction serait à notre époque fort onéreux et

13 de rendement insuffisant, les scories qui en proviennent contenant une trop grande quantité de fer non récupéré. La méthode catalane est donc aban- donnée aujourd'hui à cause de ces défauts ; une seule usine modifiée et employant le charbon de terre existe à Ria (Pyrénées-Orientales) dans le bassin de production de minerai de fer, qui se situe sur les premiers contre- forts du Canigou. De plus, on a installé des fours électriquesà Villefranche-de-Conflent, à trois km de Ria. Pour en revenir à nos moutons, en l'occurence Sainte-Colombe-sur- Guette, ce village est composé de deux quartiers séparés par la rivière et réunis par un pont. Les deux quartiers sont bâtis sur les versants très en pente de la vallée encore fort étroite ; le premier renferme deux cafés et l'unique épicerie du village. Après le pont, le boulanger, le seul commer- çant du « barri d'amont », a bâti sa demeure sur le rocher au bas de laquelle coule la rivière. Au bord et sur le côté de la route, l'école, la mai- rie, l'agence postale ; la surplombant du haut du mur de soutènement, le cimetière et l'église au clocher en terrasse que surmonte une charpente de fer portant les cloches à découvert. Ce genre de clocher est le type qui existe dans tous les villages du Roquefortès, sauf Roquefort. Les maisons de ce quartier sont construites au-dessus de l'église en amphithéâtre. Autour du barri d'amont, principalement, et sur les flancs du Bénal, jusqu'à mi-hauteur, quelques champs, fort en pente, sauf ceux des envi- rons immédiats du village, composent avec des terrains sur la montagne, et dans la vallée du ruisseau de Bailleurs qui rejoint l'Aiguette au pont de Sainte-Colombe le domaine rural des habitants de ce village, le plus pauvre du Roquefortès. L'exploitation de ces terrains ne peut s'effectuer, à cause de la trop grande déclivité, qu'à l'aide de traineaux, parfois munis de deux petites roues de fer, pour faciliter le glissement sans compromettre l'équilibre du chargement, traînés par des bourricots au pied sûr. Les habitants ne possédant pas l'âne nécessaire à la traction de ce véhi- cule primitif, charrient les récoltes à dos d'homme. Comme dans les autres villages du Roquefortès, mais sur une moins grande échelle, le complément de ressources nécessaires à la vie des paysans leur est fourni par l'exploitation des forêts. En quittant ce pauvre village, la route qui mène au Roquefortès suit la rive gauche.

Vers Counozouls. Sur la rive droite, au flanc du Bénal, s'amorce un tronçon de route inachevée, qui devait mener directement à Counozouls. Quand on a par- couru deux ou trois cents mètres sur cette route, on l'abandonne pour pren- dre sur sa gauche un chemin plus rapide, qui, après une autre bifurcation à droite, ne tarde pas à devenir un rude sentier muletier. C'est encore actuel- lement, pour le piéton ingambe, le moyen le plus rapide pour se rendre à Counozouls. C'est, pour l'instant, ce chemin que nous allons prendre. La « Crotz de la Matoïa », dépassée, lieu où se trouvent quelques-uns des bons champs de Ste-Colombe, quoique au « bac », c'est-à-dire tournés vers le nord, dernières terres au pied de la masse verticale du rocher du Pic du Bénal, tel qu'il se présente vu de Ste-Colombe, la piste un instant en pente douce bordée de noisetiers sauvages ou avelinniers, où poussent les violettes et cent autres fleurs des champs, où la nuit scintillent les petites lumières des lampyres, vrai sentier pour les amoureux en quête de solitude, se met à grimper comme un escalier et est de plus parsemée d'éboulis sur lequel le pied glisse s'il n'est chaussé d'espadrilles. A l'extrémité de la grim- pette, on aperçoit une issue entre deux rochers se découpant comme une porte sur un pan de ciel. C'est le « Pas del Traù », limite des communes de Ste-Colombe et de Counozouls. Comme le cheur bat un peu après cette escalade et que l'on a chaud, puis qu'après ce passage on revoit à nouveau le soleil, on fait généralement la pause à cet endroit, et l'on en profite pour faire une petite collation et têter un coup à la gourde de peau de bouc, ce qui redonne des forces pour affronter la dernière étape. Ce coin domine de haut l'Aiguette, qui mugit à ses pieds en sautant d'un « gourg » dans un autre, au pied d'un éperon rocheux, face au Pas del Traù, un affluent venant de Roquefort, vient la grossir, il a nom « Clarianelle », nom qui chante comme elle et qui évoque la limpidité de son eau. Les noisetiers ont disparu, la roche qui domine le chemin est blanche et seuls les