DOSSIER DE PRESSE YOUSSEF NABIL. ONCE UPON A DREAM 22/03/2020 – 10/01/2021 NOUVELLES DATES : 11/07/2020 – 20/03/2021 PALAZZO GRASSI

1 L’exposition

2 Extraits du catalogue

3 Liste des œuvres

4 Le catalogue de l’exposition

5 Biographie de Youssef Nabil

6 Biographie des commissaires

a Jean-Jacques Aillagon

b Matthieu Humery

CONTACTS PRESSE [email protected] France et international Italie et correspondants Claudine Colin Communication PCM Studio 3, rue de Turbigo Via Farini 70 75001 Paris 20159 Milan Tel : +33 (0) 1 42 72 60 01 Tel : +39 02 3676 9480 Dimitri Besse [email protected] [email protected] Federica Farci Thomas Lozinski Cell : +39 342 0515787 [email protected] [email protected] www.claudinecolin.com www.paolamanfredi.com YOUSSEF NABIL. ONCE UPON A DREAM

1 L’EXPOSITION

Dans le cadre du cycle des monographies consacrées aux artistes contemporains, le Palazzo Grassi présente la première grande rétrospective de Youssef Nabil, artiste protéiforme égyptien dont l’œuvre navigue entre photographie, peinture, vidéo et installation. Ce projet, dont le commissa- riat est assuré par Matthieu Humery et Jean-Jacques Aillagon, rassemble plus de 120 œuvres qui retracent toute la carrière de l’artiste. Le titre, ‘Once upon a Dream’, invoque à la fois la trame nar- rative de l’exposition mais aussi l’onirisme d’un périple qui s’apparente à une échappée fantas- tique. Empreintes d’une douce nostalgie, les images atemporelles de Youssef Nabil nous trans- portent dans une réalité lointaine. Ces photographies dépeignent une Égypte légendaire qui s’éteint tout en évoquant les troubles que connait le Moyen-Orient d’aujourd’hui. La superposi- tion des niveaux de lecture, le jeu entre description, symbolisme et abstraction, font la richesse de l’œuvre de Youssef Nabil qui traverse avec poésie son parcours tel un journal intime.

Fasciné dès son plus jeune âge par le cinéma, Youssef Nabil gardera un amour pour les grandes figures du Nilwood puis du cinéma international. Il envisage la photographie pour immortaliser à sa façon les étoiles de son panthéon personnel. Ses photographies noir et blanc colorées à la main relèvent d’une technique photographique traditionnelle qui était largement utilisée depuis les portraits de famille jusqu’aux affiches de films qui peuplaient les rues du Caire. Encore prati- quée en Égypte dans les années 1970 et 1980, Youssef Nabil perfectionna cette technique auprès des derniers retoucheurs des studios du Caire et d’Alexandrie. Envisagée comme une narration, ‘Once upon a Dream’ est un récit initiatique, entre fiction et ré- alité, où chaque thème abordé a une portée autant universelle qu’individuelle. La recherche de repères identitaires, les préoccupations idéologiques, sociales et politiques contemporaines, la mélancolie d’un passé révolu : autant de sujets que chacun d’entre nous ressent et que les photo- graphies de Youssef Nabil mettent en lumière au fil de ses voyages. Cette exposition retraçant le parcours accompli par le photographe nous éclaire sur la vision de son travail futur. Chaque sec- tion thématique est composée d’œuvres de jeunesse et d’œuvres plus récentes. Once Upon a Dream présente sans chronologie son travail filmographique avec la diffusion de ses trois réalisa- tions : Arabian Happy Ending, I Saved My Belly Dancer et You Never Left. Bien qu’elle couvre l’en- tière carrière de l’artiste, l’exposition ne se veut pas comme une simple monographie. Elle donne la parole à l’artiste pour offrir une vision profonde de ses aspirations et de son implication dans le monde de l’art du XXIème siècle.

L’exposition est accompagnée d’un catalogue en trois langues publié en co-édition par Marsilio Editori, Venise, et Palazzo Grassi – Punta della Dogana, avec le texte de Linda Komaroff, commis- saire et responsable du Département d’Art du Moyen-Orient du LACMA, et l’entretien de l’écrivain André Aciman et de Youssef Nabil.