buis, parfois énormes, y poussent dans les interstices. La blan- cheur de la pierre a fait appeler ce lieu l'Albère. Le sentier est un instant moins rude, puis il s'enfonce après un tour- nant dans un sous-bois de hêtres, qui dispense son ombre en été au voya- geur en nage. Des murs de soutènement qui s'éboulent délimitent les pre- miers champs de Counozouls actuellement abandonnés, à cause de leur maigre rendement et de la difficulté d'enlèvement des récoltes, qui ne peut se faire qu'à dos d'homme et en remontant, ce qui augmente la peine. Actuellement, les moutons et les chèvres, seuls, viennent paître ces prés dénommés en dialecte du pays « Artigas ». Puis, à nouveau, le chemin redevient abrupt ; c'est le dernier coup de collier, mais il désespère celui qui ne connaît l'endroit et qui ne sait quand finira sa peine. On l'appelle, à mi-côte, le Pas de la Veruga, je n'en devine pas la raison. Il aboutit à l'extrémité du plateau de Counozouls dénommé « Camp de Torle ». Là, on aperçoit, au-delà du ravin, sur un éperon rocheux dominant le précipice, à trois cents mètres environ à vol d'oiseau, le village de Couno- zouls. Le chemin, devenu plat, traverse les meilleures terres du pays, le « Camp Grand et Jos Cariera » ; dénommé aussi « Darrer le cémenteri » ; devant le village, séparés par le ravin qui forme un ruisseau appelé « Rec del Pountel », se trouvent aussi de très bons terrains quoique à l'exposition nord, lo Camp d'en Crabièra. Puis, à une cinquantaine de mètres de l'agglomération, on passe sous les murs du petit cimetière sans caveaux orgueilleux, où les morts dorment

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directement dans la terre sous une simple croix de granit ou de fer forgé pour les plus vieilles tombes, où l'on a souvent de la difficulté àlire le nom du défunt. Le village Deux rues divisent le village dans le sens de la longueur ; elles sont réu- nies, en deux endroits, par des ruelles transversales et leurs extrémités sont aussi réunies par une arcade creusée sous une maison. La rue partant de l'église, en pente brusque, mène à la place dont le milieu est orné d'une fontaine de granit, où quatre griffons crachent sans arrêt dans un bassin rond, servant d'abreuvoir au bétail, l'eaufraîche et pure captée à la Fontvieilla, source se trouvant à deux cents mètres en amont du village. Vingt mètres plus bas, un lavoir monolithe en granit, seul matériau du pays, utilise la surverse de la fontaine ci-dessus. A gauche, un chemin en pente rapide, l'ancien chemin de Roquefort, mène à la rivière et au moulin construit sur sa rive, qui appartenait aussi au comte de la Rochefoucault. Sur sa droite aboutit la première rue transver- sale, passant sous une arcade, avant de déboucher sur l'autre rue, abri qui sert de lieu de réunion aux hommes désoeuvrés en hiver. Continuant notre rue, on arrive au deuxième carrefour, nommé lo Cap del Cantou, possédant encore une fontaine-abreuvoir ; la rue transver- sale mène vers les jardins établis sur les pentes au Soula du plateau où est bâti Counozouls. La rue principale regrimpe, et est élargie par les cours des maisons, peu délimitées et se termine en cul de sac, si on ne tient pas comptede sa réunion par arcade avec « lo carrier de darriè ». Celui-ci n'est borné, à cet endroit, de maisons que sur un des côtés ; l'autre côté est limité par les murs de clôture des petits jardins établis sur l'emplacement de l'ancien châ- teau féodal, bâti à l'extrémité de l'éperon supportant le village. Ce lieu est dénommé « Darrèra la Tour » en souvenir de l'ancienne forteresse. Il exis- tait naguère quelques pans de fondations. Sitôt les jardins finis, le rocher les supportant tombe à pic... Dans sa base existe une grotte actuellemnt inaccessible à cause des broussailles : on l'appelle « la Cauna Pétrina ». Elle avait la réputation chez les vieux et les vieilles du village, encore illettrés pour la plupart, les vieux de mon enfance cela s'entend, d'être le rendez-vous des « Bruchas » ou sorcières, la nuit, qui s'y rassemblaient pour aller au sabbat ou laver leur linge à la rivière qui gronde à trois cents mètres plus bas dans le canyon appelé les « Gourgs ». Quand j'étais enfant, les ronces n'ayant pas encore bouché les sentiers conduisant à cette caverne, j'y allais souvent m'y amu- ser tout seul ou y rêver, en face de moi, de l'autre côté de la vallée profonde et à cinq cents mètres à vol d'oiseau, je voyais la route départementale menant à Counozouls, et je reconnaissais parfois les arrivants qui n'étaient pas près d'être rendus au village et qui eux ne me voyaient pas. Du carrier de darriè, un sentier partant de derrière la Tour mène vers les jardins de la Cairola, les champs de « Jous las Casas », au « Pountet », J

aux « Gourgs », comme la rue transversale précédente. En le remontant, on retourne à l'église. Cette rue est plus étroite que la première et moins animée ; elle n'a que deux bornes-fontaines qui n'y entretiennent pas l'ani- mation des lavoirs où bavardent les lavandières. Une ruelle mène vers les champs bordant le village dénommés « Camps d'en Cabrièra » que nous avons aperçus à l'arrivée. Plus haut aboutit, en face d'un immeuble appelé« Magasin », ancienne maison des gardes du Comte de la Rochefoucauld, et qui sert actuellement de grange ou de salle de bal à la jeunesse du pays, la première rue transversale venant de la place. Un peu plus haut, une deuxième ruelle débouchesur une espèce de place, ou de cour où se trouvent un certain nombre d'habitations et dénom- mée le « Barri » (quartier) sans épithète. Sa jonction avec la rue principale, et la route, se faitencore par une arcade en voûte creusée sous le « casteil », c'est-à-dire l'immeuble qui sert d'école mais dont une moitié, celle où est creusée l'arcade,appartient encore à un particulier. La maison Les maisons de Counozouls sont, pour la plupart, vieilleset de cons- truction irrégulière, ayant subi de nombreuses modifications,provenant des partages ou du changement de destination (logementou grange). Elles sont bâties en granit et souvent non crépies. La porte d'entrée est une porte cochère, aux linteaux monolithes de granit, portant souvent à la clef de voûte une inscription mentionnant le nom du propriétaire et la date de construction ou de réfection de l'immeuble. Le rez-de-chaussée est, dans la plus grande partie des cas, une étable ou tout au moins une « passade » (remise). Le logement proprement dit est aux étages supérieurs. Souvent le deuxième et les combles, ou « Soubirach », sont à l'usage de fenil. Cette disposition s'explique, premièrement par le peu d'importance des exploitations agricoles qui ne nécessitent pas degrands locaux, et ensuite par la facilité que l'on a en hiver, quand il y a des chutes de neige abondantes, pour s'occuper du bétail, cette tâche pouvant s'effectuer sans mettre les pieds dehors. La pièce principale de l'habitation est la cuisine, vaste etoù se trouve une grande cheminée pouvant accueillir sous son manteau toute la maison- née et même des voisins à l'heure de la veillée en hiver. Cette cheminée est à rez de plancher, la plaque du foyer était auparaventen pierre, mais actuellement presque toutes les maisons ont une plaque de fonte de un mètre cinquante de long sur un mètre de large, sur laquelle reposent deux gros chenêts de fer forgé qui servent à soulever les « ascles » de « fajas » (bûches de hêtre) qui pétillent joyeusement en lançant des étincelles qui vont parfois s'accrocher pour y mourir sur la suie du conduit de la cheminée. Dans cette « lhera » (âtre) cuisent les aliments des bêtes et desgens pendus à la crémaillère des « oulas » ou des « pairols » (marmites de fonte, ou chaudrons de cuivre rouge remplis de «caulassas », de

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« joutas » et de «patanas » - choux verts,betteraves et pommes de terre -) cuisent pendant des heures pour nourrirl'hôte le plus intéressant de la ferme : le cochon, qui sera sacrifié en hiver, pourêtre transformé en jam- bons salés, saucisses, boudin et lard, sans compter la graisse quiira remplir la vessie pendue aux poutres du plafond, et des potsde grès dans la «despensa ». Pour les gens, des « toupis » ou pots de terre, des casseroles quel'on met sur un trépied ou une « sirventa » oudes cocottes de fonte, reposant sur la plaque, contiennent les aliments qui se cuisentà petit feu, à la simple réverbération du foyer. Comme autres ustensiles, des pincettes de fer, un souffletde cuir, un gril pour les côtelettes, complètent le matériel culinaireet suffisent à rendre la cuisine du pays appétissante et savoureuse quoiquefort simple, puisqu'elle ne se compose que de denrées fournies parle pays, sauf les condiments et quelques légumes d'été provenantde la région perpignanaise. L'évier supporte les cruches de terre et un seaude cuivre appelé « marmite ». Un buffet ou un placard encastré dans le mur, et souvent une «des- pensa », petit réduit carré, servantà ranger la vaisselle et les aliments. Dans les plus vieilles maisons, une alcôve abritele lit du chef de famille, protégé par des courtines d'indienne. Les murs