2 YOUSSEF NABIL. ONCE UPON A DREAM

2 EXTRAITS DU CATALOGUE

Jean-Jacques Aillagon, Les songes de Youssef

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L’artiste en son œuvre Mais l’œuvre de Youssef Nabil ne saurait se réduire aux considérations formelles relatives aux choix des techniques ou même de l’esthétique dans lesquelles s’inscrit son travail. Ses œuvres, qu’elles soient photographiques ou cinématographiques, sont surtout des œuvres qui nous livrent une prodigieuse narration de la vie de l’artiste, de sa sensibilité, de ses passions, de ses déceptions et de ses attentes. Elles sont sa chair et son âme mêmes. C’est la raison pour laquelle on ne cesse d’y croiser ses obsessions, ses souvenirs et ses regrets. Le thème de l’absence, de l’exil, du départ et donc de la nostalgie d’un paradis perdu, y est omniprésent parce que la nécessité ou le choix, peu importe, de quitter son pays a marqué, à tout jamais, son destin, comme celui des Yemeni Sailors. Sachant les difficultés que Youssef Nabil avait eues à quitter l’Égypte et ayant pu contribuer à convaincre les autorités de son pays d’adoucir leur rigueur à son encontre, il m’était arrivé de me dire que, décidément, ce pays était destiné à être une terre que l’on quittait pour s’émanciper. L’Exode, cet épisode mythique de l’histoire des hébreux qui auraient, sous la houlette de Moïse, quitté la terre où s’était établie la descendance de Joseph, constitue, à cet égard, un récit fondateur. L’exode et l’exil sont ainsi au cœur-même de la trame dramatique de l’œuvre de Youssef Nabil qui, sans cesse, « Say Goodbye » à sa terre sans pour autant cesser de fixer l’horizon d’un paradis à retrouver, quitte à, comme dans I Will Go to Paradise (2008), devoir s’enfoncer, jusqu’à disparaitre, dans l’océan du temps. C’est la raison pour laquelle l’artiste est, lui-même, omniprésent dans son œuvre, par sa propre représentation en témoin des scènes qu’il décrit et, par son autoportrait, renouant ainsi avec un grand genre de la peinture européenne qu’un artiste comme Albrecht Dürer avait si bien illustré. Quand Youssef Nabil assiste, de dos, au spectacle nostalgique que son imagination a suscité, dans Self-portrait with the Nile (2014) ou Self-portrait with an Olive Tree (2016), on ne peut s’empêcher de retrouver quelques sensations de la peinture romantique allemande, notamment celle de Caspar David Friedrich (1774-1840). On pense tout naturellement à son Voyageur contemplant une mer de nuages (1818) ou à ses Deux hommes contemplant la lune (1819), tableau dans lequel une racine démesurée tient, elle aussi, comme dans Self-portrait with Roots (2008), compagnie au spectateur de cette scène mélancolique. Youssef Nabil a bien regardé la peinture des siècles qui l’ont précédé. Il a vu l’intelligence avec laquelle Velázquez s’était glissé dans la scène des Ménines et celle, tout aussi grande, avec laquelle Gustave Courbet s’était placé dans l’atelier du peintre qu’il est. Lui-même n’hésite pas à s’introduire, en spectateur alangui, devant Le Printemps de Botticelli, dans Self-portrait with Botticelli (2009). Dans les narrations que constituent chacune de ses œuvres, l’artiste est souvent couché, rêveur et songeur, un peu comme le Jacob de la Bible ou le Joseph des Évangiles de l’enfance à qui l’ange vient demander de quitter la Judée pour se réfugier en Égypte.

Allongé, l’artiste devient ainsi un homme abandonné, abandonné de tous et pourtant désiré, aban- donné à ses rêves mais toujours lucide. Avec sobriété, son œuvre est ainsi intensément sensuelle. Cette sensualité plonge dans celle de l’artiste lui-même, puisqu’avec délicatesse, il ne cesse de ré- véler à son spectateur des fragments d’une peau qu’on devine frémissante, à la naissance du cou ou au creux de l’épaule. Cette sensualité se dévoile plus dans l’évocation, parfois même l’allusion, que dans la représentation crue qui serait trop facile et follement vulgaire. Elle est terriblement sensible, perceptible par qui sait regarder, tout en étant totalement invisible au regard sommaire.

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Elle est faite de frôlements plus que d’intrusions, d’évocations plus que de révélations. Les corps s’y rapprochent sans jamais se toucher mais c’est dans la distance que l’artiste maintient entre eux que se concentre la formidable électricité du désir. C’est ainsi qu’Ahmed in Djellabah (2004) ou Ali in Abaya (2007) ou encore Ayman Sleeping (2005) sont, sans que jamais la facilité de la repré- sentation du sexe ne s’y commette, d’un érotisme à la fois contenu et efficace.

L’œuvre de Youssef Nabil vient de quelque part. Elle est, on l’a dit, enracinée. Elle n’est cependant prisonnière d’aucun carcan. C’est une œuvre libre, une œuvre qui fixe son projet sur tous les hori- zons possibles. C’est, de ce fait, une œuvre déjà riche mais une œuvre loin d’être conclue. L’expo- sition du Palazzo Grassi en est ainsi un formidable témoin, tout en étant son bilan d’étape.

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Matthieu Humery, Le Fils du Nil

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Équivoque, la quasi-abstraction des œuvres de Youssef Nabil est à même de traduire à la fois la peur mais aussi l’espoir. Dans la série monumentale The Last Dance, c’est la crainte de la dis- parition de la danse orientale qui transparaît à travers quarante-huit images d’une danse fréné- tique, urgente et anonyme, qui évoque visuellement les derniers battements d’ailes d’un papillon au crépuscule de ses jours. Presque en scientifique, l’artiste décortique le mouvement à la ma- nière d’Eadweard Muybridge1, comme pour archiver, garder une trace la plus précise possible de la beauté de cet art avant son extinction. Toujours dans le rapport particulier qu’entretient l’artiste avec la réalité, son utilisation de la cou- leur est une manière pour lui de retenir l’effacement. Portraits ou paysages, ses épreuves argen- tiques peintes à la main semblent « hors du temps ». Les couleurs resplendissantes lissent la sur- face et teintent ses visages d’une douce atemporalité, telles des images mentales, des souvenirs indélébiles. Le polyptique I Will Go to Paradise réalisé en 2008 synthétise l’ensemble du chemine- ment intellectuel et artistique de l’artiste. Habillé du vêtement égyptien traditionnel, toujours dos à l’objectif, Youssef Nabil s’éloigne de nous tout en s’approchant de la mer. Il pénètre dans l’eau pour disparaître sous la surface au coucher du soleil. Évocation de la mort et du destin, ces images ne sont pas nécessairement funestes, bien au contraire. Youssef Nabil traduit poétiquement à tra- vers cette œuvre sa propre vision de l’existence. Ainsi, ces séquences, tels des morceaux de pelli- cule cinématographique en technicolor, se teintent d’éternel.