sontblanchis à la chaux, mais souvent, comme les poutresdu plafond, une couleur brune et même noire les couvre, conséquencedes grands feux de bois qui brûlent dans l'âtre. Peu de meubles à part la table, un banc grossierde sapin devant la cheminée. Au mur la batterie de cuisine en cuivre estle seul ornement de cette pièce, avec, sur des étagères,les chaudrons de même métal. Parfois, une haute pendule comtoise fait miroiterle cuivre du balan- cier qui égoutte lentement et inlassablementles secondes. Les chambres sont aussi frustres que la cuisine : unlit de bois élevé, parfois encore entouré de rideauxà carreaux blancs et rouges, une armoire ancienne de noyer bourrée de pilesde draps et autres linges, composent, avec quelques chaises de paille et parfois unetable de bois blanc, tout l'ameublement. Les murs sont blanchis à la chaux et très rarementtapissés, les photos agrandies des disparus les ornent depuis la guerrede 14. Nulle maison ne possède de salle à manger età plus forte raison un salon, à part celle d'un retraité qui afait restaurer la sienne en la modernisant. Excepté Roquefort, un peu plus moderne, ce typede maison est le même dans tout le Roquefortès. Deux épiceries et deux auberges, dont les salles de consommation sont dépourvues de tout ornement et meublées de vieilles etlongues tables de bois et de bancs, sont les seuls commerçants du village.Il n'y a plus de cordonnier, plus de menuisiers, pasde maçons, ni de boulanger, ni de forgerons. Le terroir J'ai dit plus haut que le village était bâti sur un éperon, reliépar la route et le chemin à Ste-Colombe par son extrémité Sud à un des versants de la vallée. La pente sud et sud-est qui borde ce plateau est très abrupte,surtout à l'extrémité de l'éperon, Darrièra la Tour. Cette pente, bienexposée, est cultivée en jardins en terrasse, petits comme des mouchoirs de poche, sui- vant l'expression consacrée, mais très fertiles, leur terre noire ayant été transformée en humus par le travail de nombreux siècles. Puis des champs et des près continuent les jardins jusqu'à larivière, devenant presque verticaux aux lieux dits : los Gorg, lo Pontetet la Gar- riga, champs et prés presque abandonnés actuellement et ne servant plus qu'à faire paître en hiver les moutons et les chèvres, à cause de leur ensoleil- lement et de leur situation à l'abri des vents. De l'autre côté de la rivière, la pente est encore bienplus raide, les cultures encore plus délaissées, et ayant cédé la place aux noisetiers, buis, ou autres arbustes et aux fougères que l'on ramasse pour suppléer la paille des litières. Ce lieu se nomme la « Rouira », étymologiquement lieuplanté de chênes (robur) et « roure » en langue d'oc. Sur ce versant, à mi-côte, à hauteur du village oupresque, passe la route qui mène à Counozouls. A vol d'oiseau, elle est à quelquescentsmè- tres du village, mais elle doit parcourir environ trois kilomètres poury arri- ver en pente douce et passer le talweg au niveau de la rivière. Au-dessus de la route se trouve un plateau cultivé, les Cols de Souls, par où passait autrefois le chemin menant à Roquefort, avant la construc- tion de la route actuelle, chemin actuellement abandonné dès que les der- niers champs de Counozouls, établis sur le territoire de Roquefort, sont dépassés et dont la trace se voit à peine dans la forêt de l'Escalibatqu'il tra- versait. Je connais particulièrement ce lieu pour en avoir effectué le relevé topographique devant servir à l'établissement d'un canal d'amenée d'eau de l'Aiguette à Roquefort où, de là, en souterrain, ellesseraient dirigées sur une usine électrique établie dans la vallée de l'Aude du côté du hameau de Gesse. On y était complètement isolé du monde et le nom du lieuen langue d'oc dit bien la solitude et la sauvagerie de ce coin, leverbe « escalinar » signifiant faire fuir, avec une idée de peur. Face au village, sous la route, se voient des chaos de rochesgraniti- ques ; l'une d'elles, dressée et presque parallélépipédique, a été prise pour un menhir. Je crois tout simplement que la nature seule a édifié ce monu- ment mégalithique. Pendant une vingtaine d'années, des tailleurs de pierre italiens, ont exploité le granit bleu de ces énormes rochers. Morts depuis, leur descendance a abandonné cette exploitation. Sur le vieux chemin de Roquefort, un de ces gros rochers interceptesi bien le bruit fait par la rivière qu'on l'a baptisé « le Roc Sourd». En suivant la route vers Counozouls, la vallée s'élargit unpeu à l'endroit où elle se croise avec le chemin du moulin ou vieux chemin de Roquefort.

19 Nous avons vu que de la place du village, face à la fontaine ronde, par- tait le vieux chemin de Roquefort. Un lavoir couvert setrouve à ses débuts, des jardins le bordent jusqu'au « Rec de la Loi ».Comme il est très en pente, on le nomme « Costa ». Deux croixde fer forgé, l'une au tournant du « Rec de la Loi », l'autre bordant un pré en pente appelé «la Clauza », fixées sur un roc, servaient de but aux processions des Rogations.D'autres croix de ce genre existent ailleursdans le terroir : une au « Camp de Torla », une autre au lieu dit le « Martinet ». Mais celle-ci, ainsi quecelle de la « Clause », n'ont pas été érigées dans le seul butde se promener en chantant des litanies ou des psaumes, elles commémorentaussi une mort accidentelle, ayant dans le premier casl'eau comme cause et dans le deuxième la descente d'un bloc de rocher à l'assise usée parles intempéries. Puis le chemin, toujours bordé de prés en pente, aboutità un pont qui enjambe la rivière et, de là, remonte versla route. Le moulin est au bord de la rivière sur la rive droite.En aval une construction plus récente utilise le canald'amenée ; c'est l'usine électrique communale qui, depuis 1913, dispense presque gratuitementla lumière aux maisons et aux rues de Counozouls.Au-dessus, une bâtisse plus vieille, percée de deux voûtes à la base quilaissent échapper de l'eau écumante, c'est le vieux moulin banal. Le canald'amenée sert aux deux usines : le jour au moulin, la nuit à l'usine électrique. La réductiondes emblavures, de la population et l'habitude prise depuis la guerrede 1914 de se servir au boulanger ont fait disparaître ces artisans qui ne peuvent plus vivrede ce métier. Dans mon enfance, un nomméSarda y a élevé sa famille qui s'est établie ensuite dans le pays comme cultivateur ;le suivant faisait deux métiers : meunier le jour, pêcheur de truitesla nuit ; puis le village a dû se contenter d'un vieux, venant d'Espagne, qui arrivait,quoique seul, diffici- lement à vivre. Celui-ci a permis au village de faire un peude farine clan- destine pendant la guerre de 1939-1945. En effet, il ne risquait rien,étant trop vieux et insolvable et ne travaillant pas dejour à cause des gendarmes, le moulin étant déclaré inutilisable, il n'arrêtait pasde moudre la nuit avec l'unique meule pouvant encore fonctionner. On venaitdes villages voisins n'ayant pas la bonne fortune d'avoir un moulin ouvert.Pour le récompen- ser, comme il était devenu presque aveugle,la commune l'a même expulsé du local où il aurait pu mourir en paix. Ici, la vallée est plus large. Les prés qui bordent la rivière et garnissent le fond de cette cuvette, sont plus grands et presque plats, que ceuxdu res- tant du terroir. La rivière y serpente entredes rives plantées de hauts peu- pliers italiens, et se divise parfois enbras encerclant des îles qui ont donné le nom à ce lieu. Les flancs de la vallée sont toujours ausi en pente, cultivés en champs sur la rive droite, où se voit aussi, plushaut que le village, un amoncelle- ment de roches de silex amorphe, nommé «Quieira », du radical celtique Ker signifiant rocher, que l'on retrouve dans les nomsde lieux comme Quérigut (Ariège), Quercy, Queyras, (Communede l'Aude). La rive gauche, plus abrupte, est le domaine des présjusqu'aux crêtes qui délimitent un plateau dénommé «Lo Prat del Rei » (le pré du roi)

20 pour je ne sais quelle raison. Le siècle passé ce plateau était encore cultivé malgré le défaut de chemins carrossables. De beaux seigles y venaient dans les grands champs bien plats, que fumaient les moutons transhumants ou du pays en y passant la nuit dans les parcs mobiles formés de claies nommées « anda ». Actuellement les champs sont en jachère, et seuls les prés continuent à donner quelques récoltes. Au-dessus du « Prat del Rei » est une forêt de sapins appartenant à la commune de Roquefort, mais qui ne fait qu'un avec celle appartenant à Counozouls jusqu'aux prés limitant ces communes et le département de l'Aude et des Pyrénées Orientales. En face, de l'autre côté de la vallée, sont les pics de la « Beda », la « Calmon », « Montagne Rase » avec son pic culminant, le «Tuc Dour- midou », à 1 800 mètres environ. La Beda et les pentes de la Montagne Rase sont le domaine du hêtre employé