Tel un circuit initiatique, entre perte de repères, rattachement et renaissance, cette exposition dé- roule un fil invisible inhérent à chaque être. Ici l’artiste nous dévoile une histoire au travers de son travail qui a su, comme un exutoire, canaliser le chaos. Once Upon a Dream se termine par l’image d’un bord de mer où la figure de l’artiste a dispa- ru. Cependant les dernières œuvres que l’on aperçoit en quittant l’exposition, à travers la colon- nade, sont les cinq paysages peints. Cet interlude devient alors épilogue. Tantôt synonyme d’exil, de voyage, ou de refuge, cette composition concentre tous les thèmes de cette fresque cinéma- tographique. La disparition de la frontière entre rêve et la réalité, figuratif et abstrait, est doré- navant actée. Les extrémités du polyptique représentent ce voyage physique et mental qui nous mène vers une contemplation silencieuse de la nature, de la terre ou de la mer, ces symboles uni- versels et motifs récurrents dans l’œuvre de l’artiste. Au centre s’épanouit une route aux multiples branches, qui, quel que soit le chemin emprunté, gardera le cap et générera de l’espoir. Une quié- tude nouvelle émane de cette incertitude apaisée. Ce renversement symbolique est en fait ancré dans la plupart des œuvres de Youssef Nabil. Arabian Happy Ending est un manifeste pour la li- berté à l’instar des figures virevoltantes de The Last Dance qui rappellent les chorégraphies de la pionnière de la danse moderne Loïe Fuller2 et sont une ode à la joie et à cet art qui célèbre la vie.

1 E. Muybridge, The Human Figure in Motion, London, Chapman & Hall, 1907. 2 Loïe Fuller (1862-1928) a marqué l’histoire de la danse par sa conception nouvelle du mouvement et de la repré- sentation. Elle fut la première à utiliser la lumière comme un élément clé de ses performances tout comme le jeu des miroirs pour démultiplier son image. À ce sujet, voir A. Cooper Albright, Traces of Light. Absence and Pre- sence in the Work of Loïe Fuller, Middletown, Wesleyan University Press, 2007.

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Linda Komaroff, Youssef Nabil et l’étoffe des rêves

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La nostalgie du passé, que Youssef Nabil expérimentait indirectement à travers les vieux films qu’il regardait obstinément à la télévision pendant son enfance au Caire, est inhérente à sa carrière de photographe, commencée en 1992 lorsqu’il recréait des scènes célèbres du cinéma égyptien. Cette quête d’un passé imaginé est par la suite devenue tangible dans ses photographies de mannequins élégants, aux coupes de cheveux et vêtements rétro, qui posent nonchalamment sous la lumière des projecteurs, ou bien fument, boivent un verre et jouent aux cartes, comme si elles attendaient qu’on les appelle sur le plateau ou peut-être dans la vie réelle. Ces images évoquent la photographie des célébrités glamour, typique des années cinquante au Caire, à l’instar de l’œuvre du mentor et ami de Youssef Nabil, Van-Leo (Levon Boyadjian, 1921-2002). Également liée aux premières photographies cairotes, ainsi qu’au cinéma égyptien, l’éblouissante série sur Natacha Atlas, connue pour sa fusion électro (notamment hip hop) influencée par les musiques arabe, nord-africaine et occidentale. Les photos de Natacha Atlas en danseuse du ventre, dans des poses lascives et audacieuses, yeux clos et visage penché ou hors du cadre, semblent échapper au temps et à l’espace. Natacha, que l’on voit mais qui ne voit pas, est fixée pour toujours dans l’esprit de l’artiste (et par conséquent dans le regard du spectateur) comme un souvenir à la fois réel et imaginaire. Nous poursuivrons plus bas l’évoca- tion de l’artiste et de la danseuse du ventre. Les photos peut-être les plus percutantes de Nabil sont celles qui sont ostensiblement autobio- graphiques, comme les nombreux autoportraits réalisés après son départ d’Égypte en 2003. Gé- néralement pris de dos ou de côté, le visage rarement exposé, on ne voit parfois que ses doigts de pied au bord d’un tapis de prière. Nabil se dépeint comme un vagabond apatride dans différents endroits du monde ; même la photo où il dort sur un tapis de racines noueuses à Los Angeles veut souligner son propre déracinement. Il contemple la mer ou un paysage urbain, rêve, dort ou fait le mort, est allongé sur un banc dans la galerie des Offices devant un Botticelli – les décors changent mais l’artiste reste le même, seul et déconnecté de son environnement. Contrairement aux auto- portraits de Courbet (Jean Désiré Gustave Courbet, 1819-1877) où l’artiste change d’apparence, le personnage de Nabil, qu’il définit lui-même comme un exilé, est immuable. Le caractère autobiographique des vidéos You Never Left (2010) et I Saved My Belly Dancer (2015) est plus subtil. L’acteur français Tahar Rahim, qui ressemble à Youssef Nabil, se fond harmonieu- sement dans un alter ego de l’artiste. Ces petits films, ainsi que les photos qui accompagnent en parallèle leurs scénarios, constituent les œuvres les plus importantes et les plus puissantes de l’artiste. Leur extrême beauté ne repose pas tant sur les thématiques connexes du sommeil, de la mort, de l’exil, de la renaissance et du pays natal que sur la mise en image remarquable de su- jets aussi abstraits et complexes, rendus physiquement palpables par l’artiste à la manière d’un rêve bouleversant. Comme les rêves, les vidéos combinent la puissance sensorielle de la vue et de l’ouïe ; la bande-son envoûtante est réalisée par le compositeur tunisien Anouar Brahem. Comme dans les rêves encore, les décors sont indéfinissables et démesurés et leur étrangeté est mise en valeur par l’intensité et la tonalité surnaturelle des couleurs.