pour le chauffage ou la fabrication du charbon de bois. La vallée se resserre à nouveau à 800 mètres du village, au lieu dit le « Resseg » (la scierie » de la petite usine qui y est installée au bord de l'Aiguette, et qui ne sert que pour les besoins des habitants). A partir de cet endroit, la vallée garde à peu près la même largeur. A deux ou trois cents mètres se trouvent les ruines de la forge catalane. Les premiers pans de murs s'appellent « Lo Martinet » (le marteau). Un peu plus en amont se trouvent les restes de la « Farga » elle-même. Un des immeubles sert de « courtal » (grange) à un propriétaire de Couno- zouls. Il était utilisé comme logement du personnel de la « Farga ». Les champs ont disparu, quelques prés longent la rivière et le bas des pentes. Les flancs sont déjà occupés par la forêt de hêtres. Sous le mur de soutènement de la route débouche un affluent de l'Aiguette, affluent jusque là souterrain, l'Entournadou. Puis une vallée adjacente et un ruisseau, « lo Rec den Bossou », avec un vieux courtal au confluent. Cette vallée aboutit au Prat del Rei et au territoire de Roquefort (La Caune, la Serra de la Gallina). En continuant, on rencontre encore quelques vieux courtals, puis un nouvel étranglement avec une cascade que passe la route sur un pont : Lo Gorg Sautadou. La rive gauche, très abrupte, se termine par le Tuc dels Penchents, 1 700 mètres environ. Ses pentes sont entièrement revêtues de sapins. Les hêtres sont les maîtres de la rive droite. La vieille route, qui suivait la rive droite, rejoint la nouvelle au pont d'une seule arche du « Gourg Sautadou » après avoir côtoyé la forêt et passé devant un vieux four à chaux qui fournissait la matière nécessaire aux constructions locales, chacun cuisant sa chaux, et pour cela arrachant la pierre aux alentours, coupant le bois nécessaire à la cuisson, et passant le nombre de nuits et journées nécessaires pour mener à bien cette opération. Près de la cascade ou « Gourg Sautadou », au-dessus de la route, sur cette rive, un vieux courtal plus important que les précédents et ceux qui se voient de là dans les prés, sous la route, avec une porte à voûte en plein cintre et qui était sûrement une « Borda », s'appelle le courtal d'en

21 Cauneille, du nom d'un ancien propriétaire qui possédait Counozouls avec les Campoucis, il y a un siècle environ. Ce vieux courtal sert actuellement d'abri aux moutons en été. Pendant l'occupation, vers l'époque de la libération, il était utilisé par des espagnols réfractaires comme corps de garde, par le poste qui surveillaitla vallée. Quand nous avons à nouveau parcouru, 800 m en ligne droite,la route tourne à gauche, emprunte un instant une vallée adjacente,descen- dant de la Montagne Rase et du Tuc Dourmidou, son point culminantà 1 800 mètres environ ; c'est la vallée de Bécaud. Un ruisseau y coule et en arrose les prés herbeux du bas de la combe. On y voit une vieilleborde, qui gagnerait à être habitée à nouveau, les champsd'un seul tènement et les prés pouvant faire vivre une nombreuse famillede fermiers, surtout si en plus de la culture proprement dite, ceux-ci y adjoignentl'élevage du mou- ton rémunérateur et peu fatigant. Puis la route s'étant une autre fois infléchie vers la droite, on atteint la forêt, d'où l'on ne sortira que peu avant l'arrivée au Col de Jau,limite de la commune et du département, qu'elle atteint après avoir effectuéde nombreux lacets. La forêt, appelée Lapazeuil, est une belle sylve de hêtres et de sapins, couvrant un millier d'hectares de monts extraordinairement plissés ;j'en reparlerai plus loin. Quand on a parcouru un kilomètre environ sous le bois, la route se trouve au niveau de la rivière. Ce lieu est occupé parl'immense bâtiment d'une scierie, arrêtée depuis une quarantaine d'années ; sur un terre plein derrière l'usine, l'on voit aussi une maison solide et bien construite, sans enjolivures. C'est l'ancienne maison des gardesdu comte de la Rochefou- cault, actuellement résidence d'été de M. Avizou,dernier propriétaire de la forêt de Lapazeuil. Pendant la dernière guerre, cette maison a servide cantonnement aux maquisards Franco-Espagnols. Pour varier un peu, de la description topographique je vais passerà l'histoire de Counozouls.

La révolte. Les plus vieux documents concernant cette commune remontentà 1367 ; ils mentionnent le nom de « Conosalium ». En 1427, on retrouve mentionné « Locus de Conosalio ». C'estbien peu. L'église a été construite en 1509 (Ecclesia Beati Valentinum de Cono- zols) et restaurée au18e siècle. Quand au château féodal, celui du Bénalou de Darréra la Tour, je n'ai pu recueillir aucun renseignement sur ses posseseurs.Les Comtes de la Rochefoucauld sont de date plus récente, du XVIIIe siècle sûrement.Ils se sont dessaisis de leurs propriétés fin du XIXe Siècle.Cette vente a été d'ail- leurs la cause d'une petite révolution locale, qui a marqué dans les annales du village, et dont l'écho a été ressenti à Paris (voir l'Illustration N° 3176 du 9 janvier 1904).

Z2 L'acquéreur des forêts ayant voulu supprimer les privilèges ou les ser- s vitudes en faveur des habitants - droit de dépaissance du bétail, affouage, et coupe de bois d'usage pour l'entretien des immeubles, ou ameublement - ceux-ci ont plaidé ; ils ont gagné leur procès en première instance au tri- bunal de ; l'acquéreur, ayant fait appel, gagna la seconde manche à Montpellier. Les frais déjà engagés par la commune, ainsi que les frais et dépens du procès auxquels elle était condamnée, se trouvait déjà trop élevés pour ses revenus, elle ne se pourvut pas en cassation. Mais estimant qu'elle était dans son droit, et que le jugement de la Cour d'Appel était inique, elle entreprit de les faire respecter par la force, si utile. Les habitants du village s'étant munis de fusils de guerre, ils interdi- rent l'accès du territoire à l'exploitant des forêts, aux agents du fisc, et aux huissiers chargés de recouvrer les frais de justice. Pas un n'enfreignit cet ordre. De plus, le feu détruisit la maison des gardes, à la Moulinasse, reconstruite depuis lors. Quelques cantons de la forêt même furent incen- diés. En décembre 1903, le préfet de Carcassonne se rendit à Counozouls malgré la neige fort abondante ; il réussit à calmer l'agitation en promet- tant une révision du litige. Les habitants acceptèrent un compromis, mais imposèrent au propriétaire acquéreur une nouvelle vente de la forêt. Le nouvel exploitant n'acquit que la coupe des arbres au-dessous de vingt cen- timètres de diamètre, dimension prise à la hauteur d'un mètre, étant entendu que l'exploitation d'un lot terminé, il n'y pourrait pas revenir. De cette manière, petit à petit, la forêt changea de maître et devint la propriété indivise des habitants originaires de Counozouls, ou y étant devenus propriétaires par mariage ou héritage. Actuellement l'exploitation par l'acquéreur est terminée, depuis une vingtaine d'années environ ; celui-ci ou ses successeurs n'ont pas eu à se plaindre du compromis, car entre les événements précités et la fin de l'exploitation il y a eu la guerre de 1914-1918 qui rapporta aux industriels de nombreux millions, du fait des tranchées, barraquements ou de la reconstruction de nos régions dévastées. Quant aux habitants, véritables propriétaires, ils n'ont vécus que modestement du salaire gagné comme bûcheron, ou pour le débardage ou le transport des arbres abattus, pour lesquels travaux ils étaient souvent requis et non travailleurs libres et obli- gés de se contenter du salaire minimum, pour le plus grand profit de leurs patrons. Pour fêter la victoire obtenue à la suite de la révolte, un banquet fut organisé en 1904 au mois de janvier, banquet qui réunissait les autorités et les habitants, auquel le préfet ne dédaigna pas d'assister, malgré la hauteur de la neige tombée à cette époque. Le plat de résistance était un sanglier capturé vivant et occis sur la place publique, portant au cou un écriteau où était écrit : « Jodo », ex-propriétaire des forêts avec qui avait été engagé le procès. L'exécution de ce symbole obtint un vif succès, surtout parmi les jeunes dont j'étais ; j'avais quatre ans, et que je n'ai pas oublié de long- temps.