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Youssef Nabil en conversation avec André Aciman New York, 21 février 2019

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Youssef J’ai dû quitter l’Égypte principalement à cause de mon travail car j’avais besoin de me sentir libre, mais je voulais aussi que mon œuvre évolue et se développe en dehors de mon pays. Le corps est l’un de mes sujets de prédilection et beaucoup d’Égyptiens étant de toute évidence conservateurs ou religieux, je ne pouvais pas penser en permanence à ce que je pouvais montrer ou dire sur le plan artistique. Mais j’ai toujours aimé mon pays et je ne m’y suis jamais senti mal- heureux. J’ai compris qu’il m’avait donné le meilleur de lui-même. C’est comme l’amour filial. Il y a des choses que les parents ne peuvent pas comprendre ou se permettre de t’offrir, mais tu les aimes quand même pour ce qu’ils t’ont donné. Les plus belles années de ma vie je les ai d’ailleurs passées au Caire, même si j’ai toujours eu l’impression de ne pas être à ma place et que j’allais devoir partir un jour. Je suis parti à l’âge de trente ans – pour Paris puis New York, où j’ai vécu une grande partie de ma vie jusqu’à aujourd’hui. Ma carrière d’artiste a commencé au Caire, où j’ai rencontré beaucoup de gens exceptionnels. Ma première exposition s’est tenue au Caire, c’est là que j’ai pris ma toute première photo. Une partie de moi vit encore en Égypte. Cela fait seize ans que je suis parti, mais je suis toujours lié à l’Égypte par de nombreux aspects. Cependant plusieurs Égyptes se côtoyaient. C’est aussi une des raisons qui m’ont donné envie de partir. Je n’avais pas envie de créer ma bulle, en faisant comme si je vivais en Europe ou aux États- Unis, car là-bas tu vis en flottant toujours, entre deux quartiers chics. Je me suis toujours asso- cié à une partie de l’Égypte authentique, la classe moyenne, celle qui est en contact avec les vrais problèmes, je n’ai jamais choisi un mode de vie filtré. Qu’est-ce qui fait que tu te sens encore égyptien ?

André Pour commencer, laisse-moi te parler de mon père. Mon père était turc, mais il avait adopté de nombreuses habitudes égyptiennes car il est arrivé dans le pays à l’âge auquel je suis arrivé aux États-Unis, à savoir dix-sept ans. Il m’a appris le mot mazag. C’est la culture du plaisir, mais il ne s’agit pas simplement de cultiver le plaisir et de bien manger. C’est d’avoir envie et besoin de dire aux autres que tu fais l’expérience du mazag, que la nourriture est bonne, que la compagnie est agréable, que le monde, malgré toutes ses difficultés, est un endroit où il fait bon vivre. Il a inventé le mot « mazaguiste ». Certaines personnes naissent « mazaguistes », d’autres non. Tu es « mazaguiste » quand tu as besoin de communiquer le plaisir que tu ressens, et c’est quelque chose que personne ne fait aux États-Unis. Ce sentiment de plénitude, quand tu prends le temps de faire ce qui te plaît dans la vie, a besoin d’être verbalisé pour comprendre l’essence et la profondeur du plaisir. J’ai appris cela en Égypte ; il y a de la joie dans l’expression de cette plénitude. Et la joie d’aller à la plage, qui est très importante pour moi, a besoin d’être partagée. Les petites choses apportaient un sentiment de plaisir absolu à partir du moment où tu pouvais exprimer ce plaisir.

Youssef Pour moi, mazag est aussi lié au rythme de vie méditerranéen, apprécier la vie, savoir que tu peux être heureux en vivant simplement. La mer, le soleil, les amis et un bon repas suffisent pour vivre

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pleinement. Mais c’est la mer Méditerranée qui a fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui. Lorsque cette expérience et cette perception sont ancrées en toi et dans ton âme, tu peux partir loin et aller partout car c’est là que sont tes origines. Et tu sais qu’elle sera toujours là pour toi, que nous pourrons toujours y retourner et vivre à ses côtés. Mon poème préféré est Ithaca de Constantin Cavafy. C’est le poème de ma vie, il parle de ça, de cette vie nomade que je mène depuis que j’ai quitté l’Égypte. Il m’arrive souvent au cours de mes voyages de dire quelque chose du genre : « Ça me rappelle la Méditerranée » ou « Ça me rappelle Alexandrie », même si en fait cela n’a rien à voir avec la Mé- diterranée ou Alexandrie. C’est juste ma façon de faire référence au bien vivre. C’est le mazag, prendre le temps de profiter de la vie à certains moments de la journée, quelque chose que l’on trouve ou ressent rarement ailleurs.

[…]

Youssef Une chose qui participait à mon bonheur en Égypte, c’était le cinéma. J’allais toujours voir des films seul, parfois deux ou trois fois le même film. Le cinéma m’a permis de découvrir un monde entièrement nouveau. Je pouvais m’échapper de ma vie et mon histoire quotidiennes pendant deux heures, et regarder l’histoire de quelqu’un d’autre, puis, retour à la réalité. Une découverte magique. Cela m’a donné de l’espoir et m’a aussi ouvert les yeux sur ce médium. L’idée de racon- ter des histoires inspire en grande partie mon travail. Même mélanger la peinture et la photogra- phie vient de mon amour du cinéma. J’utilise cette technique depuis l’âge de dix-neuf ans. J’ai vu tellement de films dans mon enfance. Je me posais des questions sur les acteurs que je voyais et que j’aimais. Où étaient-ils ? J’interrogeais ma mère et, la plupart du temps, elle me ré- pondait : « Ils sont tous morts à présent. » J’ai donc découvert une autre dimension du cinéma et de la photographie : ils maintiennent en vie les gens que j’aime. Lorsque nous sortions avec mes parents, moi, mon frère jumeau et ma petite sœur étions assis à l’arrière de la voiture, et j’adorais regarder défiler les affiches de film par la vitre. Il y en avait- par tout dans les rues et les avenues du Caire – je te parle de la fin des années soixante-dix et du début des années quatre-vingt. Je les aimais beaucoup car elles étaient toutes peintes à la main. Plus tard, je voulais que mes œuvres ressemblent à ces affiches de films que j’aimais tant quand j’étais petit, et que j’ai continué à chérir en grandissant au Caire.

André À Alexandrie, à part aller à la plage, les seules possibilités de sortie en famille étaient les clubs de sport ou le cinéma. De quinze à dix-huit heures ou de dix-huit à vingt et une heures et parfois – ce qui était un luxe et réservé aux adultes – les séances de vingt et une heures à minuit. Avec mes amis, c’était toujours de quinze à dix-huit heures. Il n’y avait rien d’autre que le cinéma. On allait voir tous les films, on connaissait le nom de tous les acteurs. Les films sortaient immédiatement en Égypte. Plus tard, quand je vivais en Italie, certains films passaient déjà en Égypte alors qu’ils n’étaient même pas encore sortis. En fait, j’ai écrit un livre sur une maison située dans une ville de la côte italienne. Mais devine où se trouvait réellement cette maison fictionnelle ? Je l’ai située en Italie, mais évidemment la vraie maison n’a jamais été en Italie.

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Youssef Tu veux dire que la maison de ton roman Appelle-moi par ton nom est en réalité en Égypte !?

André Non, ce n’est pas une maison en Égypte mais une maison transposée, une maison qui a été dépla- cée d’Égypte vers un lieu imaginaire en Italie. À de nombreux égards, je revivais une adolescence qui n’était pas menacée par l’antisémitisme, par les conditions de vie difficiles et dangereuses en Égypte – un monde transformé devenu sûr et serein. Avec Appelle-moi par ton nom j’ai essayé de construire une vie qui n’a pas existé mais qui aurait pu exister.

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3 LISTE DES ŒUVRES

Kairo, Les pyramides, femmes arabes I, He and She, 1964 (unknown author), c. 1890 100 x 70 cm 21 x 27 cm affiche originale du film homonyme photochrome Collection personnelle de l’artiste Collection personnelle de l’artiste Take Care of Zouzou, 1972 Le port Said, le quai et la rue du 100 x 70 cm commerce (unknown author), c. 1890 affiche originale du film homonyme 21 x 27 cm Collection personnelle de l’artiste photochrome Collection personnelle de l’artiste Forbidden on the Wedding Night, 1975 100 x 70 cm Kairo, un bédouin (unknown author), c. 1890 affiche originale du film homonyme 21 x 27 cm Collection personnelle de l’artiste photochrome Collection personnelle de l’artiste The Lovers, 1976 100 x 70 cm Kairo, danseuse égyptienne affiche originale du film homonyme (unknown author), c. 1890 Collection personnelle de l’artiste 21 x 27 cm photochrome Night’s Whispers, 1977 Collection personnelle de l’artiste 100 x 70 cm affiche originale du film homonyme Kairo, mosquée rue de la Citadelle n. II Collection personnelle de l’artiste (unknown author), c. 1890 27 x 21 cm Portrait of Youssef Nabil by Van-Leo 1995 photochrome 39 x 29 cm Collection personnelle de l’artiste tirage argentique peint à la main Collection personnelle de l’artiste Kairo, marchands ambulants (unknown author), c. 1890 Opere di Youssef Nabil 27 x 21 cm photochrome Four Pyramids, Giza 1992 Collection personnelle de l’artiste 26 x 39 cm tirage argentique peint à la main Kairo, paysans et femmes rentrant des champs Youssef Nabil Studio (unknown author), c. 1890 21 x 27 cm Sweet Temptation, Cairo 1993 photochrome 75 x 50 cm Collection personnelle de l’artiste tirage à l’encre pigmentaire archival sur papier coton archival Layla, 1942 Pinault Collection 100 x 70 cm affiche originale du film homonyme Female Cactus, Hurghada 1998 Collection personnelle de l’artiste 115 x 75 cm tirage à l’encre pigmentaire The Lady of the Palace, 1958 archival sur papier coton archival 100 x 70 cm Pinault Collection affiche originale du film homonyme Collection personnelle de l’artiste One Lonely Star, Alexandria 1999 115 x 75 cm One Day of My Life, 1961 tirage à l’encre pigmentaire 100 x 70 cm archival sur papier coton archival affiche originale du film homonyme Pinault Collection Collection personnelle de l’artiste