23 Actuellement les bois sont administrés par un syndicat, et non par la commune, ce qui est une sorte de communisme avant lalettre. On se rend compte de cette gestion quand on parcourt les forêts,à proximité de la rivière où l'on voit des arbres portant un écriteau avec lelibellé suivant : « Il est interdit de pêcher dans la forêt du Syndicat de Counozouls »(sic). Il est vrai que la grenouille grise abonde dès la mi-mars et s'aventure loin de la rivière, dans les sous-bois moussus et les « molheras », et que leur capture est une vraie pêche, ceci pour excuser mes compatriotes sur la manière dont ils parlent le français, ce dont ils seraientfort excusables d'ailleurs, ne parlant entre eux que la langue d'oc, et un des plus purs dialectes de notre époque. Eugène POUCHAYRET.

Vient de paraître Pierre GOUGAUD : « Grand'mère m'a raconté », contes en occitan et en français, illustrés par jean Camberoque (Quillan, Impr. NouvelleTinena, 1981, 243 pages). Originaire de Brenac, au cceur de la haute vallée de l'Aude, Pierre Gougaud s'est fait con- naître d'un assez large public en publiant, il y a trois ans, « L'ceilde la source », chronique intime de son village natal au tout début de ce siècle. Auparavant, deux de ses romans en lan- gue d'oc étaient parus dans la collection A Tots. C'est, il convient de le souligner, grâce à l'esprit d'initiative de l'imprimeur quillanais Tinena, que Pierre Gougaud peut nous offrir aujourd'hui un nouveau livre. Il s'agit d'un recueil de 12 contes, magnifiquement illustré de dessins à la plumedus à l'artiste carcasson- nais jean Camberoque. Ces récits sont transcrits dans leur version originelle enlangue d'oc suivis de leur traduction en français. Douze contes sauvés ainsi d'un oubliinéluctable et resti- tués avec une merveilleuse fraîcheur d'écriture. Certains, comme « La chatte blanche » ou « L'oiseau de toutes vérités », bénéficient d'une très large audience et on retrouveleur équi- valent un peu partout en Europe. L'auteur s'est livré là à un travail ethnographique digne d'éloges car les contes qu'il a ainsi rassemblés et méticuleusement reconstitués, il les tenait de labouche même de sa grand-mère, elle-même n'était que la dépositaire d'une riche tradition oraledont les racines se dans la nuit des temps ; tradition que Gougaud essaie de perpétuer avec foi mais sans illusions, sachant parfaitement que le mode de société que nous connaissons actuellement a tué à jamais un art de vivre qui n'aura plus sa place dans le monde d'aujourd'hui. Pierre Gougaud, et ce n'est pas un de ses moindres mérites, est un homme de tradition et de fidélité, qui a su concilier respect du passé et réalisme du présent. Il a l'art de rendre per- ceptible l'âme même d'un terroir car, à une quête passionnée en matièrefolklorique, il joint un talent poétique et narratif d'une grande justesse de ton. A travers sa plume, c'est son cour qui parle et, loin d'apparaître comme un passéiste, il nous montre justementla voie d'une sagesse séculaire de laquelle les générations nouvelles se sont petit à petitdétournées. « Grand-mère m'a raconté », par la simple magie de son verbe etde ses images, nous transporte dans un univers à plusieurs dimensions où passé et futur se rejoignent en une étrange symbiose. C'est un livre de contes criant d'authenticité, qui ravira spécialistes et dilet- tantes, prouvant une fois de plus, si besoin était, que la terre occitane est loin d'avoir livré tous ses trésors. Merci de tout cceur, Pierre Gougaud. Jean Fourié.

Gérant: U. GIBERT Imp. Gabelle, Carcassonne