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Fifi Smoking, Cairo 2000 Amir, New York 2006 75 x 58,5 cm 75 x 115 cm tirage argentique peint à la main tirage à l’encre pigmentaire Youssef Nabil Studio archival sur papier coton archival Pinault Collection Mealema-Fifi Abdou, Cairo 2000 75 x 50 cm The Yemeni Sailors of South Shields 2006 tirage argentique peint à la main 75 x 50 cm chacun Youssef Nabil Studio 12 tirages argentique peint à la main Pinault Collection Natacha fume le Narguilé, Cairo 2000 115 x 75 cm Ali in Abaya, Paris 2007 tirage argentique peint à la main 50 x 75 cm Pinault Collection tirage argentique peint à la main Youssef Nabil Studio Natacha sleeping, Cairo 2000 75 x 115 cm Deux Djellabas, Paris 2007 tirage argentique peint à la main 75 x 115 cm Pinault Collection tirage à l’encre pigmentaire archival sur papier coton archival Natacha with eyes closed, Cairo 2000 Pinault Collection 115 x 75 cm tirage argentique peint à la main Red Egyptian Nightgown, Harlem 2007 Youssef Nabil Studio 75 x 115 cm tirage à l’encre pigmentaire God Saves us All 2001 archival sur papier coton archival 115 x 75 cm Pinault Collection tirage à l’encre pigmentaire archival sur papier coton archival Dreams about Cairo 2008 Pinault Collection 115 x 75 cm tirage argentique peint à la main Lonely Pasha, Cairo 2002 Youssef Nabil Studio 75 x 50 cm tirage argentique peint à la main Dreams about Cairo 2008 Youssef Nabil Studio 115 x 75 cm tirage argentique peint à la main Rania, Cairo 2002 Youssef Nabil Studio 75 x 50 cm tirage argentique peint à la main Dreams about Cairo 2008 Youssef Nabil Studio 115 x 75 cm tirage à l’encre pigmentaire Ahmed in Djellabah, New York 2004 archival sur papier coton archival 50 x 75 cm Pinault Collection tirage argentique peint à la main Youssef Nabil Studio Dreams about Cairo 2008 115 x 75 cm Feels Like Home, Self-portrait, Paris 2004 tirage à l’encre pigmentaire 115 x 75 cm archival sur papier coton archival tirage argentique peint à la main Pinault Collection Youssef Nabil Studio Dreams about Cairo 2008 Ayman sleeping, Paris 2005 115 x 75 cm 75 x 115 cm tirage à l’encre pigmentaire tirage argentique peint à la main archival sur papier coton archival Youssef Nabil Studio Pinault Collection

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Dreams about Cairo 2008 You Never Left # I 2010 115 x 75 cm 26 x 39 cm chacun tirage à l’encre pigmentaire 2 tirages argentique peint à la main archival sur papier coton archival Youssef Nabil Studio Pinault Collection You Never Left # III 2010 I Will Go to Paradise Self-portrait, Hyères, 2008 50 x 75 cm 50 x 75 cm chacun tirage argentique peint à la main 4 tirages argentique peint à la main Youssef Nabil Studio Pinault Collection You Never Left # XI 2010 Self-portrait, Beverly Hills 2008 50 x 75 cm 50 x 75 cm tirage argentique peint à la main tirage argentique peint à la main Youssef Nabil Studio Youssef Nabil Studio You Never Left # VII 2010 Sphinx, Giza 2008 50 x 75 cm 115 x 75 cm tirage argentique peint à la main tirage argentique peint à la main Youssef Nabil Studio Youssef Nabil Studio Anouk Aimée, Paris 2011 Self-portrait with Roots, Los Angeles 2008 75 x 50 cm 115 x 75 cm tirage argentique peint à la main tirage argentique peint à la main Youssef Nabil Studio Pinault Collection , Paris 2011 You live with me, Self-portrait, Harlem 2008 75 x 50 cm 50 x 75 cm tirage argentique peint à la main tirage argentique peint à la main Youssef Nabil Studio Youssef Nabil Studio Marina Abramović, New York 2011 Say Goodbye, Self-portrait, Alexandria 2009 75 x 50 cm 50 x 75 cm tirage argentique peint à la main tirage argentique peint à la main Youssef Nabil Studio Pinault Collection In Love, Denver 2012 Self-portrait with Botticelli, Florence 2009 75 x 115 cm 50 x 75 cm tirage argentique peint à la main tirage argentique peint à la main Pinault Collection Pinault Collection , Paris 2012 , New York 2010 75 x 50 cm 75 x 50 cm tirage argentique peint à la main tirage argentique peint à la main Youssef Nabil Studio Youssef Nabil Studio Short Life, Self-portrait, Los Angeles 2012 , Paris 2010 50 x 75 cm 75 x 50 cm tirage argentique peint à la main tirage argentique peint à la main Youssef Nabil Studio Youssef Nabil Studio The Last Dance # I, Denver 2012 , You Never Left # II 2010 50 x 75 cm chacun 75 x 50 cm 12 tirages à l’encre pigmentaire tirage argentique peint à la main archival sur papier coton archival Youssef Nabil Studio Pinault Collection

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The Last Dance # II, Denver 2012 I Saved My Belly Dancer # XVII 2015 50 x 75 cm chacun 75 x 115 cm 12 tirages à l’encre pigmentaire tirage argentique peint à la main archival sur papier coton archival Youssef Nabil Studio Pinault Collection I Saved My Belly Dancer # XV 2015 The Last Dance # III, Denver 2012 50 x 75 cm 50 x 75 cm chacun tirage argentique peint à la main 12 tirages à l’encre pigmentaire Youssef Nabil Studio archival sur papier coton archival Pinault Collection I Saved My Belly Dancer # XXVI 2015 26 x 39 cm The Last Dance # IV, Denver 2012 tirage argentique peint à la main 50 x 75 cm chacun Youssef Nabil Studio 12 tirages à l’encre pigmentaire archival sur papier coton archival I Saved My Belly Dancer # XII 2015 Pinault Collection 26 x 39 cm tirage argentique peint à la main Isabelle Adjani, Paris 2013 Youssef Nabil Studio 75 x 50 cm tirage argentique peint à la main I Saved My Belly Dancer # IV 2015 Youssef Nabil Studio 115 x 75 cm tirage argentique peint à la main Self-portrait, Hawaii 2013 Youssef Nabil Studio 50 x 75 cm tirage à l’encre pigmentaire I Saved My Belly Dancer #II 2015 archival sur papier coton archival 50 x 75 cm Pinault Collection tirage argentique peint à la main Youssef Nabil Studio Untitled, Self-portrait, Hawaii 2013 115 x 75 cm I Saved My Belly Dancer #III 2015 tirage argentique peint à la main 115 x 75 cm Youssef Nabil Studio tirage argentique peint à la main Youssef Nabil Studio I Saved My Belly Dancer # I 2014 26 x 39 cm I Saved My Belly Dancer # IX 2015 tirage argentique peint à la main 50 x 75 cm chacun Youssef Nabil Studio 2 tirages argentique peint à la main Youssef Nabil Studio Self-portrait next to the Wall, Luxor 2014 50 x 75 cm I Saved My Belly Dancer # XXV 2015 tirage argentique peint à la main 75 x 115 cm Youssef Nabil Studio tirage argentique peint à la main Youssef Nabil Studio Self-portrait with the Nile, Luxor 2014 50 x 75 cm I Saved My Belly Dancer # XXIV 2015 tirage à l’encre pigmentaire 75 x 115 cm archival sur papier coton archival tirage argentique peint à la main Pinault Collection Youssef Nabil Studio

Self-portrait, Luxor 2014 I Saved My Belly Dancer # XX 2015 115 x 75 cm 50 x 75 cm tirage argentique peint à la main tirage argentique peint à la main Youssef Nabil Studio Youssef Nabil Studio

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Arabian Happy Ending 2016 photogrammes de la vidéo Youssef Nabil Studio

Arabian Happy Ending 2016 170 x 30 cm Neon / neon Youssef Nabil Studio

Self-portrait with an Olive Tree, Kéa 2016 50 x 75 cm tirage argentique peint à la main Pinault Collection

Your Heart knows the Way 2019 115 x 75 cm tirage argentique peint à la main Youssef Nabil Studio

No one knows but the Sky 2019 115 x 75 cm tirage argentique peint à la main Youssef Nabil Studio

Le chemin commence et le voyage est déjà fini 2019 115 x 75 cm tirage argentique peint à la main Youssef Nabil Studio

Here to Go 2019 115 x 75 cm tirage argentique peint à la main Youssef Nabil Studio

Your Life was just a Dream 2019 115 x 75 cm tirage argentique peint à la main Youssef Nabil Studio

Vidéos

You Never Left 2010 film 8 min Youssef Nabil Studio

I Saved My Belly Dancer 2015 film 12 min Pinault Collection

Arabian Happy Ending 2016 film 28 min Youssef Nabil Studio

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4 LE CATALOGUE DE L’EXPOSITION

160 pages 1 édition trilingue (italien, anglais, français) 38€ dans l’exposition Publié en co-édition avec Marsilio Editori, Venise, et Palazzo Grassi – Punta della Dogana Projet graphique de Studio Sonnoli, Leonardo Sonnoli e Irene Bacchi

Avec des textes de

Jean-Jacques Aillagon Commissaire de l’exposition

Matthieu Humery Spécialiste de la photographie et commissaire de l’exposition

Linda Komaroff Commissaire et responsable du Département d’Art du Moyen-Orient du LACMA de Los Angeles

Et une conversation entre Youssef Nabil et l’auteur André Aciman

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5 BIOGRAPHIE DE YOUSSEF NABIL

Youssef Nabil commence sa carrière de photographe en 1992 avec des tableaux illustrant des personnages figés dans une pose cinématographique, comme s’il s’agissait d’images de films de l’âge d’or du cinéma égyptien. Plus tard, dans les années 90, alors qu’il est assistant photographe à New York et à Paris, il commence à photographier des artistes et des amis, réalisant des por- traits formels et tout en plaçant ses sujets dans les domaines du rêve et du sommeil, au bord de la conscience et loin de leur personnage public.

De retour en Égypte en 1999, il approfondit sa photographie colorée à la main avec des portraits d’auteurs, de chanteurs et d’acteurs du monde arabe. À la même époque, et notamment après son retour à Paris et à New York, il commence à réaliser des autoportraits qui reflètent sa vie disloquée loin de l’Égypte. En pleine évolution dans les quinze dernières années, cette série se caractérise par des scènes liminales où il s’attarde entre les réalités du monde et des rêves se- reins, la solitude et la peur de la mort.

En colorant à la main ses tirages à la gélatine d’argent, Nabil élimine les imperfections de la ré- alité. Nabil renverse les principales notions de la photographie couleur et de la peinture, ain- si que les stéréotypes sur les sensibilités esthétiques associées à l’art et à la culture populaire. En suscitant un sentiment de désir et de nostalgie, ses images colorées à la main oscillent entre notre époque et une autre ère.

L’artiste présente en 2010 sa première vidéo You Never Left avec les acteurs Fanny Ardant et Tahar Rahim. Il met en scène un ailleurs allégorique, métaphore de l’Égypte perdue, dressant un paral- lèle intimiste et solennel entre l’exil et la mort. Youssef Nabil y réinvestit, avec révérence et avec in- ventivité, les caractéristiques esthétiques de l’âge d’or du cinéma égyptien, avec les stars, le tech- nicolor, le tournage sur pellicule, à l’origine même de la vocation et de l’inspiration de son travail photographique qui reflète la même dimension personnelle et diariste.

En 2015, Nabil produit sa deuxième vidéo, I Saved My Belly Dancer, avec les acteurs Salma Hayek et Tahar Rahim, une narration de sa fascination et de son admiration pour les dan- seuses du ventre, et de son inquiétude à voir disparaître cette forme artistique typique du Moyen-Orient. La vidéo d’une durée de 12 minutes se fait également l’écho d’une évolution pro- fonde du statut de la femme dans le monde arabe qui voit l’érotisation accrue du corps fémi- nin devenir un problème de plus en plus aigu et un motif de répression au sein des nouvelles constructions sociales.

Le travail de Nabil a fait l’objet d’expositions personnelles dans des lieux de prestige, comme Villa Médicis à Rome ; Centro de la Imagen à Mexico ; Galerie Nathalie Obadia à Paris ; The Third Line Gallery à Dubaï ; Michael Stevenson Gallery à Cape Town ; Savannah College of Art and Design en Géorgie ; Maison Européenne de la Photographie à Paris ; Rencontres Internationales de la Photographie à Arles et le Pérez Art Museum à Miami. Des expositions de groupe ont aussi été organisées à plusieurs endroits : Centre Pompidou à Paris ; à Londres ; Galleria dell’Accademia à Florence ; Los Angeles County Museum of Art, LACMA ; Museum of Anthropology à Vancouver ; La Maison Rouge à Paris ; MMK Museum für Modern Kunst à Francfort ; BALTIC Centre for Contemporary Art à Newcastle ; MASP Museu de Arte de São Paulo ; Aperture Foundation à New York ; Gemäldegalerie, Musées Nationaux de Berlin ; Museum of Photography à Thessalonique ; North Carolina Museum of Art ; Victoria & Albert Museum à Londres ; Biennale

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des arts visuels à Santa Cruz ; Kunstmuseum à Bonn ; Musée national d’art africain (musée de la Smithsonian) à Washington, D.C. ; Centre andalou des arts contemporains à Séville ; Centre de Cultura Contemporània de Barcelona.

Youssef Nabil fait partie de diverses collections internationales, y compris Collection Pinault, Paris ; LACMA Museum, Los Angeles ; Fondation Louis Vuitton, Paris ; Fondation Sindika Dokolo, Luanda ; La Maison Européenne de la Photographie, Paris ; collection commune du British Museum et du Victoria & Albert Museum, Londres ; SCAD Museum of Art, Savannah, Géorgie ; Centro de la Imagen, Mexico ; Mathaf Arab Museum of Modern Art, Doha ; Guggenheim- Abu Dhabi ; Studio Museum in Harlem, New York et Pérez Art Museum, Miami.

Trois monographies ont été publiées sur le travail de Youssef Nabil – Sleep in My Arms (Autograph ABP et Michael Stevenson, 2007), I Won’t Let You Die (Hatje Cantz, 2008) et Youssef Nabil (Flammarion, 2013).

Youssef Nabil est né au Caire en 1972, il vit et travaille à Paris et New York.

17 YOUSSEF NABIL. ONCE UPON A DREAM

6 BIOGRAPHIE DES COMMISSAIRES

Jean-Jacques Aillagon

Jean-Jacques Aillagon fut, entre 1973 à 1976, professeur d’histoire et de géographie avant de quit- ter, en 1976, l’administration de l’Education nationale pour celle de la Culture et que débute, alors, une riche carrière au sein des plus importantes institutions culturelles françaises. Jean-Jacques Aillagon travaille, d’abord, au Centre d’études et de recherche architecturale du ministère de la Culture puis au sein de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts où il s’occupe des relations ex- térieures, des expositions et de l’action culturelle et scientifique. En 1982, il devient administra- teur du musée national d’Art moderne, au Centre Pompidou. Il rejoint, en 1985, l’administration la Ville de Paris dont il dirige, de 1993 à 1996, les affaires culturelles avant d’être nommé président du Centre national d’art et de culture Georges Pompidou.

Ministre de la Culture entre 2002 et 2004, Jean-Jacques Aillagon fait voter une importante loi sur le mécénat et favorise l’autonomie des établissements publics ainsi que la décentralisation de l’action culturelle. Au Château de Versailles dont il est le président de 2007 à 2011, il peut marier la passion du patrimoine et celle de l’art contemporain en exposant, notamment, des œuvres de Jeff Koons, de Takashi Murakami, de Xavier Veilhan ou encore, Bernar Venet, sous les ors et dans les jardins du palais royal.

Il conseille, désormais, François Pinault qu’il a accompagné dans la création de ses musées à Venise, Palazzo Grassi et Punta della Dogana et, aujourd’hui, à Paris, à la Bourse de Commerce. Jean-Jacques Aillagon est également président de la Mission pour l’inscription de Nice sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO. Il assure régulièrement des commissariats d’exposi- tion comme, en 2016, « Jacques Chirac ou le dialogue des cultures », au musée du quai Branly - Jacques Chirac.

Matthieu Humery

Commissaire d’exposition et spécialiste de photographie, Matthieu Humery vit et travaille entre Paris, Arles et New York. Après avoir dirigé le département Photographie au sein de la maison Christie’s, où il a organisé de nombreuses ventes monographiques à New York et à Paris, Matthieu Humery a été le com- missaire de plusieurs expositions dont Irving Penn, Resonance au Palazzo Grassi en 2014, Annie Leibovitz, The Early Years : 1970 – 1983 en 2017 et Jean Prouvé, architecte des jours meilleurs en 2018 à la Fondation Luma à Arles. Il présenta également la collection Sylvio Perlstein à travers l’ex- position A Luta Continua, Art and Photography from Dada to Now à la galerie Hauser & Wirth de New York en 2018.

Sa derrière exposition 50 ans 50 livres : Chefs-d’œuvre de la collection Martin Parr a été présen- tée dans le cadre du cinquantenaire des Rencontres d’Arles en 2019.

Co-fondateur du Los Angeles Dance Project, Matthieu Humery a initié de nombreux projets inté- grants chorégraphie et art contemporain à l’instar du projet Reflections Redux, collaboration entre Barbara Kruger et Benjamin Millepied présentée au Studio des Acacias en 2017.

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